Carnet  de  route  d'un  voyage  Par le Transsibérien -
En Russie (juin-juillet 2012 - Moscou)
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Sommaire du Carnet de Route: 

01- Paris-Moscou 
02- Moscou (le monastère de Novodievitchi, le métro de Moscou, la Place Rouge) 
03- Moscou (suite) (la cathédrale du Saint-Sauveur, le Kremlin, l'Arbat) 
04- Kazan (le Kremlin, la Volga, la rue Baumana) 
05- Ekaterinbourg (Tatishchef et de Gennin, Nikolaï Sevastianof, La cathédrale sur le sang versé, Le palais Rastorguyev-Kharitonov, la frontière Europe-Asie, l'ancienne gare) 
06- Novossibirsk (la gare, l'opéra, la statue de Lénine, le musée d'Histoire et d'Ethnographie, les ponts sur l'Ob, le marché) 
07- Krasnoïarsk (l'église de la Transfiguration, les vieilles maisons, la statue de Lénine, les bords de l'Ienisséï, le musée régional, la fontaine cascadante) 
08- Irkoutsk (la maison Volkonski, les maisons de bois, le monastère Znamensky, l'église du Sauveur, la cathédrale de l'Épiphanie) 
09- Talsy - Le lac Baïkal (le village russe, Listvyanka) 
10- Oulan Oude (le folklore bouriate, la statue de Lénine, l'opéra, l'arc de triomphe à Nicolas II, la rue Lénine) 

Vous pouvez lire les notes à la suite où vous rendre directement à la rubrique souhaitée en cliquant sur l'un des numéros soulignés ci-dessus. 

 
1 er jour: Paris-Moscou - (Les photos sont  ici ) 

Nous avons rendez-vous de bonne heure le matin à proximité d'une porte de l'aéroport de Roissy, au niveau de l'embarquement. Pour ne pas risquer d'arriver en retard, j'ai retenu une chambre pour la veille dans un hôtel situé à l'aéroport même et j'ai poussé la précaution jusqu'à aller reconnaître le lieu du rendez-vous. Le restaurant de l'hôtel n'étant pas encore ouvert à une heure aussi matinale, je me suis pourvu d'une bouteille d'eau minérale et d'un croissant avant d'aller me coucher. Mon petit-déjeuner est vite expédié; je le complète par un café pris à proximité du lieu de rendez-vous et, comme je suis l'un des premiers, je patiente en attendant notre accompagnateur. Peu à peu, d'autres personnes traînant de lourdes valises s'installent à proximité. Ce sont probablement des compagnons de voyage. Mais nous ne nous connaissons pas. L'arrivée de notre accompagnateur rassemble tout ce petit monde autour de lui. Nous sommes une vingtaine. Il nous distribue des sacs de voyage ainsi qu'une documentation complémentaire et conseille à ceux qui n'en auraient pas de se pourvoir d'un produit répulsif contre les moustiques et les tiques; nous risquons d'en rencontrer aux environs du lac Baïkal; il y a une pharmacie à deux pas dans l'aéroport. J'en profite pour me pourvoir aussi de mouchoirs en papier car je me suis enrhumé et mon nez coule abondamment; c'est une conséquence de la climatisation de ma chambre; je l'ai bien baissée avant de me coucher, mais c'était trop tard; je vais devoir me moucher d'abondance pendant tout le voyage et, pour comble de malchance, j'ai oublié les mouchoirs de tissus que j'avais préparés pour le voyage! 

Le vol, relativement court, environ trois heures, se déroule sans encombre. J'en profite pour lier connaissances avec mes voisins, des Bordelais qui participent au même voyage. Nous échangeons quelques propos sur nos précédentes pérégrinations. Nous arrivons donc environ cinq heures après notre départ, y compris les deux heures de décalage horaire. 

A Moscou, les formalités de contrôles sont relativement rapides. Nous retrouvons nos bagages et nous sommes accueillis par les représentants de l'agence allemande qui organise notre voyage. Comme elle doit gérer plusieurs groupes, elle nous attribue une couleur que nous garderons tout au long du voyage et qui sera celle du petit drapeau de notre guide local; il sera rose. Tous nos bagages sont rassemblés et  dûment étiquetés pour être emportés à l'hôtel séparément de nous. Nous ne conservons que l'essentiel dans le sac qui nous a été fourni à l'aéroport. On nous distribue également une pochette jaune contenant notamment nos billets de train ainsi qu'une documentation nouvelle: nous ne manquerons pas de lecture! Puis nous prenons l'autobus qui va nous conduire à notre hôtel. 
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L'Or des tsars - Le logo de notre voyage
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Je découvre la Russie où je ne suis encore jamais venu et je ne peux m'empêcher de rapprocher le paysage qui se déroule sous mes yeux de celui du Canada que je connais bien. De temps à autre, à l'écart de la route je remarque la présence de quelques enseignes françaises. Chemin faisant, notre guide locale nous donne quelques renseignements sur Moscou.  

La création de cette ville remonte à des temps très reculés. A l'époque néolithique, il existait déjà un établissement humain à l'emplacement du Kremlin. Au 6ème siècle, des agriculteurs et des éleveurs étaient établis sur les berges des rivières. Mais Moscou n'a pas pris d'emblée l'importance qu'elle a maintenant. La puissance russe s'est constituée d'abord plus au sud, autour de Kiev. L'irruption mongole remit en cause la prééminence de cette cité. Les Mongols envahirent en effet les territoires qui leur rappelaient les steppes de leur pays et évitèrent de s'aventurer dans les régions plus boisées du nord, sauf pour quelques raids sans lendemain. Leur puissance militaire était basée essentiellement sur leur cavalerie. Celle-ci ne pouvait se déployer et rendre son efficacité maximale que dans les plaines largement ouvertes. Par ailleurs, elle avait besoin de vastes pâturages pour assurer sa subsistance. Les régions forestières ne pouvaient donc pas lui convenir. Les Mongols disposaient bien également d'une infanterie, composée en grande partie de contingents des peuples soumis à leur domination, mais celle-ci ne jouait pas le rôle essentiel dans les combats. C'est la cavalerie qui emportait la décision et qui, grâce à sa très grande mobilité, permit de constituer le plus vaste empire jamais connu. Très redoutés, les Mongols se montraient impitoyables à l'égard de ceux qui se défendaient mais ils faisaient preuve de tolérance envers  ceux qui leur cédaient sans combat. Leur force tenait autant à la terreur qu'ils inspiraient qu'à la puissance de leur armée. Une analyse des conditions climatiques qui prévalaient à cette époque laisse supposer que le déclin de leur empire s'amorça lorsqu'une longue période de sécheresse, préjudiciable aux pâturages, entraîna une baisse conséquente du nombre de leurs chevaux. Quoi qu'il en soit, il restèrent longtemps en Russie et marquèrent profondément ce pays de leur empreinte. Les auteurs russes restent partagés sur les conséquences de cette invasion. Certains pensent qu'elle fut responsable du retard pris par leur pays sur les autres nations européennes; d'autres, au contraire, y voit une ouverture sur le monde asiatique. La politique russe, au cours du temps, ne cessa d'hésiter entre les deux attractions de l'est et de l'ouest; Pierre le Grand tenta d'occidentaliser la Russie tsariste en déplaçant symboliquement la capitale sur les bord de la Baltique; en la ramenant, à Moscou, Lénine, non moins symboliquement, recentra la Russie soviétique vers l'Asie. Par sa position à cheval entre les deux continents, la Russie a naturellement vocation à servir de trait d'union entre l'Europe et l'Asie; mais n'est-ce pas aussi risquer le grand écart? 

