Ce
rôle de compagnon de voyage du capitaine échut à un
jeune homme de 22 ans, Charles Darwin, qui, jusqu'alors, ne s'était
livré qu'à des études de géologie. Charles
Darwin était issu d'une famille connue. Son grand-père paternel,
Erasmus, était un médecin réputé, défenseur
des idées évolutionnistes, et son grand-père maternel,
Josiah Wedgwood, était l'un des grands entrepreneurs de la révolution
industrielle.
Le
jeune homme, qui souhaitait garder sa liberté afin de parfaire ses
connaissances en géologie et de vérifier la théorie
nouvelle de la transformation progressive de la surface du globe par l'alternance
de phases d'érosion et de soulèvement. Cette théorie
controversée s'opposait à celle, plus ancienne, selon laquelle
le relief était la conséquence de catastrophes subites.
La
première escale du voyage, aux îles
du Cap-Vert, fut l'occasion
pour Darwin de constater l'alternance passée des périodes
d'élévation et d'affaissement des terres. Ces premières
observations le convertirent à la théorie nouvelle exposée
dans les Principes de géologie de Lyell (1830)
qu'il avait emportés avec lui. Le bateau mit ensuite le cap sur
le Brésil. Le traitement réservé aux esclaves
dans ce pays horrifia Darwin
et il en résulta un conflit d'opinion avec le capitaine Fitzroy.
Le jeune homme décida alors d'explorer le continent sud-américain.
Pendant plusieurs mois, il parcouru l'Uruguay et l'Argentine
où il recueillit de nombreux fossiles qu'il expédia en
Angleterre à Henslow, qui enseignait la botanique à
Cambridge et qui constituait un maillon essentiel de la chaîne grâce
à laquelle Darwin avait pu s'embarquer sur le Beagle. L'abondance
des fossiles et leur intérêt attira
l'attention du monde scientifique britannique. Des années plus tard,
ces fossiles allaient jouer un rôle essentiel dans le développement
de la théorie de Darwin.
Durant
la première partie du voyage, trois Patagons, deux hommes
et une femme, amenés en Angleterre lors d'une précédente
expédition, avaient pris place sur le bâtiment. Ce fut l'occasion
pour Darwin de les observer et de constater que, contrairement à
une opinion admise à l'époque, les Aborigènes américains
n'étaient nullement une espèce
intermédiaire entre le singe et l'homme, mais bel et bien des êtres
humains à part entière. Néanmoins, de retour dans
leur tribu, les trois Fuégiens ne tardèrent pas à
perdre le vernis de civilisation qu'ils avaient acquis en Grande-Bretagne.
Ce changement complet d'attitude et de comportement de la part d'êtres
humains amena Darwin à s'interroger sur la fragilité de la
civilisation et du progrès des sciences humaines. Il en tirera plus
tard la conclusion que l'espèce humaine est soumise aux mêmes
lois que les espèces animales.
Le Beagle,
après avoir longé la côte orientale et doublé
la Terre de Feu, remonta le long du Chili où un tremblement
de terre venait de ravager la ville de Concepcion. Ce séisme
devait conforter l'opinion de Darwin sur la formation des Andes.
Le jeune homme avait déjà constaté que les immenses
plaines d'Argentine, autrefois enfouies sous la mer, s'étaient élevées
progressivement. Ici, il observa le même mouvement d'élévation,
mais cette fois sous l'influence des volcans. La présence de coquillages
marins en altitude attestait de l'enfouissement des terres sous la mer
à une époque antérieure.
Remontant
toujours vers le Nord, le Beagle atteignit, en septembre 1835, les
îles Galápagos. Ces îles avaient alors mauvaise
réputation. On les décrivait comme un monde hideux, venu
du fond des âges. Leur faune, composée, entre autres, de tortues
géantes et d'iguanes, terrestres et marins, confortait cette opinion.
Darwin s'y intéressera d'abord à l'aspect géologique
des côtes. Mais l'étrangeté de la flore et de la faune
des îles l'intriguera bientôt. Un fait le frappera particulièrement:
cette faune se compose essentiellement d'espèces endémiques
présentant néanmoins un degré de parenté avec
les espèces du continent sud-américain proche. L'extrême
diversité de leurs habitudes alimentaires l'amènera à
se pencher plus spécialement sur les pinsons, dont il distinguera
plus tard treize espèces différentes. Ces espèces
possèderaient en commun certains caractères, découlant
de leur origine continentale, mais elles auraient évolué
pour s'adapter aux circonstances prévalant dans chacune des îles.
Ces observations seront à l'origine de la théorie de l'évolution.
Les îles, milieu isolé, se prêtaient admirablement à
ces investigations. Mais le modèle, développé à
partir d'elles, se révèlera applicable également aux
continents.
En
octobre 1835, le Beagle quitta les Galápagos pour faire route
vers Tahiti, la Nouvelle-Zélande et l'Australie.
Tout au long de ce périple, Darwin étudia de près
les récifs de coraux et en théorisa la formation en supposant
que les îles du Pacifique étaient, à la différence
du continent sud-américain, soumises à un affaissement progressif.
Enfin,
le 2 octobre 1836, le Beagle était de retour en Angleterre.
D'étudiant prometteur qu'il était lors de son départ,
Darwin, grâce à ses envois et à sa correspondance avec
Henslow, grâce aussi à la diffusion que ce dernier en avait
fait parmi ses collègues, Darwin était devenu un scientifique
reconnu.
Il
pensera toutefois d'abord à développer ses thèses
géologiques. Il faudra attendre 1859, c'est-à-dire une maturation
de 20 ans, pour que soit enfin publiée sa célèbre
théorie de l'évolution. Sa notoriété,
comme naturaliste, sera alors établie.
A
la différence de Lamarck, selon qui les espèces évoluent
sous l'influence de l'environnement, Darwin et ses successeurs établiront
que la nature multiplie les possibles, de façon aléatoire,
et que ce sont les espèces les mieux adaptées qui survivent.
C'est donc un processus de sélection naturelle qui expliquerait
l'existence des espèces vivantes.