Carnet  de  route  d'un  voyage  au  Sichuan
octobre 2004
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Sommaire du Carnet de Route: 

1- L'arrivée à Chengdu 
2- Le monastère de Wenshu (Manjusri) 
3- La maison de thé 
4- Le marché aux chiens 
5- La maison de Thou Fou - Le retour en France 

Vous pouvez lire les notes à la suite où vous rendre directement à la rubrique souhaitée en cliquant sur l'un des numéros soulignés ci-dessus. 

Des cartes de Chine sont  ici  ou  ici  ou  ici 
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Une carte du Sichuan est  ici

 
Voir, pour les journées précédentes, le voyage au Tibet  
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16 ème jour: Arrivée à Chengdu  

A l'aéroport, nous sommes accueillis par une jeune chinoise parlant anglais. Sur la route de l'aéroport au restaurant où nous allons dîner, la différence avec le Tibet que nous venons de quitter saute immédiatement aux yeux. Il pleut. Le temps est tiède et brumeux. De hauts immeubles modernes se dressent de part et d'autre de la large artère bordée d'arbres que nous suivons. Je remarque au passage les buildings de plusieurs constructeurs automobiles européens. Ils n'ont pas regardé à la dépense pour éblouir les gens d'ici!  

Chengdu, la capitale du Sichuan, est située dans la plaine ouest de cette province. Elle est renommée pour la fertilité des terres qui l'entourent et pour la richesse de son agriculture. On y cultive des céréales, des oléagineux et des légumes. Des élevages de porcs s'y rencontrent aussi. Ces particularités lui ont valu le surnom de "Magasin du Ciel". Chengdu couvre une superficie de 12300 km2. Sa population totale avoisine les 10 millions dont 3,2 millions de population urbaine. Les principales nationalités qui s'y rencontrent sont: les Han, les Hui, les Man, les Meng, les Yi et les Tibétains. La région autonome du Tibet est frontalière du Sichuan qui recouvre d'ailleurs une partie du Tibet historique. 

La ville fut fondée en l'an 316 avant notre ère. Elle a donc une longue histoire et sa civilisation est très ancienne. Pendant la dernière période des royaumes guerriers, un barrage fut construit et un système d'irrigation fut mis en place. Durant la période des Han de l'est, elle prit le nom de Jincheng (Cité du Brocard). A l'époque des Tang (618-907), elle était considérée comme l'une des clés de voûte de la société chinoise. Chengdu comportait, avant la révolution culturelle, un quartier impérial, une résidence des vices rois ainsi qu'une enceinte de remparts. C'était une des plus belles villes de Chine. Tout cela fut détruit dans les années 1960. Ce qui subsiste est malheureusement noyé dans le modernisme. La ville comporte aujourd'hui 5 districts et 12 comtés. Elle est encore surnommée la Cité du Brocard mais aussi celle de l'Hibiscus. La rivière Jinjiang (Fleuve du Brocard) la traverse. 

Au centre ville, de longues et larges avenues sont flanquées par d'imposants édifices de verre et de béton. On y trouve aussi des boutiques et des magasins qui proposent des produits locaux. Des arbres verdoyants et de jolies fleurs ornent les voies. On peut y déguster la boisson favorite des Chinois dans des maisons de thé, apprécier la cuisine épicée du Sichuan, arrosée de vin local, dans les restaurants, acheter des articles de soie, des broderies, du brocard, des vanneries de bambou, de la porcelaine ou des laques dans les boutiques. On peut y flâner dans les bazars (free markets). A proximité se trouvent plusieurs sites d'intérêt dont un parc où l'on élève le panda géant, une espèce protégée, au milieu des bambous. Il y aurait aussi un site de lancement des satellites chinois, mais la guide ne nous en a pas soufflé mot. 

Situé dans une région subtropicale, Chengdu jouit d'un climat humide et doux. Les précipitations y sont abondantes (900 à 1300 mm par an). L'humidité moyenne est élevée (82%) et le ratio d'ensoleillement faible (28%). Nous avons eu d'emblée un exemple probant du climat puisque nous avons été accueillis par la pluie! 

