Carnet  de  route  d'un  voyage  sur la route de la soie
juin-juillet 2006 (suite 3)
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11 ème jour: Dunhuang - (Les photos sont  ici ) 

Après avoir gravi des marches et en avoir redescendu d'autres, en suivant de longs et sinueux couloirs, dans la vaste gare de Liuyuan, nous débouchons enfin à l'air libre où notre nouveau guide nous attend; c'est une chinoise d'ethnie han. Elle nous emmène d'abord prendre notre petit déjeuner, copieux, selon les normes du pays, avec force légumes, potages, nouilles et oeufs durs, mais non conforme à nos habitudes. 

Liuyan n'est qu'une bourgade agglutinée autour de la gare qui dessert Dunhuang. La voie ferrée fut construite pendant les années soixante du siècle dernier, à une époque où les relations étaient tendues entre les deux grandes puissances communistes, Union soviétique et Chine, devenues rivales. Les autorités la tracèrent toute droite en remettant à plus tard le soin de la relier avec les villes qu'elle aurait pu desservir; il s'agissait d'amener sans perdre de temps les renforts en direction d'une frontière menacée. C'est la raison pour laquelle Dunhuang se trouve à cent vingt kilomètres de sa gare. 
 
Ensuite, nous prenons la route de Dunhuang, pour nous rendre à notre hôtel. Nous traversons une steppe quasi désertique où le sable jaune, légèrement nuancé de rose, est à peine ponctué par quelques touffes d'herbe à moitié sèche; c'est le désert de Gobi. Les croupes arrondies de quelques montagnes usées par l'âge et le vent moutonnent à l'horizon; leur couleur grise virant au noir trahit la présence de cuivre et de soufre. Un premier arrêt nous permet de photographier les débris de la muraille de Chine, dont les tronçons sporadiques arrivaient jusqu'ici; mais, si loin de Pékin, cette ligne de défense n'était plus qu'un rempart de terre, mêlée de paille et de cailloux, qui n'a pas résisté au temps; la véritable terminaison de la Grande Muraille se situe plus à l'est, à la forteresse Jiayuguan; là, elle est encore très imposante, mais nous ne la verrons pas; une documentation chinoise acquise à Lanzhou me dédommagera; cette partie de la Grande Muraille aurait été construite sous les Han et les Ming, pour protéger l'empire contre les incursions des Xiongnu, des barbares de la famille des Huns; on raconte que les calculs furent si précis, qu'une fois la construction achevée, il n'y eut qu'une brique d'écart! aujourd'hui, Jiayuguan est une cité industrielle moderne possèdant une des plus importantes aciéries du pays; on y traite le minerai des montagnes voisines. 
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La forteresse Jiayuguan (documentation chinoise)
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Quelques mots maintenant sur le Gansu. Cette province recouvre le couloir Hexi qui s'étire sur 1200 km, depuis le mont Wushao jusqu'à la gorge Xingxingxia, entre les steppes mongoles, au nord, et le plateau du Tibet, au sud; les montagnes qui la bordent délimitent un étroit corridor désertique à l'ouest du Fleuve Jaune, d'où son nom. Ce défilé constituait un point de passage obligé pour la Route de la Soie, sur le chemin du Sinkiang au Shaanxi, où se trouvait Chang'an (Xi'an), l'ancienne capitale de la Chine. Sous les Han et les Tang (de 206 avant notre ère jusqu'à 907), les oasis de ce couloir servaient de halte pour les caravanes, les marchands, les émissaires et les pèlerins qui l'empruntaient en un flot continu. Les échanges culturels et commerciaux entre l'Asie centrale et la Chine y laissèrent de nombreux vestiges. Le Hexi attire un nombre toujours croissant de touristes. 
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Une carte du Gansu est ici
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La matinée s'achève comme nous arrivons à Dunhuang, une oasis plantée de peupliers argentés. La ville est située à proximité de la jonction des branches sud et nord de la Route de la Soie qui traversaient la région du Sinkiang, de part et d'autre du désert du Taklamakan; ce fut donc une importante ville de garnison doublée d'un centre douanier; les terres de cette oasis étant fertiles, elle jouissait d'une certaine prospérité; pendant des siècles, les moines bouddhistes qui s'en allaient chercher les écritures vers l'ouest, les pèlerins, les commerçants et les ambassadeurs la traversèrent; la ville fut un temps indépendante; elle fit tour à tour partie de l'empire tibétain et de l'empire chinois; en 111 avant notre ère, l'empereur Han Wudi en fit une préfecture et elle devint un important centre de transit entre l'est et l'ouest pendant les dynasties des Han et des Tang; Zhang Qiang, un émissaire impérial envoyé dans les régions de l'ouest, y passa. C'est aujourd'hui une ville moderne relativement développée, avec une activité commerciale soutenue et de nombreux hôtels; les petits restaurants y foisonnent, vestiges de l'époque où il fallait nourrir les voyageurs de passage; si l'on se réfère à l'ancien livre des Tang, sa population n'a presque pas varié depuis, ce qui montre l'importance qu'elle avait alors (environ 120000 habitants); on y déguste un gâteau local fait de noix et de fruits secs. Les étés y sont très chauds, ce qui légitime les longues siestes.  
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Mogao: Zhang Qian saluant l'empereur Wu lors de son départ pour les contrées occidentales (documentation chinoise)
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Les bagages déposés, avant d'aller déjeuner, je me dirige vers le bar de l'hôtel. Miracle: on y sert du vin au verre; je goûte à un cru portant le nom de la Grande Muraille; franchement, je ne le conseille pas; j'ai bu du vin chinois meilleur à Xi'an, voici six ans. Après le déjeuner, nous repartons pour les grottes de Mogao. 

