Un voyage au Laos (décembre 2000) :
Notes de voyage
 
Ce texte peut se lire à la suite. On peut également aller directement à l'un des sujets précisés dans le sommaire ci-dessous en cliquant sur lui. En cliquant sur les mots soulignés du texte, on retrouvera les photos qui s'y rapportent. 
 Sommaire: 
         La frontière, Paksé, le village des minorités, les Boloven
Un peu d'histoire,   La descente du Mékong, l'île de Khong, Somphanit
Le village des éléphants et la forteresse, A Vientiane, A Luang Prabang
Les grottes sacrées de PaKou, Le jardin des Bouddhas

Nous quittons la Thaïlande au poste frontière de  Chommeck. La présence du drapeau rouge, frappé de la faucille et du marteau, nous rappelle, dès notre arrivée en territoire lao, que nous entrons dans un pays communiste. Pourtant, la bannière écarlate n'a pas été substituée, comme dans d'autres pays, à l'emblème national. Elle se juxtapose plutôt à lui. Sur tous les bâtiments publics, nous aurons l'occasion de le vérifier, flottent côte à côte le drapeau national et celui du parti. Les formalités administratives sont accomplies sans hâte ni délais excessifs et nous embarquons dans le véhicule qui va nous conduire à Paksé. 

A peine quitté le poste frontière, l'impression qui se dégage de l'environnement est plutôt défavorable. Les terrains qui bordent la route ont l'air abandonnés. A droite, ils sont jonchés de sacs en plastique. Fort heureusement, cette écume de la modernité ne s'étendra pas sur plus de quelques centaines de mètres. Ensuite, le paysage, quoique austère, nous paraîtra plus accueillant. Certes, il ne respire pas l'abondance, loin s'en faut. Recouvert d'une herbe rase et sèche de couleur jaunâtre, il évoque la steppe. De temps à autre on aperçoit pourtant un village dans le lointain et, quelquefois, une chaumière paysanne rudimentaire s'élève à peu de distance de la route. Bref, cette région frontalière ne semble pas très peuplée. La route, toutefois, est asphaltée et en bon état . D'ailleurs, le réseau routier lao paraît convenable et bien entretenu, au moins si l'on en juge par les lieux que nous avons visités. Rien à voir avec les pistes empruntées l'année précédente autour de Siem Reap, dans le  Cambodge voisin.  

Nous arrivons à Paksé en milieu de journée. C'est l'heure du déjeuner. Nous allons faire connaissance avec la cuisine lao. Nous ne serons pas déçus. Elle est abondante et savoureuse. Pour ce qui me concerne, je la préfère à la cuisine chinoise que j'ai goûtée lors de mon précédent voyage. Je ne lui reprocherai que son manque d'épices. Il y a pourtant de bons petits piments au Laos. J'aurai l'occasion d'en manger. On arrose le repas de bière fraîche et l'on peut même avoir du pain. Ici, comme au Vietnam, c'est peut-être un souvenir de la présence française. Elle dura presqu'un siècle.  

Maintenant, à l'hôtel, ma chambre est dépourvue d'électricité.  Bien sûr, il m'est impossible de me faire comprendre du personnel de l'étage pour obtenir le rétablissement du courant. Je  serai donc privé de ventilation. Mais cela n'a pas grande importance, la température n'étant pas caniculaire. Je supposerai plus tard que l'électricité a été coupée pour cause de travaux. On est en effet en train de repeindre le couloir. En tout cas, elle sera rétablie pour la soirée, ce qui est le principal. Le Laos ne manque pas d'électricité. Il en exporte même chez ses voisins. Et les pannes peuvent arriver partout, y compris en Californie! 

Nous nous rendons à la banque pour changer nos devises. Les bahts sont recherchés au Laos: d'après les Thaïlandais. Notre guide lao nous conseille cependant de les convertir en kips. Nous obtenons une quantité impressionnante de cette monnaie aux billets frappés à l'effigie d'un fondateur du parti aujourd'hui décédé. Dans l'établissement un téléviseur retransmet un défilé militaire. Des esprits prévenus pourraient y voir la marque de l'emprise idéologique du régime. En fait, il s'agit tout simplement de la célébration de la fête nationale. Le 14 juillet lao tombe au début du mois de décembre.  

