Notes prises lors de la visite du C.H.U. de Bicêtre
(Journée du patrimoine 19 septembre 2009)
 
Contrairement à ce que pourrait laisser supposer l'architecture des bâtiments, l'hôpital de Bicêtre n'a jamais été ni une caserne, ni une abbaye. Il a d'emblée été conçu pour servir de maison de soins, comme on le verra plus loin. La visite est commentée par une personne des Monuments Historiques et une brochure résumant son intervention est remise aux visiteurs. 

La visite commence par la Porte (ou Porterie) des Champs. Cette porte, située à l'est, fut construite, en 1757, c'est-à-dire sous Louis XV, par Charles Trudaine fondateur de l'École des Ponts et Chaussées. Elle n'est pas la porte d'origine de l'hôpital; cette dernière était située au nord, en direction de Paris, en haut d'une pente descendant vers la vallée de la Bièvre, ce qui en rendait l'accès difficile. La nouvelle porte, lors de son ouverture, donnait sur la campagne, en direction et à proximité de la voie de Paris à Fontainebleau, qui deviendra plus tard la route nationale N° 7. De la voie à la porte, la pente était douce ce qui facilitait l'accès à l'hôpital. Le fronton de la porte était orné d'un blason qui a probablement était martelé à la Révolution pour en effacer les armes de France qui n'y sont plus. Cette porte, comme beaucoup d'autres bâtiments de l'hôpital, a été restaurée voici quelques années. 
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La Porte des Champs avant sa restauration 
A droite, le passage par où nous sommes entrés
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Nous pénétrons à l'intérieur de l'hôpital en empruntant un passage percé à côté de la Porte des Champs dans un bâtiment administratif. Notre cicérone profite d'un arrêt devant un panneau émaillé représentant le plan de l'ensemble hospitalier pour nous entretenir des différents services: réanimation médicale, neuropsychiatrie, pédiatrie, recherche, laboratoires, gérontologie, chirurgie ambulatoire, orthogénie, ophtalmologie, oto-rhino-laringologie, stomatologie... 
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Le plan du C.H.U. de Bicêtre est  ici
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Nous nous dirigeons ensuite vers l'ouest, en passant sous des arcades, pour nous arrêter sur l'axe nord-sud de l'hôpital, au niveau de l'ancienne entrée et sur la voie médiane des anciens bâtiments. En direction du sud, dans le lointain, une antenne indique la présence du fort de Bicêtre, ouvrage de l'enceinte de Paris édifiée par Louis-Philippe. Plus près, au bout d'une allée de marronniers, un bâtiment bas occupe l'emplacement de la chapelle construite sous Louis XIV et malheureusement détruite pendant les années 1920, pour être remplacée, un peu plus tard, par une salle des fêtes. Cette halte offre à notre guide l'occasion de nous parler d'un peu d'histoire. Le passé de Bicêtre est particulièrement riche, mais aussi lourd à porter. 

Bicêtre était un ancien hameau de la commune de Gentilly jusqu'au 13 décembre 1896. Le Kremlin était l'enseigne d'un cabaret qui s'ouvrait sur la route de Fontainebleau, à proximité de l'hospice de Bicêtre, où beaucoup de soldats blessés reçurent des soins au retour de la campagne de Russie en 1812; ce cabaret fut fréquenté, après la chute de Napoléon, par les demi-soldes qui y trouvaient un vin meilleur marché qu'à Paris, et qui venaient s'y rencontrer entre amis pour se raconter leurs exploits. 