Ces grottes sont situées au pied du versant oriental d'un effondrement du mont Mingsha, à 25 km au sud-est de Dunhuang. Les habitants de la région les appellent les grottes aux Mille Bouddhas; cette dénomination est d'ailleurs fréquente en Chine et s'applique à bien d'autres lieux, comme celui des grottes de Bezeklik, par exemple, que nous avons visité au Sinkiang. Les grottes de Mogao ont été creusées au flanc d'une falaise sur 1680 m de long, du nord au sud; elles se déploient sur cinq niveaux. Selon une légende locale, elles auraient vu le jour grâce à un moine bouddhiste visionnaire, Lezun; mille bouddhas lui seraient apparus sur le mont Sanwei, face à la falaise, d'où leur surnom; ce moine, résolut alors de s'établir ici; il réussit à convaincre un riche voyageur de la Route de la Soie de construire le premier temple. La légende et l'histoire s'accordent pour fixer en l'an 366 ce mémorable événement.  

Du 4ème au 14ème siècle, pendant un millier d'années, des moines bouddhistes et les pèlerins de passage continuèrent d'aménager le site et plusieurs centaines de grottes, décorées de peintures murales et de statues, virent ainsi le jour; les moines prônaient une vie d'austérité; ils croyaient que leur éloignement du monde et leur établissement dans la solitude les aideraient à trouver la voie de l'illumination; les peintures murales servaient de support à leur méditation; elles étaient la représentation visuelle de leur quête de  lumière, et aussi un moyen d'éducation, une sorte de bande dessinée, pour l'édification des voyageurs illettrés, ignorants des croyances et des mythes bouddhistes. 
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Mogao: l'aménagement extérieur des grottes (documentation chinoise)
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La crainte d'une mauvaise interprétation des enseignements du Bouddha poussèrent plusieurs moines à se rendre en Inde afin de s'y procurer, à la source, les textes authentiques; leur passage par Dunhuang entretint le flot des pèlerins et ramena une riche moisson de documents; cette volonté d'authenticité n'empêcha cependant pas la conciliation du bouddhisme avec les traditions chinoises qui déboucha finalement sur une religion spécifique. Les grottes furent pratiquement abandonnées au 14ème siècle; Seule une poignée de moines continua d'y résider; le temps et les pillards firent alors leur oeuvre; aujourd'hui, à peine la moitié des grottes initiales subsiste encore. En 1900, un prêtre taoïste, nommé Wang Yuanlu, entendit la paroi d'une cavité sonner creux; espérant avoir mis la main sur un trésor caché, il attaqua la cloison à la pioche; derrière, il ne trouva qu'un amas de peintures et de manuscrits empilés; c'était la célèbre grotte-bibliothèque Dungang emplie de reliques du 11ème siècle dont des écrits des périodes Jin de l'ouest et Song du nord. La rumeur de cette découverte parvint jusqu'en Europe; elle attira des explorateurs qui espéraient obtenir quelques-uns des  précieux manuscrits traitant de toutes les disciplines scientifiques de l'époque; Wang se lança alors dans un ambitieux programme de réhabilitation du site, financé par les villes chinoises