Les bushrangers
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Le héros est le produit de la rencontre d'un destin avec l'histoire
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Ben Hall:
Rien n'aurait prédisposé Benjamin Hall, paisible agriculteur, à se lancer dans une vie d'aventures pleines de périls si l'Australie n'avait pas encore été, au milieu du 19ème siècle, un monde rude, injuste et sans pitié pour les pauvres. 

Notre héros naquit en février 1837 à Breeza. Son père, Benjamin, et sa mère, Elizabeth, étaient tous les deux d'ex-convicts. Il ne reçut qu'une éducation sommaire mais savait lire et écrire. C'était un honnête ouvrier. Apprécié pour sa générosité, on le trouvait toujours disposé à rendre service.  

Il n'était pas aimé des hors la loi, les bushrangers, qui erraient dans les Goldfieds victoriens. A l'âge de 19 ans, il épousa néanmoins la soeur de la maîtresse de l'un d'entre eux, Franck Gardiner. La jeune femme s'appelait Biddy Walsh. Le couple s'établit dans une ferme, comme éleveur de bétail. Un enfant naquit. Ben menait sans rechigner la rude vie des fermiers. Levé dès l'aube, il devait souvent s'absenter pour surveiller le bétail ou le rassembler. Au retour de l'une de ses absences, il constata que son épouse était partie avec leur bébé pour suivre un ancien policier. 

En 1862, notre homme, qui n'avait jamais accompli le moindre délit, mais que son hérédité rendait suspect, fut arrêté, sur ordre de Frederick Pottinger, pour avoir participé à un hold up près de Forbes. Il passa un mois à l'ombre avant que les charges pesant contre lui soient abandonnées faute de preuve. Mais, pendant son absence, sa maison avait été pillée et brûlée, son bétail dispersé et perdu.  

En 1863, le commissariat de police de Pinnacle fut cambriolé et, comme Hall fut aperçu plus tard en compagnie des suspects du vol, la police l'accusa de complicité. Profondément ulcéré par l'injustice dont il avait été victime l'année précédente et par ses conséquences désastreuses, Ben Hall, désormais sans avenir et rendu amer contre la société, avait décidé qu'on ne l'arrêterait plus désormais sans raison. Il rejoignit la bande de Franck Gardiner, qui sévissait dans la région des Weddin Mountains, et commença une carrière de hors la loi. 

Voici ce qu'il affirma alors à un membre de la police qui obtint de lui un entretien: "Je ne suis pas un criminel. J'ai été contraint de choisir cette vie. Pottinger m'a arrêté l'an dernier sur la piste de Forbes et j'ai été détenu un mois, alors que j'étais innocent. Pendant ce temps, ma femme courait avec un policier.  J'ai ensuite été appréhendé pour le vol d'un courrier et j'ai passé un autre mois en cellule avant d'être relâché. J'ai retrouvé ma maison brûlée et mon bétail mort de soif. Pottinger a menacé et intimidé tout le monde dans la région simplement parce qu'il ne pouvait pas mettre la main sur Gardiner. Les soldats de la cavalerie ont mis le feu chez moi il y a 3 semaines pour voler le commissariat de police de Pinnacle. Je n'ai rien à voir avec cette plaisanterie d'un goût douteux. Le cavalier Hollister m'a menacé de m'abattre si je parlais. Pouvez-vous me dire lequel de lui ou de moi est le plus sauvage? Par Dieu, M. Norton, c'est votre faute si j'en suis là, et  je vous affirme que vous ne m'aurez jamais vivant!" 

