Carnet  de  route  d'un  voyage  En Syrie
Septembre-octobre 2010 (suite 5)
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8 ème jour (2 octobre): Alep (les photos sont ici) 

Alep, Hala en arabe et Beroa dans l'antiquité, principale ville du nord de la Syrie, compte plus de 1,7 millions d'habitants. Le centre de la ville a été classé au patrimoine mondial de l'humanité par l'UNESCO en 1986 et il est probable qu'il échappera ainsi à la pioche des démolisseurs qui l'ont menacé au milieu du siècle dernier (pour situer Alep, voir une carte ici et pour retrouver les sites dans la ville, consulter son plan ici). Alep est l'une des plus anciennes cités du monde. Elle existait déjà à la fin du troisième millénaire avant notre ère. D'après certaines tablettes couvertes d'écriture cunéiforme, elle remonterait même plus loin dans le temps. Capitale du royaume amorrite de Yarkand, elle fut prise par les Hittites en -1595. Vers -1000, elle devint l'un des centre commerciaux du savon qu'elle est restée jusqu'à nos jours. Rattachée à l'Assyrie en -738, elle fut conquise par Alexandre le Grand en -333 et passa ensuite sous la domination des Séleucides qui, de Halman, la rebaptisèrent Beroia ou Beroa. Les Romains l'occupèrent en -65. Détruite par les Perses de Khosro 1er, en 540, elle fut reconstruite par Justinien. Les Arabes s'en emparèrent en 637. La Grande Mosquée fut édifiée par le calife Al Walid en 715. Sous les Omeyyades, la ville connut peu de changements. Mais, en 944, elle devint la capitale des Hamdanides qui en firent un important centre intellectuel et politique en lutte contre l'empire byzantin. En 962, elle fut prise et incendiée par Nicéphore Phocas. Elle fut ensuite reprise par les musulmans et passa aux mains des Fatimides. En 1086, elle tomba sous la domination de l'émir de Damas Tutus qui devint le sultan seldjoukide de Syrie. A la mort de celui-ci, ses deux fils se partagèrent l'émirat et la zizanie s'éleva entre Alep et Damas. En 1098 et 1124, les Croisés tentèrent en vain de s'emparer de la ville. Les exactions qu'ils commirent entraînèrent, en réaction, la transformation en mosquées des églises de la ville; c'est ainsi que la cathédrale byzantine Sainte-Hélène devint la madrasa Halawiyé. Alep fut pendant un temps rattachée au sultanat de Mossoul pour résister aux Croisés. Elle devint la capitale de Nur ad-Din qui fit reconstruire la Grande Mosquée en 1129. En 1183, elle passa sous la domination de Saladin et des Ayyoubides qui en firent un grand centre intellectuel et religieux; la citadelle et les murailles furent relevées. Les Mongols envahirent la cité en 1260, puis les Mamelouks la reprirent en 1317. Au 15ème siècle, la cité était devenue une place commerciale de première importance, notamment pour ce qui concerne le commerce de la soie; ses relations avec Venise étaient si importantes que ses caravansérails s'appelaient des "banadiqa khan", banadiqa signifiant "vénitien". En 1516, elle entra dans l'empire ottoman pour y rester pendant plus de quatre siècles. A partir du 17ème siècle, cependant, les voies commerciales se modifiant, le déclin d'Alep s'amorça, tandis que des missionnaires catholiques européens regroupaient les chrétiens pour former une élite qui s'éloignait du reste de la population. Entre 1812 et 1819, dans le cadre de l'affaiblissement du pouvoir ottoman, les janissaires révoltés occupèrent la cité. En 1832, elle tomba sous le contrôle de l'Égypte, en même temps que le reste de la Syrie. En 1860, les chrétiens y furent victimes d'un pogrom. Au cours du 19ème siècle, Alep joua un rôle dans la renaissance arabe grâce à la naissance dans ses murs du réformateur al-Kawakabi; à la fin du siècle elle s'était modernisée et étendue. En 1918, le Britannique Allenby s'en empara. Entre 1920 et 1925, enfin, elle fut la capitale d'un éphémère État d'Alep, dans le cadre du mandat français sur la Syrie, en application du principe: "diviser pour mieux régner". 
