Lecture du témoignage du chirurgien Milburne sur la retraite de La Corogne
 
Milburne (Henry): A narrative of circumstances attending the Retreat of the British Army under the command of the late Lieut. Gen. Sir John Moore, K.B. with a concise account of the memorable Battle of Corunna, and subsequent embarkation of his Majesty's troops and a few remarks connected with these subjects, in a letter addressed to the right honourable Lord Viscount Castlereagh, one of His Majesty's Principal Secretaries of State, &c, &c. - London - 1809 

Milburne, au début de sa carrière de chirurgien, emporté par l'élan patriotique qui s'empare de la Grande-Bretagne, souhaite participer à l'expédition britannique qui vole au secours des résistants espagnols contre le changement de régime imposé par Napoléon. Malheureusement, le personnel de santé de l'armée britannique est au complet. Notre chirurgien entreprend donc des démarches pour assister les résistants espagnols, mais en vain. Finalement, il est recruté pour faire partie d'une légion privée levée à ses frais par le colonel Murphy. 

Il débarque à La Corogne, le 10 décembre, et avance au devant des troupes britanniques. Le 20 décembre, il atteint les plus hauts sommets de la Galice, dans un froid intense. Le 27 décembre, parvenu à Astorga, il apprend que le colonel Murphy a été fait prisonnier par les Français et qu'il se trouve donc sans emploi. Dans cette ville, il constate que les blessés espagnols sont entassés pêle-mêle dans des conditions sanitaires déplorables et que cette promiscuité favorise les contagions. Il avise le général Fraser de ses craintes concernant l'armée anglaise en retraite. Fraser demande aux autorités espagnoles de bien vouloir autoriser notre chirurgien à prendre les mesures nécessaires pour recevoir convenablement l'armée en retraite. Cette autorisation obtenue, Milburne libère les maisons qui lui paraissent convenables afin de recevoir les soldats anglais et espagnols dans des conditions propres à éviter les épidémies. La hâte qui lui est imposée ne lui permet cependant pas d'atteindre tous les objectifs qu'il s'était fixés. 

Le 29 décembre, le général Lefebvre est fait prisonnier par le 10ème hussard de Stewart. Le 30 décembre, Moore arrive à Astorga. Milburne offre ses services à La Romana dont l'armée manque d'instruments de chirurgie. Cette offre est acceptée mais le chirurgien anglais sera dans l'incapacité de rejoindre le général espagnol à Ponferada (Pomfeferada!), comme il était prévu, à cause de la fatigue de ses animaux de bât et de trait. Il est impossible de trouver des animaux frais dans la cohue des Espagnols fuyant devant l'approche des Français. Milburne est contraint de poursuivre à pied en direction de Villafranca. Il manque perdre ses instruments de chirurgie, chargés sur un chariot de l'armée tirés par des boeufs, qui est arrêté, au bas d'une pente, par l'épaisseur de la neige. Heureusement, des chariots sont détruits pour renforcer l'attelage de celui qui porte les instruments et ceux-ci sont sauvés de ce mauvais pas.  
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La retraite de La Corogne - D'après un tableau de J. B. Beadle
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La neige tombe à gros flocons. Milburne s'abrite dans une grange en compagnie de quelques soldats anglais et espagnols. Ils en sont chassés par l'arrivée d'un parti de chasseurs français qui les prennent pour cibles. Le chirurgien anglais est légèrement blessé. Il rejoint l'arrière-garde de l'armée anglaise à Bembibre (Bembebre), après avoir dépassé sur son chemin beaucoup de blessés, de femmes et d'enfants dont une parturiente qui accouche dans la neige avant d'être chargée avec le bébé sur un fourgons de malades et de blessés espagnols. L'assistant de Milburne tombe malade. Les deux hommes, l'un malade et l'autre blessé, éprouvent les plus grandes difficultés à poursuivre leur route. Le chirurgien anglais, talonné par les Français, en est réduit à abandonner ses bagages, et notamment les précieux médicaments et instruments de chirurgie qui lui ont coûté très cher. Dans son dos, il entend pétiller des escarmouches. 