Il participa, avec Gardiner, à l'attaque de Eugowra Rocks qui rapporta l'importante somme de 14000 dollars à la bande. Ce butin incita Gardiner et plusieurs de ses acolytes à se retirer et Hall assuma désormais la direction des opérations. Il était alors âgé d'à peine 25 ans. Au cours des trois années suivantes, Hall se fit un nom dans les annales de la délinquance en surpassant largement ceux qui l'avaient devancé, tant par le nombre de ses forfaits que par l'audace avec laquelle il les accomplit. Vols de chevaux de course, attaque de courrier postal, assaut de bâtiments publics, y compris des postes de police, se succédèrent, humiliant les forces de l'ordre chargées de sa capture. Demeures isolées et cités, rien n'échappait à ses raids. De 1863 à 1865, la bande dévalisa 10 diligences, investit 21 villes et subtilisa 23 chevaux de compétition! Ben Hall passa trois jours à festoyer et à boire avec ses hommes à l'hôtel Robinson de Canowindra. Il rassembla toute la population de la ville, afin qu'elle participe aux agapes. Le Constable local fut lui aussi invité et ne put se soustraire. Les cinq hors la loi défrayèrent généreusement l'hôtelier afin de mettre en exergue leur honnêteté et de montrer qu'ils n'en voulaient pas aux petites gens. L'assistance fut réellement impressionnée et se mit à douter de l'efficacité des forces de l'ordre. Ne serait-ce que par atavisme, la majeure partie d'entre elle était d'ailleurs plus encline à se réjouir des malheurs du guet qu'à les déplorer. Ces gens n'avaient-ils pas vu, sur le dos de leurs pères, les cicatrices laissées par les traces du fouet dont on régalait les convicts qui regimbaient contre la discipline? Les raisons plus actuelles de se plaindre des autorités, implacables contre les faibles, ne manquaient pas non plus et bien des personnes ressentaient comme une sorte de revanche les humiliations que les hors la loi infligeaient à leurs persécuteurs. 

Après cet exploit comique, Ben Hall et ses comparses dévalisèrent un courrier. Trois officiers de police de Corcoar les prirent en chasse. Les poursuivants furent capturés et dépouillés de leurs habits, qui furent utilisés ultérieurement par la bande, et attachés à des arbres. Le responsable du district de Lachlan fut ensuite soulagé de son argent. On s'en réjouit d'autant plus qu'on lui reprochait les excès de la police. L'inspecteur Frederick Pottinger, qui avait eu la mauvaise idée de se mettre en travers des bandits, fut privé par eux de son cheval. En 1864, la bande se livra à de nombreuses attaques et fit une soixantaine de prisonniers. Les autorités mirent ses membres hors la loi et la police fut autorisée à tirer sur eux à vue. Aussi, en 1865, Ben Hall, las de cette vie dangereuse et sans issue, commença-t-il à mettre de l'argent de côté dans le secret espoir de fuir en Amérique. 

Le prestige de la police de Nouvelle Galles du Sud était au plus bas. On commençait à dauber sur elle. Des pamphlets circulaient. La popularité des hors la loi augmentait dans une plèbe issue d'anciens bagnards qui ne reniait pas ses origines. C'est alors qu'un policier fut tué au cours d'un vol. Ce meurtre altéra l'image de bandit au grand coeur attachée à Hall, bien qu'il n'ait été pour rien dans ce regrettable incident, ayant l'habitude de tirer en l'air. Les autorités s'émurent et décidèrent d'en finir. La situation devint difficile pour notre héros et ses équipiers, Charlie Gilbert et Johnny Dunn. La proposition leur fut faite de se rendre faute de quoi ils seraient proscrits. C'était la première fois qu'une mesure aussi extrême était prise en Australie. La proscription mettait l'individu frappé au ban de la société et n'importe qui était habilité à l'abattre.  

Hall s'était promis de ne plus jamais tomber dans les griffes de la police. Il refusa la proposition. Une semaine plus tard, un "ami", Mike Connolly, qui lui avait offert l'hospitalité, fut cuisiné par les forces de l'ordre. Alléché par la prime de 2000 dollars offerte pour sa capture, il décida de livrer le fugitif. La retraite fut encerclée par des douzaines de policiers. Ben Hall avait demandé à un tireur d'élite, le chasseur de primes Billy Dargin, de le tuer raide plutôt que de le capturer. Ce ne fut pas nécessaire. Des dizaines de balles le frappèrent et mirent un terme à ses exploits alors qu'il était âgé de 28 ans. 