Revenons en donc à Moscou. Après la chute de Kiev, la puissance russe se déplaça vers le nord, dans une région qui n'exerçait, pour les raisons évoquées plus haut, qu'une attraction limitée sur les conquérants mongols. Plusieurs villes, celles de l'Anneau d'or, se disputèrent alors la première place. Dans ce contexte, Moscou ne jouait qu'un rôle secondaire. Au 12ème siècle, elle n'est encore qu'une simple bourgade où se rencontrent pour festoyer les princes Dolgorouki de Vladimir et Olgovitch de Novgorod-Severski. Elle s'élève au confluent des rivières Moskova et Neglinnaïa et ses cinq hectares de superficie sont protégés par une simple enceinte de bois. Au 13ème siècle, on y note la présence d'une église dédiée à Saint-Jean-Baptiste bâtie sur un temple païen (la Russie s'est convertie au christianisme au 10ème siècle); Moscou est brûlée en 1238 par les Mongols de la Horde d'Or, dirigés par le khan Batu; en 1249, Alexandre Nevski (1220-1263), héros national russe et saint de l'église orthodoxe, vainqueur des chevaliers teutoniques, reçoit l'investiture de Batu pour la principauté de Kiev. Au 14ème siècle, les descendants d'Alexandre Nevski prennent de plus en plus d'importance; l'un d'entre eux, Ivan Ier (1288-1340), prince de Moscou et grand-prince de Vladimir, est l'unique collecteur de taxes pour la Horde d'Or, ce qui lui vaut le surnom d'escarcelle. En 1382, Moscou est à nouveau détruite par les cavaliers de la Horde d'Or. Au 15ème siècle, le développement de la Lithuanie menace Moscou qui est renforcé par les Mongols; la ville devient le siège de l'église orthodoxe russe qui s'émancipe de la tutelle de Constantinople; Ivan III (1440-1505), grand-prince de Vladimir et de Moscou, déchire sur les marches de la cathédrale de l'Assomption, le traité qui asservissait la Russie au joug mongol et proclame son indépendance; Moscou devient la capitale du nouvel État; la prise de Constantinople par les Turcs en 1453, ayant entraîné la déchéance de cette ville comme capitale de l'orthodoxie, Ivan III tire prétexte de son mariage avec la nièce du dernier empereur byzantin pour faire de Moscou la troisième Rome. L'État moscovite est devenu le plus puissant d'Europe oriental. Au 16ème siècle, les Tatars de Crimée, assujettis à l'empire ottoman, n'en prennent pas moins la capitale de cet État et la détruisent pour la seconde fois. Un siècle plus tard,  entre 1610 et 1612, les troupes polonaises s'emparent à leur tour de la ville au cours d'une tentative d'unification des États slaves à leur profit; ils en sont chassés par une insurrection conduite par le boucher Minine et le noble Pojarski; les Romanov accèdent au pouvoir. Au 18ème siècle, Pierre le Grand fait construire Saint-Pétersbourg et y transfère la capitale de son empire. Au début du 19ème siècle, en 1812, les troupes de Napoléon Ier entrent à Moscou; la cité est détruite par un incendie volontaire déclenché par son gouverneur, Rostopchine; les envahisseurs font sauter le Kremlin en se retirant. Un siècle plus tard, en 1918, Moscou devient capitale de la République socialiste fédérative de Russie; la révolution s'est déroulée essentiellement à Saint-Petersbourg, mais des troubles ont également agité Moscou; cette dernière est proclamée capitale de L'Union soviétique en 1922. En juin 1941, l'Allemagne envahit l'URSS et ses troupes parviennent à quelques dizaines de kilomètres de Moscou; pendant l'hiver 1941-1942, la bataille de Moscou tourne à l'avantage de l'armée rouge renforcée par des unités sibériennes. A la fin du siècle, en 1991, une insurrection consécutive à une tentative de putsch détruit le parlement de l'Union soviétique; l'URSS disparaît et Moscou n'est plus que la capitale de la Fédération de Russie. La fin du vingtième siècle et le début du vingt-et-unième siècle sont marqués par plusieurs attentats qui font des centaines de victimes dans la ville qui paie ainsi un lourd tribut à la désagrégation de l'URSS. 

Avec 11,5 millions d'habitants (15 millions avec sa banlieue), Moscou est aujourd'hui la ville la plus peuplée d'Europe. Elle tient une place importante dans l'économie russe en produisant environ le quart du PIB de la Fédération. La libéralisation économique qui a suivi la disparition de l'Union soviétique s'est traduit par une accentuation des écarts de niveau de vie au sein de la population. La ville compte le plus grand nombre de milliardaires au monde mais une grande partie des gens y vivent dans des conditions proches de la pauvreté. 

Nous voici donc dans Moscou. Notre guide locale nous donne, au passage, quelques indications sur les lieux que nous traversons. Nous passons devant la statue de Maïakowski, le poète le plus connu de l'ère soviétique, que je n'ai pas le temps de prendre en photo, ce que je regrette car il fut l'un des auteurs préférés de mon adolescence; je la retrouverai sur Internet. J'entends nommer le Café Pouchkine, un lieu célèbre de la capitale russe, qui doit sa création à une chanson de Gilbert Bécaud; il a son pendant à Paris. J'entends nommer encore bien d'autres lieux que je n'ai pas retenu avant d'arriver à notre hôtel situé à proximité de la Place Rouge, au bord de la Moskova. 
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Notre hôtel à Moscou (source: Internet)
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C'est un établissement luxueux. Ma chambre est précédée d'une vaste entrée presque aussi grande qu'une pièce d'un appartement parisien. Cette entrée est flanquée d'une belle salle de bain. Mais attention, ici comme ailleurs dans la plupart des villes russes, l'eau du robinet n'est peut-être pas consommable sans être bouillie. La chambre est à l'avenant. Le lit contiendrait facilement quatre personnes; je n'y serai pas à l'étroit et j'y dormirai en bienheureux, la tête appuyée sur de nombreux oreillers. De vastes baies vitrées donnent sur une immense terrasse couverte. Bref, je n'ai pas à me plaindre des lieux. Comme mes bagages m'ont précédé, j'en profite pour me rafraîchir un peu avant de me rendre à la réception d'accueil à laquelle nous avons été conviés. 

Nous faisons connaissance en dégustant des petits fours, un verre de champagne caucasien à la main, dans l'une des salles de réception de l'hôtel. Les représentants de l'agence de voyage et les guides nous sont présentés. Les discours d'usage sont assortis de quelques informations complémentaires sur notre séjour. Avant le dîner, qui est pris sur place, je profite d'un instant de détente pour lire les nouvelles dans un journal russe publié en français. J'y apprends que des élections législatives ont lieu en Mongolie. C'est une excellente entrée en matière à notre prochain passage dans ce pays, si peu connu, qui possède de riches ressources minières exploitées aujourd'hui par des sociétés multinationales; cela lui vaut un taux de croissance de plus de 17%; mais cette soudaine expansion économique est loin de profiter à l'ensemble de la population; en outre, l'exploitation des mines n'est pas sans conséquence sur l'équilibre environnemental, dans un pays voué jusqu'alors presque exclusivement à l'activité pastorale; cette évolution suscite de l'opposition dans le pays et le leader de l'un des partis qui sollicitent les suffrages des électeurs critique vivement la politique suivie, trop favorable à son gré aux entreprises étrangères. On retrouve en Mongolie des thèmes débattus dans bien d'autres endroits! 

Une fois notre repas achevé, j'essaie de changer un peu d'argent à la réception de l'hôtel. Les hôtesses d'accueil me répondent que ce genre d'opération n'est pas possible et elles m'indiquent un endroit où je trouverai un distributeur de monnaie et un appareil qui rend de la monnaie russe en échange de billets en euros. Malheureusement, le distributeur, s'il accepte bien ma carte, refuse de me délivrer le moindre billet; apparemment, il est vide! Quant à l'appareil supposé changer l'argent, je ne comprends pas son mode d'emploi rédigé en russe! Une seconde tentative, accompagné d'une hôtesse parlant anglais, me permet tout de même d'obtenir finalement plus de roubles que je n'en aurai besoin pour mon voyage, boissons et pourboires compris. 