C'est peut-être ce qui explique les illuminations de la ville à la nuit tombée. La façade de l'hôtel est recouverte de petites ampoules jaunes. L'électricité revenue, c'est d'un assez joli effet. Avant le dîner, je jette un coup d'oeil à la télévision, dans le salon de l'hôtel. Une chaîne thaïlandaise y diffuse les interminables cérémonies de l'anniversaire du roi. Après le repas, une marche digestive s'impose. A l'entrée d'un pont, à quelques pas de l'hôtel, quelqu'un se repose dans un hamac accroché à un poteau électrique et à la rambarde. On pourrait croire qu'il dort. Mais le passage trop rapide d'une moto le tire brusquement de sa léthargie. On suppose alors qu'il s'agit d'un agent de la circulation chargé de faire respecter la limitation de vitesse sur le pont. 

L'après midi, nous avons visité le village d'une minorité nationale. Je crois qu'il s'agit des Khas. Je ne garantis pas l'orthographe. Le Laos est relativement peu peuplé. La densité de sa population est la plus faible de l'Asie. Les Lao constituent l'ethnie dominante mais le pays compte également plusieurs autres ethnies qui représentent à peu près la moitié de la population. Le bouddhisme Theravada est la religion dominante. Toutefois, d'autres religions sont également pratiquées. Les croyances animistes n'ont pas totalement disparues, malgré leur interdiction. Le village que nous visitons est catholique, comme l'indique l'église que nous reconnaissons à la croix qui la somme. Les maisons sont sur pilotis, probablement pour ménager un vide sanitaire. On accède à l'étage habitable par une échelle de meunier. Le toit est en tôle ondulée ou en paille, les murs en bois. On remarque souvent la présence d'une antenne de télévision. L'espace de terre battue, ménagé sous le plancher du séjour, n'est pas inoccupé. On y range les outils et femmes et enfants s'y rassemblent. Je note que les jeunes filles ont les pieds nus dans leurs sandales, par conséquent poussiéreux, mais que leurs ongles sont souvent peints. Quelques-unes ont mis du rouge à leurs lèvres. La plupart des hommes sont aux champs. Certains se livrent à des activités artisanales pour arrondir leur maigres ressources. Nous visitons une forge rustique où l'on fabrique des instruments agricoles: serpes, pioches... Une femme active un étrange soufflet fait de deux tubes cylindriques de récupération dans lesquels coulissent des bâtons pourvus de chiffons. L'ensemble évoque davantage la pompe à vélo que le soufflet de forge. N'empêche, maniés en cadence, les bâtons envoient sous la braise, par le truchement d'un tuyau, assez d'air pour aviver la combustion du charbon et porter le fer à incandescence. Deux gaillards aux muscles saillants le martèlent ensuite avec une vigueur que leur taille ne laisserait pas deviner. 

Après la visite du village, nous nous rendons dans une plantation de thé et de café, sur le plateau des Boloven. Cette plantation appartient à un Vietnamien. Le pays a beau être communiste, le guide nous assure que la propriété privée domine. La compréhension du régime de propriété d'un pays étant assez difficile, on se contentera de cette affirmation générale. La plantation paraît prospère. On y teste de nouvelles variétés de café. Pour le moment, on y produit surtout du robusta. Après le tour du propriétaire, vient le moment de la dégustation. Le tout dans la bonne humeur. Ensuite nous allons admirer une double cascade qui se jette, du haut du plateau, dans un gouffre dont on ne voit pas le fond. Le guide nous raconte que, pendant la seconde guerre d'Indochine, celle des Américains, une troupe de soldats yankees, thaï et lao  pro-américains tentèrent d'envahir cette région à partir de la Thaïlande voisine. Mais la guérilla communiste leur avait tendu une embuscade. Ils se trouvèrent bientôt encerclés et de plus soumis aux bombardements de l'aviation américaine qui, dans la forêt, ne savait plus très bien distinguer amis et ennemis. Les survivants tentèrent de s'échapper par la seule issue praticable, c'est-à-dire le gouffre. Leurs os y seraient encore. Le guide nous montra les impacts de bombes encore visibles à peu de distance du bord du ravin. 