L'armée s'arrête quelques heures à Caballos, pressée par la cavalerie française qu'affrontent les dragons anglais. Le 3 janvier, l'armée anglaise au complet est à Villafranca.  L'armée anglaise ne trouve pas dans cette ville toute l'aide désirable. Une grande partie de la population a fui et ce qui reste est dans la confusion la plus complète. Les Espagnols sont dans l'incapacité de distinguer les amis des ennemis. La retraite se poursuit en abandonnant des hommes au long du chemin, mais moins que l'on ne serait en droit de s'y attendre compte tenu de la rapidité et des difficultés de la marche. De Villafranca à Lugo (72 miles c'est-à-dire un peu plus de 115 km), il n'y aura pas d'arrêt, sauf deux courtes haltes à Nagolaz et Constantine. Les dragons couvrent la distance en 26 heures dont 24 en selle. Les conditions sont effroyables et il faut tuer beaucoup de chevaux épuisés. De nombreux soldats périssent de fatigue. Le bruit court que les Français massacrent les prisonniers. Les innombrables retardataires sont la proie des poursuivants qui les sabrent sans pitié. De pitoyables lamentations s'élèvent de la foule abandonnée. Milburne croise une femme morte, étendue dans la neige, dont les deux enfants, suspendus à ses mamelles, cherchent encore à en tirer une improbable nourriture. 

Dans la nuit du 4 au 5 janvier, l'armée arrive à Lugo. Un repos s'impose. Les habitants de la ville se sont barricadés dans leurs maisons qu'il faut forcer. Il en résulte de nombreuses querelles. Le 6, les Français sont aux portes. Moore fait évacuer les malades et les blessés en direction de La Corogne. Il s'attend à être attaqué et se prépare au combat. Fraser, qui était parti pour Vigo, est rappelé. La décision est prise d'abandonner le Trésor et de nombreux bagages. Un pont est miné pour retarder l'avance française, mais sa destruction est incomplète. Les Anglais reprennent la retraite, par Vaumonde et Betanzos, vers La Corogne, à proximité de laquelle ils arrivent les 10 et 11 janvier. 

Milburne, qui n'a participé à cette retraite que depuis Astorga, emprunte aux dépêches officielles de Moore les épisodes précédents de l'expédition: le 21 décembre, arrivée à Sahagun, halte; le 23, départ pour forcer le pont sur le Carrion et progresser vers Saldana; Moore apprend que les Français se sont renforcés et que Napoléon est en route depuis Madrid; la pointe tentée en direction de Soult n'est plus d'actualité; le 24, Hope et Fraser marchent vers Majorga; Baird est envoyé passer la rivière à Valencia; le 25, Hope, avec la réserve et les brigades légères marche sur Benavente, par Majorga et Valderas; le 26, la cavalerie de Lord Paget suit la réserve; la marche continue en direction d'Astorga; Paget fait face à la cavalerie française qui entoure l'armée en retraite. Moore estime que sa marche sur Sahagun a parfaitement rempli ses objectifs en soulageant les insurgés espagnols du sud. La cavalerie anglaise s'est couverte de gloire sous Stewart à Rueda et sous Paget à Sahagun où 140 à 150 prisonniers ont été faits. 

Aux approches de La Corogne, on s'aperçoit que les transports attendus de Vigo ne sont pas encore arrivés. Force est pour Moore de choisir une position favorable pour y affronter l'armée française qui s'approche afin de protéger l'embarquement. Paget est placé près du pont de Burgo, préalablement miné mais incomplètement détruit ; un officier est tué par l'explosion. Des escarmouches se font bientôt entendre sur ce point. Les divisions Baird et Hope sont déployées à 2 miles environ devant La Corogne, face aux Français qui s'installent. Le génie et l'artillerie aident les Espagnols à mettre la place en état de défense. Des pièces de gros calibre et des mortiers sont mis en batterie dans la citadelle, derrière des parapets protecteurs. Les Espagnols font preuve d'une grande activité. Même les femmes s'en mêlent en apportant des rafraîchissements aux hommes. Dans la matinée du 13 janvier, entre 8 et 9 heures, un magasin à poudre situé sur les hauteurs, à 2 ou 3 miles (3,2 ou 4,8 km) de la ville, est détruit, après avoir été partiellement évacué, pour éviter qu'il ne tombe aux mains de l'ennemi. La Corogne est secouée comme par un tremblement de terre. Les vitres tombent. Les bateaux dans le port sont violemment secoués. Une grande confusion s'empare des habitants. 

