On trouvera sur cette page quelques-uns des poètes qui marquèrent mon adolescence, soit parce qu'il m'initièrent par leurs textes à la poésie de mon époque, soit parce qu'il daignèrent m'honorer de leur correspondance, soit parce que j'eus la chance de les rencontrer et parfois le plaisir de nouer avec eux des relations amicales. Bien sûr, cette liste n'est pas exhaustive. J'ai dû faire des choix et ceux-ci sont toujours arbitraires. |
J'ai contracté
une dette particulière envers Alfred Jarry. C'est en effet grâce
à lui que j'ai
découvert la
poésie du vingtième siècle. Je n'avais pas dépassé
Verlaine et le symbolisme
lorsqu'un soir, par
le plus merveilleux des hasards, j'eus l'occasion d'entendre, à
la radio,
sans l'avoir cherché,
une émission sur Alfred Jarry. La nouveauté de cette écriture,
si
différente
de celle des récitations scolaires, qui constituaient alors tout
mon univers
poétique, excita
mon imagination. Je voulus en savoir plus et me mis en quête, dans
les
librairies de Clermont-Ferrand,
où je vivais chez mes parents, de tous les livres des auteurs
dont il avait été
question dans cette émission, c'est-à-dire, grossomodo, des
surréalistes.
LA CHANSON DU DECERVELAGE
Je fus pendant longtemps
ouvrier ébéniste,
Dans la ru' du Champ
d' Mars, d' la paroiss' de Toussaints.
Mon épouse
exerçait la profession d'modiste,
Et nous n'avions
jamais manqué de rien.
Quand le dimanch'
s'annonçait sans nuage.
Nous exhibions nos
beaux accoutrements
Et nous allions
voir le décervelage
Ru' d' l'Echaudé,
passer un bon moment.
Voyez, voyez
la machin' tourner,
Voyez, voyez
la cervell' sauter,
Voyez, voyez
les Rentiers trembler;
(Choeur) Hourra,
cornes-au-cul, vive le Père Ubu!
Nos deux marmots
chéris, barbouillés d' confitures,
Brandissant avec
joi' des poupins en papier,
Avec nous s'installaient
sur le haut d' la voiture
Et nons roulions
gaîment vers l'Echaudé.
On s' précipite
en foule à la barrière,
On s' fich' des
coups pour être au premier rang
Moi je m' mettais
toujours sur un tas d' pierres
Pour pas salir mes
godillots dans l' sang.
Voyez, voyez
la machin' tourner,
Voyez, voyez
la cervell' sauter,
Voyez, voyez
les Rentiers trembler;
(Choeur) Hourra,
cornes-au-cul, vive le Père Ubu!
Bientôt ma
femme et moi nous somm' tout blancs d' cervelle,
Les marmots en boulott'nt
et tous nous trépignons
En voyant l' Palotin
qui brandit sa lumelle,
Et les blessur's
et les numéros d' plomb.
Soudain j' perçois
dans l' coin, près d' la machine,
La gueul' d'un bonz'
qui n' m' revient qu'à moitié.
Mon vieux, que j'
dis, je r'connais ta bobine,
Tu m'as volé,
c'est pas moi qui t' plaindrai.
Voyez, voyez
la machin' tourner,
Voyez, voyez
la cervell' sauter,
Voyez, voyez
les Rentiers trembler ;
(Choeur) Hourra,
cornes-au-cul, vive te Père Ubu!
Soudain, j' me sens
tirer la manch' par mon épouse
Espèc' d'andouill',
qu'ell' m'dit, v'là l'moment d'te montrer:
Flanque-lui par
la gueule un bon gros paquet d' bouse,
V'là l' Palotin
qu'a juste' le dos tourné.
En entendant ce
raisonn'ment superbe,
J'attrap' sus l'
coup mon courage à deux mains
J' flanque au Rentier
une gigantesque merdre
Qui s'aplatit sur
l' nez du Palotin.
Voyez, voyez
la machin' tourner,
Voyez, voyez
la cervell' sauter,
Voyez, voyez
les Rentiers trembler;
(Choeur) Hourra,
cornes-au-cul, vive le Père Ubu!
Aussitôt j'
suis lancé par-dessus la barrière,
Par la foule en
fureur je me vois bousculé
Et j'suis précipité
la tête la première
Dans l'grand trou
noir d'ous qu'on n' revient jamais.
Voilà c'que
c'est qu'd'aller s'prome'ner l'dimanche
Ru' d' l'Echaudé
pour voir décerveler,
Marcher l' Pinc'-Porc
ou bien l' Démanch'-Comanche.
On part vivant et
l'on revient tudé.
Voyez, voyez la
machin' tourner,
Voyez, Voyez
la cervell' sauter,
Voyez, voyez
les Rentiers trembler;
(Choeur) Hourra, cornes-au-cul, vive le Père Ubu!
TROIS GRENOUILLES...
Trois grenouilles
passèrent le gué,
Ma mie Olaine,
Avec des aiguilles
et un dé,
Du fil de laine.
C'est pour la robe
du roi,
Ma mie Olaine,
Qu'elles feront
avec le doigt
Et de la laine.
Voici qu'arrive le
bourreau,
Ma mie Olaine,
Apportant un grand
sarrau
De grosse laine.
-Coupez, cousez l'habit
d'elbeuf
Ma mie Olaine.
C'est plein de sang,
mais c'est tout neuf
Et c'est en laine!
-Nous ne toucherons
point au sang,
Ma mie Olaine.
Aimerions mieux
pourrir dedans
Avec la laine!
Le roi n'est plus,
le roi est mort,
Ma mie Olaine.
Et nous partagerons
son sort:
Cassez la laine!
TATANE
Chanson
pour faire rougir les nègres
et
glorifier le Père Ubu.
I. "Ne me chicane
Ce seul cadeau
Jamais tatane
Dans le dodo!"
II. Lors reste en
panne
Je ne sais où
Un diaphane
En caoutchouc.
III."A ton adresse
Remporte peau,
Dit la négresse,
De ton zozo!"
IV. Sur le rivage
Le Père Ubu
A la sauvage
Montre son dû.
V. Mais sa conquête
"Colorié
Li blanc bébête
Dans l'encrié!"
VI. Ainsi se broche,
De noir imbu
Dessus Totoche
Le Père Ubu.
VII. Sa signature
Va son chemin
Sur la nature
Du parchemin.
VIII. Le noble sire
Ne s'étonna
Commence écrire
Cet Almanach,
IX. Quand une lame,
Sur ce tableau,
Jette la femme
Au fond de l'eau.
X. Cherche,
et barguigne
A préciser
"Portait pour signe
Demi-baiser!
XI. La croyant sage
Un Malabar
Prit son... corsage
Dix ans plus tard.
XII. Ce pucelage
Etait la peau
D'Ubu volage,
Peau de zozo!
XIII. "Ne me chicane
Ce seul cadeau
Jamais tatane
Dans le dodo!"
LE HOMARD ET LA BOITE
DE CORNED-BEEF QUE PORTAIT
LE DOCTEUR FAUSTROLL
EN SAUTOIR
FABLE
A A.-F. Hérold.
Une boîte de
corned-beef, enchaînée comme une lorgnette,
Vit passer un homard
qui lui ressemblait fraternellement.
Il se cuirassait
d'une carapace dure
Sur laquelle était
écrit à l'intérieur, comme elle, il était sans
arêtes,
(Boneless and
economical) ;
Et sous sa queue
repliée
Il cachait vraisemblablement
une clé destinée à l'ouvrir.
Frappé d'amour,
le corned-beef sédentaire
Déclara à
la petite boîte automobile de conserves vivante
Que si elle consentait
à s'acclimater,
Près de lui,
aux devantures terrestres,
Elle serait décorée
de plusieurs médailles d'or.
Les poèmes ci-dessus
sont extraits de: Alfred Jarry par Jacques-Henry Levesque
Collection Poètes
d'aujourd'hui - Seghers éditeur
On sait qu'Alfred Jarry pratiquait le sport cycliste. Étant moi même adepte de ce sport, je ne résiste pas au plaisir d'insérer ici le texte suivant:
La Passion considérée comme une course de côte
Barrabas, engagé, déclara forfait.
Le starter Pilate, tirant son chronomètre à eau ou clepsydre, ce qui lui mouilla les mains, à moins qu'il n'eût simplement craché dedans, donna le départ.
Jésus démarra à toute allure.
En ce temps là, l'usage était, selon le bon rédacteur sportif saint Mathieu, de flageller au départ les sprinters cyclistes, comme font nos cocher à leurs hippomoteurs. Le fouet est à la fois un stimulant et un massage hygiénique. Donc, Jésus, très en forme, démarra, mais l'accident de pneu arriva tout de suite. Un semis d'épines cribla tout le pourtour de sa roue avant.
On voit, de nos jours, la ressemblance exacte de cette véritable couronne d'épines aux devantures de fabricants de cycles, comme réclame à des pneus increvables. Celui de Jésus, un simple tube de piste ordinaire, ne l'était pas.
Les deux larrons, qui s'entendaient comme larrons en foire, prirent de l'avance.
Il est faux qu'il y ait eu des clous. Les trois figurés dans des images sont les démonte-pneu dit "une minute". Mais il convient que nous relations préalablement les pelles. Et d'abord décrivons en quelques mots la machine. Le cadre est d'invention relativement récente. C'est en 1890 que l'on vit les premières bicyclettes à cadre. Auparavent, le corps de la machine se composait de deux tubes brasés perpendiculairement l'un sur l'autre. C'est ce que l'on appelait la bicyclette à corps droit ou à croix. Donc Jésus, après l'accident de pneumatiques, monta la côte à pied, prenant sur son épaule son cadre ou, si l'on veut, sa croix.