Au restaurant, nous sommes tous un peu déçus, mais pour des raisons diverses. Pour ce qui me concerne, je m'attendais à une cuisine plus relevée. Il nous a fallu demander à nouveau du piment. Pour d'autres, les plats ont été chichement servis et ils repartent sur leur faim. Il est vrai, mais ce n'est pas une nouveauté, que l'on ne sert guère que la peau de la volaille. La chair, réduite en menus morceaux, est sans doute dispersées dans les plats. D'énormes bocaux attirent mon attention. Ils contiennent de l'alcool. Dans le liquide macèrent tout un tas d'ingrédients: fruits, plantes aromatiques, serpents... On ne nous en proposera pas. La cuisine que l'on sert aux touristes est préparée en fonction des goûts qu'on leur suppose. Elle n'a de typique que le nom. C'est dommage et je le regrette. 

Nous descendons à l'hôtel Tibet dont le hall ne donne pas dans le grandiose mais tombe plutôt dans le gigantisme. Les chambres sont à l'avenant. Sauf en Afrique du sud, je n'ai jamais dormi dans un local aussi vaste. Tout est très confortable. Il n'y a rien à dire. Des fruits et de la viande de yack séchée attendent même le client sur un guéridon. Ceux qui ont encore faim pourront se rassasier. 

Les trois larrons des apéritifs et digestifs quotidiens se retrouvent au bar. Malheureusement, il est impossible de nous faire servir un alcool chinois. Dans cet hôtel de luxe, on ne propose que des produits occidentaux. Nous prenons du sherry. La quantité servie est si réduite que nous restons sur notre envie. Je demande au serveur, dans un anglais approximatif, si les boutiques de l'hôtel vendent de l'alcool. La réponse est négative, ce qui d'ailleurs est faux, nous le constaterons plus tard. Seconde question: existe-t-il, pas très loin de l'hôtel, un marchand de spiritueux? La réponse est oui et on m'indique de la main le chemin à suivre.  

Rejoints par la quatrième personne de notre équipée en 4x4, nous allons dans la rue, à la recherche de la boutique. Il pleut mais, à la sortie de l'hôtel, un préposé à cette fonction nous distribue des parapluies que nous rendrons à notre retour. Les renseignements étaient exacts. La boutique existe. Elle n'est pas trop éloignée de l'hôtel et, moyennant la mimique habituelle, tire-bouchon non, dévissage oui, nous repartons avec une bouteille de vin chinois liquoreux que nous allons siffler gaillardement dans ma chambre. 
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Chengdu - Un pont sur la rivière
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17 ème jour: Visite de Chengdu - Retour en France 

La matinée est consacrée à une rapide visite de la ville avant de déjeuner et de regagner l'aéroport. Notre guide évoque les possibilités qui s'offrent à nous. En dehors de la visite du monastère de Wenshu, où nous nous rendons, ceux qui le souhaitent peuvent se rendre dans le parc où vit le panda géant au milieu des bambous. L'habitat naturel de cette espèce protégée y a été reconstitué. Un institut de recherches y étudie comment sauver les espèces menacées. Depuis l'ouverture du parc, initialement peuplé de 32 pandas, 48 petits sont nés et 28 ont survécu. Le parc contient plusieurs autres espèces animales, des grues, par exemple. Il a reçu le soutien du programme environnemental de l'ONU. Comme il est situé à l'extérieur de la ville, ceux qui désirent y aller devront prendre un moyen de transport approprié. Il ne faudra pas manquer le rendez-vous pour l'aéroport. C'est un peu compliqué et cette possibilité ne rencontre aucun succès. Il y a ensuite, une fabrique de soie, une fabrique de brocard et la maison du poète Thou Fou. Le brocard ne paraît pas intéresser grand monde. Finalement, on opte pour Thou Fou et la soie. 

