A l'époque précolombienne, les Incas du Pérou
avaient fondé l'empire le plus puissant d'Amérique du Sud.
Leur influence politique s'étendait du sud de l'Équateur,
à la Bolivie, au nord-est de l'Argentine et jusqu'au centre du Chili.
L'État inca était le suzerain de centaines de potentats andins
et, pour les maintenir sous sa dépendance, il fut amené à
mettre en place une administration efficace.
Le gouvernement inca se montrait extrêmement méticuleux. Il contrôlait dans le plus grand détail l'intégralité de l'activité des populations qui lui étaient soumises grâce à un système comptable ingénieux basé sur l'utilisation du quipu, l'outil d'enregistrement par excellence de cette période culturelle. Cet instrument, de couleur naturelle ou teint, était constitué d'une cordelette de laine d'où partaient d'autres cordelettes qui servaient à noter, au moyen de noeuds, les quantités de biens, de main-d'oeuvre, de population ou encore à consigner des événements mémorables. Beaucoup de gens possédaient cet objet: les sages, les astrologues, les autorités, les administrateurs, les secrétaires, les comptables et les messagers. Les informations mémorisées sur les quipu étaient centralisées par des fonctionnaires de rang élevé. Guamàn Poma de Ayala, un chroniqueur indigène du 17 ème siècle, mentionne trois personnages distincts: l'administrateur provincial, le comptable-trésorier et le secrétaire de l'Inca. Sa relation suggère que les quipu de ces différents dignitaires n'étaient pas similaires. Celui du secrétaire de l'Inca aurait été teint et ceux des fonctionnaires subalternes auraient été de couleurs naturelles. Ces dernières auraient été associées aux fonctions en relation directe avec la vie quotidienne. Au contraire, les couleurs plus vives, provenant des teintures, auraient été le symbole du caractère sacré, quasi divin, de l'Inca. Sources de l'image et du texte ci-dessus: Le Musée chilien d'Art précolombien de Santiago Le système de numération à noeuds le plus original
et le plus élaboré n'en reste pas moins celui des Incas.
Son importance historique fut énorme puisqu'il constitua la seule
forme d'écriture des fonctionnaires de l'empire. Il servait à
la fois au recensement des populations comme à l'inventaire des
biens stockés dans les magasins et au relevé des ressources
des provinces. Les "gardiens des noeuds", appelés camayocs,
de chaque province de l'empire, tenaient à jour les cordelettes
du quipu qui était ensuite envoyé au gouvernement central
à Cuzco. Les quipu centralisés, qui constituaient les archives
nationales de l'empire, étaient conservés avec le plus grand
soin. Ce système compliqué supposait des connaissances que
bien peu de gens possédaient. Aussi les personnes qui savaient "lire"
et "écrire" les informations d'un quipu jouissaient-elles d'un grand
prestige. La couleur des cordelettes indiquait la nature de l'objet enregistré
et une série de noeuds en précisait la quantité selon
un système de numérotation décimale où, suivant
sa position, un noeud pouvait prendre différentes valeurs. Le zéro
était noté par une position vide. Les unités étaient
représentées par un noeud simple ou double. Les chiffres
de 2 à 9 étaient représentés par des noeuds
complexes dont la valeur dépendait du nombre de tours (voir l'exemple
ci-dessous). A la corde principale était attaché un système
arborescent de cordelettes colorées qui permettaient de tenir une
comptabilité très élaborée. Les unités
inférieures étaient toujours les plus éloignées
de la cordelette maître et les unités supérieures toujours
les plus proches de cette dernière. Sur la cordelette maître
des noeuds totalisaient les comptes des cordelettes subordonnées.
