En
manière d'avant-propos,
ce texte fit
partie du dossier "L'homme et l'oeuvre" préparé par Jean
Bensimon et fut publié dans le n° 14 de la revue "Le Cri d'Os"
(2ème trimestre 1996)
L'HOMME ET L'OEUVRE QUELLES RÉFLEXIONS?
L'homme et l'oeuvre? Le fait même que cette question mérite aujourd'hui d'être posée montre combien nous restons imprégnés de romantisme. Si notre pensée était moins individualiste, si la promesse selon laquelle la poésie serait faite par tous et non par un s'était accomplie, bref si les oeuvres n'étaient plus signées, une telle question aurait-elle encore un sens? J'y vois pour ma part le témoignage de cette singulière crainte d'être dupé qui nous pousse à n'accorder foi qu'aux témoins qui se font égorger.
On voudrait que le destin authentifie l'oeuvre, qu'il soit, en quelque sorte, le gage de sa sincérité. C'est méconnaître d'abord que l'oeuvre peut être justement le contrepoint de la vie de l'auteur, son complément, et que ce qui lui fait défaut contribue au moins autant que ce qu'il possède à façonner son visage intérieur.
Par ailleurs, une oeuvre digne de ce nom se suffit à elle-même. Nous devrions chercher en elle du plaisir plutôt qu'un témoignage. Sa fonction est d'étonner, de susciter l'émotion plutôt que de rendre compte. Peu m'importe qu'un auteur m'avoue ce qu'il est, pourvu qu'il me révèle ce que je suis.
Faisons la part du hasard afin de remettre chacun à sa juste place. Si l'on admet que c'est lui qui organise nos rencontres, lui qui inspire les mots justes, les phrases qui font mouche... que reste-t-il alors à l'auteur? Trier, choisir, arranger le chaos, c'est peu et c'est encore beaucoup.
Attendre de lui qu'il accomplisse quelque exploit qui légitimerait son droit à la parole, ne serait-ce pas enfin admettre implicitement que les gens ordinaires n'ont droit qu'au silence?
Jean DIF
Poèmes
1
Monde où j'avance la main tendue
les hommes ignorent le poids des rides
l'espoir leur tient lieu de jeunesse
Monde la main tendue et le coeur sur la main
saurai-je boire longtemps encore
le lait tiède des étoiles dans la jatte bleue de la
lune
Saurai-je encore longtemps nommer ce que l'on dit
sous la cendre du jour un feu de feuilles mortes
un château rutilant ordonné par l'automne
Saurai-je reconnaître des lèvres dans les ronces
quand les mûres écrasées saignent comme des
plaies
Saurai-je dire aux hommes avec des mots de plante
l'immense tristesse du buisson
qui ne sait qu'écorcher lorsqu'il veut caresser
Saurai-je te nommer pudeur
avarice de l'enfance
un pan de ciel dans l'oeil
comme un tableau vivant
Moi qui ai perdu le premier masque de mon visage
dans un village aux pieds d'une forêt
pleine de fraîcheur comme une femme est douce
Vivrai-je encore longtemps comme on apprend à lire
comme on apprend à dire sans chercher à savoir
que la générosité
d'une fleur c'est son parfum
1 bis
Dans les branches de ton arbre
bien irriguées de sang commun
un seul oiseau chante et s'enchante
au même rythme que mon coeur
Plus haut dans la journée des yeux
les étoiles fleurissent dans les vergers du ciel
Il y a des manèges de fourmis ardentes
sous ta peau attentive à la respiration du jour
Il y a de longues herbes au mouillage
dans la crique saisonnière de ton changeant visage
une allée veuve de cils sur ta paupière
faite pour éteindre la flamme des cierges
Le second poème (1
bis) a été repris dans l'ouvrage:
"L'Ecole de Rochefort - Théories
et pratiques de la poésie - 1941-1961"
de Jean-Yves Debreuille -
Presses Universitaires de Lyon
Ces deux poèmes sont
extraits du recueil "La Voix Publique" - Cahiers de Rochefort
L'intégralité
de ce recueil, épuisé depuis longtemps, est accessible
ici
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2
Je me tiens
I
Fine poussière tombée de l'aile
d'un oiseau je laisserai chanter
ma voix Le chalumeau du peuplier
frémit doucement Sa longue flamme
verte s'étonne La lumière qui miroite
répond à ses frissons
Prince d'un lointain exil mon château
refuge des corneilles à l'écart
des contrées habitées au seuil
des ailleurs qui sont la patrie des dormeurs
je me tiens dans la nasse et dans la sonde
Dans l'embrasure du ciel je me tiens
II
Je me tiens sur le seuil et sur la grève
au bord de cette mer où mon cœur trempe
Je me tiens sur la margelle et la lisière
dans la première coupe et dans le regain
Dans l'étonnement de la cage et la plume
du faisan Dans la roue du paon ocellée
d'yeux aveugles je me tiens Je suis l'ocelle
Je suis la défaillance qui révèle et l'impatience
qui délite Moi le guetteur je suis message dans le vent
ou bien feuille livrée à la tourmente
J'anime le vent J'anime les sources enterrées
J'anime les paroles Ma complice la buée
confond la transparence de la vitre
sur les franges du temps je me tiens
Prince des ténèbres et de la cécité
au sommet de la flamme je me tiens
Dans la tension de l'arc je me tiens
III
Dans la tension de l'arc et de l'offrande
dans l'attente et dans l'agonie
soeur de l'attente je me tiens
et dans la pierre sécrétée par l'organe
foie ou rein Dans la pierre de la douleur
je me tiens
Le chiendent frileux de mes nerfs
frissonne à l'approche des peupliers
et toutes les feuilles de mon sang s'émeuvent
lorsque le cri d'un oiseau perdu
perce la nuit des profondeurs
Lance à l'arrêt je me tiens A l'affût
je me tiens Je voudrais être celui
qui inaugure
IV
Fine poussière tombée de l'aile
d'un oiseau je laisserai chanter
ma voix Le chalumeau du peuplier
frémit doucement Sa longue flamme
verte s'étonne La lumière qui miroite
répond à ses frissons
La paix règne sur mes mains
sur mes mains et dans mon coeur
O migrateurs frères du vent
je serai le confident
de la rose et du hibou
comptez-moi parmi vos adeptes
(Ce poème a été
publié dans le N° 10 de la revue "Le Cri d'Os")
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3
Nous écoutons le chant de la sève
dans l'alcôve close d'étoiles
buissonnières
Nous entendons l'appel des fleuves
sous les draps rougis par l'amour
Nous ouvrons le noyau de la nuit
pour libérer la joie scellée
dans nos os
Nous savourons les luttes moites de l'adoubement
Nos caresses multipliées résorbent
l'ombre
dans cette chambre qui troue le monde
et les étoiles crèvent les murs
pour dévorer les noirs augures
Il faudrait que neige la nuit
quand nos regards tressent
les silences blancs de l'amour
Alors nous serions l'espérance
de la perle sous son couvercle
et la stupeur tomberait vaincue
au pied des fontaines pétrifiées
(Ce poème a été
publié dans le N° 17 de "Parterre Verbal")
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4
Combien faut-il de neiges en gésine
de navires pétrifiés au fond
des ravines
combien de puits vertigineux forés
en vain
d'ascensions naïves achevées dans
la tourbe
de blessures enfouies de sillons souterrains
d'escarres causées par des caresses
combien de cris muets dans les yeux des enfants
d'eaux recluses dans le silence des écluses
de coups qui déchirent les entrailles
pour qu'un matin sans en avoir l'air
l'oseraie libérée ose enfin
une rose
(Ce poème a été
publié dans le N° 228 d'Encres Vives ainsi que dans le N°
15 de Rose des temps)
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5
Nous ne sommes qu'édifices de cendre
la mer discute la pluie les rivières
font
de l'ombre aux nuages et d'un coup de crinière
voici le félin rugissant plus de feu
que d'eau
est sorti de l'arche l'homme invente l'éclair
sous la neige il est écrit que la nuit
a du sang
sur les dents je le vois le mien tachant les
étoiles
sur le rocher survit l'ivraie au milieu de
l'incendie
comme un message les troupeaux morts broutent
la tourbe
au-dessus de l'homme flambe l'arbre du désir
mais au-dessus
de cet arbre rien pas un nuage du souvenir
peut-être autour
de ce rien en toi scellé dans les os
voici qu'il n'y a là-haut
qu'une fumée et plus de signe l'arbre
coupé et tout le vinaigre
au fond de la plaie as-tu cru t'affranchir
d'un poids en niant
ton flot aux marées du coeur dont chaque
feuille est un arbre
énorme avec un nid de feu au milieu
des fourches l'arbre
qui est lion bouquet proféré
par les flammes plante nuage
dans la chaleur qui s'élève
et la mer comme un fauve
sans laisse qui caresse les laîches
on pourrait dire
aussi qui lèche les carex les copeaux
d'écume
d'où naissent les mouettes comme des
pages
arrachées à cette forêt
qui s'effrite
allons dévoreur d'ombres allume
le feu et frotte la pierre
contre la pierre sort nu
et pur de la parole
comme d'une femme
(Une version de ce poème
a été publiée dans le n° 19/20 de la revue "Le
Cri d'Os")
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6
Dans les contrées où
tous les oiseaux sont
des proies gît le sang
des peut-être
Sous la parole
inassouvie d'âmes
comme un songe cache
un continent perdu
il est une terre promise
et des nuages
l'ombre qui saura
panser les forêts
Ma fiancée nue
est plus belle au bois
C'est elle qui dans la pierre
tiendra pour creuse
la mort reposant
Et la neige deviendra
laine magnifiante
(Extrait de "Kaléidoscope",
ce recueil constitue le n° 211 d'Encres Vives)
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7
Tu te vois allongé au-dessus du passé
une deuxième mort derrière ta
mort
image d'une étoile
dans les failles du soir
Admirable dans l'éternité
qui est distance
respire la béance pure
transmuant l'absence
Une improbable aurore
ouvre une vision dans la chair
Le sang devient pollen
où s'abrite l'avenir
Une profusion d'arbre en toi
carillonne de toutes ses médailles
qui sont des pages
L'ombre posée sur tes yeux se fait oiseau
écartant les branches de tous les hasards
Les paroles façonnent l'invisible
jaillissant jusqu'aux lèvres
margelles d'un nid
Ton regard s'échappe du vent
sur une plume
tirée des ailes de la cendre
chaude encore de tous les orages
Au berceau dis-tu
les fruits sont des fleurs
La saveur succède au parfum
et juin transforme en flamboyants les cerisiers
(Extrait de "Variations", recueil publié dans la collection blanche d'Encres Vives)
On peut se procurer "Kaléidoscope"
et "Variations", au prix de 6,1 euros (40 FF) l'un,
auprès d'Encres Vives:
Michel Cosem - 2 Allée des Allobroges - 31770 - COLOMIERS
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8
(Fac simile d'un poème
paru dans le recueil collectif "L'eau" - Simili-Type- Couleur dite/Parole
peinte)
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9
CÉLÉBRER LA PAIX?
