Carnet  de  route  d'un  voyage  en Jordanie
novembre 2008 (suite 5)
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8 ème jour (23 novembre - suite): Madaba, le Mont Nébo  (les photos sont  ici ) 
 
La cité arabe moderne de Madaba, située à une trentaine de kilomètres au sud d'Amman, fut construite sur les ruines du site biblique de Medeba. Notre première visite est pour l'église Saint-George. Durant la construction de cette église, fut découverte une carte en mosaïque. Cette carte faisait partie du plancher d'une église byzantine, bâtie pendant le règne de l'empereur Justinien (527-565). Elle est la plus ancienne carte de la Terre Sainte; les archéologues la font remonter à la deuxième moitié du 6ème siècle. A l'extérieur de l'église, des panneaux reproduisent l'état actuel de cette carte; elle ne respecte pas l'orientation habituelle des cartes, l'est y étant placé en haut; basée probablement sur l'Onomasticon d'Eusèbe de Césarée, premier historien de l'église primitive (vers 300); elle constitue une topographie de l'Irak à l'Égypte et du désert d'Arabie à la Méditerranée; on y reconnaît de nombreux sites religieux et profanes ainsi que les voies de communication; la disposition de la Mer Morte laisse supposer qu'elle était alors plus élevée que maintenant; dans le Jourdain, les poissons nagent à l'opposé de la mer à l'eau mortelle; des nefs sillonnent les eaux; lions et gazelles courent sur le rivage; des enceintes fortifiées ceignent les villes: Jérusalem, Jéricho, Ashdod; Jérusalem est particulièrement bien représentée et les familiers de la ville y reconnaissent de nombreux endroits: le Cardo nord-sud, les rues bordées de colonnes, la porte de Damas et son pilier, les églises du Saint-Sépulcre, d'Hagion Sion et Nea...; le delta du Nil est schématiquement figuré; les légendes sont inscrites en caractères grecs et sont illustrés d'images évocatrices: palmiers à Jéricho (la cité des dattiers de la Bible), douze pierres à Guilgal, chênes à Marmé et Hébron...; les lieux de la Bible et de l'Évangile y sont clairement figurés (baptême de Jésus dans le Jourdain). 
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La carte en mosaïque des Lieux Saints - Pour l'agrandir, cliquez ici
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Devant l'entrée de l'église, se dressent deux bornes dont j'ignore l'utilité et la signification. Sur la façade, à côté de la porte d'entrée, une plaque de mosaïque rappelle le nom et le rite de l'église, en caractères grecs et latins; il s'agit d'une église orthodoxe de rite grec. On se souvient que l'église orthodoxe se détacha de celle de Rome en 1054; en fait, le schisme couvait depuis longtemps, en raison de la séparation de l'empire d'Orient et de l'empire d'Occident, et ses raisons furent politiques autant que religieuses; en  dépit du caractère conciliant de l'empereur Constantin, la querelle s'envenima lorsque Rome prétendit imposer sa liturgie aux églises d'Italie méridionale, qui étaient sous la dépendance de Constantinople; une délégation pontificale se rendit dans la capitale de l'empire d'Orient, munie d'une bulle excommuniant le patriarche Michel; celui-ci répliqua en anathématisant le pape; plusieurs points de doctrine divisaient les églises (espèces sous lesquelles dispenser la communion, mariage des prêtres, primauté du père sur le fils dans le credo...) mais l'essentiel était de nature politique: le schisme consacrait la séparation des deux empires; il eut de redoutables conséquences à l'époque des croisades. L'église orthodoxe, refusant des innovations introduites par les conciles, demeurait fidèle à la tradition, d'où son nom. 
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L'orthodoxie et l'église catholique romaine