Des gravures du temps reproduisent cette scène, d'après des photographies. Mais il semble que le sport du cycle, à la suite de l'accident bien connu qui termina si fâcheusement la course de la Passion et que rend d'actualité, presque à son anniversaire, l'accident du comte Zborowski à la côte de la Turbie, il semble que ce sport fut interdit un certain temps, par arrêté préfectoral. Ce qui explique que les journaux illustrés, reproduisant la scène célèbre, figurèrent des bicyclettes plutôt fantaisistes. Ils confondirent la croix du corps de la machine avec cette autre croix, le guidon droit. Ils représentèrent Jésus les deux mains écartées sur son guidon, et notons à ce propos que Jésus cyclait couché sur le dos, ce qui avait pour but de diminuer la résistance de l'air.
Nous abrégerons le récit de la course elle-même, racontée tout au long dans des ouvrages spéciaux, et exposée par la sculpture et la peinture dans des monuments ad hoc. Dans la côte du Golgotha, il y a quatorze virages. C'est au troisième que Jésus ramassa la première pelle. Sa mère, aux tribunes, s'alarma.
Le bon entraîneur Simon de Cyrène, de qui la fonction eût été sans l'accident des épines, de le "tirer" et lui couper le vent, porta la machine.
Jésus, quoique ne portant rien, transpira. Il n'est pas certain qu'une spectatrice lui essuya le visage, mais il est exact que la reporteresse Véronique, de son Kodak, prit un instantané.
La seconde pelle eut lieu au septième virage, sur du pavé gras. Jésus dérapa pour la troisième fois sur un rail, au onzième.
Les demi-mondaines d'Israël agitaient leurs mouchoirs au huitième.
Le déplorable accident que l'on sait se place au douzième virage. Jésus était à ce moment dead-head avec les deux larrons. On sait aussi qu'il continua la course en aviateur...
Ce texte, extrait de "Alfred
Jarry en verve", édition Horay, a été reproduit dans
un numéro hors-série du Journal "L'Humanité" consacré
au centième anniversaire du tour de France, en juillet 2003.
.
Alfred Jarry à bicyclette quittant sa maison de Corbeil pour se rendre à Paris (Photo Harlingue-Viollet) |
Paul Eluard est certainement
le poète surréaliste que j'ai le plus lu. Je pense
avoir parcouru
la quasi totalité de son oeuvre. Ses poèmes enthousiasmèrent
mon adolescence.
POUR VIVRE ICI (1918)
Je fis un feu, l'azur
m'ayant abandonné,
Un feu pour être
son ami,
Un feu pour m'introduire
dans la nuit d'hiver,
Un feu pour vivre
mieux.
Je lui donnai ce
que le jour m'avait donné:
Les forêts,
les buissons, les champs de blé, les vignes,
Les nids et leurs
oiseaux, les maisons et leurs clés,
Les insectes, les
fleurs, les fourrures, les fêtes.
Je vécus au
seul bruit des flammes crépitantes,
Au seul parfum de
leur chaleur;
J'étais comme
un bateau coulant dans l'eau fermée,
Comme un mort je
n'avais qu'un unique élément.
Carte postale de la collection Paul Eluard
|
EN VERTU DE L'AMOUR
J’ai dénoué
la chambre où je dors, où je rêve,
Dénoué
la campagne et la ville où je passe,
Où je rêve
éveillé, où le soleil se lève,
Où, dans
mes yeux absents, la lumière s’amasse.
Monde au petit bonheur,
sans surface et sans fond,
Aux charmes oubliés
sitôt que reconnus,
La naissance et
la mort mêlent leur contagion
Dans les plis de
la terre et du ciel confondus.
Je n’ai rien séparé
mais j’ai doublé mon cœur.
D’aimer, j’ai tout
créé : réel, imaginaire,
J’ai donné
sa raison, sa forme, sa chaleur
Et son rôle
immortel à celle qui m’éclaire.
LE PHENIX
Je suis le dernier
sur ta route
Le dernier printemps
la dernière neige
Le dernier combat
pour ne pas mourir
Et nous voici plus
bas et plus haut que jamais.
Il y a de tout dans
notre bûcher
Des pommes de pin
des sarments
Mais aussi des fleurs
plus fortes que l'eau
De la boue et de
la rosée,
La flamme est sous
nos pieds la flamme nous couronne
A nos pieds des
insectes des oiseaux des hommes
Vont s'envoler
Ceux qui volent vont se poser.
Ces derniers vers constituent
le début du Recueil "Le Phénix"
paru aux éditions
Seghers
Et pour lire d'autres poèmes d'Eluard,
cliquez
ici
André Breton,
théoricien du surréalisme, était à mes yeux,
l'écrivain
le plus prestigieux.
Quelques temps après mon arrivée à Paris, je lui
écrivis. Il
fit lire sa lettre à quelques amis et me répondit en me
proposant de la publier
dans la revue "Médium" ou bien de lui
envoyer un autre texte
si je préférais y intervenir sous une forme
différente.
Cette brève correspondance resta sans lendemain mais
elle figure aujourd'hui
dans le fonds
Doucet.
.
DIRE
(1914)
Dire, à voir
cette main sur l'éther bleu flottante
Du voeu de la plus
chère offrande à la Madone
Savoir aussi quelle
urne invisible elle penche
Pour, au gré
de la voix qui la module, étrange
Un poème
de jeunesse, fortement influencé par Mallarmé, extrait
|
Au regard des divinités
A Louis Aragon
"Un peu avant minuit
près du débarcadère.
"Si une femme échevelée
te suis n'y prends pas garde.
"C'est l'azur. Tu
n'as rien à craindre de l'azur.
"Il y aura un grand
vase blond dans un arbre.
"Le clocher du village
des couleurs fondues
"Te servira de point
de repère. Prends ton temps,
"Souviens-toi. Le
geyser brun qui lance au ciel les pousses de fougère
"Te salue."
La lettre cachetée aux trois coins d'un poisson
Passait maintenant
dans la lumière des faubourgs
Comme une enseigne
de dompteur.
Au demeurant
La belle, la victime,
celle qu'on appelait
Dans le quartier
la petite pyramide de réséda
Décousait
pour elle seule un nuage pareil
A un sachet de pitié.
Plus tard l'armure blanche
Qui vaquait aux
soins domestiques et autres
En prenant plus
fort à son aise que jamais,
L'enfant à
la coquille, celui qui devait être...
Mais silence.
Un brasier déjà donnait prise
En son sein à
un ravissant roman de cape
Et d'épée.
Sur le pont à la même heure,
Ainsi la rosée
à tête de chatte se berçait.
La nuit, - et les
illusions seraient perdues.
Voici les Pères
blancs qui reviennent des vêpres
Avec l'immense clé
pendue au-dessus d'eux.
Voici les hérauts
gris; enfin voici sa lettre
Ou sa lèvre:
mon coeur est un coucou pour Dieu.
Mais le temps qu'elle
parle, il ne reste qu'un mur
Battant dans un
tombeau comme une voile bise.
L'éternité
recherche une montre-bracelet
Un peu avant minuit
près du débarcadère.
C'est moi ouvrez
Les carreaux d'air
se brisent à leur tour
Il n'y a plus de
miroirs depuis longtemps
Et les femmes se
défendent jour et nuit d'être belles
A l'approche des
oiseaux qui vont se poser sur leur épaule
Elles renversent
doucement la tête dans fermer les yeux
Le parquet et les
meubles saignent
Une araignée
lance sa toile bleue sur un cadre vide
Des enfants une
lampe à la main avancent dans les bois
Ils demandent l'ombre
des lacs aux feuilles
Mais les lacs silencieux
sont trop attirants
On ne voit bientôt
plus à la surface qu'une petite lampe qui baisse
Sur les trois portes
de la maison sont cloués trois hibous blancs
En souvenirs des
amours de l'heure
L'extrêmité
de leurs ailes est dorée comme les couronnes de papier
qui tombent en tournoyant des arbres morts
La voix de ces études
met des chardons aux lèvres
Sous la neige le
paratonnerre charme les étoiles épervières
Les deux
derniers poèmes sont extraits de: "André Breton - Poésie
et Autre" -
Le Club
du meilleur livre éditeur
Tournesol
La voyageuse qui
traverse les Halles à la tombée de l'été
Marchait sur la
pointe des pieds
Le désespoir
roulait au ciel ses grands arums si beaux
Et dans le sac à
main il y avait mon rêve ce flacon de sels
Que seule a respiré
la marraine de Dieu
Les torpeurs se
déployaient comme la buée
Au Chien qui fume
Ou venaient d'entrer
le pour et le contre
La jeune femme ne
pouvait être vue d'eux que mal et de biais
Avais-je affaire
à l'ambassadrice du salpêtre
Ou de la courbe
blanche sur fond noir que nous appelons pensée
Les lampions prenaient
feu lentement dans les marronniers
La dame sans ombre
s'agenouilla sur le Pont-au-Change
Rue Git-le-Coeur
les timbres n'étaient plus les mêmes
Les promesses de
nuits étaient enfin tenues
Les pigeons voyageurs
les baisers de secours
Se joignaient aux
seins de la belle inconnue
Dardés sous
le crêpe des significations parfaites
Une ferme prospérait
en plein Paris
Et ses fenêtres
donnaient sur la voie lactée
Mais personne ne
l'habitait encore à cause des survenants
Des survenants qu'on
sait plus dévoués que les revenants
Les uns comme cette
femme ont l'air de nager
Et dans l'amour
il entre un peu de leur substance
Elle les intériorise
Je ne suis le jouet
d'aucune puissance sensorielle
Et pourtant le grillon
qui chantait dans les cheveux de cendres
Un soir près
de la statue d'Etienne Marcel
M'a jeté
un coup d'oeil d'intelligence
André Breton
a-t-il dit passe
On pourra aussi lire un autre poème
ici
Et pour en savoir plus sur André
Breton, cliquez
ici
Le
nuage en pantalon (1915)
........
