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15 ème
jour (suite): Shanghai -
(Les photos sont ici
)
En 2000, ma première incursion en Chine avait débuté par cette cité, surnommée la Perle de l'Orient, qui est devenue la métropole financière de la Chine moderne, son premier port et son centre industriel le plus important. Voici ce que j'écrivais alors: "Au 19ème siècle, des barbares au long nez, forts de leur suprématie militaire, imposèrent à la Chine impériale la création d'enclaves placées sous leur administration. Le régime des concessions venait de faire son apparition. C'est ainsi qu'un petit village de pêcheurs se transforma peu à peu, sous l'influence occidentale, en l'un des plus grands ports du monde, doublé d'une importante place financière. On trouve encore, dans ce port rendu à sa mère patrie, des vestiges de l'époque coloniale, notamment un quartier français, dont les artères sont bordées de platanes. Aujourd'hui, un gigantesque quartier des affaires ajoute ses tours aux immeubles hérités de la colonisation, car Shanghai est toujours en plein développement. L'une des deux bourses de valeurs mobilières chinoises s'y est d'ailleurs installée. Dès l'arrivée, nous sommes mis en garde: éviter de payer avec des grosses coupures. Attention à la fausse monnaie dont on accuse Taiwan d'inonder la Chine continentale! A la différence de ce qui se passe dans d'autres pays d'Asie, le dollar n'est pas ici la monnaie reine. En Chine, on l'accepte sans le rechercher. Le yuan chinois, le vrai, est aussi prisé. On remarquera que les Chinois condescendent à orner de quelques caractères occidentaux leurs billets et leurs pièces. Le reste est en idéogrammes illisibles pour la plupart d'entre nous. On aperçoit quelquefois, du haut d'un échangeur d'autoroutes, des enseignes d'entreprises européennes, dont quelques-unes sont françaises. Et puis, l'enseigne KFC, avec le fameux poulet frit du colonel Saunders ainsi que Coca-Cola et Mac-Donald, sont bien sûr présents. La vieille ville constitue un îlot parmi toute cette modernité. Certains quartiers ont conservé leurs ruelles bordées de maisons d'autrefois, plus ou moins sordides. Mais elles sont promises à la pioche des démolisseurs, malgré l'opposition de leurs habitants. Il y a vingt ans, les étrangers n'avaient pas le droit de se promener dans ces lieux. Des échafaudages de bambous! J'en ai déjà vu naguère à Singapour. On en retrouve ici. Le Temple du Bouddha de Jade a été préservé de la fureur iconoclaste des gardes rouges par une ruse des moines: ils le tapissèrent de portraits de Mao! Peut-être remarquerez-vous que le dragon du jardin du mandarin Yu ne possède pas cinq griffes. C'est que ce mandarin était une personne avisée. Dans l'ancienne Chine, le dragon était, en effet, un animal impérial. Oser le représenter chez soi tenait du crime de lèse majesté. Mais un dragon ne possédant pas cinq griffes n'était évidemment qu'un faux. Comment aurait-on pu reprocher à quelqu'un de se placer sous la protection d'un simulacre! Le jour de mon anniversaire, j'ai eu l'agréable surprise de trouver dans ma chambre un énorme gâteau, accompagné d'une carte de voeux, offert par la direction de l'hôtel. Celle-ci m'a d'ailleurs présenté ses souhaits par téléphone (en Anglais). Visite d'un centre d'artisanat où une charmante Chinoise découpe devant nous, en quelques coups de ciseaux précis, dans du papier rouge, deux coqs se combattant. Est-ce un hommage à notre bon vieux coq gaulois?" (L'intégralité de ces notes de voyage est ici) J'ai hâte de confronter mes souvenirs
à la réalité qui, je l'imagine, a beaucoup évolué.
Nous atterrissons à l'aéroport de Pudong, conçu par un architecte français, Paul Andreu, également chargé du projet contesté de l'opéra futuriste de Pékin. Deux autres aéroports desservent la ville, dont celui du Pont de l'Arc-en-Ciel; [sur la foi de renseignements puisés sur Internet, un pont arc-en-ciel serait un ouvrage d'art construit avec des poutrelles de bois, selon une méthode chinoise ancienne]. Nous sommes accueillis par notre nouveau et ultime guide, une gracieuse jeune femme. Une des premières questions qu'elle nous pose, est la suivante: "Y a-t-il parmi vous quelqu'un qui est déjà venu à Shanghai?" Je m'identifie. Question subsidiaire: "A quelle date?". Réponse: "Voici six ans". J'ai très vite connaissance de la liste des principales nouveautés qui sont venues s'ajouter à ce que je connais dans cette agglomération en continuel changement: un train à grande vitesse, un théâtre, un pont. Le train à grande vitesse "Shanghai
Transrapid" relie le centre ville à l'aéroport de Pudong,
depuis 2004. Il a été construit par les Allemands, selon
une technique nouvelle: c'est un train à sustentation magnétique
(Maglev); il utilise les forces magnétiques pour s'élever
au-dessus des rails et avancer; il se déplace sur un coussin d'air.
Le trajet de 32 kilomètres s'effectue en 7 minutes; ce train, qui
peut dépasser 400 km/h, est le plus rapide du monde. La voie longe
l'autoroute sur laquelle nous nous trouvons; quelques personnes de notre
groupe verront passer un convoi, mais il aura disparu avant d'avoir le
temps de prévenir les autres!
