Carnet  de  route  d'un  voyage  en Jordanie
novembre 2008 (suite 1)
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2 ème jour (17 novembre - suite): Jerash, la ville d'Artémis  (les photos sont  ici ) 

Du parking où nous sommes garés, jusqu'à la ville antique, nous devons traverser un important centre commercial pour touristes; il est bien achalandé. Ensuite, nous gravissons quelques marches pour nous trouver au sud du site, en face de l'arc de triomphe d'Hadrien (voir le plan ci-après:1), un imposant monument de 25x21,5 m, construit en 129, à l'occasion de la visite de l'empereur romain. Cet arc a été rénové dans les années 1980, par des archéologues jordaniens mais les niches, qui devaient contenir des statues, au-dessus des deux voûtes latérales, percées de part et d'autre de la voûte centrale, sont aujourd'hui vides. Le passage central est environ deux fois plus haut que les passages latéraux, de sorte que le haut des niches se trouve à peu près au même niveau que celui du passage central. Des colonnes corinthiennes (chapiteaux à feuilles d'acanthe) encadrent les deux passages latéraux, sous un fronton triangulaire. Les niches sont elles aussi encadrées de colonnettes. L'ensemble est bien proportionné et harmonieux. 
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Plan de Jerash - Pour l'agrandir, cliquez ici 
(source: Jordanie - Geographic & Co.)
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Sur la gauche de l'arc, s'élèvent les arcades du mur arrière de l'hippodrome (2). Celui-ci était de taille modeste. Démoli par les tremblements de terre, il n'a pas été rebâti et a été occupé, pendant un temps, par des ateliers d'artisans potiers. Une église pavée de mosaïques s'élevait à proximité. L'hippodrome a maintenant été réhabilité et des interprétations s'y déroulent, à l'intention des touristes, qui peuvent y voir évoluer des chars romains tirés par des chevaux.  

Nous passons sous l'arc d'Hadrien et empruntons une longue et large voie qui longe l'hippodrome, en direction de la porte Sud (4). Avant d'atteindre celle-ci, nous nous arrêtons auprès des bureaux de l'administration, pour y prendre un guide local, formalité indispensable. L'attente n'est pas trop longue, malgré la presse. Notre guide nous amène jusqu'à la porte et, là, il nous fournit quelques explications historiques et architecturales. 

Gérasa (la ville des Gérontes) ne fut pas fondée par Alexandre le Grand, comme le prétend une légende locale. Le site était, en effet, déjà occupé au néolithique; une première cité y aurait vu le jour au 4ème siècle avant notre ère; il en est question dans la Bible. Cependant on n'y a pas trouvé de vestiges antérieures au 2ème siècle avant Jésus-Christ, à l'époque des Séleucides, sous lesquels, elle se développa; la cité est restée marquée par son origine hellénistique. En 84 avant Jésus Christ, elle fut occupée par Alexandre Jannée, roi hasmonéen de Judée; en 73 avant Jésus-Christ, elle fut conquise par le Nabatéen Aretas III et, dix ans plus tard, elle tomba sous la coupe du Romain Pompée. Elle connut alors la prospérité, devint l'une des principales cités de l'empire, et fit partie de la Décapole, créée, selon notre guide, pour maintenir la paix entre les Juifs et les autres peuples de la région (une allusion à l'histoire actuelle?). Un épisode des évangiles y serait situé: "Et ils abordèrent au pays des Geraséniens, qui est en face de la Galilée. Comme ils descendaient à terre vint à sa rencontre (du Christ) un homme de la ville possédé des démons… Ayant vu Jésus, il poussa des cris, tomba à ses pieds et dit d'une voix forte: "Qu'y a-t-il entre moi et toi, Jésus, fils du Dieu très haut? Je t'en prie, ne me tourmente pas. Car il ordonnait à l'esprit impur de sortir de l'esprit de cet homme. Les démons sortirent de l'homme et entrèrent dans les porcs et le troupeau s'élança de l'escarpement dans le lac et fut noyé. Les pasteurs, ayant vu ce qui était arrivé, s'enfuirent et portèrent la nouvelle dans les villes et dans les villages. Et toute la population du territoire des Geraséniens lui demanda de s'éloigner d'eux parce qu'ils étaient saisis d'une grande crainte. (Luc, VIII)" En 106, Trajan créa la Province Romaine d'Arabie et soumit les Nabatéens; Jerash devint alors un centre commercial opulent où de nombreux monuments virent le jour (arc d'Hadrien, Porte Sud, temple de Zeus et d'Artémis...). Elle prit le rang de seconde ville de la Province. La présence chrétienne y est attestée au 3ème siècle. Au 4ème siècle, à la suite de la montée en puissance du christianisme, la ville fut le siège d'un évêché; plusieurs églises y furent construites (Saint Côme et Damien, Saint Jean-Baptiste, Saint Georges et Saint Théodore...); une cathédrale s'éleva sur l'emplacement d'un temple païen. Le déclin s'amorça avec les invasions perse (614) et arabe (635). Elle fut aussi victime de tremblements de terre, dont le plus violent eut lieu en 747-748. Sous les Omeyyades, elle n'était déjà plus que l'ombre d'elle-même. Les Croisés lui donnèrent le coup de grâce en la rasant. Après le 12ème siècle, la ville en ruines fut ensevelie peu à peu sous les sables qui protégèrent ses monuments. A partir de 1878, une ville nouvelle apparut, à l'est de la cité antique; elle compte aujourd'hui plus de 120000 habitants et est le chef-lieu de la province du même nom. Les premières fouilles archéologiques débutèrent dans les années 1920, sous la direction d'une équipe d'archéologues anglo-américains; elles furent mises en sommeil, après la publication de Kraeling, en 1938; elles reprirent activement dans les années 1980, sur une base internationale. 