1 er jour: Moscou - (Les photos sont  ici ) 

Au crépuscule, nous reprenons la route pour une visite nocturne de Moscou. Nous longeons la Moskowa traversée par de nombreux ponts dont l'un est orné de festons métalliques qui lui ont valu le surnom de pont de dentelle. Notre guide nous fait remarquer sur la rivière une gigantesque statue de 98 mètres de haut d'un goût douteux, oeuvre de Zurab Tseretelli, qui ne semble pas être appréciée par l'ensemble des Moscovites; elle est officiellement dédiée au tsar Pierre le Grand, mais les mauvaises langues prétendent qu'elle a d'abord été réalisée en l'honneur de Christophe Colomb et qu'elle s'est retrouvée à Moscou, par la grâce de l'ancien maire protecteur du sculpteur, parce qu'aucun acquéreur ailleurs dans le monde ne la voulait, d'où son surnom de Pierre Colomb; maintenant que le maire a été limogé, on parle de la déplacer sans trop savoir où la mettre! 

Notre première visite est pour le monastère de Novodievitchi, situé au sud-ouest de Moscou. Notre autobus nous arrête à proximité. Malgré l'heure tardive, il fait encore presque jour; sur le ciel se dressent des hautes cheminée d'usine et, plus loin, à l'horizon, un gratte-ciel de style soviétique doré par les rayons rasant du soleil. Nous sommes trop au sud pour espérer voir le soleil de minuit, mais déjà assez au nord pour que le crépuscule s'attarde davantage qu'en France. Les nuits blanches, fêtées du 11 juin au 2 juillet, sont particulièrement appréciées à Saint-Pétersbourg, en raison de l'atmosphère de mi aube, mi crépuscule qu'elles font régner sur la ville; à cette époque de l'année, tout dit-on y est alors hors de prix; l'effet est moins spectaculaire à Moscou. Cette capitale fut jadis une cité industrielle importante, mais aujourd'hui plusieurs de ses usines sont fermées.  

Nous traversons un assez joli parc avant d'atteindre un plan d'eau sur lequel se reflète à la fois la lune naissante et les coupoles dorées du monastère. Ce dernier fut fondé en 1524 par le grand-prince de Moscou Vassili III pour commémorer la conquête de Smolensk en 1514. Sa construction s'acheva au 17ème siècle. C'est un admirable exemple du style baroque moscovite. Il s'intégrait dans les défenses de la ville et fut fréquenté par les femmes de la famille du tsar et de l'aristocratie. Pour parler plus directement, on y enfermait celles dont la famille ou le mari voulaient se débarrasser, même si certaines personnes pouvaient aussi y entrer par vocation. Ce monastère était donc à la fois un lieu de recueillement et une prison. Il fut aussi, à la fin du 19ème siècle, un orphelinat et un hospice pour professes et novices (il en abritait une centaine en 1917). C'était une forteresse, protégée par un mur crénelé et une douzaine de tours, qui joua un rôle non négligeable dans les défenses de la ville; en 1591, ses canons mirent en déroute les Tatars de Crimée et, en 1612, Dimitri Pojarski y défit l'hetman lituanien allié des Polonais. En 1598, Boris Godounov y fut proclamé tsar. Plus tard, Pierre le Grand y cloîtra la tsarine Eudoxie Lopoukhina qui venait d'être répudiée; il y enferma également pendant quinze ans sa demi soeur, la princesse Sophie, qui avait exercé la régence, et qui avait commis le crime de participer à un complot des strelitz, une milice créée par Ivan le Terrible; les comploteurs furent pendus sous les fenêtres de la princesse qui était recluse dans l'une des tours que nous montre notre guide. En 1812, Napoléon se rendit à Novodievitchi, mais cette forteresse échappa à la destruction opérée lors de la retraite de l'armée française grâce, dit-on, à la soeur-trésorière qui désamorça les explosifs. En 1943, dans le cadre de sa réconciliation avec l'église orthodoxe, Staline y autorisa l'ouverture de cours de théologie. Des religieuses y revinrent en 1984. 

A l'intérieur des remparts du monastère s'élève, entre autres édifices religieux, la collégiale Notre-Dame-de-Smolensk couronée de cinq coupoles et un clocher qui, haut de 72 mètres, rivalise avec celui d'Ivan le Grand au Kremlin; ce clocher est constitué de six étages octogonaux de plus en plus étroits au fur et à mesure que l'on se rapproche de son sommet; il est couronné d'un bulbe doré surmonté d'une croix élancée. Dans le cimetière du monastère reposent de nombreuses personnalités russes et soviétiques, notamment les écrivains Gogol, Tchekhov, Tolstoï, Maïakovski, Biély, le metteur en scène de théâtre Stanislavski, le cinéaste Eisenstein, les compositeurs Scriabine et Prokofiev et aussi l'homme politique Nikita Khrouchtchev. Autrefois, les patineurs venaient en hiver glisser sur la glace qui se formait à ses pieds. Le monastère contient plusieurs oeuvres d'art importantes que nous n'avons malheureusement pas eu le loisir de voir. 

Notre seconde visite est pour le métro. La nuit est maintenant tombée et nous nous arrêtons dans une avenue bien éclairée que sillonnent de nombreuses voitures, devant un haut porche décoré de caissons à motifs floraux qui conduit à une cour sur laquelle donne l'entrée monumentale de la station Smolensk.  Cette entrée gigantesque comporte deux très hautes ouvertures identiques décorées chacune de quatre colonnes sombres sur lesquelles se détachent une spirale dorée. Trois battants de taille humaine donnent accès à l'intérieur par chaque porte. On pénètre dans une sorte de rotonde ornée de motifs parmi lesquelles on reconnaît les armes de l'ancienne URSS, faucille et marteau dorés sur fond d'étoile rouge. Je pense à Mucha et aussi au style arts décos. Un escalier roulant interminable emporte les passagers jusqu'à plus de 80 mètres de profondeur. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les stations de métro servirent d'abris, mais ce n'est pas la raison essentielle de cette profondeur; le sol de Moscou est sablonneux et il a fallu creuser loin pour trouver une roche assez résistante. En bas, les deux quais sont séparés par une large galerie centrale dont la voûte repose sur de fortes colonnes entre lesquelles s'ouvrent les passages d'accès aux voitures. Dans le fond de la galerie, un monument de marbre blanc exalte la grandeur de l'armée soviétique qui remporta la victoire sur le nazisme. Les sièges des voitures du métro sont alignés le dos contre les parois extérieures, ce qui laisse au centre beaucoup de place pour les passagers debout (quelques rames du métro parisien ont adopté la même disposition). Nous descendons à la station Kiev qui est construite sur le même modèle que la station Smolensk. Cette station est abondamment décorée de motifs floraux, mais aussi de scènes champêtres ou folkloriques qui rappellent la vie en Ukraine ainsi que des scènes patriotiques. Je remarque une peinture représentant des jeunes filles en train de confectionner une tapisserie représentant le poète et peintre romantique Taras Chevtchenko, figure emblématique de l'histoire ukrainienne du 19ème siècle, qui milita pour l'abolition du servage et la liberté de son pays, ce qui lui valut la prison, l'exil et l'interdiction de se livrer à son art. Dans la station Place de la Révolution, située au coeur de la ville, plusieurs statues de soldats ou d'hommes du peuple, courbés dans des sortes de niche aménagées dans les colonnes, semblent soutenir la voûte, ce qui amenait les Russes de l'époque soviétique à dire que la Révolution reposait sur le dos du peuple! Une visite du métro de Moscou donne presque l'impression de déambuler dans un musée. Ses concepteurs voulaient manifestement en faire le palais du peuple. Ont-ils atteint leur objectif? Le passage dans trois stations ne donne évidemment qu'une idée très limitée de l'ensemble et je ne saurais me prononcer sur ce point. Je retiens le caractère grandiose de ce que j'ai vu. Tout est parfaitement entretenu et propre. Mais il en émane un parfum suranné qui invite à la nostalgie; on sent qu'aujourd'hui la réalisation d'une telle oeuvre ne serait plus d'actualité. 

