Quatre  poètes  tibétains
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Milarepa Drukpa Kunley Tshanyang Gyatsho  
(6ème Dalaï lama)
Gedun Chompel
 
Milarepa (1040 - 1123) 
.U 
. 
Ma joie ignorée de mes parents, 
ma douleur ignorée de mes ennemis - 
si je meurs ainsi, dans la solitude, 
heureux serai-je, moi le mystique. 

Ma mort ignorée de tout être humain,  
mon corps pourri ignoré des oiseaux - 
si je meurs ainsi, dans la solitude, 
heureux serai-je, moi le mystique. 

Ma chair putréfiée sucée par les mouches,  
mes muscles dissous mangés par les vers - 
si je meurs ainsi, dans la solitude, 
heureux serai-je, moi le mystique. 

Sans aucun pas d'homme sur mon seuil, 
sans trace de sang dans ma caverne - 
si je meurs ainsi, dans la solitude, 
heureux serai-je,  moi le mystique. 
..... 
 

Dans le même instant, j'avais une cruche et je n'en ai plus. 
Cet exemple démontre toute la loi du caractère éphémère des choses. 
Il révèle principalement ce qu'est la condition humaine. 
Si cela est certain, moi l'ermite, Mila, 
je m'évertuerai à méditer sans me laisser distraire. 
La cruche désirable emplie de mes richesses, 
au moment même où elle se brise, devient mon maître. 
Cette leçon de la fatale fugacité des objets est une grande merveille. 

Ces dernier vers ont été inspirés par la perte du pot de terre dans lequel l'ermite faisait bouillir les orties dont il se nourrissait. Le récipient venait de rouler au sol et de s'y casser. 

Une biographie de Milarepa est  ici 


Drukpa Kunley (1455-1570) 
. 
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Les gens disent que le sexe de Drukpa Kunley est immense; 
Son membre apporte la joie au coeur des jeunes filles! 
Les gens disent que Drukpa Kunley aime trop le sexe; 
Le résultat de ses congrès est une armée de beaux enfants! 
Les gens disent que Drukpa Kunley a un cul étonnant et fort; 
Un cul puissant raccourcit la corde du samsara! 
... 
Les gens disent que Drukpa Kunley est extraordinairement beau; 
Sa beauté le rend cher au coeur des filles de Mon! 
... 
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... 
Comme il s'en allait, deux moines le rejoignirent et lui demandèrent à quel monastère il était rattaché. 

"Drunkpa Kunley n'a ni maison ni destination, répliqua-t-il; je n'ai pas plus ma place à Drepung que je ne l'ai en enfer. 
-Quel crime as-tu commis pour que l'enfer ne soit pas assez vaste pour toi? demandèrent-ils en riant. 
-Ici-bas, je fais ce qui me passe par la tête et  j'entre alors en conflit avec le désir des autres. J'ai bien pensé aller passer quelques jours en enfer mais les moines du monastère de Sera m'en ont interdit l'accès. Alors, j'ai voulu me faire moine à Drepung; je n'y ai trouvé que jalousie, envie et colère; aussi, ne m'y suis-je pas attardé." 

Ce disant, il repris la route de Lhassa. 
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Dans le rosaire de mes vies antérieures 
J'ai pris la forme de bien des créatures;  
Je m'en souviens pour sûr obscurément.  
Je sens que c'est quelque chose comme ça:  
Présentement le calice me profite  
Dans le passé je dus être une abeille; 
Présentement je suis tellement lascif  
Dans le passé je fus sans doute un coq;  
Présentement je me fâche tellement,  
Dans le passé j'ai dû être un serpent;  
Présentement je suis si paresseux,  
Dans le passé j'ai dû être un cochon;  
Présentement je suis tellement moyen,  
Dans le passé j'ai dû être un richard;  
Présentement je suis sans fausse honte 
Dans le passé j'ai dû être un peu fou;  
Présentement je suis un tel menteur,  
Dans le passé j'ai dû être un acteur;  
Présentement j'ai des manières grossières,  
Dans le passé sans doute je fus singe;  
Présentement j'aime tellement le sang,  
Dans le passé je fus sans doute un loup;  
Présentement je serre tellement les fesses,  
Dans le passé j'ai dû être une nonne;  
Présentement je suis si pointilleux,  
Dans le passé je fus une vieille fille;  
Présentement j'adore la bonne chère, 
Dans le passé j'ai dû être un lama;  
Présentement je suis un tel avare,  
Dans le passé j'ai dû être économe;  
Présentement je m'admire tellement, 
Dans le passé j'étais homme d'État; 
Présentement j'ai plaisir à tricher, 
Dans le passé homme d'affaires j'étais; 
Présentement me voilà si loquace, 
Dans le passé j'ai dû être une femme; 
Je ne pourrais toutefois démêler 
Dans ce fatras confus le vrai du faux 
Examinez vous-mêmes la question. 
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Moi, le yogi toujours errant,  
J'ai visité les Kagyupas 
Et dans cette école kagyupa  
Chaque moine tenait en main  
Une cruche pleine de bière 
Aussi craignant de devenir  
Un autre bambocheur ivrogne,  
J'ai continué mon chemin. 