Vous,
que tourmente une
seule idée:
"est-il un élégant
danseur",
regardez à
quoi je m'amuse
moi,
souteneur des trottoirs
et tricheur aux
cartes.
Loin de vous,
qui baignez dans
vos amourettes,
vous de qui
coulait un pleur
séculaire,
je m'en irai, moi,
le soleil pour monocle
vissé dans
mon oeil large ouvert.
............
...........
Moi qui chante la
machine et l'Angleterre
peut-être
suis-je simplement
dans le plus banal
des évangiles
un treizième
apôtre.
Et pendant que ma
voix
hulule, obscène
d'heure en heure
jour et nuit,
Jésus-Christ
respire peut-être
les myosotis de
mon âme.
...........
Extrait de "Maïakovski" par Elsa Triolet - P. Seghers éditeur
La
flûte des vertèbres (1916)
........
Et le ciel
oubliant dans les
fumées d'être bleu
et les nuages, comme
des réfugiés en haillons
je les embraserai
de mon dernier amour.
De joie je couvrirai
les hurlements
des hordes
qui ont oublié
la douceur d'une maison:
Hommes,
écoutez!
Sortez des tranchées,
vous finirez la
guerre plus tard.
Même quand
titubant de sang
comme Bacchus
un combat se livre,
les mots d'amour
ne sont jamais flétris.
Chers Allemands!
je le sais,
sur vos lèvres
vous avez
la Gretchen de Goethe.
Mais qu'est pour
moi la mollesse rose
mâchonnée
par les siècles.
Aujourd'hui, tombez
à d'autres pieds!
C'est toi que je
chante,
maquillée
et
rousse.
Peut-être que
de ces jours,
terribles comme
les pointes des baïonnettes,
quand les siècles
blanchiront de barbes,
ne resteront que
toi
et moi
lancé à
ta poursuite de ville en ville.
Que tu sois promise
de l'autre côté de l'eau,
et je te baiserai,
à travers le brouillard de Londres,
des lèvres
de feu de ses réverbères.
Que dans le désert
torride tu étires des caravanes
là où
les lions se tiennent sur leur garde -
et je poserai pour
toi
sous la poussière,
déchirée par le vent,
ma joue brûlante
de Sahara.
Que tu habilles d'un
sourire tes lèvres,
que tu regardes
-
(Qu'il est beau,
le toréador!)
et soudain je
lancerai dans les
loges la jalousie
de l'oeil mourant
du taureau.
Que tu portes sur
le pont un pas distrait
pensant: -
« Il ferait
bon en bas »,
et c'est moi
qui coule sous le
pont,
je suis la Seine,
je t'appelle,
je montre mes dents
pourries.
Qu'avec un autre
tu allumes dans le feu des trotteurs
Strelka ou Sokolniki,
Et c'est moi, grimpé
là-haut, là-haut
qui attends, petite
lune languissante et nue.
Je suis fort,
ils pourraient avoir
besoin de moi.
S'ils m'ordonnent
"Tue-toi à
la guerre!"
il sera le dernier
ton nom
caillé sur
la lèvre déchirée par l'obus.
Mourrai-je couronné?
A Sainte-Hélène?
Des tempêtes
de la vie scellant les vagues,
je suis aussi bien
candidat
et au trône
de l'univers
et aux menottes.
Il m'est échu
d'être tsar;
c'est à l'image
de ton petit visage,
sur l'or solaire
de ma monnaie,
que j'ordonne à
mon peuple:
frappe!
Et là-bas,
où le monde se fane dans la toundra,
où le vent
du Nord marchande avec le fleuve,
je gratterai sur
la chaîne le nom de Lili
et j'embrasserai
la chaîne dans les ténèbres du bagne.
Alors, écoutez,
vous qui oubliez que le ciel est bleu,
le poil hérissé
comme celui des
bêtes!
Ceci est peut-être
le dernier amour
du monde
embrasé d'un
rose de poitrinaire.
.......
Extrait de "Maïakovski" par Elsa Triolet - P. Seghers éditeur
La guerre (anticipation) (1929)
.......
Les scribouilleurs
de l'histoire
rédigent
leurs mémoires.
Mais la douleur des nôtres,
de nos proches,
crie après nous
du fond des chiffres secs.
Trente millions
ont servi de cible,
des millions
par centaines
hurlent et se lamentent.
Mais même
cet enfer
aura l'air d'un grelot
au gré
de ce qui s'approche,
la guerre qu'on apprête.
Par toutes les échines
dans les camps brisées,
par les bras coupés
sur les tables opératoires,
par toutes les blessures
que l'automne
réveille,
par les coups frappés
de toutes les béquilles,
par les trous des gueules
cassées au combat,
par la voix,
le cri
du mal des gazés -
aujourd'hui
l'univers
va clamer:
- A bas!
Jamais plus!
On ne marche pas!
On s'y oppose!
........
Extrait
de "Maïakovski Vers et Proses" choisis, traduits du Russe
et présentés
par Elsa Triolet - Les Éditeurs Français Réunis
Et pour en savoir plus sur Maïakovski,
cliquez
ici
Un de mes poètes
préférés. Il n'y a rien à ajouter. Ses textes
suffisent.
L'arrachage des têtes
Ils tenaient seulement à le tirer par les cheveux. Ils ne voulaient pas lui faire de mal. Ils lui ont arraché la tête d'un coup. Sûrement elle tenait mal. Ça ne vient pas comme ça. Sûrement il lui manquait quelque chose.
Quand elle n'est plus sur les épaules, elle embarrasse. Il faut la donner. Mais il faut la laver, car elle tache la main de celui a qui on la donne. Il fallait la laver. Car celui qui l'a reçue, les mains déjà baignées de sang, commence a avoir des soupçons et il commence à regarder comme quelqu'un qui attend des renseignements.
Bah! on l'a trouvée en jardinant... On l'a trouvée au milieu d'autres... On l'a choisie parce qu'elle paraissait plus fraîche. S'il en préfère une autre... on pourrait aller voir. Qu'il garde toujours celle-là en attendant... Et ils s'en vont suivis d'un regard qui ne dit ni oui ni non, un regard fixe.
Si on allait voir du côté de l'étang. Dans un étang on trouve quantité de choses. Peut-être un noyé ferait-il l'affaire.
Dans un étang on s'imagine qu'on trouvera ce qu'on voudra. On en revient vite et l'on en revient bredouille.
Où trouver des têtes toutes prêtes à offrir? Où trouver ça sans trop d'histoires?
-Moi j'ai bien mon cousin germain. Mais
nous avons autant dire la même tête. Jamais on ne croira que
je l'ai trouvée par hasard.
-Moi... il y a mon ami Pierre. Mais il
est d'une force à ne pas se la laisser enlever comme ça.
-Bah, on verra. L'autre est venue si facilement.
C'est ainsi qu'ils s'en vont en proie à leur idée et ils arrivent chez Pierre. Ils laissent tomber un mouchoir. Pierre se baisse. Comme pour le relever, en riant, on le tire en arrière par les cheveux. La tête est venue arrachée. La femme de Pierre entre, furieuse... Soûlaud, voilà qu'il a encore renversé le vin. Il n'arrive même plus à le boire. Il faut encore qu'il le renverse à terre. Et ça ne sait même plus se relever...
Et elle s'en va pour chercher de quoi nettoyer. Ils la retiennent donc par les cheveux. Le corps tombe en avant. La tête leur reste dans la main. Une tête furieuse qui se balance aux longs cheveux.
Un grand chien surgit, qui aboie fortement. On lui donne un coup de pied et la tête tombe.
Maintenant ils en ont trois. Trois c'est un bon chiffre. Et puis il y a du choix. Ce ne sont vraiment pas des têtes pareilles. Non, un homme, une femme, un chien. Et ils repartent vers celui qui a déjà une tête, et ils le retrouvent qui attend. Ils lui mettent sur les genoux le bouquet de têtes. Lui met à gauche la tête de l'homme, près de la première tête, et la tête de chien et la tête de femme et ses longs cheveux de l'autre côté. Puis il attend.
Et il les regarde d'un regard fixe, d'un regard qui ne dit ni oui ni non.
-Oh! celles-là, on les a trouvées chez un ami. Elles étaient là dans la maison... N'importe qui aurait pu les emporter. Il n'y en avait pas d'autres. On a pris celles qu'il y avait. Une autre fois on sera plus heureux. Après tout, ça a été de la chance. Ce ne sont pas les têtes qui manquent heureusement. Tout de même, il est déjà tard. Les trouver dans l'obscurité. Le temps de les nettoyer, surtout celles qui seraient dans la boue. Enfin, on essaiera... Mais, à nous deux, on ne peut quand même pas en rapporter des tombereaux. C'est entendu... On y va... Peut-être qu'il en est tombé quelques-unes depuis tout à l'heure. On verra...