Les orthodoxes s'en tiennent à la tradition et à l'enseignement des pères de l'Églises et des Conciles locaux et oecuméniques, seuls interprètes valables selon eux de parole divine. Ils refusent les innovations introduites successivement au cours du temps par l'église romaine occidentale à partir du 9 ème siècle. Ces innovations sont considérées par les orthodoxes comme autant d'hérésies dans la mesure où ils n'existaient ni dans les paroles et écrits des apôtres, ni dans les décisions des conciles. Pour les orthodoxes, la prééminence du pape tenait uniquement à ce qu'il était, aux premiers siècles du christianisme, l'évêque de la capitale du monde romain, et elle était purement honorifique. Le pape ne disposait d'aucun pouvoir sur les autres évêques et devait se soumettre comme eux aux décisions des conciles. Il n'était nullement infaillible, innovation du 19 ème siècle, comme en apportent d'ailleurs la preuve, les égarement de plusieurs pontifes. Les dogmes de la primauté et de l'infaillibilité du pape ne sont inspirées que par l'orgueil, l'appétit de puissance, la volonté de domination et l'intérêt porté aux valeurs matérielles de ce monde en se plaçant au rang des monarques absolus. Ces dogmes s'écartent évidemment de la vérité divine telle que le Christ l'a apportée aux hommes. Les orthodoxes refusent toute addition ou retranchement au Credo, c'est-à-dire à la foi telle qu'elle s'exprimait jusqu'au 9 ème siècle, à savoir avant l'ajout du filioque selon lequel le Saint-Esprit est du fils comme du père; ils croient que le Saint-Esprit procède du père qui engendra le fils, la Trinité ne formant qu'un seul Dieu en trois personnes. Ils ne croient pas en l'immaculée conception de la Vierge, innovation du 19 ème siècle, mais pensent au contraire que Marie naquit dans le péchés originel et n'en fut lavée que par la grâce du Saint-Esprit lorsque l'Archange lui annonça qu'elle serait la mère du Christ. Pour ce qui concerne les sacrements du baptême, de la confirmation et de l'eucharistie, la pratique orthodoxe s'écarte de celle de l'église de Rome sur plusieurs points en restant fidèle à la tradition des premiers chrétiens. Ils pratiquent le baptême par immersion, plutôt que par aspersion, les trois immersions successives symbolisant les trois jours pendant lesquels le Christ fut enseveli avant sa résurrection. La confirmation, qui fait réellement du baptisé un chrétien, a lieu directement après le baptême, afin que le baptisé reçoive immédiatement les dons du Saint-Esprit, au lieu de différer ce sacrement jusqu'à l'âge de raison comme l'église de Rome le décida au 16 ème siècle. Enfin,  ils communient sous les deux espèces, avec du pain au levain plutôt que du pain azyme. Pour eux, le purgatoire n'existe pas et surtout les mérites des Saints ne permettent pas le rachat des fautes des pêcheurs, innovation introduite, par esprit de lucre, pour favoriser la vente des indulgences. 