Sa dépouille mortelle fut enterrée anonymement à Forbes, sans croix ni pierre.  Mais, comme la tombe était dans un cimetière public, elle ne tarda pas à être fleurie par des mains pieuses. Plus tard, une barrière de piquets vint l'entourer et une pierre tombale y fut installée. Ben Hall était entrée dans la légende. (Une page en anglais sur Benjamin Hall est  ici 


Ned Kelly:
Ned Kelly, fils aîné d'une famille de huit enfants, naquit à Victoria en 1854 de parents irlandais. Il était tout juste âgé de 12 ans lorsqu'il perdit son père, un ancien bagnard. Sa famille vint alors habiter auprès de cousins installés à Greta, à 240 km au nord de Melbourne, dans une contrée rude et sauvage où la vie n'était pas facile. La famille Kelly était trop pauvre pour acquérir les meilleures terres, attribuées aux plus fortunés. Tout juste put-elle obtenir  un lot de celles qui étaient laissées de côté et que le gouvernement cédait à tempérament. En plus du remboursement annuel, il fallait encore les défricher, les amender, les clôturer, se bâtir un logis tout en surveillant la récolte. Sinon, elles pouvaient leur être retirées. Pour beaucoup de gens, c'était une tâche impossible. La pauvreté du sol et la petitesse du lopin ne permettaient pas de nourrir une famille! Aussi étaient-ils souvent conduits à se procurer chevaux et bétail en les volant dans les fermes des plus riches. 

Ned venait d'avoir 16 ans lorsqu'il fut arrêté pour la première fois à la suite d'un vol de cheval. Il passa trois ans en prison et fut libéré en 1874. Qu'il ait été ou non prédisposé à suivre la voie du crime est une question discutable. Ce qui est certain, c'est qu'un événement dramatique joua un rôle très important sur la suite de son existence. En avril 1878, un officier de police nommé Fitzpatrick accusa  Ned et sa mère d'agression à main armée. S'il faut en croire une version cinématographique des événements, le policier aurait tenté d'abuser de l'une des soeurs de Ned. Quoi qu'il en soit,  Mme Kelly fut condamnée à trois ans de prison et une prime de 100 livres fut promise pour la capture de Ned. Il avait pris le maquis avec son frère Dan. 

Le 26 octobre 1878, les deux frères, avec leurs amis Joe Byrne et Steve Hart, rencontrèrent un campement de policiers à Stringy Bark Creek. Ned croyait que la police était à ses trousses pour le tuer ainsi que son frère. Aussi exigea-t-il des policiers qu'ils se rendissent. Mais trois policiers répondirent en ouvrant le feu. Ned répliqua et les tua. La récompense pour sa tête et celles de ses compagnons fut alors portée à deux mille livres. Elle devait croître ensuite à plusieurs reprises, pour atteindre la somme considérable de huit mille livres (deux millions de dollars australiens d'aujourd'hui) au fur et à mesure que ses exploits alimentaient la chronique des bushrangers. 

Ned ne manquait pas d'admirateurs et, pendant deux ans, ceux-ci l'aidèrent à tenir la dragée haute aux forces de l'ordre. Pendant cette période, il fit main basse sur l'argent de deux banques. Ces vols contribuèrent à forger sa légende. En défiant les autorités et en prenant l'argent des riches, sans porter à nouveau atteinte à des vies humaines, la bande gagnait l'estime d'une population, souvent traitée sans considération, qui admirait le courage des hors la loi et leur audace. Ces vols permettent aussi de se faire une idée de l'image que Ned Kelly avait de lui même. Chaque fois, il remettait à un otage une lettre destinée aux autorités dans laquelle il détaillait les reproches qu'il se croyait en droit de formuler contre la police. Il traitait Fitzpatrick de menteur et affirmait avoir été en état de légitime défense lorsqu'il avait commis les meurtres de Stringy Bark Creek. Il réclamait justice pour les pauvres en écrivant: "Je n'ai pas l'intention de demander pardon à qui que ce soit et je ne cherche pas les louanges, mais je veux simplement donner un avertissement. Si le peuple n'obtient pas justice et si ceux qui sont injustement détenus ne sont pas libérés, alors je serai obligé de les venger." 