De la Place de la Révolution, nous nous acheminons vers la Place Rouge, le noyau de Moscou, qui mesure 400 par 300 mètres. Voici un bref historique de cette place mythique: au 15ème siècle, un incendie en détruit les maisons de bois, elle devient un champ de foire; au 16ème siècle, elle commence à servir aux manifestations officielles; en 1584, une tribune de pierre y est construite du haut de laquelle on lit les oukases; au 17ème siècle, elle prend son nom actuel; en 1818, on y érige un monument à Minime et Pojarski; en 1883, on édifie le Musée d'histoire; en 1894, y est construit le magasin Goum; en 1930, le Mausolée de Lénine y est bâti. 

Nous passons devant la porte Kitaï-Gorod qui donnait accès à la ville chinoise, aujourd'hui un quartier d'affaires du centre de Moscou, situé dans une enceinte médiévale en grande partie reconstruite. Les murs, comme ceux des bâtiments environnants sont de couleur ocre rehaussée de contours blancs. C'est ensuite le musée Lénine, pour le moment fermé,  puis, la cathédrale de Kazan; cette église existait déjà au 17ème siècle, sous les espèces d'un bâtiment de bois, qui brûla vers 1635 et fut remplacé par un édifice en pierre; cet édifice reçut plusieurs modifications en 1801, 1805 et 1865, avant d'être reconstruit sous son aspect initial entre 1925 et 1930, puis démolie en 1936, pour des raisons idéologiques et reconstruit de 1990 à 1993; le bâtiment récent respecte le style baroque russe. La cathédrale de Kazan contenait autrefois une vierge miraculeusement découverte dans les ruines d'une maison incendiée à Kazan, en 1578; dès le 17ème siècle, elle fut vénérée comme la libératrice de la Russie; Pierre le Grand en fit son étendard de victoire contre les Suédois et la transféra à Saint-Petersbourg devenue sa nouvelle capitale; la retraite des armées napoléoniennes en 1812 fut attribuée à son intercession; on la pensait détruite en 1936, mais elle réapparut en 1970. D'ailleurs, ne dit-on pas que Staline lui fit survoler en boucle Stalingrad pendant la bataille qui vit la défaite de l'armée de Von Paulus pendant la Seconde Guerre mondiale. Sans doute en existait-il plusieurs copies.  
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La Place Rouge autrefois (source: documentation touristique)
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Nous débouchons enfin sur la Place Rouge. Elle est immense et pourtant je la trouve moins grande que je ne m'y attendais ayant en mémoire la place Tien An Men de Pékin. A notre droite, s'élèvent les murailles du Kremlin qui sont éclairées, à notre gauche le Goum est dans l'ombre et, en face de nous, de l'autre côté de la place, se dresse la cathédrale Saint-Basile, avec ses bulbes tourmentés vivement colorés. La Place Rouge passe pour être le plus bel ensemble architectural de Russie. Elle vit le jour à cause du renforcement des règles de sécurité pour prévenir les incendies. En 1493, le grand duc Ivan III, qui reconstruisait le Kremlin, interdit la reconstruction des maisons de bois, situées trop près de sa résidence, qui avaient récemment été détruite par un incendie. Le terrain fut donc laissé vide pendant longtemps ce qui lui valut le nom de Feu. Au cours du temps, il eut même tendance à s'agrandir jusqu'à atteindre d'immenses proportions. Ivan IV le Terrible, le petit-fils d'Ivan III, commença à décorer cette superficie lorsqu'il ordonna la construction de l'Église du Linceul, plus connue sous le nom de Cathédrale Saint-Basile. En Russie, krasny ne signifie pas seulement "rouge" mais aussi "beau". En conséquence, la Place Rouge doit aussi se traduire par la "Belle Place". Pour ce qui concerne la couleur, elle porte bien son nom car le rouge y domine, ne serait-ce qu'à cause des murailles du Kremlin contre lesquelles le mausolée de Lénine ne paye pas de mine; il est pourtant imposant mais, dans mon souvenir, celui de Mao l'éclipse largement. Au 16ème siècle, les échoppes de bois qui s'élevaient à l'est de la place furent remplacées par des magasins de pierre qui se transformèrent en galeries marchandes au 18ème siècle. 

Nous avançons en direction de Saint-Basile, laissant derrière nous un grand bâtiment rouge dont les clochers, jadis ornés de l'étoile rouge, le sont aujourd'hui de l'aigle bicéphale, comme avant la révolution; c'est le musée d'histoire, édifié à la fin du 19ème siècle, par l'architecte Sherwood, dans un style pseudo-russe. Une étoile rouge quelque peu anachronique est encore présente au sommet de la Tour Spasskaya (Tour du Sauveur), dont la porte était autrefois surmontée d'une icône devant laquelle les personnes franchissant l'enceinte du Kremlin devaient s'incliner; une horloge orne les faces de son clocher; elle annonçait naguère toutes les trois heures en sonnant l'hymne Dieu protège le tsar; après la révolution, elle entonna l'internationale, qui fut remplacée pendant la Seconde Guerre mondiale par l'hymne soviétique, lui même déchu après la chute de l'URSS, pour céder la place à l'hymne russe qui est redevenu sous Poutine celui de la défunte Union soviétique; qui prétend que les horloges ne font pas de politique? A côté de la Tour du Sauveur une autre, plus petite, était utilisée par Ivan le Terrible pour surveiller ce qui se passait sur la place, notamment lors des exécutions publiques qui avaient lieu près de la cathédrale Saint-Basile, à un endroit marqué par des pierres blanches.  
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La Tour Spasskaya (source: carte postale)
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C'est ce tsar, on l'a dit, qui fit construire la cathédrale Saint-Basile-le-Bienheureux, appelée aussi cathédrale de l'Intercession-de-la Vierge, pour célébrer la prise de Kazan. La première église en bois, qui vit le jour en 1552, devait être entourée de sept chapelles consacrées à sept saints dont les fêtes correspondaient aux événements les plus marquants du siège.  Entre 1555 et 1560, elle fut remplacée par une église en briques construite par un architecte de Pskov, Postik Yakovlev, le faiseur de villes. Les travaux durèrent plus d'un siècle. En 1680, sur ordre du tsar Fédor III et du patriarche Ioakim, toutes les églises de bois des environs de la Place Rouge furent détruites mais on installa une vingtaine de nouvelles chapelles autour de l'église de l'Intercession. C'est à cette époque qu'elle fut peinte et couverte des décors de fer et de tuiles que l'on voit encore aujourd'hui; auparavant, elle était blanche et couverte de coupoles dorées. Progressivement, les chapelles disparurent au fil du temps. Le bâtiment principal épouse la forme d'un carré surmonté d'un octogone se rétrécissant vers le haut couronné d'une coupole dorée; quatre tours moyennes de forme octogonale marquent les quatre points cardinaux; quatre tours carrées plus petites sont intercalées entre les tours moyennes conférant à l'ensemble l'aspect d'une étoile à huit branches symbolisant huit batailles de la prise de Kazan. La beauté de l'église devait représenter sur terre une image de la Jérusalem céleste; de fait, il s'agit d'une construction de style en forme de tentes inpiré de l'architecture en bois qui semble sortie d'un conte des mille et une nuits. Le marquis de Custine, qui s'en vint chercher au 19ème siècle un modèle dans la patrie de l'absolutisme et en revint passablement désenchanté, la comparait  à "un melon cantaloup à côtes brodées".  
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Saint Basile la nuit
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Devant l'église, sur la Place Rouge, fut édifiée une statue de Minine et de Pojarski. Kouzma Minine (?-1616) était un boucher russe, échevin de Nijni Novgorod, qui souleva Moscou contre les Polonais et favorisa l'avènement des Romanov. Dmitri Mikhaïlovitch Pojarski (1577-1642) était un prince russe. Il reçut la bénédiction d'Irénarque de Rostov, au Monastère Saint-Boris-et-Saint-Gleb (Borissoglebski), près de Rostov Veliki, à la suite de quoi il prit part aux combats contre les Polonais et libéra Moscou de leur occupation. En 1613, il contribua lui aussi à l'accession au trône de la dynastie des Romanov. Michel Ier de Russie lui octroya l'honorable titre de "sauveur de la mère Patrie". 