Et ils s'en vont suivis d'un regard qui ne dit ni oui ni non, suivis d'un regard fixe.
-Oh! moi, tu sais. Non! Tiens! prends ma
tête. Retourne avec, il ne la reconnaîtra pas. Il ne les regarde
même pas. Tu lui diras... tenez, en sortant, j'ai buté là-dessus.
C'est une tête; il me semble. Je vous l'apporte. Et ce sera suffisant
pour aujourd'hui, n'est-ce pas?...
-Mais mon vieux, je n'ai que toi.
-Allons, allons pas de sensibilité.
Prends-la. Allons, tire, tire fort, mais plus fort, voyons.
-Non. Tu vois, ça ne va pas. C'est
notre châtiment. Allez, essaie la mienne, tire, tire.
Mais les têtes ne partent pas. De
bonnes têtes d'assassins. Ils ne savent plus que faire, ils reviennent,
ils retournent, ils reviennent, ils repartent, ils repartent, suivis du
regard qui attend, un regard fixe. Enfin ils se perdent dans la nuit, et
ça leur est d'un grand soulagement; pour eux, pour leur conscience.
Demain, ils repartiront au hasard dans une direction, qu'ils suivront tant
qu'ils pourront. Ils essaieront de se faire une vie. C'est bien difficile.
On essaiera. On essaiera de ne plus songer à rien de tout ça,
à vivre comme avant, comme tout le monde...
L'arrachage des têtes
Ils tenaient seulement à le tirer par les cheveux. Ils ne voulaient pas lui faire de mal. Ils lui ont arraché la tête d'un coup. Sûrement elle tenait mal. Ça ne vient pas comme ça. Sûrement il lui manquait quelque chose.
Quand elle n'est plus sur les épaules, elle embarrasse. Il faut la donner. Mais il faut la laver, car elle tache la main de celui a qui on la donne. Il fallait la laver. Car celui qui l'a reçue, les mains déjà baignées de sang, commence a avoir des soupçons et il commence à regarder comme quelqu'un qui attend des renseignements.
Bah! on l'a trouvée en jardinant... On l'a trouvée au milieu d'autres... On l'a choisie parce qu'elle paraissait plus fraîche. S'il en préfère une autre... on pourrait aller voir. Qu'il garde toujours celle-là en attendant... Et ils s'en vont suivis d'un regard qui ne dit ni oui ni non, un regard fixe.
Si on allait voir du côté de l'étang. Dans un étang on trouve quantité de choses. Peut-être un noyé ferait-il l'affaire.
Dans un étang on s'imagine qu'on trouvera ce qu'on voudra. On en revient vite et l'on en revient bredouille.
Où trouver des têtes toutes prêtes à offrir? Où trouver ça sans trop d'histoires?
-Moi j'ai bien mon cousin germain. Mais
nous avons autant dire la même tête. Jamais on ne croira que
je l'ai trouvée par hasard.
-Moi... il y a mon ami Pierre. Mais il
est d'une force à ne pas se la laisser enlever comme ça.
-Bah, on verra. L'autre est venue si facilement.
C'est ainsi qu'ils s'en vont en proie à leur idée et ils arrivent chez Pierre. Ils laissent tomber un mouchoir. Pierre se baisse. Comme pour le relever, en riant, on le tire en arrière par les cheveux. La tête est venue arrachée. La femme de Pierre entre, furieuse... Soulaud, voilà qu'il a encore renversé le vin. Il n'arrive même plus à le boire. Il faut encore qu'il le renverse à terre. Et ça ne sait même plus se relever...
Et elle s'en va pour chercher de quoi nettoyer. Ils la retiennent donc par les cheveux. Le corps tombe en avant. La tête leur reste dans la main. Une tête furieuse qui se balance aux longs cheveux.
Un grand chien surgit, qui aboie fortement. On lui donne un coup de pied et la tête tombe.
Maintenant ils en ont trois. Trois c'est un bon chiffre. Et puis il y a du choix. Ce ne sont vraiment pas des têtes pareilles. Non, un homme, une femme, un chien. Et ils repartent vers celui qui a déjà une tête, et ils le retrouvent qui attend. Ils lui mettent sur les genoux le bouquet de têtes. Lui met à gauche la tête de l'homme, près de la première tête, et la tête de chien et la tête de femme et ses longs cheveux de l'autre côté. Puis il attend.
Et il les regarde d'un regard fixe, d'un regard qui ne dit ni oui ni non.
-Oh! celles-là, on les a trouvées chez un ami. Elles étaient là dans la maison... N'importe qui aurait pu les emporter. Il n'y en avait pas d'autres. On a pris celles qu'il y avait. Une autre fois on sera plus heureux. Après tout, ça a été de la chance. Ce ne sont pas les têtes qui manquent heureusement. Tout de même, il est déjà tard. Les trouver dans l'obscurité. Le temps de les nettoyer, surtout celles qui seraient dans la boue. Enfin, on essaiera... Mais, à nous deux, on ne peut quand même pas en rapporter des tombereaux. C'est entendu... On y va... Peut-être qu'il en est tombé quelques-unes depuis tout à l'heure. On verra...
Et ils s'en vont suivis d'un regard qui ne dit ni oui ni non, suivis d'un regard fixe.
-Oh! moi, tu sais. Non! Tiens! prends ma
tête. Retourne avec, il ne la reconnaîtra pas. Il ne les regarde
même pas. Tu lui diras... tenez, en sortant, j'ai buté là-dessus.
C'est une tête; il me semble. Je vous l'apporte. Et ce sera suffisant
pour aujourd'hui, n'est-ce pas?...
-Mais mon vieux, je n'ai que toi.
-Allons, allons pas de sensibilité.
Prends-la. Allons, tire, tire fort, mais plus fort, voyons.
-Non. Tu vois, ça ne va pas. C'est
notre châtiment. Allez, essaie la mienne, tire, tire.
Mais les têtes ne partent pas. De
bonnes têtes d'assassins. Ils ne savent plus que faire, ils reviennent,
ils retournent, ils reviennent, ils repartent, ils repartent, suivis du
regard qui attend, un regard fixe. Enfin ils se perdent dans la nuit, et
ça leur est d'un grand soulagement; pour eux, pour leur conscience.
Demain, ils repartiront au hasard dans une direction, qu'ils suivront tant
qu'ils pourront. Ils essaieront de se faire une vie. C'est bien difficile.
On essaiera. On essaiera de ne plus songer à rien de tout ça,
à vivre comme avant, comme tout le monde...
L'arrachage des têtes
Ils tenaient seulement A le tirer par les cheveux. Ils ne voulaient pas lui faire de mal. Ils lui ont arraché la tête d'un coup. Sûrement elle tenait mal. Ça ne vient pas comme ça. Sûrement il lui manquait quelque chose.
Quand elle n'est plus sur les épaules, elle embarrasse. Il faut la donner. Mais il faut la laver, car elle tache la main de celui a qui on la donne. Il fallait la laver. Car celui qui l'a reçue, les mains déjà baignées de sang, commence a avoir des soupçons et il commence à regarder comme quelqu'un qui attend des renseignements.
Bah! on l'a trouvée en jardinant... On l'a trouvée au milieu d'autres... On l'a choisie parce qu'elle paraissait plus fraîche. S'il en préfère une autre... on pourrait aller voir. Qu'il garde toujours celle-là en attendant... Et ils s'en vont suivis d'un regard qui ne dit ni oui ni non, un regard fixe.
Si on allait voir du côté de l'étang. Dans un étang on trouve quantité de choses. Peut-être un noyé ferait-il l'affaire.
Dans un étang on s'imagine qu'on trouvera ce qu'on voudra. On en revient vite et l'on en revient bredouille.
Où trouver des têtes toutes prêtes à offrir? Où trouver ça sans trop d'histoires?
-Moi j'ai bien mon cousin germain. Mais
nous avons autant dire la même tête. Jamais on ne croira que
je l'ai trouvée par hasard.
-Moi... il y a mon ami Pierre. Mais il
est d'une force à ne pas se la laisser enlever comme ça.
-Bah, on verra. L'autre est venue si facilement.
C'est ainsi qu'ils s'en vont en proie à leur idée et ils arrivent chez Pierre. Ils laissent tomber un mouchoir. Pierre se baisse. Comme pour le relever, en riant, on le tire en arrière par les cheveux. La tête est venue arrachée. La femme de Pierre entre, furieuse... Soulaud, voilà qu'il a encore renversé le vin. Il n'arrive même plus à le boire. Il faut encore qu'il le renverse à terre. Et ça ne sait même plus se relever...
Et elle s'en va pour chercher de quoi nettoyer. Ils la retiennent donc par les cheveux. Le corps tombe en avant. La tête leur reste dans la main. Une tête furieuse qui se balance aux longs cheveux.
Un grand chien surgit, qui aboie fortement. On lui donne un coup de pied et la tête tombe.
Maintenant ils en ont trois. Trois c'est un bon chiffre. Et puis il y a du choix. Ce ne sont vraiment pas des têtes pareilles. Non, un homme, une femme, un chien. Et ils repartent vers celui qui a déjà une tête, et ils le retrouvent qui attend. Ils lui mettent sur les genoux le bouquet de têtes. Lui met à gauche la tête de l'homme, près de la première tête, et la tête de chien et la tête de femme et ses longs cheveux de l'autre côté. Puis il attend.
Et il les regarde d'un regard fixe, d'un regard qui ne dit ni oui ni non.