voisines et des dons étrangers, notamment ceux d'Aurel Stein, qui tira de l'ombre le diamant Sutra, dans une des grottes. Stein comprit immédiatement l'importance des documents exhumés; avec eux, c'était tout un pan de l'histoire de l'Asie centrale qui resurgissait; il y avait là plus de 30000 manuscrits et imprimés, rédigés en turc ancien, en sanscrit, en chinois et en tibétain; ils renfermaient des chroniques, des contes populaires, des annales géographiques et des livres de comptes; en 1908, le savant emballa ce qu'il put dans des caisses et l'emporta. Après lui, vint Paul Peillot, que ces parchemins intéressaient; il acheta plusieurs autres pièces; de vrais savants en aventuriers, l'essentiel de la bibliothèque des sables finit par être enlevé et dispersé dans des musées étrangers, principalement la British Library, la Bibliothèque nationale et le musée Guimet; une anecdote: Peillot paya l'envoi de ses collections grâce aux gains qu'il avait réalisés en jouant au poker! Pendant la période troublée qui suivit la révolution russe, les troupes du baron Ungern Von Sternberg bivouaquèrent dans les grottes et endommagèrent une partie des trésors artistiques qu'elles contenaient, notamment en y allumant du feu; cet ancien officier tsariste, d'origine balte, était un illuminé qui rêvait de reconstituer l'empire mongol. En 1961, le site fut placé sous la protection du gouvernement chinois comme monument historique. Il fut enfin inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO en 1987. 
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Mogao: décoration intérieure d'une grotte (documentation chinoise)
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Les grottes de Mogao retracent l'évolution de l'art bouddhiste depuis l'époque des six royaumes jusqu'à la dynastie mongole (Yuan) en passant par  les dynasties Wei, Zhou, Sui, Tang, Jin, Song, Hui He (Ouïgour) et Xia. Au début, l'influence de l'ouest y est prépondérante; mais peu à peu, celle du bassin du fleuve jaune la supplante. Les 492 grottes restantes renferment plus de 45000 m2 de fresques, plus de 2000 statues peintes, cinq structures de bois et des dizaines de milliers de manuscrits. Les plus anciennes peintures murales remontent à l'époque des Wei du Nord mais la majorité des dessins appartient à celle des Tang. Les peintures murales fournissent une foule d'informations sur l'histoire du bouddhisme, les contacts avec l'étranger et la vie quotidienne de la civilisation chinoise en ces temps reculés. Avec une grande simplicité de trait, et en utilisant des pigments décoratifs naturels, les peintres des grottes créèrent l'art bouddhiste original de l'ancienne Chine. Le graphisme, toujours vivant, plein d'imagination, fait aussi preuve d'un sens aigu de la mise en scène. Les statues colorées, sont remarquables par la beauté de leur forme, la profonde sagesse qu'elles expriment et l'intelligente habileté de ceux qui les conçurent et les exécutèrent. L'art troglodytique de Dunhuang est  non seulement la cristallisation de la civilisation chinoise mais aussi le symbole des échanges harmonieux qui existèrent entre cette civilisation chinoise et celles de l'ouest. 

