Les tribulations du colonel Morin en 1812-1813 (résumé)
 
 
Prévenu le 23 juin 1812 de sa nomination à la tête du 5ème régiment de dragons, dans le sud de l'Espagne, le colonel Morin quitte Paris le 21 juillet. Il est à Bordeaux le 24 juillet; la ville fait beaucoup d'affaires grâce à la guerre d'Espagne, mais ne se console pas des pertes qu'elles essuie à cause du blocus continental; les mauvais état d'esprit de la population est perceptible. Bayonne, où les soldats vendent le superflu rapporté d'Espagne à vil prix, s'enrichit par le commerce lucratif qui en résulte.  
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Morin tente de pénétrer par l'ouest en Espagne, par Yrun, où il est le 3 août. Il est impossible de voyager sans une forte escorte. Les guérilleros sont partout et leurs postes prélèvent des péages; ils s'éloignent lorsque les troupes françaises apparaissent pour revenir dès qu'elles ont tourné les talons. Le gouverneur de Fontarabie s'est fait enlever par deux paysans armés à 50 pas des portes de la ville. A Villaréal, la garnison, logée dans des maisons crénelées, peut à peine sortir de la ville. A la traversée du défilé de Salinas, la caravane découvre les tristes restes des victimes du convoi détruit par la bande de Mina. A Vitoria, Morin apprend la défaite des Arapiles, le 22 juillet; la ville est affreusement sale, mais les événements obligent notre voyageur à y séjourner; son valet de chambre déserte pour rejoindre les insurgés; il assiste à l'exécution d'Espagnols qui ont tué un officier français et qui subissent la peine du garrot. Ne pouvant pousser plus loin vers le sud, il revient à Bayonne en profitant du convoi qui ramène en France Marmont blessé aux Arapiles (plus de 2000 hommes pourvus de canons). Les Anglais ont débarqué à Guetaria et les troupes françaises qui refluent de ce lieu rencontrent le convoi.  
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A Bayonne, Morin, reçu en fuyard, est chargé d'aller combattre le débarquement anglais qui s'avère être une modeste incursion. Le colonel se dirige ensuite vers l'est où il passe les Pyrénées au nord de l'Aragon dans un endroit où des marches sont taillées dans le roc pour permettre le passage des chevaux; la région est très pauvre. Il faut se garder de Mina et aussi des voleurs de grand chemin. Séjour à Jaca dans l'attente d'une escorte pour Saragosse; description pittoresque d'un convoi rentrant en France: "Des dames dans des litières dorées portées par 20 paysans qui se relayaient de tems en tems (sic), d'autres en amazones et montant de superbes chevaux, d'autres sur des mules, celles-ci à califourchon sur des ânes, celles-là portées sur des chaises ajustées en forme de litière, quelques-unes n'ayant pu se procurer une monture marchand à pied dans la boue, quelques autres préférant se faire tenir sur des chevaux énormes de routiers français qui avaient aussi abandonné leurs chariots, des enfants sur des ânes et dans des paniers, d'autres portés par des paysans et suspendus sur un bâton dans une espèce de hamac, d'autres enfin tout bonnement portés à bras par les nourrices, des valets galonnés à cheval, des maîtres à pied, une suitte (sic) nombreuse de chevaux de main, un nombre prodigieux de mulets chargés de malles, de matelas, d'orge, de paille et de vivres de toute espèce. Ajoutés à cela des généraux français et espagnols ayant tous un cortège plus ou moins nombreux, des officiers, des soldats, les uns blessés ou malades et les autres bien portants, des dames et des seigneurs escortés au milieu de cette bagarre par des pages ou des gardes, tout cela marchant pêle mêle, au milieu des cris des blessés, des cantinières et des chansons grivoises des soldats bien portants et défilant dans le plus grand désordre après avoir bivouaqué la nuit précédente par un tems (sic) affreux. Cette marche a duré depuis onze heures du matin jusqu'à six heures du soir et il n'y avait pas 4 000 personnes dans le convoi. 
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Morin perd son chien; le pays est rempli de guérilleros qui ne laissent aucun répit aux soldats et s'en prennent aux garnisons enfermées dans de petits châteaux. Zuera est ruinée et ses habitants ont fui dans les montagnes. Morin finit par arriver à Sarragosse. Mais un convoi qui le suit n'a pas cette chance; déjà attaqué vers Ayerbe, ce convoi est complètement massacré à la traversée d'un ravin, en vue de Saragosse; quelques malheureux rescapés ont eu les mains et les pieds tranchés et meurent à leur arrivée dans la ville. Saragosse est très marquée par le long siège qu'elle a subi; les ruines n'ont pas été relevées; tout n'y est que désolation; On y voit des cadavres abandonnés dans les cours et les jardins; les monastères sont remplis de squelettes de moines revêtus de leurs habits. Autour de la ville, les oliviers ont été coupés. La disette règne dans les environs foulés par le passage des soldats et des insurgés. Des troupes espagnoles du roi Joseph tuent leur capitaine et un courrier avant de passer à la guérilla; le métier de courrier est des plus périlleux.  