Après la révolution, en 1918, le doyen de l'église de l'Intercession fut fusillé et ses biens confisqués; les cloches de l'églises furent fondues et ses portes fermées. Elle échappa de peu à la destruction, pendant les années 1930, pour faciliter la circulation automobile sur la Place Rouge. Elle est aujourd'hui un musée rouvert au culte depuis 1991. Basile le Bienheureux était un fol-en-Christ, né en 1469, qui vécut nu et d'aumônes. Après sa mort, en 1552, il fut inhumé à côté de l'église de l'Intercession et on éleva une chapelle sur sa tombe où venaient prier les pèlerins sollicitant sa protection. Le tsar Fédor Ier couvrit ses relique d'une chasse d'argent et de soieries qui fut pillée par les Polonais. 

La cathédrale Saint-Basile est considérée comme le symbole de l'architecture traditionnelle religieuse russe. J'avoue que je l'aurais certainement préférée dans sa robe immaculée, avant qu'elle n'ait été peinte. Certes, les couleurs sont harmonieuses mais l'ensemble est trop baroque à mon goût et il évoque par trop un gâteau de mariage américain décoré de coupoles en crème glacée. 

Comme nous sommes à quelques pas seulement de notre logis, nous y rentrons à pied, en traversant une avenue, puis en passant sur un pont et en descendant un escalier qui aboutit presque à l'entrée de l'hôtel. Une fois dans ma chambre, avant de me coucher, je prends la précaution de mettre en charge une des batteries de mon appareil photo car je crains qu'une telle opération ne soit plus possible dans le train. Les prises russes sont identiques aux prises françaises et les adaptateurs sont donc sans objet. 
 

Notre billet de train
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2 ème jour: Moscou (suite) - (Les photos sont  ici ) 

Le matin, je prends mon petit déjeuner en compagnie d'un couple dont l'homme est le fils d'un émigré russe qui faisait partie, avant la révolution, des Cadets (ou KD) à Saint-Petersbourg. 

Notre première visite du matin est pour la cathédrale du Saint-Sauveur. Notre bus nous arrête à proximité d'un carrefour où s'élève une belle maison ancienne à la façade colorée en bleu tendre. Un panneau indicateur signale la direction du musée Roerich. Ce nom m'est familier. Peintre de renommée mondiale, auteur de plus de sept mille toiles disséminées dans le monde, savant, voyageur, philosophe, écrivain et homme publique, le talent de Nicolas Roerich fut multiforme. A la suite de la révolution, il émigra aux États-Unis. Après la chute de l'Union soviétique, son fils légua sa collection à son pays d'origine. L'exposition du musée rappelle le grand nombre d'initiatives qu'il prit dans sa vie. Il suffit de citer la célèbre expédition en Asie Centrale (1923-1928), l'institut des Recherches Himalayens "Urusvati", le Pacte de la Paix (Pacte Roerich 1935), pour la protection  des biens culturels en cas de conflits armés et civils, qui servit de base à la Convention de la Haye de 1954. Sans compter les oeuvres  littéraires et, bien sûr, les peintures, ces belles oeuvres d'art, qui frappent par l'harmonie de la composition et réjouissent la vue et le coeur par l'étonnante vivacité de leurs couleurs. Pour ma part, je connais surtout Roerich pour ses peintures sur le Tibet et par les récits des voyages qu'il y fit. 

Au pied de la cathédrale s'étend un charmant petit square sur un des bords duquel se dresse la statue du tsar Alexandre II, le libérateur, qui réalisa de nombreuses réformes, libéralisa le régime, abolit le servage et qui en fut récompensé par son assassinat; il fut victime d'une bombe terroriste, après avoir échappé à plusieurs attentats, en 1881, alors qu'il était âgé de 63 ans, après 26 ans de règne. 

La cathédrale du Saint-Sauveur initiale fut édifiée pour célébrer la victoire des troupes russes contre Napoléon. Décidée dès 1812, la construction commença en 1817, sur la colline des Moineaux. La disparition d'Alexandre Ier entraîna l'interruption des travaux et la condamnation de l'architecte Vitberg. A la suite d'un nouveau concours, remporté en 1829 par l'architecte Thon, déjà réalisateur du Grand Palais du Kremlin,  la construction repris cette fois au bord de la Moskova, sur la colline Alexeevski. La première pierre fut posée en 1839. L'architecte mourut après l'achèvement des travaux mais avant la consécration de la cathédrale qui eut lieu seulement en 1883, lors du sacre d'Alexandre III. A cette occasion fut jouée l'Ouverture solennelle 1812 de Tchaïkovski en hommage aux survivants de la guerre contre Napoléon. La cathédrale devint le siège du patriarcat orthodoxe vers la fin du régime tsariste. En 1931, elle fut dynamitée afin de construire à sa place un gigantesque Palais des Soviets. La Seconde Guerre mondiale mit fin à ce projet monumental et la place laissée libre fut occupée par la piscine à ciel ouvert la plus grande du monde. Après la disparition de l'Union soviétique, les autorités ecclésiastiques introduisirent une requête auprès du gouvernement pour reconstruire la cathédrale. La piscine fut démontée en 1994 et, en 1995, la première pierre du nouvel édifice fut posée; celui-ci fut consacré en l'an 2000. C'est lui que nous allons visiter aujourd'hui. 

La nouvelle cathédrale est bâtie dans le respect de la tradition architecturale russe. Une coupole centrale dorée est entourée de quatre coupoles également dorées plus petites; la première coupole symbolise le Christ et les quatre autres les évangélistes. Sur la façade, de part et d'autre du portail d'entrée, des fresques rappellent des événements saillants de l'histoire religieuse de la Russie. Ces hauts reliefs sont aujourd'hui en bronze; les anciens, qui étaient en marbre, ont été déposés lors de la destruction de l'édifice précédent et se trouvent maintenant au monastère de Donskoï. L'intérieur de l'édifice est majestueux et abondamment décoré d'icônes toutes plus rutilantes les unes que les autres. Malheureusement, il est interdit d'y prendre des photos, comme d'ailleurs à l'intérieur de toutes les églises russes. L'arasement de la colline Alexeevski, lors de la destruction de la cathédrale, a conduit les bâtisseurs modernes à la reconstituer, ce qui leur a permis de créer un sous-sol qui abrite un intéressant musée historique. 

De l'autre côté, la cathédrale s'ouvre sur le Pont du Patriarcat, un pont monumental d'où l'on jouit de face d'une très belle vue sur l'édifice religieux, sur la Moskova, sur le Kremlin d'un côté et, de l'autre, sur la statue contestée de Pierre Colomb, dont il a déjà été question plus haut. D'autres coupoles dorées apparaissent également au-dessus des toits dans un lointain plus ou moins proche ainsi que le sommet d'un gratte-ciel stalinien. Sur la Moskova un gros bateau de tourisme blanc est à l'ancre. 