Les thèmes abordés sont d'abord religieux. L'histoire du Bouddha et ses enseignements y sont relatés. Sous les Sui (581-618), la puissance économique de l'État se renforce, le niveau de vie de la population s'accroît. L'empereur Wendi accepte le titre de "roi des bodhisattvas" et l'empereur Yangdi est considéré comme le supérieur de bronze. Cette sacralisation des personnes régnantes apporte des garanties matérielles à la poursuite de l'aménagement du site. De nombreux diplomates étrangers, des soldats en expédition et des marchands viennent y implorer les dieux pour les protéger contre les aléas d'une vie pleine de périls. Peu à peu, l'art des grottes, d'abord fruste, s'affine. Des bouddhas et les bodhisattvas, superbement vêtus de robes ornées de motifs traditionnels, s'offrent aux regards dans une pénombre propice à la méditation; des apsaras planent dans le ciel; les bodhisattvas assistent les êtres en danger; ils sont traités comme les bouddhas dans les premières grottes; puis, les ravages causés par les guerres sous les Sui les promeuvent au rang d'ultime recours; ils bénéficient alors d'une ferveur et d'un respect particulier; sous les Tang (618-907), Avalokitesvara, protecteur du Tibet, devient le plus important. L'art des grottes atteint alors son apogée. Religieux, cet art aborde aussi des sujets profanes; une fresque dépeint le long et difficile cheminement des caravaniers; on prie; on abreuve les chameaux avant le départ; la caravane part affronter le danger; des hommes et des bêtes s'effondrent dans l'abîme, des marchandises se perdent; des bandits attaquent et pillent; des soldats féodaux soulèvent mille difficultés; ici, c'est une scène de chasse, ailleurs un paysan qui laboure son champ sous la pluie... Dans les grottes 419, 427 et 492, les soieries en vogue à l'époque des Sui, sont fidèlement reproduites; on y voit aussi des marchands perses, han, tujue et lite qui bravaient la mort et les dangers, il y a 1300 ans, dans les déserts et les montagnes enneigées. La composition grandiose, la vie élégante, les constructions imposantes, les rues animées, le mélange des races... sont des traits caractéristiques de l'époque Tang; les soldats quittent leur sol natal pour tenir garnison aux frontières; ils espèrent qu'Avalokitesvara les bénira, les entendra et les soutiendra moralement; les artistes conçoivent des bodhisattvas levant la main, penchant la tête, prêtant l'oreille, souriant avec bienveillance, dans l'attitude de l'écoute ou de la bénédiction. C'est toute l'histoire, religieuse, politique et sociale de l'empire du milieu qui est consignée en images en une véritable encyclopédie murale. 
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Mogao: labourage sous la pluie (documentation chinoise)
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Si le bouddhisme indien émancipa l'esprit des Chinois de l'éducation confucéenne, la sinisation du bouddhisme conféra une dimension nouvelle à cette religion en l'acclimatant dans un milieu culturel différent de celui de ses origines. Grâce à la Route de la Soie, deux civilisations s'interpénétrèrent; celle de la vallée du Gange se combina avec celle du bassin du Fleuve Jaune; les répercussions de cette fusion provoquèrent des changements notables dans la vie des populations. Les monarques de toutes les dynasties suivirent la voie ouverte par l'empereur Han Wudi (141-87 avant notre ère), un des plus grands dirigeants que la Chine ait connus; les échanges avec l'ouest s'approfondirent afin d'accroître la prospérité du bassin du Fleuve Jaune; l'empereur Sui Yangdi (604-618) envoya à maintes reprises des émissaires vers l'occident; en 609, cet empereur quitta Chang'an (Xi'an), sa capitale, pour une inspection de six mois dans les territoires de l'ouest; il participa à la foire internationale de Ganzhou, à laquelle furent conviés les marchands des pays occidentaux. A l'époque des Tang, la société chinoise sortit transformée de cette confrontation avec l'extérieur; les coutumes, les vêtements, la coiffure, la danse et la musique des contrées occidentales firent leur apparition; la cour et le peuple les apprécièrent; les femmes s'émancipèrent; elles portèrent le chemisier étroit, à décolleté profond, laissant paraître une partie de la poitrine, la jupe longue ornée de motifs et le foulard de soie transparent; ces changements vestimentaires, en partie importés de l'étranger, symbolisèrent la tolérance et l'ouverture d'esprit qui prévalaient dans l'empire. Le prestige de la Chine n'en souffrit pas, au contraire; les contrées présentant tribut à sa cour furent de plus en plus nombreuses; sur une fresque de Mogao, on peut voir un bouddha au visage chinois enseignant à des princes étrangers; des immigrés venus de l'ouest furent élevés à la dignité de mandarin; dans la grotte 220, une centaine de fonctionnaires natifs de l'ouest adressent leurs félicitations à l'empereur Taizong, à l'occasion de la fête du Printemps. 

