Chronologie de l'histoire du Tibet et de ses relations avec le reste du monde
(Suite 1)
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Les premiers Dalaï lamas 

Le 5ème Dalaï lama entreprend la construction du Potala. Sa mort est tenue secrète pendant 15 ans par le régent. Le 6ème Dalaï lama est un poète qui montre peu de goût pour la vie monastique. L'homme fort des Mongols, toujours nominalement roi du Tibet, en profite pour revendiquer le pouvoir, déposer le Dalaï lama qui disparaît mystérieusement sur le chemin de l'exil, exécuter le régent cachottier, puis choisir un nouveau Dalaï lama et nommer un autre régent. Ces changements ne plaisent pas à tout le monde. Des luttes intestines ravagent à nouveau le Tibet. Les factions appellent à leur secours des tribus mongoles rivales. En Chine, les Mandchous ont succédé aux Ming qu'ils ont vaincus. Un pouvoir fort est en place à Pékin. La Chine va mettre tout le monde d'accord. Un nouveau 7ème Dalaï lama est intronisé avec son concours. Et le Tibet est désormais placé sous tutelle chinoise.  

1642: Le chef mongol entre à Lhassa. Il convoque le Dalaï lama à Shigatse où il l’intronise chef du Tibet, tout en lui adjoignant un régent chargé des affaires politiques. Le pays est unifié sous le sceptre du pontife tibétain qui réunit désormais pouvoir spirituel et pouvoir temporel. Cette réunion des deux fonctions, ainsi que le mode de succession par réincarnation du Dalaï lama, posent le problème de l'exercice du pouvoir pendant la minorité de ce dernier. Il est résolu comme il l’a été par les Karmapas. L'intérim est assuré par le régent; le premier, on vient de le dire, est désigné par Gushri khan; il s’occupera des affaires administratives. Le chef de guerre mongol conservera, quant à lui, le pouvoir militaire.  

Au monastère de Lachung, près de Sakya, il était encore possible de voir, en 1938, les cadavres momifiés des victimes de Gushri khan, couverts de toiles d’araignée, dans les attitudes où la mort les avait saisis. Le climat très sec des hauts plateaux avait assuré leur conservation. 

La prise du pouvoir par le 5ème Dalaï lama peut s'interpréter comme une guerre civile entre Gelugpas et Kaguypas, les premiers triomphant en s'appuyant sur une intervention militaire étrangère. Au cours de cette période troublée, des tentatives d'assassinat du 5ème Dalaï lama auraient eu lieu et sa mère biologique aurait été tuée. 

1643: Recensement. Les résultats ne sont pas connus.   

1644: Une révolte paysanne abat la dynastie des Ming; l’empereur de Chine se suicide. Les Mandchous s’emparent ensuite de Pékin; les Qing succèdent aux Ming.  

1645: Début de la construction du Potala sur la montagne rouge. 

Les Népalais commencent une série d’incursions au Tibet. Pour avoir la paix, les Tibétains signent un accord commercial très favorable au Népal. Ce pays devient le point de passage obligé du commerce avec l’Inde. Une monnaie tibétaine est frappée à Katmandou, à partir des métaux précieux fournis par Lhassa. Le troc cesse de régir les échanges sur les hauts plateaux. 

1648: Nouveau recensement. Les résultats ne sont pas connus.  

Le Karmapa est exilé. Les Karma-Kagyupas perdent leurs points stratégiques. De nombreux monastères de cette école sont détruits ou convertis de force en monastères gelugpas. Plusieurs lamas et tulkou sont jetés en prison. Le monastère karmapa construit au-dessus de Tashilumpo est rasé. 

Le roi du Jyang (Kham) rassemble une armée pour chasser les Mongols du Tibet central. Le Karmapa le dissuade de passer à l'attaque. Déguisé en mendiant, le troisième dignitaire religieux du pays entreprend un voyage dans les environs de Lhassa pour rencontrer en secret un tulkou.    

1649: Le siège du gouvernement tibétain est transféré au Palais Blanc du Potala. 

La zizanie éclate entre le Ladakh et le Tibet. Le Ladakh, soumis à l'influence des Drougpa-Kagyupas, se trouve coincé entre le Cachemire musulman du Grand Moghol, qui le guigne depuis longtemps, et le Tibet, où le Dalaï lama gelugpa exerce dorénavent le pouvoir temporel. Les soldats du  Ladakh prennent le Guge, occupent le Purang, au sud du mont Kailash, et pénètrent au Tsang, tandis que Lhassa essaie de mettre la main sur le Bhoutan. Les Tibétains répliquent en envahissant le Ladakh, dans l'espoir de mettre fin à l'influence des Drougpa-Kagyupas. Le roi du Ladakh appelle à son secours le Grand Moghol, Aurengzeb. Les Tibétains sont contenus, mais ils vont définitivement s'emparer du Guge et du Purang. Sous la pression d'Aurengzeb, le roi du Ladakh se convertit à l'islam; son pays devient tributaire du Cachemire; il garde néanmoins une certaine autonomie et maintient des relations politiques et religieuses avec le Tibet. 

Les commerçants du Cachemire sont déjà nombreux au Tibet. On pense qu'ils seraient à l'origine des musulmans du Tibet, les Khache. 

1650: Le royaume de Tsaparang (Guge) perd son indépendance et est rattaché à Lhassa.  

Afin d'honorer le précepteur du 5ème Dalaï lama, une nouvelle lignée de réincarnation, celle du Panchen lama, est instituée. Ces deux lignées de réincarnation de l'école gelugpa sont complémentaires. C'est le Dalaï lama qui intronise la réincarnation du Panchen lama et ce dernier qui intronise celle du Dalaï lama. Le Panchen lama est la réincarnation d'Amitabha, la Lumière infinie; il est le gardien du dogme et le maître du langage; Amitabha administre le royaume paradisiaque de Shukhavati où n'existe rien de méchant ni de mal et où la propriété et les différences sociales sont inconnues; ce paradis est uniquement peuplé de personnes du sexe masculin. Le Dalaï lama est la réincarnation d'Avalokitesvara, le Bodhisattva de la Compassion, saint patron du Tibet. Les deux réincarnations ont évidemment droit à la même dévotion quoique sur des plans différents. C'est devant Amithaba qu'Avalokitesvara prononça son voeu de bodhisattva; il est donc assez compréhensible que l'aîné des deux hiérarques gelugpas procède à l'initiation de l'autre. Dans la hiérachie spirituelle le Panchen lama est supérieur au Dalaï lama, mais son pouvoir y reste cantonné et, en conséquence, il ne peut théoriquement pas y avoir de conflit entre les deux hiérarques gelugpas dans le domaine temporel. Mais cette séparation des rôles, et l'exclusion du Panchen lama de la politique, ne seront pas toujours respectées. La lignée du Panchen lama cherchera à compenser sa faiblesse politique en s'appuyant sur la Chine. Le Panchen lama est l’abbé du monastère de Tashilhumpo à Shigatse, au Tsang; l'existence de deux lignées de réincarnation favorisera la renaissance de l'antagonisme entre le Ü et le Tsang.  

1651: Une autre lignée d’incarnation gelugpa s'installe à Ourga, en Mongolie. Celle des Bogdo-Gegheen, Hutuktus (ou Kutuktus), traduction mongole de tulkou. Elle découle de la reconnaissance du tulkou du Bouddha du futur en 1635. Le Kutuktu serait la réincarnation du cheval de Gesar de Ling.  

1652: Le Dalaï lama est reçu en grande pompe à Pékin par l'empereur mandchou qui compte sur son prestige pour maintenir dans l'obéissance les tribus toujours turbulentes des steppes et conquérir le sud de la Chine qui échappe encore à son contrôle. Mais l'empereur espère aussi renforcer sa suzeraineté sur le Tibet et ne manque aucune occasion de rappeler à son hôte sa prééminence. Deux versions de cette rencontre, une tibétaine et une chinoise, montrent bien, à travers les questions de protocole, l’état d’esprit des protagonistes. Le Tibétain s’estime l’égal du Mandchou. Ce dernier entend forcer l’autre à s’incliner devant lui et, à défaut de soumission, il fera écrire que la génuflexion a bien eu lieu. 

1654: Naissance de Kangxi, futur empereur de Chine. 

1656: Dayan khan, successeur de Gushri khan, est proclamé roi du Tibet. Mais ce titre est purement nominal. La puissance mongole entre définitivement en décadence. 

1659: Soulèvement du Tsang contre le pouvoir de Lhassa. Gyantse tombe aux mains des insurgés. Mais ceux-ci sont défaits par les Quoshots. Le roi déchu et deux de ses ministres, condamnés à mort, sont précipités dans une rivière. 

1661: Kangxi devient empereur de Chine. Il réunifie le pays (y compris Taiwan) et met provisoirement un terme à l'expansion de l'empire russe (voir ci-après 1689). Il rétablit la tutelle de Pékin sur le Tibet (voir ci-après 1720). D'abord favorable aux missionnaires jésuites, qui se sont montrés tolérants et ont réorganisé son armée, il est amené à prohiber le christianisme après que le Pape, à l'instigation de prêtres jaloux des jésuites, eût interdit d'honorer les ancêtres aux nouveaux convertis.  

1665: Le Dalaï lama reconnaît le 5ème Panchen lama (le 2ème après la création officielle de la lignée; les précédents portent le nom à titre posthume). 

1667: Publication en latin de "China Illustrata" d'Athanasius Kircher. Il y est fait état du voyage au Tibet, en 1661, d'un jésuite autrichien, Johannes Grueber, accompagné d'un missionnaire belge Albert d'Orville. Il y aurait deux rois à Lhassa: un temporel et un spirituel. Le second resterait enfermé dans son palais où il serait adoré par les fidèles. La vénération que ces derniers lui vouent serait telle qu'ils porteraient son urine et ses excréments en sautoir autour du cou et qu'ils les mélangeraient à leur nourriture! Le rituel du culte rendu au Dalaï lama ferait parfois penser aux pratiques chrétiennes. Les Tibétains boiraient du thé au beurre et feraient dévorer leurs morts par les bêtes sauvages. Les deux derniers points sont rigoureusement exacts, pour le reste, il est inutile d'insister sur le caractère fantaisiste du témoignage.  

Voici quelques observations formulées par Grueber: "Ainsi ils célèbrent le sacrifice de la messe avec du pain et du vin, donnent l'extrême-onction, bénissent les personnes mariées, disent des prières pour les malades, forment des couvents, chantent dans le choeur, observent différents jeûnes pendant l'année, se soumettent aux pénitences les plus sévères et, entre autres, à des fustigations; ils consacrent des évêques et envoient des missionnaires qui vivent dans une pauvreté extrême et voyagent pieds nus à travers les déserts, allant aussi loin que la Chine." Toujours l'assimilation du bouddhisme tibétain à une hérésie chrétienne. 

Le Tibet n'était cependant pas le but du voyage de Grueber et de son compagnon. Le religieux autrichien, en poste à Pékin après un stage à Macao, avait été rappelé en Europe par ses supérieurs et, comme la voie maritime était bloquée par une flotte hollandaise, il se vit contraint de prendre la route terrestre ce qui l'amena à traverser le Tibet, le Nepal, l'Inde puis la Perse avant de s'embarquer pour Rome. D'Orville ne supporta pas ce long voyage de plusieurs mois et mourut en chemin (pour en savoir plus sur les voyages de Grueber, cliquez ici).  

1670: Soulèvement du Kham contre le pouvoir de Lhassa. 

1673: Le Karmapa rentre d’exil et retrouve Tsurphu. Le Sharmapa est maintenu éloigné de Lhassa. 

1679: Début d’une guerre entre le Tibet et le Ladakh. Des conflits locaux avec les autres royaumes himalayens ont déjà obligé les troupes tibéto-mongoles à intervenir. 

Le régent réforme la structure gouvernementale et crée 21 fonctions dont les responsables formeront le corps administratif du pays. Il interdit aux femmes de se montrer dans Lhassa autrement qu'avec un visage barbouillé de suie afin d'éliminer leur pouvoir de séduction sur les moines.  

1682: Mort du 5ème Dalaï lama, au Potala (Lhassa). 

En faisant preuve d’autorité, mais aussi d’habileté diplomatique, ce pontife a su établir son pouvoir jusqu’à le rendre incontestable. Il a opportunément découvert un terma (texte caché) qui prouve qu'il est la 58ème réincarnation d'Avalokitesvara pour étayer sa double domination sur le Tibet. On pense qu'il pourrait être aussi une réincarnation de Gesar de Ling, ce qui ferait de lui, et de ses successeurs, le seigneur de la guerre! N'a-t-il pas écrit: 
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Les guerriers sont braves et entraînés
Les armes sont biens aiguisées et irrésistibles
Les boucliers sont durs et indestructibles
Les chevaux sont souples et endurants.
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Que les lignes ennemies soient comme des arbres dont les racines ont été coupées;
Que leurs femmes soient stériles comme des ruisseaux que l'hiver a rigidifiés;
Que leurs enfants et petits-enfants soient comme des oeufs écrasés contre des rochers;
Que leurs serviteurs et leurs suivants soient comme des amas d'herbe consumés par le feu;
Que les pays en leur pouvoir soient comme une lampe dont l'huile a été épuisée;
Bref, que toute trace d'eux soit effacée, jusqu'à leur noms.  
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Songtsen Gampo, Padmasambhava, Phagpa et d'autres personnages importants de l'histoire du Tibet figurent également sur la liste sacrée qui établit une filiation des dalaï lamas dont le but politique est évident. Par un système astucieux de pardon et de répartition des investitures, il a triomphé de l'hostilité des autres écoles en se montrant accommodant avec elles de manière à donner de plus larges assises à son omnipotence. Il a gardé la discipline, le talent organisationnel des Gelugpas et leur habileté administratives; il a pris aux Kagyupas la doctrine de la réincarnation et leurs racines nationales; Aux Sakyapas, il a emprunté leur talent diplomatique; aux Jonangpas, leur système cohérent du Kalachakra et aux bönpos la tradition des anciens rois sacrés venus du ciel fondement du trône du Potala. Il a créé un oracle d'État, institutionnalisant ainsi le recours aux devins, profondément enraciné au Tibet; cet oracle est supposé interpréter la pensée d'un chef mongol divinisé, ancien adversaire du Tibet, ce qui est peut-être un clin d'oeil aux Mongols de qui il tient son pouvoir. Il a fait preuve de tolérance envers les adeptes des cultes non bouddhistes présents au Tibet (hindous, musulmans, chinois, chrétiens arméniens). Cette réussite exemplaire lui vaut devant l'histoire le surnom de Grand.