L'architecture de la porte Sud rappelle celle de l'arc d'Hadrien mais le haut n'a pas encore été restauré. Le guide nous fait remarquer les deux niches au-dessus des deux passages latéraux, vides, elles aussi, des statues qui s'y trouvaient autrefois. Il nous invite a observer l'épaisseur du mur d'enceinte, qui ceinturait la ville sur plusieurs kilomètres (3,5 km, si ma mémoire est bonne); la massive muraille est parfaitement visible, à droite de la porte, elle est épaisse de plusieurs mètres; une autre muraille devait exister antérieurement, au niveau de l'arc d'Hadrien, elle a disparu, par suite du rétrécissement de la cité, pour être remplacée par celle qui est encore visible aujourd'hui. Sur une hauteur, à gauche de la porte, on aperçoit les imposantes ruines du temple de Zeus (5).  

Nous franchissons la porte et nous dirigeons vers la place ovale, que l'on nomme parfois le Forum (6). Cette place est bornée par une élégante colonnade visible de loin; les colonnes, d'ordre ionique (chapiteaux à rouleaux), reposent sur des bases carrées; une sorte de trottoir, légèrement surélevé, court le long de la colonnade, à l'intérieur de la place. Une colonne isolée, à la fonction problématique, se dresse sur cette dernière, au milieu de quelques pierres; peut-être marque-t-elle le centre de la place. D'après notre guide, cette place n'était pas un forum; elle appartenait au complexe du temple de Zeus, qui s'élevait sur la colline sud de la cité antique. Sa forme s'explique par la disposition des lieux; en effet, la chaussée dallée qui en part, en direction du nord, n'aurait pas été diamétralement opposée à l'escalier du temple, si on lui avait donné une forme circulaire; la forme ovale a permis de biaiser et d'intégrer harmonieusement les deux extrémités de la place. Notre guide nous fait remarquer le pavage de la place: il est composé de deux parties distinctes; ce détail trouve son explication par les dates de sa réalisation; une partie, celle du pourtour, est plus récente que l'autre, celle du milieu. La place, qui est l'une des plus vastes du monde romain, servit de place publique, de marché, d'agora et de lieu de rassemblements populaires. 
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Mosaïques de l'église Saint-Côme et Saint-Damien (personnages et svastikas) 
(source: carte postale)
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Nous montons ensuite vers le temple de Zeus (5), autrefois accessible par un escalier monumental, en cours de réfection. Du temple lui-même, il ne subsiste guère que huit belles colonnes corinthiennes et quelques murs; sa rénovation a été confiée à une équipe française. Un peu plus loin, sur la butte, se trouve l'un des théâtres antiques, le théâtre du sud (7); un autre théâtre existe aussi au nord (21), nous n'aurons pas le temps de le visiter; des spectacles sont dispensés dans ces théâtres, pendant les périodes de fortes fréquentation touristiques. Lorsque nous pénétrons à l'intérieur du théâtre sud, un groupe de Bédouins, en uniforme de la Légion arabe, y donnent un concert de tambours et de cornemuses; seuls s'étonneront d'entendre ici des airs aux accents écossais ceux qui ignorent que cette formation militaire fut instruite par les Britanniques, après la première guerre mondiale, et qu'elle fut longtemps commandée par un Anglais, le fameux Glubb Pacha. Après un défilé autour du demi-cercle central, les musiciens prennent la pause. Je grimpe les gradins pour avoir une vue d'ensemble d'en haut. Je me rends ensuite sur la scène et derrière l'épaisse muraille qui la ferme; dans ce couloir, qui remplissait sans doute l'office de coulisses, on peut mesurer l'énormité des pierres qui servirent à l'édification du mur. Ce théâtre, aujourd'hui restauré, pouvait contenir plus de 3000 spectateurs et sa dimension, sans être démesurée, n'en demeure pas moins imposante. 

Nous partons ensuite en direction du nord, en laissant à notre droite la place ovale; du flanc de la colline, on jouit d'une belle vue sur cette place particulièrement harmonieuse. J'achète un carnet de cartes postales; comme je n'ai pas de petites coupures, et que le jeune marchand ambulant ne peut pas me rendre la monnaie, il accepte d'être payé en euros. Nous coupons la voie qui traversait la cité d'est en ouest, marquée par un alignement de colonnes en contrebas. Jerash mérite bien son surnom de ville aux mille colonnes! Au-delà, vers l'orient, sur la colline, de l'autre côté du lit d'un wadi (oued), s'étend la ville moderne. En face, se dresse la masse du temple d'Artémis (15). Un peu plus loin, nous laissons sur notre droite, les vestiges de l'église Saint Théodore (16). Nous tournons sur la gauche pour nous approcher d'un groupe de bâtiments enclos par un mur. Notre guide jordanien nous a quitté; les explications nous sont maintenant fournies par le leader de nos accompagnateurs libanais, lequel vient de nous rejoindre. A l'intérieur de l'espace défini par le mur d'enceinte, se dressent les ruines de trois églises: Saint-Côme et Saint-Damien, Saint-Jean, Saint-Georges; ces trois lieux du culte furent utilisés en alternance. Nous surplombons ce qui subsiste de la nef de l'église Saint-Côme et Saint-Damien; le sol est pavé de mosaïques où l'on remarque des animaux, des personnages, des motifs décoratifs géométriques représentant l'infini et des inscriptions; le svastika (croix gammée) est reproduit à plusieurs reprises; certaines frises me font penser à celles du Tibet et de l'Amdo; l'autel était situé dans un espace fermé par un demi cercle; devant lui une inscription grecque en mosaïque (lettre blanche sur fond rouge) se détache sur le pavement. 
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L'inscription grecque de l'église Saint-Côme et Saint-Damien
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Nous continuons notre promenade en direction du temple d'Artémis (15), dont les pierres rosissent sous le soleil rasant d'une belle fin de journée. Ce monument, au nord de la cité, rivalisait avec le temple de Zeus, au sud. Artémis était la déesse protectrice de l'ancienne Gérasa. L'espace réservé au temple était immense. Des colonnades délimitaient le vaste rectangle qui lui était assigné. Une double colonnade corinthienne ornait la façade du temple, surélevé selon l'usage; on accédait au sanctuaire par un escalier. L'ensemble a beaucoup souffert, on verra pourquoi. Au milieu du vestibule (pronaos), s'ouvre encore le puits où les fidèles jetaient les offrandes, que ramassaient les prêtres. La salle cultuelle rectangulaire (cella) se terminait apparemment par une niche voûtée. Un édit de Théodose (386) autorisa la destruction des temples païens. A partir de ce moment, la terrasse supérieure du temple d'Artémis fut transformée en carrière pour la construction des monuments chrétiens. L'escalier et l'autel principal furent détruits. Vers la fin de la période byzantine, la zone au pied du temple devint un complexe industriel de fabrication de céramiques, incluant l'existence de fours, de boutiques et de logements. Des fouilles furent menées à bien par une équipe américaine en 1930-1931; elles furent reprises en 1979 par des Italiens. Ces fouilles révélèrent que l'escalier du temple comprenait 3 volées de 7 marches et que l'autel principal, dont ne subsistait plus que la base, était un carré clôturé, où l'on entrait par l'ouest, avec l'endroit du sacrifice localisé au centre. L'activité des ateliers de poterie continua sur le site pendant la période omeyyade, jusqu'en 749. A cette date, un tremblement de terre causa l'effondrement des colonnes de l'angle nord-est sur les fours. Les Arabes convertirent le temple en forteresse pour lutter contre les Croisés. En 1992, pendant un hiver particulièrement rigoureux, les structures des fours s'écroulèrent. Des travaux de restauration furent entrepris en 1996-1997, pour identifier les différentes phases d'occupation et de construction de la zone pendant la période qui s'écoula du 2ème au 8ème siècle. 