Lorsque le plâtrier épileptique eut enfin succombé sous les gravats qu'il avait lui-même entassés, les manches jetés après la cognée bourgeonnèrent. Les prisonniers pointèrent le nez au soupirail. Dans la cassure des barreaux l’acier retrouva l’innocence de la glace. On vit les balles perdues sourire sur le visage des rescapés, cependant qu'ici ou là, erraient des morceaux d'hommes, à la recherche de leurs membres. A la suie des crémations succéda la fumée bleue des calumets. Les douilles d'obus se transformèrent en pots de fleurs. Les gamelles rouillées furent posées sur des étagères. On rangea pieusement les os dans les ossuaires, pour l'édification des générations futures, au moment des anniversaires.
Les âmes sensibles crurent alors avoir gagné. Les lames allaient regagner leurs fourreaux. Les haches seraient à jamais enterrées dans un lieu soigneusement tenu secret. On reléguerait au musée de l'histoire les machines à en découdre. Le fer ne servirait plus qu'à forger des socs. Mais on rendit leurs fusils aux chasseurs et tout fut à recommencer.
Les baroudeurs portèrent à nouveau fièrement leur cartouchière en sautoir comme un collier de dents. Le pays du matin calme devint celui des nuits torrides. Des rizières aux djebels, le napalm entretint de gigantesques barbecues. On retira leur camouflage aux forêts soupçonnées de pactiser avec le diable. Ici, on écorcha. Là, on ébouillanta. Ailleurs, on empala avec des goulots de bouteilles ou des tire-bouchons; on interrogea à la dynamo ; on fusilla; on pendit; on découpa à la machette. Les enfants s'arrachèrent les yeux pour jouer aux billes. Triste bilan au Liban, soupirait-on encore avant-hier! Et cela continue.
Les héros recrus de la guerre du Golfe enfantent des monstres. A Sarajevo, une balle siffle son chien. C'est la mort qu'elle appelle. Les embargos condamnent à périr de faim plus de victimes que les interventions humanitaires n'en sauveront. A peine un mur à bas on en érige un autre. On porte en soi l'indifférence comme un bandeau sur l'âme. On se montre toujours aussi indulgent pour les vainqueurs et les puissants, aussi sévère envers les vaincus et les faibles. A quel escient s'indigne-t-on ? Les maîtres-chanteurs seuls ont droit à la parole.
Il aurait fallu retirer l'ortie de nos coeurs, démolir la muraille qui traverse chacun de nous pour nous séparer des autres, laver nos yeux à la rosée pour dissoudre la taie qui les couvre. Bannir les mots vénéneux qui empoisonnent les palabres. Ne pas rendre aux chasseurs leurs fusils. Je n'ai pas le goût de chanter la paix.
(Une version de ce poème
en prose est parue dans l'anthologie 1995 de "Flammes Vives" consacrée
au thème de la paix)
Le poète
Il ne rêve plus
d'être un bateau ivre
Il rêve qu'il est un livre
et qu'on le feuillette
Un livre qu'on lit
Déjeuner d'anges
Un croissant de lune
des miettes d'étoiles
dans mon café noir
Toi à mes côtés
Écologie
Batterie antiaérienne
les cheminées d'usine visent le soleil
La chevelure sort des dents du peigne
pour nous étrangler
L'encens du diable
allaite les nuées
Énigme
Brebis blanches et brebis noires
passent mes jours et mes nuits
sans que je sache si j'en suis
le pâturage ou le berger
(Une version des quatre poèmes
précédents a été publiée dans le N°
1 (septembre 2003) de la feuille "Alter Texto")
Amiante
Les nuages endurcis
dans la pierre de laine
écorchent la rose
tendre des soupirs.
Ce petit poème figure
dans l'ouvrage: "Le Québec - 40 sites incontournables"
de Henri Dorion - Yves Laframboise
et Pierre Lahoud - Les Editions de L'Homme
Objection de conscience
Un poisson
avait tant d'imagination
que ses nageoires devinrent des mains
et que ces mains devinrent des ailes
Quel sera notre lendemain
Et moi l'héritier du hasard
moi dont la peau part en écailles
le migrateur dépourvu d'ailes
j'ai gardé au sein de mon sang
un peu du sel des océans
Du fond des temps obscurs
un singe me fait signe
et si je ne veux pas
tenir de fusil
mon capitaine
c'est que je crains
de sentir tout à coup
mon visage et mes mains
se recouvrir de poils.
(Une vidéo a été
réalisée sur ce poème par Maria Garcia Esperon - Mexique.
Voir ici)
(Il en existe une version
en espagnol: traduction de Francisco Alvarez Velasco. Voir
ici)
Escargot
L'en cornes s'il pleut
sa langue dans son oreille
dort quand il fait beau
dans un sac à dos.
(Une version de ce poème
a été publiée dans le N° 137 de la revue
"Traces")
Tortue
Un peu de viande
entre deux boucliers
Quel drôle de sandwich
la tortue.
Drame
Des plumes éparses
épluchures d'oiseau
Très peu de sang
Entre griffe et bec
un drame s'est dénoué là.
Suite au drame
La neige des plumes
fond dans une bouche
gourmande acérée.
Confettis
Sous le perchoir du hibou
des fientes
Sous celui de la lune
des vers luisants.
Notes
Sur les fils électriques
réunies pour le départ
rangées comme des épingles
sans linge entre les pinces
blanches devant et noires derrière
les hirondelles sur la portée
composent la partition
de la fugue de l'été
Elles connaissent la musique
fa si la mi ré do sol
leurs notes vont s'envoler
emporte-bonheur
facile à mirer du sol.
Étoile filante
Une place était vide
entre deux cheminées
Une étoile filante l'a prise.
Le volcan
fume lentement sa pipe
et puis crache
plus loin qu'un homme.
(Une version de ce poème
a été publiée dans le N° 137 de la revue "Traces")
La mer
nourrice des nuages
offre en hommage la mouette
ce bouquet de plumes
tiré de l'écume
à la lune qui la berce.
Marécages
Nos marées en cage
ont un goût de rance.
Braille
Les doigts de l'aveugle butinent
le papier charançonné qu'inventèrent
les guêpes
Quand l'oeil s'éteint la peau voit.
(Suite)
L'aveugle replia ses doigts
et mit ses gants
comme on range des lunettes
dans un étui
Il avait fini de lire
et il faisait froid
dehors.
Il neige
Les étoiles changent de peau
On dit que cette manne
est le pain des brouillards.
Dégel
Sculptée par une flamme
venue du froid
une chandelle pend du larmier
Au-dessous de la cire
la goutte
dans la neige creuse un trou
Point d'exclamation
La blancheur est en maudit
contre le soleil.
Journée ordinaire
L'aurore déploie ses étamines
La matinée monte en graine
Midi à cheval fait cavalier seul
L'après-midi progresse à reculons
C'est le destin de l'écrevisse
de se terminer dans le rouge.
Orchestre
Clapotis de l'eau
Fugue du vent
Sonate des feuilles
Applaudissement des oiseaux
Le peuplier bat la mesure.
Jardins
Semis de crosse
En rang les haricots
enfants obéissants
portent sur leur dos
comme des cartables
les testicules de leurs pères.