Moi, le yogi toujours errant, 
J'ai visité les Sakyapas 
Et dans cette école sakyapa  
Les moines découpaient en quatre  
Les cheveux de notre doctrine 
Aussi craignant d'abandonner  
La vraie loi pour des artifices,  
J'ai continué mon chemin. 

Moi, le yogi toujours errant,  
Je me suis rendu à Galden 
Et dans les cellules de Galden,  
Chaque moine avait son giton 
Craignant de gaspiller mon sperme,  
J'ai continué mon chemin. 

Moi, le yogi toujours errant, 
J'allai mirer les bonnes soeurs 
Mais au fin fond de leurs couvents,  
Chacune rêvait d'un mari 
N'ayant aucun goût pour la vie  
De père et maître de maison,  
J'ai continué mon chemin. 

Moi le yogi toujours errant,  
J'ai visité les Nyingmapas 
Et dans l'école des Nyingmapas,  
Chaque moine aspirait à mettre  
Le masque des danses rituelles 
Aussi craignant de devenir  
Un gambadeur professionnel,  
J'ai continué mon chemin. 

Moi, le yogi toujours errant,  
Je suis monté jusqu'aux demeures 
Vertigineuses des montagnes 
Et là dans de sombres cavernes,  
L'ermite cupide amassait  
D'autres biens que ceux de l'esprit 
Aussi redoutant de briser  
Les voeux prêtés à mon gourou,  
J'ai continué mon chemin. 

Moi, le yogi toujours errant,  
J'ai visité le champ des morts 
Comme les terres avoisinantes 
Et dans ces lieux abandonnés,  
Les chamans vendus au démon  
Bâtissaient leur réputation 
Aussi craignant de devenir  
L'esclave des dieux ou des diables,  
J'ai continué mon chemin. 

Moi, le yogi toujours errant,  
J'ai visité les caravanes 
Et j'ai trouvé leurs pèlerins  
S'adonnant sans frein au commerce 
Aussi craignant de devenir  
Un marchand de profit avide,  
J'ai continué mon chemin. 

Moi, le yogi toujours errant,  
J'ai visité une retraite 
Et ceux qui méditaient ici,  
En fait se doraient au soleil,  
Aussi craignant de succomber  
Comme eux sur un mol édredon,  
J'ai continué mon chemin. 

Moi, le yogi toujours errant,  
Je me suis un jour prosterné  
Au pied d'un lama incarné 
Mais ce dernier ne se souciait  
Que de ses reliques dorées 
Ainsi craignant de devenir  
Un sordide collectionneur,  
J'ai continué mon chemin. 

Moi, le yogi toujours errant,  
Resté parmi les assistants 
Du lama je vis ce dernier  
Se faire leur collecteur d'impôt 
Aussi craignant d'être à mon tour  
Un domestique des disciples,  
J'ai continué mon chemin. 

Moi, le yogi toujours errant,  
Je fus dans la maison d'un riche 
Les esclaves de la fortune  
S'y lamentaient comme en enfer 
Craignant de me réincarner  
Comme le seigneur des vampires,  
J'ai continué mon chemin. 

Moi, le yogi toujours errant,  
Je fus dans la chaumière des pauvres 
Ces gens de rien étaient réduits  
A mettre au clou leur héritage 
Aussi craignant de devenir  
La honte de ma parentèle,  
J'ai continué mon chemin. 

Moi, le yogi toujours errant,  
Je fus à Lhassa, ville sainte 
Les femmes espéraient de leurs hôtes 
Des faveurs et des cadeaux 
Aussi craignant de jouer ce rôle,  
J'ai continué mon chemin. 

Moi, le yogi toujours errant,  
Par toute la terre m'en allant, 
A chaque endroit où mon oeil tombe 
Je ne vois que des égoïstes 
Et redoutant de devenir 
L'un d'entre eux j'ai pris le parti  
De rester fidèle à moi-même. 
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... 
La jeune vierge trouve plaisir au désir naissant,  
Le jeune tigre à la consommation de l’acte,  
Le vieillard dans sa mémoire fertile;  
Tel est l’enseignement des Trois Plaisirs.  