Cette anecdote nous amène à évoquer l'histoire du Laos. La ville de Savannakhet, pas très loin de l'endroit où nous nous trouvons, fut, à l'époque de la première guerre d'Indochine, la nôtre, une plaque tournante de la présence militaire française. De nombreux avions y prenaient leur envol pour des missions au dessus du Vietnam. Il était donc bien difficile pour le Laos de rester en dehors du conflit. De fait, l'opinion se divisa en trois camps, chacun d'eux ayant un prince pour chef de file. Le camp pro-occidental, dirigé par le prince Boun Oum, fut pendant longtemps le maître d'un sud pratiquement en état de sécession par rapport au reste du pays. Le camp neutraliste, avec à sa tête le prince Souvanaphouma, et le camp communiste dont le leader, au moins moral,  était le prince Souvanouvong, furent souvent alliés, mais pas toujours. Une guerre civile opposa ces camps pendant tout le temps que dura le conflit dans la péninsule. Elle ne fut cependant pas aussi farouche ni aussi meurtrière qu'au Vietnam et au Cambodge. La région de Luang Prabang, par exemple, resta épargnée. Les bombardements américains ne touchèrent pratiquement que la région limitrophe du Vietnam. Mais ils y causèrent des dégâts importants. Plusieurs temples furent détruits. Après la défaite américaine, le prince Boun Oum se réfugia en France. La monarchie fut abolie et le Laos fut réunifié sous la houlette du parti communiste. Souvanouvong devint le président de la République et Souvanaphouma fut son Premier ministre. Le roi fut, pendant un temps, le conseiller du nouveau pouvoir. Puis, avec son épouse et le prince héritier, il gagna le nord du pays où tous les trois moururent quelques années plus tard dans des circonstances non élucidées. La famille royale ne fut pourtant pas persécutée dans son ensemble puisque certains de ses membres sont encore vivants et que deux princes, cousins du roi, le président et le Premier ministre, dirigeaient l'État. L'un et l'autre sont aujourd'hui morts eux aussi, mais de vieillesse. Les débuts de la jeune République ne furent pas faciles. Le pays était coincé entre la Thaïlande pro-américaine, la Chine maoïste, le Cambodge aux mains de Pol Pot et le Vietnam pro-soviétique. Souvanouvong dut faire preuve d'habileté pour ne pas s'attirer l'hostilité déclarée de ses ombrageux voisins. Fort heureusement cette époque périlleuse est maintenant révolue. 

Le lendemain, nous descendons le Mékong en direction du sud. L'eau du fleuve est boueuse, mais non polluée. Il suffit de la filtrer pour la rendre potable. C'est d'ailleurs elle que nous buvons et elle ne nous a pas rendus malades. Pendant la période des crues, elle recouvre les berges et y dépose un limon bienfaisant que les riverains utilisent, au moment des basses eaux, pour des cultures maraîchères. La population lao, relativement indolente, selon les dires de notre guide, vit surtout de l'agriculture et de la pêche. Le pays n'a pas de débouché sur la mer. Le Mékong tient donc une place essentielle dans son économie. De part et d'autre du fleuve, déjà large en cet endroit, s'élèvent des collines parfois escarpées. Le paysage ne manque pas de charme.  

Nous nous arrêtons à Champassak.  Puis nous allons visiter les fameuses ruines khmères de Wat Pou. Elles sont du 10ème siècle, c'est-à-dire antérieures à la période d'Angkor. Celles de la même époque que j'ai vues au Cambodge sont moins bien conservées. En outre, le temple est construit au flanc d'une colline. Il faut gravir de nombreuses marches pour parvenir à l'étage le plus élevé. Mais cela en vaut la peine. Le point de vue est magnifique. En plus, on y trouve une table de sacrifice qui laisse penser que des victimes humaines ont pu y être immolées. 

Nous reprenons notre navigation jusqu'à l'île de Khong, à la pointe sud du pays, à proximité du Cambodge. Nous sommes survolés par l'hélicoptère du président du Laos. Ce dernier est natif du village de l'île où nous allons passer la nuit. Il s'y rend pour la fête locale qui se tient justement en ce moment. Nous débarquons dans un lieu grouillant de monde. On est venu nombreux des environs et l'affluence sera encore plus importante le lendemain. L'hôtel est tenu par un ancien militaire qui a connu les camps de rééducation lors de l'arrivée au pouvoir des communistes. Il parle français et nous fait goûter un apéritif local qui emportera nos suffrages. Il s'agit d'un mélange savamment dosé d'alcool de riz, le lao lao, de jus de citron et de miel servi avec des glaçons.  