Le 14, les bâtiments de transports arrivent de Vigo. La cavalerie et l'artillerie commencent à embarquer ainsi que les malades. Deux ou trois brigades d'artillerie et quelques dragons restent à terre pour continuer leur service. Milburne se promène le long des positions britanniques. Il aperçoit les Français qui occupent les hauteurs proches de la mer, sur la gauche. Leurs piquets se trouvent sur la route de La Corogne à Betanzos à un mile des Anglais. Les vedettes sont si proches les unes des autres qu'elles pourraient se parler ; cette proximité étonne le chirurgien anglais encore novice en la matière. Des tireurs d'élite sont postés en bordure de la route pour tuer les officiers français venus en reconnaissance. Deux officiers britanniques, qui ont dépassés imprudemment les avant-gardes, sont sauvés de la captivité par l'intervention de ces dernières. Deux officiers français s'amusent à ramasser des coquillages sur la plage ; ils pourraient être pris pour cibles par les tireurs britanniques ; mais ceux-ci n’ont pas l'ordre de faire feu. Sur la route, des barricades ont été érigées pour gêner la progression de la cavalerie et fournir un abri aux fusiliers. L'armée a pris possession des habitations qui bordent la voie lesquelles ont été désertées par leurs habitants. Un Espagnol échappé des Français fait état des brutalités exercées sur des femmes déguisées en hommes. 

Pendant la nuit, les feux révèlent l'importance des forces françaises accrues par l'arrivée de renforts. Le matin suivant, les Français se déplacent de la gauche vers la droite. Le 15 janvier, l'avant-garde britannique, placée sur une hauteur, près de Villaboa, est attaquée probablement en vue de tester le dispositif anglais. Cet événement est considéré comme le prélude à une grande bataille. Les Français mettent deux canons en batterie sur la route. Leur feu est rapidement éteint par deux pièces de campagne anglaises. Les Français retirent leurs canons. Les canonniers britanniques se sont montrés particulièrement efficaces. D'un seul coup, ils ont tué plusieurs soldats ennemis tandis que les coups de ces derniers, trop courts, ne causaient aucun dommage dans le camp anglais: ils n'ont tué qu'une mule! La journée s'achève sur des escarmouches. Le lieutenant-colonel Mackenzie, du 1er bataillon du 5ème régiment s'est distingué. Ayant eu un cheval tué sous lui, il enfourcha une autre monture et avança pour être touché par une balle de mousquet dont il mourut quelques heures plus tard. 

D'où il est, Milburne découvre parfaitement les mouvements des troupes. Une centaine de Français prend possession d'une maison à flanc de colline. L'artillerie britannique les en déloge d'un coup de canon qui traverse la maison de part en part. Ses occupants sortent et s'égaillent précipitamment sur les hauteurs. Ce jour là, comme le précédent, plusieurs chevaux et mulets devenus inutilisables sont tués place de l'Arsenal de Santa Lucia, près de La Corogne. La bataille escomptée n’a pas lieu. Les Français attendent sans doute de nouveaux renforts. Cependant, le feu ne cesse pas jusqu'à la nuit, au moment de la relève des postes. Les troupes engagées sont alors retirées pour prendre un peu de repos. Depuis leur arrivée à La Corogne, elles sont correctement pourvues en provisions de bouche, habillement et armement. 
Le matin du 16 janvier, une animation inaccoutumée gagne les Espagnols. Leur commandant, Don Joaquin Garcia Morena vient de les appeler à joindre leurs efforts à ceux de leurs alliés pour repousser les assauts français et faciliter l'embarquement des soldats britanniques. Il s'engage à défendre la place jusqu'au bout. Ce vénérable vieillard, âgé de plus de 70 ans, reste la journée entière à cheval. Un regain d'énergie se répand parmi la population. Les logeuses de Milburne dansent, chantent les louanges des Anglais et conspuent les Français. Le chirurgien se rend à nouveau aux avant-postes, entre 10 et 11 heures. Tout y est calme. Les soldats anglais ont construit des huttes avec des éléments tirés de leur voisinage, planches et paille. Malgré leur fatigue, ils paraissent en bonne condition physique, avec un moral élevé, et ils font preuve d'une grande confiance en leurs officiers. Ils semblent pressés d'en venir aux mains avec leurs adversaires. Il fait beau et l'on aperçoit clairement l'armée française. Un important corps d'infanterie et de cavalerie manœuvre sur les hauteurs, accompagné de la musique des fifres et des tambours. Quelques coups sont tirés des lignes anglaises sans résultat. Le front français est examiné au télescope et on distingue parfaitement les ingénieurs et les artilleurs s'activant à l'érection des batteries. L'étendue et la profondeur des masses françaises laissent supposer la présence d'au moins 30000 combattants. 

