Le temps
des régents
Au cours de cette période,
le pouvoir est presque toujours exercé par les régents. Le
huitième Dalaï lama ne s'y intéresse pas. Les autres
meurent trop jeunes pour l'exercer durablement. On soupçonne même
un régent d'assassinat sur la personne de son maître. La Chine,
d'abord dirigée par un grand empereur, Qianlong, cherche à
accroître sa tutelle sur Lhassa. Mais, au cours du 19ème siècle,
les révoltes intérieures et les guerres étrangères
sapent l'autorité de l'empereur qui n'est plus en mesure d'intervenir
avec autorité au Pays des Neiges. Les puissances coloniales, principalement
l'Angleterre et la Russie, commencent à s'affronter au sujet du
Tibet. La France s'efforce de pénétrer en Asie grâce
à ses missionnaires. Les puissances occidentales imposent leur loi
à la Chine, à la suite d'une série de guerres. Pendant
cette période, l'image du Tibet en Occident est négative.
1758: Naissance du 8ème Dalaï lama,
dans l'ouest du Tibet.
1759: Annexion par la Chine de la province
du Sinkiang, le Turkestan
chinois. Le Turkestan occidental est déjà sous la coupe des
Russes. Anglais et Russes ne vont pas tarder à entrer en compétition
au sujet du Tibet; ce sera l'époque du "Grand Jeu" pour les
Britanniques et celle du "Tourbillon des Ombres" pour leurs adversaires,
plus doués pour les allusions poétiques!
1762: Publication par Antonio Giorgi de "Alphabetum
Tibetanum". L'auteur s'efforce de prouver, à partir des travaux
d'Orazio della Penna, que le bouddhisme est dérivé du manichéisme.
D'après le père Huc, cet ouvrage, rédigé par
quelqu'un qui ne connaissait même pas l'écriture tibétaine,
n'est qu'un bizarre fatras d'érudition. Les Occidentaux n'ont pas
renoncé à l'idée de trouver au bouddhisme tibétain
des origines qui leur soient familières.
Jean-Jacques Rousseau, dans son "Contrat
social", fait allusion à la religion du Tibet "si
évidemment mauvaise, que c'est perdre le temps de s'amuser à
le démontrer."
1763-1767: Le roi d'Espagne envoie au Mexique
le capucin Francisco de Ajofrin, avec sept autres religieux de son ordre,
aux fins de récolter de l'argent pour relancer l'évangélisation
du Tibet, le Mexique étant supposé plus généreux
que l'Espagne. Ajofrin publie, en 1765, à Mexico, une lettre sur
l'admirable conquête spirituelle du vaste empire du Tibet par les
capucins, plusieurs années après l'expulsion des religieux
catholiques du Royaume des Neiges.
1766: l'Autrichien Joseph Tieffenthaler indique
sur une carte le Dolaghir, un très haut sommet toujours couvert
de neige que l'on suppose être l'Everest. Ses mesures paraissent
exagérées à ses contemporains.
1768: Les Anglais commencent à envisager
l'exportation de marchandises en direction du Tibet.
Pallas est désigné
par l'Académie des Sciences de Saint-Pétersbourg pour faire
partie, en qualité de naturaliste, de l'expédition scientifique
chargée d'observer en Sibérie le passage de la planète
Vénus sur le disque du soleil. Pendant six ans, il explore successivement
le cours du Laïk, les bords de la mer Caspienne, les monts Oural et
Altaï, les alentours du lac Baïkal jusqu'à la frontière
chinoise, le Caucase et différentes parties de la Russie méridionale.
Il en ramène une "Description du Tibet", publiée pour
la première fois en 1776, qui n'est en fait qu'une transcription
de récits de lamas tibétains vivant en Mongolie suivie d'une
narration des fêtes et cérémonies qui eurent lieu entre
le 22 juin et le 12 juillet 1729, dans le petit village d'Ourga, pour célébrer
la réincarnation du Kutuktu (Bogdo-Gegheen). Le récit
des voyage de Pallas a été publié en français
dans une traduction complète de Gauthier de la Peyronie en 1794
(cet ouvrage est consultable
ici), puis,
la seule partie concernant le Tibet et la Mongolie, dans une traduction
de Reuilly en 1808 (cet ouvrage est consultable
ici).
1769: Le chef des Gurkhas devient maître
du Népal à l'issue d'une guerre civile particulièrement
cruelle. Les voies de commerce traditionnelles entre l'Inde et le Tibet
via le Népal se ferment au grand dam des Anglais.
1772: Des troubles surviennent dans les royaumes
himalayens. Le Bouthan, sous tutelle tibétaine, envahit une région
marécageuse du Bengale qui est mal défendue. Les troupes
britanniques refoulent les assaillants. L'Angleterre et le Tibet sont au
bord de la guerre.
1773: Des émissaires tibétains
arrivent à Calcutta pour régler le différend. Les
Tibétains rappellent aux Britanniques que le Bouthan est vassal
du Tibet et que tout acte d'hostilité à son encontre entraînerait
une réplique tibétaine. Un échange de cadeaux accompagne
l’échange de points de vue.
1774: Les troupes du Bouthan sont vaincues.
Le Panchen lama, qui dirige le Tibet pendant la minorité du Dalaï
lama, demande aux Anglais de faire preuve de retenue et de respecter les
frontières de son pays en laissant espérer la perspective
d'un arrangement commercial.
Warren Hastings, gouverneur
des Indes et la Compagnie des Indes orientales, mandatent George Bogle,
accompagné de quelques autres personnes dont Alexander Hamilton,
un assistant-chirurgien, pour se rendre auprès du Panchen lama,
via le Bouthan, et si possible jusqu'à Lhassa, afin d'explorer les
possibilités d'envoyer au Bouthan et au Tibet des marchandises impériales
en échange d'or, d'argent, de musc et diverses autres productions
locales dont la laine de chèvre, la fameuse "laine de châle"
utilisée pour la confection des cachemires; cette laine est une
sorte de duvet qui pousse en hiver sous la toison d'une variété
de chèvres, les keel ou tus; on recueille cette
laine par peignage l'été suivant. Hastings souhaiterait obtenir
quelques couples de ces animaux, ainsi que d'autres bêtes et plantes
du Tibet. Bogle est également chargé d'une mission d'investigation
qui va le faire soupçonner d'espionnage; il est par ailleurs équipé
d'un attirail européen inconnu au Tibet qui pourrait le faire passer
pour un magicien! En réalité, les Anglais rêvent d'entrer
commercialement en Chine par la porte de derrière ce qui n'est pas
du goût des autorités de Pékin.
Cette expédition n'atteindra pas le
but recherché. Bogle reviendra bredouille. Mais son bref séjour
au Tibet en aura fait un ami fervent de ce pays. Il épousera une
parente du Panchen lama et deviendra ainsi l'intermédiaire obligé
entre ce dernier et les Britanniques. La mission britannique indisposera
fortement la Chine qui estime que les relations extérieures du Tibet
sont de son ressort, en vertu des traités. S'il faut en croire Turner,
le Tibet était alors sous la dépendance de l'Empire du Milieu.
Le Panchen lama, qui dirigeait le pays pendant la minorité du Dalaï
lama, aurait d'ailleurs, d'après lui, été pro-chinois,
ce qui est d'ailleurs habituel; mais la tutelle de la Chine était
encore très légère. Ces assertions ne sont pas totalement
compatibles avec celles de Bogle et, à la lecture des témoignages
anglais, il est difficile de se faire une opinion définitive sur
les rapports qui règnent entre le Tibet et la Chine à cette
époque (une analyse détaillée
du voyage de Bogle est ici).
1775: Construction d’une maison et d’un temple
pour les pèlerins tibétains de passage à Calcutta.
Hamilton, qui accompagna Bogle au Tibet, entreprend, sous l'égide
de Warren Hastings, une série de plusieurs missions au Bouthan afin
de préparer éventuellement une voie d'accès commerciale
vers le Royaume des Neiges.
Accord entre le Tibet et le nouveau maître
du Népal. Il est décidé que la monnaie de mauvais
aloi en provenance de ce pays sera échangée; cet accord ne
sera jamais suivi d’effet. Les relations entre les deux pays vont se détériorer.
Il est probable que le maître du Népal ne voit pas d'un bon
oeil l'amorce de relations tentées entre les Britanniques et le
Panchen lama, lesquelles risquent de menacer le monopole commercial du
royaume himalayen entre le Tibet et les Indes. (Voir
ci-dessus 1645 ).
Au cours du siècle, le Népal va
mettre la main sur le petit royaume du Mustang, dont la population est
tibétaine, et qui était jusqu'alors sous la tutelle de Lhassa.
1777: Le 8ème Dalaï lama refuse
d'assumer le pouvoir temporel qui reste provisoirement aux mains du régent.
1779: Ayant appris que le Panchen lama avait
été convié à se rendre à Pékin,
les Anglais décident d'envoyer Bogle le rejoindre dans la capitale
chinoise. Ils espèrent en effet que le dignitaire bouddhiste pourrait
utilement servir d'intermédiaire entre l'empereur de chine et leur
émissaire. Malheureusement, le Panchen lama meurt de la variole
quelques temps plus tard et cette nouvelle tentative de pénétration
britannique n'a pas plus de succès que les précédentes.
Bogle décède d'ailleurs lui aussi en novembre 1782.
1780: Les frères du Panchen lama, dont
l'un est le 10ème Sharmapa, de la lignée des régents
karmapas, se disputent la fortune du monastère de Tashilhunpo (Shigatse).