Le monastère bouddhiste de Wenshu (Manjusri) est situé dans la partie nord de la cité. Il est dédié au bodhisattva de la sagesse dont il porte le nom (Wenshu ou Manjusri). Il fut édifié durant la dynastie des Tang (618-907) puis reconstruit sous celle des Qing (Mandchous), au 17ème siècle. C'est le plus important et le mieux conservé des sanctuaires de Chengdu. Nommé à l'origine Xinxiang, il fut rebaptisé après qu'un moine bouddhiste y ait vécu au 17ème siècle. On croit que sa présence donna du lustre au monastère. Celui-ci couvre une superficie de 5,5 hectares. Son complexe comporte de très nombreuses chapelles décorées de motifs sculptés qui datent pour la plupart du 17ème siècle. Son bâtiment principal comprend le Hall de Lokapala, le Hall Tianwang (Hall du Roi Céleste), le Hall des Trois Bodhisattvas, le Daxiongbaodian (Hall précieux de Sakyamuni), le Shuofatang (Hall de Lecture Bouddhiste), le Hall des Écritures et la salle de prières. 

On peut voir dans ce monastère plus de 400 statues bouddhistes de pierre, de fer, de bronze, d'argile peinte ou de bois, de dimensions et de formes variées. Dix statues de fer du Hall de Lecture proviennent de la dynastie des Song. Dix neuf statues de bronze furent fondues sous les Ming. Le Hall des Écritures contient plusieurs reliques culturelles et religieuses telles qu'une statue du Bouddha en jade blanc provenant de Birmanie; des incantations calligraphiées sur feuilles de palme venant de l'Inde; un cylindre plaqué or japonais de l'époque des Tang; une image brodée de Songwen; des peintures de Biyan et Zhuchan, des écritures des époques Song, Ming (Nanzang), Qing (Zhuangzang) et du Japon (Dade); des travaux des fameux peintres et calligraphes de la dynastie Qing: Heshaoji, Zhengbanqiao et Zhangdaqian. On remarquera aussi un habit brodé d'un millier de bouddhas, oeuvre de Tian, une concubine de l'empereur Chongzhen (1628-1644); un portrait brodé d'Avalokitesvara; un bodhivista brodé de cheveux humains; des livres écrits au 19ème siècle par des moines avec leur propre sang. Le crâne de Xuanzang, un maître bouddhiste renommé de la dynastie Tang, constitue l'une des pièces les plus précieuses. 

A l'entrée du monastère, nous sommes accueillis par un Bouddha ventripotent et souriant très différent de ceux que nous avons vus au Tibet. Comme ailleurs, de chaque côté de l'entrée, se dressent des personnages plus ou moins amènes. Ici, l'un d'entre eux, qui a tiré l'épée et dont le regard est plutôt menaçant, comporte un détail remarquable: sa moustache et sa barbe semblent faits de cheveux humains. Au dos du Bouddha, le gardien du monastère, chargé d'en éloigner les mauvais esprits, est toujours aussi vigilant. Sa taille, nous précise notre guide, dépend de l'importance du temple. 
 
Nous traversons une première cour où de nombreux pèlerins font brûler des bâtonnets d'encens. De l'autre côté s'élève un superbe bâtiment très bien entretenu. Nous allons traverser ainsi plusieurs cours où brûlent  l'encens en bâtonnet ou dans des braseros. Nous visiterons l'intérieur des bâtiments. N'ayant pas vu de pancarte interdisant les photos, je m'en donne à coeur joie, aussi bien à l'extérieur qu'à l'intérieur. Soudain, je me sens tiré par la manche. Je suis vigoureusement admonesté par un moine indigné qui m'intime l'ordre de cesser immédiatement de tirer le portrait des statues. Une vieille dame paraît même reprocher à notre guide de souiller le monastère par la présence de gens aussi désinvoltes que ces longs nez d'Occidentaux. Notre guide l'envoie évidemment promener mais nous invite aussi à cesser de prendre des photos à l'intérieur des temples. Elle n'y voit, quant à elle, aucun inconvénient, mais les fidèles estiment cela injurieux pour le Bouddha. M'étant fait rappeler à l'ordre, je me le tiens pour dit. Je ne prendrai plus de photos sous le regard des statues! 