Avant du quitter la cathédrale du Saint-Sauveur, vous évoquons l'affaire des Pussy Riots. Ces jeunes chanteuses punks on suscité un scandale en chantant dans la cathédrale pour dénoncer la collusion entre le pouvoir russe actuel et l'église orthodoxe. Après notre retour de Russie, elles seront condamnées à deux ans de camp de travail pour ce manquement aux règles de la bienséance. Cette décision de justice prouve au moins que le disparition de l'URSS n'a pas entraîné celle de la rédemption par le travail. Sur le parvis de la cathédrale, je parviens à lire l'enseigne d'une boutique rédigée en caractères cyrilliques: je m'habitue à cette écriture et m'aperçoit que les mots russes sont parfois proches des nôtres. 

Notre visite suivante est pour le Kremlin. Le Kremlin est une sorte de ville dans la ville entourée d'une enceinte fortifiée qui fait penser aux cités interdites d'Asie. Il existe des Kremlin dans d'autres villes de Russie mais celui de Moscou est le plus important. Il fut pendant de longues périodes de l'histoire russe le centre de la vie politique du pays. C'est probablement au confluent des rivières Neglinnaïa et Moskova que les premiers hommes s'établirent, à l'époque préhistorique. La cité prit une certaine consistance au 11ème siècle. Elle fut développée au siècle suivant par le prince Iouri Dolgourouki. Au 14ème siècle, la présence d'un kremlin y est signalée pour la première fois; il s'agit d'un talus de terre palissadé de huit mètres de haut que le prince Ivan Kalita fait entourer d'une enceinte de pieux de chêne. Cette enceinte, incendiée en 1365, sera reconstruites à plusieurs reprises. Vers la fin du 14ème siècle, une enceinte de pierres blanches fut édifiée à la place de celle de bois; elle était percée de cinq portes dont trois ouvraient sur l'actuelle Place Rouge; cette nouvelle construction résista aux assauts des princes de Tver et du grand-duc de Lituanie. Mais, en 1382, le khan de la Horde d'Or réussit à s'en emparer et passa tous ses défenseurs au fil de l'épée. Au 15ème siècle, des tremblements de terre et des incendies se conjuguèrent pour détruire la citadelle qui fut reconstruite sous la direction d'architectes italiens. L'unification en cours de la Russie exigeait alors l'édification d'une forteresse de prestige. Un rempart de 3,5 à 6,5 mètres d'épaisseur, d'une longueur de 2,235 kilomètres et d'une hauteur de 5 à 19 mètres, enserra un espace triangulaire dédié aux habitations. De puissantes tours rondes renforçaient le dispositif à ses angles. Des tours d'entrée fortifiée pourvues de pont-levis s'ouvraient dans les murailles crénelées de merlons à l'italienne. De distance à distance, soigneusement calculée, d'autres tours en saillies permettaient les tirs croisés. Enfin, un fossé large de 30 mètres et profond de 13 mètres, réunissant les eaux des deux rivières, Neglinnaïa et Moskova ceignait l'ensemble. L'essentiel des travaux était achevé au 16ème siècle. Cependant, au 17ème siècle, au moment où le Kremlin perdit son rôle de forteresse pour devenir une résidence d'apparat, le sommet des tours fut remanié pour lui donner sa forme actuelle. En 1812, Napoléon s'installa au Kremlin d'où il fut chassé un moment par l'incendie de la ville; au moment de son départ, il donna l'ordre au maréchal Mortier de faire sauter la forteresse. Au cours du temps, le Kremlin subit divers assauts et fut l'objet de plusieurs remaniements. A l'époque soviétique, des bâtiments furent détruit pour édifier le Palais des Congrès en 1961.  
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Le Kremlin vu du ciel  (source: Wikipédia) - Les tours Koutafia et Troïtskaïa sont à gauche et au milieu de l'image
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Nous prenons place dans une longue file d'attente à l'entrée qui s'ouvre dans l'une des tours extérieures du dispositif défensif, et n'en fait d'ailleurs pas à proprement parler partie, la tour ronde Koutafia, un édifice qui rappelle les tours du couvent de Novodievitchi. 

De l'autre côté de la Tour Koutafia, un pont jeté sur ce qui fut autrefois le lit de la rivière Neglinnaïa conduit à la tour carrée Troïtskaïa (Trinité), l'une des dix-neuf tours véritablement défensives du Kremlin. La rivière Neglinnaïa, un affluent de la Moskova, a été canalisée et ne coule plus désormais à l'air libre. Le pont enjambe en réalité le jardin Alexandrovsky. Quant à la Tour Troïtskaïa, construite en 1495, elle servit de prison aux 15ème et 16ème siècles;  elle prit son nom en 1658, en l'honneur de la mission du Monastère de la Trinité; les portes de cette tour étaient réservées aux Tsarines et aux princesses. 

Une fois franchie la porte de la Tour Troïtskaïa, nous sommes à l'intérieur du Kremlin. A droite se trouvent des bâtiments où travailla Staline. A gauche, devant l'arsenal, à la façade ocre jaune, sont pointés des canons pris à l'armée de Napoléon en 1812. En face, se dresse le massif Palais des Congrès, construit à l'époque de Khrouchtchev, où se déroulent parfois des manifestations artistiques. En avançant un peu plus loin, sur la gauche, on découvre, de l'autre côté d'une pelouse verte, l'ancien Sénat où Lénine avait son bureau.  

Nous prenons sur la droite pour nous rendre Place des Cathédrales qui porte bien son nom car elle est entourée d'édifices religieux, tous plus somptueux les uns que les autres, sans parler des palais. Citons: la cathédrale de l'Archange Saint-Michel, la cathédrale de l'Annonciation, l'église de la Déposition de la robe de la Vierge, la cathédrale de la Dormition, le clocher d'Ivan le Grand... 

La cathédrale de la Dormition est la seule que nous visiterons en détail. Elle se trouve à droite sur la place en suivant le chemin que nous avons emprunté.  Elle fut édifiée au 15ème siècle par l'architecte italien Fioravanti qui avait pris la précaution de s'imprégner au préalable des traditions architecturales russes. Les tsars s'y firent couronner, s'y marièrent et on y élisait et y enterrait les chefs de l'église orthodoxe russe. Elle remplaça une ancienne église construite au 14ème siècle par Ivan Ier pour marquer l'accession de Moscou au statut de siège de l'église orthodoxe russe. On l'appelle parfois en Occident cathédrale de l'Assomption, mais le terme est impropre. C'est sur ses marches que Ivan III, en déchirant le traité de soumission aux Mongols, affranchit la Russie de leur domination. L'intérieur de l'édifice est abondamment décoré; c'est un véritable musée; mais il est aussi très difficile à visiter car la foule y grouille; on n'y entend guère les commentaires des guides dont les voix s'entrecroisent et se couvrent les unes les autres et, bien sûr, les photos y sont interdites. On y voit de belles icônes, dont certaines sont très anciennes, le siège d'Ivan le Terrible, et un énorme lustre d'argent, pesant 400 kilos, fabriqué avec les dépouilles récupérées sur les pillages des troupes françaises en 1812 ainsi que bien d'autres choses encore. Le portail de cette cathédrale s'orne d'une admirable fresque de la Vierge avec son enfant à l'extérieur et d'une fresque du jugement dernier à l'intérieur. L'édifice est surmonté de coupoles dorées et ses murs sont blancs, comme d'ailleurs ceux des autres cathédrales qui entourent la place. 
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Les bulbes dorés de l'église de la Déposition de la Robe
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A droite de la cathédrale de la Dormition, en haut d'un renfoncement, on aperçoit les nombreux bulbes dorés de l'église de la Déposition de la Robe de la Vierge. Cet édifice religieux fut construit au 15ème siècle et fut, jusqu'au 17ème siècle, l'église des métropolites puis des patriarches de Moscou avant d'être rattaché à la cour du grand prince. 