Fin du monde
L'éternité c'est trop long
L'éternité c'est fatiguant
Il pourrait mettre un point final
l'Éternel.
Le temps nous froisse
Les mots perdent leur pouvoir
Les apparences changent
On pourrait croire parfois
que la terre tourne plus vite
La pulpe se corrompt
Mais l'amande reste intacte
Elle récuse le pli des rides
On ne se lasse pas
de l'attente du bonheur.
(Suite)
Il est des lames
qui sont des ailes
comme les haches
Cogne mon coeur
pour délivrer
mes éclats d'âme
Chaque battement
est un coup de pioche.
(Les douze poèmes précédents
ont été publiés dans le N° 1 de la revue
"Mot à Maux")
On se trempe
dans le regard d'autrui
pour se rassurer
ou durcir
Un oeil sur nous se penche
et nous vivons par lui
le temps d'un reflet
On affronte l'ironie
parfois si dure
que les portes se murent
On apprend à se taire
Le coin frappé du poinçon
sonne sur le comptoir
La note est payée.
Les mots cherchent un nid
où s'accoupler
pour que naisse l'enchantement
comme s'ouvrent les bourgeons
paupières fermées
sur la lumière d'une fleur
Est-ce l'émotion qui cisèle
nos phrases ou bien celles-ci
qui nous incisent.
(Ce poème a été
publié dans le n° 1 de la revue "Mot à Maux"
Sueur de neiges
Le vent joue de la harpe
sur les hachures du ciel
La vitre est devenue
la surface d'un étang
Une goutte y trace une veine
où bat le coeur de l'orage
Derrière comme des ombres
passent des noyés
Comment récuser le signe
que nous fait la mort
Sans doute on sombrerait
s'il n'y avait sous les caresses
le pelage d'un chat
une peau de femme.
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Lac
Ce n'est pas la vie
qui plisse le lac
Ses rides s'effacent
comme un sourire.
Qui
Je ne suis pas jaloux des avions
qui marquent le ciel de leur bave
et disparaissent à l'horizon
comme si la feuille du chou
dévorait la chenille
Je me tiens dans ma coquille
J'observe l'herbe au périscope
Je me fais peur d'une fleur
et ne vois pas malice en limace
Telle est ma profession de foi
d'animal au sang de laitue
Voilà ce que dit l'escargot.
(Une version de ce poème
a été publiée dans le N° 140 de la revue "Traces")
Bête à chagrin
Chagrin le matin
Bon espoir le soir
L'araignée comme la vie
ne tient qu'à un fil.
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Un crabe à Old Orchard (juillet 2000)
La plage est le miroir de la mer
Elle s'abreuve de sa lumière
Entre papier de verre et papier buvard
j'hésite
Le jusant
laisse de la salive sur les dents
On dirait que la mer fait la vaisselle
des coquilles vides
Les vagues aux oreilles de chien
jappent dans les récifs lapent la grève
Elles se bousculent Elles s'épaulent
à l'assaut de la terre
comme si elles voulaient en finir
avec elle d'un coup de lame
La mer au loin lèche les rochers
et c'est pourtant elle
qui leur donne leur sel
Un cerf-volant manipulé
tourne en rond comme une toupie
rouge sur l'azur sidéré
Plus haut s'enfuient les oiseaux
sans fil à leurs pattes
Le vent décerne au sable
un brevet de papillon
Une mouette
née de l'écume
d'un trait de plumes
paraphe le vide
Tout en crâne et en doigts
oublié par le reflux
un crabe fait des pointes
sur la sciure des falaises
Les estivants restent couchés
retenus par leur poids
qui les tire vers la mort
enfoncés dans une cendre
à leur pointure
Et moi
dans un trou de mémoire
je me love
à l'abri du vent
qui fauche la pluie
au-dessus des andins
Je nage dans mon sang
J'attends de renaître
Je laisse l'eau et le soleil
se moquer de mes orteils
Les doigts inertes sur l'acier
des harpes intérieures
j'attends je ne sais quoi
je ne sais quelle délivrance
d'un mot plus lourd au sang
que le fruit à la branche
Je suis sur la ligne mouvante
où l'eau et la terre s'abandonnent.
Une traduction en néerlandais de ce poème figure sur le site de la revue Contrabras (Fa Claes)
Des extraits du même
poème ont été publiés dans le n° 20 de
Avel IX
___________________________
Le temps nous feuillette
Il tourne les pages
jours à peine écrits
que lave l'oubli
Le dos voûté
les vêtements serrés
sous la pluie couturière
nous passons
On ne sait qui
pose un signet
comme un poignard
ici ou là
pour nous marquer
comme des bêtes.
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Art poétique
Ma muse ne sait pas faire
les noeuds de cravate
pas même recoudre un bouton
Ne parlons pas des plis du pantalon
Pour dire adieu à la vie qui fuit
elle ne repasse pas ses mouchoirs
ni deux fois les mêmes plats
sauf à mettre les pieds dedans
Je rêve de cracher mon feu
dans tous ses orifices
Je rêve de faire l'amour
avec sa faiblesse
moi qui ne suis que l'ombre
de son regard.
Bulles
De quelle bulle faites-vous partie
La mienne ou celle d'un autre
Si vous faites partie de ma bulle
vous pouvez me voir et m'entendre
Vous pouvez aussi me toucher
de la main comme du coeur
Ma bulle est creuse et gonflée
par le vent des sarbacanes
Elle est tapissée de miroirs
au dehors comme en dedans
Ils multiplient les visages
de ceux qui y firent leur nid
Ils rejettent les reflets
de ceux qui en sont bannis
Qui mordrait dans cette pomme
sans être un de ses pépins
y casserait ses étoiles
Si vous êtes hors de ma bulle
ne cherchez pas à me joindre
à m'entendre ou me toucher
Vous mourrez sans qu'on devine
qu'un jour vous avez existé.
___________________________
La Liste
Je n'entends pas leur voix
Ils n'ont pas de visage
Ils parlent comme des livres
avec des chiffres et des lettres
avec de la lumière aussi
Leur bruit silencieux
suit la rigueur des lignes
Je découvre parfois
une seconde vie
des chemins parallèles
Il me naît sous les doigts
des amis inconnus.
Ce poème a été
publié dans le n°152 de la revue Traces (hiver 2003/4)
Partir. Ce ne sont pas les racines du lierre qui me retiendront, ni les jardins du soir qui se reflètent dans les yeux, ni la lampe autour de laquelle rôdent les abeilles, ni le talus parfait d'une épaule amie, ni cette page, qui, je le sais, n'est qu'un miroir aux alouettes, réverbérant l'insatisfaction.
Partir parce que je ne suis qu'une ébauche et qu'il me manque toujours quelque chose, une main, la moitié du coeur ou le dernier vers d'un poème; parce que l'horizon déborde de promesses et le futur aussi, malgré toutes ces libérations qui s'achèvent dans des casernes. Pour me rendre où? Le sais- je? Qui oserait me dire qui je suis (du verbe être ou du verbe suivre), qui j'esquive ou qui je pourchasse? Pour me fuir ou me retrouver, quand bien même l'on ne s'évade pas de soi-même.
Bouger pour me libérer des entournures et faire craquer les parenthèses.
Cheminer pour donner issue à ce feu qui me dévore, tisonné par l'impatience, ce besoin de me prouver capable; parce que découvrir est presque synonyme d'inventer.
Errer, dompteur de chimères, saltimbanque de l'inouï.
Flâner, insane, à travers les vocables qui se hèlent, dans les contrées virtuelles du sommeil, quand la pleine lune est une auréole qui a perdu la tête et que les draps font voile. A la merci d'un iceberg.
Marcher parce que le mouvement est l'unique preuve de la vie. Parce que je ne suis pas du bois dont on fait les arbres et que même ceux-ci, à travers la liberté des feuilles, rêvent de secouer la terre de leurs racines.
Migrer, hanté d'ailleurs, parce qu'ici n'est pas à ma démesure. Parce que je suis las de me cogner toujours aux mêmes. Pour les fraternités renouvelées ou pour trouver enfin un miroir fidèle.
Promener mes angoisses entre les différences et les analogies, du Québec poudré à la Terre de Feu, de l'île de Pâques à celle de Robinson, du désert d'Atacama aux pléthores de Bombay, de l'Angleterre où l'herbe est grasse à l'Espagne où les escargots caracolent, de la Germanie où les pianos ont des ailes aux pays bariolés où les ânes sont des zèbres, du Canarien qui parle en merle au Chinois qui s'alimente avec des échasses, des pololas de Santiago aux blondes brunes du lac Saint Jean, de l'Italie où l'on mange le boeuf en herbe au Tibet où les amoureuses claquent des dents comme les cigognes du bec! Du Cambodge où les arbres sont les berceaux des ruines au Vietnam où des jouvencelles vêtus de blanc à bicyclette ont dérobé aux cygnes leurs attraits. Lieux insolites qui m'intriguent, m'enthousiasment ou me choquent, ensemencez moi. Je ne vous semoncerai pas. Je ne suis pas venu pour donner des leçons mais pour en recevoir.