La disparition du Dalaï lama est gardée secrète pendant une quinzaine d'années par le régent qui prétend que le pontife, un mystique, est abîmé dans la méditation. La construction du palais peut ainsi se poursuivre sans problème. On ne saura jamais si le Dalaï lama lui même est à l'origine de cette supercherie, pour se survivre, ou si le régent s'est efforcé, grâce à ce subterfuge, de rester plus longtemps en charge des affaires.  

1683: Naissance du 6ème Dalaï lama, en Mongolie. 

1684: Fin de la guerre avec le Ladakh. Habilement, le régent désigne, comme plénipotentiaire, un Droukpa-Kagyupa, dont l’école est bien implantée dans le pays avec lequel il devra traiter. Cet émissaire a, par ailleurs, étudié à Sera, Ganden et Drepung, des monastères gelugpas. Le Ladakh devient tributaire du Tibet. 

1689: Traité de Nertchinsk. La Russie se voit fixer la limite de sa progression au sud de la Sibérie.   

1694 ou 1696?: Le régent se résout à annoncer la mort du 5ème Dalaï lama.  

Le régent s'est efforcé en vain de fédérer les tribus mongoles. Il s'est allié aux Dzungars (Mongols de l'ouest), qui ont fondé un royaume au Turkestan, sur les bords de l'Ili. L'empereur de Chine, allié des Qoshots (Mongols de l'est), écrase les Dzungars. Or, le chef des Qoshots, Latsang khan, petit-fils de Gushri khan, est toujours officiellement le roi du Tibet. Un conflit est en germe entre le régent et le pseudo monarque du Tibet. Ce pays reste davantage une communauté culturelle qu'une nation. 

1697: Le 6ème Dalaï lama est intronisé. D'origine nyingmapa, il était depuis plusieurs années sous la protection du régent. Son règne sera totalement atypique. Le Panchen lama lui confère les premiers ordres monastiques. Il commence son éducation religieuse à un âge où il n'est plus suffisamment malléable pour accepter les règles qui lui sont imposées. Il refuse de s'engager plus avant dans les ordres. Il préfère mener une vie laïque. Influencé par les Sakyapas, il voudrait même rendre sa fonction héréditaire. C'en est trop pour les notables gelugpas. Une tentative d'assassinat, fomentée à l'intérieur du palais, échoue. Mais ce n'est que partie remise et, lorsque le 6ème Dalaï lama réclame l'exercice du pouvoir, le régent, Sangye Gyatso, un fils présumé du 5ème Dalaï lama, tire argument de sa conduite déplacée pour réclamer son abdication. 

Le Dalaï lama compose de nombreux poèmes et chansons profanes dont la popularité est telle qu'ils sont encore interprétés au 20ème siècle dans les campagnes les jours de fêtes. Il ne dédaigne pas l'alcool et les jeunes beautés de la capitale ne le laissent pas indifférent. Aussi passe-t-il une grande partie de son temps hors du palais. Très populaire, il se déplace à pied plutôt qu'à cheval ou en palanquin.  

Une anecdote est révélatrice. Un jour qu’il se trouve sur une terrasse du Potala, les notables qui l'entourent lui reprochent ses aventures amoureuses. Il leur répond: «Des maîtresses, c'est vrai, j’en ai. Mais vous en avez aussi. Prétendez-vous que mes relations avec elles sont de même nature que les vôtres.» Ceci dit, il s'approche du mur qui ferme la terrasse et urine dans le vide. Devant les spectateurs médusés, le jet remonte à la source et rentre dans son corps*. Ce récit montre que, pour les Tibétains, leur pontife est en possession de pouvoirs magiques. Cela n'est guère étonnant de la part d'une personne dont la première éducation fut nyingmapa. Mais, pour la hiérarchie gelugpa, ces pouvoirs sentent le soufre. Ils frisent l’hérésie. 

* Ce retour de l'urine dans le corps pourrait être une allégorie des pouvoirs tantriques du 6ème Dalaï lama. 

Latsang khan tire prétexte de la conduite du Dalaï lama, qu'il juge scandaleuse, pour décider d'assumer directement la fonction de roi du Tibet restée jusqu'alors symbolique. 

La partie de la Mongolie située au sud de la limite d'intervention russe, passe sous le contrôle de Pékin. Les terres mongoles sont coupées en deux.  

1700: Pékin établit des garnisons à l’est du Kham. 

1702: Le Dalaï lama cède son pouvoir spirituel au Panchen lama. Mais cela ne suffit pas. Des religieux murmurent que l'esprit d'Avalokitesvara l'a quitté.  

1703: Le régent, craignant une intervention quoshot, démissionne en faveur de son fils.  

Les capucins se voient attribuer le droit exclusif d'établir une mission au Tibet par le Saint-Siège.   

1705: Latsang khan, nouvel homme fort du Tibet, dénonce les manoeuvres qui ont dissimulé la mort du 5ème Dalaï lama. Il attaque Lhassa; le régent démissionnaire tombe au main de l'épouse de Latsang, Tsering Tashi, qui commande l'aile droite de l'armée mongole; il est condamné à mort et exécuté de la main même de Tsering Tashi. La régence est suspendue au profit d’un desi. En fait, le desi est un régent, mais j'appellerai ainsi celui mis en place par Latsang khan pour le différencier des autres.  

1706: Le 6ème Dalaï lama est déposé avec l'accord de l'empereur de Chine. Un nouveau Dalaï lama lui succède. Il n'obtient aucun crédit auprès de la population tibétaine qui murmure qu'il est le fils du chef des Qoshots. Latsang khan entoure Lhassa d’une enceinte fortifiée. Le Tibet est devenu un pays occupé par une armée mongole qui jouit de la bienveillance de l’empereur mandchou. 

1707: Disparition mystérieuse du 6ème Dalaï lama, dans le Kokonor (Qinghai), sur le chemin de la Chine. Il a peut-être été assassiné. Cependant, selon une croyance populaire, il est toujours vivant. Epargné par les soldats de son escorte, il serait devenu berger dans l’Amdo. Si cette légende est vraie, pour un esprit occidental, tous les Dalaï lamas qui lui ont succédé seraient des imposteurs; mais il n'en est rien, car un bodhisattva peut connaître plusieurs réincarnations qui ne reviennent pas nécessairement au même moment dans le monde des humains. 

Des poèmes du 6ème Dalaï lama sont  ici . 

Les pères Marie François de Tours et Giuseppe da Ascoli arrivent à Lhassa, en provenance des Indes, après bien des tribulations. Ils se font accepter de la population en pratiquant la médecine gratuitement. Leurs moyens épuisés, Marie François de Tours retourne en Inde dans l'espoir de refaire des fonds. Dans l'incapacité de payer une taxe, il y est emprisonné et, en 1711, Giuseppe da Ascoli doit à son tour quitter Lhassa.  

1708: Naissance du 7ème Dalaï lama, à Lithang (Kham). Le 6ème Dalaï lama l’avait annoncée en ces termes :  
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Grue blanche, bel oiseau 
prête-moi tes ailes! 
Je ne m’en vais pas loin: 
Un jour je reviendrai, par le chemin de Lithang. 
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Le nouveau Dalaï lama est lui aussi poète. Dès que sa découverte est connue, le jeune tulkou excite les convoitises. Le chef des mongols Dzungars, l'empereur de Chine... entrent en compétition pour assurer sa protection. L'enfant s'enfuie et se réfugie au nord du Kham, au monastère de Songzanlin, près de Zhongdian, puis au monastère de Kumbum (Kokonor), pourtant en terre qoshot, mais sous l’aile de Pékin. Un conflit oppose les tribus mongoles les unes aux autres. Les monastères, où les Mongols sont nombreux, se mêlent à la lutte. 

1716: Deux expéditions rivales, des capucins, dont Orazio della Penna, accompagné de douze missionnaires, et des jésuites, Ippolito Desideri et Manuel Freyre, se rendent à Lassa, dans le but d'évangéliser la population. Orazio della Penna passe par le Népal. Desideri passe par le Cachemire et le Ladakh; ses tribulations rappellent celles de Andrade un siècle plus tôt; pour ne pas être emporté par le courant, il s'attache à la queue d'un yack lors du passage des torrents. Les deux équipes finissent par collaborer, dans l'étude de la langue et des textes sacrés, en vue d'en faire la critique et d'en démontrer l'inanité. Latsang khan oblige les lamas de Sera à recevoir les missionnaires au monastère. 

Orazio della Penna décrira un charnier, auprès de Lhassa, où les cadavres des criminels suppliciés sont amputés de leurs tibias pour en faire des trompettes rituelles (voir un résumé de ses notes ici).  
  
1717: Les Dzungars, avec l’appui des dignitaires gelugpas, battent les troupes de Latsang khan. Lhassa est prise et pillée. Latsang khan est tué. Le Dalaï lama fantoche est déposé. Le quartier de Sheul, au pied du Potala, est brûlé. Les trésors du palais sont emmenés vers le Turkestan. 

Les missionnaires catholiques doivent quitter Sera sous la menace.  

1718: Les Dzungars favorisent les Gelugpas et s’en prennent aux autres écoles ainsi qu’aux bönpos. De nombreux monastères sont pillés. Les Tibétains commencent à prendre leurs distances avec ces "libérateurs" devenus des oppresseurs. Des partis s'organisent et se retranchent, à l'ouest du Tibet, en attendant l'heure du soulèvement. 

Au sud de Lhassa, les nonnes d'un couvent, abbesse en tête, se métamorphosent en truies pour se soustraire à la lubricité des envahisseurs! 

Le desi avise l’empereur mandchou qu'il reconnaît le jeune Dalaï lama, toujours au Kokonor, sous la sauvegarde des Chinois. Une armée chinoise entre au Tibet. Elle est massacrée par les Dzungars. 

1720: La Chine réagit vigoureusement; une autre armée chinoise marche sur Lhassa, pour en chasser les Dzungars; elle obtient le concours des partis de l’ouest du Tibet. Pris en tenaille, les Dzungars sont contraints à la fuite. 

Le 7ème Dalaï lama, protégé par la hiérarchie gelugpa, est reconnu comme pontife. Mais les affaires temporelles seront désormais traitées par un représentant de l'empereur de Chine: l'amban*. Une partie du Kham (Bathang, Lithang, Tatsienlou...) est rattachée au Sichuan. Un protectorat chinois de fait est établi sur le Tibet.  

Le desi et deux de ses ministres sont exécutés. Le titre de roi du Tibet est supprimé. Des troupes chinoises tiendront garnison à Lhassa. Les fortifications de la ville sont démantelées. C'est la fin de l'influence mongole au Tibet; en revanche, la domination chinoise se renforce.  

* Markham, dans ses notes au compte-rendu de la mission de Bogle, souligne l'importance de l'avènement des ambans. Mais il ajoute que la suprématie chinoise sur le Tibet était beaucoup plus ancienne. 

1721 (ou 1729): Malgré une apparente réconciliation des missionnaires rivaux, un ordre du pape, auprès duquel les capucins ont porté plainte, rappelle Desideri à Goa puis en Europe. Celui-ci, parvenu à Rome, adresse à la congrégation de la propagande de la foi, trois requêtes contre les capucins. Mais il ne reçoit pas l'autorisation de retourner au Tibet.  

S'il faut en croire Desideri, "Les Tibétains sont d'un naturel doux et docile, mais inculte et grossier. Il n'y a parmi eux ni sciences ni arts, quoiqu'ils ne manquent pas d'esprit. Ils n'ont point de communication avec les nations étrangères..." Le père jésuite aura eu le temps de rédiger une critique de la doctrine du Vide entièrement écrite en poèmes sacrés tibétains! Ce travail est lu avec curiosité par de nombreux moines; le bouddhisme est tolérant envers les autres religions et la critique offre l'occasion d'un approfondissement des connaissances (l'analyse détaillée d'une lettre de Desideri au jésuite Grassi est ici).  

Orazio della Penna et sa petite congrégation continuent leur oeuvre à Lhassa en pratiquant la médecine. Ils sont plus ou moins acceptés par le Dalaï lama, en dépit de l'hostilité des religieux. Une crue subite du fleuve qui traverse la ville manque pourtant de leur être fatale. La multitude y voit un signe de mécontentement des dieux et les menace de les tuer à coups de pierre. 

Le "Grand Atlas de la Chine" inclut le Tibet en tant que province chinoise.  

1722: Mort de l’empereur mandchou Kangxi. Les Qoshots en profitent pour entrer en guerre contre la Chine. 

1724: Les Qoshots sont défaits. L'Amdo (Kokonor), qui était sous la coupe des Qoshots, est séparé du Tibet central et devient une province chinoise (Qinghai); ancienne terre chinoise, cette région n'a été que tardivement occupée par les Tibétains; on se souvient qu'elle fut cédée par la Chine au Tibet lors du traité de 783; elle a ensuite été envahie par les Tangoutes, puis les Mongols; à l'époque de la Route de la Soie terrestre, de nombreux Musulmans s'y installèrent; la population y est donc très composite. La dynastie mandchoue va s'efforcer d'y sédentariser les nomades; ceux-ci disposeront d'une maison d'hiver dans la vallée et d'une maison d'été sur les pâturages des montagnes. Le chapelain tibétain, qui réside à Pékin, joue un rôle important dans ce démembrement de son pays. Il est vrai que le gouvernement mis en place à Lhassa est divisé entre prochinois et nationalistes. 