Le nom de Bicêtre est d'origine anglaise: en 1290, Jean, évêque de Winchester, y possédait des terres sur lesquelles il fit construire un manoir; par altération, Winchester devint Vinchestre puis Bichestre, enfin Bicêtre, mais pour d'autres ce nom découlerait plutôt de "Biberis Castra" (Château de la Bièvre). Quoi qu'il en soit, le logis de l'évêque passa entre plusieurs mains pour revenir au domaine royal en 1375. En 1400, le duc Jean de Berry, oncle de Charles VI, y construisit un des plus beaux châteaux de l'époque. En 1410, la paix de Winchester y fut signée. Le château fut incendié, en 1411, au cours d'une émeute populaire s'inscrivant dans la lutte qui opposa Armagnacs et Bourguignons. En 1416, le duc abandonna les ruines de son château au chapitre de Notre-Dame de Paris. Le bâtiment revint au domaine royal en 1520. François Ier pensa faire édifier un hôpital destinés aux pestiférés en ce lieu élevé, bien ventilé pour chasser les miasmes délétères; mais les travaux ne commencèrent que sous Louis XIII, en 1634, peut-être en réutilisant des bâtiments préexistants (ancienne lingerie), et furent achevé par Louis XIV. Initialement, l'ensemble devait servir d'hôpital militaire pour soldats invalides et il fut érigé en commanderie de Saint-Louis. Après la mort de Louis XIII, en 1648, saint Vincent-de-Paul obtint d'Anne d'Autriche, l'autorisation d'y héberger les enfants abandonnés (enfants trouvés), nombreux dans les rues de Paris à cette époque, mais l'air de ce plateau se trouva trop vif et l'initiative échoua. Vincent-de-Paul dut ramener ses orphelins à Paris, à l'Hôpital des Enfants Trouvés, faubourg Saint-Antoine, édifié à cette fin, en 1656. L'hospice de Bicêtre fut alors réuni à l'hôpital par Mazarin et, après l'achèvement des Invalides, en 1666, il perdit sa fonction d'hôpital militaire pour devenir Hôpital Général. Cette institution était avant tout destinée à lutter contre la mendicité et le vagabondage. La mendicité était interdite; elle était punie du fouet ou d'un placement à l'Hôpital Général; en cas de récidive, le coupable était condamné aux galères. Le conseil d'administration de l'Hôpital Général reçut du roi, "la police, la juridiction et la correction des pauvres", et l'hôpital fut pourvu de l'attirail nécessaire à la répression: chaînes, carcans, prisons, basses-fosses etc; les jugements du conseil étaient sans appel; le bailli et les archers dont il disposait parcouraient chaque jour Paris pour y arrêter les mendiants; ceux-ci étaient enfermés à Bicêtre ou la Salpétrière, ou bannis de la ville; de la sorte, on vidait la capitale des pauvres qui y pullulaient (40000 soit 10% de la population!) sans s'inquiéter des causes du mal; quitter l'hôpital sans permission coûtait cinq années de galères. Bicêtre reçut aussi des jeunes gens débauchés ou atteints de maladies vénériennes; il était d'usage de les fustiger avant et après pansement. On y mettait aussi les femmes "gâtées", les filles publiques d'abord, puis toutes celles trouvées dans les rues. Sous Louis XIV, les travaux furent poursuivis, sans doute sur les plans de Le Vau; furent alors édifiées la Porte Nord (1668) et la Chapelle due à Mercier (1670-1680), détruite en 1927* et dont il reste un lutrin de fer forgé déposé à l'église Saint-Julien-le-Pauvre, mais le logis de l'aumônier ne fut construit que vers 1760, sous Louis XV. Au début du 18ème siècle, deux bâtiments vis-à-vis l'un de l'autre, à usage de prison, furent construits: La Force et Les Cabanons, prolongés en 1787 par l'architecte Ch. F. Viel. A partir de 1720, les mendiants valides ne furent plus enfermés à l'hôpital, mais envoyés dans les colonies. Bicêtre servit de centre de transit avant leur embarquement au Havre. En 1733, l'architecte Germain Boffrand creusa le Grand Puits et construisit la citerne voisine. Pour relier l'hôpital à la route de Fontainebleau fut percée, en 1757, on l'a déjà dit, la Porte Est, qui devint l'entrée principale jusqu'à nos jours. Les premières loges pour aliénés furent édifiées par Boffrand, en 1731; elles ont été depuis détruites. C'est à Bicêtre que le tapissier Guilleret aurait inventé la