J'observe qu'ici les photos sont totalement prohibées. Il n'y a pas de droit à payer comme au Tibet. Pas de billets non plus au pied des statues. A la sortie, on distribue des médailles dorées à qui veut en prendre. Chacun laisse, en échange d'une médaille, la somme qu'il veut au monastère. Ce don est facultatif. 
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Danse gymnique
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Nous allons ensuite visiter la maison de thé du monastère. Celui-ci dispose également d'un restaurant, comme beaucoup de monastères chinois, d'après ce que j'ai lu. Il s'agit d'un restaurant végétarien dont une pancarte vante la cuisine. Des possibilités sont offertes aux groupes. On peut organiser des banquets. J'ai même cru comprendre que de petites salles pouvaient être réservées à ceux qui souhaite plus d'intimité. On y déguste des plats raffinés, servis par un personnel diligent, dans une ambiance de musique bouddhiste. La pancarte prétend même que l'on peut s'y initier à la compassion. 

Sur le chemin de la maison de thé, une élégante pagode s'élance vers le ciel. Elle comporte 11 niveaux et mesure 22 m de haut. Des clochettes dorées sont suspendues aux coins de chaque étage. Lorsque le vent souffle, elles répandent, dit-on, dans l'air des sons mélodieux. Cette pagode serait la plus grande de Chine. 

A l'entrée d'une salle de la maison de thé, je passe devant une énorme tortue de pierre. Un peu plus loin, des Chinois sirotent tranquillement leur breuvage, autour de petites tables disposées dans un jardin, sous les arbres. Je remarque une vieille dame chinoise bien vêtue et dotée d'une indéniable classe. J'imagine qu'elle est issue d'une famille noble et qu'elle a réussi à survivre à tous les aléas de l'existence dans les périodes troublées qu'elle a connues. Quelques personnes ont amené leurs oiseaux dans des cages pour leur faire prendre l'air et leur donner l'occasion de chanter sous la pluie. 

Derrière le complexe religieux, un très belle maison traditionnelle est bâtie. Son portail est encadré de piliers supportant des dragons de pierres. Dans la cour, des personnes vêtues de couleurs claires, où se conjuguent le blanc et le bleu, s'y livrent à des exercice d'assouplissement qui font penser à une sorte de danse rituelle, très lente, presque hiératique. Munis ensuite de bâtons, les voilà transformés en portefaix. Mais leur joute n'est pas plus précipitée. Ces gens ont visiblement appris à garder leur calme. 

De beaux carreaux de faïence, décorés d'un paysage dans le goût des peintres chinois traditionnels, ornent une petite terrasse. Au magasin, j'essaie d'acheter deux petites cuillères d'argent pour mes petites filles. Je n'ai plus assez de monnaie et on ne prend pas la carte de crédit dans le monastère. Il est inutile ici de marchander. Le prix est indiqué et on n'en consentira pas d'autre. 

Nous repartons en direction de la maison de Thou Fou. Chemin faisant, notre guide nous indique comment s'effectuaient les rencontres entre futurs époux dans la Chine ancienne. Une entremetteuse, rémunérée pour ce service, faisait office d'intermédiaire. Lorsqu'elle avait connaissance de deux personnes du sexe opposé, de classes sociales compatibles, en âge de se marier, elle entrait discrètement en négociation avec les familles. L'affaire se résolvait sans que les deux principaux intéressés n'aient leur mot à dire. La dot de la jeune fille était arrêtée et versée entre les mains des parents du jeune homme avant le mariage. Au jour fixé, la cérémonie se déroulait sans que les deux époux ne se soient rencontrés. La première rencontre avait lieu dans la chambre nuptiale. Le jeune homme pouvait répudier sa femme s'il s'apercevait alors que celle-ci ne lui convenait pas. Inutile de préciser que cette dernière était alors vouée au sort d'une vieille fille, à la charge de sa famille, pour le restant de ses jours. Je crois me souvenir que la dot n'était pas rendue! 