Les Panchem lamas, proches de Pékin, ont accru leur influence politique.
Mort du docteur Hamilton.
1781: Le 8ème Dalaï lama accepte
enfin d'assumer l'intégralité de ses fonctions; après
lui, pendant un siècle, aucun autre Dalaï lama n'exercera plus
le pouvoir; les régents vont devenir tout puissants. La construction
du palais d'été (Norbulingka) est entreprise.
1782: Découverte de la réincarnation
du Panchen Lama dans la famille du Dalaï lama. Le 10ème Sharmapa
s'enfuit au Népal. D'après Turner,
il soupçonne les Chinois d'avoir tué son frère le
Panchen lama et craint d'être la prochaine victime.
1783: Trois Anglais, Turner,
Saunders et Davis, accompagnés de serviteurs, se rendent à
Tashilhunpo pour féliciter le Panchen lama de sa réincarnation.
Ce voyage, qui n'eut pas d'autre résultat que protocolaire, fit
l'objet d'un récit publié à Londres, en 1800, (Ambassade
au Tibet et au Bouthan). On y apprend que la mère du Panchen
lama chantait bien et qu'elle se plaignait de ne pas pouvoir manger de
viande, ni boire d’alcool, tant qu'elle allaitait son fils.
.
|
Le
pont à chaînes de Chouca tel que Turner l'a vu (source: B.
N.) |
.
Voici dans quelles conditions s'effectua le
périple. Samuel Turner était au service de la Compagnie des
Indes lorsque le gouverneur général du Bengale, Warren Hastings,
son cousin, lui confia cette mission. Turner arriva le 1er juin à
Tassisudon (Thimphu), capitale du Boutan. Il obtint l'autorisation de franchir
la frontière et parvint le 19 septembre à Tashilumpo, résidence
du Panchen lama, où il rencontra le régent. Il fut présenté
au jeune lama, au monastère de Terpaling, au début de décembre.
Ensuite, il retourna à Calcutta où il arriva, en mars 1784,
avec un accord commercial en poche qui ne fut jamais vraiment appliqué
en raison des réticences chinoises (un
résumé plus complet de ce voyage est
ici).
1784: Herder, dans "Idées sur la
philosophie de l'histoire de l'humanité", émet l'hypothèse
que la religion du Tibet n'a pas pu naître dans un environnement
aussi rude et qu'elle provient certainement d'un climat plus favorable.
Il conclut: "Si une religion sur terre
doit mériter les qualificatifs de monstrueux et d'incohérent,
c'est la religion du Tibet."
1785: Le gouverneur du Bengale envoie au Tibet
un nouvel émissaire en la personne d'un religieux hidou nommé
Pourungir qui en ramènera le récit de l'intronisation du
Panchen lama (voir le récit de Pourungir
ici). Mais l'empire des Indes perd bientôt
son premier gouverneur-général, Warren Hastings. Les tentatives
de pénétration anglaise au Tibet vont être mises en
sommeil par ses successeurs qui ont d'ailleurs d'autres sujets de préoccupation
plus pressants au cours des décennies suivantes, leur domination
sur le sous-continent étant mise en cause par des rébellions.
Bogle a bien laissé derrière lui un partisan du commerce
avec l'Angleterre, dans l'entourage du Panchen lama, mais, après
le décès de ce dernier, ce personnage est écarté
de la scène politique tibétaine.
1788: Les Gurkhas du Népal pénètrent
au Tibet. Par l'entremise du Sharmapa, un accord est trouvé entre
les belligérants. Il impose au Tibet une lourde indemnité
de guerre (11 tonnes d'argent par an); le Tibet n'honorera pas sa signature
et ce sera une nouvelle cause de conflit. Le protecteur chinois s'est montré
pusillanime et a incité ses protégés tibétains
à faire preuve de souplesse face aux exigences népalaises;
ce premier signe de faiblesse de l'empire chinois en annonce d'autres.
1791: Début de la
régence de Lobsang Tenpei Goeunpo du monastère de Kundeling.
Les Gurkhas envahissent à nouveau le
Tibet pour l'obliger à tenir ses engagements. Tashilhunpo, dont
les richesses sont l’objet de leur convoitise, est pillé. Le Dalaï
lama s’apprête à fuir de Lhassa.
L'empereur mandchou Qianlong dépêche
une armée de 15000 hommes qui aide les troupes tibétaines
à refouler les envahisseurs jusqu'à Katmandou. La victoire
tibéto-chinoise, et la présence militaire mandchoue sur les
hauts plateaux, donnent à l'empereur l'occasion de renforcer sa
tutelle sur le Tibet. D'après Turner,
le Sikkim demande même à bénéficier aussi du
protectorat chinois. L'Angleterre, qui avait entrouvert une porte, la voit
se refermer d'autant plus hermétiquement que les Chinois la suspecte
d'être derrière les entreprises des Gurkhas. L'armée
chinoise, supérieure en nombre, a écrasé ces derniers.
Pour ce faire, elle s'est servi de canons en cuir rapidement hors d'usage
mais plus faciles à transporter à travers les montagnes.
On dit que son général n'a pas hésité à
faire tirer de l'arrière sur ses propres troupes pour les inciter
à avancer plus vite.
Quoi qu'il en soit, les Anglais, tirant les
conséquences de la nouvelle situation, reportent leur intérêt
sur le Népal, pour contenir et refouler les belliqueux Gurkhas,
et sur le Sikkim ainsi que le Bouthan, ce dernier pays étant travaillé
par des dissensions internes; il en résulte une longue suite de
conflits et de rectifications de frontières au profit de l'empire
des Indes. Les Anglais considèrent le Sikkim et le Bouthan, toujours
tributaires du Tibet, comme des pays à demi sauvages où l'esclavage
est pratiqué.
1792: Décès du 10ème Sharmapa
(suicidé ou empoisonné?). On le soupçonnait d'être
l'instigateur du pillage de Tashilumpo. L'invasion des Gurkhas était
perçue comme une vengeance du Sharmapa contre les Dalaï lamas
coupables d'avoir profité des crimes commis par les Mongols de Gushri
khan pour évincer les Kaguypas. La lignée du Sharmapa est
supprimée.
Pour commémorer la victoire sur les
Gurkhas, le temple Guan Yu est édifié sur la colline Mopan,
au centre de Lhassa, en l'honneur de l'armée envoyée par
l'empereur de Chine.
Qianlong rédige ses "Déclarations
sur les lamas". Il y expose que son soutien à l'école
gelugpa vise uniquement à maintenir la paix parmi les peuples des
steppes mais qu'il n'est pas disposé à aduler les prêtres
tibétains comme ses devanciers mongols. La relation traditionnelle
qui existait entre l'empereur et le Dalaï lama n'est donc plus, aux
yeux de l'empereur mandchou, qu'un élément de sa stratégie
politique. Par ailleurs, l'empereur de Chine s'oppose avec fermeté
aux tentatives anglaises qui souhaiteraient nouer des relations commerciales
avec l'empire du milieu: ce dernier n'a pas besoin des produits de l'étranger!
La Chine reste fermée à l'Occident et, par voie de conséquence,
le Tibet aussi puisque, pour Qianlong, il fait partie de la Chine.
1793: La frappe des pièces tibétaines
est retirée au Népal. La monnaie du Tibet sera désormais
fabriquée à Lhassa.
Une nouvelle constitution
est imposée par la Chine au Tibet. Le Pays des Neiges est soumis
à une forme de protectorat. La nouvelle constitution s'étend
même aux affaires religieuses. Elle réforme le mode de désignation
des réincarnations de façon à ce que la sélection
échappe aux luttes de clans. L’empereur de Chine, qui s'étonne
que les tulkou soient toujours trouvés dans les mêmes familles
nobles, souhaite que le choix s'effectue par tirage au sort et qu'il lui
soit soumis pour approbation. Mais ces changements resteront lettre morte.
Pékin est trop loin et la Chine n'est pas assez puissante pour faire
triompher ses vues.
Qianlong a été initié
au Kalachakra. Les empereurs mandchous suivront sa voie et se considéreront
comme les chefs du bouddhisme en Chine se plaçant ainsi en concurrents
directs des Dalaï lamas.
Le frère d’un favori de Qianlong devient
amban. Il nommera et destituera les notables de l’État. Le
Dalaï lama et le Panchen lama devront passer par son intermédiaire
pour s’adresser à l’empereur.
Les étrangers qui entreront au Tibet
devront être munis de passeports délivrés aux frontières
par les autorités chinoises.
Ces réformes visent moins à réduire
les pouvoirs des pontifes et de leurs ministres qu’à affaiblir l’influence
d’une puissante famille tibétaine qui cumule postes et honneur,
même au-delà des frontières puisque l’un de ses membres
est devenu Kutuktu en Mongolie. Le Fils du Ciel redoute qu’une alliance
entre les peuples des steppes ne menace encore une fois son empire.
La Chine voudrait également mettre fin
aux pratiques tibétaines en matière de funérailles
qu’elle juge bestiales. Elle souhaiterait généraliser l’enterrement.
Cette réforme se heurte à une franche hostilité de
la population qui regarde comme une profanation le fait d’enfouir des cadavres
dans le territoire des divinités chthoniennes. Elle ne sera jamais
appliquée.
1794: Délimitation des frontières
entre le Tibet, le Népal, le Bouthan et le Sikkim.