Nous quittons le temple d'Artémis par une large esplanade qui s'ouvre devant lui. Un escalier monumental, à plusieurs volées, permettait d'y accéder, depuis la voie dallée qui traversait la cité du sud au nord. Cet escalier donnait sur la voie, par une porte semblable à un arc de triomphe. L'ensemble devait être phénoménal, si l'on en juge par le caractère grandiose de ce qui subsiste. 

La voie nord-sud, le Cardo Maximus (8), pavée et rectiligne, était bordée de colonnes corinthiennes, dont beaucoup sont encore debout; les joints des colonnes étaient constitués de plomb. Sur la gauche de la porte menant au temple d'Artémis, en direction du septentrion, fermée par la porte Nord, se trouvaient, de part et d'autre de la voie, à gauche le théâtre nord (21) et à droite les thermes (22). Juste derrière, se dressait le Tétrapyle (monument à 4 portes) nord ( 28), à la croisée de deux voies. Face à la porte du temple, s'élevait l'église des Propylées (entrée monumentale) (14) dont il ne reste pas grand chose; du même côté de la rue, à l'ouest du Cardo Maximus, s'étendait un quartier d'habitations que nous ne visiterons pas.  

Nous remontons le Cardo Maximus vers le sud. En bordure de la voie, derrière les colonnes, s'ouvraient des boutiques et l'entrée de divers bâtiments; on y accédait par des marches. Notre accompagnateur nous fait remarquer une bouche d'égout en pierre ronde coiffant un trou ouvert dans la chaussée, preuve de l'existence d'un réseau d'évacuation des eaux usées. Le bord de la voie est jonché de pierres sculptées qui devaient autrefois constituer une frise, en haut d'un mur ou des colonnes. Plus loin, nous passons devant le nymphée (fontaine publique monumentale, ornée de sculptures et de jeux d'eau) (13); ce monument, dédiée à la Tyché de la ville, personnification du hasard et de la fortune, consistait en une structure semi circulaire à niches, alternativement voûtées et rectangulaires, surplombant une large vasque, dans laquelle l'eau coulait en passant par un trou percé dans le mur. Voici maintenant la cathédrale (12); son entrée monumentale, richement sculptée, est celle du temple romain de Dyonisos, édifié au 2ème siècle; deux siècles plus tard, le temple fut réaménagé pour céder la place à une église byzantine; en haut des marches, une chapelle était consacrée à la Vierge; on y voyait des inscriptions peintes dédiées à Marie ainsi qu'aux archanges Michel et Gabriel. Derrière la cathédrale, s'élevait l'église Saint-Théodore (16). Au croisement de l'axe est-ouest et de la voie nord-sud, s'élevait le Tétrapyle sud (11). Puis, sur la droite, en continuant vers le sud, plusieurs colonnes encore debout, avec un morceau de linteau à leur sommet, marquent l'emplacement du marché (macellum) (10), lieu central du commerce de la cité.  

En passant, au retour, devant l'hippodrome, je photographie un char romain alors que la nuit tombe. Je jette un dernier regard sur l'arc d'Hadrien, avant de quitter la cité antique qui s'enfonce dans les ténèbres, comme elle s'est perdue dans le passé. 

Le soir, nous allons coucher à Ajlun. Comme l'équipe des accompagnateurs est désormais au complet, le dîner est précédé d'une présentation des membres du groupe et de leurs chauffeurs, anisette locale (arak) en main, apéritif offert par nos accompagnateurs. Après le repas, je vais prendre un dernier verre au bar de l'hôtel, en compagnie du couple qui a voyagé dans le même avion que moi; un autre convive nous rejoint et nous terminons la soirée en conversation. 
 