Les moeurs sont restées longtemps très rigides en Chine. Au lendemain de la révolution, les jeunes garçons et les jeunes filles ne sortaient jamais ensembles. Progressivement, la pruderie a reculé. On a commencé à se parler, puis à se tenir par le bout des doigts, puis à se donner la main. De chastes baisers ont été ensuite échangés... Aujourd'hui, les jeunes Chinois se comportent à peu près comme les jeunes gens de nos pays. 

Un marché aux chiens attire notre attention. Pose photos. Le marché se tient à un carrefour, près d'un pont d'où l'on jouit d'une belle vue sur la rivière. Celle-ci est soigneusement endiguée entre deux murs de pierres élégamment construits. Les immeubles modernes qui s'élèvent sur ses bords ne sont pas démesurément hauts et ils s'harmonisent bien dans le paysage. Un autre pont, de belle apparence, enjambe l'eau un peu plus loin. Le coin est assez à mon goût. Sous la lumière tamisée de ce jour de brume, le pont paraît presque rose, la note dominante des immeubles est le bleu clair, des arbres d'un vert foncé bordent les quais. On dirait un joli pastel. 

Les toutous sont alignés sur le trottoirs dans des cages. Celles-ci sont parfois attachées sur le porte-bagages d'une bicyclette. Ces charmantes petites bêtes ne sont pas destinées à être mangées. Ce sont des animaux de compagnie. A quelques pas du marché, se tient un magasin où le client, après avoir choisi son compagnon favori, pourra lui acheter une niche capitonnée et même de chauds vêtements pour la mauvaise saison. Un peu plus loin, un coiffeur officie en plein air. Tandis qu'il coupe les cheveux, sur le fauteuil voisin, une femme, peut-être son épouse, cure soigneusement les oreilles d'un autre patient. 
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La maison de Thou Fou (Du Fu)
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Nouveau départ pour la maison de Thou Fou. Celle-ci est située dans les faubourgs ouest de Chengdu, sur les bords du "Ruisseau de Lavage des fleurs" (Huanhua). Nous y voilà. Le bus nous dépose à l'entrée mais ne pourra pas stationner là. Notre guide nous indique le chemin à suivre pour trouver la porte suivante, où l'espace est suffisant pour que les véhicules puissent se garer sans gêner la circulation. L'explication est parfaitement clair. Comme la visite n'était pas prévue au programme, nous devons acquitter le billet d'entrée et nous débrouiller seuls à l'intérieur. 

Thou Fou (712-770), né sous les Tang, dans la province du Henan, connut une existence agitée qui lui inspira de nombreux textes où se reflètent la vie en Chine à cette époque et les malheurs que traversait le pays. Il poursuivit d'abord des études de lettré avec le dessein d'entrer dans l'administration impériale. Mais ses dons pour les lettres le firent remarquer et il devint poète à la cour des Tang, à Xian. Cette situation ne permettait pas de nourrir une personne peu fortunée. Il adressa donc une supplique à l'empereur où il prévenait ce dernier que, faute d'un secours, le maître de la Chine ne tarderait pas à regretter la mort de son poète. Une pension lui fut accordée. Il fut même nommé gouverneur d'une province. Il refusa la fonction désirant rester dans la capitale. La révolte d'un seigneur de la guerre, qui briguait le trône, dispersa le prince et le poète. Une fois la crise surmontée, Thou Fou, de retour à Xian, fut nommé censeur impérial. Mais, l'empereur ayant renvoyé un de ses ministres, pour une cause que le censeur  jugeait futile, Thou Fou réprimanda vivement son maître en lui reprochant de ne gouverner que selon son caprice, comportement indigne d'un prince régnant sur la Chine. L'empereur, courroucé, nomma le censeur impertinent à un poste éloigné. C'était une manière de disgrâce. Thou Fou se rendit sur place et là, devant témoins, il déposa les insignes de sa charge et quitta la région. Il se réfugia au Sichuan où il vécut dans la simplicité et la pauvreté. Un gouverneur perça son anonymat. Il écrivit à la cour pour demander à l'empereur s'il devait arrêter le fonctionnaire démissionnaire. La réponse fut un brevet de commissaire général des greniers impériaux de la région adressé à Thou Fou avec une invitation à revenir à la cour quand il lui plairait. Le poète refusa l'un et l'autre et s'enfonça plus avant dans les solitudes de la nature. Un général lettré le reconnut et lui servit de protecteur. Alors qu'il visitait une île au milieu d'un lac, Thou Fou fut surpris par une tempête. Il fut cloué une semaine sur l'île se nourrissant des herbes qu'il pouvait s'y procurer. Inquiet de son absence, le général le fit rechercher. Il fut retrouvé à moitié mort de faim et de froid. Le général organisa un grand banquet pour fêter le retour du poète. Ce dernier y prit part sans retenue. Le lendemain, on le retrouva mort. 