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La déesse au vase jaillissant
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Notre première visite de la matinée est pour le Musée archéologique. Chemin faisant, nous passons devant d'anciennes maisons typiques dont les étages débordent sur le rez-de-chaussée, comme chez nous au Moyen-Âge. Nous sommes accueillis, à l'entrée du musée, par des statues de basalte noir qui proviennent du site de Tell Halaf, au nord de la Syrie, qui existe depuis l'époque néolithique. Les statues, quant à elles, auraient vu le jour sous les Hittites, à l'Âge du Fer, et seraient de facture araméenne. A l'intérieur du musée, une belle collection de sculptures et d'objets en provenance de plusieurs sites syriens (Ebla, Ougarit, Mari...) est exposée. Cette collection offre une vision synthétique de la richesse des sites archéologiques syriens et constitue donc une excellente introduction à la visite de ceux-ci. Il est malheureusement impossible de tout retenir d'autant que les photos sont interdites à l'intérieur du musée. Je me suis permis de tricher un peu, mais il ne faut pas exagérer. Je retiendrai donc "la déesse au vase jaillissant" de Mari qui constitue une des pièces maîtresse; cette statue était reliée à un circuit qui amenait l'eau jusque au vase placé devant elle d'où cette eau jaillissait. Je me suis aussi permis de photographier subrepticement des vases ornés de serpents. On croit que cet animal, que l'on retrouve dans plusieurs civilisations, comme dans notre caducée, joue, selon les cas, un rôle protecteur ou maléfique (n'est-ce pas un serpent qui, se faisant l'instrument du diable, incita artificieusement notre mère Eve à croquer la pomme?). A Mari, en Mésopotamie, cet animal était probablement un symbole de régénération associé au printemps. 
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Le plan de la citadelle d'Alep est ici
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Notre seconde visite est pour la Citadelle. Ce majestueux groupe d'édifices, ceint d'une muraille fortifiée, domine l'agglomération du haut d'une cinquantaine de mètres. Vu de la place qui s'étend à ses pieds, il est très imposant; c'est en fait, une véritable petite ville dans la grande. Comme on l'a vu plus haut, l'implantation humaine à Alep remonte à une époque très reculée et elle a connu bien des vicissitudes au cours de sa longue histoire. L'endroit où s'élève la citadelle, très probablement habité depuis longtemps, porte les traces de toutes les civilisations qui s'y sont succédées. C'est sans doute sur ce monticule facile à défendre que s'établirent les premiers Aleppins; on dit qu'Abraham s'y serait arrêté. Haut lieu antique, il devint ensuite l'Acropole de la période hellénistique. Les strates des civilisations successives s'y amoncelèrent jusqu'à lui donner sa hauteur actuelle. L'Hamdanide Sayf ad-Dawlah y ordonna, au 10ème siècle, la construction d'une forteresse qui résista aux Perses et ne tomba sous les coups des conquérants arabes que par suite de l'utilisation d'un subterfuge: ils se seraient déguisés en chèvres! A partir des Hamdanides, rivaux chiites des Byzantins, la citadelle fut fréquemment la demeure des gouverneurs qui l'enrichirent de constructions nouvelles. Pendant les croisades, Renaud de Châtillon y resta seize ans captif.  