A peine Milburne a-t-il quitté les avant-postes, pour se rendre auprès de l'Inspecteur des Hôpitaux, avec qui il a rendez-vous, que ceux-ci sont attaqués. Son entretien avec le docteur Shapter achevé, le chirurgien anglais revient au front pour assister de son art les troupes si besoin est. Vers 1 heure de l'après-midi, une violente canonnade oppose les deux armées. Le positionnement de l'artillerie française la rend plus efficace. De fortes colonnes assaillent la division Baird, qui tient la position faible de l'armée anglaise. L'ennemi est repoussé, chargé et rejeté à mi-hauteur de la colline d'où il est parti. Les canons français sont à deux doigts d'être pris. Un village, à droite de la division Baird, au pied d'une colline, est longuement disputé. Occupé par les Français, il est attaqué par les Britanniques à trois reprises. Ceux-ci finissent par l'emporter. L'ennemi y essuie des pertes sévères. Le 50ème régiment et les Gardes y perdent deux officiers, trois sous-officiers et une centaine de soldats tués plus un nombre considérable de blessés. Le 52ème d'infanterie légère et le 95ème fusilier, à la droite du village, poursuivent les Français en fuite jusqu'en haut de la colline. Pendant l'affaire, Sir David Baird, soutenu par la brigade sous les ordres de Lord William Bentinck, reçoit plusieurs blessures qui l'obligent à s'éloigner du champ de bataille. Le commandant en chef, le général John Moore, est lui-même touché peu après, à proximité, par un boulet de canon. Cette partie de l'armée anglaise est celle qui a le plus souffert et, en particulier, la brigade Bentinck. La gauche paraissant trop forte, les Français se sont contentés de la canonner vigoureusement. Vers le soir, cependant, une fraction de cette gauche déloge à la baïonnette l'ennemi d'un village qu'il occupe en avant de son front. Cette action entraîne de lourdes pertes parmi les forces britanniques engagées. Au cours de cette journée, malgré leur supériorité numérique et leurs meilleures positions, les Français ne sont pas parvenus à vaincre leurs adversaires et leurs pertes sont certainement plus élevées que celles des Anglais. La défense britannique victorieuse doit beaucoup au mouvement opéré, à point nommé et en parfaite concertation avec les autres forces, par la réserve aux ordres du major-général Paget pour soutenir la droite que les Français essayaient de tourner. La judicieuse position occupée par la brigade Fraser assura également la sécurité de l'armée britannique et découragea les efforts de l'ennemi. A 6 heures du soir, le feu cesse alors que les forces britanniques ont progressé d'environ 1 mille (1,6 km). La victoire leur revient donc incontestablement. 

Il est difficile d'évaluer les pertes avec certitude. Milburne estime à un millier d'hommes celles de son camp et au moins au double celles du camp adverse. L'armée anglaise commence à se retirer et à s'embarquer vers 11 heures du soir en emmenant autant de blessés que possible. L'opération s'effectue dans la discipline. Des piquets restent sur place jusqu'au lendemain entre 4 et 5 heures du matin. Les Français, échaudés, n'entreprennent rien pour gêner l'évacuation. Les brigades aux ordres des généraux Hill et Beresford assurent l'arrière-garde contre une éventuelle action ennemie. Le reste de l'armée est à bord avant le jour. Hill se tient sur un promontoire à l'arrière de l'agglomération et Beresford au devant de La Corogne. 

Le 17 janvier, entre 8 et 9 heures, un important corps de troupes légères françaises se montre sur les hauteurs proches de Santa Lucia qui commandent le port. L'ennemi n'en tire cependant pas grand avantage. Le général Hope, qui assure le commandement en chef depuis la blessure de Moore, ne pense pas que ce mouvement menace l'arrière-garde. L'ordre est cependant donné à Hill de quitter son promontoire et de s'embarquer immédiatement, opération réalisée entre 3 et 4 heures de l'après-midi. Vers le milieu de la journée, les Français bombardent les navires à l'ancre, ce qui cause un début de panique parmi eux. Des bateaux coupent leurs câbles et se délestent de tout ce qui leur paraît inutile. Trois ou quatre sont poussés vers le rivage où ils échouent. On les abandonne, mais les troupes à leur bord sont sauvées. 
Menée de nuit, l'évacuation, opération extrêmement délicate, n'a pas pu être réalisée dans un ordre parfait, sans mélanges les divers régiments. Les hommes sont montés sur les bateaux là où il y avait de la place. Les malades et les blessés ne trouvent pas toujours à bord le personnel de santé nécessaire pour leur prodiguer ses soins. On décide de remédier autant que faire se pourra à ces inconvénients dès que la flotte aura quitté le port. La rapidité du retour en Angleterre empêchera l'application de cette sage décision. 