Thou fou avait passé quatre ans à Chengdu où il avait fait construire une chaumière. Durant cette période, il avait écrit plus de 240 poèmes où est décrite la misère des petites gens. Ces textes devinrent très populaires et sont encore familiers aux lecteurs d'aujourd'hui. En 761, une tempête enleva le toit de sa chaumière. Cet incident lui inspira l'un de ses chefs-d'oeuvre: "Le chant des vents d'automne détruisant ma chaumière". Dans ce poème, il exprime son inquiétude pour les difficultés rencontrées par ceux qui sont dans la même situation que lui et souhaite un abri pour tous les pauvres. Après la mort de Thou Fou, la population construisit une nouvelle chaumière, sur les ruines de la première, en mémoire du poète. Le site que l'on visite aujourd'hui a été restauré sous les Ming et sous les Qing. Il couvre une superficie de 20 hectares plantés de bambous feuillus et d'autres essences luxuriantes. La chaumière est devenue un musée commémoratif en forme de jardin traditionnel. On y trouve des taillis, des canaux, des ponts en dos d'âne et de nombreux édifices. On peut facilement s'y égarer. 

Chaque année, en janvier, les écoliers et les poètes se rassemblent à la chaumière pour y honorer Thou Fou. Ils lisent et chantent ses poèmes avec le concours de musiciens et de danseurs. En 1961, le site fut classé monuments historique et il est désormais sous la protection de l'État. 

Je traverse une enfilade de constructions ornées de statues et de divers objets. Les principaux endroits dignes d'intérêt sont l'Entrée monumentale, le mausolée de Gong Bu (titre officiel du poète) et le Hall commémoratif de Thou Fou.  

L'Entrée monumentale fut édifiée en 1811 pour honorer la mémoire du poète. On y découvre deux anciens panneaux de bois. L'un porte une brève relation de la vie du poète et l'autre un tableau chinois traditionnel représentant sa chaumière. On peut également y lire un couplet de Gu Fuchu, célèbre poète de l'époque Qing (19ème siècle) qui admirait Thou Fou et ambitionnait d'être son successeur. 

Dans un autre bâtiment se trouve un buste en bronze du poète. Tous les Chinois qui viennent ici, et ils sont nombreux, font la queue pour être pris en photo en train de caresser le nez ou la barbiche de l'effigie de Thou Fou. Ce rituel s'est accompli si souvent que ces deux parties proéminentes du visage, polies par les attouchements, brillent comme un sou neuf. Il faut attendre patiemment que la foule se disperse un peu pour espérer saisir au vol une photo. 

On traverse ensuite la Porte de Chaume. Cet édifice était autrefois l'entrée de la résidence du poète. Sa modestie, dit la pancarte, voulue par Thou Fou, témoignait de sa vie calme et solitaire. Il s'y référa souvent dans ses poèmes. Lors de sa restauration, sous les Qing, la porte reçut son nom en raison de la pureté et de la simplicité de son architecture. 