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A Abatea, on nourrit les chevaux de garouffe, une espèce de cosse tirée d'un arbre, par défaut d'autres aliments. Autour de Tortose, le pays est d'une grande fertilité et on circule avec plus de facilité qu'ailleurs, les brigands y étant moins nombreux. Morin y rencontre une partie des convois qui ont fui Madrid occupée par les Anglais. Malgré la fertilité de la région et le peu de dégâts causés à la ville par le siège qu'elle a subi, tout est hors de prix à Tortose à cause de la pénurie qui y sévit. Pour continuer sa route, Morin évite la côte sous le feu des croisières anglaises. La région de Valence, bien administrée par Suchet, est cependant relativement tranquille. Ce qui n'empêche pas un maréchal des logis, accompagné de deux cavaliers, de se trouver nez à nez avec la bande du Frayle; le maréchal des logis joue de culot en commandant la charge à l'hypothétique escadron qui pourrait le suivre dissimulé dans un creux du chemin: résultat la bande et nos trois hommes prennent la fuite chacun de leur côté!  
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Même si la région est plus calme qu'ailleurs, il ne fait pas bon s'y promener seul; Le convoi de Morin délivre deux soldats, nus de la tête aux pieds, juste au moment où leurs ravisseurs s'apprêtaient à les égorger, traitement habituel des prisonniers tombés aux mains des guérillas; quelques pas plus loin, le convoi découvre les corps de quatre autres soldats mutilés; l'un a la tête tranchée et les trois autres les mains et les pieds coupés; l'un d'eux respire encore. Description idyllique des environs de Valence (palmiers, orangers, citronniers...), mais le Guadalquivir n'est qu'un ruisseau où un cheval ne trouverait pas de quoi se désaltérer; il ne mérite certes pas les ponts superbes qui l'enjambent. Les rues de Valence ne sont point pavées, d'où la poussière et la boue que l'on y souffre, suivant que le temps est sec ou pluvieux. Les Valenciens s'opposent au pavage des rues car ils en ramassent la terre, enrichie de crottin et de détritus, pour fumer leurs jardins. Des crieurs y annoncent la nuit l'heure et le temps qu'il fait en louant la vierge Marie. Bien reçu dans la ville, où il retrouve Suchet, qui fut autrefois son général, Morin s'attarde à Valence aux milieu d'amis retrouvés. Si les spectacles espagnols lui semblent mauvais, il se montre moins sévère pour les danses. Les femmes espagnoles sont séduisantes; leur langage est libre, ce qui ne signifie rien, car, en Espagne les paroles comptent pour rien. Il y a dans Valence beaucoup de mendiants, ce qui laisse supposer que la population est plutôt malheureuse. La richesse du duché d'Albufera, attribué à Suchet, provient surtout du riz et du safran.  
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Suchet ordonne à Morin de réorganiser ses dépôts de cavalerie, en attendant qu'il puisse rejoindre son régiment. Il est mis a la tête d'une troupe d'escopetoros, des Espagnols, véritables chenapans, contre guérilla qu'il a bien de la peine à empêcher de piller et molester ses compatriotes paysans; il accompagne un convoi en route pour Madrid en passant par Saragosse; ordres et contre ordres de marche se succèdent, en raison des menaces anglaises et de celles du Frayle, ce qui jette le désordre dans l'immense cortège; "Qu'on se figure un convoi aussi nombreux devant faire une contre-marche, par un tems (sic) très mauvais, sur une route qui, quoique belle est cependant trop étroite pour l'opérer avec deux voitures de front, toutes ces dames qui étaient enchantées de retourner à Valence se voyant obligées de rétrograder de nouveau ; l'ennemi de tous côtés, les hommes à cheval cherchant tous à gagner la tête du convoi pour éviter le danger, les femmes pleurant et criant de crainte d'être prises, une terreur panique s'emparant de tous ces gens-là, chacun enfin cherchant à fuir, on ne pourra pas encore se faire une idée du désordre qui eut lieu pendant un moment;" de retour à Valence, il y trouve enfin la compagnie d'élite de son régiment venu le chercher. Le convoi repart pour Madrid par une route si mauvaise que beaucoup de voitures s'embourbent et que d'autres doivent être brûlées faute de pouvoir franchir les défilés; la nuit, à Requeña, la confusion se met dans la caravane.  