Une crise économique secoue le Tibet. A l’afflux de signes monétaires apportés par les soldats chinois s’ajoute la défaveur de la monnaie frappée au Népal. Ce pays a en effet pris la mauvaise habitude de mêler du cuivre aux métaux précieux que lui envoient les Tibétains. 

Le Dalaï lama autorise la construction d’une chapelle catholique à Lhassa. 

1725: Un Hollandais épris d'aventure, Samuel Van de Putte, passe par Lhassa probablement envoyé, dans un but commercial, par la Compagnie hollandaise des Indes. Il sera le premier Européen à réaliser le voyage à Pékin via les Indes et le Tibet aller et retour. Il traverse le cours supérieur du Yang Tsé Kiang dans une barque en peau de bête et doit passer la nuit dans une île au milieu du fleuve. On dit qu'il aurait appris le tibétain. Mais ses papiers furent brûlés à sa mort, qui intervint prématurément, et il n'a donc pas laissé d'écrit de son périple.  
  
1726 (ou 1727): Les prochinois sont exclus du gouvernement. L’un d’entre eux est assassiné, peut-être avec la complicité de la famille du Dalaï lama. Un autre, Pholhane, parvient à se réfugier au Tsang et à réunir des alliés autour de lui. 

1727: Une famille de musulmans chinois, les Ma, s'impose dans l'Amdo. Son dernier représentant, Ma Bufeng, sera encore au pouvoir lors de la révolution communiste, en 1949.  

1728: Les troupes prochinoises, sous les ordres de Pholhane, s’emparent de Lhassa. Les adversaires de leur chef sont mis à mort, exilés ou asservis. 

La Chine attribue des titres nobiliaires impériaux à ses alliés tibétains. Une circonscription semi indépendante est créée autour de Shigatse au profit du Panchen lama. L'autorité de ce dernier en sort considérablement renforcée. La carte administrative du Tibet est aménagée. L’est du Kham, où s’étaient installées des garnisons chinoises 28 ans plus tôt, est officiellement intégré à la Chine; des auteurs pensent qu'il s'agit d'une simple restitution, une partie au moins de ces territoires ayant été conquis par le Tibet impérial, et les populations asservies par lui, lors de son expansion au Yunnan (702). Des zones sont rattachées au Qinghai, au Sichuan ou au Yunnan (par exemple Zhongdian). Les limites entre le Tibet, le Sichuan, le Yunnan et le Qinghai sont unilatéralement fixées par l'administration mandchoue.   
  
Le Dalaï lama, accusé de trahison, a dû quitter Lhassa. Il est exilé à l’est du Kham, sous la férule de Pékin, et il perd l'essentiel de ses pouvoirs (voir un résumé des notes de della Penna, ici). 

Deux commissaires impériaux (amban) sont chargés des affaires militaires, un à Lhassa et l’autre à Shigatse. Les troupes chinoises occupent en force le pays. L’empereur de Chine est considéré par les dirigeants tibétains comme le bodhisattva Manjoushri (ou Manjushri), l’Être noble porteur de l’épée. Sous le gouvernement de Pholhane, la paix revient au Pays des Neiges.  
  
1730: Invasion du Bouthan par les troupes tibétaines pour intervenir dans la querelle de succession qui divise le royaume. Le Bouthan est dominé par l'école des coiffes rouges. 

1732: Après seize ans passés au Tibet, Orazio della Penna retourne à Rome pour y chercher de l'argent et des renforts, la plupart des missionnaires venus initialement avec lui étant morts. Il rédige des notes sur la géographie du Tibet, sur ses productions, sur son histoire, sur sa justice et sur sa religion, qui comportent beaucoup d'approximations car, comme ses devanciers, il voit ce pays à travers les lunettes déformantes de sa propre foi (voir le résumé de ses notes ici).   

1733: Une carte du Tibet est publiée à Paris par Jean-Baptiste Bourguignon d'Anville, géographe ordinaire du roi. C'est la première carte à peu près sérieuse sur cette région du globe. Elle a été dressée d'après l'Atlas de l'empire Qing réalisé sur ordre de l'empereur Kangsi. Elle sera validée par les découvertes ultérieures au début du 20ème siècle. 
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Carte du Tibet ou Bout-Tan (sic) - Source: Gallica
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D'après le père Huc, pour Voltaire et Volney, les religions seraient nées au Tibet et le christianisme découlerait donc du bouddhisme tibétain, opinion que le missionnaire catholique ne peut évidemment admettre. Au 18ème siècle, le Tibet intrigue déjà l'Europe; les informations de seconde main qu'on en rapporte sont entachées de préjugés ou de fausses interprétations; certains pensent que le comte de Saint-Germain aurait pu le visiter et en rapporter, peut-être, le secret de son immortalité! 

1735: Retour du Dalaï lama à Lhassa. Le pouvoir est exercé par Pholhane. Il sait habilement ménager les susceptibilités des Mandchous, tout en les tenant à l'écart des affaires politiques. Cet état de fait durera une vingtaine d'années. Il ne gêne pas outre mesure le pontife tibétain qui montre peu de goût pour la politique et préfère s’adonner aux belles-lettres et à sa fonction religieuse. Voici quelques phrases de ce poète moins connu que son prédécesseur : 

«La loi parle de justice mais favorise le puissant; l’homme du commun ne peut pas même utiliser librement ce qui lui appartient.»  

«La richesse est comme la rosée du matin, les louanges sont comme le vent dans les passes des montagnes, la jeunesse physique est comme une fleur de l’automne.» 

Outre une prière récitée le huitième jour de chaque mois, le 7ème Dalaï lama serait l'auteur du mandala de sable du Kalachakra ainsi que des danses compliquées qui accompagnent la cérémonie.  

Samuel Van de Putte repasse par Lhassa. Après avoir traversé le Bengale et s'être rendu à Malacca, il mourra à Batavia, en 1745, avant d'avoir pu rentrer en Hollande. 

1740: Réforme fiscale d’envergure au Tibet. Le taux des taxes sur les terres est révisé.  

Invasion du Sikkim par le Bouthan. Le Tibet impose sa tutelle au Bouthan. 

Escarmouches à la frontière népalaise initiées par le chef des Gurkhas. 

L’impératrice de Russie établit avec les Mongols du lac Baïkal une relation  du type protecteur-religieux analogue à celle qui est supposée régir les rapport de la Chine et du Tibet. 

1741: Publication, à Londres, de l'ouvrage de Bernard Picart "Cérémonies et coutumes religieuses de tous les peuples du monde". Un passage y est consacré au Tibet. Picart y porte, à l'encontre du lamaïsme, l'accusation de blasphème puisque, selon lui, un simple humain, le Dalaï lama, y est adoré comme Dieu. S'y ajoute celle d'impureté, le peuple vouant un culte aux excréments du pontife qu'il porte en sautoir autour du cou. Picart, qui n'a évidemment jamais mis les pieds au Tibet et n'écrit qu'à partir des récits des voyageurs, pense que la réincarnation du Dalaï lama est recherchée avant la mort de ce dernier. Il croit également, comme beaucoup de monde avant lui, que le bouddhisme tibétain n'est qu'un christianisme dégénéré et que le Dalaï lama est le successeur du prêtre Jean.    

1742 (ou 1741): Un Russe, Zaaïev, parvient à Lhassa.   

1745: Orazio della Penna est revenu à Lhassa avec une imprimerie portative. Mais, cette fois, l'opposition des lamas est telle que la mission doit se résigner à quitter le Tibet. La chapelle catholique sera rasée.  

1747: Mort de Pholhane. Il laisse un Tibet pacifié qui a repris une certaine influence dans l’Himalaya. Les relations du Pays des Neiges avec la Chine sont cordiales. La garnison chinoise de Lhassa est ramenée à 500 hommes. 

Gyourme Yeshe Tsetsen, fils de Pholhane, accède au pouvoir. Il entre en conflit avec son frère cadet. 

1750: Gyourme Yeshe Tsetsen fait assassiner son frère cadet. Il décide la formation d’une armée nationale et s’allie aux Dzungars. Il affiche ouvertement sa volonté d’évincer les Chinois du Tibet. La Chine jette du lest en renonçant à nommer le régent, mais les ambans ordonnent l'assassinat de Gyourme Yeshe Tsetsen. Une émeute éclate à Lhassa. Tous les Chinois sont massacrés, les deux commissaires impériaux en tête*. 

* Markham fait état de cette insurrection en 1749. 

1751: La Chine exige le châtiment des meurtriers de ses représentants. Deux nouveaux commissaires arrivent à Lhassa suivis par une armée impériale. Les instigateurs de la révolte sont exécutés. 

La Chine impose de nouvelles réformes. Le Tibet est doté d'un gouvernement central. Une certaine dose de collégialité est introduite. Au sommet de l'édifice, le Dalaï lama est assisté d'un conseil des ministres (kashag) de quatre membres (dont trois laïcs) désignés par le souverain. Une grande assemblée (gyadzom), composée de religieux, de fonctionnaires civils, de nobles, de commerçants et d'artisans, se réunit irrégulièrement. Elle dispose du pouvoir de destituer le régent qui dirige le pays durant la minorité du Dalaï lama. En dehors de cela, ses fonctions sont purement consultatives.  

1756: Le 7ème Dalaï lama se retire du monde et entreprend une retraite spirituelle. 

1757: Mort du 7ème Dalaï lama, au Potala (Lhassa). La régence est restaurée. 

Les Dzungars sont sévèrement étrillés par les troupes chinoises. 

Selon l'écrivain Jamyang Norbu, au cours du 18ème siècle, les hautes tours de pierre de l'Himalaya et les forts de l'ancienne région de Gyalong (aujourd'hui préfectures de Ngaba et de Kardzé dans le Sichuan) jouèrent un grand rôle dans la défense des deux royaumes tibétains, indépendants et de religion Bön, de Rabden et de Tsanlha contre les forces impériales mandchoues soutenues par Lhassa et les Gelugpas. Mais les canons de l'empire eurent raison des forteresses. Jamyang Norbu voit dans ces tours la marque de l'habileté et de la science des Gyalongpas.

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Le temps des régents 

Au cours de cette période, le pouvoir est presque toujours exercé par les régents. Le huitième Dalaï lama ne s'y intéresse pas. Les autres meurent trop jeunes pour l'exercer durablement. On soupçonne même un régent d'assassinat sur la personne de son maître. La Chine, d'abord dirigée par un grand empereur, Qianlong, cherche à accroître sa tutelle sur Lhassa. Mais, au cours du 19ème siècle, les révoltes intérieures et les guerres étrangères sapent l'autorité de l'empereur qui n'est plus en mesure d'intervenir avec autorité au Pays des Neiges. Les puissances coloniales, principalement l'Angleterre et la Russie, commencent à s'affronter au sujet du Tibet. La France s'efforce de pénétrer en Asie grâce à ses missionnaires. Les puissances occidentales imposent leur loi à la Chine, à la suite d'une série de guerres. Pendant cette période, l'image du Tibet en Occident est négative. 

1758: Naissance du 8ème Dalaï lama, dans l'ouest du Tibet. 

1759: Annexion par la Chine de la province du Sinkiang, le Turkestan chinois. Le Turkestan occidental est déjà sous la coupe des Russes. Anglais et Russes ne vont pas tarder à entrer en compétition au sujet du Tibet; ce sera l'époque du "Grand Jeu" pour les Britanniques et celle du "Tourbillon des Ombres" pour leurs adversaires, plus doués pour les allusions poétiques! 

1762: Publication par Antonio Giorgi de "Alphabetum Tibetanum". L'auteur s'efforce de prouver, à partir des travaux d'Orazio della Penna, que le bouddhisme est dérivé du manichéisme. D'après le père Huc, cet ouvrage, rédigé par quelqu'un qui ne connaissait même pas l'écriture tibétaine, n'est qu'un bizarre fatras d'érudition. Les Occidentaux n'ont pas renoncé à l'idée de trouver au bouddhisme tibétain des origines qui leur soient familières. 

Jean-Jacques Rousseau, dans son "Contrat social", fait allusion à la religion du Tibet "si évidemment mauvaise, que c'est perdre le temps de s'amuser à le démontrer. 

1763-1767: Le roi d'Espagne envoie au Mexique le capucin Francisco de Ajofrin, avec sept autres religieux de son ordre, aux fins de récolter de l'argent pour relancer l'évangélisation du Tibet, le Mexique étant supposé plus généreux que l'Espagne. Ajofrin publie, en 1765, à Mexico, une lettre sur l'admirable conquête spirituelle du vaste empire du Tibet par les capucins, plusieurs années après l'expulsion des religieux catholiques du Royaume des Neiges. 

1766: l'Autrichien Joseph Tieffenthaler indique sur une carte le Dolaghir, un très haut sommet toujours couvert de neige que l'on suppose être l'Everest. Ses mesures paraissent exagérées à ses contemporains.  

1768: Les Anglais commencent à envisager l'exportation de marchandises en direction du Tibet. 

Pallas est désigné par l'Académie des Sciences de Saint-Pétersbourg pour faire partie, en qualité de naturaliste, de l'expédition scientifique chargée d'observer en Sibérie le passage de la planète Vénus sur le disque du soleil. Pendant six ans, il explore successivement le cours du Laïk, les bords de la mer Caspienne, les monts Oural et Altaï, les alentours du lac Baïkal jusqu'à la frontière chinoise, le Caucase et différentes parties de la Russie méridionale. Il en ramène une "Description du Tibet", publiée pour la première fois en 1776, qui n'est en fait qu'une transcription de récits de lamas tibétains vivant en Mongolie suivie d'une narration des fêtes et cérémonies qui eurent lieu entre le 22 juin et le 12 juillet 1729, dans le petit village d'Ourga, pour célébrer la réincarnation du Kutuktu (Bogdo-Gegheen). Le récit des voyage de Pallas a été publié en français dans une traduction complète de Gauthier de la Peyronie en 1794 (cet ouvrage est consultable ici), puis, la seule partie concernant le Tibet et la Mongolie, dans une traduction de Reuilly en 1808 (cet ouvrage est consultable ici). 