On pénètre dans cet ensemble monumental par un pont qui traverse une tour construite par les Mamelouks au 16ème siècle. Ce pont enjambe un fossé large d'une trentaine de mètres et profond d'une vingtaine creusé au 12ème siècle. De ce pont, on voit à droite la Tour avancée du sud et, hors de l'enceinte le dôme doré du hammam Yalbougha al-Nasiri ainsi que le glacis en pente percé de cheminée que je suppose destinée à l'aération des sous-sols. On franchit d'abord une lourde porte en acier ouvragé avant d'arriver, de l'autre côté du fossé, à l'entrée proprement dite, ouverte dans une seconde tour. Cette entrée est décorée d'inscription sculptées et elle est défendue par des archères et des assommoirs. Un premier coude conduit à une seconde porte surmontée d'entrelacs sculptés dans la pierre (porte des Serpents). Un couloir tortueux passe devant la tombe d'un personnage dont je n'ai pas retenu le nom. La tête d'un lion menaçant se montre dans les ténèbres (porte des Lions). On pénètre dans une partie qui devait être le souk et dont les constructions ont un caractère byzantin; on y remarque de belles voûtes et aussi une plongée vers l'enfer des souterrains et des oubliettes; on imagine qu'il pouvait y avoir là des prisonniers. Un escalier, en haut duquel apparaît le minaret d'une mosquée, nous conduit en direction d'une autre mosquée. A droite, dans les fouilles, on aperçoit une sculpture en pierre noire d'inspiration assyrienne; est-ce l'emplacement du Temple de la Tempête? nous voici dans la cour de la première mosquée, la petite, celle d'Abraham (ou Ibrahim) qui possède une admirable coupole. Un peu plus haut, on jouit d'une belle vue sur la cité et sur un vaste champ de ruines fouillées par les Ottomans. Nous contournons la Grande Mosquée du haut, celle du minaret carré qui s'élève à 21 m, construite en 1213. De l'autre côté, un théâtre moderne, réplique de l'antique, étage ses gradins, en-dessous des casernes d'Ibrahim pacha. Nous visitons ensuite le hammam du palais où des reconstitutions avec des personnages de cire permettent de se faire une idée de l'ambiance de l'époque. Une très belle architecture d'inspiration musulmane, alternant le noir et le blond des pierres, s'offre ensuite à nos regards (constructions ayyoubides). Puis nous accédons à la Salle du Trône du Palais, une vaste pièce surmonté d'une coupole éclairée par des fenêtres, comme dans une mosquée, dont le plafond est admirablement travaillé; le parquet, cependant plus sobre, rivalise de beauté avec le plafond; tout dans cette pièce, des boiseries sculptées des murs, aux entrelacs du parquet et aux dorures du plafond, respire la richesse et la puissance, admirables mais aussi quelque peu chargées, de l'Orient. La citadelle, destinée à être un palais imprenable, n'en fut pas moins partiellement détruite par les Mongols. Leurs successeurs la relevèrent. La Salle du Trône a été restaurée et des fouilles continuent dans certains secteurs, comme on l'a déjà dit. La rue qui fait face à l'entrée de la citadelle dessert, à cinquante mètres à droite, la madrasa funéraire du fils de Saladin et de sa famille; ce personnage important fut gouverneur d'Alep. 
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La statue de Monseigneur Germanos Farhat
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Nous nous rendons dans le vieux quartier d'Alep pour déjeuner. Un magasin d'antiquaire arbore tout un bric-à-brac d'objets hétéroclites suspendus sur sa façade. La gent féminine est nombreuse dans les rues. Très peu de femmes sont voilées. Beaucoup cachent leurs cheveux sous un fichu et sont vêtues de noir, mais cela ne les empêche pas de jeter au passage un coup d'oeil rapide sur les hommes qu'elles croisent. Dans la ruelle où nous allons, les tissus d'une boutique sont présentés aux chalands accrochés à un mur. Après le repas, nous nous rendons dans le quartier chrétien de Jdeïdé en empruntant un dédale de ruelles et de passages couverts parfois surmontés d'une voûte à arc brisé oriental ou bien d'un plafond de grosses poutres de bois. Ce quartier, qualifié de "jeune" parce qu'il était en dehors de la vieille ville, était autrefois habité par la bourgeoisie chrétienne enrichie dans le commerce caravanier. Nous débouchons sur une place dont l'un des côtés est occupé par une église maronite, inaugurée en 1892, devant laquelle s'élève la statue de Monseigneur Germanos Farhat, archevêque maronite d'Alep au 18ème siècle. Dans le voisinage, beaucoup de maisons sont occupées pas des institutions religieuses. Un bref passage par une église s'impose. 