1795-1796 (an 4): publication en France des
Voyages au Tibet, faits en 1625 et 1626, par le père d'Andrade,
et en 1774, 1784 et 1785, par Bogle, Turner et Pourunguir, traduits
par J. P. Parraud et J. B. Billecocq (cet
ouvrage est consultable ici).
1796: Abdication de Qianlong. Il a porté
la puissance de l’empire chinois à son apogée. Jiaqing lui
succède.
L’empire ne va pas tarder à entrer en
crise. Une révolte des Miaos éclate au Sichuan, au Hunan
et au Guizhou. La secte du Lotus blanc ensanglante le Sichuan, le Henan
et le Shanxi. La Chine ne va bientôt plus être en mesure d'assurer
le protectorat du Tibet.
1798-1799: Guerre du Mysore. L’empire britannique
est contesté en Inde.
1803: Guerre des Marathes, toujours contre
les Britanniques, en Inde.
1804: Mort du 8ème Dalaï lama,
au Potala (Lhassa). On a vu le peu d'intérêt qu'il manifestait
pour le gouvernement du Tibet. Le régent devient le plus haut dignitaire
politique du pays.
1805: Naissance du 9ème Dalaï lama,
à Dokam Danchu Khor.
Le fils d’un ministre évincé
lors de la guerre contre les Gurkhas accède à son tour au
ministère, sous la pression d’un nouvel amban. Une enquête,
diligentée à la demande de Jiaqing, révèle
que la protection de l’amban a été achetée.
Les coupables et leurs proches sont punis.
1807: Le Traité de Tilsitt, qui concrétise
le renversement des alliances en Europe, transforme la Russie et l'Angleterre
en rivales en Afghanistan amorçant ce que l'on appellera Le Grand
Jeu, expression qui symbolise l'opposition des deux puissances en Asie.
1808: Le nouveau Dalaï lama est intronisé.
Le régent administre le Tibet au mieux
de ses possibilités. Il fait face à des insurrections à
la frontière est du pays, dans des zones passées sous contrôle
chinois au début du siècle précédent. Les troubles
intérieurs qui divisent la Chine interdisent à l’empereur
toute possibilité d’intervention sérieuse au Tibet. Ce pays
recouvre partiellement son indépendance.
J. Reuilly, auditeur au Conseil d'État,
membre de la Légion d'Honneur, sous-préfet de Soissons, correspondant
de l'Institut, publie une Description du Tibet inspirée de
conversations en Crimée et de la traduction d'un ouvrage en allemand
rédigé par Pallas (voir
ci-dessus) qui tenait ses informations de lamas tangoutes
assimilés à des Tibétains*. A côté de
renseignements assez exactes, on trouve dans cet ouvrage de seconde main
beaucoup d'erreurs et d'approximations. Les Occidentaux résistent
difficilement au penchant naturel qui les conduit à analyser les
religions des peuples orientaux à partir des croyances et des rites
chrétiens. On retiendra de ce livre l'existence du Kutuktu, Bogdo-Gegheen
de Mongolie et du Dalaï lama, du Potala, du Jokhang, de Drepung et
de Sera, affublés de noms fantaisistes. Les excréments et
l'urine du Dalaï lama sont soigneusement recueillis pour fabriquer
des médicaments ce que d'autres sources confirment. Le rite de la
bénédiction par le Dalaï lama semble décrit assez
fidèlement. Le Tibet est présenté comme un pays loin
d'être dépourvu de ressources, notamment minières (or
et argent), ce qui est vérifié. Ce pays est réputé
placé sous la tutelle chinoise depuis très longtemps, à
une date qui remonterait au 12ème siècle, à l'exception
du sud qui jouirait d'une plus grande autonomie. Les empereurs de Chine
auraient accordé des titres à des lamas au cours des siècles;
il leur est arrivé de mander en Chine le Dalaï lama pour exercer
sur lui de fortes pressions et même de susciter de faux Dalaï
lamas pour intervenir dans les affaires politiques et religieuses du Tibet,
en accord avec des factions de ce pays (ce qui n'est pas totalement faux).
On soupçonne l'empereur Qianlong d'avoir assassiné le Panchen
lama parce qu'il se montrait trop favorable au Anglais (Turner le laisse
aussi entendre). Le Dalaï lama aurait décidé de ne pas
se réincarner après sa mort. La description de la vie monastique
comporte des traits véridiques (rosaires, moulins à prière,
existence d'ermites, de moines mariés et de moines voués
au célibat sans que l'auteur n'explicite cependant pourquoi...).
Les fêtes qui rythment l'année sont rapportées rapidement
mais assez fidèlement. La cérémonie du mariage est
décrite succinctement mais de manière réaliste le
futur époux allant chercher sa promise chez ses parents en cortège.
Mais l'ondoiement à la naissance est assimilé à une
sorte de baptême et la présentation des divers types de funérailles
est confuse et visiblement incomprise, sans parler des messes dites par
les lamas pour le repos des âmes! La polyandrie est présentée
comme une déviance, ce qui est faux. Le Dalaï lama enverrait,
dans les pays soumis à son influence religieuse, des indulgences
rédigées dans les trois langues: chinoise, mongole et tangoute,
c'est-à-dire tibétaine, selon la confusion entretenue par
l'auteur de l'ouvrage; en échange de cadeaux, ces indulgences apporteraient
à leurs bénéficiaires le bonheur dans cette vie et
le salut dans l'autre, concepts chrétiens qui n'ont que de lointains
rapports avec ceux du bouddhisme. L'ouvrage décrit ensuite d'interminables
et somptueuses festivités qui se tinrent à Ourga, en Mongolie,
en présence du Kutuktu, dont on retiendra seulement les joutes de
lutteurs et de tireurs à l'arc ainsi que les courses de chevaux.
Le livre se termine sur une Description géographique du cours
du fleuve Anadyr et des ruisseaux qui s'y jettent. Bref, cette Description
du Tibet, rédigée par une personne qui n'y est pas allée,
si elle n'est pas complètement dépourvue d'intérêt,
doit être utilisée avec précaution. Elle a au moins
le mérite de montrer quelle image on avait du Royaume des Neiges
en France sous l'Empire.
* Une remarque: d'après
Markham, les Tibétains appelaient
la région qu'ils habitaient le pays de Bod; ce sont les Occidentaux
qui lui auraient donné successivement les noms de Tangut
puis de Tibet.
.
Quelques notes de bas de page
de Pallas (traduction Reuilly)
Le Tibet était demeuré inconnu
jusqu'au siècle dernier, et le serait peut-être resté,
sans la curiosité de l'empereur Kan-hi, qui en a fait parcourir
toute l'étendue, jusqu'aux sources du Gange, par des Tatars, auxquels
on avait donné quelques leçons de mathématiques.
Le nom mongol de ce fleuve (Khatoun-Goll)
est attribué à l'événement suivant, dont je
ne garantis pas l'authenticité. Le grand Gengis-Khân, suivant
la tradition mongole, entreprit une expédition au Tibet contre le
Chouddourga Khan , pour lui ravir une de ses femmes. Il parvint facilement
à s'en emparer ; mais lorsqu'à son retour il fut arrivé
sur les bords du Khoango, cette femme le poignarda dans son camp, pendant
la nuit, se précipita ensuite dans le fleuve, qui depuis sa mort
a conservé le nom de Khatoun-Goll (fleuve des femmes ); il coule
du sud-ouest vers la Chine, et forme, à ce qu'on assure, une limite
naturelle entre le Tangout, la Chine et le pays des Mongols.
On trouve de l'or dans les sables de la grande
rivière et de plusieurs petits ruisseaux et torrens qui viennent
des montagnes; mais outre l'or ramassé de cette manière,
il y a des mines de ce métal dans les parties septentrionales du
Tibet: elles sont affermées au nom du Dalaï-Lama. L'or s'y
présente sous forme métallique pure, et n'exige d'autre travail
que celui qui est nécessaire pour le séparer de la pierre
ou du silex, auquel il adhère. Une mine de plomb près de
Tcchou-Loumbou, contient de l'argent dans une assez grande proportion pour
engager à l'exploiter, dans l'objet seul de se procurer ce métal.
Le hasard a presque seul contribué, jusqu'à présent,
à faire découvrir dans le Tibet des mines très riches:
ce pays serait digne de la curiosité des physiciens et des recherches
des minéralogistes.
Elles m'ont été fournies (des
informations) par des prêtres Tangoutes qui vivent chez ces peuples,
et par Gambo-Lama, chef du clergé Mongol, qui est sous la protection
de la Russie: il avait fait dans sa jeunesse un pèlerinage au Tibet. |
.
1810: Un nouveau régent, Thoubten Djigmé
Gyamtso, entre en scène. Il remet en cause les règlements
de 1793. Aucune marchandise étrangère ne peut plus pénétrer
au Tibet.
1811: Un scientifique
anglais, Thomas Manning, tour à tour mathématicien, ingénieur
et médecin, se met en tête de se rendre en Chine après
en avoir appris la langue. Comme l'entrée du pays lui est interdite,
l'idée lui vient de passer par le Tibet, où on ne l'attendra
pas. Grâce à ses connaissances en médecine, il se lie
d'amitié avec un général chinois, ce qui facilite
grandement son équipée.
La peinture qu'il donne du Tibet est intéressante
à plus d'un titre. D'abord, il insiste sur la malpropreté
des Tibétains. Ensuite, il met en exergue l'omniprésence
des Chinois. Dans chaque ville réside un mandarin et une garnison
de soldats chinois. Les relais de poste sont chinois. Les mariages mixtes
sont nombreux. Les Chinois se comportent au Tibet comme en pays conquis.