1769: Le chef des Gurkhas devient maître du Népal à l'issue d'une guerre civile particulièrement cruelle. Les voies de commerce traditionnelles entre l'Inde et le Tibet via le Népal se ferment au grand dam des Anglais. 

1772: Des troubles surviennent dans les royaumes himalayens. Le Bouthan, sous tutelle tibétaine, envahit une région marécageuse du Bengale qui est mal défendue. Les troupes britanniques refoulent les assaillants. L'Angleterre et le Tibet sont au bord de la guerre. 

1773: Des émissaires tibétains arrivent à Calcutta pour régler le différend. Les Tibétains rappellent aux Britanniques que le Bouthan est vassal du Tibet et que tout acte d'hostilité à son encontre entraînerait une réplique tibétaine. Un échange de cadeaux accompagne l’échange de points de vue. 

1774: Les troupes du Bouthan sont vaincues. Le Panchen lama, qui dirige le Tibet pendant la minorité du Dalaï lama, demande aux Anglais de faire preuve de retenue et de respecter les frontières de son pays en laissant espérer la perspective d'un arrangement commercial. 

Warren Hastings, gouverneur des Indes et la Compagnie des Indes orientales, mandatent George Bogle, accompagné de quelques autres personnes dont Alexander Hamilton, un assistant-chirurgien, pour se rendre auprès du Panchen lama, via le Bouthan, et si possible jusqu'à Lhassa, afin d'explorer les possibilités d'envoyer au Bouthan et au Tibet des marchandises impériales en échange d'or, d'argent, de musc et diverses autres productions locales dont la laine de chèvre, la fameuse "laine de châle" utilisée pour la confection des cachemires; cette laine est une sorte de duvet qui pousse en hiver sous la toison d'une variété de chèvres, les keel ou tus; on recueille cette laine par peignage l'été suivant. Hastings souhaiterait obtenir quelques couples de ces animaux, ainsi que d'autres bêtes et plantes du Tibet. Bogle est également chargé d'une mission d'investigation qui va le faire soupçonner d'espionnage; il est par ailleurs équipé d'un attirail européen inconnu au Tibet qui pourrait le faire passer  pour un magicien! En réalité, les Anglais rêvent d'entrer commercialement en Chine par la porte de derrière ce qui n'est pas du goût des autorités de Pékin.   

Cette expédition n'atteindra pas le but recherché. Bogle reviendra bredouille. Mais son bref séjour au Tibet en aura fait un ami fervent de ce pays. Il épousera une parente du Panchen lama et deviendra ainsi l'intermédiaire obligé entre ce dernier et les Britanniques. La mission britannique indisposera fortement la Chine qui estime que les relations extérieures du Tibet sont de son ressort, en vertu des traités. S'il faut en croire Turner, le Tibet était alors sous la dépendance de l'Empire du Milieu. Le Panchen lama, qui dirigeait le pays pendant la minorité du Dalaï lama, aurait d'ailleurs, d'après lui, été pro-chinois, ce qui est d'ailleurs habituel; mais la tutelle de la Chine était encore très légère. Ces assertions ne sont pas totalement compatibles avec celles de Bogle et, à la lecture des témoignages anglais, il est difficile de se faire une opinion définitive sur les rapports qui règnent entre le Tibet et la Chine à cette époque (une analyse détaillée du voyage de Bogle est ici). 

1775: Construction d’une maison et d’un temple pour les pèlerins tibétains de passage à Calcutta. Hamilton, qui accompagna Bogle au Tibet, entreprend, sous l'égide de Warren Hastings, une série de plusieurs missions au Bouthan afin de préparer éventuellement une voie d'accès commerciale vers le Royaume des Neiges.  

Accord entre le Tibet et le nouveau maître du Népal. Il est décidé que la monnaie de mauvais aloi en provenance de ce pays sera échangée; cet accord ne sera jamais suivi d’effet. Les relations entre les deux pays vont se détériorer. Il est probable que le maître du Népal ne voit pas d'un bon oeil l'amorce de relations tentées entre les Britanniques et le Panchen lama, lesquelles risquent de menacer le monopole commercial du royaume himalayen entre le Tibet et les Indes. (Voir ci-dessus 1645 ). Au cours du siècle, le Népal va mettre la main sur le petit royaume du Mustang, dont la population est tibétaine, et qui était jusqu'alors sous la tutelle de Lhassa. 

1777: Le 8ème Dalaï lama refuse d'assumer le pouvoir temporel qui reste provisoirement aux mains du régent. 

1779: Ayant appris que le Panchen lama avait été convié à se rendre à Pékin, les Anglais décident d'envoyer Bogle le rejoindre dans la capitale chinoise. Ils espèrent en effet que le dignitaire bouddhiste pourrait utilement servir d'intermédiaire entre l'empereur de chine et leur émissaire. Malheureusement, le Panchen lama meurt de la variole quelques temps plus tard et cette nouvelle tentative de pénétration britannique n'a pas plus de succès que les précédentes. Bogle décède d'ailleurs lui aussi en novembre 1782.  

1780: Les frères du Panchen lama, dont l'un est le 10ème Sharmapa, de la lignée des régents karmapas, se disputent la fortune du monastère de Tashilhunpo (Shigatse). Les Panchem lamas, proches de Pékin, ont accru leur influence politique. 

Mort du docteur Hamilton. 

1781: Le 8ème Dalaï lama accepte enfin d'assumer l'intégralité de ses fonctions; après lui, pendant un siècle, aucun autre Dalaï lama n'exercera plus le pouvoir; les régents vont devenir tout puissants. La construction du palais d'été (Norbulingka) est entreprise. 

1782: Découverte de la réincarnation du Panchen Lama dans la famille du Dalaï lama. Le 10ème Sharmapa s'enfuit au Népal. D'après Turner, il soupçonne les Chinois d'avoir tué son frère le Panchen lama et craint d'être la prochaine victime.  

1783: Trois Anglais, Turner, Saunders et Davis, accompagnés de serviteurs, se rendent à Tashilhunpo pour féliciter le Panchen lama de sa réincarnation. Ce voyage, qui n'eut pas d'autre résultat que protocolaire, fit l'objet d'un récit publié à Londres, en 1800, (Ambassade au Tibet et au Bouthan). On y apprend que la mère du Panchen lama chantait bien et qu'elle se plaignait de ne pas pouvoir manger de viande, ni boire d’alcool, tant qu'elle allaitait son fils. 
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Le pont à chaînes de Chouca tel que Turner l'a vu (source: B. N.)
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Voici dans quelles conditions s'effectua le périple. Samuel Turner était au service de la Compagnie des Indes lorsque le gouverneur général du Bengale, Warren Hastings, son cousin, lui confia cette mission. Turner arriva le 1er juin à Tassisudon (Thimphu), capitale du Boutan. Il obtint l'autorisation de franchir la frontière et parvint le 19 septembre à Tashilumpo, résidence du Panchen lama, où il rencontra le régent. Il fut présenté au jeune lama, au monastère de Terpaling, au début de décembre. Ensuite, il retourna à Calcutta où il arriva, en mars 1784, avec un accord commercial en poche qui ne fut jamais vraiment appliqué en raison des réticences chinoises (un résumé plus complet de ce voyage est ici).  

1784: Herder, dans "Idées sur la philosophie de l'histoire de l'humanité", émet l'hypothèse que la religion du Tibet n'a pas pu naître dans un environnement aussi rude et qu'elle provient certainement d'un climat plus favorable. Il conclut: "Si une religion sur terre doit mériter les qualificatifs de monstrueux et d'incohérent, c'est la religion du Tibet." 

1785: Le gouverneur du Bengale envoie au Tibet un nouvel émissaire en la personne d'un religieux hidou nommé Pourungir qui en ramènera le récit de l'intronisation du Panchen lama (voir le récit de Pourungir ici). Mais l'empire des Indes perd bientôt son premier gouverneur-général, Warren Hastings. Les tentatives de pénétration anglaise au Tibet vont être mises en sommeil par ses successeurs qui ont d'ailleurs d'autres sujets de préoccupation plus pressants au cours des décennies suivantes, leur domination sur le sous-continent étant mise en cause par des rébellions. Bogle a bien laissé derrière lui un partisan du commerce avec l'Angleterre, dans l'entourage du Panchen lama, mais, après le décès de ce dernier, ce personnage est écarté de la scène politique tibétaine. 

1788: Les Gurkhas du Népal pénètrent au Tibet. Par l'entremise du Sharmapa, un accord est trouvé entre les belligérants. Il impose au Tibet une lourde indemnité de guerre (11 tonnes d'argent par an); le Tibet n'honorera pas sa signature et ce sera une nouvelle cause de conflit. Le protecteur chinois s'est montré pusillanime et a incité ses protégés tibétains à faire preuve de souplesse face aux exigences népalaises; ce premier signe de faiblesse de l'empire chinois en annonce d'autres.  

1791: Début de la régence de Lobsang Tenpei Goeunpo du monastère de Kundeling.  

Les Gurkhas envahissent à nouveau le Tibet pour l'obliger à tenir ses engagements. Tashilhunpo, dont les richesses sont l’objet de leur convoitise, est pillé. Le Dalaï lama s’apprête à fuir de Lhassa.  

L'empereur mandchou Qianlong dépêche une armée de 15000 hommes qui aide les troupes tibétaines à refouler les envahisseurs jusqu'à Katmandou. La victoire tibéto-chinoise, et la présence militaire mandchoue sur les hauts plateaux, donnent à l'empereur l'occasion de renforcer sa tutelle sur le Tibet. D'après Turner, le Sikkim demande même à bénéficier aussi du protectorat chinois. L'Angleterre, qui avait entrouvert une porte, la voit se refermer d'autant plus hermétiquement que les Chinois la suspecte d'être derrière les entreprises des Gurkhas. L'armée chinoise, supérieure en nombre, a écrasé ces derniers. Pour ce faire, elle s'est servi de canons en cuir rapidement hors d'usage mais plus faciles à transporter à travers les montagnes. On dit que son général n'a pas hésité à faire tirer de l'arrière sur ses propres troupes pour les inciter à avancer plus vite.  

Quoi qu'il en soit, les Anglais, tirant les conséquences de la nouvelle situation, reportent leur intérêt sur le Népal, pour contenir et refouler les belliqueux Gurkhas, et sur le Sikkim ainsi que le Bouthan, ce dernier pays étant travaillé par des dissensions internes; il en résulte une longue suite de conflits et de rectifications de frontières au profit de l'empire des Indes. Les Anglais considèrent le Sikkim et le Bouthan, toujours tributaires du Tibet, comme des pays à demi sauvages où l'esclavage est pratiqué.    

1792: Décès du 10ème Sharmapa (suicidé ou empoisonné?). On le soupçonnait d'être l'instigateur du pillage de Tashilumpo. L'invasion des Gurkhas était perçue comme une vengeance du Sharmapa contre les Dalaï lamas coupables d'avoir profité des crimes commis par les Mongols de Gushri khan pour évincer les Kaguypas. La lignée du Sharmapa est supprimée. 

Pour commémorer la victoire sur les Gurkhas, le temple Guan Yu est édifié sur la colline Mopan, au centre de Lhassa, en l'honneur de l'armée envoyée par l'empereur de Chine. 

Qianlong rédige ses "Déclarations sur les lamas". Il y expose que son soutien à l'école gelugpa vise uniquement à maintenir la paix parmi les peuples des steppes mais qu'il n'est pas disposé à aduler les prêtres tibétains comme ses devanciers mongols. La relation traditionnelle qui existait entre l'empereur et le Dalaï lama n'est donc plus, aux yeux de l'empereur mandchou, qu'un élément de sa stratégie politique. Par ailleurs, l'empereur de Chine s'oppose avec fermeté aux tentatives anglaises qui souhaiteraient nouer des relations commerciales avec l'empire du milieu: ce dernier n'a pas besoin des produits de l'étranger! La Chine reste fermée à l'Occident et, par voie de conséquence, le Tibet aussi puisque, pour Qianlong, il fait partie de la Chine. 

1793: La frappe des pièces tibétaines est retirée au Népal. La monnaie du Tibet sera désormais fabriquée à Lhassa.  

Une nouvelle constitution est imposée par la Chine au Tibet. Le Pays des Neiges est soumis à une forme de protectorat. La nouvelle constitution s'étend même aux affaires religieuses. Elle réforme le mode de désignation des réincarnations de façon à ce que la sélection échappe aux luttes de clans. L’empereur de Chine, qui s'étonne que les tulkou soient toujours trouvés dans les mêmes familles nobles, souhaite que le choix s'effectue par tirage au sort et qu'il lui soit soumis pour approbation. Mais ces changements resteront lettre morte. Pékin est trop loin et la Chine n'est pas assez puissante pour faire triompher ses vues. 

Qianlong a été initié au Kalachakra. Les empereurs mandchous suivront sa voie et se considéreront comme les chefs du bouddhisme en Chine se plaçant ainsi en concurrents directs des Dalaï lamas.  

Le frère d’un favori de Qianlong devient amban. Il nommera et destituera les notables de l’État. Le Dalaï lama et le Panchen lama devront passer par son intermédiaire pour s’adresser à l’empereur. 

Les étrangers qui entreront au Tibet devront être munis de passeports délivrés aux frontières par les autorités chinoises. 

Ces réformes visent moins à réduire les pouvoirs des pontifes et de leurs ministres qu’à affaiblir l’influence d’une puissante famille tibétaine qui cumule postes et honneur, même au-delà des frontières puisque l’un de ses membres est devenu Kutuktu en Mongolie. Le Fils du Ciel redoute qu’une alliance entre les peuples des steppes ne menace encore une fois son empire. 