-Oh! celles-là, on les a trouvées chez un ami. Elles étaient là dans la maison... N'importe qui aurait pu les emporter. Il n'y en avait pas d'autres. On a pris celles qu'il y avait. Une autre fois on sera plus heureux. Après tout, ça a été de la chance. Ce ne sont pas les têtes qui manquent heureusement. Tout de même, il est déjà tard. Les trouver dans l'obscurité. Le temps de les nettoyer, surtout celles qui seraient dans la boue. Enfin, on essaiera... Mais, à nous deux, on ne peut quand même pas en rapporter des tombereaux. C'est entendu... On y va... Peut-être qu'il en est tombé quelques-unes depuis tout à l'heure. On verra...
Et ils s'en vont suivis d'un regard qui ne dit ni oui ni non, suivis d'un regard fixe.
-Oh! moi, tu sais. Non! Tiens! prends ma
tête. Retourne avec, il ne la reconnaîtra pas. Il ne les regarde
même pas. Tu lui diras... tenez, en sortant, j'ai buté là-dessus.
C'est une tête; il me semble. Je vous l'apporte. Et ce sera suffisant
pour aujourd'hui, n'est-ce pas?...
-Mais mon vieux, je n'ai que toi.
-Allons, allons pas de sensibilité.
Prends-la. Allons, tire, tire fort, mais plus fort, voyons.
-Non. Tu vois, ça ne va pas. C'est
notre châtiment. Allez, essaie la mienne, tire, tire.
Mais les têtes ne partent pas. De bonnes têtes d'assassins. Ils ne savent plus que faire, ils reviennent, ils retournent, ils reviennent, ils repartent, ils repartent, suivis du regard qui attend, un regard fixe. Enfin ils se perdent dans la nuit, et ça leur est d'un grand soulagement; pour eux, pour leur conscience. Demain, ils repartiront au hasard dans une direction, qu'ils suivront tant qu'ils pourront. Ils essaieront de se faire une vie. C'est bien difficile. On essaiera. On essaiera de ne plus songer à rien de tout ça, à vivre comme avant, comme tout le monde...
Extrait de "Plume" - Gallimard éditeur
Et pour en savoir plus
sur Henri Michaux, cliquez
ici
Des milliers d'yeux
jaunes luisent dans la forêt,
Me réclament
le sang.
Que je ferme un instant
les yeux,
Ils s'abattront
sur moi,
Ils me dissoudront
dans l'humus
Où depuis
toujours
Je sens mon odeur.
_____________________________
Mais mourir,
Ce peut être
une grande fatigue
Un soir,
Et un aveu.
_____________________________
Les
Rocs
..............
IV
Ils n'ont pas à
porter leur face
Comme un supplice.
Ils n'ont pas à
porter de face
Où tout se
lit.
.............
Extraits de "Terraqué" - Poésie/Gallimard
Amulettes
La scie va dans le
bois,
Le bois est séparé
Et c'est la scie
Qui a crié.
...........
_______________________________
Voir le dedans des
murs
Ne nous est pas
donné.
On a beau les casser,
Leur façade
est montrée.
Bien sûr que
c'est pareil
En nous et dans
les murs,
Mais voir
Apaiserait.
Extraits de "Exécutoire" - Poésie/Gallimard
LES CHARNIERS
Passez entre les
fleurs et regardez:
Au bout du pré
c'est le charnier.
Pas plus de cent,
mais bien en tas,
Ventre d'insecte
un peu géant
Avec des pieds à
travers tout.
Le sexe est dit par
les souliers,
Les regards ont
coulé sans doute.
-Eux aussi
Préféraient
des fleurs.
_______________________________
A l'un des bords
du charnier,
Légèrement
en l'air et hardie,
Une jambe - de femme
Bien sûr -
Une jambe jeune
Avec un bas noir
Et une cuisse,
Une vraie,
Jeune - et rien,
Rien.
________________________________
Le linge n'est pas
Ce qui pourrit le
plus vite.
On en voit par là,
Durci de matières,
Il donne apparence
De chairs à
cacher qui tiendraient encore.
_________________________________
Combien ont su pourquoi,
Combien sont morts
sachant,
Combien n'ont pas
su quoi?
Ceux qui auront pleuré,
Leurs yeux sont
tout pareils,
C'est des trous dans
des os
Ou c'est du plomb
qui fond.
_________________________________
Ils ont dit oui
A la pourriture.
Ils ont accepté,
Ils nous ont quitté.
Nous n'avons rien
à voir
Avec leur pourriture.
_________________________________
On va, autant qu'on
peut,
Les séparer,
Mettre chacun d'eux
Dans un trou à
lui,
Parce qu'ensemble
Ils font trop de
silence contre le bruit.
_________________________________
Quand la bouche est
ouverte
Ou bien ce qui en
reste,
C'est qu'ils ont
dû chanter
Qu'ils ont crié
victoire,
Ou c'est le maxillaire
Qui leur tombait
de peur.
-Peut-être
par hasard
Et la terre est
entrée.
_________________________________
Il y a des endroits
où l'on ne sait plus
Si c'est la terre
glaise ou si c'est la chair.
Et l'on est peureux
que la terre, partout,
Soit pareille et
colle.
________________________________
Encore s'ils devenaient
aussitôt
Des squelettes,
Aussi nets et durs
Que de vrais squelettes
Et pas cette masse
Avec la boue.
_________________________________
Lequel de nous voudrait
Se coucher parmi
eux
Une heure, une heure
ou deux,
Simplement pour
l'hommage.
_________________________________
Où est la
plaie
Qui fait réponse?
Où est la
plaie
Des corps vivants?
Où est la
plaie -
Pour qu'on la voie,
Qu'on la guérisse
________________________________
Ici
Ne repose pas,
Ici ou là,
jamais
Ne reposera
Ce qui reste,
Ce qui restera
De ces corps-là.
Extrait
de "Fractures" - Éditions de Minuit
Je ne me souviens plus
comment je suis entré en contact avec Jean
L'Anselme. J'étais
alors ouvrier d'usine et il dirigeait la revue
"Peuple et Poésie".
A la suite
de la lecture d'une coupure de presse
me concernant, il
me demanda des
précisions sur mon métier et mes
préférences
poétiques en ajoutant de le tenir
au courant de mes
activités et
qu'il m'aiderait dans la mesure de ses moyens.
Je devais
malheureusement être
rapidement licencié de mon emploi pour
faute
professionnelle grave,
c'est-à-dire fait de grève, et j'eus dès lors
d'autres sujets de
préoccupation...
.
ils
s'aimaient que leurs bras n'en pouvaient plus de s'accrocher
et agrippaient des rêves comme des algues saoules d'ivresse ils s'aimaient que le monde s'entrouvrait sous le poids de leur amour et que les murs du ciel titubaient de vertige ils s'aimaient que les yeux en perdaient la mesure à sonder les infinis ils s'aimaient comme on ne peut ils s'aimaient à n'en plus pouvoir alors comme il était
difficile d'aller plus loin dans leur frénésie d'exigences
le lendemain au rendez-vous
à son cou |
Je rencontrai Robert
Edouard sur le conseil d'un ouvrier qui
travaillait dans la
même usine que moi. Robert Edouard était
l'un des rédacteurs
du journal "Monde Ouvrier". Je crois même
qu'il en était
le principal, sinon l'unique. Il écrivait aussi
des chroniques cinématographiques.
On rencontrait chez lui,
où je me rendis
plusieurs fois, des comédiens et des actrices.
Je lui dois d'avoir
retrouvé du travail après mon licenciement
pour fait de grève.
J'étais au chômage, sans indemnité, et mes
maigres ressources
s'épuisaient. Robert Edouard, grâce à ses
relations, me tira
d'embarras et me permit de commencer une
nouvelle carrière,
hors des usines. J'ai contracté envers lui
une dette qui ne peut
pas s'éteindre.
JE SUIS NÉ D'UNE SANS ÉTOILE
Je suis né
d'une sans étoile
Pas jolie, naïve,
orpheline,,
Qui a grandi dans
les cuisines
Rodant toujours
autour des poêles
Des faux foyers
d'orphelinats.
Elle n'a connu de
l'amour
Que la méchante
tyrannie,
Son père
aimait bien trop la vie,
Le mien pas assez,
et un jour
Il en est mort.
J'étais petit.
Elle n'a connu de
l'amour
Que l'ennui des
premières nuits
Je l'ai blessée
aux premiers jours,
Elle n'a que moi
dans sa vie.
Je ne suis pas bon
tous les jours.
Elle n'a connu de
l'amour
Que les docteurs,
les sages-femmes,
Elle n'a connu de
l'amour
Que les larmes de
toutes sortes,
De mon landeau jusqu'au
cercueil
De mon père.
Et elle est gênée
Quand elle entend
des amoureux
Ou des gens se disant
heureux.
Oh! ce n'est
pas par jalousie
Mais elle y voit
des comédies...
Extrait
de "Je suis né d'une sans étoile" - Chez l'auteur
J'ai connu Henri Pichette par le truchement
d'un libraire, peu de temps après mon arrivée
à Paris, en 1953. J'habitais alors
rue du Grand Prieuré, près de la Place de la République.
Henri Pichette était un jeune poète
très doué et déjà connu. Gérard Philippe
avait joué sa
pièce de théâtre "Les
Epiphanies". C'est cet ouvrage qu'il m'a dédicacé.
.
Il
tire le fil de la mer, et elle vient. Il siffle les langues, et
elles accourent déliées. Il se consacre à la
culture des signaux, repique les jeunes plans du jour, attribue la laitance
et désannexe l'oeuf du lustre maternel. Il a largué
la voile à son oreille et la poésie lui insuffle
les îles, toutes les îles du Roman qu'est la Vie.