Mais cela ne gêne que très peu Manning, admirateur de la civilisation
chinoise, qui apprécie peu les Tibétains.
Sa description de Lhassa n'est pas enthousiaste,
loin de là. Le Potala lui est apparu imposant, mais quelque peu
délabré. La route grouille de moines et de mendiants. La
ville, de dimension médiocre, est noire de suie et de crasse. Ses
rues sont pleines de chiens mâchonnant de vieilles peaux qui dégagent
une odeur de charnier. Beaucoup sont malades ou boiteux. Les rires de la
population ont quelque chose d'hallucinant.
Manning rencontre le jeune Dalaï lama
et son régent; il leur offre des chandeliers et une bouteille d'eau
de Cologne bon marché; mais la bouteille se brise inopportunément.
Notre Anglais fait état d'une rixe ayant dégénéré
en émeute anti-chinoise qui s'est produite avant son arrivée
à Lhassa; cet événement n'a pas été
rapporté fidèlement à Pékin et un mandarin
a même été exécuté pour avoir refusé
de contresigner le rapport mensonger rédigé par ses collègues.
Manning exerce la médecine; il a la chance de soigner deux jeunes
femmes tibétaines si belles qu'il en a le pouls déréglé!
Un de ses patients étant malencontreusement décédé,
les affaires tournent mal pour lui. Il se trouve à court d'argent
et en est réduit à vendre une partie de ses bagages. La fatalité
s'acharne sur notre explorateur. Il se sent abandonné par la fortune
et craint d'être exécuté par les Chinois qui le soupçonnent
de cacher ses véritables desseins. Finalement, il s'en tire et,
pour garder sa tête sur ses épaules, après quelques
mois seulement de séjour sur le Toit du Monde, il regagne les Indes
au lieu de se rendre à Canton en traversant la Chine, but de son
voyage. Son journal sera publié en 1876.
L'équipée de Manning montre au
moins que, si la frontière du Tibet est toujours officiellement
fermée aux étrangers, un individu entreprenant peut tout
de même pénétrer dans le pays et même arriver
jusqu'à sa capitale, à condition de parler chinois (Une
analyse plus détaillée du voyage de Manning est
ici).
1811 (ou 1812): Un vétérinaire
anglais, Moorcroft, un officier de l'armée du Bengale et un pandit,
accompagnés de 50 coolies, franchissent l'Himalaya, vers la lac
Manasarovar et le mont Kailash. Moorcroft ne perd aucune occasion de lutiner
les bergères locales. Il est vrai que, pour tromper la vigilance
des gardes-frontières, il se déguise lui même en berger
ou en pèlerin. Cette supercherie ne sert à rien. Arrêtés
par les Tibétains, lui et ses compagnons sont détenus au
Dava Dzong, près du fleuve Sutlej. Grâce à l'appui
d'une tribu, celle des Bhotia, ils finissent par trouver le moyen de s'enfuir
en Inde. L'Anglais poursuit bien sûr d'autres buts que la seule satisfaction
de ses appétits sexuels. Il cherche à ouvrir une voie commerciale
entre l'Inde et le Tibet. Chemin faisant, il s'est rendu compte que les
Russes s'intéressaient eux aussi au Tibet, et peut-être également
aux Indes. Mais ses avertissements aux autorités britanniques resteront
pour le moment sans suite.
1813: Nouveau soulèvement de la secte
du Lotus (ou nénuphar) blanc dont les affidés parviennent
jusqu’aux portes de Pékin.
1814: Guerre entre le Népal et la Grande-Bretagne.
Les Britanniques chassent les Gurkhas du Sikkim, territoire sous la tutelle
du Tibet et par conséquent vassal de la Chine. L'Angleterre va obtenir
la nomination d'un résident au Népal. Hodgson occupera ce
poste de 1816 à 1829. Il réussira à nouer des relations
épistolaires avec le Dalaï lama et en obtiendra de précieux
documents sur les missions chrétiennes à Lhassa au cours
du siècle précédent.
1815: Mort du 9ème Dalaï lama,
au Potala, d’une pneumonie. A peine âgé de 10 ans, il n'a
pas eu le temps de régner.
1816: Naissance du 10ème Dalaï
lama, à Pobor Gang.
Plusieurs tulkou étant candidats à
la succession du pontife décédé, l’empereur de Chine,
dans un sursaut d’autorité, exige que son choix résulte du
tirage au sort.
1817: Manning, sur le chemin du retour en Angleterre,
s'arrête à Sainte-Hélène où il rencontre
Napoléon; il se souvient que l'Empereur déchu l'a autorisé
à rentrer en Angleterre après la rupture de la paix d'Amiens.
1819: Un nouveau régent, Tsomeuling
Ngawang Djampel Tsultrim, fait son apparition. Il est affecté par
des crises de folie passagères. Le pouvoir passe partiellement entre
les main d’un ministre influent, Shatra Teundroup Dordje, qui est aussi
chef de guerre.
Moorcroft repart, cette fois pour une mission
d'espionnage, dans les pays qui bornent le Tibet du côté de
l'ouest.
Chemin faisant, il rencontre
un Hongrois, Alexandre Csoma de Köros. Ce dernier est dans la région
pour y étudier les langues orientales. Il espère remonter
jusqu’aux origines de sa langue maternelle. Il va se fixer dans la région
et y mourra en 1842, sans être parvenu à Lhassa. Entre temps,
vivant comme un ermite, il se plonge dans l'étude et la traduction
des textes tibétains. Il sera un temps pris pour un espion russe
par les autorités de l'Inde britannique. Ayant fait la connaissance
d'un collectionneur érudit anglais, Brian Hodgson, il obtient néanmoins
un emploi de bibliothécaire à Calcutta et publie, en 1834,
deux ouvrages importants: un "Essai d'un dictionnaire tibétain-anglais"
et une "Grammaire de la langue tibétaine". Csoma n'a jamais
visité le Tibet et il est pourtant, parmi les Occidentaux, celui
qui l'a sans doute le mieux connu.
1820: Disparition de l’empereur Jiaqing.
Dans son "Abrégé de l'Histoire
Générale des Voyages", Laharpe consacre un chapitre relativement
long au Tibet. Il distingue trois Tibet, à savoir le Ladakh, le
Bouthan et le Tibet proprement dit. On trouve dans cette narration beaucoup
de traits piquants, dont certains sont exacts et d'autres plus ou moins
sujets à caution. Le caractère sacré des excréments
et de l'urine du Dalaï lama y est une nouvelle fois rapporté
(voir ci-dessus 1667 et 1741).
Mais, l'auteur n'ayant jamais mis les pieds au Tibet, son texte n'est qu'une
compilation de récits des voyageurs, missionnaires ou émissaires
des puissances européennes, qui se sont rendus sur le Toit du Monde
et dont la plupart ont été présentés ci-dessus
(Marco Polo, Andrade, Grueber, della Penna, Desideri, Pallas, Bogle, Turner...).
.
|
Lhassa au début
du 19ème siècle
D'après Nikita Yakovlevich
Bichurin, un missionnaire sinologue russe |
.
1821: Daoguang devient empereur de Chine.
Sous la Restauration, un industriel, Ternaux,
tente d'introduire en France la chèvre du Tibet pour se procurer
à bon compte la matière première nécessaire
à la confection des châles du Cachemire.
1827: Une réforme de la fiscalité
de Pholhane est entreprise. Elle vise à soumettre à l’impôt
les nouvelles terres mises en culture. Les notables, qui garnissent les
rangs de l’administration et de l’armée, sont dégrevés.
Les inégalités sociales en sortent renforcées.
1828: Shatra Teundroup Dordje se rend à
l’ouest du Tibet et au Ladakh pour y contenir la révolte d’un chef
mongol.
1830: Kanam Depa, roitelet
tributaire du Tibet, refuse de payer sa redevance. Son pays est à
la frontière de la Chine et de l’Assam britannique. Le risque d’extension
du conflit est donc loin d’être négligeable.
1832: Victor Jacquemont écrit, dans
une correspondance, à propos des traductions de Csoma: "C'est
à dormir debout: il y a une vingtaine de chapitres sur la chaussure
qu'il convient aux lamas de porter. Entre autres platitudes extravagantes
dont ces livres sont remplis, il est défendu aux prêtres de
prendre la queue d'une vache pour s'aider à passer à gué
une rivière rapide. Il ne manque pas de dissertations profondes
sur les propriétés de la chair des griffons, des dragons
ou des licornes, et sur les vertus admirables de la corne des chevaux ailés.
A juger de ce peuple par ce que j'en ai vu, et par ce que les traductions
de M. Csoma en font connaître, on dirait un peuple de fous ou d'idiots."
1834: Fondation du monastère bönpo
de Yundrung Ling au Tibet central.
Les Drogpas, inféodés aux dirigeants
de l’État que les Sikhs ont constitué au Cachemire, au Penjab
et au Jammu, entrent au Ladakh, conduits par Zorawar Singh. Des milliers
de réfugiés affluent au Tibet. Une guerre cruelle, qui coûtera
la vie à 15000 sujets du roi descendant des anciens empereurs du
Tibet, se déroulera jusqu'en 1842. Le monarque vaincu sera déposé
et placé en résidence surveillée, à proximité
de sa capitale. Les trois quart des moines seront contraints de s'exiler
au Tibet par les nouveaux maîtres du pays qui pensent ainsi assujettir
la population du royaume.