La Chine voudrait également mettre fin aux pratiques tibétaines en matière de funérailles qu’elle juge bestiales. Elle souhaiterait généraliser l’enterrement. Cette réforme se heurte à une franche hostilité de la population qui regarde comme une profanation le fait d’enfouir des cadavres dans le territoire des divinités chthoniennes. Elle ne sera jamais appliquée. 

1794: Délimitation des frontières entre le Tibet, le Népal, le Bouthan et le Sikkim. 

1795-1796 (an 4): publication en France des Voyages au Tibet, faits en 1625 et 1626, par le père d'Andrade, et en 1774, 1784 et 1785, par Bogle, Turner et Pourunguir, traduits par J. P. Parraud et J. B. Billecocq (cet ouvrage est consultable ici). 

1796: Abdication de Qianlong. Il a porté la puissance de l’empire chinois à son apogée. Jiaqing lui succède. 

L’empire ne va pas tarder à entrer en crise. Une révolte des Miaos éclate au Sichuan, au Hunan et au Guizhou. La secte du Lotus blanc ensanglante le Sichuan, le Henan et le Shanxi. La Chine ne va bientôt plus être en mesure d'assurer le protectorat du Tibet. 

1798-1799: Guerre du Mysore. L’empire britannique est contesté en Inde.  

1803: Guerre des Marathes, toujours contre les Britanniques, en Inde.  

1804: Mort du 8ème Dalaï lama, au Potala (Lhassa). On a vu le peu d'intérêt qu'il manifestait pour le gouvernement du Tibet. Le régent devient le plus haut dignitaire politique du pays. 

1805: Naissance du 9ème Dalaï lama, à Dokam Danchu Khor.  

Le fils d’un ministre évincé lors de la guerre contre les Gurkhas accède à son tour au ministère, sous la pression d’un nouvel amban. Une enquête, diligentée à la demande de Jiaqing, révèle que la protection de l’amban a été achetée. Les coupables et leurs proches sont punis. 

1807: Le Traité de Tilsitt, qui concrétise le renversement des alliances en Europe, transforme la Russie et l'Angleterre en rivales en Afghanistan amorçant ce que l'on appellera Le Grand Jeu, expression qui symbolise l'opposition des deux puissances en Asie. 

1808: Le nouveau Dalaï lama est intronisé. 

Le régent administre le Tibet au mieux de ses possibilités. Il fait face à des insurrections à la frontière est du pays, dans des zones passées sous contrôle chinois au début du siècle précédent. Les troubles intérieurs qui divisent la Chine interdisent à l’empereur toute possibilité d’intervention sérieuse au Tibet. Ce pays recouvre partiellement son indépendance. 

J. Reuilly, auditeur au Conseil d'État, membre de la Légion d'Honneur, sous-préfet de Soissons, correspondant de l'Institut, publie une Description du Tibet inspirée de conversations en Crimée et de la traduction d'un ouvrage en allemand rédigé par Pallas (voir ci-dessus) qui tenait ses informations de lamas tangoutes assimilés à des Tibétains*. A côté de renseignements assez exactes, on trouve dans cet ouvrage de seconde main beaucoup d'erreurs et d'approximations. Les Occidentaux résistent difficilement au penchant naturel qui les conduit à analyser les religions des peuples orientaux à partir des croyances et des rites chrétiens. On retiendra de ce livre l'existence du Kutuktu, Bogdo-Gegheen de Mongolie et du Dalaï lama, du Potala, du Jokhang, de Drepung et de Sera, affublés de noms fantaisistes. Les excréments et l'urine du Dalaï lama sont soigneusement recueillis pour fabriquer des médicaments ce que d'autres sources confirment. Le rite de la bénédiction par le Dalaï lama semble décrit assez fidèlement. Le Tibet est présenté comme un pays loin d'être dépourvu de ressources, notamment minières (or et argent), ce qui est vérifié. Ce pays est réputé placé sous la tutelle chinoise depuis très longtemps, à une date qui remonterait au 12ème siècle, à l'exception du sud qui jouirait d'une plus grande autonomie. Les empereurs de Chine auraient accordé des titres à des lamas au cours des siècles; il leur est arrivé de mander en Chine le Dalaï lama pour exercer sur lui de fortes pressions et même de susciter de faux Dalaï lamas pour intervenir dans les affaires politiques et religieuses du Tibet, en accord avec des factions de ce pays (ce qui n'est pas totalement faux). On soupçonne l'empereur Qianlong d'avoir assassiné le Panchen lama parce qu'il se montrait trop favorable au Anglais (Turner le laisse aussi entendre). Le Dalaï lama aurait décidé de ne pas se réincarner après sa mort. La description de la vie monastique comporte des traits véridiques (rosaires, moulins à prière, existence d'ermites, de moines mariés et de moines voués au célibat sans que l'auteur n'explicite cependant pourquoi...). Les fêtes qui rythment l'année sont rapportées rapidement mais assez fidèlement. La cérémonie du mariage est décrite succinctement mais de manière réaliste le futur époux allant chercher sa promise chez ses parents en cortège. Mais l'ondoiement à la naissance est assimilé à une sorte de baptême et la présentation des divers types de funérailles est confuse et visiblement incomprise, sans parler des messes dites par les lamas pour le repos des âmes! La polyandrie est présentée comme une déviance, ce qui est faux. Le Dalaï lama enverrait, dans les pays soumis à son influence religieuse, des indulgences rédigées dans les trois langues: chinoise, mongole et tangoute, c'est-à-dire tibétaine, selon la confusion entretenue par l'auteur de l'ouvrage; en échange de cadeaux, ces indulgences apporteraient à leurs bénéficiaires le bonheur dans cette vie et le salut dans l'autre, concepts chrétiens qui n'ont que de lointains rapports avec ceux du bouddhisme. L'ouvrage décrit ensuite d'interminables et somptueuses festivités qui se tinrent à Ourga, en Mongolie, en présence du Kutuktu, dont on retiendra seulement les joutes de lutteurs et de tireurs à l'arc ainsi que les courses de chevaux. Le livre se termine sur une Description géographique du cours du fleuve Anadyr et des ruisseaux qui s'y jettent. Bref, cette Description du Tibet, rédigée par une personne qui n'y est pas allée, si elle n'est pas complètement dépourvue d'intérêt, doit être utilisée avec précaution. Elle a au moins le mérite de montrer quelle image on avait du Royaume des Neiges en France sous l'Empire. 

* Une remarque: d'après Markham, les Tibétains appelaient la région qu'ils habitaient le pays de Bod; ce sont les Occidentaux qui lui auraient donné successivement les noms de Tangut puis de Tibet. 
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Quelques notes de bas de page de Pallas (traduction Reuilly) 

Le Tibet était demeuré inconnu jusqu'au siècle dernier, et le serait peut-être resté, sans la curiosité de l'empereur Kan-hi, qui en a fait parcourir toute l'étendue, jusqu'aux sources du Gange, par des Tatars, auxquels on avait donné quelques leçons de mathématiques. 

Le nom mongol de ce fleuve (Khatoun-Goll) est attribué à l'événement suivant, dont je ne garantis pas l'authenticité. Le grand Gengis-Khân, suivant la tradition mongole, entreprit une expédition au Tibet contre le Chouddourga Khan , pour lui ravir une de ses femmes. Il parvint facilement à s'en emparer ; mais lorsqu'à son retour il fut arrivé sur les bords du Khoango, cette femme le poignarda dans son camp, pendant la nuit, se précipita ensuite dans le fleuve, qui depuis sa mort a conservé le nom de Khatoun-Goll (fleuve des femmes ); il coule du sud-ouest vers la Chine, et forme, à ce qu'on assure, une limite naturelle entre le Tangout, la Chine et le pays des Mongols. 

On trouve de l'or dans les sables de la grande rivière et de plusieurs petits ruisseaux et torrens qui viennent des montagnes; mais outre l'or ramassé de cette manière, il y a des mines de ce métal dans les parties septentrionales du Tibet: elles sont affermées au nom du Dalaï-Lama. L'or s'y présente sous forme métallique pure, et n'exige d'autre travail que celui qui est nécessaire pour le séparer de la pierre ou du silex, auquel il adhère. Une mine de plomb près de Tcchou-Loumbou, contient de l'argent dans une assez grande proportion pour engager à l'exploiter, dans l'objet seul de se procurer ce métal. Le hasard a presque seul contribué, jusqu'à présent, à faire découvrir dans le Tibet des mines très riches: ce pays serait digne de la curiosité des physiciens et des recherches des minéralogistes. 

Elles m'ont été fournies (des informations) par des prêtres Tangoutes qui vivent chez ces peuples, et par Gambo-Lama, chef du clergé Mongol, qui est sous la protection de la Russie: il avait fait dans sa jeunesse un pèlerinage au Tibet.

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1810: Un nouveau régent, Thoubten Djigmé Gyamtso, entre en scène. Il remet en cause les règlements de 1793. Aucune marchandise étrangère ne peut plus pénétrer au Tibet. 

1811: Un scientifique anglais, Thomas Manning, tour à tour mathématicien, ingénieur et médecin, se met en tête de se rendre en Chine après en avoir appris la langue. Comme l'entrée du pays lui est interdite, l'idée lui vient de passer par le Tibet, où on ne l'attendra pas. Grâce à ses connaissances en médecine, il se lie d'amitié avec un général chinois, ce qui facilite grandement son équipée.   

La peinture qu'il donne du Tibet est intéressante à plus d'un titre. D'abord, il insiste sur la malpropreté des Tibétains. Ensuite, il met en exergue l'omniprésence des Chinois. Dans chaque ville réside un mandarin et une garnison de soldats chinois. Les relais de poste sont chinois. Les mariages mixtes sont nombreux. Les Chinois se comportent au Tibet comme en pays conquis. Mais cela ne gêne que très peu Manning, admirateur de la civilisation chinoise, qui apprécie peu les Tibétains.   

Sa description de Lhassa n'est pas enthousiaste, loin de là. Le Potala lui est apparu imposant, mais quelque peu délabré. La route grouille de moines et de mendiants. La ville, de dimension médiocre, est noire de suie et de crasse. Ses rues sont pleines de chiens mâchonnant de vieilles peaux qui dégagent une odeur de charnier. Beaucoup sont malades ou boiteux. Les rires de la population ont quelque chose d'hallucinant.   

Manning rencontre le jeune Dalaï lama et son régent; il leur offre des chandeliers et une bouteille d'eau de Cologne bon marché; mais la bouteille se brise inopportunément. Notre Anglais fait état d'une rixe ayant dégénéré en émeute anti-chinoise qui s'est produite avant son arrivée à Lhassa; cet événement n'a pas été rapporté fidèlement à Pékin et un mandarin a même été exécuté pour avoir refusé de contresigner le rapport mensonger rédigé par ses collègues. Manning exerce la médecine; il a la chance de soigner deux jeunes femmes tibétaines si belles qu'il en a le pouls déréglé! Un de ses patients étant malencontreusement décédé, les affaires tournent mal pour lui. Il se trouve à court d'argent et en est réduit à vendre une partie de ses bagages. La fatalité s'acharne sur notre explorateur. Il se sent abandonné par la fortune et craint d'être exécuté par les Chinois qui le soupçonnent de cacher ses véritables desseins. Finalement, il s'en tire et, pour garder sa tête sur ses épaules, après quelques mois seulement de séjour sur le Toit du Monde, il regagne les Indes au lieu de se rendre à Canton en traversant la Chine, but de son voyage. Son journal sera publié en 1876. 

L'équipée de Manning montre au moins que, si la frontière du Tibet est toujours officiellement fermée aux étrangers, un individu entreprenant peut tout de même pénétrer dans le pays et même arriver jusqu'à sa capitale, à condition de parler chinois (Une analyse plus détaillée du voyage de Manning est ici).   

1811 (ou 1812): Un vétérinaire anglais, Moorcroft, un officier de l'armée du Bengale et un pandit, accompagnés de 50 coolies, franchissent l'Himalaya, vers la lac Manasarovar et le mont Kailash. Moorcroft ne perd aucune occasion de lutiner les bergères locales. Il est vrai que, pour tromper la vigilance des gardes-frontières, il se déguise lui même en berger ou en pèlerin. Cette supercherie ne sert à rien. Arrêtés par les Tibétains, lui et ses compagnons sont détenus au Dava Dzong, près du fleuve Sutlej. Grâce à l'appui d'une tribu, celle des Bhotia, ils finissent par trouver le moyen de s'enfuir en Inde. L'Anglais poursuit bien sûr d'autres buts que la seule satisfaction de ses appétits sexuels. Il cherche à ouvrir une voie commerciale entre l'Inde et le Tibet. Chemin faisant, il s'est rendu compte que les Russes s'intéressaient eux aussi au Tibet, et peut-être également aux Indes. Mais ses avertissements aux autorités britanniques resteront pour le moment sans suite. 

1813: Nouveau soulèvement de la secte du Lotus (ou nénuphar) blanc dont les affidés parviennent jusqu’aux portes de Pékin.  

1814: Guerre entre le Népal et la Grande-Bretagne. Les Britanniques chassent les Gurkhas du Sikkim, territoire sous la tutelle du Tibet et par conséquent vassal de la Chine. L'Angleterre va obtenir la nomination d'un résident au Népal. Hodgson occupera ce poste de 1816 à 1829. Il réussira à nouer des relations épistolaires avec le Dalaï lama et en obtiendra de précieux documents sur les missions chrétiennes à Lhassa au cours du siècle précédent.   

1815: Mort du 9ème Dalaï lama, au Potala, d’une pneumonie. A peine âgé de 10 ans, il n'a pas eu le temps de régner. 

1816: Naissance du 10ème Dalaï lama, à Pobor Gang. 