3 ème jour (18 novembre): Ajlun, la Mer Morte, Kérak, Pétra  (les photos sont  ici ) 

Le matin, la porte de l'hôtel s'ouvre sur des champs d'oliviers, clos de murets de pierre, qui grimpent au flanc de la colline. Nous partons pour la bourgade où nous devons prendre les policiers qui nous accompagneront à la Mer Morte. Normalement, nous devrions en prendre deux, mais il n'y a de la place que pour un, dans nos véhicules déjà bien remplis. En plus de nos accompagnateurs libanais, qui sont aussi nos pilotes, nous avons déjà un guide jordanien, sympathique et très discret (il ne parle pas le français), raison pour laquelle j'aurai peu l'occasion de faire allusion à lui. Après négociation, les autorités consentent à retirer l'un des policiers; nous pouvons partir. 
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Ajlun: les plantations devant l'hôtel
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Nous faisons halte à une station service, pour y faire le plein. J'en profite pour photographier le château d'Ajlun, juché sur une éminence. Ce château, connu aussi sous le nom de Qala'at ar-Rabad, fut construit par un successeur de Saladin, pour lutter contre les Croisés, au 12ème siècle. Il résista à ceux-ci mais tomba aux mains des Mongols, au 13ème siècle. Il fut ensuite restauré par les Mamelouks, qui en firent un brillant témoignage des premiers temps de l'Islam. La forteresse continua d'être utilisée par les Ottomans, vers la fin de leur domination, puis, lorsque la Jordanie fut indépendante, on l'abandonna à des familles de la région; celles-ci l'habitèrent, avant qu'il ne soit transformé en musée, vers la fin du 20ème siècle. On y jouit d'une belle vue sur la campagne environnante mais, d'après nos guides, les vestiges qui s'y trouvent ne méritent pas le déplacement; nous le laissons donc à l'écart de notre route. 

Nous reprenons celle-ci en direction de la vallée du Jourdain. Ce fleuve, comme le coucou, ne couche pas dans un lit qu'il a préparé lui même; il profite d'une dépression créée par les forces telluriques, un rift courant du Liban jusque en Afrique de l'est, via la Mer Rouge, pour se la couler douce, vers une mer trop salée parce que Morte. Au fur et à mesure que l'on se rapproche du fleuve, les terres deviennent de plus en plus verdoyantes. Dans la vallée, la moindre parcelle est cultivée. On y rencontre de nombreuses serres; il s'y ramasse trois récoltes de tomates par an lesquelles, s'il faut en croire l'un de nos accompagnateurs, sont trop arrosées pour être bonnes, ce qui ne les empêche pas d'inonder les marchés du Moyen Orient. D'autre cultures maraîchères s'y sont également développées (pommes de terre, lentilles, pastèques...). En plus des oliviers, il y a aussi des bananeraies, des vergers d'arbres fruitiers (agrumes, pommes, pistaches...). Bien abritée, la vallée jouit d'un climat très agréable, même en hiver, et partant très favorable à la culture. Il y pousse même de la vigne, taillée en forme de treille, qui grimpe haut sur ses tuteurs; son raisin de table blanc est paraît-il très réputé. 

Nous passons devant des postes de contrôle de l'armée appuyés de véhicules blindés. La frontière n'est pas loin; nous sommes dans une zone sensible, ce qui explique probablement la présence d'un policier dans nos voitures. Les formalités, aux points de contrôle, sont cependant très légères: il suffit de ralentir, de saluer d'un sonore salam alekoum, et le préposé au contrôle, une fois le chauffeur identifié, fait signe de poursuivre la route. Sur les panneaux routiers, apparaissent des noms bibliques: Jéricho, le lieu aussi du baptême du Christ, sur le Wadi el-Kharrar, mais ce lieu est contesté... Nous approchons de la Mer Morte, dont les bords, du côté jordanien, ont été aménagés pour recevoir les visiteurs, attirés par la qualité thérapeutique des ses eaux chargées de sel. 

La Mer Morte est une vaste nappe d'eau saumâtre à la salinité quatre à six fois supérieure à celle d'une mer normale. Le taux de sodium y dépasse 275 grammes par litre; cependant, la composition chimique des sels n'y est pas identique à celle des autres mers: les chlorures, de magnésium et de potassium, y sont beaucoup plus importants. Aucun poisson ni aucune algue ne peuvent évidemment résister à une telle concentration de produits toxiques; cependant, contrairement à ce que laisse supposer son  nom, cette mer n'est pas totalement morte: des organismes microscopiques (plancton, bactéries...) parviennent à y survivre. La Mer Morte s'étend sur une superficie d'un millier de kilomètres carrés; à une altitude de 417 m sous le niveau de la mer; sa profondeur maximum est d'environ 120 m; elle perd un mètre de profondeur par an, en raison de l'utilisation intensive des eaux du Jourdain, à des fins d'irrigation et d'arrosage de la part des riverains, et aussi à cause de l'expoitation du sel, facteur d'évaporation; en une cinquantaine d'années, sa superficie a été réduite d'un tiers; à ce rythme, qui au surplus s'accélère, elle sera bientôt asséchée, si rien n'est fait pour y remédier. Un projet israélien, visant à amener des eaux de la Méditerranée, au moyen d'un canal souterrain, a été abandonné en 1985. Un autre projet est envisagé: il consisterait à pomper de l'eau dans la Mer Rouge, à l'amener sur les montagnes qui bordent le Golfe d'Aqaba, puis à la faire parvenir par gravité, via un canal souterrain, jusqu'à la Mer Morte; le dénivelé (600 m sur 184 km) permettrait l'installation d'une centrale électrique ainsi que la construction d'une usine de dessalement de l'eau de mer. Ce projet, dont les conséquences écologiques sont loin d'être claires, bénéficierait d'un financement international, mais sa réalisation est subordonnée à l'accord des voisins concernés: la Jordanie, Israël et l'Autorité palestinienne (voir un article ici). 
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La plage au bord de la Mer Morte
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Nous passons devant une sorte de village flambant neuf comportant plusieurs hôtels de luxe. Puis nous allons stationner sur un parking, à proximité d'une plage plantée de palmiers, ombragée de parasols de paille. Un jardin d'enfants dresse ses toboggans de couleur jaune derrière le flamboiement des bougainvilliers. Le complexe de l'établissement de bains est situé en contre-bas d'une place, sur laquelle un jet d'eau murmure au milieu d'un bassin bleu. Nous nous mettons en maillot de bains, dans une cabine qui ne ferme pas, d'où la nécessité d'emmener avec nous nos vêtements, jusqu'au bord de l'eau. Le fond de la mer est instable; une épaisse couche de boue noirâtre, où l'on s'enfonce profondément, succède à un sol plus ferme, tapissé de cristaux de sel coupant; il convient d'avancer avec précaution. Dès que l'eau est assez profonde, il suffit de se laisser aller sur le dos; il n'est pas nécessaire d'effectuer le moindre mouvement pour flotter; la densité du liquide est si élevée (1240 kg/m3) que l'on peut lire son journal, comme sur une couche. En revanche, il est fortement déconseillé d'essayer de nager: on risquerait de se brûler les yeux, le nez et les lèvres, tant l'eau est agressive. Un problème survient au moment de sortir; il est très difficile d'enfoncer ses jambes dans l'eau, pour prendre appui dessus; les pieds ont tendance à flotter et à se relever; il faut donc approcher du  bord et s'appuyer sur les mains, pour pousser son torse vers le haut, tout en baissant les pieds, afin de revenir à la position verticale. Le bain pris, une douche d'eau douce est requise, afin de se débarrasser du sel et de la boue; cette douche est froide, mais la température extérieure permet de supporter ce léger inconvénient. Ensuite, on se rhabille, à l'endroit où l'on s'est dévêtu. 