En juin 1880, la bande de Kelly se trouvait à l'hôtel Glenrowan lorsqu'elle fut encerclée par la police. Préparés au combat, les quatre hors la loi étaient revêtus d'armures d'acier qui les faisaient ressembler à des chevaliers du Moyen Âge. Pendant la lutte, Ned parvint à s'échapper. Mais, au lieu de fuir dans le maquis, il revint plusieurs fois à la charge contre les policiers. Ce faisant, il s'efforçait de porter secours à son frère et à ses amis toujours dans l'hôtel. Il s'écroula avec plus de 28 impacts de balles sur le corps, sur ses bras, ses jambes, ses pieds, son visage et ses mains. Sous son armure, sa ceinture verte était souillée de sang. Ce trophée lui avait été décerné plusieurs années plus tôt pour avoir sauvé un enfant de la noyade. Ned fut le seul survivant du carnage. Les policiers s'en saisirent. Joe Byrne était mort un peu avant sa prise. Les forces de l'ordre, débarrassées de leur principal adversaire, s'acharnèrent sur l'hôtel avant de retirer des gravats les corps sans vie de Dan et de leur dernier ami, Steve Hart. 

Après sa guérison, Ned fut jugé et accusé du meurtre des trois policiers de Stringy Bark Creek, malgré ses dénégations. Des milliers de supporters défendirent sa cause, mais ce fut en vain. Reconnu coupable, il fut condamné à mort et pendu le 11 novembre 1880, dans la prison de Melbourne. Il était âgé de 25 ans. 

Aujourd'hui, si pour certains il n'est qu'un bandit de grand chemin, pour les autres il est une sorte de Robin des Bois et son effigie monumentale se dresse encore dans ce qu'il est convenu d'appeler le Comté de Kelly. Cette légende controversée nous amène à nous interroger sur le regard que l'Australie porte sur elle-même. (Un site australien sur Ned Kelly est  ici ) 


Fred Ward:
Frederick Ward, alias Capitaine Thunderbolt, naquit à Wilberforce, près de Windsor, en Nouvelle Galles du Sud, le 16 mai 1836. Mais, compte tenu des imprécisions de l'état civil à cette époque, cette date doit être admise avec précaution. L'heureux événement n'aurait pas été officiellement enregistré. Son père, Michael Ward, était un ancien bagnard déporté dans la colonie en mai 1815, sur le navire "Infatigable". Il avait été condamné pour vol d'alcool. Sa mère, Sophia, était arrivée deux mois plus tard sur le "Northampton". Vers 1846, Michael fut libéré et la famille s'établit dans la région de Maitland. On pense qu'elle comptait dix enfants et que Fred était le cadet. 

Le jeune homme grandit dans le rude environnement de la campagne australienne de l'époque. Dès sa jeunesse, il fit preuve d'une grande maîtrise dans le dressage des chevaux et son habileté fut unanimement reconnue. Aussi trouva-t-il facilement un emploi de palefrenier dans une ferme proche de Patterson, la Tocal Station, où il eut l'occasion d'approfondir ses talents. Vers l'âge de 20 ans, il quitta cet emploi et fut recruté par un certain James Garbutt, pour conduire75 chevaux à Windsor.  Il s'avéra que ces chevaux avaient été volés et Ward fut arrête et condamné à 10 ans de prison pour recel. Il fut incarcéré au pénitencier de Cockatoo Island. Quatre ans plus tard, en juillet 1860, on lui délivra un billet de liberté conditionnelle. Sa peine avait été réduite en considération du fait qu'il n'était pas l'auteur du vol. 

Voici, comment les choses se seraient passées. Une vengeance aurait été le mobile principal du vol. La famille Ward tenait la Tocal Station  pour responsable de la mort de George, un des frère de Fred. Le fermier de la Tocal aurait contraint George à faire traverser à gué par des chevaux la rivière Hunter en crue, sans prendre en considération le danger, et le jeune homme se serait noyé. L'accident se serait produit en 1854. Un an et demi plus tard, William (Harry) Ward, frère de Fred, fermier près de Lamb's Valley, à environ 12 miles de la Tocal Station, aurait volé des chevaux de cette ferme, en compagnie de deux neveux, James et John Garbutt. James, chargé de les vendre, aurait engagé Fred à l'accompagner et c'est ainsi que le jeune homme serait entré dans la carrière de bushranger. Il convient toutefois d'observer que toutes les bêtes volées ne provenaient pas de la même propriété et que la thèse de la vengeance est donc sujette à caution.  