Remuer parce que tout remue, de l'électron aux planètes. Parce que le repos ne serait qu'une pâte sans levain si l'escale n'était pas le tremplin de nouvelles escalades; parce que je suis né au siècle de la célérité, celui des records, des trains à grande vitesse et des aéronefs; parce que mes étoiles me démangent; parce que mes semelles sont faites pour user la terre jusqu'à la rendre transparente, comme une lampe.
Vagabonder pour aider le hasard à provoquer l'étonnement.
Vaquer d'ides en calendes, de gares en ports, de visions en souvenirs, abeille dont la ruche est un livre d'histoires.
Voyager parce que les chemins à frayer m'interpellent; parce que je porte, ancré en moi comme une lame, le sentiment toujours d'être en transit; parce qu'avant d'être rendu à mon éternité rocheuse, je voudrais tout avoir vu et tout avoir compris. Vaincre le coureur émacié qui brandit sa flamme d'acier, sur mes talons. Arriver hier. Changer d'endroit afin de rajeunir. Pour rattraper le temps perdu en d'insipides activités alimentaires. Me noyer dans la mémoire. Au milieu du Pacifique, en un lieu sans embarras, pour peu que l'on se déplace dans le bon sens, les horloges procurent d'étranges sauts dans le passé.
Adieu, dites-vous. Êtes-vous si pressés de m'envoyer au diable?
(Une version de ce poème
a été publiée dans le N° 31/32 de la revue"Le
Cri d'Os")
___________________________________________________
Fervent de l'altitude où se fomentent les bourrasques/ j'élirai domicile près de la foudre/ couvant les oeufs de la grêle dans son nid de pierres/ La diligence de l'éclair/ au visage de voltigeur/ fraiera mon chemin d'écolier/ parmi les écureuils qui lézardent le ciel/ Racine rature déchirure/ à coups de baïonnette/ je tracerai la voie/ de l'écriture qui ébranle/ Moins de bleu moins de blanc plus de rouge
Zélateur du zigzag/ je tisonnerai les zizanies/ J'emprunterai la diagonale/ Vous ne m'enfouirez pas forcenés/ de la mesure dans vos coffres/ Je préfère les joies de la fougue/ De la fougue et de l'écart/ L'orage sent le soufre/ Son héraut le vent l'annonce/ Les archets de la pluie l'escortent/ Je m'enrôlerai dans cette cohorte/ Je secouerai mon sac à foudre/ J'écrirai avec du feu avec du foutre/ l'oratorio des insurrections du sang/ pour ne pas dormir au fond des étangs
Verbe excavateur parole terroriste/ je décarcasserai les mots de leurs consonnes/ Je concasserai les voyelles/ Farouches mes accents leur donneront des ailes/ A votre nuit j'arracherai son oeil de merle/ comme l'écailler à l'huître sa perle/ Je plomberai ma phrase de points de suspension/ afin de sonder le silence/ où se cachent les mots qui signent/ J'emprunterai le bruit du tonnerre/ Celui du vent harpiste de la pluie/ Celui de l'averse pianiste des forêts/ Je vous secouerai nuages bedonnants/ statues de l'éphémère docile/ et vous aussi loirs satisfaits
J'affranchirai les mots de leur joug trivial/ Je forcerai la langue de l'énigme/ La langue en moi comme une braise/ Je réhabiliterai l'emphase/ Je célébrerai l'effusion/ J'exalterai l'impudeur/ Je brandirai ma bandoulière/ Gloire au rouge qui se rebiffe/ Gloire à la viande qui s'érige/ aux fleurs de chair qui s'écarquillent/ Gloire donc à l'écartèlement
Grand nègre/ aux dents pareilles à des accidents/ je martèlerai les échos/ Les grêlons seront mon clairon/ En grenade j'éclaterai/ J'éjaculerai mes pépins/ pour ensemencer les vergers/ Je cracherai mes laves ardentes/ pour embraser le bois des langues
Fulgurant/ glaive/ igné/ bref/ je fulminerai l'incendie/ J'imposerai ma griffe/ Je dynamiterai la neige
Les fontaines taries fleuriront
et les mots germeront dans l'oreille des sourds.
(Une version de ce poème
a été publiée dans le N° 31/32 de la revue"Le
Cri d'Os")
_______________________________________________________________
Mes Amis
.
Vigies des terres promises
Guetteurs de l'inattendu
Médiateurs de l'indicible
Piégeurs des reflets
Bouches des échos
Scaphandriers du sommeil
Arpenteurs des territoires sans dimension
Orpailleurs des pressentiments
Ecuyers des ouragans
Magiciens qui manquent leur coup
Collectionneurs des refus
Lauréats des timbales vides
Mes amis paraissent toujours nés
de la dernière pluie
Mes amis préfèrent l'ombre à la proie
Mes amis suivent le chemin des écoliers
Mes amis entretiennent les volcans
Mes amis font mentir les proverbes
Mes amis font la guerre buissonnière
Mes amis n'ont pas le doigt
sur la couture du pantalon
Mes amis font bande à part
Le bât blesse mes amis.
(Une version de ce poème
a été publiée dans le N° 31/32 de la revue"Le
Cri d'Os")
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On peut se procurer ce recueil,
au prix de 6,1 euros (40 FF), auprès
d'Encres Vives:
Michel Cosem - 2 Allée
des Allobroges - 31770 - COLOMIERS
On peut se procurer cet ouvrage,
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Ce poème a été
également repris pendant un temps sur le site italien
Transfinito
(Une version de ce poème
a été publiée dans le N° 159 de la revue"Traces")
Le oiseaux assoiffés
puisent de leur bec dans le verger
l'eau aigrelette des fruits verts
Une langue avide cherche
le petit lac de sueur
formé au creux d'une poitrine
Plus bas on entend battre
le sang d'une mère
dans le coquillage de chair
délicat d'un nombril
Des mains d'aveugle lisent
lentement des jambes longues
sous une toison exquise
Les amants sont des miroirs
posés face à face
qui échangent leurs caresses
comme des reflets
En Terre de Feu dit on
la trouée dans l'ozone
rend les brebis aveugles
J'irai vérifier dit l'homme
qui sort de sa compagne
comme un bélier qui naît
pour écrire ce poème.
__________________________________
Fin d'un couple
Adieu
ils trient
l'un ses objets
l'autre ses émotions
Ils font leur valise
Ils y mettent leurs souvenirs
Leurs instants de joies et de peines
les sacrifices consentis
et les mensonges
qu'ils firent semblant de croire
Ils les enfouissent au fond
bien cachés sous les journaux
des jours qu'ils ont cru nouveaux
avec les photos jaunies
en noir et blanc
d'avant la couleur
qu'ils pensaient inaltérables
Ils rangent la valise
dans un lieu inaccessible
Ils l'oublient
Les voici préparés
pour une vie nouvelle
ne sachant pas encore
la place qu'ils s'accorderont
Ils se tournent le dos
Ils s'exilent dans la Sibérie
de leur glaciale indifférence
Ils s'en vont sans se retourner
superbes feignant d'ignorer
que la vie est ronde
comme la terre
et que l'on finit toujours
par où l'on a commencé.
__________________________________
L'ombre des mots
L'oeil attendri
par la bénédiction des larmes
on se dessine
à l'intérieur de soi
Dans le nid de la bouche
où l'écho se blottit
naissent des ailes
couleur d'une pensée
On s'efforce de saisir
les signes d'intelligence
qu'un étranger nous délivre
du fond d'un puits
creusé par la soif
On vide sur la page
le bruit que l'on porte en soi
L'ombre des mots cachés
dans les replis de l'âme
se dépose en limon
où germe l'émotion.
__________________________________
La poésie
Ne cherche pas la poésie
où tu crois pouvoir la trouver
Elle n'y est pas
La poésie déteste le bruit
Elle est une maison abandonnée
que l'on retrouve au détour
du sentier où l'on s'égare
La poésie est la phrase oubliée
qui surgit soudain en mémoire
pour rappeler à l'adulte
qu'en lui sommeille un enfant
La poésie est cet alcool
dont on ne peut définir
ni la saveur ni l'effet
La poésie est un feu
qui brûle sans consumer
C'est la visiteuse du soir
qui surgit sans s'annoncer
La poésie est une image
qui d'un seul regard se contente
C'est la passerelle fragile
jetée au dessus de l'abîme
entre deux cimes inviolables
C'est la ligne qui sépare
le souvenir de l'oubli
le point que l'on nomme
toujours et jamais
La poésie est indomptable
Elle meurt aussitôt qu'on l'encage
mais ses pas sont indélébiles
Elle cache sa fuite de seiche
dans l'encre avant qu'elle ne sèche.
Un version française de ce poème à été publiée dans "Le chant des poètes" - Flammes Vives éditeur
Les quatre poèmes ci-dessus
ont été publiés pour la première fois en espagnol
par la revue colombienne Arquitrave
...
On retourne les miroirs
Le ciel
Le silence et la fuite
Est-ce l'arbre ou le vent
J'ouvre un livre
Je suis parfois l'un
Parfois
|
En illustration, cette enveloppe que Michel-François Lavaur m'a envoyée, avec le N° 163 de Traces, après la réception de mon recueil |
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Michel Cosem - 2 Allée
des Allobroges - 31770 - COLOMIERS
Un extrait de ce recueil a
paru sur le site italien Transfinito
Faire crépiter encore
un instant nos brandons
afin de déjouer
la mort qui nous enroche
Tracer droit le sillon
pour regarder le soir
le soleil se coucher
sans avoir à rougir.