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La carte fut restaurée en 1965, sous la direction de H. Donner. Elle se trouve aujourd'hui au centre de l'église. Ce qui subsiste mesure environ 10 m sur 5, avec des manques; on pense qu'elle devait mesurer à l'origine 16 m sur 6; elle comporte 750000 cubes de pierres colorées naturellement et 150 inscriptions grecques de différentes tailles; elle couvre un espace qui va de Tyre, au nord, jusqu'au delta du Nil, au sud. En dehors, de la carte, l'église est ornée de peintures très vives, pareilles à de grandes miniatures, dans le goût oriental, et surtout de nombreuses mosaïques; l'ensemble m'a paru un peu chargé. 
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Différentes décorations antiques (Parc Archéologique de Madaba) 
1: Aphrodite, Adonis et Cupidon (Pavillon Hippolyte) - 2: Eglise saint-Etienne
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Plusieurs églises anciennes ont été découvertes à Madaba, toutes avec de belles mosaïques. Un bref passage au Parc Archéologique nous apprend que, pendant le 6ème siècle et le début du 7ème siècle, de nombreux lieux du culte chrétiens furent construits en Jordanie. La plupart de ces lieux restèrent actifs après les conquêtes musulmanes, qui portèrent les Arabes jusqu'en Syrie (630). Les recherches archéologiques montrent que ces églises continuaient d'être utilisées dans la seconde moitié du 8ème siècle. Pendant la période omeyyade (661-750), pas moins de huit églises furent édifiées ou repavées de mosaïques colorées. La contrée restait prospère et bien peuplée; les paysans et les artisans continuaient à vivre comme par le passé, sous leurs nouveaux maîtres. La religion chrétienne constituait un facteur de cohésion de la population. La hiérarchie ecclésiastique, dont l'évêché de Madaba est un exemple, resta puissant jusqu'à la seconde moitié du 8ème siècle, et maintint l'unité de la ville et de son territoire, sous l'autorité de l'évêque. Durant le 1er siècle de l'Islam, la population de la Jordanie demeura en majorité chrétienne; les musulmans représentait une élite militaro-religieuse peu nombreuse. Aussi le nombre des églises en activité, pendant la période omeyyade, surpassait largement celui des mosquées. Les chrétiens n'étaient pas exclus de l'Administration; les conquérants se montraient tolérants à l'égard d'une population qui ne partageait pas encore leur foi. La priorité du nouveau régime était le maintien de l'ordre et la stabilité social, afin de préserver la prospérité et la croissance économique. 
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La Grotte des Sept Dormeurs - Voûte et sarcophage décoré
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Sur un panneau, je remarque un cliché de la Grotte des Sept Dormeurs qui me rappelle une anecdote. Sept chrétiens en quête de Dieu, à l'époque où le christianisme étaient encore balbutiant, se réfugièrent, en compagnie d'un chien, dans une grotte près d'Ephèse, pour échapper aux persécutions de l'empereur Dèce (248-251). Dieu les endormit et les berça de rêves; chaque mois l'archange Gabriel venait les changer de côté, tandis qu'un ange leur taillait les ongles, les rasait et leur coupait les cheveux. Seul le chien veillait sur eux; cet animal était doué de parole et il entretenait une relation particulière avec Dieu. Selon la tradition musulmane, les sept personnes dormirent trois cent neuf ans. Au bout de ce temps, ils s'éveillèrent; l'un d'entre eux fut désigné pour aller se procurer du pain en ville. Il ne reconnut évidemment pas le monde qu'il avait quitté; sa confusion donna l'éveil; il fut conduit devant l'empereur Théodose II (408-450) à qui il raconta son histoire. L'Empereur voulut connaître les autres; ils se rendirent à la grotte. Le dormeur entra le premier et se concerta avec ses compagnons; tous décidèrent de demander à Dieu de les rappeler à lui; leur requête fut satisfaite. Lorsque l'empereur pénétra à l'intérieur, il découvrit les sept pèlerins et leur chien morts, gisants sur le sol le visage pacifié. 

En  regagnant nos voiture, au hasard d'une rue, j'aperçois le minaret et la coupole bleue d'une mosquée blanche entre les maisons. Nous n'avons pas terminé notre visite de Madaba, nous y reviendrons après être allés au Mont Nébo (la suite est  ici ). 

Nous voici à proximité de l'endroit où, selon une tradition contestée, mourut Moïse. Je jette un coup d'oeil sur le vallon du nord (wadi 'Uyun Musa), puis sur celui du sud (wadi al-Judaydah). En bordure de ce dernier, un coq, accompagné de deux poules, gratte des détritus, à la recherche d'une improbable nourriture, sous la touffe d'un conifère. A gauche de la voie qui mène au Mémorial de Moïse, sous l'ombrage du bosquet environnant, s'élève une sculpture moderne commémorant le Jubilé de l'an 2000; à droite, une pierre debout, transformée en plaque, rappelle en arabe et en latin la sainteté du lieu. Je me dirige vers un point de vue sur la vallée du nord; une sorte de grande meule y est exposée: c'est une ancienne porte qui me remet en mémoire le système de fermeture des villes souterraines de Cappadoce. 

A l'entrée du Mémorial, que nous abordons par l'est, une surprise désagréable nous attend sous la forme d'une pancarte destinée aux visiteurs. On y lit ceci: 

"Mont Nébo, 1 janvier 2008 

Dans le but de protéger les ruines et les magnifiques mosaïques qui pavaient le sol de la Basilique de Moïse et afin de permettre aux pèlerins qui le souhaitent de prier dans le sanctuaire dédié au prophète et donneur de la Loi, les gardiens franciscains de la Terre Sainte ont édifié, en 1963, un toit provisoire qui a causé beaucoup de souci au cours des récentes années en raison de l'instabilité du sol. 