Nous continuons à cheminer à travers les ruelles nous arrêtant parfois pour regarder les façades aux fenêtre grillagées, les moucharabieh, ces jalousies orientales qui permettent aux beautés locales de voir sans être vues, du haut de leurs balcons. Le dessus de certaines de ces fenêtres est ajouré comme ces dentelles de pierre que nous avons déjà vues à Hama. Assez souvent on y alterne un motif chrétien, la croix, et un motif musulman qui évoque pour moi un conifère. Parfois, une branche traverse la ruelle trahissant la présence d'un arbre dans la cour d'une maison dont nous sépare un mur de cloture presque aveugle. Au hasard des rues, nous rencontrons un porteur de boisson chargé de sa jarre métallique et décoré d'un panache bien visible de grosses fleurs multicolores. 

Nous voici maintenant à la madrasa Halawiyé, proche de la Grande Mosquée, qui remplaça, on l'a vu plus haut, la cathédrale byzantine Sainte-Hélène, datant du 6ème siècle. De cette cathédrale subsistent des colonnes corinthiennes; on remarque, parmi d'autres plus classiques, des chapiteaux à deux rangées de feuilles couchées en sens inverse. Le dôme de la mosquée, bien qu'assez mal entretenu, possède, en son centre, un très joli décor coloré plein de finesse. Mais le mirhab en bois sculpté du 13ème siècle, encadré d'une calligraphie, reste la pièce la plus intéressante de cet édifice. Nous passons devant l'étal d'un marchand de friandises syriennes qui paraissent être des sortes de sucre d'orge gluant, noueux par endroit, de couleur marron, translucide; je ne me laisserais pas tenter. 

Nous arrivons à l'entrée de la Grande Mosquée (al-Jami' al-Kabir) où il nous faut temporairement prendre congé de nos chaussures. Cette mosquée fut fondée par le calife al–Walid vers 715, comme on l'a dit plus haut. Construite sur l'emplacement de l'Agora hellénistique, elle fut complètement détruite en 1169; seul le minaret échappa au terrible incendie qui la ravagea; érigé en 1090, par les Seldjoukides, il culmine à plus de 45 m, ce qui en fit pendant longtemps la plus haute construction de Syrie. On peut observer que chaque étage tient à marquer sa différence et que l'ensemble se termine par une terrasse couverte d'où le muezzin appelle à la prière; on dit que ce minaret est légèrement penché. La mosquée, fut reconstruite par Nour ed-Din au 12ème siècle. Les motifs de sa cour de marbre sont repris sur les façades. Au Sud, dans une grande pièce sombre, à l'abri d'une grille, reposent, dans un cénotaphe, les reliques de saint Zacharie, père de saint Jean Baptiste, qui fait l'objet d'une grande dévotion populaire. Le minbar de bois sculpté, une sorte d'escabeau du haut duquel le khatib prononce son sermon, date du 12ème siècle. Un groupe d'enfants syriens sympathiques, deux gracieuses fillettes et un petit garçon plus fermé, se laissent aimablement photographier. Dans la rue, des pistaches appétissantes, fraîches et roses sur leur étal, ne demandent qu'a changer de propriétaire contre monnaie; pourquoi s'en priver? 
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Le bazar d'Alep
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Nous passons à travers le bazar coloré comme tous ceux d'Orient. 

Sur une petite place s'ouvre l'entrée du khan al-Wasir, un caravansérail, du 17ème siècle. Il a la réputation d'être l'un des plus beau caravansérail de la ville. Sa façade est décorée de bandes alternées de pierres jaunes et noires. De petites fenêtres grillagées en rompent la monotonie. Il est surmonté d'un arc percé de deux étroites fenêtres voûtées et d'une ouverture en étoile qui lui donne une allure de chapelle. La façade intérieure est elle aussi remarquable par ses décorations; en haut des fenêtres, on remarque les décors percés, croisé d'un côté et musulman de l'autre. A l'étage une élégante colonnade délimite une sorte de balcon couvert qui donne sur la cour dans laquelle poussent quelques arbres. 

Notre dernière visite guidée sera pour une fabrique de savon, activité traditionnelle de la cité depuis des siècles, ainsi qu'on l'a déjà dit. Le savon d'Alep est à base d'huile d'olive et de laurier. Il est confectionné à l'ancienne dans des sorte de cuves et les morceaux sont mis à sécher à l'étage, arrangés en constructions rondes ou carrées, en ménageant des espaces suffisants entre eux, pour que l'air circule et active l'évaporation. 

Après cette visite, nous regagnons la place devant la citadelle pour y goûter à une boisson locale non alcoolisée tandis que la nuit tombera sur la ville et sur la forteresse illuminée. Il nous faut raser les murs pour éviter les véhicules qui circulent dans ces ruelles étroites une fois la journée finie. Après, en compagnie d'une autre personne du groupe, je ferai le tour des hôtels et des banques pour tenter de retirer de l'argent. Il y a bien des distributeurs, mais aucun ne fonctionne ou n'accepte nos cartes! Nous finissons tout de même par nous tirer d'embarras au distributeur du Sheraton qui n'accepte que les cartes Visa. Il nous a fallu effectuer pas moins de cinq tentatives vaines auprès de distributeurs dispersés dans les rues, heureusement pas très éloignées de notre hôtel, avant de parvenir à obtenir de celui du Sheraton quelques livres syriennes! 
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Pour notre dernière soirée à Alep, nous allons prendre un verre à la terrasse du mythique hôtel Baron où séjourna Agatha Christie et où Lawrence d'Arabie a laissé une ardoise. Nous nous payons même le luxe d'aller visiter une chambre. Le charme désuet de ce vieil hôtel est indéniable. Un antique thermomètre du début du siècle dernier orne encore sa façade et la porte de communication de la terrasse avec la réception, avec son pinacle en arc brisé oriental, ses deux ventaux et ses lames de bois peintes en noir, semble sortir tout droit d'un roman  policier anglais.  
 