Une version de ces textes
a été publiée dans le n° 163 de Traces
Ecarquillant ses puits à larmes
le dolmen escargot rumine
l'herbe amère des pampas lointaines
en regardant les trains filer
Il dresse haut ses écoutilles
comme des ailes inutiles
sans avoir peur de s’envoler
L'animal a les pieds sur terre
Il se rit des qu’en dira-t-on
N'étant pas né licorne il porte
avec fierté la lyre sans crins
de l'infortune conjugale
Entre les ramures effeuillées
de ces deux moignons d'andouillers
des rêves de prairies lunaires
viennent parfois tresser leur nid.
______________________________________
L'amante
religieuse
La mante aux allures de bigote
dévore dit-on son cavalier
sitôt fini l'accouplement
Aux gens qui savent observer
ces animaux qu'on dit sauvages
délivrent parfois des leçons
d'une troublante humanité.
Ces deux poèmes ont
été publiés dans le N° 21 d'Avel IX
**
Bourdon
comment le pèlerin
sur toi peut-il s'appuyer
sans se piquer?
Une version de ces textes
a été publiée dans le n° 164 de Traces
Une version de ce texte a
été publiée dans le n° 165 de Traces
**
Les amours que nous semâmes
au sein des filles cochères
dans nos songes nous reprochent
de n'avoir jamais pu croître.
**
Un chien qui en vain s'efforçait
d'attraper sa queue de ses dents
finit par succomber de faim
pour n'être jamais parvenu
à faire se joindre les deux bouts.
Une version de ces textes
a été publiée dans le n° 166 de Traces
Les femmes qu'ils n'ont pas eues
hantent la mémoire des hommes
Comment trouver le repos
Il y a tant de femmes dans le monde.
**
Ne te pique pas au jeu
Reviens sur les aveux tus
Ne t'enferme pas dans ton île
Favorise tout ce qui noue
Prohibe tout ce qui voue
Rends la liberté à tes ailes
Et surtout ne cède pas
au vertige des isthmes.
Une version de ces textes
a été publiée dans le n° 168 de Traces
L'instant
étincelle d'étoile morte
qui se survit par sa lumière
dans la nuit de la mémoire
allégorie du présent bref
entre l'essor et la chute
encore flamme et déjà cendre
la foudre de l'écureuil
corde qui vibre
de la branche du passé
à celle de l'avenir.
L'instant choisi
où se confondent
ce qui meurt et ce qui naît
dans l'étonnement de la découverte
où l'éphémère se condense
en larme d'éternité
qui roule entre les doigts
comme une bille de mercure.
L'instant présent
tic tac du pouls
aiguille de la balance
qui pèse hier et demain
absorbé par le passé
en fuyant vers l'avenir
le sommet où se rencontrent
les regrets et les espoirs
Du haut de cette éminence
l'on évoque et l'on suppute
ce qui fut et qui sera
la vie entre parenthèses
ces deux dates qui nous bornent
question de tuer le temps
avant qu'il ne nous abroge
La durée des éphémères
n'est pas celle des humains
qui n'est pas celle des astres
ces étincelles qui se noient
au fond de l'éternité
Notre vie n'est qu'une fable
qui nous berce d'illusions
depuis l'âge des questions
qui sont restées sans réponse
à celui de la réponse
à la question que nous sommes
Une fable dont jamais
nous ne lirons la morale.
Une version de ce poème
a été publiée dans le n° 22 d'Avel IX consacré
au temps
L'instant présent
n'a qu'un commencement
la naissance
et qu'une fin la mort
Il glisse Il est le mouvement
qui déplace le paralytique
Jamais semblable
et toujours lui-même
il est notre éternité
Pas encore hier déjà demain
lui seul existe
Lui seul porte l'angoisse de l'inachevé
et la peur de l'aboutissement
Le passé et le futur
ne sont que des fantômes
Le vent coule sans effort
de l'en de-ça à l'au-delà
La mémoire la prémonition
sont les oeillères de la conscience
Il n'est d'objectif que l'instant
où l'on devine
les écailles d'une truite
dans les couleurs de l'arc-en-ciel
La rose éphémère du temps
s'épanouit dans le présent
La goutte d'eau de la rivière
ne se demande jamais
si c'est elle qui fuit
où si c'est le courant qui l'emporte
pas plus que l'arbre ne sait
si c'est le vent ou lui
qui prête à l'autre sa voix.
Une version de ce poème
a été publiée dans le n° 169-70 de Traces
Une version de ce poème
a été publiée dans le n° 24 d'Avel IX consacré
au Visible et à l'Invisible
Pour qui garde ses yeux d'enfant
le chemin de la vie est un livre d'images
Le saule aux branches toujours lasses
recueille afin de s'en parer
les larmes que la lune verse
dans ses ramures éplorées
L'hiver donne carte blanche au printemps
Le givre monte en épingle
sur les herbes la rosée
Sur l'épaule d'un talus
le clin d'œil de la violette
annonce les hirondelles
Le bec des germes tire des lignes
à l'encre verte sur les champs
Des coqs se cachent dans les blés
sous les abeilles de l'été
Le soleil fait sourire la pluie
et réveille l'instinct du paon
qui sommeillait dans ses larmes
Les vergers de l'automne tiennent
les promesses des primevères
Dans la nuit de l'aveugle scintillent des étoiles
ouvertes sur un inconnu qui le regarde
et sur les lèvres des amants
le baiser est une blessure qui se ferme.
Ce poème figure dans
"Enchantons la vie", une anthologie poétique publiée par
l'Académie Européenne des Sciences, des Arts et des Lettres
Je suis le seau qu'on remonte
du fond d'un puits
avec son manteau de fer
et son cœur de pluie
le seau qui se cogne
aux parois du puits
et sur la page déverse
le bruit qu'il transporte en lui
...
Ces vers sont extraits du recueil "Sous les couteaux des horloges" ( Encres Vives - N° 388)
On peut se procurer cet ouvrage,
au prix de 6,1 euros (40 FF), auprès
d'Encres Vives:
Michel Cosem - 2 Allée
des Allobroges - 31770 - COLOMIERS
Il en est qui placent leur salut
sur une planche
ou le pain quotidien d'une prière
et moi je cours je cours toujours debout
après je ne sais quoi
Décoré de neige ou paré de boue
je cours. Je cours
sachant que je n'irai jamais
jusqu'au bout de moi-même
avant d'être à mon tour
la proie du silence
Quelquefois je place
ici ou là
des points et des virgules
dans ma vie
pour souffler un peu
Je vaque par procuration
en feuilletant les catalogues
des agences de voyages
dont chaque page est un tremplin
pour un grand saut dans l'inconnu
Je pêche la voix des marées
dans une conque abandonnée
Avec ma chemise de soie d'Hanoi
mon pantalon de Tourfan
mon tricot de La Ligua
et mes chaussures de Sherbrooke
j'ai l'impression d'être habillé
avec un patchwork
Tout voyageur qui se respecte
est pèlerin de l'absolu.
Une version de ce poème
a été publiée dans le N° 25 de AVEL IX (Voyageurs...
Nomades... Itinérants)
Cet autre
Quel est cet autre qui me flanque
qui me retient lorsque je pars
qui me suit dans tous mes voyages
et qui me précède à l’hôtel
Qui m’épie quand je me crois seul
Qui pèse mes joies et mes peines
Qui de son doigt sonde mes plaies
Qui jongle et fait des pitreries
dans la banlieue de ma raison
Qui dicte ces vers maladroits
dont je ne suis que le copiste
Qui se gausse de mes échecs
Qui me rappelle que je suis
pareil à ceux que je condamne
Cet écho dont je suis la bouche
ce reclus dans son oubliette
qui fait son nid dans mon sommeil
lorsque je m’endors sur mon ombre
est-ce le mort que je serai ?
Une vidéo de ce poème, qui
a été aussi publié dans le N° 11 de la revue La
Rose des temps, est
ici
Objection de conscience
Un poisson
avait tant d’imagination
que ses nageoires devinrent des mains
et que ces mains devinrent des ailes
Quel sera notre lendemain
Et moi l’héritier du hasard
moi dont la peau part en écailles
le migrateur dépourvu d’ailes
j’ai gardé au sein de mon sang
un peu du sel des océans
Du fond des temps obscurs
un singe me fait signe
et si je ne veux pas
tenir de fusil
mon capitaine
c’est que je crains
de sentir tout à coup
mon visage et mes mains
se recouvrir de poils.
Une vidéo de ce poème est
ici
et sa traduction en espagnol ici
Pupille des brasiers caniculaires
Ballerine de la chaleur
la flamme qui neige
est l’aile de la cendre
Si je perds pied dit-elle
c’est pour mieux me noyer
dans le fond de l’azur.