Nous avons donc décidé de remplacer l'ancien toit par une nouvelle structure plus durable et plus convenable à la fonction historique et religieuse du sanctuaire. Le projet final du nouvel abri a été préparé par l'équipe d'architectes du site avec l'objectif d'améliorer l'abri existant comme suggéré par des experts internationaux. 

Pendant les travaux, l'église et ses alentours seront fermés." 

Un peu plus loin, un panneau nous fournit des explications géographiques et historiques. 

Le Mont Nébo et ses environs furent habités depuis la plus lointaine antiquité. Dans la vallée d'Ayn al-Jadidah, on été découvertes deux installations étendues dans lesquelles fut mis au jour du matériel lithique des périodes paléolithiques; à Ayn al-Jadidah, des centaines de dolmens, menhirs et cercles de la période chalcolithique furent trouvés ainsi que, sur le sommet de Qarn al-Kabsh, un site urbain du troisième millénaire avant notre ère. Mais le site doit sa notoriété aux événements rapportés dans la Bible, à savoir la mort de Moïse (Deutéronome 34). Le prophète aurait gravi la montagne, à la fin de sa vie, pour voir de là haut la terre promise: "Alors Moïse se rendit des basses terres de Moab jusqu'au Mont Nébo, au sommet de Pisgah, à l'est de Jéricho. Et le Seigneur lui montra la terre entière... Là, sur la terre de Moab, Moïse, le serviteur de Dieu, mourut, ainsi que le Seigneur l'avait annoncé. Il fut inhumé dans une vallée de Moab, à l'opposé de Beth-Peor; mais, à ce jour nul n'a retrouvé l'endroit où il repose". 

Le Mont Nébo s'élève sur le plateau transjordanien, à 7 km à l'ouest de la ville de Madaba. Il est bordé à l'est par le wadi 'Afrit, au nord par le wadi 'Uyun Musa, au sud par le wadi al-Judaydah qui va jusqu'au wadi al-Kanaysah. Son point culminant sélève à plus de 800 m (817 m?) au-dessus du niveau de la mer; les autres sommets sont un peu moins élevés; les deux plus important, du point de vue historique, sont le pic occidental de Siyagha (monastère en araméen), où est situé l'Église du Mémorial de Moïse, et les pic du sud-est al-Mukhayyat, où s'élevait jadis l'ancienne cité de Nébo. 
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Pour visualiser un plan du Mont Nébo, cliquez ici
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En 1932, les gardiens franciscains de la Terre Sainte ont pu acquérir les deux sites de Siyagha et de al-Mukhyyat. 

Les ruines de Khirbat al-Mukhayyat sont généralement identifiée comme l'ancienne cité de Nébo, où le roi moabite Mesha vainquit les Israélites d'Omri (9ème siècle avant J.-C.); cette cité est mentionnée sur la stèle que Mesha fit dresser en l'honneur du dieu Chemosh et dans les textes bibliques (Isaïe 15:2 et Jérémie 48:22). Les fouilles archéologiques débutèrent en 1933 sous la conduite des Franciscains; elles prouvèrent que la ville avait été occupée au cours du second millénaire avant notre ère (âge du bronze moyen, vers -1700?), durant l'âge du fer (9ème au 6ème siècle avant notre ère) et pendant les périodes hellénistiques et romaines. A l'époque byzantine (5ème et 6ème siècles), trois églises et un petit monastère pavé de mosaïques y furent construits. 
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Sur la montagne à l'est de Khirbat al-Mukhayyat, trois forteresses et une tour de l'âge du fer, une nécropole moabite, ont été retrouvées ainsi qu'un petit monastère. L'Église Saint-George (536) s'élevait sur l'acropole, point le plus élevé de la ville. L'Église des Saints Martyrs Lot et Procope fut édifiée à l'époque de l'évêque Jean de Madaba, au milieu du 6ème siècle. La chapelle du monastère, l'Église Saint George et l'Église des Saints Martyrs étaient pavées de mosaïques. L'église paroissiale Amos et Casiseos et la chapelle du prêtre Jean, sont situées sur le bord oriental du village byzantin; la chapelle fut pavée de mosaïques à l'époque des évêques Phidos et Jean de Madaba. 