Après le dîner, nous allons prendre un bain de foule. De nombreux commerçants se sont installés pour le temps des festivités au long des rues. Ils proposent aux chalands leur marchandises posées sur des tréteaux ou sur des nattes à même le sol. Il y a de tout: beaucoup de nourriture et de boisson, mais aussi des vêtements, des pacotilles... Une musique assourdissante couvre le  chahut des visiteurs et, peut-être pour mettre de l'ambiance, la lumière est parfois coupée alternativement d'une rue l'autre. Dans une telle cohue, on peut craindre les voleurs et des rixes. Aussi les autorités veillent elles. Des hommes en uniforme  (militaires ou policiers?) déambulent à travers la foule. Ils sont secondés par un service d'ordre  tant masculin que féminin, probablement des pionniers. A certains points névralgiques, ces derniers s'assurent, grâce à une fouille discrète et rapide, que les visiteurs ne sont pas animés de mauvaises intentions. Tout se passe sans agressivité. Bien sûr, nous nous sommes dirigés du côté où la fouille était effectuée par les jeunes filles. Mais elles nous ont fait signe de continuer notre chemin sans daigner nous honorer de la moindre caresse.  

Sur une scène improvisée se donne un spectacle de danses folkloriques et de chants. Nous nous approchons du premier rang et, pour ne pas gêner les personnes qui sont derrière nous, nous nous accroupissons. Alors, comme des chaises sont vides, un des spectateurs nous invite aimablement à nous y installer. Nous ne tarderons pas à nous rendre compte que nous venons de nous mêler aux personnalités officielles. Les danses finies, danseurs et danseuses, selon la tradition des pays communistes, viennent leur offrir des fleurs. Un de nos voisins parle notre langue et nous échangeons quelques propos. Il déplore que nous repartions le lendemain car le clou de la fête est une course de bateaux qui se dispute dans deux jours. Nous aurons tout de même la chance de voir les rameurs à l'entraînement. De l'alcool circule dans l'assistance et on nous propose le verre de l'amitié. 

C'est une chance de se trouver ainsi dans un endroit au moment où se déroule l'événement important de l'année. Mais toute médaille a son revers. Nous avons bénéficié d'une distraction non prévue au programme. En contrepartie, il nous faudra supporter toute la nuit le bruit d'une musique à réveiller les morts. Car, selon toute apparence, on ne se couche pas dans ce pays les jours de fête! Peut-être les nombreux visiteurs ont-ils pris tout de même quelque repos, à l'aube, étendus sur leur natte posée à terre. 

Le lendemain, nous allons visiter les chutes d'eau de Somphanit. Une excursion jusqu'au lieu où vivent des dauphins d'eau douce était programmée. Nous ne la ferons pas. Notre guide prétend que c'est trop dangereux. La région est proche de la frontière du Cambodge et il y aurait encore des risques. Plus tard, nous apprendrons que des touristes y sont allés voici quelques jours sans problème. Nous en conclurons que notre guide n'avait pas envie de s'y rendre. Chemin faisant, nous traversons des villages habités par d'autres minorités. Dans l'un d'eux, des femmes sont en train de pétrir de la pâte de riz avec une sorte de pilon à levier très pittoresque. On y voit aussi d'étranges cochons au nez écrasé et à la soie rousse. Dans la forêt, immobilisée sur une voie devenue invisible, une locomotive datant de l'époque coloniale achève doucement de rouiller. Le Laos posséda autrefois un chemin de fer. Mais la longueur totale du réseau ne dépassa pas huit kilomètres! Je ne me souviens plus à quelle exploitation servait ce moyen de transport rudimentaire qui aboutissait évidemment au Mékong. Les chutes sont situées à deux endroits différents. Pour qui a vu celles d'Iguazu, ou même celles du Niagara, elles n'ont rien de très spectaculaire. 

Notre visite du sud se termine par le retour via la route à Paksé, une route asphaltée, toujours aussi carrossable et bien entretenue. Nous nous arrêterons au village des éléphants pour une excursion à dos de cet animal, à travers rizière et forêt, jusqu'à une forteresse de pierres sèches élevée sur une colline, au 18ème siècle, pour protéger le pays contre les invasions thaï. Les constructions, aujourd'hui en ruines, consistaient en un château central entouré d'une enceinte de murs dont les piliers qui subsistent ressemblent à des ruches. Entre l'enceinte et le château, l'espace est assez vaste pour que de nombreux éléphants manoeuvrent sans se gêner. Une armée pouvait y tenir à l'aise. L'efficacité du dispositif est hautement douteuse. La balade manque de confort. Le dossier du panier d'osier dans lequel j'ai pris place me meurtrit le dos. L'hématome mettra plusieurs jours à se résorber. En plus, j'ai dû subir le manque de civilité de ces animaux qui prennent un malin plaisir à agiter leur trompe de tous côtés pour vous asperger de bave et à vous flatuler sous le nez sans retenue. Un pet d'éléphant, ce n'est pas rien! Encore puis-je m'estimer heureux de m'en être tiré à si bon compte puisque l'animal sur lequel je me trouvais était en chaleur. Heureusement, il n'y avait pas de femelle à proximité.  