En face de la cathédrale de la Dormition, de l'autre côté de la place, se dresse la cathédrale de l'Archange Saint-Michel couverte d'un grand bulbe doré et de coupoles argentées plus petites. Les accolades de son fronton épousent la forme de coquilles Saint-Jacques. Ses murs blancs étaient autrefois peints en rouge. Elle couvre un emplacement où se déroulaient jadis le rite de la vénération des ancêtres. C'est dans cette cathédrale, construite au 16ème siècle, que furent célébrées les victoires remportées par l'armée russe. Elle servit également de nécropole à de nombreux tsars et princes de Moscou (46 tombes). 

A gauche de la place s'élève, haut dans le ciel, le clocher d'Ivan le Grand, qui jouxte l'église de Saint-Jean Climaque. Avec ses 81 mètres de haut, le clocher d'Ivan le Grand est le plus grand de Moscou. Il fut construit au 16ème siècle, par un architecte italien. Plus tard, Boris Godounov y fit ajouter deux étages et le pourvut d'un dôme, événement rappelé par une inscription en lettres d'or. Il sert de campanile aux cathédrales de l'Annonciation et de Saint-Michel qui en sont dépourvues. De grosses cloches de bronze apparaissent par ses ouvertures. 

A droite de la place et dans le fond se trouve la cathédrale de l'Annonciation qui fut construite au 15ème siècle par un architecte de Pskov, sur l'emplacement d'une ancienne église du 14ème siècle. A l'origine, cet édifice ne comportait que trois coupoles; deux autres furent ajoutées au 16ème siècle tandis qu'on lui adjoignait également quatre chapelles latérales à simple coupole. L'ensemble a subi l'influence de la Renaissance italienne. A l'époque tsariste, cette cathédrale était la chapelle privée de la famille impériale dont le chapelain était le confesseur. Son sous-sol abritait le trésor impérial. Ivan IV le Terrible, excommunié de l’église pour s'être marié trop souvent (sept fois!), s'étant vu interdire l'entrée de l'édifice, aurait fait construire une galerie autour du lieu saint afin de voir à l'intérieur et de pouvoir prier sans y pénétrer. 

A droite de la place, entre la cathédrale de l'Annonciation et l'église de la Déposition de la Robe de la Vierge, le Palais à Facettes exhibe sa façade bosselée qui me rappelle un autre bâtiment de même style vu en 1968 à Prague. Cet édifice fut construit par deux architectes italiens au 15ème siècle. Il est le dernier vestige d'un ensemble plus faste bâti au temps d'Ivan III. Il comporte une salle du Trône et une salle de banquets à l'usages des tsars qui est encore utilisée pour les réceptions officielles. Au sud, l'escalier rouge, c'est-à-dire le bel escalier,  permettait au tsar de gagner la cathédrale de la Dormition lors de la cérémonie du couronnement; il servit pour la dernière fois en 1896. Démoli sous Staline, il fut reconstruit après la disparition de l'Union soviétique. Lors de la révolte de Moscou, en 1682, plusieurs membres de la famille de Pierre le Grand y furent précipités sur les lances des strelitz. 

Nous quittons la Place des Cathédrales, où tant d'événements historiques se sont produits, en passant entre le clocher d'Ivan le Grand et la cathédrale de l'Archange Saint-Michel. Derrière le clocher, repose sur un socle, comme une statue de bronze, une cloche démesurée, De 6,6 mètres de diamètre et d'un poids de 200 tonnes, haute comme une maison, elle a perdu un éclat, ce qui ouvre à sa base une manière de porte. C'est la tsarine des cloches qui, bien sûr, n'a jamais servi. Plus loin, au milieu des arbres, on aperçoit un énorme canon, lourd de 40 tonnes et d'un calibre de 890 millimètres, avec devant lui un tas de boulets que l'on dit trop gros pour tenir dans sa gueule; c'est le tsar des canons et lui non plus n'a jamais servi; on peut même penser qu'il aurait été plus dangereux pour ses utilisateurs que pour leurs adversaires. Ces deux exemples illustrent mieux que de longs discours le goût des Russes pour tout ce qui est grandiose, fût-ce inutile. 

A travers les ombrages d'un espace boisé, nous contournons très au large la cathédrale de l'Archange Saint-Michel. Cela nous permet de voir cette cathédrale, ainsi que le clocher d'Ivan le Grand, puis enfin la cathédrale de l'Annonciation sous un autre angle. Cela nous permet aussi d'apercevoir, en contrebas d'une pelouse en pente, la muraille et ses admirables tours rouges couvertes de toits pyramidaux bleus. Nous passons devant le Grand Palais construit au 19ème siècle par une équipe d'architectes dirigée par Konstantin Thon pour affirmer la puissance de l'autocratie russe qui avait moins d'un siècle à vivre. Ce palais, de facture classique, était la résidence du tsar lorsqu'il était à Moscou. Il est encore utilisé pour certaines cérémonies officielles, les réceptions diplomatiques et la signature des traités internationaux. Il est imposant mais manque quelque peu d'originalité par rapport aux autres palais royaux. 

Notre visite du Kremlin s'achève par le Palais aux Armures qui fut également construit, par l'architecte Konstantin Thon, au milieu du 19ème siècle, à proximité du Grand Palais, à l'emplacement d'une armurerie plus ancienne dans laquelle on fabriquait l'armement des corps impériaux. C'est aujourd'hui un musée. On y accède en passant par un sas, comme dans un aéroport. Les photos y sont interdites. On peut y voir une riche collection d'objets offerts aux tsars par les cours étrangères qui souhaitaient gagner leur alliance. J'ai retenu un service de Sèvres offert par Napoléon à Alexandre Ier, ce qui n'a pas empêché la guerre de 1812; il est vrai que les Anglais lui offraient des cadeaux d'autant plus intéressants qu'ils étaient assortis de menaces à peine voilées; le tsar n'ignorait pas quel avait été le sort de son père coupable de s'être rapproché de la France. On peut également y voir de nombreux accessoires du pouvoir, armes, couronnes, costumes somptueux, carrosses amplement dorés et décorés, mais certainement guère confortables si on en juge par la qualité rudimentaire de la suspension, trônes... j'ai retenu le trône de Pierre le Grand et de son frère, pourvu d'une chatière par laquelle la régente Sophie dictait leur réponse aux enfants impériaux au cours des audiences. J'ai gardé pour la fin la collection d'oeufs de Fabergé où l'on découvre une réplique miniature du Transsibérien dans lequel nous serons ce soir et la collection de pierres précieuses qui, entre de belle pièces de joaillerie, comporte le célèbre diamant Orlov, le plus gros du monde, s'il faut en croire la rumeur. 

Nous quittons le Kremlin en traversant le jardin Alexandrovsky. Il est l'heure d'aller déjeuner. Nous terminerons notre séjour à Moscou par une visite du quartier de l'Arbat. 

Chemin faisant, nous passons devant le prestigieux théâtre Bolchoï que j'ai le temps de photographier furtivement. Notre bus s'arrête devant l'un des gratte-ciels édifiés par Staline au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, peut-être dans l'espoir de rivaliser avec les États-Unis en imposant un style architectural soviétique magnifiant la puissance de l'URSS. La construction de huit bâtiments de ce genre était prévue; sept seulement ont vu le jour; on les appelle les Sept-Soeurs. L'imposant building de béton, devant lequel nous nous trouvons, est toujours frappé à son sommet des armoiries soviétiques qui rappellent ses origines; je pense qu'il est occupé par des bureaux. 