Camisole de Force, en 1770. Sous la Révolution, à la suite d'un rapport de Mirabeau, on remit en liberté les prisonniers détenus sans jugement. En septembre 1792, des sans culottes furieux assassinèrent au gourdin près de deux cents détenus dont beaucoup d'enfants ramassés dans les rues pour vagabondage, mendicité ou menus larcins; on y plaça les suspects de trafic de faux assignats, dont la plupart furent inclus dans la prétendue conspiration des prisons, en juin 1794, et envoyés à l'échafaud. Deux quartiers d'aliénés, ordonnés chacun autour d'une cour, s'élevèrent au début du 19ème siècle. Un projet d'agrandissement de la prison, en 1827, attribué à Baltard, ne fut pas réalisé, mais le quartier circulaire de la Sûreté fut édifié avant 1845 (et démoli vers 1970). Le grand bâtiment de l'hospice, prolongé d'ailes hautes au sud et d'ailes basses au nord, fut notablement agrandi par des campagnes de travaux qui s'échelonnèrent de 1847 à 1858 (dates figurant sur les pavillons). De 1886 à 1889, le quartier des enfants idiots fut construit par Imard, architecte de l'Assistance publique. En 1932, la salle des fêtes occupa l'emplacement de la chapelle détruite, l'école d'infirmières vit le jour en 1966, enfin le nouvel hôpital, au nord-ouest de l'ensemble, fut édifié en 1981, sur d'anciens potagers. 

On le voit, Bicêtre fut, tour à tour, hôpital militaire et civil, dépôt de mendicité, maison de correction, maison de force, prison, orphelinat, asile d'aliénés, hospice. Il rassembla tout ce que Paris comptait de malades, de pauvres, de vagabonds, d'asociaux... bref, une véritable cour des miracles enfermant entre ses murs ceux que l'autorité jugeait prudent d'écarter de la capitale. Ses prisonniers célèbres furent le romancier Nicolas Restif de la Bretonne; Latude, retenu 35 ans à La Force pour avoir offensé Madame de Pompadour; Ange Pitou, pamphlétaire, sous la Révolution, qui fut déporté en Guyane; Joseph Lesurques, accusé du l'assassinat du courrier de Lyon en 1796, dont la participation au crime ne fut jamais été démontrée; Jean-Marie Hervagault, l'un des prétendus Louis XVII, qui y mourut en 1812; Vidocq, Cadoudal, les 4 sergents de La Rochelle, Lacenaire...  
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* Ces dates sont imprécises. On parle aussi de 1634 pour la construction et de 1925 pour la destruction. 
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Une chronologie historique plus détaillée est accessible ici
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Le château de Bicêtre
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Nous nous dirigeons vers le nord en suivant l'axe central. Nous nous arrêtons devant une façade au rez-de-chaussée composée d'arcades formant galerie, autrefois ouvertes et aujourd'hui fermées par des vitres, qui rappellent un peu l'architecture d'un cloître. A travers le passage central, on aperçoit la pente assez prononcée qui descend vers la vallée de la Bièvre. Les plans des bâtiments de l'hôpital militaire édifié sous Louis XIII ont longtemps été attribués à l'architecte Lemercier, mais ils seraient en fait l'oeuvre d'un certain Lintlaer, dont notre guide ne nous souffle mot. De cette première construction subsiste un des quatre pavillons d'angle et une partie du gros-oeuvre du bâtiment nord, lequel porte aujourd'hui le nom de Pierre Marie (voir le plan). Ces édifices sont en moellon calcaire enduit avec chaînes d'angle et encadrements de baies en pierre de taille. Le bâtiment devant lequel nous nous trouvons fut allongé et surélevé d'un étage au 19ème siècle, en 1847-1849, ainsi qu'en témoigne une plaque apposée au-dessus du passage central. Lors des travaux de réaménagement, la toiture initiale à deux pentes fut remplacée par une toiture cassée permettant la récupération des combles. Nous traversons le bâtiment et descendons l'escalier pour jeter un coup d'oeil sur la façade monumentale, une des plus grande de Paris, qui donne vers le nord et la vallée de la Bièvre. En contrebas, on aperçoit la Porte (ou Porterie) du Nord ou de Paris qui donnait accès à l'hôpital avant le percement de la Porte des Champs. 