Le site de Mogao est l'exemple le plus significatif de l'art des grottes, qui laissa de multiples témoignages sur la Route de la Soie; au cours du voyage, nous avons visité trois de ces endroits prestigieux, mais il en existe encore beaucoup d'autres. Ce monumental livre d'histoire enluminé constitue une bibliothèque sans équivalent qui attire de nombreux visiteurs, nationaux et étrangers; il a été aménagé pour les recevoir; aires de stationnement, boutiques, débits de boisson... rien ne manque. Des apsaras de pierre paraissant danser dans les airs, sous les ombrages des arbres, accueillent les touristes à l'entrée; un guide spécialisé prend ces derniers en charge; il faut abandonner les appareils photo ainsi que les sacs et objets volumineux qui pourraient érafler les murs; les richesses artistiques sont protégées; une façade, construite devant les grottes, les abrite des intempéries; des escaliers et des balcons courent le long de la falaise pour accéder aux étages supérieurs. Toutes les grottes ne sont pas visitées, on n'en aurait d'ailleurs pas le temps; les oeuvres d'art qu'elles contiennent sont fragiles, aussi n'en ouvre-t-on alternativement qu'une partie au public. Ce qui frappe d'abord, c'est la prodigieuse multiplicité des détails, les espaces encombrés de statues, les murs saturés de peintures et de dessins; sans un guide, il serait impossible de distinguer les éléments significatifs et encore moins de les dater; ce qui étonne ensuite, c'est la relative fraîcheur des teintes, d'origine minérale, végétale ou animale; malgré les déprédations, elles paraissent avoir été épargnées par le temps, comme si un mystérieux respect s'était imposé à lui et aux briseurs d'icônes; il est réellement surprenant qu'autant de trésors aient pu échapper au pillage.  

Il est bien sûr impossible de rendre compte de tout ce que l'on voit; je me bornerai à citer les points qui m'ont le plus frappés: un double dordje cruciforme, d'influence probablement tibétaine, au centre d'une fresque circulaire peinte sur un plafond; une scène de chasse; un cheval ailé; Maitreya, le bouddha du futur, une colossale statue peinte, de hauteur démesurée (34,5 m), construite en torchis, les brins de paille servant d'armature apparaissant à travers les rares cassures comme pour révéler aux visiteurs les secrets de sa fabrication; diverses représentations de Lokapala, le gardien des quatre cieux (points cardinaux) et de la loi bouddhique; le paradis occidental d'Amitabha, bouddha de la lumière infinie etc. Notre visite s'achève devant un bâtiment à plusieurs étages, en forme de pagode, adossé à la falaise; cet édifice pimpant, aux charpente de bois rouge, semble de facture récente.  

Avant de nous quitter, notre guide féminin me demande de lui inscrire sur une feuille de papier le nom occidental du cheval ailé: Pégase et celui du dordje tibétain, le diamant foudre, qu'elle ignorait; voici une personne qui ne demande qu'à s'instruire et qui prend son travail au sérieux. C'est elle qui, au cours de la visite, fit état du campement dans les grottes des troupes du baron Ungern, qu'elle qualifia d'armée blanche. 
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Mogao: la pagode à étages (documentation chinoise)
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La suite de notre programme prévoit une audition des dunes chantantes (Mingsha Shan), à cinq kilomètres environ de Dunhuang. Avant de partir, à dos de chameau, pour les sommets sablonneux, j'estime indispensable de me soulager la vessie. La puanteur des latrines installées à l'entrée du site est de loin la plus insupportable qu'il m'ait jamais été donnée de humer; elle m'est facturée deux yuans, c'est-à-dire vingt centimes d'euros!  