9 ème jour (3 octobre - matin): Resafa (les photos sont ici) 

Nous partons le matin en direction de l'est, vers Resafa (Resafe, pour situer ce site, voir la carte ici). Cette ville est située au sud-ouest d'Ar Raqqa et de l'Euphrate. Sa fondation date du 9ème siècle avant notre ère, époque à laquelle un camp militaire assyrien y fut établi. Son existence est mentionnée dans la Bible mais elle resta dans l'ombre jusqu'au 4ème siècle. En 256 toutefois, les Sassanides (Perses), qui menaçaient l'empire romain à l'est, s'emparèrent du poste-frontière de Doura-Europos, sur le Moyen Euphrate; l'empereur Dioclétien (284-305) restaura alors la piste qui reliait Damas à l'Euphrate en passant par Palmyre; il installa un poste avancé face au territoire perse à Resafa. En 305, deux militaires romains, nommés Serge et Bacchus, secrètement chrétiens, furent persécutés pour avoir refusé de participer à une cérémonie païenne dans un temple de Jupiter; Bacchus mourut sous les coups et Serge, plus résistant, fut conduit à Resafa pour y être décapité. Son martyr contribua à assurer la prospérité de la ville en attirant sur les lieux de sa mort un grand nombre de pèlerins, les deux hommes étant devenus des saints très populaires au Moyen Orient christianisé. Des églises et une basilique furent construites ainsi que des infrastructures pour accueillir les gens de passage. Le nom de la ville fut changé en celui de Sergiopolis. De solides murailles furent édifiées pour en assurer la défense sous l'empereur Justinien (527-565). Elle n'en fut pas moins prise par les Perses qui la détruisirent, en 616, puis par les Arabes un peu plus tard. Le troisième calife omeyyade, Hisham ibn Abdul Malik, y établit sa résidence, ce qui valut à la ville une grande prospérité. Mais les Abbassides détruisirent ensuite ce que les Omeyyades avaient bâti. Les Mongols s'en emparèrent au 13ème siècle puis le sultan mamelouk Baybars (1223-1277) en déporta tous les habitants à Hama. Victime des tremblements de terre, la cité sombra ensuite dans l'oubli. 
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Une reconstitution de la Porte Nord - Source: panneaux du site
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L'impressionnante enceinte rectangulaire de Resafa fut construite, on l'a vu plus haut, au début du 6ème siècle. Elle mesure 1,8 km de long, est épaisse de 3 m, et protège une superficie d'environ 500x400 m. On y rencontrait une cinquantaine de tours carrées, plus ou moins fortes, disposées en alternance (une forte, une faible) avec des tours rondes aux angles. A l'intérieur, un portique à colonnade la longeait. Ses murs étaient en pierres de gypse blanches et brillantes. A l'origine, la muraille comportait trois étages accessibles par des chemins de ronde. Les galeries étaient pourvues de créneaux d'où les archers pouvaient faire pleuvoir une grêle de flèches sur d'éventuels assaillants. Chacun des quatre murs de la ville comportait des portes d'entrée. Celle du nord est la mieux conservée. Les visiteurs arrivent généralement de ce côté. Cette porte monumentale est flanquée de deux tours et munie d'une avant-cour dont le mur du nord est détruit. Cependant le mur intérieur, avec sa précieuse façade, est toujours debout et il est le mieux orné de l'enceinte; sa décoration, constituée d'arcades, de bandeaux sculptés et de chapiteaux fleuris est particulièrement fine. Malgré l'appareil défensif qu'elle arbore, l'impression dominante de cette entrée reste d'un accueil plutôt agréable pour les visiteurs. Ses trois portes voûtées rappellent les arcs de triomphe romains, comme celui de Constantin à Rome. Chaque arc est encadré par deux colonnes supportant une corniche qui court autour des coins de l'est et de l'ouest formant une architrave soutenue par des piliers. L'ensemble respecte le style corinthien syro-mésopotamien. La même architecture peut être admirée sur les façades de l'église quadrilobée et de la basilique construites à peu près à la même époque. On en déduit que ces deux édifices religieux furent probablement l'oeuvre des mêmes maçons et tailleurs de pierres. On examinera plus particulièrement le chapiteau de la colonne est de la baie principale. 
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La porte sud (extérieur) - Source: panneaux du site La porte sud (intérieur)
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L'église des saints martyrs est un édifice circulaire inscrit dans un carré. Le chevet est constitué d'une abside en cul-de-four percée de trois arcades et entourée de deux chapelles latérales carrées. La construction est en gypse. La décoration et assez modeste mais on peut néanmoins y découvrir des frises artistiquement sculptées. Les voûtes n'ont hélas pas été ménagées par les tremblements de terre.  