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Bicêtre avant les travaux de surélévation du 19ème siècle
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Nous descendons jusqu'à la Porte du Nord construite sous Louis XIV. La date de son édification (1668) et son nom (Saint Jean-Baptiste) y sont encore visible. Cette porte a été restaurée. Sur sa face nord, du côté de Paris, elle est longée par une rue de l'autre côté de laquelle s'étendait autrefois le cimetière de l'hôpital aujourd'hui occupé par un jardin public qui porte le nom de Pinel. Sur le sol de ce jardin, des dalles indiquent l'emplacement de l'ancienne voie d'accès à l'hôpital depuis Paris. Dans le fond du jardin, sur la droite, on aperçoit, derrière les arbres, un bâtiment qui servait sous Napoléon de morgue; c'est là que la famille venait reconnaître les pensionnaires décédés avant leur inhumation. Philippe Pinel (1745-1826) fut un aliéniste renommé; il travailla notamment à Bicêtre; il classifia les maladies mentales et s'employa à humaniser le traitements des malades autrefois enchaînés; son oeuvre exerça une grande influence sur la psychiatrie et le traitement des maladies mentales en France et en Amérique. A Bicêtre, il fut assisté par Jean-Baptiste Pussin (ou Poussin) (1745-1811); ce dernier, un ancien pensionnaire de l'établissement, était devenu surveillant (gouverneur sous l'Ancien Régime) à Bicêtre; humain avec les malades, il eut l'idée de leur enlever les fers, de les soigner moralement et d'employer ceux qui étaient guéris; on le considère comme le père spirituel des infirmiers psychiatrique et son nom a été donné au bâtiment de gauche de la Porte Nord, celui de droite portant le nom de Cour de Sibérie (voir le plan); notre guide pense que Pussin inventa la camisole de force, mais d'autres auteurs attribue la paternité de ce vêtement particulier à un certain Guilleret, comme il est dit plus haut. 
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La Porte Nord avant sa restauration
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Nous longeons la Cour de Sibérie en direction de l'ouest. Au bout du bâtiment, en face d'une construction neuve qui abrite la Faculté de Médecine de Paris Sud, en contre-bas sur la droite, nous tournons à gauche et remontons entre les anciens bâtiments et un bloc récent qui porte le nom de Paul Broca (1824-1880), fondateur de l'anthropologie physique et neurologue, jusqu'au bâtiment Joseph Fourier (1768-1830), mathématicien, un des savants qui accompagnèrent Bonaparte en Égypte, qui fut professeur à Polytechnique, membre de l'Académie des Sciences et préfet de l'Isère sous l'empire (voir le plan). Parvenu là, nous tournons à gauche, pour revenir entre les anciens bâtiments, puis nous continuons à monter. A notre droite, nous rencontrons un pavillon blanc réhabilité derrière un jardin; il abritait autrefois les cuisines, maintenant un peu plus loin derrière. Plus haut, une autre maison, de style voisin et de même couleur, était la maison du directeur. 

Sur la droite de la voie montante, nous pénétrons dans une cour bordée de maisons basses peintes en rouge pourvues d'une terrasse à colonnade blanche au rez-de-chaussée. Ce sont les loges construites au début du 19ème siècle, sous la Restauration, pour accueillir les malades mentaux. Ils y vivaient isolés les uns des autres, le cas échéant en famille, dans une semi-liberté, ayant la possibilité de prendre l'air sur la terrasse. Ils n'étaient plus entravés et on reconnaît dans ces innovations l'influence de Pussi et de Pinel. Ces petites maisons font maintenant partie du secteur de la médecine du travail. 