Lézard sur le rocher tiède ainsi
qu’un réchaud
je me laisse pénétrer par la
chaleur d’en haut
et par celle d’en bas je me laisse calciner
paisiblement par la joie de me sentir vivre
Dans le ciel l’écriture tendre des oiseaux
un aigle agile qui surfe sur l’air chaud
un loup qui passe dans l’écume en suspens
m’adressent des signaux de connivence
La fuite d’un orvet partage l’herbe molle
comme nage un ange dans une église
de seigle
la prairie mime le mouvement de la mer
de l’ablette à la belette ma pensée
erre
L’étoile buissonnière de l’aubépine
m’interpelle
ne laisse pas s’enfuir ta chance me dit-elle
savoure ces lueurs dont se trame ta lumière
Caché dans l’orge un ogre t’épie
sous la paupière close des épis.
Ces poèmes sont extraits du recueil:
L'aile de la cendre - Éditions Edilivre
- 2011 - Feuilletage
Nos cinq sens sont les sentinelles
qui nous aident à distinguer
ce qui menace ou gratifie
Sans eux nous ne connaîtrions
ni le plaisir ni la douleur
Nous ne serions que des cadavres
dans un paysage lunaire
Entre nos sens il n'est pas de frontières
Sous les doigts de l'aveugle
s'ouvrent des pupilles
tandis que ses mains butinent
le papier charançonné
qu'inventèrent les guêpes
L'enfant sage apprend sa leçon
sur le bout des doigts comme il compte
Nous entendons par l'œil sur les lèvres
et dans les regards du silence
La parole naît dans l'oreille
pour être la mère de l'écrit
et que la main parle par lui
On aime par le cœur et peut-être encore
plus
par l'œil le nez et la bouche
C'est par les yeux que l'âme se vide
plutôt que dans l'ultime souffle
On cherche en vain les racines du feu
dans la nuit de la houille
On avance en aveugle
dans les ténèbres de l'esprit
On se heurte à l'indicible
On nage dans le doute
On se noie dans l'oubli
On s'accroche aux épines
où fleurissent des bouches
muettes par trop d'amour
On se déchire aux ronces
sans jamais déchiffrer
la flamme des lucioles
qui fleurissent les souches
A quoi servent nos cinq sens
si le sixième nous manque
Parfois on devine
qu'un troisième œil voudrait éclore
celui du puits celui qui sonde
les ténèbres celui qui plonge
dans les profondeurs du sacré
ce qu'il nous faut garder secret
dans les limbes de la conscience
où naquit la première idée
La madeleine de Proust
enjambe le temps.
Le texte ci-dessus figure dans le n°
26 de Avel IX
Quelle étrange famille. L'ouïe
serait, pense-t-on, la première venue de nos sens; ce serait par
elle que l'embryon percevrait déjà, derrière un mur
d'étoupe, du fond de la nuit foetale, les murmures d'un autre monde
sans augurer encore qu'il en fera un jour partie. Pour ma part, je placerais
plutôt le toucher en tête de la chronologie, le toucher que
l'être même le plus démuni, le plus rudimentaire, possède,
dont l'odorat, venu après, n'est qu'une subtile désinence
qui laisse espérer ce que le goût prolonge et satisfait. Puis
viendrait l'ouïe, sauf-conduit des équilibristes, qui ne perçoit
le bruit que par surcroît puisqu'elle naquit dans le silence, les
oreilles pour balancier. Et enfin, la vue, la benjamine, le sens plus élaboré,
le plus minutieux, sinon le plus mystérieux, car tous le sont.
Le toucher est ambigu. Si la main caresse
elle brandit aussi, elle saisit et repousse. Toucher, c'est palper et c'est
aussi faire vibrer l'autre. On serre la main pour dire bonjour; on la presse
pour dire je t'aime. Le toucher est un instrument de contact, un capteur
de proximité, comme le goût. L'un et l'autre sont voisins
du cœur. Le verbe aimer s'emploie pour l'être cher comme pour la
viande savourée. Quand on évoque le toucher, on pense à
la main, mais c'est toute la peau, cet emballage protecteur, qui en est
l'organe et qui, non seulement nous renseigne, sur le chaud et le froid,
le doux et le rugueux, le tendre et le dur, la caresse et le coup, mais
joue aussi un rôle éminent dans la large panoplie de nos régulateurs
thermiques.
La vue, l'ouïe et l'odorat s'accomplissent dans la distance. Ils sont nos antennes, les sentinelles de l'esprit. L'œil est le symbole humain de la méfiance; c'est un trou dans une serrure, notre principal espion, celui qui nous fournit l'essentiel des renseignements sur le monde qui nous entoure, en couleur et cinémascope parce que nos deux yeux sont placés au-dessus de notre nez au lieu de se trouver à côté de nos oreilles. L'œil ressemble à une cible qui lancerait des flèches si bien qu'il supplée parfois à la parole. Sa portée est longue, plus que celles de l'oreille et du nez qui entendent et sentent pourtant plus loin que leur bout. C'est ainsi que sonne assez tôt le tocsin pour nous donner l'opportunité de saisir une occasion ou d'esquiver une menace.
Qu'ils soient de distance ou de proximité nos sens s'épaulent. Des paupières s'ouvrent au bout des doigts de l'aveugle et ceux qui distinguent le jour de la nuit écoutent la voix d'un livre par les yeux comme l'aveugle le lit avec ses doigts; des nerfs curieux se cachent à des endroits que l'on ne soupçonneraient pas! Le goût, qu'affûtent les épices, et l'odorat, que réjouissent les fragrances, sont deux compères qui vont bras dessus bras dessous tandis que les sueurs de l'oignon offusquent l'œil pour en tirer l'apparence du chagrin. Le parfum de la fleur précède et annonce la saveur du fruit. C'est le fumet qui déclenche la liesse des papilles, l'escarmouche des postillons, la douce pluie des gourmandises. L'odorat est l'avant-garde du goût et son héraut, l'annonciateur des félicités gustatives. Image de l'escargot, la langue naît dans la forge de l'oreille, entre l'enclume et le marteau, un pied à l'étrier, et c'est la main dit-on qui façonna le cerveau, comme celle du potier tire de l'argile la forme accomplie d'un vase, en tâtonnant dans la nuit des limbes. La main voit, la main pense aussi. Mais c'est par leur odeur que nos lointaines cousines, les guenons hurleuses, attirent leurs mâles (sommes-nous si différents?). Et c'est en jouant des castagnettes que les crabes violons intéressent leurs femelles (cela vous rappelle-t-il quelque chose?). Enfin, l'expérience prouve que les sourds entendent mieux lorsqu'on leur tire les oreilles!
Au carnaval des animaux, dans la musique des
cinq sens, l'homme n'est pas le mieux placé. Et pourtant, sans les
yeux du lynx, les oreilles du lièvre, le nez du chien..., cet être
si imparfait est devenu le maître du monde grâce à sa
main qui touche, lit, repousse ou saisit. C'est que rien d'indispensable
ne subsiste éternellement et qu'un sens s'épanouit quand
l'autre se restreint. Regardons le ciel plutôt que le sol, notre
vision s'élargira et notre nez raccourcira. Lorsque le regard s'obscurcit
le toucher s'affine. Refusons d'être cet étrange bipède,
né pour marcher debout et voir au loin, qui passe la plus grande
partie de son temps assis dans une chaise avant de finir dans un fauteuil
roulant. Malgré les plis du temps, qui rident les hommes comme les
pommes, rendons le timon à nos sens.
Comme un facteur choisissait
sur le chemin des cailloux
pour son palais des merveilles
patiemment dans ta fourbithèque
pendant près d'un demi siècle
tu as noué et renoué
la longue chaîne des poètes
venus de tous les horizons
qui se lisant les uns les autres
se reconnaissent sans se connaître
Les recueils nous parvenaient
sous des plis enluminés
de fleurs d'oiseaux et de visages
sur les ailes d'un oiseau bleu
comme le vent parfumé
en passant sur les fleurs champêtres
apporte aux enfants des villes
des promesses de vacances
Leurs pages calligraphiées
en caractères hétéroclites
symboles de la liberté
ornées ça et là de dessins
qui ressemblaient à des dentelles
nous faisaient penser aux cahiers
des récitations de l'enfance
accroche-cœurs de tous ceux
qui sang pour sang préfèrent
toujours
le coquelicot au ruban rouge
Des lapins sortis d'un chapeau
y fourrageaient dans la rosée
le farouche porte-bonheur
en compagnie de sympathiques
éléfantaisistes fantastiques
L'écureuil trouvait la noisette
et la figue du mendiant
sous l'arbre qui lui tend la perche
Et toujours la main qui écrit
à la proximité du cœur
Mais voici que le temps s'en vient
de nous rassembler à nouveau
pour un dernier feu d'artifice
C'est un phare qui va s'éteindre
mais sa lumière durera
pareille à une étoile ancienne
à jamais dans notre mémoire.