Nous nous dirigeons vers les animaux qui nous attendent, en évitant les crottes dont le sol est constellé, drôles d'étoiles; nos futures montures sont des chameaux d'Afghanistan, c'est-à-dire les mêmes que ceux, abandonnés par leurs maîtres et redevenus sauvages, que j'ai vu courir l'an passé dans le désert australien. Les bêtes sont couchées et il n'est pas trop difficile de grimper à califourchon sur leur dos, pour s'asseoir entre les deux bosses; mais il faut se tenir pour ne pas être désarçonné par le tangage, lorsque le coursier se lève, alternativement, de l'arrière puis de l'avant. La caravane s'ébranle en direction du sommet des dunes; ce sommet n'est pas aussi haut que celui de la Tour Eiffel, mais probablement plus que les tours de Notre-Dame; nous cheminons, à la queue leu leu, par groupe de trois: le chameau, le chamelier qui le tient par la bride et son cavalier, en observant les autres caravanes qui serpentent au flanc de la dune ocre, les unes montant, les autres descendant. Chemin faisant, on nous prend en photographie; celles-ci nous seront vendues à notre retour; ce petit commerce lucratif est pratiqué sur de nombreux sites touristiques à travers le monde. Après un temps relativement long, pendant lequel je n'ai pas osé prendre de clichés, par crainte de tomber, et aussi à cause du roulis, qui rend le résultat aléatoire, nous arrivons à ce que nous avons pris pour le sommet, et qui n'est qu'un palier. Attention à ne pas être précipité à terre par le tangage de l'animal s'accroupissant parmi ses congénères! 

Nous continuons par nos propres moyens jusqu'à une sorte de col, par un escalier de bois; nous n'y voyons pas le Lac du Croissant de Lune, dont nous a parlé notre guide; nous supposons qu'il se cache dans un repli de terrain, derrière une dune à peu près aussi haute que celle que nous venons de gravir à dos de chameau, mais qui, elle, se monte à pied; pour cette pénible excursion, dans le sable et sous un soleil de plomb, il faut acquitter un péage de dix yuans (un euro); un couple du groupe et moi, nous tentons l'aventure, en payant, non sans maugréer, la somme demandée; nous voici grimpant les interminables marches de bois, dont certaines sont brisées, dans un sable où l'on s'enfonce, lorsque le secours d'une planche vient à manquer. Après avoir soufflé à deux ou trois reprises, nous arrivons à la crête; derrière elle se dressent d'autres crêtes, encore plus hautes; une vallée se creuse à notre droite, mais de lac, point! Sommes-nous montés pour rien? Pas tout à fait car, d'ici, la vue sur la houle de ces monumentales vagues figées est grandiose. Nous y rencontrons un Chinois professeur dans une université du Canada; il connaît le Québec, ce qui me donne l'occasion d'échanger avec lui quelques souvenirs. 