De retour à Paksé, nous jetterons un coup d'oeil à son marché avant de rejoindre l'hôtel d'où nous partirons le lendemain par avion pour Vientiane. La compagnie Lao Aviation utilise des ATR. Cet avion franco-italien est tout à fait adapté à un pays où les distances ne sont jamais bien longues, le nombre de passagers, relativement modeste, et les pistes des aéroports, plutôt courtes. Il est vrai que l'on s'emploie, notamment à Luang Prabang, à allonger ces dernières, sans doute pour accueillir de plus gros porteurs. 

A Vientiane, nous descendons dans un hôtel qui fait partie de la chaîne Novotel. Je note la présence d'hommes en uniforme vert olive et de limousines noires sur le parking. Une réunion entre l'ASEAN et l'UE se tient actuellement dans la capitale du Laos et plusieurs délégations, dont celle de la France, sont descendues ici. Nous croiserons ces messieurs dans les couloirs. On reconnaîtra notre ministre de la Coopération, Josselin, dans le hall de la réception. Le coiffeur de l'hôtel est Français. Il vit au Laos depuis cinq ans et paraît s'y plaire. Le pays est calme et les Lao sont accueillants. Son seul problème réside dans l'instabilité du personnel. Les jeunes filles qu'il emploie le quittent presque toujours dès qu'elles ont gagné quelqu'argent. La coupe de cheveux, avec shampooing, coûte moins cher qu'à Paris. Mais elle n'est pas donnée. Je suis délesté d'une grande partie de mes kips, l'équivalent de 85 francs environ. C'est une véritable fortune au Laos. Il est vrai que je suis dans un hôtel des plus chics de Vientiane et que j'ai été traité avec beaucoup de prévenance par trois des assistantes de mon Figaro.  

Je n'ai pas obtenu beaucoup d'information sur le niveau de vie du pays. Il me semble voisin de celui du Cambodge et sans doute inférieur à celui du Vietnam. Le pays est peu favorisé sur le plan agricole. La récolte du riz n'a lieu qu'une fois par an sur les hauts plateaux. A ma connaissance, il n'y a pas de ressources minières. Mais on exporte de l'électricité. Comme la population est peu nombreuse, elle arrive tout de même à vivre. Les marchés et les magasins sont bien approvisionnés. Au Laos, comme dans les autres pays communistes d'Asie que j'ai visités, on ne rencontre pas la pénurie que l'on a connue dans les pays d'Europe de l'est. Les gens sont pauvres, mais pas misérables. La mendicité est pratiquement inconnue. Pendant toute la durée du séjour, je n'ai croisé qu'un mendiant, au marché de Vientiane. La guerre n'a pas laissé derrière elle ces nombreux mutilés qui font pitié au Cambodge. Ici, elle n'a pas été aussi longue, aussi meurtrière et il n'y a pas eu Pol Pot. Enfin le tourisme naissant apporte des ressources supplémentaires à ceux qui peuvent en profiter. Notre guide du sud était un professeur de mathématiques reconverti. Son nouveau métier lui rapporte plus que l'ancien. 

L'hôtel  dans lequel nous sommes descendus appartient à un groupe français. Cependant, on ne trouve pas la moindre phrase dans notre langue sur les dépliants touristiques. Tout y est en Anglais. Il est vrai que le souvenir de notre présence au Laos s'est beaucoup estompé. Peu de Lao parlent encore la langue de Molière. Mais cela était-il différent autrefois? J'en doute. Je pense que, même aux plus beaux temps de la colonisation, les Français qui se sont établis dans ce pays trop pauvre pour attirer les foules sont toujours restés  peu nombreux. Que seraient-ils venus y chercher? Aussi bien est-ce un miracle que l'on y trouve encore des inscriptions en Français sur quelques bâtiments publics, comme la Poste. Une poste qui fonctionne d'ailleurs bien, par rapport à celle de Thaïlande, pays pourtant beaucoup plus riche. Aucune des cartes que j'ai envoyées de Bangkok ne sont parvenues à leurs destinataires. Toutes celles que j'ai postées au Laos sont arrivées sans retard. A ce propos, une anecdote. Sur une de mes cartes figurait un plantureux Lao en état d'érection. Je n'y avais pas pris garde mais ce détail n'échappa pas à l'oeil exercé de la réceptionniste de l'hôtel. Du doigt, elle me le fit malicieusement observer quand je lui remis mon courrier. 