Tension entre le Sikkim, dominé par
l'école des coiffes rouges, et le Tibet, son tuteur, dirigé
par l'école des coiffes jaunes. Les britanniques servent de médiateurs.
1835: Une armée tibétaine de
plusieurs milliers d’homme, aidée par l’amban, entre en lice
contre Kanam Depa.
Mort à Paris de Julius Klaproth, cet
Allemand, qui accompagna un ambassadeur de Russie à Pékin
en 1805, a laissé une traduction d'un dictionnaire historique et
géographique de Chine dans laquelle sont décrites des régions
du Tibet.
1837: Mort du 10ème Dalaï lama,
au Potala (Lhassa). Il décède peu après avoir atteint
sa majorité, dans des circonstances suspectes; le régent
est soupçonné d’assassinat; d'après Markham,
il pourrait être à l'origine de la mort des trois derniers
Dalaï lamas. Ce personnage trouble, soutenu néanmoins par une
grande partie du clergé tibétain, aurait été
originaire du Gansu. Tous les pouvoirs reposent désormais sur sa
tête fragile.
1838: Naissance du 11ème Dalaï
lama (1838-1855), à Domie Garther. Son choix s'effectuera uniquement
par tirage au sort, selon la volonté de la Chine, et l'on murmurera
qu'il n'y avait que son nom dans l'urne d'or qui servit à la cérémonie.
Le régent attendra quatre ans avant d'annoncer cet heureux avènement.
Mort de Kanam Depa. Le
Tibet recouvre la tutelle de son fief.
1839: Début de la première guerre
de l’opium. Au nom du libre échange, l’Angleterre entend imposer
à la Chine l’achat de l’opium provenant de ses colonies de l’Inde.
La Chine refuse de se soumettre à une exigence qui se traduirait
par l’intoxication de sa population, sa dégénérescence
et qui, au final, entraînerait sa soumission aux puissances occidentales.
Le Bouthan enlève une douzaine de ressortissants
anglais.
1841: Les Drogpas, qui ont envahi le Ladakh,
pénètrent à l’ouest du Tibet. Les Tibétains
doivent faire face sans le secours des Chinois. Ils finissent par triompher
mais leur adversaire, Zorawar Singh, qui a péri dans les combats,
entre dans la légende. Ses prouesses vont être colportées
à travers la région jusqu’au 20ème siècle.
Le succès des troupes tibétaines va être à l'origine
de la fortune politique de Shatra Wantchoung Gyelpo.
Le Bouthan saisit cinq villages de l'empire
des Indes.
1842: Intronisation du nouveau Dalaï lama
par le Panchen lama qui fut rencontré enfant par Turner; ce dignitaire
religieux tibétain jouit d'une grande popularité qui s'étend
jusqu'en Mongolie.
Les Tibétains prennent l’offensive au
Ladakh. Ils se heurtent à des troupes armées de fusils et
de canons britanniques. Leurs épées, leurs lances, leurs
mousquets à mèche et leurs incantations ne font plus le poids;
ils doivent se replier. Mais la leçon ne sera pas retenue. Le Tibet
règle seul son différend avec les Drogpas. La compétence
chinoise, en matière d’affaires étrangères, est purement
et simplement ignorée. La Chine, qui sort avec difficultés
de la guerre de l’opium, garde le silence. Les frontières du traité
de 1684 sont confirmées.
Les Anglais essuyent une terrible défaite
en Afghanistan qui met provisoirement un terme à leur velléités
d'expansion en Asie centrale. De nouvelles
incursions bouthanaises ont lieu au Bengale; elles dureront jusqu'en 1856.
Le Traité de Nankin met fin à
la première guerre de l’opium. La France et les États-Unis
exigent leur part du gâteau. La Chine, vaincue, doit s’incliner.
Des concessions sont attribuées aux puissances occidentales qui
prennent pied dans l’empire du milieu. C’est le début d’une colonisation
qui n’ose pas encore dire son nom. La population rend la dynastie mandchoue
responsable de cette situation. Des troubles vont déchirer l’empire
du milieu jusqu’à la victoire des communistes en 1949.
1843: Publication par Isaac Jacob Schmidt d'une
traduction en français du "Sûtra du sage et du fou".
1844: Le régent du Tibet, qui a pris
goût au pouvoir, affiche une attitude de plus en plus provocante.
Il ne se déplace plus qu’accompagné du faste réservé
au Dalaï lama. La population de Lhassa est choquée. Il favorise
le monastère de Sera au détriment de Drepung et de Ganden.
Les grands monastères se révoltent et sollicitent l’arbitrage
de l’empereur de Chine. Celui-ci délègue un nouvel amban:
Qishan; Qishan est, en fait, éloigné de la cour pour lui
permetre de se racheter car il est tenu pour responsable des conséquences
désastreuses de la guerre de l'opium. Il dépose le régent
qui est exilé après avoir reconnu ses crimes sous la torture.
Sera entre en rébellion. La révolte est mâtée
par les troupes sino-tibétaines. Comme il n’y a plus de régent
et que le Dalaï lama est encore mineur, l’amban demande au
Panchen lama d’exercer le pouvoir. Ce dernier accepte, non sans réticence,
pour restaurer la cohésion des Gelugpas. Le choix des régents
passe des monastères d'où ils étaient jusqu'alors
issus aux monatères réputés favorable à la
Chine.
Signature du traité de Whampoa
entre la France et la Chine. Ce traité permet aux Français
de commercer avec les Chinois dans cinq ports différents. Il favorise
aussi les missions chrétiennes. La religion catholique est désormais
tolérée en Chine. C’est une des conséquences de la
guerre de l’opium.
.
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Le
père Huc déguisé en Chinois |
.
Deux missionnaires Français,
les pères Huc et Gabet, se dirigent vers le Tibet, déguisés
en moines gelugpas, dans l'idée d'aller frapper le bouddhisme à
sa source, c'est-à-dire à Lhassa résidence de son
pape. Partis de Mongolie, ils assistent, médusés, à
la fête des fleurs au monastère de Kumbum. L'affluence des
pèlerins les impressionne vivement. Huc croit découvrir,
dans l'habillement des moines et certains détails du rituel bouddhique,
des éléments qui font penser au christianisme. Toutefois,
la religion tibétaine ne peut être que diabolique aux yeux
d’un chrétien. Les deux hommes traversent l'Amdo en compagnie de
la caravane envoyée par le Dalaï lama à Pékin,
avec des cadeaux destinés à l'empereur, laquelle revient
dans son pays. Cette caravane est attaquée par des brigands. Ces
derniers se contentent de l'intimider. Ils respectent les présents
destinés au Dalaï lama et ne pillent que ceux qui s'en vont
à Pékin. Il n'y a pourtant pas de quoi être rassuré.
Ne dit-on pas que les Goloks dévorent le coeur de leurs victimes?
Gabet tombe malade et il faut l'attacher à sa monture. (L'itinéraire
du père
Huc est ici
).
A l'est du Bouthan, les Anglais passent un
accord avec la tribu des Tawang Butheas, vassale du Tibet, qui renonce
à ses prétentions sur une partie de l'Assam en échange
du versement d'une pension annuelle.
1845: Un nouveau régent est nommé:
Ngawang Yeshe Tsultrim Gyaltsem du monastère de Reting. L’homme
fort du pays est Shatra Wantchoung Gyelpo, auréolé de gloire
après le semblant de victoire remporté sur les Drogpas.
1846: L’autorité de Gulâb Singh
sur le Cachemire et le Jammu est reconnue par les Britanniques. Il dirige
un État à demi indépendant.
Après bien des péripéties,
Huc et Gabet arrivent mal en point dans la capitale du Tibet. Les missionnaires
s'y installent comme ils peuvent. La description que le père Huc
donne de la cité n'est pas très éloignée de
celle de Thomas Manning. Les rues sont larges et bien alignées,
mais deviennent boueuses dès qu'il pleut. Il n'y a pas d'égouts.
Les fenêtres sont en forme de trapèze. Les murs sont chaulés.
L'intérieur des maisons est extrêmement sale. Il y règne
une odeur de fumée, de bouse, d'excréments humains et de
pourriture. Pendant le jour, les rues grouillent d'une foule composite,
de Tibétains et d'étrangers, où abondent mendiants
et moines. Les femmes portent des bijoux et sont barbouillées de
graisse noire, pour se protéger du soleil. Les Cachemiriens musulmans
sont commerçants. Les Chinois sont commerçants, fonctionnaires
ou soldats. Les Tibétains les méprisent mais leur tirent
toutefois la langue, en signe de respect, lorsqu'ils les croisent. Huc
reconnaît tout de même que le Potala mérite son renom.
Les grandes sculptures colorées, en beurre de yack, détruites
sitôt finie la cérémonie pour laquelle elles ont été
réalisées, suscitent son admiration.
Enregistrés à la police, Huc
et Gabet sont bientôt reçus affablement par Shatra Wangtchoug
Gyelpo. Ils se préparent donc à convertir les âmes.
Mais quelques jours plus tard, ils reçoivent, à plusieurs
reprises, la visite d'individus visiblement chargés de les espionner.
Ils finissent par être convoqués chez l'amban Qishan
qui les interroge et les place sous surveillance jusqu'au lendemain. Ils
sont alors reconduits chez eux par les officiels chinois et tibétains.
Un officier à cheval et en armes les précède. Une
foule de badauds les accompagne. Leurs bagages sont emmenés jusqu'au
tribunal où on les fouille pour en examiner le contenu. La découverte
de petites cartes imprimées aurait pu leur être fatale. Le
représentant du pouvoir chinois soupçonne en effet les Français
de se livrer à des activités d'espionnage et de procéder
à des relevés topographiques pour préparer une invasion.