Une visite à la boutique du complexe de l'établissement de bains s'impose. On peut y acheter des produits de soins pour la peau, notamment des sachets de boue. Je suis déjà venu sur les bords de la Mer Morte, du côté israélien, voici trente et un ans. A cette époque, la rive jordanienne m'était apparue totalement désertique. Mais il est vrai qu'aujourd'hui, la rive israélienne, vue d'ici, semble également inhabitée! Renseignements pris, il n'y avait effectivement rien de ce côté en 1977; les installations que nous venons de visiter sont récentes. 

Nous reprenons la route en direction de Kérak. Celle-ci court entre de hautes falaises désertiques et la mer. De place en place, une faille s'ouvre dans le mur de roche; la végétation profite de l'humidité pour se développer dans l'exiguïté de l'entaille; il s'y trouve même parfois des palmiers. Nous stoppons sur une aire de repos en surplomb de la mer. En dessous de nous, une traînée de sel blanc souligne l'ocre de la falaise, au raz de l'eau turquoise; un dégradé de strates renseigne sur le recul de l'élément liquide au cours du temps*. En bordure de l'eau, les dépôts salins ont formé de grosses méandrines, pareilles à d'énormes choux fleurs. De l'autre côté de la route, en haut de la falaise, notre guide nous signale la présence d'une élégante stalagmite, burinée par l'érosion, qui se détache rousse sur le bleu du ciel; elle ressemble à une statue: c'est la femme de Loth, changée en statue de sel par sa curiosité! 

*- Comme on l'a déjà dit, le recul de la mer s'accélère et, en 2015, les plages paraissent s'être considérablement élargies. Elles sont minées par l'existence souterraine de blocs de sel qui fondent sous l'effet de l'infiltration des eaux de pluie. Le sol finit par s'effondrer sans prévenir creusant des cratères plus ou moins importants, ce qui rend dangereuse la fréquentation de ces lieux.

Nous déjeunons à Kérak: délicieux mezzé (purées de pois chiches (houmos), d'aubergines, yaourts aux herbes), brochettes et, enfin, gâteaux orientaux. Au cours du repas, notre guide nous apprend que les homosexuels sont appelés ici des lothis, Loth ayant habité Sodome et fait preuve des goûts sexuels les plus variés, sans parler des incestes commis avec ses filles; il est vrai que celles-ci l'avaient enivré, pour en faire le père de leurs enfants, dans le but louable de perpétuer leur race! Après le repas, j'achète quelques mandarines, à l'étal d'un marchand, en bord de rue. Et nous partons visiter l'imposante forteresse de Kérak, aperçue depuis la route. 

Le site de Kérak, à 140 km au sud d'Amman, était déjà occupé par l'homme à l'âge du fer. Les Syriens s'y fixèrent un temps, avant de s'établir au nord de la Palestine. Il fut le siège d'une importante agglomération moabite, citée dans la Bible sous le nom de Qer Harreseth. La ville fit partie de l'empire assyrien; Téglath-Phalasar II (745-728 avant J.-C.) y aurait envoyé ses prisonniers après la conquête de la Syrie. On suppose qu'elle a pu tomber au pouvoir des Nabatéens. A l'époque hellénistique, elle devint une cité importante, sous le nom de Kharkha. Évêché à l'époque byzantine, son église de Nazareth attirait les fidèles. Elle resta en majorité chrétienne après la conquête musulmane et ce jusqu'à la Première guerre mondiale. A l'époque des croisades, elle fit partie du royaume de Jérusalem; en 1142, Payen, dit le Bouteiller parce qu'il était l'échanson du roi, y construisit une forteresse; il s'agissait de renforcer les possessions franques d'Outre-Jourdain destinées à contrôler la route commerciale et celle des pèlerins de la Mecque qui passaient par là,  de surveiller les turbulentes tribus nomades du désert, qui comportaient encore beaucoup de chrétiens, et enfin de séparer les Turcs des Égyptiens, afin de couper en deux les forces musulmanes. Cette puissante forteresse, dressée sur un piton rocheux de 1000 m d'altitude, dominait fièrement la région; elle prit le nom de Château de la Pierre du Désert, puis celui de Crac des Moabites. La ville de Kérak compte environ 70000 habitants; elle est la plus peuplée de l'importante circonscription administrative dont elle est la capitale. Sa population, qui représente près du tiers de celle de la circonscription, est aujourd'hui en majorité musulmane, mais il subsiste une minorité chrétienne significative.  