La Basilique n'étant pas accessible, nous nous rendons dans une sorte de hangar provisoire qui sert de salles d'exposition aux mosaïques. Elles sont bordées d'entrelacs sans début ni fin symbolisant l'infini. Très colorées, on y retrouve les thèmes floraux et animaliers déjà vus à Jerash: pampres, boeufs, biches, lions, paon et autres oiseaux, feuilles d'acanthe, personnages grecs... mais ils sont ici beaucoup plus proches et on peut mieux saisir la beauté du travail. 

Nous allons ensuite jusqu'à la terrasse de l'ouest; de ce balcon naturel, on jouit d'une belle vue sur la Mer Morte et sur le paysage à l'est du Jourdain. Dans la cuvette, en contrebas, s'étale une ville, peut-être Jéricho, et, sur les collines à droite, les cités de Jerash et d'Amman. Derrière nous se dressent les ruines de l'ancien monastère. 

J'achève la visite en passant par le Centre d'Interprétation où je glane quelques informations complémentaires. 

Les six bornes milliaires de la route romaine Esbous-Livias 

La route romaine d'Esbous à Livias étaient parcourue par les pèlerins qui venaient de Jérusalem, via Jéricho et les rives du Jourdain, jusque au Sanctuaire de Moïse, sur le Mont Nébo. La sixième borne, près de la forteresse romaine de al-Mahattah, à moitié chemin entre Esbous et Livias, marquait l'endroit d'où un chemin conduisait aux Sources de Moïse, dans la vallée, au nord du sanctuaire. Cette borne fut plantée à la fin des travaux de réfection de la chaussée, par ordre du gouverneur Furnius Julianus en 213, sous le règne de l'empereur Caracalla. Elle porte l'inscription suivante: 
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Le Mémorial de Moïse 

Probablement pendant la seconde moitié du 4ème siècle, les chrétiens de la région de Madaba construisirent une église, pour honorer la mémoire de Moïse, au sommet du Siyagha, sur un édifice funéraire des 2ème et 3ème siècles. Cette église à trois absides (à cella trichora) fut détruite par un tremblement de terre et rebâtie, au cours des années suivantes, sur le même plan. Elle comportait un vestibule décoré sur le devant par une imposante croix tressée, avec deux chapelles sur les côtés; une petite cour s'ouvrait devant sa façade. Au mois d'août 530, sur le côté nord de la cour, une chapelle de service (diakonikon), pourvue d'un baptistère, fut bâtie avec un pavement de mosaïques, chef d'oeuvre des artisans réputés de Madaba. Durant la première moitié du 6ème siècle, les trois nefs de la basilique furent édifiées, avec un nouveau diakonikon, sur le côté nord, par dessus l'ancien baptistère. L'église primitive fut visitée par Égérie (voir ici) et Pierre l'Ibère*; elle devint le presbytère du nouveau sanctuaire. La nouvelle chapelle à baptistère, le fotisterion (lieu de l'illumination), terminé en 597, et la Chapelle Théotokos (mère de Dieu) furent ajoutées sur le mur sud de la basilique, à la fin du 6ème siècle et au début du 7ème. La chapelle fut construite alors que Léontios était évêque de Madaba; on ferma la porte occidentale du baptistère et on démolit trois salles du monastère; le bâtiment s'éleva sur la zone comblée au niveau de la basilique; une abside séparée de la nef par un chancel la caractérisait; des mosaïques décoraient son pavement: deux gazelles entourant deux touffes de fleurs et deux taureaux se faisant face autour d'un autel; le psaume 51 donne l'interprétation de la scène: "On offrira des taureaux sur ton autel"; une inscription dédicatoire fut ajoutée en haut du panneau central. 

* Moine d'origine ibère, c'est-à-dire géorgienne, Pierre était le prince Nabarnugios, né vers 400, mort vers 490, un temps otage à Constantinople. Pierre l'Ibère, raconte qu'un berger du bourg du Nébo, pénétrant dans une grotte, y vit un vénérable vieillard entouré d'une lumière éblouissante; il le prit pour Moïse et y amena d'autres chrétiens; mais il n'y avait plus rien. Pierre l'Ibère, qui visita le Mont Nébo, durant sa jeunesse, y retourna devenu vieux, vers le milieu du 5ème siècle; quelques moines égyptiens s'y étaient alors réfugiés, fuyant une invasion de nomades venus du désert libyen. 
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Les deux gazelles de la chapelle
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Les inscriptions grecques et palestino-araméennes 