Mais Huc a l'idée de flatter la vanité de l'amban:
une personne aussi instruite que lui ne peut pas se méprendre et
confondre des cartes imprimées à l'étranger avec des
dessins réalisés au Tibet. La ruse du père Huc réussit
et les deux lamas du Seigneur des cieux d'occident en sont quittes pour
la peur. Ils commencent à évangéliser. Mais les quelques
succès qu'ils remportent auprès des Tibétains sont
dus à la faconde du père Huc et à son art de décrire
les merveilles techniques européennes plutôt qu'à la
religion. Leur répit n'est d'ailleurs que de courte durée.
A quelque temps de là, définitivement convaincus d'espionnage,
ils sont expulsés du Tibet, sur ordre de Qishan. Le voyage du retour,
par la route du sud, est particulièrement périlleux. Des
bêtes de trait et des hommes y laissent la vie. De plus, une fois
éloignés des lieux les plus fréquentés, les
Tibétains ne se gênent plus pour manifester leur animosité
à l'encontre des deux religieux et de leur escorte; les soldats
chinois, pourtant fortement armés, ne sont pas tranquilles.
Revenu à Macao, son point de départ,
Huc rédige le récit de son voyage qui paraît en France
en 1850 sous le titre "Souvenir d'un voyage dans la Tartarie, le Tibet
et la Chine pendant les années 1844-1845". Cet ouvrage se lit
encore avec intérêt malgré les préjugés
chrétiens qui s'y manifestent (une
version électronique de ce texte est
ici).
Un second ouvrage "Le christianisme en Chine, en Tartarie et au Thibet"
le complétera quelques années plus tard. De ces deux ouvrages
ont peut tirer les enseignements suivants: 1°)- Tout d'abord, le Tibet
n'est pas la Chine, mais le représentant de ce dernier pays, protecteur
du Tibet, n'en exerce pas moins une influence prépondérante
au Pays des Neiges; c'est lui qui obtient le départ des deux missionnaires
français contre la volonté du régent qui dirige le
gouvernement tibétain. 2°)- Les lamas rencontrés par
Huc et Gabet, au cours de leur voyage, font preuve d'une grande tolérance
à l'égard du catholicisme; ils invitent leurs interlocuteurs
à ne pas fonder leur jugement du bouddhisme tibétain sur
les superstitions qui ont cours parmi le menu peuple; quant à eux,
ils trouvent beaucoup de points communs entre leur religion et celle colportée
par les lamas des cieux d'Occident; ils se disent prêts à
considérer les mérites respectifs des deux religions afin
d'adopter la meilleure; cette attitude renforce l'opinion du père
Huc selon laquelle le bouddhisme tibétain n'est qu'une version dégénérée
du christianisme. Les deux missionnaires français réussissent
à convertir quelques personnes, dont un médecin chinois;
c'est bien peu. Mais, si les résultats du voyage des pères
Huc et Gabet sont maigres, ils n'en suscitent pas moins des espérances
qui amènent le pape à ériger le Tibet en vicariat
apostolique. Un point mérite
enfin d’être souligné: les Tibétains ne sont pas fondamentalement
hostiles aux étrangers; ils se montrent même plutôt
ouverts et accueillants. Si le pays est fermé, ce n’est donc pas
du fait de sa population.
Profitons de l'équipée des deux
missionnaires français pour faire le point sur l'image du Tibet
qui prévaut alors en Occident. Au cours du 19ème siècle,
de nombreux ouvrages évoqueront ce pays. Ils sont trop nombreux
pour les analyser tous. Pour l'essentiel, voici ce qui en ressort. Pour
nombre de catholiques, si le bouddhisme tibétain, on l'a vu, n'est
qu'un christianisme abâtardi, on ne s'accorde pas sur l'origine des
influences chrétiennes sur ce culte: séjour de Jésus
dans l'Himalaya, contacts avec le nestorianisme... On pense même
que Tsongkhapa a pu être incomplètement évangélisé
par un missionnaire catholique mort trop tôt pour avoir entièrement
converti son disciple; c'est d'ailleurs ce que pense le père Huc.
Pour les protestants, Bouddha est un réformateur du brahmanisme,
en quelque sorte un protestant avant la lettre! Mais le bouddhisme du Pays
des Neiges ne respecte plus les préceptes de son fondateur; il s'est
perverti pour verser dans une variante orientale du papisme. Bref, l'image
globale du Tibet en Occident est largement négative et fournira
une justification idéologique aux tentatives de colonisation de
la fin du siècle.
Le pape Grégoire XVI accorde à
la société des Missions étrangères de Paris
le monopole de l'évangélisation du Tibet.
Par le traité de Lahore, le Ladakh est
réuni aux Indes. La Grande-Bretagne empiète sur les domaines
du Tibet.
1847: Conflits entre monastères à
la frontière du Tibet et du Sichuan. L’armée tibétaine,
avec Shatra à sa tête, est dépêchée sur
place pour rétablir l'ordre.
Le père Renou, un missionnaire Français,
pénètre à l’est du Tibet sous un déguisement.
Il s’installe à Chamdo (Kham).
Publication par Philippe Édouard Foucaux
d'une version française d'un texte tibétain traduit du sanscrit
relatant la vie du Bouddha: le "Lalitavistara".
1848: Expulsion du père Renou qui s'est
montré trop zélé pour convertir les âmes. La
France proteste auprès de la Chine, reconnaissant ainsi implicitement
que le Tibet est sous l'autorité de Pékin. Mais les autorités
chinoises, tirant profit de l'ambiguïté des relations entre
la Chine et le Tibet, prétendent que ce dernier est souverain et
qu'elles sont impuissantes à lui imposer leur loi.
Développement du mouvement religieux
Rime (La Voie impartiale) qui réunit des Kagyupas et des
Nyingmapas. Ce mouvement, créé à l'initiative de Djamgon
Kontrul, a pour but de surmonter les divisions entre écoles afin
de préserver les grands textes et la tradition contemplative,
mais aussi de rappeler à leur véritable mission certains
religieux devenus plus soucieux de couvrir d'or le toit de leur monastère
que de se livrer à l'étude et à la méditation.
A la fin de la décennie 1840, plusieurs
expéditions britanniques (Hooker) explorent les cols qui permettent
de pénétrer au Tibet via les royaumes himalayens.
1850: Début de la révolte des
Taiping (Grande Pureté) en Chine. Cette secte s’en prend
à la dynastie mandchoue qu’elle veut remplacer par une dynastie
Han. Elle exige la suppression de la natte, symbole de soumission et d’arriération.
Elle a pour doctrine un mélange de confucianisme et de christianisme.
Cette révolte, d’origine paysanne, prône
une répartition plus égalitaire des richesses, le partage
des terres et l’émancipation des femmes. On y trouve, par anticipation,
comme un écho des préoccupations qui seront celles de Mao
Tsé Toung un siècle plus tard. Elle durera de longues années,
embrasera tout le pays et les autorités chinoises n’en viendront
à bout qu’avec l’aide des puissances occidentales dont les concessions
sont menacées. Elle causera la mort d’au moins 20 millions de personnes
soit 7% de la population! Cette proportion impressionnante mérite
d’être soulignée. Elle montre que les hécatombes du
20ème siècle ne seront pas plus terribles que celles du siècle
précédent.
1851: Xianfeng devient empereur de Chine.
Un missionnaire français, Nicolas Krick,
arrive au Bouthan avec le dessein de se rendre au Tibet, en compagnie de
son chien Lorrain. Les militaires Anglais lui procurent quelques
instruments utiles pour son voyages. Dans un pittoresque accoutrement "de
gros souliers-bottines, un pantalon en étoffe d'Assam, une blouse
de coton à franges noires, fabriqués chez les sauvages Naga,
une gibecière sur le dos, fusil en bandoulière, chapeau à
la tyrolienne qui me tombait sur les épaules et ne laissait voir
que ma barbe; ma croix de missionnaire faisant sur le tout un singulier
contraste...", le voilà parti avec dix-sept compagnons, en comptant
le chien. La caravane suit d'abord le lit du Brahmapoutre, dans une épaisse
forêt où il faut se frayer son chemin à coups de sabre.
Puis, on gravit, on monte, on monte encore et toujours, avec la mort comme
perspective. Au fur et à mesure de la progression, la fatigue augmente
et les dangers s'accumulent. Trahi par ses gens, Krick tombe aux mains
des sauvages Michemis qui le pillent avant de le menacer d'assassinat.
Un providentiel coup de fusil disperse la tribu qui s'enfuit. Notre missionnaire
tombe enfin à genoux à la vue du premier village tibétain.
Mais les villageois, après s'être attroupés autour
de lui par curiosité, disparaissent et le voilà obligé
de poursuivre son chemin. Après deux jours de marche, il atteint
le bourg de Sommeu, où on l'examine, on le palpe, on compte ses
dents, on s'étonne de la couleur de ses yeux... bref on le traite
comme une bête curieuse d'une espèce inconnue. Le gouverneur
de la province le soumet à un interrogatoire serré, le prenant
pour un espion chargé de préparer une invasion. On l'invite
à retourner d'où il vient car une guerre menace et il risque
de se faire tuer. On lui propose de lui fournir des vivres pour retourner
dans un village frontière où il pourra attendre la fin des
hostilités avant de revenir. De crainte de lasser son interlocuteur,
Krick finit par accepter cette transaction. Il obtient ainsi de rester
quelques jours sur place dans des conditions précaires se nourrissant
des grains de riz tombés par terre des sacs des marchands. Sur le
chemin du retour, il rencontre à nouveau les brigands qui l'ont
dépouillé à l'aller; leur chef le condamne à
être égorgé s'il ne parvient pas à guérir
sous trois jours un blessé dont le pied pourrit. L'expérience
acquise à l'hôpital Necker, avant son départ en mission,
vient à son secours et, contre toute attente, il sauve la vie de
son patient. C'est une sorte de miracle accueilli comme tel par la tribu.