Le lit est l’atelier du sexe,  
Il doit être large et confortable;  
Le genou est le messager du sexe,  
Et doit être envoyé en avant-garde;  
Le bras est l’étau du sexe, il doit étreindre fermement;  
Le vagin est avide de sexe,  
On doit le satisfaire sans jamais débander;  
Tel est l’enseignement de la Nécessité.  
... 
On reconnaît un riche à son poing étroitement serré,  
On reconnaît un vieillard à son esprit étroitement resserré,  
On reconnaît une nonne à son vagin qui serre étroitement,  
Tel est l’enseignement des Trois Contractions. 

Le beau parleur s’immisce au milieu de la foule,  
La richesse du monastère va dans l’estomac des moines,  
Le gros pénis pénètre le vagin des jeunes filles,  
Tel est l’enseignement des Trois Immixtions.  
 ... 
Kunley ne se lasse jamais des filles,  
Les moines ne se lassent jamais de la richesse,  
Les filles ne se lassent jamais du sexe,  
Tel est l‘enseignement des Trois Infatigables.  
... 
Bien que les bourses puissent pendre très bas,  
Elles ne sont pas un sac adapté pour porter les provisions d’un ermitage.  
Bien que le pénis ait un manche fort et une tête large,  
Ce n’est pas un bon marteau pour enfoncer un clou.  
... 
Une biographie de Drukpa Kunley est  ici 


Tshanyang Gyatsho (6ème Dalaï lama) (1683-1707) 
. 
. 
Notre amour s'est éteint, 
laissons-le au destin. 
L'abeille s'afflige-t-elle 
quand se fane la fleur? 

Les écrits à l'encre noire 
une goutte les efface. 
Mais quelle gomme effacerait 
les secrets desseins du coeur? 

J'étais tellement amoureux que je me pris à lui dire: 
"Belle si nous habitions ensemble?" 
Tout de go elle me répondit: "Avant que la mort nous sépare 
ne laissons pas la vie le faire!" 

Nous étions deux oiseaux picorant en chemin 
sans nous soucier du lendemain 
L'aubergiste nous fit entrer, 
s'il nous vient un enfant, elle n'a qu'à s'en charger. 

Le plus secret de toi, ne le dis à personne 
pas même à cette biche 
dont nombreux sont les cerfs: 
tes secrets parviendraient jusqu'à tes ennemis! 

Il neigeait sous la lune 
quand je m'en fus rejoindre mon aimée: 
plus moyen de tenir secrète 
la trace de mes pas que la neige a gardée! 

Perroquet trop bavard, tais-toi, 
en haut d'un saule dans le jardin 
la voix charmante d'une grive 
a quelque chose à me confier. 

Blancs ou noirs tous nos actes sont les germes d'un destin 
qui grandiront chacun jusqu'à maturité 
car un semis, même secret, 
un jour ou l'autre porte fruit! 

Un plant de pousses vigoureuses 
n'a d'autre souhait qu'une pluie fine, 
mais qui sait ce qui tourmente 
l'esprit de l'abeille jaune? 

Vers la haute montagne il s'en alla faisan. 
Il en revint bouvreuil, sur le plastron duquel, 
les couleurs de la vie 
lentement s'éteignaient. 

Au Potala on me nomme 
le Sage et l'Initié Tshanyang Gyatsho. 
Mais dans le faubourg de Lhassa, 
je suis Dangzang Wangpo, le libertin! 

Si la serveuse n'hésite pas,  
la bière coulera à gogo. 
Cette jeune fille est mon refuge, 
et cet endroit mon asile. 

Tant que la lune pâle 
rayonne sur la montagne de l'est,  
je dessine la force et le bonheur 
du corps de la jeune femme. 

Je suis allé au joyau sage, le lama, 
et lui ai demandé de guider mon esprit. 
Souvent je me suis assis à ses pieds, 
en foule mes pensées autour de moi pressées 
l'image d'une jeune fille 
l'aspect du dieu 
qui m'empêchaient de créer. 
Seule votre beauté se tenait sous mes yeux, 
tandis que je m'efforçais de saisir la plus sainte leçon. 
Elle filait entre mes doigts, je compte les heures  
jusqu'à ce qu'à nouveau nous nous accolions. 