Nous visitons le  Wat Si Saket, musée qui contient de nombreux Bouddhas venus de plusieurs coins du pays. Certains d'entre eux sont mutilés. Ils proviennent des temples détruits par les bombardements américains. Le That Luang doré brille de tous ses feux en cette fin d'après-midi. De chaque côté de la sortie, dans des espèces de tours, des bonzes frappent sur un gong pour rappeler l'heure d'un rite de leur religion. A peu près au milieu de la grande avenue qui mène d'ici jusqu'au palais présidentiel, se dresse une sorte d'arc de triomphe. C'est la porte des victoires (Patuxai). Cette construction moderne ne commémore aucun événement particulier. Elle est là simplement pour rappeler que rien ne s'obtient qu'à force de volonté, de courage et de ténacité. Elle a été édifiée grâce au surplus de ciment qui restait après l'achèvement de l'aéroport. Malheureusement, cet excédent fut insuffisant et la porte n'est pas encore terminée. Du haut, on jouit d'une belle vue d'ensemble sur la ville. On voit que les espaces verts y sont nombreux et fournis. Vientiane: une ville en forêt!  

La visite d'un autre temple (le Wat Prakeo?) nous amène à évoquer à nouveau le passé du Laos. Vers 1820 (je ne me souviens pas de la date précise), le pays fut envahi par la Thaïlande dont les troupes brûlèrent Vientiane. Les Lao et les Thaï ont beau être d'origine voisine, utiliser des écritures qui, pour un profane, paraissent similaires et parler des langues comparables, ils n'en furent pas moins ennemis à plusieurs reprises au cours de l'histoire. Bref, pendant les années vingt du 19ème siècle, le temple ancien fut détruit. Seulement quelques fragments furent préservés. Plus tard, au moment de la colonisation, la France reconstruisit l'édifice en ciment. C'est celui que nous visitons aujourd'hui. 

Nous allons ensuite flâner au marché, situé sur l'avenue de la porte des victoires, près de la poste centrale, pour faire l'emplette de quelques souvenirs. Le marché est bien achalandé. On y trouve même des produits exotiques: vins de Chine et de Bulgarie, notamment... Mais c'est surtout les objets insolites qui m'intéressent, comme les haches en silex préhistoriques. J'y fais l'acquisition d'une boussole et de deux pipes à opium, l'une en porcelaine et l'autre en os (ou en plastique?).  Mes achats sont récompensés d'un cadeau: un petit Bouddha de bronze. En me promenant dans les allées couvertes du marché, je lie conversation avec un Lao qui vit à Paris. Il travaille à l'aéroport d'Orly et visite actuellement le pays de ses ancêtres. La planète n'est qu'un village! 

Au cours du voyage qui nous emmène à Luang Prabang, nous survolons une vaste étendue d'eau, sans doute un barrage hydroélectrique*. A l'approche du nord, les collines se font de plus en plus hautes et nous finissons par apercevoir notre destination au fond d'une vallée, sur les bords du Mékong. 

* Un nouveau barrage est en cours de construction, pour exploiter les ressources hydroélectriques du pays, celui de Nam Theun. Quant il sera mis en service, ce barrage créera un lac artificiel dont la superficie sera environ des trois quarts de celle du lac Léman. De nombreuses personnes devront être déplacées et les défenseurs de l'environnement manifestent leurs craintes. Les spécialistes affirment cependant que tout a été mis en oeuvre pour assurer le respect de la nature et de nombreux Laos attendent avec impatience un ouvrage qui améliorera leurs conditions de vie (Le Monde - 29 août 2007). 

Luang Prabang est l'ancienne capitale du royaume Lao. J'y apprendrai, qu'avant la colonisation française, le pays n'était sans doute pas unifié puisque l'on y parle d'un roi de Luang Prabang, dont l'État devint un protectorat, alors que le reste du Laos était une colonie. Quoi qu'il en soit, la cité est riche de souvenirs. De plus, elle est sise dans un lieu très pittoresque, au confluent de deux rivières, dont le déjà majestueux Mékong. 

