Dans  les  environs de Murol,  en  Auvergne,  se  dresse  une vertigineuse  falaise volcanique,  dépouillée de végétation,  qui tombe à pic sur une prairie. Cet endroit  se nomme le saut de la pucelle. Il est à l'origine d'une légende.

     On  raconte  qu'un  baron  du  Moyen  Âge se serait épris d'une pastourelle  qu'il  aurait,  en  vain, poursuivi de ses assiduités. On peut  penser  que  cette   légende  est invraisemblable, puisqu'en ces temps  gothiques,  le  pucelage  d'une  villageoise  appartenait à son seigneur.  Mais  il  faut  croire  la légende, lorsqu'elle est sage et riche d'enseignement.

     Un  jour  que  la  jeune  femme gardait ses brebis, en haut de la falaise, elle entendit une meute  qui venait dans sa direction. Saisie de  frayeur, elle jeta les yeux,  à droite et à gauche, à la recherche d'un  endroit  où  se  dissimuler.   Mais  le  lieu  n'offrait  aucune ressource.

     Cependant,  les  chiens s'approchaient.  Ils apparurent bientôt à la  lisière  de la forêt. Le seigneur  les suivait, les excitant de la voix.  Lorsqu'il  vit que l'objet  de sa convoitise se trouvait ainsi, sans  défense,  seule  et  réduite  à sa merci, son coeur se gonfla de concupiscence  et  il remercia  Dieu de la faveur qu'il lui accordait,  sans prendre garde qu'il blasphémait et que ses paroles s'adressaient au diable.

     Comme  un  faucon  se  jette   sur  sa  proie,  il courut vers la donzelle.  Mais  ses  bras  ne  se refermèrent que sur du vide, car la vertueuse  enfant, préférant la  mort au déshonneur, s'était précipité dans  l'abîme,  seul  refuge   qui s'offrait à elle. Emportés par leur élan,  le  seigneur  et ses lévriers  infernaux prirent le même chemin que  leur  victime et vinrent  s'écraser au pied de la falaise, sur le sol qui s'ouvrit et les engloutit.

     Cependant,  l'air,  s'engouffrant    sous  les  jupons  de  notre héroïne,  les avait gonflés comme  les voiles d'une nacelle. Porté par cette  main  céleste,  elle  descendait    doucement,  ses  jambes  se balançant  comme  le  battant   d'une cloche, au gré de la brise, sous l'ombrelle épanouie de ses vêtements.  Aussi toucha-t-elle au sol sans dommage.

     Cette  aventure  tenait   du  miracle,  bien que les explications données  ci-dessus  relèvent   toutes  de  la  physique et que rien de surnaturel ne s'y mêle. Sans doute  eût-il mieux valu la taire pour ne pas s'attirer les quolibets des  esprits forts. Mais notre jeune fille était encore plus coquette qu'elle n'était vertueuse. Elle  ne  put  tenir sa langue. D'abord,  elle  en  fit le récit  à son amoureux. Celui-ci le répéta à ses amis, tant et si bien que  le tout, plus ou moins déformé, parvint jusqu'aux oreilles du curé.

     Ce dernier flaira quelque  diablerie. C'était une aubaine dans un temps  où  la  découverte d'une  sorcière pouvait ouvrir le chemin de la fortune. La jeune fille fut  entendue en confession. Elle paraissait naïve    et  sincère,  attribuant    l'amortissement  de  sa  chute  à l'intervention  de  son ange gardien.  Il était difficile de la brûler en  place  publique:  les villageois   auraient  pu  mal  interpréter  cette punition.  Une condamnation aussi rigoureuse ne pouvait-elle pas être tenue pour  une vengeance posthume du  seigneur,  exercée au nom  de l'Église? Mais il fallait convaincre les  incrédules.  C'est  pourquoi   l'héroïne  involontaire de ce fait divers médiéval fut invitée à appuyer ses dires d'une démonstration.

     Hélas,  le  vent, cette fois,  ne se leva pas et la pauvre enfant tomba  comme  une  pierre.  La   terre s'ouvrit. Un rire satanique fit retentir  l'air  et   les témoins  horrifiés virent soudain, au milieu des vapeurs qui montaient du gouffre,  surgir le seigneur et sa meute. Il  empoigna  l'imprudente, au  moment où elle allait s'écraser sur le sol,  et  l'ensevelit  avec lui  en s'écriant: ''Enfin, coquine, je te tiens!''.

     Ainsi  fut  punie  la coquetterie  et récompensée la vigilance du prêtre qui, à quelques temps de là, fut pourvu d'une riche sinécure.
 
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Une autre version abrégée de cette légende
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