Ce poème est paru dans le N°
176 de la revue Traces
Le printemps prépare sa palette
Il mélange l'or du soleil
avec le bleu du firmament
pour peindre de vert les forêts
dont les arbres sont des prés hauts
où se récréent les oiseaux
On pourrait croire que l'arc-en-ciel
vient de tomber sur les jardins
pour enflammer les plates-bandes
et rendre leur éclat aux fleurs
qui tracent des chemins d'odeurs
où l'abeille vient s'égarer
et qui annoncent la couleur
en agitant leurs oriflammes
de sorte que pour nos beaux yeux
sonne la fanfare du printemps
Les teintes pures sont les accents
de la lumière désagrégée
La nuit absorbe les couleurs
Le jour restitue leur éclat
Toutes les couleurs sont de vie
sauf le noir qui est de mort
L'aube rend sa présence au monde
et leur identité aux choses
La nature nous la joue en touches
pour que nos yeux soient les miroirs
de toutes les beautés du jour
qui se métissent en nuances
dans notre âme où les sentiments
se colorent de mille façons
La peur est bleue la misère noire
la colère rouge et vert l'espoir
Le fard des lèvres et des joues
dissimule les bleus à l'âme
Et le bonheur pare de rose
la grisaille d'un jour morose
A l'époque des floraisons
l'homme se sent le frère des plantes
et le ton des corolles exprime
les sentiments cachés des plantes
Il y a tant de pages blanches
et de crayons à quatre mines
pour mieux consigner tout ceci
Avec du bleu du vert du rouge
l'écran noir de l'ordinateur
radieusement nous en fait voir
aussi de toutes les couleurs.
Une version du poème ci-dessus figure
dans le n° 27 de Avel IX
On voudrait croire
que la bouche du poète
est un regard percé
dans le mur du silence
Mais le rêve
qu'il soit en noir et blanc
ou en couleurs
n'est qu'une fable
un souvenir
impossible à dater
que lave l'oubli
Et le silence pèse l'ombre
Dire
sans avoir à parler
pour ne rien dire
Ecrire
pour noyer dans les mots
sa douleur
Ecrire
pour se parler à soi-même
Ecrire enfin
pour apprendre à se taire
...
Ces vers sont extraits du recueil "Sous les couteaux des horloges (2)" ( Encres Vives - N° 439)
On peut se procurer cet ouvrage,
au prix de 6,10 euros, auprès
d'Encres Vives:
Michel Cosem - 2 Allée
des Allobroges - 31770 - COLOMIERS
Eternelle ronde des saisons
éventail qui se mord la queue
valse à quatre temps, quatuor
qui donne son rythme à la vie
il y a quatre saisons
comme il est quatre horizons
quatre couleurs pour les cartes
et quatre temps dans la vie d’homme
jeunesse âge adulte vieillesse
et quand vient le temps de la mort
se referme une parenthèse
On n’attend nulle renaissance
L’an s’habille d’abord de blanc
comme afin de cueillir le gui
puis il endosse l’habit vert
avant de se vêtir d’un or
qui plus tard en rouille se change
pour enfin que tombe l’hiver
saison qui se marie en blanc
à califourchon sur deux ans
Changement de décor à vue
roue véloce à 12 rayons
qui tourne de plus en plus vite
afin d’écraser les aînés
d’un hiver à un autre hiver
le temps court après lui-même
comme les chevaux de bois
Et nous que poursuivons-nous
pèlerins des quatre horizons ?
Une version du poème ci-dessus figure
dans le n° 29 de Avel IX
Dans les temps héroïques de la marine à voile, les vieux loups de mer louvoyaient, brûle-gueule à la bouche et cœur de cuir tanné, des jours, des semaines, des mois, contre les vents et les courants contraires, sur la voie des naufrages et ses eaux rugissantes, gonflées de monstres aquatiques, là où les océans s'attirent et se repoussent, soumis à la menace des houles hauturières, qui balayaient les ponts et soulevaient les tripes, en chantant pour puiser au plus profond d'eux-mêmes, le courage de vaincre les vagues ameutées, dans les embruns salés qui leur piquaient la peau, sous les pluies verglaçantes qui criblaient leurs visages, et picoraient leurs yeux, au large et parfois près de côtes hérissées, sous la sourde menace des secousses terrestres, qui font danser les pierres et soulèvent les flots, à la merci d'écueils qui éventrent les quilles, à portée de la main des butineurs d'épaves, vêtus de peaux d'oiseaux cousues avec leurs plumes, comme des peaux d'agneaux, qui allumaient des feux pour leurrer les navires, et les précipiter dans l'enfer des abîmes. Il fallait échapper aux traquenards des hommes, après avoir vaincus l'humeur des éléments.
Dans les temps héroïques de la marine à voiles, les vieux loups de mer migrateurs, repus d'émotions fortes affamés de repos, quelle félicité leur submergeait le cœur, lorsqu'enfin la vigie leur annonçait le port, la terre promise, le sol au nom prédestiné, vallon du paradis à jamais le symbole, du havre qui accueille, de l'escale rêvée, la halte bienheureuse sous les palmes ombreuses, la cordillère côtière et ses pentes fleuries, de cases colorées perchées comme des nids, jusqu'au pinacle ultime des collines orantes, pareilles à des lambeaux de lumière arrachés, à l'arc-en-ciel quand le soleil fait rire la pluie.
Le temps était venu de tanguer sur la
terre, manger et boire, chanter et faire bombance, gorgé de pisco
sour au citron de Pica, de centollas, de picorocos, de machas, que
l'on gratine au parmesan, de chirimoyas et de loukoumas, sans négliger
le piure, qui attise le désir, et rend fou les amoureux, afin d'oublier
les périls et de surmonter les angoisses, en retrouvant un
peu la tiédeur d'un foyer, entre les genoux durs de gaillardes ardentes,
tandis que pourrissaient sous les araucarias, les premiers et derniers
colons de Puerto Hambre, morts de famine après s'être nourri
d'écorces.
Une version du texte ci-dessus figure dans
le n° 30 de Avel IX
Le songe est un rêve éveillé donc peu ou prou contrôlé par la raison et les interdits de la morale, la bienséance et les règles de vie en société. Le songe, même s'il se rapporte à d'autres temps, est intrinsèquement contemporain. Mais le songe nous rend miroir de nous-mêmes et ce miroir se peuple de fantômes. Ceux-ci peuvent-ils sortir de leur piège d'eau figée? Certains le pensent et prétendent que ces tulpas peuvent alors échapper à celui qui les a créés et vaquer dans le monde comme des êtres de chair et d'os. Il faut se méfier de l'eau qui dort, surtout quand elle dort dans les nuages.
On rêve ce que l'on ne peut vivre ou ce que l'on souhaite vivre sans s'en douter. Le rêve n'appartient pas au présent, mais au passé ou à l'avenir. Il n'obéit pas au temps des horloges. Il est en quelques secondes un condensé d'éternité. Ne dit-on pas que ceux qui maîtrisent leurs rêves sont capables de se souvenir et de raconter leurs vies antérieures, comme si le rêve était une fenêtre ouverte sur nos autres vies? Dans les rêves se rencontrent des lieux familiers que l'on n'a jamais fréquentés. D’invisibles étrangers nous interpellent sous des noms inconnus, venus d'autres temps ou d'autres univers, qui font vibrer la fibre la plus intime de notre être. Je me souviens avoir été hélé une nuit sous le patronyme de Ganganelli. Intrigué, j'ai cherché ce nom sur Wikipédia : c’était celui du pape Clément XIV du 18ème siècle, dont je n'avais jamais entendu parler. J'appris que ce pape fonda les musées du Vatican, protégea les Juifs mais supprima les Jésuites, sous la pression des rois catholiques de France, d'Espagne, du Portugal et de l'empereur d'Autriche, avant de prédire lui-même sa propre mort qui survint quelques mois plus tard, son corps étant devenu bleu foncé, ce qui suscita des rumeurs d'empoisonnement. Pourquoi et quelle étrange entité me tira de mon sommeil en m'interpellant sous ce nom?
Le rêve équilibre la réalité. C'est le puisard de l'imagination, l'expression des refoulements, le drap blanc de nos fantasmes gonflé par le vent des désirs inassouvis, la réalité des profondeurs à l'abri de la raison, de sa férule et de sa chiourme, le tocsin des prémonitions. L'interprétation des rêves peut-elle nous servir de guide? En nous mêlant à des illusions, ne risquons nous pas de nous métamorphoser nous-mêmes en chimères?
Le rêve nous affranchit de la morale et des règles de vie en société. On peut commettre, en rêvant, impunément des vols, des meurtres et des adultères. Les rêves ne se répètent pas, ou plutôt il n'y a qu'un rêve mais dans des versions toujours différentes, tantôt roses et parfois noires, de liesse ou de cauchemar. Cette projection de nos fantasmes fait penser au cinéma. Oui, le rêve est du cinéma, comme le cinéma est du rêve. Les personnages qui traversent nos rêves ne sont que les ombres de la lumière, elle-même regard de l’éternité sur le fugace, mais ces fantômes nous hantent parce qu'ils sont enracinés au plus profond de nous-mêmes et qu'ils n'apparaissent que pour conjurer nos frustrations, surmonter nos craintes ou nous alerter sur les embûches qui nous sont promises, les chausses trappes qu'à chaque pas nous creusons devant nous. Sans doute le rêve nous vient-il d'un lieu caché, là où sont enfouis les secrets que l'on ne perce pas, proche des sources de la folie, au royaume des illusions qui nous font voir les choux-fleurs comme des nuages, les roses comme des joues-fleurs.