Après sa sortie de prison, Fred travailla dans le district de Mudgee. Il y rencontra Mary Ann Bugg. Cette dernière était la fille d'un ancien bagnard et d'une Aborigène. La jeune femme avait reçu une bonne éducation. Elle était veuve d'un policier. Elle tenait en horreur les armes à feu qui avaient tant coûté de larmes au peuple de sa mère. Lorsqu'elle partit pour la Hunter Valley, où elle allait travailler à Dungog, Fred Ward la suivit. Ils se marièrent, sans doute à Stroud, en septembre 1861. Mais la réalité de cette cérémonie est mise en doute. Fred emprunta alors un cheval pour se rendre au poste de police de Mudgee afin d'y régulariser sa situation au regard de la loi. Là, il apprit que son absence du lieu de résidence qui lui avait été assigné avait entraîné la révocation de sa libération conditionnelle. Il fut arrêté et on l'accusa même d'avoir dérobé le cheval qu'il montait. Deux semaines plus tard, Mary Ann Bugg donnait naissance à une petite fille, Marina Emily Ward. 

Mary Ann suivit Ward à Sydney et l'aida à s'évader du pénitencier de Cockatoo Island en compagnie d'un autre détenu, Fred Britten. Ils nagèrent, à travers le détroit infesté de requins, jusqu'à la terre ferme, le 11 septembre 1863. Les deux hommes se dirigèrent vers la Nouvelle Angleterre, au nord de la Nouvelle Galles du Sud. Chemin faisant, il subtilisèrent un pistolet à barillet et de la viande de porc à une veuve, près d'Uralla. Quelques jours plus tard, l'attention du sergent Grainger fut attirée sur l'attaque d'une voiture de poste à Split Rock, qui portera par la suite le nom de "Thunderbolt Rock", au sud d'Uralla. Fred Ward avait été blessé à un genou mais avait réussi à s'enfuir. 

Les deux hommes se séparèrent et Ward seul s'empara de l'argent d'un péage à Campbell's Hill, près de Maitland. Le mode opératoire singulier utilisé pour réaliser ce larcin, en défonçant un mur, lui valut le surnom de "Thunderbolt". Alors prit corps la légende du Capitaine Thunderbolt. Deux jours plus tard, il rencontra un certain Parsons qui conduisait sa femme malade au médecin à Maitland. Comme notre homme ne possédait que deux livres, Ward le laissa partir sans rien lui prendre, tandis que la femme hurlait de peur de perdre les trente livres qu'elle portait cachées sur elle. Il croisa encore d'autres voyageurs, dépouilla les plus fortunés et laissa les autres poursuivre leur route après un instant de conversation avec eux. 

Peu de temps après, il fut rejoint par son épouse qui arrivait de Sydney. Ensemble, ils se dirigèrent vers le nord jusqu'au district de Moonie, dans le Queensland. Là, il trouva du travail dans une ferme. Au bout de six mois, il fut chargé de conduire du bétail dans la Hunter Valley, en Nouvelle Galles du Sud. En revenant, il apprit qu'il avait été reconnu et que la police était sur ses traces. Il ne lui restait plus qu'à prendre le large.  

Il forma une bande avec d'autres audacieux bushrangers du district de Nouvelle Angleterre. Une longue liste de forfaits devait marquer le cours des années suivantes: 25 attaques de voitures postales, 16 cambriolages d'hôtels et de magasins, 16 vols de fermes et de résidences privées, 6 attaques de colporteurs, une attaque de péage, 80 vols de chevaux et une évasion de prison, sans compter de nombreux échanges de coups de feu avec la police. Peut-être ces exploits ne sont-ils pas tous le fait de Ward et de sa bande. Mais on ne prête qu'aux riches! 