L'eau du glacier de la "Montagne de Pur Cristal" 
Gouttes de rosée de "L'Éclair du Serpent Démoniaque" 
enrichi par le baume de l'élixir tonique; 
que les Sages-Enchanteresses 
dispensent la liqueur féminine; 
Si vous buvez cela d'un coeur pur 
vous n'aurez pas à goûter l'infernale damnation. 
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Des éléments de biographie du 6ème Dalaï lama peuvent être lus à partir d' ici 


Gedun Chompel (1895 -1951) 
. 
. 
Où que ce soit, qui que ce soit, 
à Calcutta, au Népal, à Pékin, 
à Lhassa au Pays des Neiges 
tous les hommes que j'observe 
ont, pour moi, la même attitude, 
à la vue du thé, du beurre, des habits. 
Même ceux qui n'aiment pas  
le bruit ni le bavardage, 
et dont les manières sont calmes,  
pondérées, disciplinées, 
n'ont jamais d'autres pensées  
que celles d'un vieux pêcheur. 

Les nobles fiers et crasseux  
aiment louange et flatterie, 
quant au peuple, il adore la ruse 
l'esbrouffe et la tromperie. 
Les jeunes préfèrent le jeu,  
les délices de l'amour. 
Et presque tous aujourd'hui  
boivent bière, fument tabac. 

Les gens sont si attachés  
à leurs proches, à leur famille, 
qu'ils haïssent et refusent  
tous ceux d'une autre origine. 
Pour moi, la nature humaine 
est comme celle d'un boeuf! 

Ils vont en pèlerinage  
pour gagner en notoriété. 
Ils pratiquent la maîtrise  
difficile du chaud et du froid 
pour obtenir leur nourriture. 
Ils récitent la parole  
du Conquérant pour mendier  
quelque futile récompense. 
Si l'on réfléchit clairement  
à ce sujet tout est calcul  
pour amasser plus de richesse. 

Pour moi, chapeaux, robes, bannières et dais, 
gâteaux sacrificiels, offrandes, boisson, nourriture, 
tous ces rites accomplis  
pour se donner de l'apparence 
ne sont qu'ornements de parade. 

Bien qu'on ne trouve point le bonheur, 
dans la vallée pas plus qu'en haut de la montagne, 
nous n'avons d'autre choix que de rester sur terre, 
comme au fond de l'étable ou bien dans le chenil, 
tant que notre illusoire corps de chair et de sang 
n'a pas tout entier disparu. 

Aïe! Une telle franchise  
va choquer je crois bien du monde! 
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Au Tibet, tout ce qui est ancien 
est un travail du Bouddha 
Tout ce qui est neuf 
est un travail du Démon 
C'est la triste tradition de notre pays. 

                                            Tibet 1946 
. 
Des éléments de biographie de Gedun Chompel peuvent être lus  ici 



De nombreux textes de poètes tibétains peuvent également être lus (en anglais) en cliquant  ici 


Les poèmes ci-dessus ont été choisis et adaptés par mes soins de textes trouvés dans les ouvrages suivants: 

Vie de Jetsün Milarepa - Lama Kazi Dawa-Samdup (traduction de Roland Ryser) - Librairie d'Amérique et d'Orient Adrien Maisonneuve -1975 
Cimes et Lamas - Marco Pallis - Albin Michel - 1955 
La raison de l'oiseau - poèmes de Tshanyang Gyatsho - Sixième Dalaï lama - Les immémoriaux - Fata Morgana - 1986 
Le Mendiant de l'Amdo - Heather Stoddard - Société d'ethnographie - Paris - 1986 
Drukpa Kunley - Divers sites Internet français et anglais - Traductions et adaptations de mon fait 



Contes tibétains. 

Les singes et la lune 

Il y a longtemps, bien longtemps, une bande des singes vivait dans une forêt profonde et, dans cette forêt, il y avait un puits. Une nuit, le chef des singes eut l'idée de jeter un coup d'oeil au fond du puits. Il y vit  le reflet de la lune dans l'eau. Aussitôt, il appela les autres singe et leur dit: "Regardez ! La lune est tombée dans le puits; nous devons la tirer de là autrement nos nuits demeureront irrémédiablement sans lune." Les singes se penchèrent sur le puits; ils y virent la lune et pensèrent que leur chef avait raison. "Il nous faut sortir la lune du puits, convinrent-ils! Aussitôt, ils formèrent une chaîne, chacun empoignant la queue d'un autre singe; le premier de la chaîne saisit une branche et le dernier commença à s'enfoncer dans les ténèbres du puits en se retenant des pieds aux parois. Ainsi s'approchait-il du fond du puits. Cependant, la branche pliait sous le poids de cette ribambelle simiesque; elle craqua, se fendit. Le dernier singe touchait l'eau, elle se brouilla, la lune disparut. Au même instant, la branche se brisa et tous les singes furent précipités, tête par dessus cul, dans l'eau où ils barbotèrent comme des canards mais moins bien qu'eux.

Un peuple imprudent conduit par un chef écervelé, que peut-il espérer d'autre que la ruine?


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