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Coupe du bâtiment des cachots blancs
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De l'autre côté de la voie, dans un creux, s'élève un bâtiment massif du 18ème siècle: La Force. Plus haut, en direction du sud, était situé le quartier des hospices. Au fond d'une cour, tout contre le mur d'enceinte de l'hôpital, on aperçoit le bâtiment le plus ancien. En empruntant un escalier, nous descendons au niveau du rez-de-chaussée de l'ancienne prison édifiée vers la fin du règne de Louis XIV et sous Louis XV. Cet édifice était destiné à servir de lieu de détention des criminels et condamnés à mort. Sauf exceptions dont il sera question plus loin, les détenus étaient enfermés dans de vastes salles communes. La construction comportait trois bâtiments disposés en fer à cheval autour d'une cour à peu près carrée. Le bâtiment du sud comportait les grandes salles dortoir, celui du nord renfermait les cachots blancs, dans son sous-sol et le bâtiments du fond les cabanons pour les enfants. Au milieu de la cour, un puits creusé dans le sol donnait accès à huit cachots noirs; ceux-ci, complètement obscurs, d'où leur nom, étaient distribués, en cercle autour du puits par lequel on faisait descendre la maigre pitance des enfermés, à cinq mètres sous terre; on enfermait là les fortes têtes jugées irrécupérables et il arrivait qu'on les y oublie et qu'ils meurent de faim; lorsqu'on les sortait à l'air libre, il fallait ménager une transition car celui-ci les enivrait. Les prisonniers rebelles mais moins endurcis, ainsi que les condamnés à mort en instance de cassation*, bénéficiaient des cachots blancs; ils y étaient enchaînés mais y recevaient une lumière parcimonieuse à travers d'étroites bouches d'aération percées dans les murs. Sous l'Ancien Régime, on pouvait être interné à Bicêtre par simple lettre de cachet. Comme les conditions de détention y étaient très sévères, voire cruelles, on menaçait les locataires d'autres prisons, comme la Bastille, de les y envoyer s'ils ne se montraient pas raisonnables. Les prisonniers de Bicêtre non enfermés dans des cachots s'adonnaient à des travaux rémunérés qui leur permettaient d'améliorer leur ordinaire; on les employait par exemple au polissage des glaces de la Manufacture Royale ou encore, on aura l'occasion d'y revenir, pour tourner la noria qui servait à puiser l'eau pour l'établissement. A la fin du règne de Louis XV, Malesherbes dénonça, en 1770, au roi la barbarie des cachots noirs. Au début de la Révolution, Mirabeau parvint à obtenir l'élargissement des prisonniers détenus sans jugement puis les cachots noirs furent définitivement fermés et détruits en 1792. A partir de 1796, La Force devint le point de départ de la chaîne des condamnés aux bagnes de Brest, Rochefort et Toulon; les galériens étaient enchaînés deux à deux par le cou. En 1836, la prison de Bicêtre fut fermée et remplacée par la Grande-Roquette. Les cachots blancs servirent alors de caves pour la pharmacie de Bicêtre et, au lieu de prisonniers, ce furent des fioles, des bonbonnes et des tonneaux de drogues qui occupèrent ces lieux sinistres. Les bâtiments de La Force n'ont pas été encore rénovés et sont en assez mauvais états; des étais de bois les renforcent afin d'éviter les effondrements. 
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* Cadoudal et les quatre sergents de la Rochelle, entre autres, goûtèrent aux cachots blancs. 
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Un prisonnier enchaîné
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Nous descendons par un escalier étroit visiter les anciens cachots blancs où l'un d'entre eux a été reconstitué.  