Insulaire, comme tout est propre ici! Comme les entrailles te sont claires! Le froment donne au sang ce goût de soleil âpre, où va ton corps puiser la force de dormir. C'est dans ta salive que désormais pépitent les poissons. Nous, du nadir, ne sommes plus sourds au zénith. Vice-versa. Nous avons entendu gémir sous poids d'homme une eau de mer. Eblouissante, cette audition qui fait aux yeux de chacun jaillir l'eau absolue effaçant les tortures. Quelqu'un marche dans l'univers à côté! Je vous demande si nous devons lui ouvrir. Toute réponse est un affluent du coeur. Pronom d'Ensemble, telle est bien la matière de la lumière. Je n'ai pas tombé ma robe où s'accrochait un coeur! Un grand pas vient d'être fait. On en voit sur l'eau même la trace du pied nu. Perpétuez vos symphonies, ô rivages. Poursuivez votre couture, ô écumes. Extrait de "Le Point vélique" - Mercure de France éditeur |
Je fis la connaissance
de Jacques Exbrayat à l'usine où nous étions ouvriers,
avant mon licenciement.
Nous étions tous deux originaires de la même
région et nous
devînmes amis. A ma connaissance, il ne publia qu'un
seul recueil de poèmes
dont il me demanda d'écrire la préface. Par la
suite, il quitta Paris,
pour retourner vivre dans son Auvergne natale,
et nos relations alors
s'espacèrent.
.
Le
pétale blanc
que la bourrasque neige pose sa blancheur La roche suie s'est vêtue de son linge comme le coeur Il est attendu sous
l'immense linceul
Tandis que la bougie
|
Une fine dentelle
s'était tressée entre deux âmes
Une fine dentelle
s'est rompue
Lourd comme un fruit
mûr
un coeur
s'est écrasé
dessus
Amie
pourquoi as-tu répondu après avoir parlé
en mon coeur
si fragile
Vapeurs mauves
odeurs de chrysanthème
chute doucereuse
de la vie
seuil noir de la mort
frôle
de tes traits à blanche vitesse
l'âme en spirale de protection
comme le serpent
de chrome tressaille
au balaiement
de l'herbe sèche
Mais passe ta route
chiffonnée
qui se perd dans
le corps de l'homme
patiente
et ne m'atteint
dans ma rigidité royale
Mon temps s'accomplira
et sonnera le vert sulfate
de ton rire à
dents phosphorescentes
éclatant de sarcastiques claques
qui ébroueront
ma cendre
Ris et réjouis-toi
de me voir terrifié
aux visions de mes poussières
Extraits
de "Nuit d'argile" - Philippe Mas éditeur
Je crois me souvenir
que j'ai connu Bernard Edelman par l'intermédiaire de Jacques
Exbrayat, peu de temps
après être venu à Paris, vers 1954. Nous formions un
petit
groupe qui se réunissait
assez souvent pour parler littérature et surtout poésie.
Nous
fréquentions
le Radar, j'y reviendrai plus loin. Je connaissais pratiquement toute la
famille de Bernard,
surtout sa soeur Jacqueline, et nous étions amis. Mon départ
en
banlieue, en 1958,
mit un terme à ces rencontres. Je retrouvai Jacqueline, 10 ans
plus tard, sur les
bancs de la Sorbonne, pendant les événements de mai. Nous
recommençames
à nous voir jusqu'à mon départ au Québec, en
1970. Par la suite,
nos relations s'estompèrent,
sans brouille de notre part, jusqu'à cesser définitivement.
Mais le souvenir de
notre amitié reste bien vivace en moi.
Bernard écrivait
des poèmes dont Jean Bouhier trouvait la "matière poétique"
très
riche. Il me l'a dit.
A la faveur d'un déménagement, je suis tombé sur deux
de ses
poèmes publiés
dans le premier numéro
de la revue Sortie de Secours dirigée par
Luc Boltanski. Je
me souviens avoir participé
avec Bernard à la réunion au cours
de laquelle cette
revue fut
créée. Un de mes poèmes y parut également un
peu plus
tard. Mais j'ai perdu
le numéro.
Le feu artificiel
Feu qui liait
Un calme entre deux corps
Bouche de chaleur
Qui liait notre amour
Corps qui éclairait la nuit
Secourable phare de douceur
J'ai aimé en rêve brodé
Le rêve et la réalité
Le corps et le souvenir
La vie d'un jour passé
Astre d'univers ébloui
Le feu artificiel
S'éteint au bout de mes doigts
La vie étroite s'amoncelle
En cassants cris de métal.
C'est comme
C'est comme un visage
Enfoui dans la violence amoureuse
Des duvets de mésange
C'est comme la triste fatigue
De la mer qui sanglote dans sa douleur
C'est comme un soupir
Profond de lassitude
C'est comme la douceur de vivre
Simplement dans la nuit aux lèvres
calmes et bleutées
C'est comme la chevelure accueillante des
herbes
C'est comme
Vois-tu
C'est comme un ruissellement infini dans les
mains
Une tache rouge
Qui s'allonge
s'efface
soupire
tuée.
Pendant
une période, je retrouvais plusieurs fois par semaine
Jacques Richer que j'avais
rencontré, au "Select" je crois, au cours
d'une réunion poétique. Durant des heures, la nuit, nous
arpentions le quartier
qu'il habitait alors, toutes ces rues du 14ème
arrondissement, encore si imprégnées de souvenirs, et qui
ne devaient pas tarder à tomber sous la pioche des
bâtisseurs de ruines.
Jacques Richer était, à mes yeux, une sorte
de réincarnation
d'Alfred Jarry. Des graphismes, qu'il
appelait des
"gris-gris", en mémoire d'Antonin Artaud, accompagnaient
sa poésie. J'aimais
beaucoup ces dessins très particuliers.
Je l'ai ensuite totalement perdu de vue. |
Le portrait de Jacques Richer tel que je l'ai dessiné lors d'une de nos rencontres |
|
Quelques
vers...
Au lasso de tes boucles
Brasero nucléaire
Sur mes lèvres
|
...
et des gris-gris
|
J'ai rencontré
Francesca Yvonne Caroutch en même temps que Jacques
Richer. Pendant plusieurs
mois, nous nous retrouvions au moins une
fois par semaine et,
en plus, nous nous écrivions. Sa poésie exerçait sur
moi une réelle
fascination. Francesca Yvonne Caroutch s'est imposée
depuis comme une des
voix majeures de sa génération.
ROYAUMES
Enfant du silence et de l'ombre
tu reposais dans de grands lits
d'orties sauvages et de menthe
Tu rêvais sur le fleuve immense
dévoré par un feu de lune
Tes mains répandaient dans le vent
des océans et des forêts
Où sont tes nuits ange perdu
L'aube Écoute le sang trop lourd
qui bat dans les coulées d'acier
Sens-tu la peur qui entre en toi
comme un couteau dans ta poitrine
Tu marches dans notre pays
vaisseau égaré dans les bruines
Tu ne vois pas le soleil luire
comme au premier matin du monde
PLUIES
Le ciel est plein de mains coupées
et les fossiles du sommeil
oscillent sur des socles d'ombre
Tes mains de bête lasse trouent
la grenade ivre de silence
Pour échapper à cette soif
entre ton esprit et ta gorge
tu griffes l'émail de ton rêve
Mais la pluie éclate de rire
Tu cries comme une graine folle
oubliée dans un feu d'argile
FLEUVES
La nuit s'ouvre comme une amande
Les soleils crèvent sur les murs
et des étoiles de chair fraîche
vont s'accrocher à nos poitrines
Les plaies s'incrustent dans le sable
L'herbe folle de nos regards
redescend parfois jusqu'au coeur
Mais nous avons dans notre sang
l'odeur des pluies dans les forêts
Nous poursuivons dans les
lits froids
la chute sans fin des silences
ORIGINE
Chambre égarée en plein délire
Torches vives qui trouent le coeur
Monde en chaos que l'on remonte
entre les mailles de nos rêves
Apocalypse de la soif
Le paysage est mort de froid
L'être part sans se retourner
Poignets gorgés de fièvre
que l'on voudrait couper
L'insecte hurle sous l'écorce
L'angoisse nous prend à la gorge
et nous barre la route
Voici le règne exorcisé
les nuits assoiffées dilatées
Voici les nuits qui pulvérisent
les racines de l'homme
GUERRE
Il avait disparu
dans le vent insoumis
qui dévorait les chiens
et les chevaux sauvages
Mais il portait encore en lui
l'ombre des oiseaux explosés
et des draps rouges dans l'alcôve
Les villes sombraient en plein ciel
Blotti dans le coeur de l'orage
il traversait les nuits flambantes
les nuits tracées au coutelas
les nuits déchirées dans les
gares
et cette nuit sans fin sans fin
qui luisait sous ses yeux fermés
comme la croupe des pouliches
Quand nous serons
comme deux soleils ivres
dans le silence des figues
quand la nuit moite croulera
au loin sur les villes mortes
quand nous entendrons le cri compact
des graines enfouies
sous des épaisseurs de terre
nous ferons un grand feu de menthe
pour annoncer les épousailles
de l'âme obscure des rivières
et de nos soifs multipliées
Ces poèmes
sont extraits de "Soifs" - Nouvelles Éditions Debresse.