Fred Ward comptait sur son habileté et sur la vitesse de ses chevaux. Il ne tirait de coups de feu que pour les exciter à forcer l'allure ou quand on le prenait pour cible. Jamais il ne cherchait à tuer. Il s'en prenait aux biens mais pas aux personnes. Il détruisait impitoyablement toutes les valeurs qu'il ne pouvait emporter. Mais les conducteurs étaient saufs, pourvus qu'ils se tiennent tranquilles. Ce trait de caractère contribua à forger sa légende. Il devait sans doute beaucoup sur ce point à sa compagne qui, pour les raisons que l'on a déjà évoquées, détestait les armes à feu. Fred Ward fréquentait assidûment les champs de course, pour y découvrir les meilleures montures, qu'ensuite il s'appropriait. Il était ainsi toujours assuré de se montrer plus rapide que n'importe lequel des policiers lancés à sa poursuite. Parmi les chevaux de race qu'il monta, on cite Beeswing, The Barb, Eucalyptus, Come-by-Chance, Toy Boy, Talleyrand, Kerosene et Combo. Lorsqu'une bête avait fait son temps et devait être remplacée, il la vendait. 

Fred Ward avait été durement éprouvé par les traitements barbares que subissaient alors les détenus. Par deux fois, il avait connu l'horreur des geôles de Cockatoo Island. A plusieurs reprises, il avait été jeté seul dans le fond d'un cachot. Son évasion avait mis le gouvernement dans l'embarras et entraîné de vives critiques du système pénal. Par la force des circonstances, il était devenu bushranger et, pendant six années, il défia les autorités chargées de l'arrêter. Durant ces années de liberté, il fit preuve d'un courage à toute épreuve, mêlé de compassion et d'humour. Les petits fermiers, eux aussi en butte aux tracasseries des autorités, en avaient fait leur héros. Ils se reconnaissaient dans cet ennemi d'une loi et d'un gouvernement si redoutables pour les faibles et si cléments pour les puissants. Ward était un champion d'équitation et un juge sans pareil pour dénicher une monture de bonne race. Ces deux qualités suffirent à lui éviter longtemps la capture. Les policiers, mal payés et encore plus mal montés, n'étaient pas en mesure de rivaliser avec lui, pour la plus grande joie des petites gens qui se moquaient de leur balourdise. 

La vie d'aventure qu'il menait n'empêcha nullement Fred Ward de s'occuper de sa petite famille. Son attachement pour son épouse ne se démentit jamais. Il passait de longs moments en sa compagnie, en se réfugiant parfois dans une tribu aborigène, où il savait que lui et les siens étaient en sécurité. Les Aborigènes le considéraient comme l'un des leurs et il ne serait venu à l'idée d'aucun d'entre eux de le livrer aux policiers abhorrés, leurs ennemis communs. Mary Ann fut arrêtée et emprisonnée à deux reprises. Le Parlement de Nouvelle Galles du Sud fut saisi de son cas. Les deux fois, sur intervention du gouverneur, Sir John Young, elle fut remise en liberté. Cependant, sa santé s'altéra. Constamment en butte aux contrôles tatillons des forces de l'ordre, elle tomba malade. Fred Ward prit soin d'elle. Mais sa position de proscrit ne lui permettait pas de rester constamment à son chevet. Il confia la garde de son épouse à une brave femme, Mme Bradford, qui, aidée du pasteur White, lui trouva un refuge près de la rivière Goulburn. Les jours de la jeune femme paraissant menacés, on envoya quérir un médecin, le docteur Brown, qui vint, accompagné du Constable Boon. Quand il parvinrent auprès de la malade, celle-ci avait rendu son dernier soupir. 