Resafa n'était pas seulement une ville de pèlerinage ou un poste militaire. Elle était également un important centre commercial (emporium). Cette ville était en effet située à l'intersection de deux routes de commerce majeures dont une menait, du nord au sud, de Samosata (Somosate ou Samsat en Turquie) vers l'Euphrate et Palmyre puis continuait vers Damas; la deuxième allant, de l'est à l'ouest, en reliant Circesium (Abu Serai en Syrie) à Antioche et en se poursuivant vers la côte. Les marchandises étaient transportées principalement à dos de chameaux et les caravanes de marchands étaient souvent accompagnées par des soldats et des pèlerins. A des distances d'une journée, se trouvaient des auberges, les caravansérails (khans) capables d'héberger tout un groupe. Ces routes caravanières se raccordaient à la Route de la Soie. Elles favorisaient le commerce mais aussi les invasions et le brassage des peuples ce qui explique l'exceptionnelle richesse archéologique de la Syrie et la diversité des architectures qui s'y rencontrent.  
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Une reconstitution du caravansérail - Source: panneaux du site
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Le caravansérail de Resafa était bâti sur un plan presque carré mesurant 25X27 m. L'entrée était située à l'ouest. Elle donnait sur une grande cour qui comportait des chambres sur trois côtés. Les portes de ces pièces s'ouvraient sur la cour. Les voûtes des chambres étaient construites en briques sur le côté nord et en pierre calcaire sur le côté sud. Les chambres formaient des cellules plus ou moins privées pour chaque commerçant, son serviteur et la marchandise précieuse qui méritait une attention spéciale. La marchandise encombrante et les animaux stationnaient dans la cour. Le caravansérail fut édifié à l'époque byzantine (6ème siècle). Les fouilles démontrent que la voie qui menait de la porte nord à l'église quadrilobée se poursuivait jusqu'ici. Le bâtiment dut être souvent fréquenté car un deuxième étage lui fut rajouté pendant l'époque islamique, probablement sous les Omeyyades, au 8ème siècle. 

Ville de garnison, important centre commercial et lieu de pèlerinage situé dans un environnement aride, Resafa devait résoudre le problème vital de son approvisionnement en eau. Elle y parvint grâce au creusement de monumentales citernes souterraines qui rappellent celles de Constantinople. La plus grande pouvait contenir jusqu'à 15000 m3 du précieux liquide. Ces citernes étaient couvertes par un toit de tuiles maçonnées. 
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Une reconstitution de la basilique - Source: panneaux du site
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La basilique à trois nefs était la plus grande église de Resafa. Selon les dernières estimations, elle daterait de la fin du 5ème siècle. La nef, terminée par une abside, était éclairée par une série de fenêtres qui complétait les arcades en hauteur. Outre l'entrée principale, située à l'ouest, elle comptait aussi deux autres entrées, l'une au sud et l'autre au nord. Le côté nord de la nef menait à la chapelle reliquaire de saint Serge. La pièce qui se trouvait en face, côté sud, servait probablement de local abritant le mobilier liturgique (pastophorium) à l'origine. En son état premier, l'église avait des piliers très espacés supportant d'immenses arcs (église à grandes arcades), un type d'église commun dans le nord-ouest de la Syrie, notamment dans le massif calcaire. Deux traits particuliers de ce bâtiment doivent être soulignés: une partie surélevée (bema) située dans la nef et un banc semi-circulaire (synthronon) adossé au mur de l'abside; les deux étaient réservés au clergé dans les églises paléochrétiennes. Probablement par suite d'un tremblement de terre, les arcs, dont les écarts étaient trop ambitieux, ont menacé de s'effondrer et ont dû être soutenus. Des colonnes aux chapiteaux finement sculptés ont été récupérés dans les ruines et placés entre les piliers, réduisant ainsi la portée des arcs de moitié. Parallèlement aux changements effectués à l'intérieur, le baptistère fut étendu et un palais épiscopal fut ajouté. A l'époque islamique, des efforts supplémentaires furent consentis afin de stabiliser l'édifice. De larges contreforts furent élevés contre les murs extérieurs afin de les épauler. Les fonctions de la chapelle reliquaire et de la pièce adjacente relevaient du culte particulier rendu à saint Serge. La chapelle était reliée à la cour nord ce qui facilitait l'exposition cérémonielle des reliques aux pèlerins sur le parcours de la procession. Saint Serge était connu pour ses pouvoirs de guérison. Des fragments de flacons retrouvés suggèrent que de l'huile ou de l'eau étaient versées sur les reliques puis collectées pour être distribuées aux fidèles. On pense que cet édifice religieux servit pendant un temps à la fois d'église et de mosquée. 
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Un schéma des transformations de la basilique - Source: panneaux du site
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Lors de notre visite, la rénovation de la basilique était en cours. Un office était célébré à l'intérieur de la nef. J'ai remarqué que les mur portaient encore par endroit leur enduit d'origine et que des traces de peinture, vestiges d'une fresque, se voyait encore sur la voûte d'une chapelle. 
 