La descente s'effectue en luge de bambous; elle coûte dix yuans de plus; je choisis un de ces véhicules sommaires au hasard et me voilà parti sur la descente, en ramant vigoureusement des deux mains dans le sable; la luge ressemble assez bien à une barque à fond plat; l'ennui, c'est que le fond de la mienne est percé et qu'elle prend le sable; elle s'emplit progressivement, s'ensable et ne glisse plus que lentement et en exigeant beaucoup d'efforts de ma part; j'entends néanmoins un léger bourdonnement; c'est le chant de la dune; notre guide me dira que je l'aurais entendu plus distinctement, si j'avais été plus véloce, et que ç'eût été une symphonie grandiose pour peu que tout un orchestre de luges soit parti en même temps que moi! Pour m'aider à finir mon interminable descente, des préposés à ce service me jettent un grappin de fer, fixé au bout d'un long bâton, et m'attirent vigoureusement à eux. 
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Les dunes chantantes au crépuscule
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Le chant des dunes n'est pas un phénomène propre au Gobi; on le rencontre auprès de toutes les accumulations de sable, en Asie, en Afrique, en Amérique du Sud et même en France; il ne serait pas causé, comme on le croit communément, par le simple frottement des grains les uns contre les autres, ni par l'expulsion de l'air qui se trouve entre eux, lorsque le sable s'écoule, comme d'autres le pensent; l'intensité de cette musique et la qualité du son dépendent à la fois du volume de sable déplacé et de la rapidité de son écoulement. Je livre ici ce que j'ai lu à ce sujet. Les petites avalanches ne produisent aucun son discernable; les grandes avalanches produisent des sons à de nombreuses fréquences et c'est une véritable cacophonie; mais des glissements de sable de taille et de vitesse convenables délivrent des sons de fréquence pure, avec juste ce qu'il faut d'harmoniques pour leur donner un "timbre coloré" comme si les dunes étaient des instruments de musique; le ton juste est engendré par une auto-organisation critique de la dune elle-même; le son n'est pas provoqué par un mouvement d' "adhérence/glissement" du sable (comme celui de l'archet sur la corde du violon); il ne résulte pas non plus d'un effet de résonance de l'air (comme celui provoqué par l'air à l'intérieur d'une flûte); il est généré par le mouvement de glissement synchronisé et libre de gros grains de sable sec qui produit des sons de basse fréquence; je donne cette explication plausible avec les réserves d'usage. Les esprits timorés assimileront le chant des dunes au rire squelettique d'une crécelle et les imaginatifs y en entendront les plaintes d'une cité ensevelie, à moins qu'il n'évoque pour eux le râle ultime des soldats d'une armée engloutie; une légende ne dit-elle pas, qu'il y a fort longtemps, un général, à la tête de nombreux combattants, livrait ici une bataille furieuse lorsqu'un vent tempétueux se leva et enterra les adversaires sous un montagne de sable dans les profondeurs de laquelle ils continuent de lutter? Vous pouvez écouter un échantillon de cette étrange musique en cliquant ici; elle n'a qu'un lointain rapport avec le chant des sirènes! 

Nous remontons sur nos nefs du désert, ces vaisseaux de la Route de la Soie terrestre qui fournissaient à leurs propriétaires transport, lait, chair et laine; attention, au tangage, toujours périlleux, de la levée de notre sobre monture; me voici bien calé sur la selle de tapis et de coussins rouges, prêt à affronter la descente; elle sera moins longue que la montée. Au pied de l'énorme butte, nous passons auprès d'un bourbier asséché où traînent encore des reliefs de sel blanchâtre; je prends des risques et une photo. Nous débouchons enfin sur une aire de repos où des dizaines de ruminants sont affalés; dans les dunes, aux alentours, émergent des pans de murs, ruines d'un groupe de maisons plus qu'à moitié ensablées. Pied à terre, nous retrouvons notre guide qui nous explique enfin que nous allons voir maintenant le Lac du Croissant de Lune, cherché en vain plus haut. Nous abordons une petite oasis. J'y remarque une plantation d'arbustes ornés de pompons rouges; ce sont des arbousiers; l'arbouse est la fraise chinoise.  