Le jour même de notre arrivée, nous allons visiter plusieurs temples (le Wat Visounnarath, le Wat Xieng Thong) et gravir les nombreuses marches de la colline sacrée de Phous pour admirer le panorama et jouir d'un magnifique coucher de soleil à travers les arbres sur le Mékong. En haut de cette colline, nous découvrirons un sanctuaire et aussi l'affût rouillé d'une mitrailleuse d'origine soviétique. C'est tout ce qui reste d'un don du Vietnam au Laos durant la guerre. La position de cette arme, en un endroit qui commande le confluent des deux rivières, était particulièrement bien choisi. Mais elle ne servit jamais car, heureusement, Luang Prabang resta à l'écart du conflit.  

Il n'en fut pas de même de la plaine des Jarres, où nous n'irons pas. Notre guide, une jeune femme qui a de la famille en France et connaît Paris, me dit que le déplacement n'en vaut pas la peine. Il n'y a là bas rien d'autre à voir qu'un grand nombre de ces récipients, à demi enfoncés dans le sol. Ils sont là depuis si longtemps qu'on ne sait plus très bien pourquoi. Peut-être pour marquer l'emplacement de sépultures puisqu'on aurait retrouvé dessous des ossements humains. Le voyage s'accomplit dans des petits avions peu fiables et les tribus Mong, qui représentent quatre vingt pour cent de la population locale, seraient agitées par le démon de l'indépendance. Notre guide ne me conseille pas de m'y rendre ce qui n'est d'ailleurs pas prévu. 

Le soir, à l'hôtel, j'éprouve beaucoup de difficultés à obtenir de tester la carte des cocktails locaux, pourtant bien garnie. Les serveuses sont occupées ailleurs, à faire une réussite sur l'ordinateur de la réception. Elles paraissent si absorbées qu'il serait indécent de les interrompre. J'attendrai un peu en faisant le tour du propriétaire. L'hôtel, de style colonial, n'est pas très moderne, mais on y est confortablement installé. La chambre est vaste et pourvue d'un balcon, la salle de bains convenable et l'atmosphère des lieux reposante. 

Le lendemain, nouvelle visite de temples (le Wat May Souvannaphoummaram notamment). Nous pouvons mieux mesurer maintenant la spécificité de l'art et de l'architecture lao, par rapport à celle de la Thaïlande. Elle lui ressemble, certainement, mais on ne saurait confondre les deux, bien qu'il me soit difficile de préciser en quoi elles diffèrent. Mon oeil, mon coeur et mon esprit ne les voient pas de la même façon. Nous pénétrons aussi à l'intérieur de l'ancien palais royal. Nous sommes passés devant son entrée, la veille, en nous rendant à la colline sacrée de Phous. Il est aujourd'hui transformé en musée. On peut y admirer des tableaux peints en 1930 par un artiste français, Alix de Fautereau, ainsi que de nombreux objets ayant appartenu aux souverains. Les portraits du dernier monarque, de sa femme et de leur fils morts, après la révolution, dans le nord du pays, y sont aussi exposés. On visite l'entrée, le hall, la salle d'audience, la salle du trône, le secrétariat, la salle de réception de la reine et la salle du Prabang, un Bouddha, originaire du Cambodge, considéré comme le protecteur du Laos. L'édifice, appelé autrefois le palais d'or (Ho Kham), fut bâti entre 1904 et 1909, sous le règne du roi Sisavangvong, du temps du protectorat français. Il remplaça un palais de bois plus ancien, jugé vétuste, et son architecture combine les influences lao et française comme un symbole des relations qui unissaient alors les deux pays. 