9 ème jour (3 octobre - matin - suite): Qalaat Jaabar (les photos sont ici) 

Nous prenons ensuite le chemin de Raqqa, au bord de l'Euphrate. 

Au hasard de notre route, immaculée derrière le vert des pelouses, se dresse la statue de Hafez el-Assad, au milieu d'une place. 

Nous allons d'abord déjeuner au bord du lac de retenue du barrage el-Assad, près d'un château dont la visite n'est pas prévue au programme: Qalaat Jaabar (pour situer ce site, voir une carte, ici).  
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Ce château, avec d'autres sites musulmans du nord de l'Euphrate, comme Rahbat Malik Ibn Tauk ou Qalaat Najm formaient une chaîne de forteresses destinées à devenir la première ligne de défense de la Syrie contre les invasions venant du nord, celles des Byzantins comme celles des Croisés ou des Mongols. On ignore qui le construisit. Mais on sait qu'il était aux mains de la tribu arabe des Banu Numei lorsque les Seldjoukides s'en emparèrent. A l'époque de la première croisade, l'atabek d'Alep Zanki, père de Nour ed-Din, y perdit la vie (en 1146) alors que son fils y triomphait des gens de la principauté d'Edesse (Ourfa) qui l'occupaient et de là menaçaient à la fois la région de l'Euphrate et la Jeziré. La bataille de Siffin (657), au cours de la première guerre inter musulmane, entre Ali et Mou'awia, se livra dans les environs. Et c'est également non loin que Suleiman Shah, le grand père du fondateur de la dynastie Ottomane, se noya dans l'Euphrate, en 1227, avant d'avoir atteint son rêve de domination du Moyen Orient; ses restes ont dû être déplacés afin d'éviter que les eaux du barrage ne les recouvrent. Qalaat Jaabar se distingue par sa forme ovoïde. Il s'élève sur une base confinée que baigne l'Euphrate, ou plutôt les eaux de la retenue du barrage; il est aujourd'hui sur une petite île rattachée à la terre ferme par le cordon ombilical d'une route. Cette position exceptionnelle lui permettait de contrôler le fleuve, voie de communication vitale, et aussi de surveiller les rives et les environs. On pénétrait dans le château en passant par un tunnel creusé dans le roc. Il comprenait des logements avec leurs dépendances et une mosquée au minaret cylindrique orné d'inscriptions. Une double muraille le ceignait. 

Après le déjeuner, nous nous rendons à Raqqa, une ville aux immeubles modernes, que nous allons rapidement visiter, en traversant  une région à laquelle la proximité de l'Euphrate confère des couleurs verdoyantes. 
 