Il peut continuer sa route et retrouver le monde civilisé avant
de repartir vers de nouvelles aventures.
Mort du docteur Gutzlaff, natif de Stettin,
missionnaire en Chine à partir de 1830, auteur de l'ouvrage "La
Chine ouverte" dans lequel on trouve quelques informations sur l'histoire
et la géographie du Tibet.
1852: Nouveau traité entre le Tibet
et le Ladakh. Un accord commercial est signé.
Shatra doit calmer le jeu au sujet d’une querelle
intervenue entre Drepung et les autorités britanniques de l’Assam.
Publication posthume de la traduction par Eugène
Burnouf de "Sûtra du lotus" en français.
1853-1859: Publication de la traduction en
français du manuscrit des "Mémoires sur les contrées
occidentales". Il raconte le voyage que fit le moine pèlerin
chinois Hiuan-tsang au monastère université de Nalanda, de
630 à 644.
1853: Installation d'une mission de frères
moraves à Kaelang (Lahaul britannique, à la frontière
du Tibet). Ces frères, établis depuis 1765, sur les bords
de la Volga, y ont noué des relations avec les peuples d'Asie centrale.
Souhaitant se rendre en Mongolie, ils se sont heurtés à l'opposition
de la Russie et de la Chine et, finalement, leurs supérieurs leur
ont donné l'ordre de s'établir parmi les Tibétains.
1854: Le père Renou récidive.
Cette fois, il achète un vaste domaine à Bonga, dans le Tsarong
(Kham). Il s’y livre à des activités caritatives qui attirent
les habitants. Les pères Krick et Boury, qui tentent de pénétrer
à l'est du Tibet en venant des Indes, sont massacrés à
Rima; cette fois-ci, Nicolas Krick n'a pas réussi à échapper
à la vindicte des Michemis; une expédition militaire anglaise
sera montée pour châtier les coupables.
1855: Le Dalaï lama accède au pouvoir
à l’âge de 17 ans. Les fonctions du régent prennent
fin.
Mort mystérieuse du 11ème Dalaï
lama, au Potala (Lhassa). Il n’aura pas eu le temps de régner longtemps!
Le régent reprend les rênes.
Le Népal adresse un ultimatum à
Lhassa pour obtenir des concessions territoriales. Shatra est impuissant
à contenir l’invasion népalaise.
L'Anglais Drummond, chargé d'une mission
secrète, fait une promenade en barque sur le lac Manasarovar. Ce
lac étant sacré pour les Tibétains, le gouvernement
de Lhassa ordonne la décapitation des chefs de district qui n'ont
pas empêché ce sacrilège.
1856: Naissance du 12ème Dalaï
lama, dans le sud du Tibet. Le régent impose le tirage au sort pour
départager les trois candidats à la succession du défunt
pontife.
Le Tibet doit se reconnaître tributaire
du Népal. Un bahadar, rival népalais de l’amban,
va résider à Lhassa. La Chine, en proie à la guerre
civile, n'est pas en mesure de relever l'affront. Il est vrai qu'en contrepartie
le Népal reconnaît, comme le Tibet, la suzeraineté
de l'empire du milieu, ce qui n'empêchera pas le représentant
du Népal de monter les Tibétains contre la Chine afin de
les priver du secours des troupes chinoises dans l'hypothèse d'un
nouveau conflit entre le Tibet et son pays.
Les frères Schlagintweit, Adolph, Robert,
Emil et Hermann, partis du Bouthan, longent l'Himalaya, traversent l'ouest
du Tibet, franchissent la passe du Karakorum et atteignent le bassin du
Tarim. Ils rapportent en Europe 340 caisses de documents! Les Russes Semionov
et Fedchenko explorent le nord de l'Himalaya, le premier le Tianshan et
le second le Pamir. Les explorations scientifiques, à but parfois
politique, prennent le relais des missions.
1857: Le pape Pie IX nomme Monseigneur Thomine-Desmazures
premier évêque du Tibet. Mais cet acte restera purement formel.
1858: Le nom du candidat de l’opposition sort
de l’urne pour désigner le nouveau Dalaï lama. Shatra entre
en conflit avec le régent.
Début de la seconde guerre de l’opium.
Les premières concessions n’ont pas calmé les appétits
occidentaux. La Chine, toujours en proie à la guerre civile, doit
faire face également à une guerre étrangère.
1859: Première attaque contre l’établissement
de Renou à Bonga.
Deux explorateurs britanniques sont séquestrés
au Sikkim. Les Anglais interviennent à nouveau militairement dans
ce petit pays sous tutelle tibétaine.
1860: Une Assemblée Nationale Tibétaine
(Tsongdu) est créée. Non élue, elle se compose
principalement de nobles, de représentants des plus grands monastères
et de hauts fonctionnaires. Ses décisions sont prises par consensus.
Fin de la seconde guerre de l’opium. Par le
traité de Tientsin, les missionnaires se voient autorisés
à prêcher et circuler dans tout l’empire chinois. Le traité
est placardé à Lhassa.
Un roitelet du Nyarong (Kham), sous tutelle
directe de la Chine depuis 1728, Goeunpo Namgyal, conquiert les territoires
avoisinants. Les vaincus font appel à la Chine. Cette puissance,
encore en proie à la guerre civile, n’est pas en mesure de leur
porter secours. Ils se tournent alors vers Lhassa. Goeunpo Namgyal et sa
famille vont périr brûlés vifs dans leur citadelle
assiégée. Prudemment, les Tibétains proposeront aux
Chinois le retour au statu quo de 1728, contre une indemnisation des frais
qu’ils ont engagés pour châtier le trublion.
Le Bouthan empiète une fois de plus
sur le territoire de l'empire des Indes. Le Nepal impose des droits de
douane prohibitifs à ses frontières; pour Markham,
ce pays est à cette époque davantage vassal de la Chine que
de l'empire britannique. Les Anglais tournent donc leur regard vers le
Ladakh, le Sikkim et la tribu des Tawang Butheas, en bordure de l'Assam,
pour trouver des voies d'accès vers le Tibet.
1861: Shatra, accusé de trahison, est
emprisonné.
Un nouvel empereur, Tongzhi, monte sur le trône
de Chine.
Plusieurs missions catholiques s’installent
en Chine à proximité du Tibet.
Le traité de Tumlong fait passer le
Sikkim sous protectorat anglais. C’est un nouvel empiètement britannique
sur les terres tibétaines.
1862: Du monastère où il est
relégué, Shatra profite d’une révolte de Drepung pour
inciter d’autres lamaseries à renverser le régent. Malgré
le soutien de Sera, ce dernier doit fuir à Pékin où
il sollicite en vain des secours. L’opinion publique lui est hostile. Shatra,
libéré, est nommé régent. Il sera le seul régent
laïc jusqu’en 1959.
Sera refuse de se soumettre et se révolte
contre le nouveau régent. Un des chefs de la révolte est
tué et le monastère doit rendre les armes. Son abbé
est condamné à mort. Sera est puni par son éviction
de l’Assemblée.
L’impératrice douairière Tseu
Hi (Cixi) s’empare du pouvoir en Chine. Les empereurs en bas âge
n’ont plus qu’un rôle de représentation.
Une révolte antichinoise éclate
au Sinkiang. Elle reçoit le soutien de la Russie et de la Grande-Bretagne.
1863: Un émissaire anglais, Eden, est
envoyé au Bouthan afin de régler les problèmes avec
de royaume pour lors en proie à une guerre civile.
1864: Fin de la révolte des Taiping.
Cent mille d’entre eux sont passés au fil de l’épée.
Un nouveau régent, Khyenrab Wantchoung
remplace Shatra après sa mort. Un personnage presque aveugle devient,
grâce à la faveur du Dalaï lama, le véritable
détenteur du pouvoir. Il s’agit d’un homme autoritaire et cruel,
Palden Teundroup. Il a pour coutume de faire placer devant sa porte la
peau d’un yack fraîchement tué dans laquelle il fait coudre
tout ceux qui n’ont pas l’heur de lui plaire!
Monseigneur Chauveau devient évêque
du Tibet.
Eden est insulté par les autorités
bouthanaises.
1865: Lhassa crée la fonction de gouverneur
du Nyarong. Le Tibet grignote les positions chinoises dans le Kham.
Les missions catholiques sont attaquées.
L’établissement de Bonga est détruit. Le père Desgodins,
qui y avait bâti une cabane, est chassé de Khieumaton, par
les moines tibétains qui dominent alors cette région proche
de la Birmanie, au pays des Loutzes, une ethnie non tibétaine.
Le colonel anglais Montgomerie rencontre le
Panchen lama successeur de celui dont l'avènement a été
salué par Turner à Tashilumpo. Le nouveau dignitaire tibétain
est âgé de onze ans.
Au Bouthan, les Anglais lavent l'outrage essuyé
par Eden en entrant en guerre. Le royaume himalayen va tomber dans l’escarcelle
de l’empire des Indes. Mais, cette fois, Lhassa regimbe et, sous la pression
du Tibet tout est remis en cause.