Fred Ward était parti en direction du nord. Il y avait visité la ferme Goonoo Goonoo. Il possédait maintenant un cheval de race, Combo. Les 17 et 18 mars 1868, il assista aux courses de Tenterfield. Il s'y mêla aux riches propriétaires et vit Minstrel remporter le premier prix de 40 souverains. Il décida d'acquérir cette superbe monture et se rendit dans cette intention dans le district de Warwick. Il fit halte à un endroit choisi, le spectaculaire Boonoo Boonoo Gap, pour y attendre le passage du cheval. Pour tuer le temps, il arrêta un groupe de musiciens allemands qui revenaient de Tenterfiefd. Leur recette ne dépassait pas seize livres. La modicité de la somme l'engagea à leur demander de jouer quelque chose pour lui sur le bord de la route. Les musiciens s'exécutèrent. Au moment de leur départ, il rendit un peu d'argent à l'un d'entre eux, Peter Wirth, et lui demanda son adresse. Quelques jours plus tard, Wirth reçut à Warwick l'intégralité de l'argent volé. 

Le Capitaine Thunderbolt regroupa autour de lui un nouveau groupe de hors-la-loi et se remit à voler ici et là. Pourtant, sans doute affecté par le décès de son épouse, il n'était plus le même et agissait parfois sous l'empire de l'alcool. Les champs aurifère de Bingara constituaient son terrain d'action favori et nombre de prospecteurs furent soulagés de leurs pépites par Ward et ses acolytes. 

En mai 1870, il détroussa des voyageurs près de l'Auberge Blanche, non loin d'Uralla. L'un d'eux profitant d'un moment d'inattention du malfaiteur, sauta à cheval, s'enfuit et alla prévenir la police. Le constable en chef John Mulhall et le constable Alexander Walker se rendirent sur les lieux. La chance était ce jour là du côté des forces de l'ordre. Comme d'habitude, Fred chercha son salut dans la fuite. Mais il lui fut impossible de distancer le rapide coursier d'Alexander Walker. Il avait atteint le Chilcott's Swamp et, comme son cheval était à bout de souffle, il l'abandonna et tenta de traverser une crique à la nage. Walker tua d'une balle le cheval de Ward et se précipita en direction de la berge. Il ordonna au bushranger de se rendre en se jetant à cheval dans l'eau à sa rencontre. Ward refusa et fit face. Alors, Walker vida son chargeur sur le fugitif. Ce dernier tomba et il fallut un assez long temps au policier pour retrouver son corps au fond de l'eau. 

Comment le Capitaine Thunderbolt, généralement plus véloce a-t-il pu se laisser ainsi surprendre? On prétend qu'il ne montait pas son cheval de race, mais un autre qu'on lui avait demandé d'essayer, lequel ne possédait pas les qualités d'un bon coursier. On dit aussi que l'identité du mort est sujette à caution. Certes, il a été identifié par des proches, mais ces derniers n'avaient-ils pas intérêt à mentir si le vrai Capitaine Thunderbolt était toujours vivant? On prête à Fred Ward bien des forfaits dont il n'est peut-être pas l'auteur. Plusieurs de ses frères menèrent également une vie d'aventures et il n'est pas impossible qu'ils aient été confondus avec lui. En fait, l'homme abattu par Walker n'aurait pas été Fred mais son frère William (alias Harry). Le jour des obsèques, au cimetière d'Uralla, l'assistance remarqua une étrange femme, plus grande que la moyenne, dont la démarche masculine suscita des commentaires. Fred Ward avait-il suivi le convoi de son frère pour assister au simulacre de ses propres funérailles? Quelques jours plus tard, de jeunes policiers crurent reconnaître le Capitaine et son cheval Combo aux courses de Glen Innes. D'autres personnes attestent l'avoir rencontré alors qu'il rendait visite à ses soeurs. En 1892, il aurait écrit à ses proches du Canada. On trouverait d'ailleurs une tombe portant le nom de Frederick Ward au cimetière d'Ottawa.  

Toutes ces interrogations ne contribuèrent pas peu à entretenir la légende du Capitaine Thunderbolt. Plus d'un siècle s'est écoulé depuis que sa dépouille présumée repose au cimetière d'Uralla. Pourtant, le récit de ses exploits alimente encore la chronique de la région. Qui ne connaît pas quelqu'un dont les aïeux rencontrèrent l'un des proches du fameux bushranger et tinrent d'eux des anecdotes inédites sur ses exploits? (Des pages en anglais sur Fred Ward sont  ici  et  ici ) 


Un index sur les bushrangers australiens est  ici 
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