Pour
en savoir plus sur Francesca Yvonne Caroutch, cliquez
ici
Je ne me souviens plus
comment j'ai fait la connaissance d'André
Gateau. Il habitait
à Sens et nous n'avions pas beaucoup d'occasions
de nous rencontrer.
Je le vis lors de l'un de ses passages à Paris et
nous avons longuement
parlé de poésie. Par la suite, nous avons
échangé
une correspondance. Il m'envoya ses recueils. Puis il y eut
un long silence dû
à l'interruption de la publication de mes poèmes.
En 1996, je lui envoyai
le recueil que je venais de
publier. Il me répondit.
Et puis, quand je
voulus lui faire parvenir un
autre recueil, en 1999,
il ne figurait plus
dans l'annuaire. J'appris plus tard qu'il était mort.
LE CRI D'UNE BÊTE SAUVAGE...
Une bête des bois, prisonnière
des villes,
Crie à travers ma vie et jusqu'au fond
de mon sommeil
Sa faim d'espace et de soleil.
Elle a, pour compagnons d'exil,
Mes songes mais, ni les arbres plantés
dans ma mémoire
Ne lui suffisent, ni les fleurs
Dont la semence pénétra, par
mes yeux, dans mon coeur.
Elle veut les plantes vraies dont les feuilles
sont noires
Quand la chaleur qui l'imprègne fait
croire
Que du sang coule dans la pierre où
des lézards viennent tiédir le leur.
Qui a jeté ce cri comme la foudre son
éclair
Est un oiseau - son aile bat dans l'épaisseur
des feuilles mortes
De mes pensées - mais un oiseau qui
aimerait le ciel moins que la terre
Et celle-ci, lorsqu'il s'élève
d'un vol lourd - entre ses griffes, il l'emporte!
Extrait de "Le Mineur et sa Lampe" - Les Cahiers de Rochefort
LE PRESSENTIMENT DES SOURCES
La terre, en mars, est une page sous la pluie
Chaque sillon est une ligne recouverte
Par l'ébauche d'un chant de blé,
qu'avec la pie
Le corbeau corrige du bec, à l'encre
verte.
La graine est l'alphabet des langues végétales
Balbutiées au coeur exsangue de la
neige
Et parlées à voix haute par
les céréales
Dont les coquelicots ponctuent le florilège.
La sève, flot verbal des forêts
quelle inonde,
Les sources en pressentent l'élan vers
les faîtes
Car l'eau sur ce qui naît aux entrailles
du monde
En sait peut-être autant que le sang
des poètes.
Extrait de "Le Coeur et les Images" - José Millas-Martin éditeur
Je n'ai que peu connu
Robert Lorho. Assez pourtant pour qu'il me confie un
de ses manuscrits.
Comme, depuis, il écrit sous un autre nom, je me pense
habilité à
le publier ici comme le témoignage d'une époque: celle de
nos
vingt ans.
.
Frère,
il y a de la lumière encore
Dans la citadelle bleue de minuit Qui fleurit ton âme fleurit ta mort L'enfance reste accrochée aux orties Frère il y a de la lumière encore Aux racines des fleuves et des arbres
Frère dans la forêt de Cadenom*
Et la Moselle roule nos mémoires
C'est le mois d'août ta dernière
saison
Le feu est sorti du destin des corps
Ce texte
étant manuscrit, je ne sais pas s'il a été publié
et
|
Au milieu des années
cinquante du siècle dernier se tenait
régulièrement,
dans le sous-sol d'un café, à proximité de
la fontaine Saint-Michel,
une sorte de cénacle littéraire
autour de Marguerite
Grépon. Parmi les habitués de ces
réunions, je
citerai Maurice Fombeure, Jean Vodaine,
Charles Le Quintrec.
J'y ai croisé aussi Angèle Vannier,
Marguerite Duras,
Catherine Paysan et Marc Alyn.
Je me souviens avoir
été assis aux côtés de ce dernier
lorsqu'on en vint
à débattre
du cas Minou Drouet. Quel
chahut! Jamais l'assistance
ne fut aussi divisée que sur
ce cas. Certains considéraient
cet enfant comme un
prodige et les autres
criaient à la supercherie. L'avenir
nous a-t-il
départagé?
Maurice
Fombeure (1906-1981)
Maurice Fombeure avait
la physionomie d'un homme de la
campagne. Je me souviens
qu'il faisait circuler une carte
de visite remplie
de titres plus ou moins fantaisistes parmi
lesquels j'ai retenu
"Garde champêtre de Saint Germain
des Prés".
Menuisier du roi
-Je stipule
dit le roi
que les grelots de ma mule
seront des grelots de bois.
-Je stipule dit la reine
que les grelots de ma mule
seront des grelots de frêne.
-Je stipule
dit le dauphin
que les grelots de ma mule
seront en coeur de sapin.
-Je stipule
dit l'infante
élégante
que les grelots de ma mule
seront faits de palissandre.
-Je stipule dit le fou
que les grelots de ma mule
seront des grelots de houx.
Mais quand on appela le menuisier
Il n'avait que du merisier.
Extrait de "Silences sur le toit" - (Collection des Cahiers 1930)
Charles Le Quintrec (1926-2008)
NOCTURNE
Sur mon cendrier coquillage
A mon coeur s'accrochent les herbes
Près du canal calme je fume
Extrait de "Les temps obscurs" - Debresse éditeur |
J'ai entendu parler
pour la première fois de Jean Vodaine
par Robert Lorho qui
en disait le plus grand bien. Par la
suite, je l'ai rencontré.
Il travaillait alors chez Bruno Durocher,
aux Editions Caractères.
J'ai gardé en mémoire le récit qu'il
me fit de ses souvenirs
de guerre, une nuit que nous bavardions
dans un café
de la place Maubert. Jean Vodaine n'était pas
seulement poète.
Il fut aussi un éditeur talentueux et les livres
qu'il publia sont
recherchés par les bibliophiles.
.
Extrait d'une lettre du 6 août 1996 |
Extrait de la revue "Plein Chant" numéros 57-58 consacrés à Jean Vodaine
Tes yeux perdus dans ce silence
fait d'horizon mêlé à
la terre des montagnes
tes yeux sans feu ni lieu
tes yeux sans dieu ni foi
traînés parmi les pierres de
cent villes entassées
entre l'abîme de ma voix et l'éternité
d'un regard
je les soupèse de la main pour en faire
sortir l'amertume
La nuit s'accroche au monde de toutes ses
griffes
Il est là invisible comme la limite
du ciel
debout dans sa puissance de roi des microbes
il y a tant d'obstination dans la fixité
de ses yeux
qu'on dirait la tête morte d'un pharaon
dans son sarcophage de sable
On n'oublie pas les yeux que la femme invente
pour jouer à l'amour
On lui fait croire qu'elle est belle
en se noyant dans son regard
pour ne pas voir les rides que la vie dessine
autour des lèvres
en s'en allant.
Extrait de "Rien que Vivre"
- Cahiers de Rochefort
Après les surréalistes,
les poètes de l'École de Rochefort ont
constitué une
large part des lectures de ma jeunesse. De plus,
mon premier recueil
digne de ce nom a vu le jour grâce aux
Cahiers que publiait
alors Jean Bouhier et Jean Rousselot
m'adressa, lors de
sa parution, une lettre comme on aimerait
souvent en recevoir.
Pour en savoir plus
sur l'Ecole de Rochefort, cliquez
ici
Je souhaitais placer
ici un très beau poème de Jean Bouhier
dont les vers trottent
encore dans ma mémoire après tant
d'années. Malheureusement,
je n'arrive pas à mettre la
main dessus. Si je
le retrouve, il y trouvera sa place. En
attendant, voici un
manuscrit et un portrait tirés de la
revue Traces
ainsi qu'un extrait d'une lettre de Jean
Bouhier avec son choix
de mes poèmes pour la publication
de La Voix Publique.
.
L'ENFANT
Tu as sept ans et tu vas à l'école
Tes vêtements sentent la colle
De menuisier
Tu as rempli de fleurs champêtres ton
plumier
Tu marches lentement en évitant la
fange
Tu as des étoiles dans tes cheveux
qui te démangent
Tu regrettes un peu l'odeur des grands sapins
Tu voudrais t'arrêter et partager ton
pain
Avec la petite fille qui passe
Tu n'es pas toujours le premier en classe
Tu es bavard
Tu dessines des chats sur ton papier buvard
Tu regardes souvent le ciel par la fenêtre
Tu rêves à de bons bergers qui
t'ont vu naître
Mais tu sais lire aussi et déjà
dans le vent
Tu découvres tout seul des tas de mots
savants
Des mots qui prononcés font du bien
à tes lèvres
Tu sais tresser le jonc et conduire les chèvres
D'un geste simple et doux apaiser les chevaux
Bruire comme un laurier pour consoler l'oiseau
Tu aimes caresser le front blanc de ta mère
Tu es l'Enfant que je vénère
Tu es bien le Fils de mon Dieu.
Extrait de "Les amis d'enfance" - Seghers éditeur
CHAMBRE DE LA DOULEUR
La porte est bien fermée
Une goutte de sang reste encor sur la clé
Tu n'es plus là mon père
Tu n'es pas revenu de ce côté-ci
de la terre
Depuis quatre ans
Et dans la chambre je t'attends
Pour remmailler les filets bleus de la lumière
La première année j'eus bien
froid
Bien du mal à porter la croix
Et j'usai mes belles mains blanches
A raboter mes propres planches
Déjà prêt à partir
sans toi
Puis ce fut le printemps la pâque
Je te trouvai au fond de chaque
Sillon dans chaque grain de blé
Et dans la fleur ouverte aux flaques
Impitoyables de l'été
Jamais plus les oiseaux n'entreront dans la
chambre
Ni le feu
Ni l'épaule admirable du soir
Et l'amour sera fait d'autres mains
D'autres lampes
O mon père
Afin que nous puissions nous voir.
