Une lettre de Napoléon au roi d'Angleterre
(2 janvier 1805)
 
 
Monsieur mon Frère, 

Appelé au trône par la Providence et par le suffrage du sénat, du peuple et de l’armée, mon premier sentiment est un vœu de paix. La France et l’Angleterre usent leur prospérité, elles peuvent lutter pendant des siècles ; mais leurs gouvernements remplissent-ils bien le plus sacré de leurs devoirs ? Et tant de sang versé inutilement et sans la perspective d’aucun but ne les accuse-t-il pas dans leur propre conscience ? Je n’attache point de déshonneur à faire le premier pas ; j’ai assez, je pense, prouvé au monde que je ne redoute aucune des chances de la guerre ; elle ne m’offre d’ailleurs rien que je doive redouter : la paix est le vœu de mon cœur ; mais la guerre n’a jamais été contraire à ma gloire.  

Je conjure donc Votre Majesté de ne pas se refuser au bonheur de donner elle-même la paix au monde ; qu’elle ne laisse pas cette douce satisfaction à ses enfants ; car enfin il n’y eut jamais de circonstance ni de moment plus favorables pour faire taire toutes les passions et écouter uniquement le sentiment de l’humanité et de la raison. Ce moment une fois perdu, quel terme assigner à une guerre que tous mes efforts n’auraient pu terminer ? Votre Majesté a plus gagné, depuis dix ans, en territoire et en richesses, que l’Europe n’a d’étendue : sa nation est au plus haut point de prospérité : que peut-elle espérer de la guerre ? Coaliser quelques puissances du continent ? Le continent restera tranquille : une coalition ne ferait qu’accroître la prépondérance et la grandeur continentales de la France. Renouveler les troubles intérieurs ? Les temps ne sont plus les mêmes. Détruire nos finances ? Des finances fondées sur une bonne agriculture ne se détruisent jamais. Enlever à la France ses colonies ? Les colonies sont pour la France un objet secondaire, et Votre Majesté n’en possède-t-elle pas déjà plus qu’elle n’en peut garder ? Si Votre Majesté veut elle-même y songer, elle verra que la guerre est sans but, sans aucun résultat présumable pour elle. Quelle triste perspective de faire battre les peuples seulement pour qu’ils se battent ! Le monde est assez grand pour que nos deux nations puissent y vivre ; et la raison a assez de puissance pour qu’on trouve moyen de tout concilier, si, de part et d’autre, on en a la volonté. J’ai toutefois rempli un devoir saint et précieux à mon cœur.  

Que Votre Majesté croie à la sincérité des sentiments que je viens de lui exprimer et à mon désir de lui en donner des preuves.  
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Napoléon
 

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