Milburne adresse un hommage appuyé à la marine de guerre britannique qui rendit avec intrépidité les services que l'on attendait d'elle, malgré un temps exécrable et une mer houleuse, pendant tout le temps que dura l'évacuation. Le dévouement des équipages est d'autant plus remarquable que la plupart d'entre eux manquaient de nourriture depuis deux jours. Le chirurgien anglais s'extasie devant la beauté du spectacle qui s'offre à ses yeux dans la rade. Les boulets français passent tout près du navire qui l'a recueilli et tombent tout autour. Des bâtiments sont touchés mais sans dommages graves. 

Le 18 janvier, vers 1 heure du matin, après avoir pris congé du gouverneur espagnol, Beresford évacue les positions qu'il tient encore et emmène avec lui les derniers blessés. Le transport où se trouve Milburne quitte le port l'un des derniers et le chirurgien peut jouir jusqu'au bout du spectacle de la flotte appareillant sous les boulets qui sillonnent l'air dans toutes les directions. L'amiral de Courcy a donné l'ordre aux vaisseaux de quitter la rade dès la fin de leur chargement. Cependant la force du vent ne permet pas d'exécuter cet ordre à la lettre. Les blessés se trouvent à bord dans une situation inconfortable. Le capitaine du navire de Milburne décide donc, avec l'accord des officiers de santé, de lever l'ancre à 3 heures du matin, pour faire voile vers Plymouth où il parvient le 20 janvier. 

 Du 20 au 25 janvier, les transports arrivent successivement. Mais le mauvais temps ne permet pas le débarquement immédiat des malades et des blessés. Les habitants de Plymouth font leur possible pour venir en aide aux malheureux rescapés. Le maire de la ville, William Langmead, prend la tête des secours. Le transport de Milburne a convoyé 257 malades et blessés appartenant à une vingtaine de régiments différents; 68 souffrent de dysenterie, 56 de fièvres, 36 sont blessés, 20 se plaignent de maux plus ou moins imaginaires, 77 sont convalescents. Il y a aussi 20 femmes, 3 officiers de santé et 5 assistants. 
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Le Lieutenant-Général Sir John Moore (1761-1809) d’après un tableau de Thomas Lawrence (1805)
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Milburne donne un récit des derniers instants de John Moore. Le général en chef était avec la division Baird lorsqu'il fut blessé, à la tête du 50ème régiment. Le coup déchira son épaule et lacéra les muscles gauches de son torse. La blessure apparut immédiatement trop grave pour espérer une issue favorable. Le choc jeta le général à terre. Il garda néanmoins une contenance calme, froide et souriante, visiblement moins soucieux de son cas personnel que de la suite de la bataille ; il savait sa blessure mortelle. Baird ayant été lui aussi touché un peu plus tôt, Moore chargea un officier qui l'assistait d'informer sur le champ le général Hope qu'il devait assumer désormais le commandement. Baird, ayant appris la blessure de son chef, insista auprès du chirurgien qui le soignait pour qu'il ne s'occupe plus de lui et se rende auprès de Moore ; ce vaillant général fut conduit sur le bâtiment La Ville de Paris où il fut amputé. Moore fut porté dans une couverture par 6 soldats en larmes, le cœur débordant de chagrin, du lieu de sa blessure jusqu'au quartier général de La Corogne. Chemin faisant, le blessé demanda si l'ennemi était repoussé. La réponse ayant été affirmative, il s'exclama: "alors, je suis parfaitement heureux et ma vie ou ma mort n’ont plus aucune importance." Les soldats, qui le transportaient avec beaucoup de précaution, mirent près d'une heure pour le ramener à ses quartiers. Pendant le trajet, il parla peu et n'émit que de rares plaintes. Ses derniers moments furent consacrés à mettre de l'ordre dans ses papiers et à émettre ses vœux concernant les officiers de son entourage auxquels il était particulièrement attaché. Il exprima l'espoir que ses compatriotes approuveraient les efforts qu'il avait consentis pour défendre au mieux les intérêts de son pays ajoutant qu'il l'avait toujours servi avec zèle et fidélité et qu'il mourait de la façon qu'il avait toujours désirée. Il évoqua ensuite sa famille, parlant particulièrement de sa mère. Son ton cependant s'altérait et il fut contraint de s'interrompre. Il remercia les médecins qui le soignaient en termes aimables, adressa ses adieux à son aide-de-camp et aux amis éplorés qui l'entouraient et rendit l'âme sans lutte convulsive vers minuit, dans la soirée du 16 janvier. 