Ensuite nous marchons en direction de l'est, puis nous longeons l'héliport pour nous rendre dans un quartier qui a conservé le charme du 18ème siècle. Au lieu d'être asphaltées comme ailleurs, les voies y sont encore ferrées de larges pavés. C'est pourquoi ce lieu sert assez souvent de décor au tournage de films historiques. C'est là que se trouve le Grand Puits creusé, entre 1733 et 1735, par l'architecte Germain Boffrand, pour l'alimentation en haut de l'hospice de Bicêtre. Ce site comporte, du nord au sud, trois bâtiments distincts réunis pour remplir un même office: le Manège, le Puits proprement dit et le Réservoir. Ces bâtiments sont construits sur d'anciennes carrières. 
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Au centre du manège se dressait autrefois un arbre autour duquel tournaient d'abord douze chevaux (trois attelages de quatre chevaux) et ensuite soixante douze prisonniers, à partir de 1781, puis le même nombre d'aliénés ou d'épileptiques après la fermeture de la prison. Cet arbre était relié au mécanisme qui permettait de monter et descendre le seau qui allait puiser l'eau au fond du puits. L'opération consistait à tourner dans un sens pour descendre les seaux, puis en sens inverse pour le remonter. Le changement de sens n'était pas facile à opérer avec des chevaux, c'est pourquoi ils furent remplacés par des hommes qui, plus tard, en 1858, cédèrent eux-mêmes la place à trois pompes mues par une machine de 15 chevaux vapeur. A partir de 1903, le puits fut désaffecté et l'alimentation en eau de l'hospice fut assurée par l'installation de trois réservoirs d'eau de source bétonnés d'une contenance de 1200 mètres cubes. Le manège fut converti en chapelle, après la démolition de celle qui avait été construite sous Louis XIV et l'on y réutilisa quelques-uns des éléments de cette dernière. Il paraît actuellement presque à l'abandon. 

Le puits est profond de 58 mètres, dont 28 creusés dans le roc, et son diamètre de 5 mètres en fait probablement l'un des plus larges qui soit. On aperçoit parfaitement au fond l'eau peu profonde qui provient, non pas de la Bièvre, mais d'une nappe phréatique qui dépend probablement de cette rivière. Des restes d'échafaudage de bois et une échelle de fer rouillée sont tout ce qui subsiste des paliers qui permettaient autrefois aux ouvriers de descendre dans le puits pour le curer. Au-dessus du puits, une solide charpente, parfaitement bien agencée, porte encore la trace des crochets qui supportaient la poulie et les cordages employés pour tirer l'eau du puits. On utilisait deux seaux d'une contenance de 270 litres chacun; ces seaux étaient munis d'une sorte de clapet qui s'ouvrait dès qu'il atteignait l'eau à la descente, sous l'effet de son propre poids, puis se refermait, sous le poids de l'eau, lors de la remontée; l'eau était ensuite déversée dans un conduit qui l'amenait jusqu'au réservoir. 
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Coupe du Grand Puits
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Le réservoir est constitué d'une belle salle voûtée rectangulaire; la voûte en berceau en anse de panier repose sur des piliers carrés. Les murs de cette vaste citerne étaient autrefois recouverts de plomb jusqu'au plus haut niveau de l'eau pour en assurer l'étanchéité. La citerne, d'une capacité de 1034 litres, divisée en deux parties, n'était jamais pleine et l'eau était toujours aérée. Les emplacements de l'arrivée et du départ de l'eau sont clairement identifiables. En haut des murs, hors de portée de l'eau, on peut voir d'émouvants dessins tracés par les prisonniers actionnant le manège qui venait se reposer de leur pénible tâche dans les combles du réservoir. Ce dernier est aujourd'hui converti en salle de réunion et de spectacle. L'édifice qui le contient est recouvert d'un toit en pavillon surmontée d'un lanterneau. 