Dans le mausolée se trouvent deux stèles gravées des dynasties Ming (14ème siècle) et Qing (19ème siècle), une statue du poète et celles de Huang Tingjian et Lu You, deux poètes notables de la dynastie Song (12ème siècle) qui voyagèrent au Sichuan dans l'espoir d'y trouver un poste officiel et qui étaient très respectés par la population locale. 

Les poèmes de Thou Fou ont été traduits en 15 langues étrangères (dont le français). Plusieurs des ouvrages publiés sont exposés dans le Hall commémoratif. On y vend aussi une traduction en anglais de poèmes choisis. J'en achète un exemplaire. 

Je me promène ensuite au hasard des allées. Celles-ci m'amènent auprès d'une cascade qui tombe dans un bassin du haut d'un rocher. Au premier plan, assise sur un gros bloc de pierre, une jeune chinoise élégante, les yeux fixés au sol, est perdu dans un rêve que le déclic de mon appareil, très discret, ne troublera pas. Je n'ai pas pu résister au plaisir de fixer cette scène idyllique. 

Dans un autre bâtiment, du mobilier, supposé avoir été utilisé par Thou Fou, est exposé: canapé et tabouret en rotin. La fraîcheur des pièces m'amène à douter de leur authenticité. 

J'aimerais bien pouvoir photographier un de ces soldats chinois qui déambulent en compagnie de leur amie. Malheureusement, il faudrait me cacher pour cela. Non pas qu'ils refusent d'être pris. Non! Mais chaque fois que je fais mine de tirer un cliché, je vois à leur visage qu'ils pensent qu'ils me gênent en s'interposant entre mon objectif et le paysage et les voilà qui s'empressent de déguerpir. Tant pis, je n'en aurai pas! 

L'heure du rendez-vous approchant, je me hâte de retrouver l'entrée pour ne pas m'égarer et je suis, comme notre guide nous l'a indiqué, le mur d'enceinte jusqu'à la prochaine porte que je finis par trouver. Je sors. Le bus et ceux qui ont renoncé à la visite sont bien là. Je suis le premier arrivé. Je serai le seul. Tous les autres se perdront et sont sortiront où ils pourront. Après une heure d'attente vaine, notre accompagnatrice et notre guide s'en vont vers les autres portes. Heureusement, les égarés sont restés assez groupés. Ils seront vite repérés. Mais la perte de temps nous interdit la visite à la fabrique de soieries. Ce n'est pas une grande perte. 

Dans le bus qui conduit au restaurant où nous allons prendre notre dernier repas en Chine, les visiteurs de la maison de Thou Fou s'étonnent du nombre prodigieux de visiteurs qu'attire en Chine la maison du poète et de la vénération que le peuple chinois paraît encore lui porter. Quand on sait combien de Français visitent la maison de Victor Hugo à Paris, il y a effectivement de quoi s'extasier. Je suis même à peu près certain que la plupart des Français ignorent où elle se trouve. Encore Victor Hugo vivait-il au 19ème siècle, c'est-à-dire à une date récente, par rapport à Thou Fou qui naquit et mourut au 8ème siècle! 

Au restaurant, nous tombons au milieu d'un repas de noce. La mariée, vêtue de rouge, selon la mode chinoise, s'égosille sur une estrade en poussant une romance qui écorche les oreilles. L'assemblée est plus que nombreuse et le repas semble pantagruélique. Nous allons profiter de l'ambiance, sinon des plats. Tout se passe d'ailleurs fort bien. Au moment de notre départ, la nouvelle épouse tient à venir nous remercier et nous souhaiter bon voyage individuellement. 

En route pour l'aéroport. Le transit à Bangkok sera long: 6 heures d'attente. Puis la nuit dans l'avion. Paris au petit matin. 
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Thou Fou (Du Fu)
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Le marché aux chiens           La maison de Thou Fou

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