Dans le rêve pactisent
cœur blessé et tête fêlée
pour que naisse la poésie
et que l'on sente en nous germer
des fleurs qui s'épanouiront
et se faneront sur nos lèvres
Qui sait, peut-être la sève du dragonnier rêve-t-elle d'être le sang d'un homme?
Une version du texte ci-dessus figure dans
le n° 31 de Avel IX
On ne demande pas que les fleuves
régressent vers leur source
On voudrait seulement
que le temps s'arrête
que le sablier
reste horizontal
que les enfants
cessent de grandir
que le chant du coq
ne déchire plus
la nuit des amants
Mais la graine alors
germerait-elle encore
dans la nuit de la terre ?
Ce poème figure dans le N° 29
de Rose des temps
Toute blessure est un partage.
Ce poème figure dans le N° 30
de Rose des temps
Quand tirelire l'alouette
et que neigent des pâquerettes
sur le gazon rasé de frais
Quand le soleil fait rire la pluie
tirant du blanc sept couleurs
pour orner la porte aux lueurs
que jamais nul n'a franchie
le vieil homme se sent la vague
d'une houle de haute mer
et son pouls submergé de joie
au rythme de la nature bat
L'oiseau bavard qui chante en mai
lui fait sauter le coeur de joie
tout comme dansent les cabris
Mais quand vient novembre la chute
dans la boue noire de l'or des feuilles
le remplit de mélancolie
Tristesse et joie s'en vont de pair
L'une n'est que l'ombre de l'autre
L'allégresse est une bourrasque
salubre qui nettoie notre âme
comme un rayon de la bonté
universelle qui nous touche
Le chagrin est comme une chape
qui pèse du poids de l'absence
L'une et l'autre sont émotions
qui tirent des larmes d'un puits
où nos secrets sont enfouis
La joie tout comme la tristesse
de notre âme sont les accents
la gaieté le bonheur la liesse
nous aident à masquer le vide
qui fore des trous sous nos pieds
La tristesse n'est que le regret
de tout ce qui nous est volé
Quand un bourgeon s'épanouit
c'est la mort qui se remémore
qu'elle est la source de la vie.
Une version de ce poème a été
publiée dans l'Étincelle, bulletin 2019 de l'Association
Les Amis de la Tour du Vent
Sa queue levée la vache
est un cadran solaire
La mouche qui la pique
en fait un métronome.
Ce poème figure dans le N° 34
de Rose des temps
Sous des platanes à pattes d'éléphants
des vieillards rhumatisants
cherchent un semblant d'équilibre
en visant soigneusement une cible
qualifiée de cochonnet
sur un billard sans tapis
Les uns disposent d'un aimant
fixé au bout d’une cordelette
pour ménager leur dos endolori
Il en est qui soufflent sur la boule
et d'autres qui crachent dessus
afin de mettre pensent-ils
toutes les chances de leur côté
et soudain je me souviens
qu'en Asie des archers
mouchent la flamme d’une bougie
d'une flèche les yeux fermés
Les joueurs mesurent la distance
et les accidents du terrain
D'un regard ils évaluent
l’écart qui sépare
la réussite de l'échec
Les gauchers se trahissent
par le balancement du bras
Les boules roulent sur le sable
convenablement damé
pareilles à des talons
qui auraient perdu leurs jambes
Des pigeons dinosaures nains
déambulent autour du ring
d'avant en arrière secouant la tête
pour aider leurs jambes
Et l'observateur que je suis
se demande si c'est le hasard
ou l'habileté qui marque les points.
Ces vers sont extraits du recueil "Dans l'ambre du temps" ( Encres Vives - Collection Encres Blanches)
On peut se procurer cet ouvrage,
au prix de 6,10 euros, auprès
d'Encres Vives:
Michel Cosem - 2 Allée
des Allobroges - 31770 - COLOMIERS
Dis papy
demande l'enfant à son grand-père
le lion prend-t-il des ailes
en vieillissant?
Ce court poèmes figure
dans le n° 35 de Rose des temps
La mante aux allures de bigote
dévore dit-on son cavalier
sitôt les amours achevés
Aux gens qui savent observer
ces animaux qu'on dit sauvages
délivrent des leçons remplies
d'une troublante humanité.
Ce petit poème figure
dans le n° 36 de Rose des temps
Voici l'homme devant une pomme. Il la regarde et elle l'ignore. Elle n'est pas lui, il n'est pas elle. Aussi replète qu'une planète, avec une fossette large et profonde, pareille à un volcan qui aurait rejeté autour de lui sa bave et planté sa queue au fond du gouffre.
Le couteau n'a rien de commun avec la pomme, et pourtant entre eux l'homme devine une sorte de complicité. La pomme ne frissonne pas à l'approche de l'acier. A peine est-elle un peu crispée. L'homme prend le couteau et la partage.
La chair de ce fruit tout en joues n'est pas pierreuse, comme celle d'une poire tout en fesses, moins juteuse et plus ferme, parfois un peu farineuse, et moins onctueuse que celle d'un abricot. Chaque pomme à son caractère.
Au milieu un filigrane dessine dans la chair un cœur plus clair dont le pourtour délimite les loges écailleuses des pépins, pareils à de petits reins ou à des fœtus nains. La queue dans sa dépression métamorphose en as de pique ce cœur de contrebande.
L'homme coupe la pomme en quatre. Il épluche soigneusement chacun des quartiers. La pomme ne crie pas sous le couteau. Un fruit bien élevé feint l'indifférence. Il accepte son destin sans broncher. Il donne à son bourreau une leçon de stoïcisme, sans que celui-ci s'en doute.
Derrière sa rondeur benoîte et sa placidité bonhomme, la pomme cache tant de douceur et tant d'acidité.
L'homme entame le premier quartier. Le morceau mâché suscite l'ébullition des papilles, l'escarmouche des postillons. Il lui semble alors que la pomme cette fois-ci se rebiffe. Et qu'elle lui offre une saveur ambiguë, comme pour se venger d'avoir été forcée. Si le mot pomme possède un sens, c'est par la bouche qu’il s'entend.
L'homme n'est pas une pomme, pas plus que la pomme n'est un homme. Et pourtant elle va devenir sa chair son sang, et même sa pensée peut-être, par la mystérieuse alchimie de la digestion qui le comble.
Une jeune femme, dont on ne distingue pas le visage, tient une pomme rouge entre ses mains. Le poète y voit palpiter son cœur, entre les serres d'un rapace.
Sur la blancheur d'une assiette, une rouge pelure et trois pépins
se souviennent qu'ils furent pomme.
Ce poème a été
publié dans le bulletin 2020 des Amis de la Tour du Vent - Bruits
du Monde et Sérénité
Comment le pèlerin
sur toi peut-il s'appuyer
sans être piqué?
Une version de ce court poème
figure dans le n° 37 de Rose des temps
Déjà d'un autre temps
dans un espace inatteignable
tu es si loin
engloutie dans une nuit plus longue que la nuit
que je ne puis te parler qu'en silence
parce que les yeux du coeur
peuvent seuls te voir
si proche
En songe tu es venue me visiter
et tu m'as dit
Tu vois, je ne suis pas morte
Mais il ne faut pas le dire aux autres.
Une version de ce poème
figure dans le n° 39 de Rose des temps
On voudrait croire
que la bouche du poète
est un regard percé
dans le mur du silence
Mais le rêve
qu'il soit en noir et blanc
ou en couleurs
n'est qu'une fable
un souvenir
impossible à dater
et que lave l'oubli
quand le silence pèse l'ombre.
**
Dire
Dire
sans avoir à parler
pour ne rien dire
Ecrire
pour noyer dans les mots
sa douleur
Ecrire
pour se parler à soi-même
Ecrire enfin
pour apprendre à se taire.
Une version anglaise de ces
poèmes et de quelques autres ont paru dans Anthology of International
Contemporary Poetry - Galaxy - Edizioni Universum - Trento - Italia - Agosto
2021
Edilivre - 2021
Ouvrage illustré en
couleur - 15 euros - Chez Edilivre et en librairie
Si le gour était un poème, il serait un rondeau. Son regard engoncé dans l'orbite broussailleuse des collines, cet oeil noir de la terre qui m'interroge, qui suppute le poids de mes os, celui de l'or caché sous les feuilles rouillées, de la chair frémissante sous la danse légère du soleil, la bouche de la fleur où s'abreuve l'abeille, sollicite en moi les confins, où germe le soupçon de l'ombre, dans la brûlure des chardons. La surface de l'eau est la porte du désespoir. Méfions-nous de celle qui dort. C'est une voracité qui nous jauge. Les racines des arbres trébuchent sur les pierres. Mais dans le ciel tricoté des forêts, les branches servent de passerelles aux écureuils. Il est encore des échelles pour gravir. Hors de moi.
Une version de ce poème figure dans
le N° 40 de la revue Rose des temps
Marcher le soleil dans son dos
pour piétiner cette ombre
qui nous allonge sur la terre
lorsque la lumière du jour baisse
Marcher le soleil dans son dos
pour regarder la mort en face.
Une version de ce poème figure dans
le N° 41 de la revue Rose des temps