Plusieurs tulkou étant candidats à la succession du pontife décédé, l’empereur de Chine, dans un sursaut d’autorité, exige que son choix résulte du tirage au sort. 

1817: Manning, sur le chemin du retour en Angleterre, s'arrête à Sainte-Hélène où il rencontre Napoléon; il se souvient que l'Empereur déchu l'a autorisé à rentrer en Angleterre après la rupture de la paix d'Amiens. 

1819: Un nouveau régent, Tsomeuling Ngawang Djampel Tsultrim, fait son apparition. Il est affecté par des crises de folie passagères. Le pouvoir passe partiellement entre les main d’un ministre influent, Shatra Teundroup Dordje, qui est aussi chef de guerre. 

Moorcroft repart, cette fois pour une mission d'espionnage, dans les pays qui bornent le Tibet du côté de l'ouest.   

Chemin faisant, il rencontre un Hongrois, Alexandre Csoma de Köros. Ce dernier est dans la région pour y étudier les langues orientales. Il espère remonter jusqu’aux origines de sa langue maternelle. Il va se fixer dans la région et y mourra en 1842, sans être parvenu à Lhassa. Entre temps, vivant comme un ermite, il se plonge dans l'étude et la traduction des textes tibétains. Il sera un temps pris pour un espion russe par les autorités de l'Inde britannique. Ayant fait la connaissance d'un collectionneur érudit anglais, Brian Hodgson, il obtient néanmoins un emploi de bibliothécaire à Calcutta et publie, en 1834, deux ouvrages importants: un "Essai d'un dictionnaire tibétain-anglais" et une "Grammaire de la langue tibétaine". Csoma n'a jamais visité le Tibet et il est pourtant, parmi les Occidentaux, celui qui l'a sans doute le mieux connu.  

1820: Disparition de l’empereur Jiaqing. 

Dans son "Abrégé de l'Histoire Générale des Voyages", Laharpe consacre un chapitre relativement long au Tibet. Il distingue trois Tibet, à savoir le Ladakh, le Bouthan et le Tibet proprement dit. On trouve dans cette narration beaucoup de traits piquants, dont certains sont exacts et d'autres plus ou moins sujets à caution. Le caractère sacré des excréments et de l'urine du Dalaï lama y est une nouvelle fois rapporté (voir ci-dessus 1667 et 1741). Mais, l'auteur n'ayant jamais mis les pieds au Tibet, son texte n'est qu'une compilation de récits des voyageurs, missionnaires ou émissaires des puissances européennes, qui se sont rendus sur le Toit du Monde et dont la plupart ont été présentés ci-dessus (Marco Polo, Andrade, Grueber, della Penna, Desideri, Pallas, Bogle, Turner...). 
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Lhassa au début du 19ème siècle  
D'après Nikita Yakovlevich Bichurin, un missionnaire sinologue russe
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1821: Daoguang devient empereur de Chine. 

Sous la Restauration, un industriel, Ternaux, tente d'introduire en France la chèvre du Tibet pour se procurer à bon compte la matière première nécessaire à la confection des châles du Cachemire. 

1827: Une réforme de la fiscalité de Pholhane est entreprise. Elle vise à soumettre à l’impôt les nouvelles terres mises en culture. Les notables, qui garnissent les rangs de l’administration et de l’armée, sont dégrevés. Les inégalités sociales en sortent renforcées. 

1828: Shatra Teundroup Dordje se rend à l’ouest du Tibet et au Ladakh pour y contenir la révolte d’un chef mongol. 

1830: Kanam Depa, roitelet tributaire du Tibet, refuse de payer sa redevance. Son pays est à la frontière de la Chine et de l’Assam britannique. Le risque d’extension du conflit est donc loin d’être négligeable. 

1832: Victor Jacquemont écrit, dans une correspondance, à propos des traductions de Csoma: "C'est à dormir debout: il y a une vingtaine de chapitres sur la chaussure qu'il convient aux lamas de porter. Entre autres platitudes extravagantes dont ces livres sont remplis, il est défendu aux prêtres de prendre la queue d'une vache pour s'aider à passer à gué une rivière rapide. Il ne manque pas de dissertations profondes sur les propriétés de la chair des griffons, des dragons ou des licornes, et sur les vertus admirables de la corne des chevaux ailés. A juger de ce peuple par ce que j'en ai vu, et par ce que les traductions de M. Csoma en font connaître, on dirait un peuple de fous ou d'idiots. 

1834: Fondation du monastère bönpo de Yundrung Ling au Tibet central. 

Les Drogpas, inféodés aux dirigeants de l’État que les Sikhs ont constitué au Cachemire, au Penjab et au Jammu, entrent au Ladakh, conduits par Zorawar Singh. Des milliers de réfugiés affluent au Tibet. Une guerre cruelle, qui coûtera la vie à 15000 sujets du roi descendant des anciens empereurs du Tibet, se déroulera jusqu'en 1842. Le monarque vaincu sera déposé et placé en résidence surveillée, à proximité de sa capitale. Les trois quart des moines seront contraints de s'exiler au Tibet par les nouveaux maîtres du pays qui pensent ainsi assujettir la population du royaume. 

Tension entre le Sikkim, dominé par l'école des coiffes rouges, et le Tibet, son tuteur, dirigé par l'école des coiffes jaunes. Les britanniques servent de médiateurs. 

1835: Une armée tibétaine de plusieurs milliers d’homme, aidée par l’amban, entre en lice contre Kanam Depa. 

Mort à Paris de Julius Klaproth, cet Allemand, qui accompagna un ambassadeur de Russie à Pékin en 1805, a laissé une traduction d'un dictionnaire historique et géographique de Chine dans laquelle sont décrites des régions du Tibet. 

1837: Mort du 10ème Dalaï lama, au Potala (Lhassa). Il décède peu après avoir atteint sa majorité, dans des circonstances suspectes; le régent est soupçonné d’assassinat; d'après Markham, il pourrait être à l'origine de la mort des trois derniers Dalaï lamas. Ce personnage trouble, soutenu néanmoins par une grande partie du clergé tibétain, aurait été originaire du Gansu. Tous les pouvoirs reposent désormais sur sa tête fragile. 

1838: Naissance du 11ème Dalaï lama (1838-1855), à Domie Garther. Son choix s'effectuera uniquement par tirage au sort, selon la volonté de la Chine, et l'on murmurera qu'il n'y avait que son nom dans l'urne d'or qui servit à la cérémonie. Le régent attendra quatre ans avant d'annoncer cet heureux avènement. 

Mort de Kanam Depa. Le Tibet recouvre la tutelle de son fief. 

1839: Début de la première guerre de l’opium. Au nom du libre échange, l’Angleterre entend imposer à la Chine l’achat de l’opium provenant de ses colonies de l’Inde. La Chine refuse de se soumettre à une exigence qui se traduirait par l’intoxication de sa population, sa dégénérescence et qui, au final, entraînerait sa soumission aux puissances occidentales. 
 
Le Bouthan enlève une douzaine de ressortissants anglais. 

1841: Les Drogpas, qui ont envahi le Ladakh, pénètrent à l’ouest du Tibet. Les Tibétains doivent faire face sans le secours des Chinois. Ils finissent par triompher mais leur adversaire, Zorawar Singh, qui a péri dans les combats, entre dans la légende. Ses prouesses vont être colportées à travers la région jusqu’au 20ème siècle. Le succès des troupes tibétaines va être à l'origine de la fortune politique de Shatra Wantchoung Gyelpo. 

Le Bouthan saisit cinq villages de l'empire des Indes.  

1842: Intronisation du nouveau Dalaï lama par le Panchen lama qui fut rencontré enfant par Turner; ce dignitaire religieux tibétain jouit d'une grande popularité qui s'étend jusqu'en Mongolie. 

Les Tibétains prennent l’offensive au Ladakh. Ils se heurtent à des troupes armées de fusils et de canons britanniques. Leurs épées, leurs lances, leurs mousquets à mèche et leurs incantations ne font plus le poids; ils doivent se replier. Mais la leçon ne sera pas retenue. Le Tibet règle seul son différend avec les Drogpas. La compétence chinoise, en matière d’affaires étrangères, est purement et simplement ignorée. La Chine, qui sort avec difficultés de la guerre de l’opium, garde le silence. Les frontières du traité de 1684 sont confirmées. 

Les Anglais essuyent une terrible défaite en Afghanistan qui met provisoirement un terme à leur velléités d'expansion en Asie centrale. De nouvelles incursions bouthanaises ont lieu au Bengale; elles dureront jusqu'en 1856. 

Le Traité de Nankin met fin à la première guerre de l’opium. La France et les États-Unis exigent leur part du gâteau. La Chine, vaincue, doit s’incliner. Des concessions sont attribuées aux puissances occidentales qui prennent pied dans l’empire du milieu. C’est le début d’une colonisation qui n’ose pas encore dire son nom. La population rend la dynastie mandchoue responsable de cette situation. Des troubles vont déchirer l’empire du milieu jusqu’à la victoire des communistes en 1949. 

1843: Publication par Isaac Jacob Schmidt d'une traduction en français du "Sûtra du sage et du fou".   

1844: Le régent du Tibet, qui a pris goût au pouvoir, affiche une attitude de plus en plus provocante. Il ne se déplace plus qu’accompagné du faste réservé au Dalaï lama. La population de Lhassa est choquée. Il favorise le monastère de Sera au détriment de Drepung et de Ganden. Les grands monastères se révoltent et sollicitent l’arbitrage de l’empereur de Chine. Celui-ci délègue un nouvel amban: Qishan; Qishan est, en fait, éloigné de la cour pour lui permetre de se racheter car il est tenu pour responsable des conséquences désastreuses de la guerre de l'opium. Il dépose le régent qui est exilé après avoir reconnu ses crimes sous la torture. Sera entre en rébellion. La révolte est mâtée par les troupes sino-tibétaines. Comme il n’y a plus de régent et que le Dalaï lama est encore mineur, l’amban demande au Panchen lama d’exercer le pouvoir. Ce dernier accepte, non sans réticence, pour restaurer la cohésion des Gelugpas. Le choix des régents passe des monastères d'où ils étaient jusqu'alors issus aux monatères réputés favorable à la Chine.  

Signature du  traité de Whampoa entre la France et la Chine. Ce traité permet aux Français de commercer avec les Chinois dans cinq ports différents. Il favorise aussi les missions chrétiennes. La religion catholique est désormais tolérée en Chine. C’est une des conséquences de la guerre de l’opium.  
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Le père Huc déguisé en Chinois
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Deux missionnaires Français, les pères Huc et Gabet, se dirigent vers le Tibet, déguisés en moines gelugpas, dans l'idée d'aller frapper le bouddhisme à sa source, c'est-à-dire à Lhassa résidence de son pape. Partis de Mongolie, ils assistent, médusés, à la fête des fleurs au monastère de Kumbum. L'affluence des pèlerins les impressionne vivement. Huc croit découvrir, dans l'habillement des moines et certains détails du rituel bouddhique, des éléments qui font penser au christianisme. Toutefois, la religion tibétaine ne peut être que diabolique aux yeux d’un chrétien. Les deux hommes traversent l'Amdo en compagnie de la caravane envoyée par le Dalaï lama à Pékin, avec des cadeaux destinés à l'empereur, laquelle revient dans son pays. Cette caravane est attaquée par des brigands. Ces derniers se contentent de l'intimider. Ils respectent les présents destinés au Dalaï lama et ne pillent que ceux qui s'en vont à Pékin. Il n'y a pourtant pas de quoi être rassuré. Ne dit-on pas que les Goloks dévorent le coeur de leurs victimes? Gabet tombe malade et il faut l'attacher à sa monture. (L'itinéraire du père Huc est ici ). 

A l'est du Bouthan, les Anglais passent un accord avec la tribu des Tawang Butheas, vassale du Tibet, qui renonce à ses prétentions sur une partie de l'Assam en échange du versement d'une pension annuelle. 

1845: Un nouveau régent est nommé: Ngawang Yeshe Tsultrim Gyaltsem du monastère de Reting. L’homme fort du pays est Shatra Wantchoung Gyelpo, auréolé de gloire après le semblant de victoire remporté sur les Drogpas.  

1846: L’autorité de Gulâb Singh sur le Cachemire et le Jammu est reconnue par les Britanniques. Il dirige un État à demi indépendant.  

Après bien des péripéties, Huc et Gabet arrivent mal en point dans la capitale du Tibet. Les missionnaires s'y installent comme ils peuvent. La description que le père Huc donne de la cité n'est pas très éloignée de celle de Thomas Manning. Les rues sont larges et bien alignées, mais deviennent boueuses dès qu'il pleut. Il n'y a pas d'égouts. Les fenêtres sont en forme de trapèze. Les murs sont chaulés. L'intérieur des maisons est extrêmement sale. Il y règne une odeur de fumée, de bouse, d'excréments humains et de pourriture. Pendant le jour, les rues grouillent d'une foule composite, de Tibétains et d'étrangers, où abondent mendiants et moines. Les femmes portent des bijoux et sont barbouillées de graisse noire, pour se protéger du soleil. Les Cachemiriens musulmans sont commerçants. Les Chinois sont commerçants, fonctionnaires ou soldats. Les Tibétains les méprisent mais leur tirent toutefois la langue, en signe de respect, lorsqu'ils les croisent. Huc reconnaît tout de même que le Potala mérite son renom. Les grandes sculptures colorées, en beurre de yack, détruites sitôt finie la cérémonie pour laquelle elles ont été réalisées, suscitent son admiration.  