Nous atteignons ensuite la Cour des Massacres en empruntant un escalier situé en face du Grand Puits (voir le plan). Cette cour est bordée à droite et à gauche de loges similaires à celles qui ont été vues précédemment, lesquelles accueillaient les malades mentaux; elles auraient été aménagées au 19ème siècle pour abriter le personnel. Le 17 avril 1792, c'est-à-dire à la fin de la monarchie, le docteur Guillotin (philanthrope et député du Tiers-État ) y essaya sa machine à décapiter, mise au point avec l'aide du docteur Louis,  le 17 avril 1792, sur des moutons vivants, puis sur les cadavres de trois vagabonds, en présence du corps médical de l'établissement. L'essai se révéla concluant. La machine appelée tout d'abord "Louisette", puis "Louison" prit le nom définitif de Guillotine en référence à son auteur. Elle présentait le mérite, qui peut paraître étrange à notre époque, d'humaniser la peine de mort et de la démocratiser. Elle se substituait en effet à toute une série de peines en vigueur sous l'Ancien Régime (décapitation à la hache, pendaison, roue, écartèlement, peine du bûcher...) plus terribles les unes que les autres et très peu égalitaires. La guillotine constituait donc un indéniable progrès et ses défenseurs prétendaient que le supplice était indolore; ils affirmaient même que le guillotiné éprouvait une agréable sensation de fraîcheur! Plus tard, au moment de la Terreur, un autre inventeur, qui s'appelait Guillot, s'il faut en croire notre guide, essaya également ici une autre machine destinée à tuer de manière plus industrielle puisqu'elle expédiait neuf condamnés à la fois. Ce fut un échec et la nouvelle machine ne fut pas adoptée. En septembre 1792, on l'a déjà dit, les sectionnaires formèrent à Bicêtre un tribunal révolutionnaire qui acquitta et condamna selon des critères discutables, comme dans les autres prisons emplies alors de prisonniers de droits communs et de prisonniers politiques, qualifiés d'ennemis du peuple. Les condamnés étaient promptement expédiés, avec les armes du bord, dans la cour qui porta dès lors le nom de Cour des Massacres. D'après notre guide, les exécuteurs improvisés des hautes oeuvres étaient ivres. Je ne discuterai pas ce point, mais je me contenterai de rappeler que des recherches historiques sérieuses ont montré que les septembriseurs, comme on les appela, n'étaient nullement tirés de la lie de la population mais qu'ils étaient au contraire, le plus souvent, d'honnêtes bourgeois et de bons pères de famille. L'explication d'une telle furie réside dans l'atmosphère guerrière qui régnait alors en France: notre pays était envahi, le duc de Brunswick menaçait Paris d'une destruction totale... Avant de se rendre aux frontières pour combattre, les futurs soldats révolutionnaires estimaient nécessaire de débarrasser les prisons des aristocrates qui y complotaient et ne manqueraient pas d'en sortir pour égorger leurs fils et leurs compagnes, comme le dit la chanson, dès que les patriotes auraient le dos tourné. C'est cette crainte qui fut à l'origine des massacres et c'est pour prévenir de nouvelles vengeances populaires anticipées que fut créé le Tribunal révolutionnaire. Plus tard, la chaîne du bagne partit de cette cour où les condamnés étaient ferrés. Victor Hugo fut autorisé par le préfet de police à assister, en 1828, à cette opération qui lui inspira son roman: "Le dernier jour d'un condamné". 

Ici se termine la visite. Mon fils connaissant les lieux, puisqu'il travaille dans les locaux administratifs proches de la Porte des Champs, nous regagnons la sortie par une sorte d'escalier secret qui passe entre le bâtiment du grand puits et celui du réservoir. Il donne sur les vestiges d'un jardin où poussent encore de la rhubarbe et un cep de vigne agrémenté de beaux raisins encore verts. Un peu plus bas, un gros figuier chargé de fruits tend ses branches par-dessus le mur. 


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