Comme dans d'autres églises de la région, le grec était la langue usuelle des inscriptions des édifices du Mont Nébo, à l'époque byzantine. Une inscription grecque, rappelant le souvenir des bienfaiteurs de l'église, constituait l'une des parties du sol supérieur de l'église de Kayanos, située dans la vallée 'Uyun Musa; on y lisait: "Pour le salut et l'offrande de Matrona". Cependant, les chrétiens du diocèse de Madaba parlaient normalement le palestino-araméen, une branche de l'araméen royal, avant que l'arabe ne s'impose à eux; c'est pourquoi une inscription en palestino-araméen fut trouvée sur les mosaïques ornant le sol inférieur de l'église de Kayanos. On y lit: "Le lecteur gardera en mémoire les bienfaits de notre maître, le prêtre Gayanos, et de ses héritiers qui ont pourvu l'église de tout ce qui lui était nécessaire..." Dans l'Église Saint George, le nom du bienfaiteur Saolas est répété en grec, en araméen et en christo-palestinien. 

Les pavements en mosaïques 

La richesse des mosaïques découvertes constitue le plus beau résultat de 60 ans de travaux des Franciscains sur le Mont Nébo. Dans le sanctuaire lui même et dans les bâtiments monastiques voisins, comme dans les églises de la cité de Khirbat al-Mukhayyat et dans celles des vallées 'Uyun Musa et 'Ayn al-Kanisah, se trouvaient préservées de nombreuses mosaïques qui fournissent des éléments essentiels de la compréhension du développement de cet art original, sur le territoire de Madaba, aux périodes byzantine et omeyyade, du 4ème siècle jusqu'à la seconde moitié du 8ème siècle. Ces mosaïques constituent de précieuses archives de la communauté chrétienne du diocèse de Madaba et de la présence monastique sur le Mont Nébo. Les noms de huit mosaïstes, trouvés dans le sanctuaire et dans les villages de la vallée, ajoutent d'intéressantes précisions à cette riche documentation historico-artistique. 

La présence monastique sur le Mont Nébo 

Le grand monastère de Siyagha, l'ermitage près des sources 'Uyun Mousa, et les deux monastères mineurs de Khirbat al-Mukhayyat et 'Ayn al-Kanisah témoignent de la présence de nombreuses colonies de moines qui furent les premiers à arriver et les derniers à quitter la montagne sainte. Nous devons le plus ancien témoignage de la présence de ces colonies à l'intrépide voyageuse d'une contrée d'Europe occidentale inconnue (l'Espagne?)*, qui visita le Mont Nébo en 384, au cours d'un pèlerinage en Terre Sainte. Dans son journal, cette touriste chrétienne relate sa rencontre avec des ascètes qui vivaient dans des cellules, près des Sources de Moïse, dans la vallée 'Uyun Musa**. Chronologiquement, la présence monastique couvre une période qui va de la seconde moitié du 4ème siècle jusqu'aux 9ème-10ème siècles. Les inscriptions attestent l'existence de plusieurs formes d'expériences monastiques sur la montagne, allant de la vie cénobite, au sein du monastère de Siyagha, jusqu'à la plus rigide règle ascétique dans l'isolement du désert, comme il ressort des inscriptions du petit monastère Théotokos du wadi 'Ayn al-Kanisah. L'inscription grecque, avec les quatre rivières du Paradis dans les coins (Ghion peut-être le Nil, Fison peut-être le Gange, le Tigre et l'Euphrate), fournit les indications suivantes: "Par la grâce de Dieu, ce vénérable monastère dédié à la sainte mère de notre Seigneur fut reconstruit, pendant la vie de Job, évêque de Madaba, en mémoire des bienfaiteurs, indiction 15, année 6270 (762)". 