Le château de Kérak (les photos sont  ici ) 

Kérak est un grand château, de forme triangulaire, la base au nord, bâti sur une arête rocheuse et protégé, à l'est et à l'ouest, par de profondes vallées aux pentes escarpées. Deux fossés ont été creusés sur les pentes, au nord et au sud de l'enceinte, isolant la forteresse de la colline au sud et de la cité de Kérak au nord. 
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Une image du château prise d'un satellite est  ici
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Le front nord massif, à gauche lorsque l'on entre (voir le plan: 1), est renforcé par deux tours d'angle; un large fossé le borde; il remonte à l'époque des Croisés. Le passage par lequel on accède aujourd'hui au château est récent; à l'origine, on pénétrait sur le front nord, en franchissant un pont de bois qui enjambait le fossé (2), puis en traversant une poterne (3). Le front est (4) comporte quatre tours; une maçonnerie à pente raide, en forme de glacis, court au pied de la muraille, du milieu de la façade jusqu'au sud. Le front sud est dominé par le puissant donjon (5) qui se dresse en haut d'une falaise protégée par un glacis; derrière le donjon se trouve la citerne principale (6) et le fossé sud (7). Le front ouest possède une tour à chacun de ses angles, ainsi que la Tour de l'Ouest (8), plus importante entre les deux autres; l'angle sud-ouest et la tour sont protégés par un glacis. L'entrée principale du château, à l'époque mamelouke, était située sur le font ouest. 
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Plan de Kérak
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Le château est construit sur deux niveaux qui correspondent à la cour haute (9) et à la cour basse (10). Un mur intérieur (11) sépare les deux cours. La cour haute contient les principaux bâtiments du château, comme l'église des Croisés (12), le hall de réception de l'époque mamelouke et sa mosquée (13). Le sud de la cour haute est dominé par le donjon (5). La cour basse paraît avoir été principalement consacrée aux magasins et à la défense; des galeries souterraines (14) constituent le dispositif le plus impressionnant de cette cour; une de ces galeries, sur le côté nord de la cour, abrite maintenant un musée archéologique (15), où est retracée l'histoire de la construction du château replacée dans son contexte; ce musée est fermé le mardi. 

Le château n'a pas d'emblée atteint sa forme finale; son architecture révèle une combinaison d'influences: byzantine, médiévale européenne et arabe. On distingue deux phases principales de construction: la phase des Croisés (1142-1188) et celle des Mamelouks (1263-1517). Les fronts nord et est, ainsi que la majeure partie des structures de la cour haute, sont d'origine franque. Le donjon et la cour basse sont dus aux Mamelouks, mais ces derniers ont assis leurs constructions sur les fondations des Croisés. La maçonnerie franque est caractérisée par l'emploi de blocs de calcaire sombre grossièrement équarris. Les Mamelouks utilisèrent des matériaux plus fins, correctement débités en blocs rectangulaires, tout en conservant une apparence extérieure rustique. 
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Plan en coupes du château de Kérak et de son assise
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Un guide local anglophone nous accompagne lors de notre visite; ses commentaires sont traduits par l'un de nos accompagnateurs. Nous commençons la visite par la partie haute. Nous nous engageons dans la sombre et haute galerie qui longe le mur nord au niveau de la cour. La présence de meurtrières nous fournit l'occasion de mesurer l'épaisseur des murailles élevées par les Croisés; à travers ces meurtrières, les assiégés tiraient sur les machines de guerre des assiégeants et interdissaient le franchissement du fossé. Au passage, le guide nous montre la poterne par laquelle on accédait autrefois au château, en nous précisant qu'elle est d'époque. 
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Nous parvenons au niveau du saillant, aujourd'hui ruiné, datant du 12ème siècle, qui se trouvait à l'angle nord-est du château. Sur le mur, à gauche, nous apercevons un panneau de pierre, sur lequel est sculpté, en relief, le buste d'un homme. Sa tête manque, mais les épingles courbées retenant ses cheveux ainsi que les rubans attachés à sa coiffure sont encore visibles. La pointe d'une lance surgit derrière son épaule droite et le cou d'un cheval se montre derrière son épaule gauche. La tradition locale identifie cette figure comme étant celle de Saladin, mais elle est beaucoup plus ancienne. La sculpture appartient au monument funéraire d'un cavalier nabatéen, entièrement équipé pour la vie après la mort; elle date probablement du 2ème siècle avant Jésus-Christ. C'est l'un des nombreux vestiges anciens réemployés par les Croisés lors de la construction du château. Dans la plupart des cas, les maçons francs utilisèrent les vieilles pierres, sans trop se soucier de leur provenance ou de leur valeur artistique. Ici, ils ont placé la statue nabatéenne de telle sorte qu'elle puisse être vue, ce qui est significatif de l'intérêt qu'il lui ont porté. Peut-être l'ont-ils assimilée à celle d'un guerrier qui aurait pu être leur compagnon. A la droite immédiate de ce bas-relief nabatéen, un escalier conduit vers le sommet du saillant est et de la tour nord-est; il est aujourdhui complètement en ruines. Vers le bas, l'escalier mène à une galerie qui court le long du front est; elle est maintenant uniquement accessible à partir de sa terminaison sud. 
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La sculpture nabatéenne
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Nous tournons à droite pour longer la partie est du château. De chaque côté de la galerie s'ouvrent des pièces dans lesquelles on découvre des objets usuels de l'époque médiévale: roues à moudre le grain ou à écraser les olives, pressoir, cuveau, auge, puits... le tout en pierre. Nous débouchons à l'air libre sur une esplanade au bout de laquelle s'élèvent les restes du donjon. Le front est du château, qui date du 12ème siècle, s'étend sur 160 m environ de la tour nord-est ruinée (plan ci-dessous: 1) jusqu'à la tour sud (2). Un glacis (3), en maçonnerie de pente raide, qui a été restauré, soutient et protège la partie sud de cette muraille et tourne l'angle du donjon mamelouk; sa construction rendait l'escalade impossible. Les restes de ce que fut probablement le coin sud-est de l'époque franque peuvent être aperçus entre le haut du glacis et la base du donjon. Un puits grillagé, entouré de barbelés, perce la surface du sol. En contrebas, de l'autre côté du glacis, des grottes néolithiques s'ouvrent dans la colline; elles ont été habitées jusqu'à une période récente et servent encore de greniers; certaines, compartimentées et paraissant bien aménagées, font penser à celles de la Cappadoce. 
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Plan du front est, de son glacis et des deux murs successifs
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Le front est fut édifié en gros blocs de calcaire, grossièrement taillés, typiques de l'architecture des Croisés. De nombreux indices permettent cependant de penser que la muraille a été déplacée vers l'est; les murs de plusieurs bâtiments, maintenant située à l'intérieur de la cour haute, sont percés d'archères, ce qui montrent qu'ils ont dû se trouver à un moment au bord de l'enceinte. Ces bâtiments comprennent l'église des Croisés (6), la sacristie (7) et la mosquée palais des Mamelouks (8). Sur le plan ci-dessus, l'emplacement du premier mur est marqué en rouge et celui du mur ultérieur en blanc cassé. 