1867, 1870, 1879-1880, 1887-1888: Nicolaï
Mikhaïlovitch Prjevalski entreprend plusieurs expéditions dans
le nord du Tibet afin de prouver que les père Huc
et Gabet sont des imposteurs et qu'ils ne sont jamais allés à
Lhassa. Et aussi sans doute avec des visées impérialistes.
On donnera son nom à un cheval des steppes.Cet explorateur russe
a financé sa première expédition en jouant aux cartes
dans garnisons russes!
A la même époque, sous l'impulsion
du colonel Montgomerie, plusieurs expéditions anglaises se rendent
au Tibet. Les personnes qui en font partie ne sont parfois connues que
sous un numéro ou sous une lettre, ce qui leur confère un
parfum de mystère. Elles vont ou non jusqu'à Lhassa. Elles
s'intéressent aux mines d'or et certaines s'aventurent dans des
régions si difficiles d'accès qu'elles doivent utiliser des
moutons comme animaux de bât, le sol étant trop caillouteux
pour les yacks et la température trop froide pour les ânes!
L'un des explorateurs, un Pandit, donne d'intéressantes précisions
sur la population des villes traversées et des monastères
rencontrés: Shigatse (9000 habitants - 100 soldats chinois et 400
miliciens tibétains), Tashilumpo (3300 moines); Lhassa (15000
habitants dont 9000 femmes - 500 soldats chinois et 1000 miliciens tibétains),
Sera (5500 moines), Drepung (7700 moines); la ville de Lhassa fourmille
de commerçants tibétains, népalais, cachemiris, ladakis
et chinois; les ambans ne semblent pas interférer dans les
affaires intérieures d'un pays qui reste très peu peuplé
et où le déséquilibre est manifeste entre la population
féminine et la population masculine, déséquilibre
induit par le nombre élevé des moines; la présence
militaire chinoise n'est pas négligeable, même si les militaires
tibétains sont plus nombreux.
1868. Le frère morave H. A. Jaschke,
de la mission de Kaelang, revient en Allemagne où il rapporte d'importantes
information sur le langage tibétain.
Félix Blet transforme les missions au
Tibet en une véritable institution scientifique. Il organise un
réseau d'observations météorologiques, avec la participation
d'Auguste Desgodins, auteur d'un dictionnaire tibétain-latin-français,
de Jules Dubernard, de Georges-Henri Mussot et de Jean-André Soulié.
Il procède à la collecte systématique des espèces
végétales et animales ainsi que d'une foule d'observations
scientifiques.
1870: Le sentiment antioccidental augmente
en Chine et au Tibet. Les missionnaires y sont dans une situation très
critique.
Le sentiment d’appartenance au Tibet des populations
des marches de l’est est renforcé par la découverte sur leurs
terres de trois Dalaï lamas successifs.
1871: Palden Teundroup cherche à évincer
le Dalaï lama pour assumer seul la direction du pays. Le régent
dénonce le complot. Palden Teundroup et ses complices prennent la
fuite et se réfugient à Ganden. Le monastère est assiégé
par les troupes gouvernementales. Palden Teundroup se suicide; ses acolytes
sont exilés ou emprisonnés. Une nouvelle Assemblée
élargie est mise en place. Sera y retrouve son siège. Un
subtil équilibre des pouvoirs est instauré entre laïcs
et religieux.
W. T. Blanford, un géologue anglais,
et le capitaine Elwes explorent la haute vallée de la Tista, au
Sikkim, sur les traces de Hooker, à la recherche de voies d'accès
vers le Tibet.
1872: Mort du régent Khyenrab Wantchoug.
Le Dalaï lama décide d’exercer le pouvoir.
1873: Un Hindou, Nain Singh, pénètre
au Tibet avec la mission de dresser des cartes des lieux qu'il traverse
pour l'Institut britannique de topographie. Il s'est déjà
rendu précédemment sur le Toit du Monde et en a ramené
une carte de l'itinéraire de Katmandou à Lhassa, en passant
par le lac Manasarovar, dont ses commanditaires anglais se sont montrés
satisfaits. Cette fois, il se déguise en moine et ses compagnons
d'équipée en bergers pour déjouer la surveillance
policière des autorités tibétaines. Ils poussent devant
eux un troupeau de moutons qui transportent leurs maigres baluchons. Ils
rencontrent des chercheurs d'or, qui dorment dans des grottes creusées
dans le sol, pour échapper aux brigands. Les rares nomades qu'ils
croisent ne sont établis que depuis peu de temps dans la région
désertique du Chang Thang. Les relevés de Nain Singh seront
utilisés par les Britanniques lorsqu'ils envahiront le Tibet en
1904.
Le Sikkim assure les autorités britanniques
que les Tibétains sont favorables au commerce avec l'empire des
Indes et que seul le refus de Pékin s'y oppose. C'est aussi le sentiment
de l'explorateur G. J. Ware Edgar lui aussi à la recherche de voies
d'accès vers le Tibet via le Sikkim (Markham).
La mission des frères moraves, dirigées
maintenant par Heyde et Eedslob, compte une vingtaine de fidèles
et elle caresse l'espoir de franchir la frontière chinoise et de
pénétrer au Tibet.
Le 21 décembre 1873, Francis Garnier
est décapité par les Pavillons noirs qu'il est venu combattre
au Tonkin. Il s'apprêtait à se rendre au Tibet dans le but
de trouver les sources des grands fleuves asiatiques qui naissent sur les
hauts plateaux de ce pays.
1874: Ouverture à Darjeeling d'une école
destinée à former, parmi les jeunes autochtones, de futurs
auxiliaires de la pénétration britannique au Tibet. Sarat
Chandra Das en est le premier directeur. Le professeur de tibétain
Ugyen Gyatso, un lama tibéto-sikkimais, y officie (pour
l'activité ultérieure de ces personnages, voir ci-après
1879).
1875: Mort de maladie du
12ème Dalaï lama, au Potala (Lhassa), à 19 ans. Un nouveau
régent est choisi par l’Assemblée: Ngawang Palden Tcheukyi
Gyaltsen de Kundeling.
Comme on vient de le voir, au 19ème
siècle, les Dalaï lamas n'ont pas vécu assez longtemps
pour exercer vraiment le pouvoir. Celui-ci est entre les mains des régents,
dans une atmosphère trouble de querelles internes, d'animosité
feutrée, d'ambition généralisée et de soupçons
d'assassinats. Les 9ème, 10ème, 11ème et 12ème
Dalaï lamas meurent jeunes, certains peut-être éliminés
par des régents soucieux de conserver le pouvoir au profit de leur
coterie. Markham accuse clairement les
régents d'avoir assassiné les 8ème, 9ème et
10ème Dalaï lamas. Mais il semble qu'il faille décaler
cette série car cet auteur anglais paraît confondre les 6ème
et 7ème Dalaï lamas. Ce seraient donc les 9ème, 10ème
et 11ème pontifes tibétains qui, selon lui, auraient été
les victimes de leurs ambitieux régents. Selon d'autres auteurs,
ces Dalaï lamas morts prématurément pourraient avoir
été victimes du culte rendu à Palden Lhamo, leur protectrice.
Amenés encore jeunes dans un temple emplis de scènes particulièrement
horribles, en phase avec l'aspect terrifiant de cette divinité,
ils auraient pu en être profondément affectés. Palden
Lhamo chevauche un coursier sur une mer de sang et sa selle est faite avec
la peau tannée de son fils qu'elle a tué parce qu'il refusait
de se convertir au bouddhisme. Quoi qu'il en soit, le Tibet entre en décadence.
Autour de lui, le monde bouge. L'expansion coloniale amène l'Occident
à ses portes. Mais ses dirigeants, à l'abri derrière
leurs montagnes, ignorent ces évolutions et ne sont préoccupés
que de leurs luttes intestines. Ils sont tellement imbus de leur supériorité,
qu'à la fin du siècle, ils estiment que le roi d'Angleterre
devrait rendre hommage à leur souverain! La tutelle chinoise est
ressentie durement à Lhassa mais vue plus favorablement à
Shigatse; faute de pouvoir s'en débarrasser, on exhume des textes
cachés (termas), attribués à Padmasambhava,
qui prophétisent que le Tibet tombera inexorablement sous un joug
chinois odieux avant de recouvrer son indépendance.
Guangxu devient empereur de Chine (sous la
tutelle de Tseu Hi).
Helena Petrovna Blavatsky,
une grande voyageuse d'origine russe, fonde la Théosophie
à New York. Cette doctrine, qui donne un sens nouveau à la
vie et à la mort, en distinguant l'éphémère
de l'impérissable dans l'homme, offre une base rationnelle à
une éthique globale, seul fondement possible, à ses yeux,
du progrès collectif et du salut de la planète. Elle tente
de réconcilier la religion avec la science. Elle distingue, dans
les religions, l'exotérisme de l'ésotérisme. L'exotérisme
seul varierait d'une religion à l'autre. L'ésotérisme
serait identique. L'ésotérisme de la Théosophie permettrait
d'aborder l'Occultisme sans danger de confusion entre psychisme et spiritualité.
Les Maîtres dont elle se réclame sont les Grands Initiés
de tous les temps. Mme Blavatsky, férue de spiritisme, prétend
être en communication avec des Initiés, les Mahatmas, qui
résident, à l'écart du monde dont ils détiennent
la sagesse, au Tibet. |