La fin de la longue lettre de Milburne à Lord Castelreagh n'est qu'un interminable plaidoyer en faveur de la poursuite de la lutte aux côtés des insurgés espagnols émaillé d'insultes à l'égard de la France impériale qui sentent la propagande britannique de l'époque. Le chirurgien anglais s'élève d'abord contre des rumeurs répandues en Angleterre qu'il accuse de fausseté, comme les désertions du corps de la Légion germanique. Il affirme que le général Anstruther est mort d'une inflammation de poitrine consécutive à l'inclémence du temps et au port trop prolongé de vêtements humides.  

Malgré les faits qu'il a lui-même rapportés, il prétend que l'hostilité des Espagnols à l'encontre de ses compatriotes a été exagérée. D'après lui, les malentendus entre les alliés n'auraient pas dépassé le stade de quelques disputes insignifiantes. Mais il reconnaît n'avoir pas participé à l'intégralité de la retraite et ignorer par conséquent ce qui s'est passé avant Astorga. Il trouve aux Espagnols des circonstances atténuantes ; ils ne donnaient rien à leurs alliés parce qu'ils n'avaient rien à donner ; leurs troupeaux avaient été soustraits à la rapacité des Français ; leurs maigres provisions avaient été utilisées pour leurs propres troupes ; la guerre avait interrompu les travaux et le passage des troupes perturbait l'économie locale ; la différence de langage rendait la communication difficile et était source d'incompréhension ; villes et villages étaient déjà encombrés d'Espagnols blessés et aucune place n'était plus disponible pour les Anglais ; les hôpitaux espagnols manquaient de tout. Milburne fait état d'un Espagnol misérable qui en fut réduit à se sustenter pendant 14 jours de mauvais vin et d'un peu de bouillon de légumes à l'huile d'olive. Il affirme que les troupiers anglais partageaient leur maigre pitance avec ces pauvres hères. 

Entre Villafranca et Lugo, le chirurgien anglais rencontra de nombreux Espagnol qui se traînaient lamentablement, à l'extrémité de la fatigue et de la malnutrition, malades et en proie à la faim et à la soif. Les charriots, tirés par des bœufs, étaient mal conçus. Ils n'étaient guère que des plateaux posés sur deux roues dont l'axe tournait avec elles; un timon passé entre les bêtes était rattaché à un joug posé sur les cornes de celles-ci de sorte que les animaux faisaient mouvoir le véhicule avec leurs têtes. Les moyens de transports des blessés étaient d'un inconfort absolu; le grincement des essieux accompagnait sans répit les déplacement d'un son insistant qui rappelait la plainte d'une mauvaise cornemuse; on l'entendait à de très grandes distances. Le mode de transport retenu pour convoyer le Trésor de La Corogne à Astorga fut le pire qui se puisse imaginer et il est certainement responsable en grande partie de sa perte; cependant, il ne serait pas juste d'en faire supporter les conséquences à ceux qui en eurent la charge compte tenu des difficultés sans nombre qu'ils durent surmonter. Il paraît pourtant que les Français s'en tirent mieux et il pourrait être bon de s'inspirer de leurs méthodes. 

Malgré leur bigoterie et leur haine invétérée des hérétiques, les prêtres et moines espagnols firent ce qu'ils purent pour rendre service à l'armée anglaise. Milburne admet que son avis diverge beaucoup de celui qui est exprimé par grand nombre de militaires britanniques. Mais il met cela en partie sur les différences culturelles qui séparent les deux peuples et sur les préjugés de ses concitoyens habitués à un confort inconnu en Espagne. Il reconnaît le triste état des auberges et qualifie de dégoûtante la nourriture espagnole à base d'ail est d'huile rance. Il estime que le service espagnol des Postes est d'un autre âge. La beauté des paysages traversés dédommage cependant, à son avis, le voyageur des inconvénients d'une excursion dans la Péninsule. 