Après la chute de l'empire inca, le quipu fut employé encore longtemps sur les hauts plateaux du Pérou pour le recensement du bétail. Des cordelettes vertes étaient utilisées pour les bovins, des blanches pour les ovins etc. Si l'on en croit des hypothèses récentes, le quipu n'aurait pas été seulement un moyen de numération mais également un instrument d'écriture qui aurait permis de consigner les événements de l'empire. Au lieu d'employer des signes graphiques, les Incas se seraient servis d'un système binaire tridimensionnel que l'on peut rapprocher du langage des ordinateurs. Grâce à sept noeuds et 24 couleurs, ils auraient eu à leur disposition 1500 unités différentes d'informations ce qui est du même ordre de grandeur que le nombre de signes de l'écriture cunéiforme sumérienne et beaucoup plus que les quelques 800 hiéroglyphes égyptiennes. Malheureusement, jusqu'à présent aucun des quipu trouvé n'a encore permis de vérifier cette hypothèse. Il est vrai que les conquistadors ont détruit la plupart des témoignages de la civilisation inca, qu'ils jugeaient démoniaques, et cette pénurie de matériel ne facilite pas la tâche des chercheurs. La découverte d'une pierre de Rosette sud-américaine, à savoir un groupe de quipu accompagné de textes rédigés en espagnol, seraient évidemment d'un grand secours. Voici quelques autres éléments qui complètent les informations ci-dessus. Des tribus quechua fondèrent, à partir de Cuzco, un vaste empire. L'Inca, descendant du dieu solaire, y exerçait un pouvoir absolu sur ses sujets. Atahualpa, le dernier souverain, avait coutume de dire qu'aucun oiseau ne volait, aucune feuille ne bougeait dans son empire hors de sa volonté. L'immense empire inca était centralisé et son gouvernement supposait l'existence de moyens de recensement pour recueillir les informations économiques, démographiques et militaires nécessaires à son administration ainsi que des moyens d'archivage destinés à garder trace des événements importants. Le quipu (noeud en quechua) répondait à ces exigences. Il constituait à la fois un système comptable et un système d'écriture qui permettait non seulement le comptage de toute chose mais également la narration des chroniques passées. Il était constitué d'une cordelette principale d'une trentaine de centimètres, voire plus longue, à laquelle étaient attachées des ficelles multicolores. De ces dernières partaient d'autres brins noués à des distances variables. Le nombre de noeuds et la combinaison des couleurs étaient interprétés par des initiés. Si l'on sait que la cordelette principale se lisait de droite à gauche, en suivant chaque ficelle qui en partait, le déchiffrage des quipu ne repose aujourd'hui que sur des hypothèses d'autant plus hasardeuses que ces quipu sont souvent incomplets. Tout au plus peut-on imaginer que la position et le nombre des noeuds fournissaient des informations quantitatives alors que les couleurs représentaient la nature des objets. Ce système permettait de tenir des comptes très précis des denrées, des armes, des impôts et même de recenser les sommes imposées aux peuples vaincus. Les événements historiques importants y étaient consignés. Sur la cordelette principale, un fil noir précisait par exemple les années écoulées et dotait le lecteur de renseignements événementiels. Un fil rouge, noué à la cordelette principale, représentait le règne d'un empereur; trois noeuds indiquaient la survenance d'événements importants au cours de la troisième année du règne. C'est par un quipu qu'Atahualpa fut prévenu de l'arrivée des Espagnols en 1532: les nombres d'hommes et d'armes y figuraient. Certains procédés scéniques et le souvenir des textes joués sur les théâtres inca nous sont parvenus par le truchement de ces cordelettes. Le déchiffrement des quipu était imparti aux quipumayocs ou camayocs ("gardiens des noeuds"). Ces derniers jouissaient d'un statut privilégié: ils n'étaient pas assujettis à l'impôt. Il en existait plusieurs par village, chacun étant chargé d'une fonction particulière. L'apprentissage du quipu s'imposait aux jeunes nobles. La conquête espagnole, suivie de la mise à mort d'Atahualpa, en 1533, détruisit la civilisation inca et fit disparaître un grand nombre de quipu. Mais ceux-ci seraient encore employés dans quelques régions montagneuses de l'Équateur, du Pérou et de la Bolivie. |