Nous revenons sur nos pas et entrons à nouveau dans un souterrain; notre guide fait tomber un papier enflammé à travers une ouverture ronde creusée dans le sol, pour nous montrer la profondeur de ce qui pourrait être une citerne, pour les optimistes, et une oubliette, pour les autres. Le moment est venu de parler un peu d'histoire.  

Le dernier seigneur de Kérak fut Renaud de Châtillon. Sa réputation était fondée sur des actes de bravoure, certes, mais également sur une rare cruauté. C'est ainsi que, en froid avec l'empereur de Constantinople, il ravagea Chypre, puis envoya au monarque grec les religieux rescapés, après leur avoir fait couper le nez. Prisonnier durant 16 ans des Turcs, il n'en ressortit pas assagi, au contraire. Il se montra partisan d'une guerre à outrance contre les musulmans, plutôt par esprit de rapine que pour des motifs politiques ou religieux. Par son mariage avec une jeune veuve, Étiennette de Milly, il devint seigneur d'Outre-Jourdain, dont dépendait la forteresse de Kérak. Il multiplia alors les exactions; en 1181, en pleine trêve, il pilla une caravane de pèlerins se rendant à la Mecque; l'année suivante, il monta une expédition en Mer Rouge et menaça les villes saintes de l'Islam; il coula un navire de pèlerins, mais, tandis qu'il remontait vers ses terres, ses compagnons furent écrasés par une flotte venue d'Égypte. Saladin, maître de la Syrie et de l'Égypte, assiègea, en 1183, Kérak, cette arête dans sa gorge, mais il épargna magnanimement le secteur où se tenaient les noces de la belle-fille de Renaud; le siège finit par être levé et le maître de Kérak poursuivit sa vie d'aventurier cupide et sanguinaire; on dit qu'il faisait précipiter ses prisonniers du haut des murailles sur les glacis. En 1184, une nouvelle tentative de Saladin échoua, Kérak restait imprenable. En 1187, malgré une nouvelle trêve, Renaud attaqua une caravane qui se rendait d'Égypte à Damas et captura une soeur de Saladin; cette fois, c'en était trop; la trêve fut rompue, les Francs furent battus aux Cornes de Hattin, près de Tibériade, et Renaud, fait prisonnier, fut décapité d'un coup de sabre, des mains même de Saladin. Un an plus tard, les derniers défenseurs de Kérak, épuisés et affamés, finirent pas se rendre à El Malek el Adel, frère de Saladin; on dit même que les assiégés, qui se défendirent jusqu'à la dernière extrémité, vendirent leurs femmes et leurs enfants comme esclaves, afin de se procurer des vivres! Quoi qu'il en soit, dans son Chant de Victoire, Imad ed-Din al-Isfahani put clamer: "Kérak s'est rendue, c'est cette forteresse dont le maître insolent se flattait d'envahir le Hedjaz et tendait ses filets impurs sur le passage des pèlerins de La Mecque. L'année précédente, nous lui avions versé un breuvage mortel, nous sommes aujourd'hui les maîtres de la place où il comptait se retrancher. L'infidèle est contraint de s'incliner devant l'Islam et la conquête de cette demeure complète la sécurité de sa maison sainte." 
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En 1263, Baybars (1223-1277), un chef mamelouk, qui fut sultan d'Égypte de 1260 à 1277, construisit une tour à l'angle nord-ouest. En 1840, le conquérant égyptien Ibrahim Pacha (1789-1848), s'empara du château et détruisit une partie des fortifications. Pendant la période ottomane, Kérak joua un rôle important en raison de sa position stratégique sur les routes de Syrie, d'Égypte et d'Arabie. 

Notre guide nous montre l'endroit où se trouvait une salle de bains dont il ne reste à peu près rien. A proximité, la construction d'un mur révèle comment des vestiges de constructions anciennes ont été employés par les différents ouvriers qui se succédèrent sur le site. Nous entrons dans une nouvelle galerie qui nous ramène en direction du nord; les cellules qui s'ouvrent sur elle servaient autrefois d'ateliers à des artisans: verriers, forgerons... La poussière y est si intense qu'il est impossible d'y photographier; on n'aperçoit sur les clichés que des grains de poussière en suspension! 