Enregistrés à la police, Huc et Gabet sont bientôt reçus affablement par Shatra Wangtchoug Gyelpo. Ils se préparent donc à convertir les âmes. Mais quelques jours plus tard, ils reçoivent, à plusieurs reprises, la visite d'individus visiblement chargés de les espionner. Ils finissent par être convoqués chez l'amban Qishan qui les interroge et les place sous surveillance jusqu'au lendemain. Ils sont alors reconduits chez eux par les officiels chinois et tibétains. Un officier à cheval et en armes les précède. Une foule de badauds les accompagne. Leurs bagages sont emmenés jusqu'au tribunal où on les fouille pour en examiner le contenu. La découverte de petites cartes imprimées aurait pu leur être fatale. Le représentant du pouvoir chinois soupçonne en effet les Français de se livrer à des activités d'espionnage et de procéder à des relevés topographiques pour préparer une invasion. Mais Huc a l'idée de flatter la vanité de l'amban: une personne aussi instruite que lui ne peut pas se méprendre et confondre des cartes imprimées à l'étranger avec des dessins réalisés au Tibet. La ruse du père Huc réussit et les deux lamas du Seigneur des cieux d'occident en sont quittes pour la peur. Ils commencent à évangéliser. Mais les quelques succès qu'ils remportent auprès des Tibétains sont dus à la faconde du père Huc et à son art de décrire les merveilles techniques européennes plutôt qu'à la religion. Leur répit n'est d'ailleurs que de courte durée. A quelque temps de là, définitivement convaincus d'espionnage, ils sont expulsés du Tibet, sur ordre de Qishan. Le voyage du retour, par la route du sud, est particulièrement périlleux. Des bêtes de trait et des hommes y laissent la vie. De plus, une fois éloignés des lieux les plus fréquentés, les Tibétains ne se gênent plus pour manifester leur animosité à l'encontre des deux religieux et de leur escorte; les soldats chinois, pourtant fortement armés, ne sont pas tranquilles.   

Revenu à Macao, son point de départ, Huc rédige le récit de son voyage qui paraît en France en 1850 sous le titre "Souvenir d'un voyage dans la Tartarie, le Tibet et la Chine pendant les années 1844-1845". Cet ouvrage se lit encore avec intérêt malgré les préjugés chrétiens qui s'y manifestent (une version électronique de ce texte est  ici). Un second ouvrage "Le christianisme en Chine, en Tartarie et au Thibet" le complétera quelques années plus tard. De ces deux ouvrages ont peut tirer les enseignements suivants: 1°)- Tout d'abord, le Tibet n'est pas la Chine, mais le représentant de ce dernier pays, protecteur du Tibet, n'en exerce pas moins une influence prépondérante au Pays des Neiges; c'est lui qui obtient le départ des deux missionnaires français contre la volonté du régent qui dirige le gouvernement tibétain. 2°)- Les lamas rencontrés par Huc et Gabet, au cours de leur voyage, font preuve d'une grande tolérance à l'égard du catholicisme; ils invitent leurs interlocuteurs à ne pas fonder leur jugement du bouddhisme tibétain sur les superstitions qui ont cours parmi le menu peuple; quant à eux, ils trouvent beaucoup de points communs entre leur religion et celle colportée par les lamas des cieux d'Occident; ils se disent prêts à considérer les mérites respectifs des deux religions afin d'adopter la meilleure; cette attitude renforce l'opinion du père Huc selon laquelle le bouddhisme tibétain n'est qu'une version dégénérée du christianisme. Les deux missionnaires français réussissent à convertir quelques personnes, dont un médecin chinois; c'est bien peu. Mais, si les résultats du voyage des pères Huc et Gabet sont maigres, ils n'en suscitent pas moins des espérances qui amènent le pape à ériger le Tibet en vicariat apostolique. Un point mérite enfin d’être souligné: les Tibétains ne sont pas fondamentalement hostiles aux étrangers; ils se montrent même plutôt ouverts et accueillants. Si le pays est fermé, ce n’est donc pas du fait de sa population.  

Profitons de l'équipée des deux missionnaires français pour faire le point sur l'image du Tibet qui prévaut alors en Occident. Au cours du 19ème siècle, de nombreux ouvrages évoqueront ce pays. Ils sont trop nombreux pour les analyser tous. Pour l'essentiel, voici ce qui en ressort. Pour nombre de catholiques, si le bouddhisme tibétain, on l'a vu, n'est qu'un christianisme abâtardi, on ne s'accorde pas sur l'origine des influences chrétiennes sur ce culte: séjour de Jésus dans l'Himalaya, contacts avec le nestorianisme... On pense même que Tsongkhapa a pu être incomplètement évangélisé par un missionnaire catholique mort trop tôt pour avoir entièrement converti son disciple; c'est d'ailleurs ce que pense le père Huc. Pour les protestants, Bouddha est un réformateur du brahmanisme, en quelque sorte un protestant avant la lettre! Mais le bouddhisme du Pays des Neiges ne respecte plus les préceptes de son fondateur; il s'est perverti pour verser dans une variante orientale du papisme. Bref, l'image globale du Tibet en Occident est largement négative et fournira une justification idéologique aux tentatives de colonisation de la fin du siècle. 

Le pape Grégoire XVI accorde à la société des Missions étrangères de Paris le monopole de l'évangélisation du Tibet.  

Par le traité de Lahore, le Ladakh est réuni aux Indes. La Grande-Bretagne empiète sur les domaines du Tibet.  

1847: Conflits entre monastères à la frontière du Tibet et du Sichuan. L’armée tibétaine, avec Shatra à sa tête, est dépêchée sur place pour rétablir l'ordre. 

Le père Renou, un missionnaire Français, pénètre à l’est du Tibet sous un déguisement. Il s’installe à Chamdo (Kham). 

Publication par Philippe Édouard Foucaux d'une version française d'un texte tibétain traduit du sanscrit relatant la vie du Bouddha: le "Lalitavistara".  

1848: Expulsion du père Renou qui s'est montré trop zélé pour convertir les âmes. La France proteste auprès de la Chine, reconnaissant ainsi implicitement que le Tibet est sous l'autorité de Pékin. Mais les autorités chinoises, tirant profit de l'ambiguïté des relations entre la Chine et le Tibet, prétendent que ce dernier est souverain et qu'elles sont impuissantes à lui imposer leur loi.  

Développement du mouvement religieux Rime (La Voie impartiale) qui réunit des Kagyupas et des Nyingmapas. Ce mouvement, créé à l'initiative de Djamgon Kontrul, a pour but de surmonter les divisions entre écoles afin de préserver  les grands textes et la tradition contemplative, mais aussi de rappeler à leur véritable mission certains religieux devenus plus soucieux de couvrir d'or le toit de leur monastère que de se livrer à l'étude et à la méditation. 

A la fin de la décennie 1840, plusieurs expéditions britanniques (Hooker)  explorent les cols qui permettent de pénétrer au Tibet via les royaumes himalayens. 

1850: Début de la révolte des Taiping (Grande Pureté) en Chine. Cette secte s’en prend à la dynastie mandchoue qu’elle veut remplacer par une dynastie Han. Elle exige la suppression de la natte, symbole de soumission et d’arriération. Elle a pour doctrine un mélange de confucianisme et de christianisme.  

Cette révolte, d’origine paysanne, prône une répartition plus égalitaire des richesses, le partage des terres et l’émancipation des femmes. On y trouve, par anticipation, comme un écho des préoccupations qui seront celles de Mao Tsé Toung un siècle plus tard. Elle durera de longues années, embrasera tout le pays et les autorités chinoises n’en viendront à bout qu’avec l’aide des puissances occidentales dont les concessions sont menacées. Elle causera la mort d’au moins 20 millions de personnes soit 7% de la population! Cette proportion impressionnante mérite d’être soulignée. Elle montre que les hécatombes du 20ème siècle ne seront pas plus terribles que celles du siècle précédent. 

1851: Xianfeng devient empereur de Chine. 

Un missionnaire français, Nicolas Krick, arrive au Bouthan avec le dessein de se rendre au Tibet, en compagnie de son chien Lorrain. Les militaires Anglais lui procurent quelques instruments utiles pour son voyages. Dans un pittoresque accoutrement "de gros souliers-bottines, un pantalon en étoffe d'Assam, une blouse de coton à franges noires, fabriqués chez les sauvages Naga, une gibecière sur le dos, fusil en bandoulière, chapeau à la tyrolienne qui me tombait sur les épaules et ne laissait voir que ma barbe; ma croix de missionnaire faisant sur le tout un singulier contraste...", le voilà parti avec dix-sept compagnons, en comptant le chien. La caravane suit d'abord le lit du Brahmapoutre, dans une épaisse forêt où il faut se frayer son chemin à coups de sabre. Puis, on gravit, on monte, on monte encore et toujours, avec la mort comme perspective. Au fur et à mesure de la progression, la fatigue augmente et les dangers s'accumulent. Trahi par ses gens, Krick tombe aux mains des sauvages Michemis qui le pillent avant de le menacer d'assassinat. Un providentiel coup de fusil disperse la tribu qui s'enfuit. Notre missionnaire tombe enfin à genoux à la vue du premier village tibétain. Mais les villageois, après s'être attroupés autour de lui par curiosité, disparaissent et le voilà obligé de poursuivre son chemin. Après deux jours de marche, il atteint le bourg de Sommeu, où on l'examine, on le palpe, on compte ses dents, on s'étonne de la couleur de ses yeux... bref on le traite comme une bête curieuse d'une espèce inconnue. Le gouverneur de la province le soumet à un interrogatoire serré, le prenant pour un espion chargé de préparer une invasion. On l'invite à retourner d'où il vient car une guerre menace et il risque de se faire tuer. On lui propose de lui fournir des vivres pour retourner dans un village frontière où il pourra attendre la fin des hostilités avant de revenir. De crainte de lasser son interlocuteur, Krick finit par accepter cette transaction. Il obtient ainsi de rester quelques jours sur place dans des conditions précaires se nourrissant des grains de riz tombés par terre des sacs des marchands. Sur le chemin du retour, il rencontre à nouveau les brigands qui l'ont dépouillé à l'aller; leur chef le condamne à être égorgé s'il ne parvient pas à guérir sous trois jours un blessé dont le pied pourrit. L'expérience acquise à l'hôpital Necker, avant son départ en mission, vient à son secours et, contre toute attente, il sauve la vie de son patient. C'est une sorte de miracle accueilli comme tel par la tribu. Il peut continuer sa route et retrouver le monde civilisé avant de repartir vers de nouvelles aventures. 

Mort du docteur Gutzlaff, natif de Stettin, missionnaire en Chine à partir de 1830, auteur de l'ouvrage "La Chine ouverte" dans lequel on trouve quelques informations sur l'histoire et la géographie du Tibet. 

1852: Nouveau traité entre le Tibet et le Ladakh. Un accord commercial est signé. 

Shatra doit calmer le jeu au sujet d’une querelle intervenue entre Drepung et les autorités britanniques de l’Assam. 

Publication posthume de la traduction par Eugène Burnouf de "Sûtra du lotus" en français.  

1853-1859: Publication de la traduction en français du manuscrit des "Mémoires sur les contrées occidentales". Il raconte le voyage que fit le moine pèlerin chinois Hiuan-tsang au monastère université de Nalanda, de 630 à 644. 

1853: Installation d'une mission de frères moraves à Kaelang (Lahaul britannique, à la frontière du Tibet). Ces frères, établis depuis 1765, sur les bords de la Volga, y ont noué des relations avec les peuples d'Asie centrale. Souhaitant se rendre en Mongolie, ils se sont heurtés à l'opposition de la Russie et de la Chine et, finalement, leurs supérieurs leur ont donné l'ordre de s'établir parmi les Tibétains.  

1854: Le père Renou récidive. Cette fois, il achète un vaste domaine à Bonga, dans le Tsarong (Kham). Il s’y livre à des activités caritatives qui attirent les habitants. Les pères Krick et Boury, qui tentent de pénétrer à l'est du Tibet en venant des Indes, sont massacrés à Rima; cette fois-ci, Nicolas Krick n'a pas réussi à échapper à la vindicte des Michemis; une expédition militaire anglaise sera montée pour châtier les coupables.  

1855: Le Dalaï lama accède au pouvoir à l’âge de 17 ans. Les fonctions du régent prennent fin.  

Mort mystérieuse du 11ème Dalaï lama, au Potala (Lhassa). Il n’aura pas eu le temps de régner longtemps! Le régent reprend les rênes.  
  
Le Népal adresse un ultimatum à Lhassa pour obtenir des concessions territoriales. Shatra est impuissant à contenir l’invasion népalaise. 

L'Anglais Drummond, chargé d'une mission secrète, fait une promenade en barque sur le lac Manasarovar. Ce lac étant sacré pour les Tibétains, le gouvernement de Lhassa ordonne la décapitation des chefs de district qui n'ont pas empêché ce sacrilège.  

1856: Naissance du 12ème Dalaï lama, dans le sud du Tibet. Le régent impose le tirage au sort pour départager les trois candidats à la succession du défunt pontife.  

Le Tibet doit se reconnaître tributaire du Népal. Un bahadar, rival népalais de l’amban, va résider à Lhassa. La Chine, en proie à la guerre civile, n'est pas en mesure de relever l'affront. Il est vrai qu'en contrepartie le Népal reconnaît, comme le Tibet, la suzeraineté de l'empire du milieu, ce qui n'empêchera pas le représentant du Népal de monter les Tibétains contre la Chine afin de les priver du secours des troupes chinoises dans l'hypothèse d'un nouveau conflit entre le Tibet et son pays. 

Les frères Schlagintweit, Adolph, Robert, Emil et Hermann, partis du Bouthan, longent l'Himalaya, traversent l'ouest du Tibet, franchissent la passe du Karakorum et atteignent le bassin du Tarim. Ils rapportent en Europe 340 caisses de documents! Les Russes Semionov et Fedchenko explorent le nord de l'Himalaya, le premier le Tianshan et le second le Pamir. Les explorations scientifiques, à but parfois politique, prennent le relais des missions. 

1857: Le pape Pie IX nomme Monseigneur Thomine-Desmazures premier évêque du Tibet. Mais cet acte restera purement formel.  