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Le 4 févier 1813, plus de 6 mois après son départ de France, Morin prend enfin le commandement de son régiment rejoint à Utiel. Le convoi repart et arrive à Villalgordo, village détruit, où les quelques habitants restés demandent l'aumône; on démolit les dernières maisons pour faire du feu! A Villanueva de la Jarra, Morin prend congé du convoi dont l'escorte est confiée à la division du général Darricau. Le 11 février, à La Parra, Morin condamne le curé au bivouac, pour obtenir de l'orge, malgré les supplications des jolies nièces du prêtre. Morin se voit confié le gouvernement de Cuenca; une quarantaine de guérilleros de l'Empecinado y séjournant pour cause de maladie sont arrêtés; la plupart des gens ont fui et Morin a bien du mal à trouver de quoi nourrir sa troupe et ses chevaux; il est contraint d'emprisonner des abbesses et les nièces des émigrés pour faire pression sur les possesseurs des denrées convoitées; beaucoup de maisons sont rasées par les soldats. Le régiment reste à Cuenca jusqu'au 26 février. (Une remarque: une lieue d'Espagne équivaut à deux lieues de poste de France). Le régiment se rend ensuite dans plusieurs village désertés par les habitants à l'approche des Français et à demi détruits par le passage des troupes; les quelques Espagnols assez audacieux pour rester à proximité profitent du départ des troupes et de l'absence des propriétaires pour se livrer au pillage.  
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Le 3 mars, le régiment est à Ocaña où il séjourne; il est chargé d'aller collecter les contributions dans les environs; certains villages sont trop pauvres, dans d'autres les habitants principaux se sont enfuis et il faut prendre des otages pour obtenir les contributions, ailleurs on se heurte à la bande de l'Empecinado ou à celle de l'Abuelo... Bref, le métier de collecteur d'impôts n'est pas de tout repos. A Vittatobas, un détachement de huit hommes du régiment surprend une cinquantaine d'insurgés sur la place du village et les sabre impitoyablement pour montrer à Morin de quoi ses hommes sont capables; l'alcade du village est menacé d'être pendu s'il ne livre pas le chef de la bande, qui s'est réfugié blessé dans une maison; l'édile refuse d'abord mais, la corde au cou, il finit par désigner l'endroit; le chef, Cherimbolo, est retrouvé en piteux état, lardé de coups; il affirme qu'un autre insurgé de renom se cache dans le village; la perspective d'être pendu amène une femme a désigner où se cache ce dernier, don Juan Martinez, qui est découvert revêtu d'un uniforme pris à un commissaire des guerres français; le village, outre sa contribution, est frappé d'une lourde amende. Morin se refuse à tuer des ennemis désarmés mais regrette que les brigands saisis n'aient pas été tués par ses soldats pendant l'action. 
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Le 30 mars, une concentration de l'armée amène le régiment à Aranjuez; la résidence royale est dévastée; les arbres centenaires ont été abattus et beaucoup de belles résidences sont démolies; la population parachève les destructions pour se procurer du fer et du plomb! Le château seul a été respecté. Chinchon a été saccagé en 1811, pour avoir fait feu sur des soldats qui passaient; 200 habitants ont été massacrés. Le régiment se rend ensuite à Madrid; Morin trouve la ville belle, mais dans un état de délabrement extrême; les rues ne sont plus nettoyées depuis que les mules qui enlevaient les immondices ont été requises pour l'armée; le désordre, la misère et la confusion sont à leur comble dans une capitale qui semble abandonnée à elle-même. Les environs sont complètement ravagés.  
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Le 6 avril, le régiment passe auprès de l'Escurial que Morin n'a pas le temps de visiter; puis, il traverse la sierra de Guadarrama, par un temps superbe, et va loger à Villacastine dans un dépôt de laine de Ségovie désaffecté, tous les troupeaux ayant été détruits. Le 8 avril à Arrevalo, le 9 à Medina del Campo, le 10 à Toro, après avoir perdu une dizaine de chevaux fourbus. le lendemain arrive Reille qui commande l'armée du Portugal; il promet que les cavaliers ne manqueront de rien. Morin profite du séjour à Toro pour refaire son régiment. Il est également chargé de la collecte des contributions dans les environs; tout se passe bien. Le 25 mai au soir, il reçoit l'ordre de marcher pour s'opposer aux Anglais qui viennent de s'emparer de Salamanque. Il part le 26 au matin. La suite promise n'a jamais été rédigée ou s'est perdue. 

Le texte complet de ces mémoires figure dans le N° 378  du Souvenir Napoléonien (août 1991 - pages 2 à 20).

 

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