9 ème jour (3 octobre - après-midi): Raqqat (les photos sont ici) 

Raqqa (pour situer cette ville, voir une carte, ici) fut fondée au 4ème siècle avant notre ère par les Grecs d'Alexandre le Grand, au confluent de l'Euphrate et d'un de ses affluents, dans le nord de l'actuelle Syrie, dans la région appelée Jeziré. Elle s'appelait alors Nicephorion. Elle fut ensuite occupée par les Romains qui y établirent un poste militaire et la rebaptisèrent Callicunum. Puis elle fit partie de l'empire byzantin, sous le nom de Léontopolis, en restant une ville de garnison face aux Perses. En 772, le Calife al-Mansour ordonna la construction d'une ville nouvelle, al-Rafiqa, à côté de la ville antique, sur le modèle de Bagdad. Mais au lieu d'être complètement circulaire, il donna au plan de cette cité la forme d'un fer à cheval, afin de respecter la configuration du terrain et notamment l'existence de la rivière qui la baignait au sud. Dans l'esprit de son constructeur, cette ville nouvelle revêtait une double signification symbolique: d'une part elle mettait Damas à la portée des califes de Bagdad et, d'autre part, elle consacrait leur prédominance sur les Omeyyades, c'est-à-dire sur le vaste empire musulman. En 796, un quart de siècle après la fondation de la nouvelle ville, le calife de Bagdad, Haroun al-Rachid, décida d'en faire sa capitale. Il y entreprit de gigantesques travaux qui réunirent la cité nouvelle et la ville antique. En 1258, les Mongols détruisirent l'ensemble, en même temps que Bagdad, et ils ne laissèrent pas grand chose subsister de la splendeur passée de la capitale du grand calife contemporain de Charlemagne. 
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La Porte de Bagdad
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Nous nous arrêtons devant la Porte de Bagdad construite en briques au 12ème siècle. Sa façade est joliment travaillée, surtout le haut. L'influence perse s'y manifeste. Les voûtes de l'ouverture ainsi que celles de la niche peu profonde qui la flanque à gauche sont en arc de cercle brisé de style oriental. Au-dessus, le fronton est décoré de deux rangées de niches aveugles supportées par des colonnettes; les niches du haut sont ornées de sortes de palmes épousant la forme de feuilles de trèfle. 

Notre rapide tour de ville achevé, nous prenons la route de Hallabiyeh qui longe l'Euphrate. La vallée de ce fleuve est cultivée et de nombreuses bourgades la jalonnent. Aux approches de Hallabiyeh, en fin de journée, le paysage se fait plus austère. 
 

9 ème jour (3 octobre - après-midi - suite): Hallabiyeh (les photos sont ici) 

Hallabiyeh (pour situer ce site, voir la carte ici) était une ville fortifiée construite sur l'Euphrate vers 266. Située entre Raqqa et Deir ez Zor, elle connut son apogée sous le règne de Zénobie, en même temps que Palmyre. C'est dans cette ville que se réfugia Zénobie, alors que les Romains assiégeaient Palmyre, et qu'ils avaient battu les Sassanides du roi Sapor qui venaient à son secours. Après la défaite des  troupes de Zénobie devant les forces d'Aurélien, Hallabiyeh fut intégrée à l'empire romain. L'empereur Justinien (527-565) consolida les fortifications de la cité pour contenir les Sassanides et établir fermement le pouvoir romain sur le territoire voisin christianisé. Hallabiyeh se couvrit de superbes bâtiments de facture byzantine. Une fois les Arabes maîtres de la région, ils continuèrent à utiliser la forteresse contre les Byzantins. Par la suite, la ville fut abandonnée et elle tomba en ruines sous l'action du temps, des tremblements de terre et de l'érosion.  
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Hallabiyeh: ruines au bord de l'Euphrate
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Les restes de son ancien château, assis sur une colline pierreuse et son imposante muraille nord, qui grimpe au flanc de la colline jusqu'au château, se voient d'assez loin sur la route. Quelques fondations de maisons ont été fouillées, près de la majestueuse porte nord, le long de la route, au bord de l'Euphrate. Mais le bâtiment le mieux conservé est un ancien prétoire, c'est-à-dire le quartier général d'une ville de garnison. Pour l'atteindre, il faut suivre un chemin qui escalade la colline. En contrebas, se dressent les ruines d'une basilique. Le prétoire était un bâtiment à étage comportant plusieurs vastes pièces. Il est surtout intéressant pour ses belles voûtes bien agencées, où la brique a été employée. 

Nous poursuivons notre route le long de l'Euphrate jusqu'à Deir ez Zor (pour situer ce site, voir la carte ici) où nous passerons la nuit. Sise à 450 km de Damas et à 320 km d'Alep, Deir ez Zor se trouve aux bords du fleuve qui vivifie de ses eaux la plaine de la Jeziré. C'est un lieu de pèlerinage des Arméniens qui, pendant la première guerre mondiale, y subirent les persécutions turques. 


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