Malgré les indéniables avantages apportés aux classes inférieures par le changement de dynastie, la majorité des Espagnols restent viscéralement attachés à leurs anciens rois. Ils méritent donc d'être aidés contre les entreprises de l'usurpateur corse, ce ruffian tricheur, cruel, d'une insatiable rapacité, d'une ambition à faire pâlir Tibère avec des manières de voleur de grand chemin. La cause espagnole est loin d'être désespérée, d'après notre chirurgien. Et il est dans l'intérêt du peuple britannique de la soutenir car, une fois l'Europe entière subjuguée, le tyran gaulois se jettera inévitablement sur l'Angleterre. Avec toutes les ressources du continent à sa disposition, il pourra très certainement se doter d'une marine supérieure à celle de la Grande-Bretagne, ultime sanctuaire de l'indépendance et de la liberté, et celle-ci ne sera plus à l'abri d'une invasion derrière le rempart de sa flotte surclassée. 

Il n'est pas nécessaire d'insister sur l'avantage que représente pour l'Angleterre la possibilité de lutter contre cet envahisseur potentiel hors de ses frontières. Outre la satisfaction honorable de participer à un combat pour la défense de la justice et de l'innocence, contre la félonie et l'oppression, le soutien des patriotes espagnols va dans le sens des intérêts bien compris du peuple britannique. Son destin dépend de celui de la Péninsule et il serait imprudent de lésiner sur les moyens à employer pour aider cette dernière. La retraite de La Corogne ne doit pas être considérée comme un échec irrémédiable. La victoire obtenue sur l'armée française avant l'embarquement des troupes constitue au contraire un encouragement à poursuivre la lutte. Milburne en vient même à se référer aux exemples de Crécy et d'Azincourt pour justifier son point de vue et rejeter toute idée d'accommodement. Les meilleurs soldats espagnols, observe-t-il, ne sont pas dans les provinces occupées du nord du pays, mais en Andalousie, dans le royaume de Valence et en Aragon, régions qui sont aussi les plus peuplées. Il faut orienter vers ces endroits les fournitures en hommes, en armes et en munitions. 

Si elle est convenablement dirigée, sa fureur antifrançaise permettra à la population espagnole de résister avec succès, malgré les avantages temporaires obtenus par l'envahisseur, par suite de la tromperie de quelques dirigeants plutôt qu'à cause d'un manque de courage. La fermeté de la Junte, déterminée à demeurer fidèle à son souverain légitime, est à cet égard de bon augure. Milburne décoche quelques flèches empoisonnées à l'encontre des Espagnols qui, selon lui, se sont déshonorés parmi lesquels il compte Castaños, vaincu à Tudela (qu'il orthographie Tuleda), et Morla, qui a livré Madrid sans s'ensevelir sous ses ruines. En revanche, il délivre un satisfecit à Palafox, le défenseur de Saragosse, au duc de l'Infantado et à Cevallos, qui vient de regagner son pays via l'Angleterre. Milburne plaide pour l'envoi de nouvelles troupes britanniques dans les provinces espagnoles les plus aptes à soutenir l'effort de guerre. 

La lettre se termine sur quelques diatribes dans le goût de la propagande anglaise du temps à l'encontre de Napoléon et sur des excuses au cas où son auteur se serait montré présomptueux en adressant ses remarques à un personnage aussi important que Lord Castelreagh. 

Dans l'ordre du jour du général Hope publié en note à la lettre, on trouve quelques précisions sur l'organisation de l'armée britannique lors de la bataille de La Corogne: 

- La brigade de Lord William Bentinck comprenait le 4ème, le 42ème et le 50ème régiment. 
- La brigade Manningham se composait des 26ème, 81ème et Royal régiments. 
- Le major-général Warde commandait la brigade des Gardes. 
- Paget vint à l'appui des premiers bataillons des 52ème et 95ème régiments engagés à droite. 
- La brigade du major-général Leith comprenait le 59ème régiment. 
- Le lieutenant colonel Nicholl commandait le 2ème bataillon du 14ème régiment qui rejeta les Français du village de gauche. 

Le témoignage de Milburne complet, mais en anglais, est accessible ici. Peut-être le traduirai-je un de ces jours, si la vie (ou plutôt la mort!) m'en laisse le temps.

 

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