Voici enfin l'objet de notre quête, Yueyaquan, le Lac du Croissant de Lune: une nappe d'eau maigrichone, alimentée par des sources dont on ne sait trop d'où elles viennent, courbe comme le blanc d'un ongle qui serait vert, pareille à une banane couleur de fiel. Les admirateurs de cette goutte d'eau égarée dans l'aridité du désert la comparent à une tranche de melon, à l'oeil mouillé d'une demoiselle, caché à moitié par sa paupière, ou encore à sa bouche fraîche. En 1960, la profondeur moyenne de ce lac était comprise entre quatre et cinq mètres, avec un maximum de 7,5 mètres; depuis cette date, il n'a pas cessé de décliner; au début de la dernière décennie du 20ème siècle, sa profondeur moyenne était inférieure à un mètre et sa superficie à peine supérieure à un demi hectare; la décision fut alors prise de sauver de la disparition cette paradoxale combinaison d'une langue d'eau et d'une bouche assoiffée qui la respecte en l'alimentant artificiellement. En surplomb du lac, sur une plate-forme pavée, fermée par une balustrade de pierre, se dresse un complexe touristique, avec une pagode de bois noire en son milieu. Notre guide nous invite à visiter les lieux seuls. Je fais le tour du propriétaire: cafés, boutiques de souvenirs, pagode, musée...; j'admire une belle cloche de bronze suspendue à un échafaudage de bois, dans une cour intérieure; au bord de l'eau poussent des joncs, quelques arbres torturés, des massifs de fleurs roses très fournis; on y descend par un bel escalier de pierres blanches; tout cela est charmant, mais de peu de conséquence. Sur le sable alentour se traînent de chétives plantes épineuses couleur caca d'oie; un petit aéronef bourdonnant (un ULM?) tourne dans le ciel; une aile volante atterrit au pied d'une dune, dont la pente est ponctuée de grappes de touristes; l'homme oiseau replie son matériel multicolore au milieu d'un cercle de badauds. Le soir tombe; le soleil se couche, dans l'or et le sang de ses derniers rayons, derrière la pagode endeuillée. 

Une légende est attachée à la genèse du lieu. On dit que, du temps des Han de l'ouest (-206 à 24), le général Li Guang, suivi d'une troupe de guerriers, parti combattre à l'ouest de la Chine, y captura un cheval impétueux, près de Dawan. Sur le chemin du retour, alors que les soldats passaient à proximité des dunes chantantes, leur soif devint si ardente qu'il leur fut impossible de poursuivre leur route. Le général enfonça son épée dans la colline; l'eau en jaillit; elle emplit d'une eau fraîche et pure la vasque naturelle, formée dans la courbe entre les deux collines, qui devint pareille à une amande couleur d'émeraude; les hommes s'y désaltérèrent; le Lac du Croissant de Lune était né. 
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Le Lac du Croissant de Lune avant son aménagement (doc. chin.)
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Nous retournons auprès des chameaux qui nous ramènent à l'entrée du site, là où nous les avons pris. Puis le bus nous transporte jusqu'au restaurant où nous dînons tranquillement. Notre guide, qui trouve que nous sommes bien longs à savourer la gastronomie locale, nous aiguillonne à plusieurs reprises; elle nous invite à nous hâter pour prendre congé du chauffeur, en n'oubliant pas son pourboire; tant d'impatience, et surtout d'insistance à l'endroit de l'argent, nous indispose; d'un commun accord, nous décidons que chauffeur et guide feront le deuil de nos libéralités. 

A l'hôtel, je me rends au bar, tester un autre vin; il ne vaut guère mieux que le premier. La serveuse, qui parle très bien anglais, me demande d'où je suis et une conversation s'engage entre nous. J'apprends qu'elle a visité huit pays d'Europe; le voyage a été payé par l'entreprise de tourisme qui l'emploie, au titre de ses vacances; elle est passée par Paris. Où vais-je ensuite? A Labrang; Labulengsi, rétorque-t-elle; j'ai employé le mot tibétain; elle utilise le nom chinois. 

Le lendemain matin, nous partons avant l'heure du petit-déjeuner, à cause de l'horaire matinale de notre avion; la soupe à la grimace de notre guide nous tient provisoirement lieu de casse-croûte; à l'aéroport, cette jeune personne renfrognée nous délivre à chacun un en-cas, dans une boîte de carton, comme à contre coeur; je mange les gâteaux, bois l'eau et garde le reste, dont une saucisse chinoise à la chair enveloppée dans une épaisse peau de plastique rouge, dans l'intention de donner le tout plus tard, à quelqu'un qui l'appréciera mieux que moi; je pense en avoir l'occasion à Labrang. 

Dans l'avion, je remarque, au dos du siège sur lequel buttent mes genoux de passager de classe touriste, une publicité pour l'excellent vin du Gobi, une coproduction franco-chinoise; je ne me souviens pas l'avoir vu sur la carte du bar de l'hôtel, à Dunhuang! 


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