* Il s'agit d'Égérie (ou Éthérie), déjà citée plus haut 

** "Ainsi nous sommes arrivés au pied du mont Nébo; il est très haut, toutefois on peut en monter la plus grande partie à dos d'âne. Parvenus au sommet de cette montagne, il y a maintenant une église; à l'endroit où se trouve l'ambon j'ai vu un emplacement un tout petit peu plus élevé dont les dimensions étaient celles qu'ont d'ordinaire les tombeaux. Alors j'ai demandé aux saints ce que c'était et ils m'ont répondu: "c'est ici que Moïse a été déposé par les anges, puisque comme il est écrit,  "aucun homme ne connaît sa sépulture". Ce sont les anciens qui ont demeuré ici qui nous ont montrés où il a été déposé et de même nous aussi nous vous le montrons et ces anciens eux-mêmes disaient qu'ils tenaient cette tradition de plus anciens qu'eux." On a fait ensuite une prière, puis nous sommes sortis de l'église. Alors ceux qui connaissaient les lieux, prêtres et saints moines nous ont dit: "Si vous voulez voir les lieux dont il est parlé dans les livres de Moïse, venez dehors devant la porte de l'église et de ce sommet aussi loin du moins qu'on peut le voir d'ici, regardez attentivement." De la porte de l'église, nous avons vu l'endroit où le Jourdain entre dans la Mer Morte, et encore Jéricho au-delà du Jourdain..." 
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Nous retournons à Madaba, où notre séjour se termine par une visite à l'Institut d'art et de mosaïque où on nous initiera brièvement aux arts de la mosaïque et de la céramique. Une oeuvre de mosaïque se réalise à partir d'un modèle sur un entoilage enduit d'une colle à base d'eau, de vinaigre et de farine; les petits cubes de pierre naturelle colorée y sont déposés avec beaucoup de soin et une infinie patience; il faut plusieurs mois pour achever un tableau d'une taille normale. La céramique suppose la création préalable d'objets à décorer (poterie, par exemple); un artiste peint ensuite dessus le motif souhaité; l'opération suivante consiste à graver des cloisons pour donner à l'oeuvre l'apparence de la mosaïque; enfin, la pièce est passée au four pour fixer les coloris en les vitrifiant. 

Le passage par la boutique s'impose. Les mosaïques sont trop lourdes pour être emportées dans les bagages; les motifs se répètent souvent, sous différentes dimensions, divers supports, formes et qualités, la qualité ayant beaucoup à voir avec la dimension des cubes de pierre. Je remarque particulièrement le thème symbolique de l'arbre de vie, celui-ci nourrissant les herbivores qui sont la proie des carnivores, la chaîne alimentaire en quelque sorte; il est plusieurs fois repris. En dehors des mosaïques et des céramiques, beaucoup d'autres activités artisanales se sont développées en Jordanie et dans les environs de Madaba; citons: les tissages de la tribu Bani Hamida, les oeufs d'autruche décorés, les motifs de sables colorés formés dans des bouteilles, la bijouterie, les broderies et aussi les tapis; je repartirai avec un de ces derniers, suffisamment petit et à portée de ma bourse. 

Le soir, nous dînons dans le même restaurant que le jour de notre arrivée, mais, cette fois-ci, tout le groupe est là. Nous buvons, à quatre une bouteille de vin du Mont Nébo. Ensuite, nous prenons congé de ceux qui se sont inscrits dans les délais, lesquels prennent le chemin de l'aéroport, pour Paris via Francfort. Les trois autres, voyageurs de la dernière heure, nous regagnons l'hôtel, où nous bavardons un moment au bar, autour d'un dernier verre d'arak. 
 

9 ème jour (24 novembre): le retour en France 

Le lendemain, après le petit déjeuner, notre accompagnateur vient nous chercher pour nous conduire à l'aéroport. Je dépense mes derniers dinars en achetant quelques tranches de mangue confite et une bouteille de vin du Mont Nébo. Le vol de retour se déroule sans problème, en lisant le Jordan Times, puis en regardant Bienvenue chez les Ch'tis, en anglais sous-titré, ce qui est encore plus drôle qu'en français. 

Je suis très satisfait de ce voyage qui s'est déroulé dans une ambiance conviviale, sans jamais la moindre tension. Mes compagnons de voyage étaient cultivés et d'une conversation agréable et enrichissante; j'ai vu à peu près tout ce que j'espérais voir et même un peu plus. Et nos accompagnateurs ont planté en nous de petites graines qui pourraient bien se développer quelque jour en direction du Liban et de la Syrie. 


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