1858: Le nom du candidat de l’opposition sort de l’urne pour désigner le nouveau Dalaï lama. Shatra entre en conflit avec le régent. 

Début de la seconde guerre de l’opium. Les premières concessions n’ont pas calmé les appétits occidentaux. La Chine, toujours en proie à la guerre civile, doit faire face également à une guerre étrangère.  

1859: Première attaque contre l’établissement de Renou à Bonga.   

Deux explorateurs britanniques sont séquestrés au Sikkim. Les Anglais interviennent à nouveau militairement dans ce petit pays sous tutelle tibétaine 

1860: Une Assemblée Nationale Tibétaine (Tsongdu) est créée. Non élue, elle se compose principalement de nobles, de représentants des plus grands monastères et de hauts fonctionnaires. Ses décisions sont prises par consensus. 

Fin de la seconde guerre de l’opium. Par le traité de Tientsin, les missionnaires se voient autorisés à prêcher et circuler dans tout l’empire chinois. Le traité est placardé à Lhassa.   

Un roitelet du Nyarong (Kham), sous tutelle directe de la Chine depuis 1728, Goeunpo Namgyal, conquiert les territoires avoisinants. Les vaincus font appel à la Chine. Cette puissance, encore en proie à la guerre civile, n’est pas en mesure de leur porter secours. Ils se tournent alors vers Lhassa. Goeunpo Namgyal et sa famille vont périr brûlés vifs dans leur citadelle assiégée. Prudemment, les Tibétains proposeront aux Chinois le retour au statu quo de 1728, contre une indemnisation des frais qu’ils ont engagés pour châtier le trublion. 

Le Bouthan empiète une fois de plus sur le territoire de l'empire des Indes. Le Nepal impose des droits de douane prohibitifs à ses frontières; pour Markham, ce pays est à cette époque davantage vassal de la Chine que de l'empire britannique. Les Anglais tournent donc leur regard vers le Ladakh, le Sikkim et la tribu des Tawang Butheas, en bordure de l'Assam, pour trouver des voies d'accès vers le Tibet.  

1861: Shatra, accusé de trahison, est emprisonné. 

Un nouvel empereur, Tongzhi, monte sur le trône de Chine.  

Plusieurs missions catholiques s’installent en Chine à proximité du Tibet.  

Le traité de Tumlong fait passer le Sikkim sous protectorat anglais. C’est un nouvel empiètement britannique sur les terres tibétaines.   

1862: Du monastère où il est relégué, Shatra profite d’une révolte de Drepung pour inciter d’autres lamaseries à renverser le régent. Malgré le soutien de Sera, ce dernier doit fuir à Pékin où il sollicite en vain des secours. L’opinion publique lui est hostile. Shatra, libéré, est nommé régent. Il sera le seul régent laïc jusqu’en 1959. 

Sera refuse de se soumettre et se révolte contre le nouveau régent. Un des chefs de la révolte est tué et le monastère doit rendre les armes. Son abbé est condamné à mort. Sera est puni par son éviction de l’Assemblée. 

L’impératrice douairière Tseu Hi (Cixi) s’empare du pouvoir en Chine. Les empereurs en bas âge n’ont plus qu’un rôle de représentation. 

Une révolte antichinoise éclate au Sinkiang. Elle reçoit le soutien de la Russie et de la Grande-Bretagne. 

1863: Un émissaire anglais, Eden, est envoyé au Bouthan afin de régler les problèmes avec de royaume pour lors en proie à une guerre civile.  

1864: Fin de la révolte des Taiping. Cent mille d’entre eux sont passés au fil de l’épée.  

Un nouveau régent, Khyenrab Wantchoung remplace Shatra après sa mort. Un personnage presque aveugle devient, grâce à la faveur du Dalaï lama, le véritable détenteur du pouvoir. Il s’agit d’un homme autoritaire et cruel, Palden Teundroup. Il a pour coutume de faire placer devant sa porte la peau d’un yack fraîchement tué dans laquelle il fait coudre tout ceux qui n’ont pas l’heur de lui plaire! 

Monseigneur Chauveau devient évêque du Tibet.  

Eden est insulté par les autorités bouthanaises.  

1865: Lhassa crée la fonction de gouverneur du Nyarong. Le Tibet grignote les positions chinoises dans le Kham. 

Les missions catholiques sont attaquées. L’établissement de Bonga est détruit. Le père Desgodins, qui y avait bâti une cabane, est chassé de Khieumaton, par les moines tibétains qui dominent alors cette région proche de la Birmanie, au pays des Loutzes, une ethnie non tibétaine. 

Le colonel anglais Montgomerie rencontre le Panchen lama successeur de celui dont l'avènement a été salué par Turner à Tashilumpo. Le nouveau dignitaire tibétain est âgé de onze ans.  

Au Bouthan, les Anglais lavent l'outrage essuyé par Eden en entrant en guerre. Le royaume himalayen va tomber dans l’escarcelle de l’empire des Indes. Mais, cette fois, Lhassa regimbe et, sous la pression du Tibet tout est remis en cause.  

1867, 1870, 1879-1880, 1887-1888: Nicolaï Mikhaïlovitch Prjevalski entreprend plusieurs expéditions dans le nord du Tibet afin de prouver que les père Huc et Gabet sont des imposteurs et qu'ils ne sont jamais allés à Lhassa. Et aussi sans doute avec des visées impérialistes. On donnera son nom à un cheval des steppes.Cet explorateur russe a financé sa première expédition en jouant aux cartes dans garnisons russes! 

A la même époque, sous l'impulsion du colonel Montgomerie, plusieurs expéditions anglaises se rendent au Tibet. Les personnes qui en font partie ne sont parfois connues que sous un numéro ou sous une lettre, ce qui leur confère un parfum de mystère. Elles vont ou non jusqu'à Lhassa. Elles s'intéressent aux mines d'or et certaines s'aventurent dans des régions si difficiles d'accès qu'elles doivent utiliser des moutons comme animaux de bât, le sol étant trop caillouteux pour les yacks et la température trop froide pour les ânes! L'un des explorateurs, un Pandit, donne d'intéressantes précisions sur la population des villes traversées et des monastères rencontrés: Shigatse (9000 habitants - 100 soldats chinois et 400 miliciens tibétains), Tashilumpo (3300 moines);  Lhassa (15000 habitants dont 9000 femmes - 500 soldats chinois et 1000 miliciens tibétains), Sera (5500 moines), Drepung (7700 moines); la ville de Lhassa fourmille de commerçants tibétains, népalais, cachemiris, ladakis et chinois; les ambans ne semblent pas interférer dans les affaires intérieures d'un pays qui reste très peu peuplé et où le déséquilibre est manifeste entre la population féminine et la population masculine, déséquilibre induit par le nombre élevé des moines; la présence militaire chinoise n'est pas négligeable, même si les militaires tibétains sont plus nombreux. 

1868. Le frère morave H. A. Jaschke, de la mission de Kaelang, revient en Allemagne où il rapporte d'importantes information sur le langage tibétain. 

Félix Blet transforme les missions au Tibet en une véritable institution scientifique. Il organise un réseau d'observations météorologiques, avec la participation d'Auguste Desgodins, auteur d'un dictionnaire tibétain-latin-français, de Jules Dubernard, de Georges-Henri Mussot et de Jean-André Soulié. Il procède à la collecte systématique des espèces végétales et animales ainsi que d'une foule d'observations scientifiques. 

1870: Le sentiment antioccidental augmente en Chine et au Tibet. Les missionnaires y sont dans une situation très critique.    

Le sentiment d’appartenance au Tibet des populations des marches de l’est est renforcé par la découverte sur leurs terres de trois Dalaï lamas successifs. 

1871: Palden Teundroup cherche à évincer le Dalaï lama pour assumer seul la direction du pays. Le régent dénonce le complot. Palden Teundroup et ses complices prennent la fuite et se réfugient à Ganden. Le monastère est assiégé par les troupes gouvernementales. Palden Teundroup se suicide; ses acolytes sont exilés ou emprisonnés. Une nouvelle Assemblée élargie est mise en place. Sera y retrouve son siège. Un subtil équilibre des pouvoirs est instauré entre laïcs et religieux. 

W. T. Blanford, un géologue anglais, et le capitaine Elwes explorent la haute vallée de la Tista, au Sikkim, sur les traces de Hooker, à la recherche de voies d'accès vers le Tibet. 

1872: Mort du régent Khyenrab Wantchoug. Le Dalaï lama décide d’exercer le pouvoir.  

1873: Un Hindou, Nain Singh, pénètre au Tibet avec la mission de dresser des cartes des lieux qu'il traverse pour l'Institut britannique de topographie. Il s'est déjà rendu précédemment sur le Toit du Monde et en a ramené une carte de l'itinéraire de Katmandou à Lhassa, en passant par le lac Manasarovar, dont ses commanditaires anglais se sont montrés satisfaits. Cette fois, il se déguise en moine et ses compagnons d'équipée en bergers pour déjouer la surveillance policière des autorités tibétaines. Ils poussent devant eux un troupeau de moutons qui transportent leurs maigres baluchons. Ils rencontrent des chercheurs d'or, qui dorment dans des grottes creusées dans le sol, pour échapper aux brigands. Les rares nomades qu'ils croisent ne sont établis que depuis peu de temps dans la région désertique du Chang Thang. Les relevés de Nain Singh seront utilisés par les Britanniques lorsqu'ils envahiront le Tibet en 1904. 

Le Sikkim assure les autorités britanniques que les Tibétains sont favorables au commerce avec l'empire des Indes et que seul le refus de Pékin s'y oppose. C'est aussi le sentiment de l'explorateur G. J. Ware Edgar lui aussi à la recherche de voies d'accès vers le Tibet via le Sikkim (Markham). 

La mission des frères moraves, dirigées maintenant par Heyde et Eedslob, compte une vingtaine de fidèles et elle caresse l'espoir de franchir la frontière chinoise et de pénétrer au Tibet. 

Le 21 décembre 1873, Francis Garnier est décapité par les Pavillons noirs qu'il est venu combattre au Tonkin. Il s'apprêtait à se rendre au Tibet dans le but de trouver les sources des grands fleuves asiatiques qui naissent sur les hauts plateaux de ce pays. 

1874: Ouverture à Darjeeling d'une école destinée à former, parmi les jeunes autochtones, de futurs auxiliaires de la pénétration britannique au Tibet. Sarat Chandra Das en est le premier directeur. Le professeur de tibétain Ugyen Gyatso, un lama tibéto-sikkimais, y officie (pour l'activité ultérieure de ces personnages, voir ci-après 1879).  

1875: Mort de maladie du 12ème Dalaï lama, au Potala (Lhassa), à 19 ans. Un nouveau régent est choisi par l’Assemblée: Ngawang Palden Tcheukyi Gyaltsen de Kundeling.  

Comme on vient de le voir, au 19ème siècle, les Dalaï lamas n'ont pas vécu assez longtemps pour exercer vraiment le pouvoir. Celui-ci est entre les mains des régents, dans une atmosphère trouble de querelles internes, d'animosité feutrée, d'ambition généralisée et de soupçons d'assassinats. Les 9ème, 10ème, 11ème et 12ème  Dalaï  lamas meurent jeunes, certains peut-être éliminés par des régents soucieux de conserver le pouvoir au profit de leur coterie. Markham accuse clairement les régents d'avoir assassiné les 8ème, 9ème et 10ème Dalaï lamas. Mais il semble qu'il faille décaler cette série car cet auteur anglais paraît confondre les 6ème et 7ème Dalaï lamas. Ce seraient donc les 9ème, 10ème et 11ème pontifes tibétains qui, selon lui, auraient été les victimes de leurs ambitieux régents. Selon d'autres auteurs, ces Dalaï lamas morts prématurément pourraient avoir été victimes du culte rendu à Palden Lhamo, leur protectrice. Amenés encore jeunes dans un temple emplis de scènes particulièrement horribles, en phase avec l'aspect terrifiant de cette divinité, ils auraient pu en être profondément affectés. Palden Lhamo chevauche un coursier sur une mer de sang et sa selle est faite avec la peau tannée de son fils qu'elle a tué parce qu'il refusait de se convertir au bouddhisme. Quoi qu'il en soit, le Tibet entre en décadence. Autour de lui, le monde bouge. L'expansion coloniale amène l'Occident à ses portes. Mais ses dirigeants, à l'abri derrière leurs montagnes, ignorent ces évolutions et ne sont préoccupés que de leurs luttes intestines. Ils sont tellement imbus de leur supériorité, qu'à la fin du siècle, ils estiment que le roi d'Angleterre devrait rendre hommage à leur souverain! La tutelle chinoise est ressentie durement à Lhassa mais vue plus favorablement à Shigatse; faute de pouvoir s'en débarrasser, on exhume des textes cachés (termas), attribués à Padmasambhava, qui prophétisent que le Tibet tombera inexorablement sous un joug chinois odieux avant de recouvrer son indépendance.    

Guangxu devient empereur de Chine (sous la tutelle de Tseu Hi).  

Helena Petrovna Blavatsky, une grande voyageuse d'origine russe, fonde la Théosophie à New York. Cette doctrine, qui donne un sens nouveau à la vie et à la mort, en distinguant l'éphémère de l'impérissable dans l'homme, offre une base rationnelle à une éthique globale, seul fondement possible, à ses yeux, du progrès collectif et du salut de la planète. Elle tente de réconcilier la religion avec la science. Elle distingue, dans les religions, l'exotérisme de l'ésotérisme. L'exotérisme seul varierait d'une religion à l'autre. L'ésotérisme serait identique. L'ésotérisme de la Théosophie permettrait d'aborder l'Occultisme sans danger de confusion entre psychisme et spiritualité. Les Maîtres dont elle se réclame sont les Grands Initiés de tous les temps. Mme Blavatsky, férue de spiritisme, prétend être en communication avec des Initiés, les Mahatmas, qui résident, à l'écart du monde dont ils détiennent la sagesse, au Tibet.

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