Nous prenons ensuite le bateau pour nous rendre, en suivant le Mékong, aux grottes sacrées de PaKou. En chemin, nous faisons une halte dans un village où nous assistons à divers travaux d'artisanat, notamment à la fabrication de l'alcool de riz, mis à fermenter dans des jarres et distillé au moyen d'un alambic rudimentaire. Les grottes de PaKou sont au nombre de deux: celle du bas est celle du haut. Ce sont des excavations naturelles creusées au flanc d'un escarpement abrupt sur le Mékong. Celle du bas est peu profonde et bien éclairée. Elle contient des milliers de Bouddhas. Il y en avait autrefois environ sept mille, mais un grand nombre ont été volés. Ils ne seraient plus maintenant qu'environ quatre mille. Ils sont de tailles et de factures diverses. Ils font penser à des ex-votos. De l'entrée de la grotte on jouit d'une très belle vue sur le fleuve aux rives boisées bordées par endroit de hautes falaises. La grotte du haut est plus profonde et elle est obscure dans le fond. Elle contient également de nombreux Bouddhas. A l'entrée, on peut voir ce que j'appellerai un chéneau d'aspersion. Il s'agit d'un objet rituel qui sert à faire couler de l'eau sur un personnage au cours d'une cérémonie qui n'est pas sans  évoquer le baptême catholique. Je ne me souviens plus exactement du sens de cette cérémonie. Sur un panneau, une inscription rappelle le passage ici de l'explorateur militaire Francis Garnier qui  remonta le Mékong pour trouver un chemin de l'Indochine à la Chine et mourut plus tard décapité par les Pavillons noirs au Tonkin , où il était venu réprimer une révolte, sans avoir pu se rendre au Tibet comme il l'espérait. 

Avant de regagner l'hôtel, nous allons visiter d'autres ateliers artisanaux. Nous assistons, en particulier, à la fabrication du papier de riz, à partir de l'écorce de mûrier, selon des méthodes ancestrales très voisines de celles qui sont utilisées à Ambert, dans mon Auvergne natale. 

Notre séjour à Luang Prabang s'achève par un tour au marché, toujours bien approvisionné. J'y goûterai de la viande macérée avec des épices non identifiables. On y retrouvera aussi, avec surprise, les ingrédients inconnus rencontrés dans les soupes : de la corne, par exemple. Ramollie, ici, elle se mange. Beaucoup de légumes, de fruits, de viandes de toutes sortes, même du sanglier, et des amoncellements de piments, frais ou séchés. J'aurais voulu en acheter. Malheureusement, je n'avais plus de menue monnaie pour les payer. 

Notre guide nous quittera pour retourner chez elle en moto. Comme dans beaucoup de pays de la région, c'est un moyen de locomotion très utilisé au  Laos. 

De retour à Vientiane, nous aurons droit au traditionnel spectacle de danses folkloriques, dans l'hôtel où vient tout juste de prendre fin la conférence ASEAN-UE, clôturée par un discours du ministre français de la coopération et du ministre des Affaires étrangères du Laos. Nous irons aussi voir le jardin des Bouddhas, dans les environs de la ville. C'est une sorte de Disneyland asiatique, où ont été construits, en ciment, des êtres mythologiques ainsi que de nombreux Bouddhas. Ceux-ci sont de tailles, de formes et de positions les plus diverses. Il en est de gigantesques. Certains sont peints de couleurs vives. A droite de l'entrée, on peut pénétrer à l'intérieur d'une sorte de boule creuse et monter jusqu'à son sommet d'où la vue embrasse tout le jardin. Aux  jours de repos hebdomadaires, les amoureux de la capitale voisine viennent paraît-il s'y promener en se tenant par la main et en se regardant dans le blanc des yeux. 

Notre séjour s'achève par une dernière visite au marché. Je m'y rendrai de l'hôtel à pied avec une compagne de voyage. Dernières emplettes. J'y trouve un journal du pays en langue française: Le Rénovateur. J'y lirai qu'à Genève, ville francophone, au cours d'une réunion tenue sous l'égide d'un organisme dépendant de l'ONU, le représentant de la France  jugea bon de s'exprimer en anglais. Ce fut le représentant d'un pays africain  qui exigea des traducteurs afin de  prononcer le sien dans notre langue. L'auteur de l'article s'étonnait que nos concitoyens se montrent aussi peu soucieux de la défense d'un idiome qui demeure encore pourtant l'une des langues officielles des instances internationales. Il faut aller à Vientiane pour lire dans un journal cette vérité élémentaire: comment s'étonner que le français recule dans le monde si ses défenseurs naturels préfèrent ostensiblement parler anglais? A l'entrée du marché, deux jeunes gens proposent aux chalands des chrysalides de je ne sais trop quoi dans un bol. Comme nous semblons nous interroger sur la destination de cette marchandise, l'un d'eux enfourne dans sa bouche une de ces drôles de cacahuètes et se met à la croquer avec une satisfaction visible empreinte sur le visage.  

Ainsi mis en appétit, nous allons prendre notre ultime repas au bord du Mékong. Sur l'autre rive, on aperçoit la Thaïlande, certainement plus riche que le Laos. Mais aussi attachante? Ce n'est pas sûr.



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