L'Arbat voisin est en quelque sorte le Montmartre moscovite. On y flâne dans une rue piétonne où des peintres exposent leurs oeuvres sur la chaussée. La rue est bordée de jolies maisons traditionnelles parmi lesquelles notre guide moscovite nous indique celle de Pouchkine, dont la façade est peinte en vert tendre. Une plaque rappelle le souvenir du poète romantique qui mourut en duel pour défendre l'honneur de sa ravissante épouse. Une statue en bronze du couple s'élève en face de la maison, de l'autre côté de la rue. Je me souviens avoir lu dans ma jeunesse La Fille du Capitaine, un roman de cet auteur qui passe pour un chef d'oeuvre de la littérature russe. 

Dans le voisinage de la maison de Pouchkine est située celle d'un autre poète russe, André Biély (ou Bély) (1880-1934). Moins connu que Pouchkine, Biély n'en est pas moins un des écrivains russes majeurs du vingtième siècle qui exerça une grande influence. Il fut, avec Alexandre Blok, un des chefs de file de la seconde génération des symbolistes russes. Doué pour les sciences comme pour les arts, sa production ne se borna pas à la littérature; poète, il fut également philosophe, peintre et musicien. D'abord favorable à la révolution, il s'en écarta par la suite, quitta la Russie soviétique pour l'Allemagne de Weimar, revint dans son pays où il s'établit à Leningrad en 1931 et mourut à Moscou d'une crise cardiaque en 1934. Il repose au cimetière de Novodievitchi. Son nom a été donné à un important prix littéraire russe. 

Un peu plus loin, une plaque sur un mur rappelle le souvenir de l'écrivain Anatoli Rybakov (1911-1998), auteur du roman Les Enfants de l'Arbat; publié en URSS en 1987, cet ouvrage décrit la société soviétique à l'époque des purges staliniennes dont l'auteur, condamné à trois ans de relégation vers la fin de ses études en 1933, puis interdit de séjour à Moscou avant d'être réhabilité en 1960,  avait été lui-même l'une des victimes; le livre remporta un grand succès. Rybakov publia plusieurs autres romans dont Cendre et poussière (1994), consacré à la Seconde Guerre mondiale à laquelle il avait participé et où il s'était illustré. 

Les maisons de l'Arbat, spécialement celles de Pouchkine et de Biély, sont quelque peu écrasées par la présence du gratte-ciel stalinien qui lance haut derrière elles sa flèche vers le ciel. 

Le moment est maintenant venu de nous diriger vers la gare où nous devons prendre place dans le Transsibérien. Au passage, je photographie un autre gratte-ciel des Sept-Soeurs sur une place où notre guide moscovite nous précise que le poète Maïakowski habita. A la gare de Kazan, nous prenons congé de ce guide, puis nous attendons patiemment dans un vaste hall que notre train apparaisse au tableau d'affichage. 

Le numéro de notre wagon figure sur notre billet et nous n'avons aucune difficulté à retrouver notre compartiment: notre nom figure sur la porte. Voyageant seul, je dispose d'un compartiment entier qui comporte deux couchettes, une petite table centrale sous la fenêtre entre les deux lits, et un endroit en hauteur pour placer les bagages; je suis donc relativement à l'aise et m'installe tranquillement en attendant le départ du convoi. Sur la table, je découvre une petite bouteille de vodka, des gâteaux secs, des friandises et un porte-clef orné d'une petite poupée russe de bois. Un sac poubelle noir, accroché à la table, permet de ne rien laisser traîner. Dans chaque wagon, un compartiment est réservé au personnel de service, deux jeunes femmes qui feront nos chambres roulantes et nous fourniront aide et boisson, si nécessaire. Le train compte trois wagons restaurants; l'un d'entre eux est réservé à notre groupe; nous y prendrons tous nos repas et nous y entendrons les conférences de notre guide français; pour le rejoindre, il nous faudra traverser plusieurs wagons ainsi que les deux autres restaurants. Chaque wagon restaurant est accompagné d'une minuscule cuisine où seront préparés tous nos repas: c'est fou ce que l'on peut faire dans deux mètres carrés! Un tableau d'affichage, apposé dans chaque wagon, nous fournira quotidiennement  des informations sur notre voyage. D'autres informations ainsi que des conférences seront également diffusées par radio, tous les compartiments étant doté d'un haut-parleur réglable; malheureusement, le mien ne fonctionnera jamais correctement et je ne le ferai pas réparer, comme je l'aurais pu; c'est sans grande importance, les conférences radiophoniques ne faisant que reprendre, en différentes langues, le contenu des documents qui nous ont été distribués. En revanche, les conférences du wagon restaurant, prononcées par notre accompagnateur français, plus originales, méritent un autre sort; des écouteurs nous permettront d'en bénéficier à plein. Deux toilettes sont disponibles à chaque extrémité du wagon. Une zone fumeur existe en fin de wagon, à l'opposé du compartiment du personnel de service; il est interdit de fumer partout ailleurs; j'irai de temps à autre y fumer un cigare; ce ne sera pas du goût de tous les passagers dont certains feront le geste de chasser ostensiblement de la main une fumée largement imaginaire car cet espace restreint est relativement bien ventilé: il est des gens qui aiment afficher leur manque d'éducation et leur intolérance! Une ombre au tableau: il n'y a qu'une douche par wagon et, celle du wagon d'à côté ne fonctionnant pas, il nous faudra partager la nôtre. Pour procéder à nos ablutions quotidiennes, qui ne doivent pas durer plus d'un quart d'heure, nous devons nous inscrire sur une liste; compte tenu de notre emploi du temps très chargé et de l'affluence des candidats, je m'aperçois rapidement qu'il ne me sera pas possible de faire ma toilette si je ne veux manquer aucune visite; je décide donc de ne pas m'inscrire; j'aviserai! 
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Notre périple de Moscou à Pékin
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Notre convoi s'ébranle. Nous quittons Moscou pour un long périple ferroviaire d'environ 6000 kilomètres. Une fois sortis de l'agglomération moscovite, nous retrouvons le paysage déjà entrevu lors de notre arrivée: une plaine légèrement ondulée boisée de bouleaux relativement chétifs, avec des prairies, qui me rappellent le Canada, comme je l'ai déjà dit. Le tronc des arbres est parfois cassé en leur milieu, comme s'ils avaient été victimes d'une tornade, ce qui leur donne des allures de chicots, comme sur les lacs canadiens. Je me demande si ce n'est pas la conséquence de l'excessive humidité du sol qui semble par endroit marécageux. Nous passons auprès de villages russes. De gros tuyaux, enveloppés d'un enroulement de tissu protecteur, s'étalent sans complexe à l'air libre; je me demande ce qu'ils transportent: du pétrole, du gaz, de l'eau ou quel autre fluide? 

Notre dîner d'accueil est accompagné de champagne russe et de vodka offerts gratuitement. Les autres boissons (vin ou bière) devront être réglés à la fin du voyage; nous disposons d'un petit carnet où figurent les prix, très abordables, et où les serveurs consignent nos consommations. Après le repas, chacun regagne son compartiment pour la première nuit. Je m'aperçois d'emblée que le sommeil sera difficile. Le train est très bruyant; les wagons s'entrechoquent à chaque coupure des rails qui semblent assez mal entretenus, à moins que les suspensions des wagons laissent à désirer; on entend parfois des bruits tout à fait inattendus; il m'arrive même de me lever pour ouvrir ma porte sur laquelle j'ai cru entendre frapper! Il est vrai que nous sommes dans un train qui n'est plus tout jeune puisqu'il fut celui des dignitaires soviétiques.  


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