LA SAISON DE SAINTE-REINE
Je n'ai pas oublié cette maison d'école
Où je naquis en février dix
neuf cent vingt
Les vieux murs à la chaux ni l'odeur
du pétrole
Dans la classe étouffée par
le poids du jardin
Mon père s'y plaisait en costume de
chasse
Tous deux nous y avions de tendres rendez-vous
Lorsqu'il me revenait d'un monde de ténèbres
D'une Amérique à trois cents
mètres de chez nous
Je l'attendais couché sur les pieds
de ma mère
Comme un bon chien un peu fautif d'avoir couru
Du jardin au grenier des pistes de lumière
Et le poil tout fumant d'univers parcourus
La porte à peine ouverte il sortait
de ses manches
Des jeux de cartes des sous beiges ou des
noix
Et je le regardais confiant dans son silence
Pour ma mère tirer de l'amour de ses
doigts
Il me parlait souvent de son temps de souffrance
Quand il était sergent-major et qu'il
montait
Du côté de Tracy-le-Mont ou de
la France
La garde avec une mitrailleuse rouillée
Et je riais et je pensais aux pommes mûres
A la fraîcheur avoisinante du cellier
A ce parfum d'encre violette et de souillure
Qui demeure longtemps dans les sarraus mouillés
Mais ce soir où je suis assis près
de ma femme
Dans une maison d'école comme autrefois
Je ne sais rien que toi Je t'aime comme on
aime
Sa vie dans la chaleur d'un regard d'avant
soi
FIN DE BAIL
Quand tous les merles tous les voyous et toutes
les femmes se seront tus
Quand on ramassera les carcasses des chevaux
à pleines pelles dans les rues
Quand les campagnes s'embraseront comme un
chaudron immense
Quand toute la vie sera comme un dernier jour
de vacances
Il restera sous terre assez de pages blanches.
Les trois derniers poèmes sont extraits de "Hélène ou le Règne Végétal" - Seghers éditeur
Si les mots ne sont rien qu'un arbre de silence
Qui nous tient à jamais enfermés
dans ses branches
Qui pourrait rassembler tant de vent et d'orage
Pour gonfler de rumeurs ce fragile feuillage
Où chaque cri humain en écorce
se change
Extrait de "Thérèse ou la Solitude dans la Ville" - Poésie 53 - Seghers éditeur
LES VIPÈRES
PRÉCIEUSES...
Les vipères précieuses
La perdrix, dans les prêles,
Les peupliers, ruisselants
Je suis l'homme
Extrait de "Poèmes Choisis (1934-1948)" - Séghers éditeur |
A propos
de mon recueil
La Voix Publique : |
A mon arrivée
à Paris, j'habitais dans les environs de la Place
de la République.
Plusieurs fois par semaine, je me rendais à
pied de mon domicile
en bas du quartier latin, à proximité de
l'église Saint-Séverin,
dans la librairie de Marcel Béalu où je
savais trouver les
ouvrages qui m'intéressaient. Intrigué par
mon assiduité,
Marcel Béalu me demanda un jour si j'écrivais
et, ma réponse
ayant été positive, il souhaita lire quelques-uns
de mes poèmes.
Il les trouva meilleurs que ce qu'on lui montrait
habituellement et
me conseilla de les proposer aux Cahiers de
Rochefort. C'était
justement ce que je venais de faire.
FONTAINES DE FLAMMES
Le fait, légendaire en d'autres villes et raconté seulement à mi-voix pour en conjurer le retour, arrivait ici fréquemment. Pas de semaine sans qu'un homme s'enflammât. Sachant la chose irrémédiable, on avait fini par s'y accoutumer. La plupart du temps elle se déroulait dans l'indifférence et il n'était guère que les enfants pour prêter encore au spectacle un peu d'attention. Retour de l'école, nez rouge et genoux nus, ils faisaient cercle autour de cette curieuse torche à l'envers.
C'était, en effet, vers le bas que se dirigeait le phénomène. Dès que ses cheveux commençaient à crépiter, l'homme perdait tout pouvoir de crier ou de remuer. Nul n'avait le temps de voir les deux petits ballons de ses yeux se gonfler hors du visage avant d'éclater avec un bruit spongieux de châtaigne encore verte. La dévorante couronne orangée des tissus en combustion, s'abaissant avec rapidité, couvrait la figure, le cou et les épaules d'une calotte d'ombre comme grouillante et qui allait se racornissant.
Parvenues au thorax, les flammes jusqu'alors
courtes et éclatantes, brusquement bleues et pailletées d
'étincelles, ruisselaient de cet homme immobile comme si la poche
du coeur, en crevant, les eût alimentées d'un nouveau carburant.
Et tard dans le crépuscule, on entendait la ronde des
fants autour de cette vivante cloche lumineuse
qui semblait, au fur et à mesure qu'elle se consumait, s'enfoncer
lentement dans la terre.
Extrait de "La Pérégrination Fantasque" - Vrille éditeur
Nous avons tracé des routes
Nous avons bâti des villes
Nous avons commis des crimes
Tant qu'on ne peut les compter
Nous avons beaucoup parlé
Bien souvent pour ne rien dire
Et nous avons fait l'amour
Plus souvent qu'à notre tour
Nous avons eu des autos
Et possédé des châteaux
Puis nous avons vu grandir
Les légendes et l'histoire
La légende et les histoires
Étaient mieux de notre affaire
(Nous avons beaucoup souffert
Et sommes morts mille fois
De mille morts incertaines)
Extrait de "Ocarina" - (1950-1952)
Celle que j'aime habite un miroir
Comment pourrais-je la rejoindre
Dans ce fracas d'astres glacés
Moi qui n'ai pas trop de silence
Pour ne ressembler qu'à moi-même
Aux marches blanches du sommeil
Glisserai-je ombre sans mémoire
Vers ce château de solitude
Défendu par tant d'oiseaux noirs
Pour monter jusqu'à son sourire
Sans déranger cette eau profonde
Qui le préserve de mourir
Il me faudrait être la nuit
Et ne plus savoir d'où je viens
Extrait de "Coeur en guise d'ailes" - (1951-1953)
Les deux poèmes précédents ont été repris dans "L'Air de Vie" - Seghers éditeur
Et pour en savoir plus sur Marcel Béalu,
cliquez
ici
C'est Marcel Béalu
qui m'a fait découvrir Lucien Becker.
D'emblée, l'écriture
de ce poète me plut. J'achetai tous ses
livres. Marcel Béalu
lui parla de mon engouement et il
manifesta l'intention
de faire ma connaissance. Celle-ci
n'eut pas lieu. Jamais
je ne me rendis à la librairie de
Béalu en même
temps que lui. Et puis les hasards de
l'existence m'éloignèrent
de Paris assez longtemps pour
que ce projet s'évanouisse.
Mais Marcel Béalu et Lucien
Becker restent, pour
cette raison, associés dans mon
souvenir.
La banlieue est à l'autre bout du monde
avec des grappes de rosée à
tous les fils de fer.
Un chien hurle dans le sommeil des enfants
et rien n'empêche ce cri de traverser
les maisons.
Les arbres sont restés au seuil du village.
Ils ont perdu la route qui les guidait pas
à pas
et, complètement dépersonnalisés
par la nuit,
ne sont plus que des racines chassées
du sol.
La ville n'est plus qu'une épaisseur
de murs,
les fenêtres n'ont plus le pouvoir de
faire des étoiles,
la ville n'est plus qu'une taupe qui aurait
péri
avant d'avoir atteint la terre facile des
champs.
Je suis seul dans la rue et pourtant quelque
chose
qui n'est peut-être qu'un frisson me
prend aux épaules.
L'angoisse met son poing de métal à
ma tempe
et la mer garde sa colère pour des
temps meilleurs.
Au bord de la route, les arbres accompagnent
ceux qui vont pour la dernière fois
mêler
ciel et terre dans un seul et même regard:
les morts ont une tache de sang sur le coeur.
Extrait de "Rien à vivre" - Gallimard éditeur
Mes mains cherchent sur toi la place
où ma caresse fait son bruit de soie
et nos corps se tiennent debout avec, contre
eux,
le poids des murs de toute une ville.
D'un seul regard, d'un seul baiser,
je suis plus près de ton corps que
tu ne le seras jamais
et ta bouche vient se poser sur la mienne
un peu comme
l'écume au-dessus d'un ruisseau noir.
Il suffit que je te prenne dans mes bras
pour qu'entre nous surgisse un essaim
dont nous pressons la grappe chaude
à l'endroit où nous sommes hauts
d'un seul sommet.
Les objets aident le jour naissant
à aller à la rencontre de ton
regard
et ils reprennent aussitôt leurs visages
de témoins d'un monde sans profondeur
Pour communiquer les uns avec les autres,
ils ont tout un alphabet de reflets
et dès que tu franchis le seuil de
ma porte
ils te montrent la place qu'ils t'ont gardée
près de moi.
Ils ne peuvent partager notre existence
mais à travers leurs doigts mal joints
ils s'étonnent parfois de découvrir
qu'à deux
nous pouvons ne plus former qu'un seul objet.
Extraits de "Plein Amour"
- Gallimard éditeur