Nous passons alors à la partie inférieure du château, que nous explorons sans guide. Un long escalier nous y mène. Cette partie est parfaitement restaurée; la pierre blonde des murs à belle allure. Je remarque des corbeaux, bien conservés, qui saillent sur le haut du mur de soutènement de la cour du haut. Une série de niches voûtées, creusées dans l'enceinte ouest, s'ouvrent sur des archères, à travers lesquelles on aperçoit les cultures de la vallée. 
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Plan de l'architecture des galeries en-dessous de la cour basse
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Huit mètres en dessous du sol de la cour basse, deux longues galeries courent le long de la muraille ouest. La galerie du nord (voir plan ci-dessus: 1) mesure environ 80 mètres de long; celle du sud (2), à peu près 40 mètres; une élégante pièce (3) en forme de croix, située entre les deux, les réunit; cette pièce est éclairée par un puit à lanterne voûté, dont on aperçoit l'ouverture, au-dessus du pavement de la cour basse. Un escalier permet d'accéder de la cour basse à cette pièce. Les galeries datent du 13ème siècle. Elles sont équipées d'archères percées dans la muraille au-dessus de la vallée. Elles servaient de magasins, de moyens de défense et aussi sans doute d'habitations. L'entrée monumentale percée par les Mamelouks (5) se trouvait au niveau des galeries. C'était une massive arche, de 12 mètres de haut sur 3,25 mètres de large, ouverte au milieu de la muraille ouest. La plus grande partie de l'arche était aveugle et comblée par de la maçonnerie; le passage s'effectuait par une étroite ouverture, haute seulement de 2,5 mètres. A partir de cette porte, on gravissait un escalier (6) qui menait à la pièce en forme de croix. Ce dispositif est actuellement impraticable. L'entrée monumentale dominait tout le wadi (oued) Kérak et, à partir d'elle, on jouissait d'une vue spectaculaire sur la vallée. Les deux galeries ne se visitent qu'avec l'accord du personnel du musée archéologique. La porte monumentale est difficile à voir; on peut à peine l'apercevoir en se penchant avec précaution par dessus le parapet; elle n'est visible en entier que du chemin qui court à l'extérieur, le long de la muraille ouest. 
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L'entrée monumentale des Mamelouks
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Je pénètre dans le musée qui contient d'intéressantes notices historiques. Malheureusement, il reste trop peu de temps pour les lire en détail. On ne peut que parcourir l'ensemble rapidement. Aussi, je me contente de m'attarder sur une pièce qui attire mon attention; il s'agit de la stèle noire de Mesha. Ce roi moabite érigea ce monument à Dhiban (la Dibon moabite), en 850 environ avant Jésus-Christ, pour remercier le dieu Chemosh, de la délivrance des Moabites du joug israélite. On la découvrit en 1868. Elle fut ensuite détruite par un chasseur de trésor, mais, auparavant, son texte avait été recueilli par l'archéologue français Charles Clermont-Ganneau. Les deux tiers des fragments de la stèle brisée furent récupérés et sa reconstitution est exposée maintenant au Musée du Louvre, à Paris. Les différentes reproductions que l'on peut voir en Jordanie, notamment au musée archéologique de Kérak, sont des copies. Une trentaine de lignes du texte ont été déchiffrées et seules quelques lignes finales ont été perdues. 

J'espérais acheter un ouvrage qui résumerait le contenu du musée; mon attente a été déçue: je n'en ai trouvé ni sur place, ni à la sortie du château, dans les magasins pour touristes de la ville.  

Sur une place, à l'extérieur du château, je photographie deux policiers nonchalants, pour mémoriser le casque à pointe de l'un d'eux; malencontreusement, faute de contraste, la pointe ne se verra pratiquement pas sur la photo! Nous prenons ensuite la direction de Pétra, en suivant la Route des Rois. 

Aux temps bibliques, trois royaumes occupaient une partie de la Jordanie: Ammon au nord, Moab au centre et Edom au sud. Ces peuples, souvent en guerre contre les Hébreux, étaient pourtant de même origine qu'eux. Selon la Bible, les Édomites descendaient d'Edom-Esaü, frère jumeau de Jacob, petit-fils d'Abraham, qui acheta son droit d'aînesse contre un plat de lentilles à Esaü affamé; Amon et Moab, quant à eux, étaient issus des relations incestueuses des filles de Loth avec leur père, lequel était le neveu d'Abraham. Ces trois peuples parlaient la même langue que les Israélites, avec seulement quelques différences dialectales. Il est probable qu'ils suivirent le mouvement des peuples qui mena vers Canaan les tribus conduites par Moïse. La Route des Rois existait déjà à l'époque de Moïse puisque celui-ci demanda à Sehon, roi des Amorrhéens, qui dominaient alors la contrée, l'autorisation de traverser son territoire, en s'engageant à le respecter. Elle aurait également été suivie par la reine de Saba, lorsque celle-ci rendit visite à Salomon. "La reine de Saba, ayant appris la renommée de Salomon, vint pour l'éprouver par des énigmes. Elle vint à Jérusalem avec un équipage très considérable, des chameaux portant des aromates, de l'or en très grande quantité, et des pierres précieuses… (I Rois V, 1-3)". Arrivant du lointain Yémen, la reine de Saba prit vraisemblablement la voie que suivirent jusqu'au 19ème siècle les grandes caravanes qui faisaient monter vers les échelles du Levant les luxueux produits de l'Orient. D'où la route tire-t-elle son nom? Les avis sont partagés: la plupart des exégètes pensent qu'elle le tient de l'existence des trois royaumes; d'autres estiment qu'il lui fut décerné en l'honneur de la reine de Saba. Une halte à un point de vue offre l'occasion à notre accompagnateur principal de nous montrer l'endroit où passait la frontière entre Edom et Moab; l'emplacement est marqué aujourd'hui par la présence d'un barrage. 

Plus loin, alors que la nuit est tombée, nous passons à côté d'un usine de traitement de phosphate ou de potasse, deux ressources minières du pays. Le soir, à l'hôtel, après le dîner, nos accompagnateurs nous montrent un diaporama sur le Liban, pays montagneux et étroit, où l'on n'est jamais éloigné de la mer et de la montagne, et où il est possible de skier le matin et de se baigner l'après-midi. Ils nous invitent à visiter leur pays qui, outre le charme naturel de ses paysages, attire les touristes par ses richesses archéologiques. Un voyage Syrie-Liban pourrait être organisé et j'avoue que cette perspective me tenterait assez. 


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