Le Théâtre, en fait l'Opéra, un bâtiment blanc au toit incurvé en forme de pagode, est l'oeuvre de Jean-Marie Charpentier, un architecte français, petit-fils d'un compositeur; sa structure métallique est aussi lourde que celle de la Tour Eiffel. Renseignement pris, il a été achevé en 1998; j'aurais donc pu le voir, mais je ne l'ai pas vu. Je n'ai pas vu non plus un autre bâtiment blanc, pas très loin de lui, aux lignes futuristes, sans doute le musée de l'architecture, également de construction récente. Le pont pourrait être le Lu Pu, un pont suspendu sur le fleuve Huangpu, dont la double arche d'acier est championne du monde en longueur, avec une longueur d'avance de 35 m sur sa seconde, une arche américaine. Mais j'hésite car un autre pont pourrait également remplir les conditions, le Donghai. Ce second pont réunit le continent au nouveau port en eaux profondes des îles Yangshan; il est le plus long du monde (32,5 km). Il a été conçu pour permettre le passage des navires de moyen tonnage (1000 tonnes maximum); c'est ce qui explique sa forme bossue. Il repose sur 670 séries de pylônes, avec un espace de cinquante mètres entre les piliers. Sa construction était prévue pour durer huit ans; elle a été achevée en moins de trois ans, en 2005; cet ouvrage est un symbole du dynamisme de Shanghai et de la Chine d'aujourd'hui. La prospérité actuelle de la
ville ne doit pas faire oublier les difficultés qu'elle a surmontées
dans le passé. Simple port de pêche au 19ème siècle,
elle se développe rapidement, à la faveur de l'établissement
des concessions étrangères, consécutif à
la guerre de l'opium. Cette partie de son histoire est vécue comme
une occupation. C'est dans une maison de la concession française
que se tient, en 1921, le congrès constitutif du parti communiste
chinois, en présence de Mao Tsé Toung. Dans les folles années
20, puis dans les années 30, Shanghai devient le théâtre
d'un formidable essor culturel qui contribue à lui assurer son prestige.
Pendant la guerre sino-japonaise, la cité est envahie et subit le
joug des vainqueurs. Après l'avènement de la République
populaire, elle est tenue en suspicion par le nouveau régime, en
raison de son luxe passé, de sa dépravation et de l'ambiance
bourgeoise qui y règne; son maire, Ching Yi?, est inquiété
lors de la révolution culturelle. La politique d'ouverture poursuivie
par Deng Xiaoping, après la mort de Mao et l'éviction de
la bande des quatre, lui permet progressivement de refaire surface; l'arrivée
aux fonctions suprême de l'un de ses dirigeants locaux, Jiang Zemin
(1993-2003), favorise son essor économique et financier. Les activités
artistiques ne le cèdent en rien aux activités économiques,
dans cette mégalopole dont les habitants sont parfois considérés
comme les Parisiens de la Chine; une indéniable sensibilité
esthétique, une certaine liberté de moeurs, l'émancipation
de la femme, le rôle de capitale chinoise de la mode qui lui est
reconnu, expliquent l'image positive d'une cité où s'est
développé un fort sentiment d'identité; ce sentiment
n'est pas dépourvu de mépris à l'encontre des gens
de l'extérieur, mais cet aspect négatif des choses ne fait
que refléter un antagonisme ville-campagne encore présent
en Chine. La croissance à deux chiffres de Shanghai, ses 15 à
17 millions d'habitants, selon les sources, sa mutation cosmopolite et
son essor culturel l'appellent à devenir une métropole mondiale,
aux côtés de New York, Londres et Paris. Elle accueillera
l'exposition universelle de 2010. [En l'an 2000, j'avais noté
pour Shanghai une population de 12 millions d'habitants; en six ans la
population aurait donc augmenté de 5 millions; j'ai peine à
le croire; si c'est vrai, j'en ai le vertige!]
La route que nous suivons est bordée de haies parmi lesquelles on reconnaît des lauriers et de magnolias; certains arbres sont en fleurs; notre guide nous signale que la fleur du magnolia est emblématique de Shanghai. Des quartiers neufs s'étendent le long de l'autoroute; les bâtiments ressemblent à nos HLM, avec une touche d'exotisme; leurs façades et leurs toits sont souvent colorés, les premières de teintes pâles (roses ou beiges) et les seconds de couleurs vives( rouge ou bleu). Notre guide nous parle du prix des appartements et de leur superficie; le mètre carré est un peu moins cher qu'à Paris, mais à peine; je crois me souvenir que le rapport des prix était inverse voici six ans, mais, depuis, les prix ont flambé en France; l'appartement type d'une famille de Shanghai, le mari, l'épouse et un enfant, comporte trois pièces, soit environ cent mètres carrés, aux dires de notre guide; cette superficie, supérieure à celle de bien des logements parisiens, me paraît énorme; notre guide la corrige en précisant que la quote-part des parties communes est comptée en Chine dans la superficie de l'appartement, ce qui ramène sa superficie utile à environ soixante-dix mètres carrés; ce n'est pas si mal. Je pense à la modeste surface dans laquelle vivait le couple de Pékinois que nous avons visité; il n'y a pas une Chine, mais plusieurs, avec des habitudes et des niveaux de vie très différents; ce pays est, en fait, un résumé de notre planète: on y trouve la modernité à peu près partout, mais la prospérité et l'essor économique sont très inégalement répartis; le contraste entre l'ouest, que nous avons quitté, et l'est, où nous venons d'arriver, souligne cette évidence de deux traits; il y a six ans, je me souviens avoir lu dans le Daily News, un journal chinois de langue anglaise, que le revenu annuel moyen ne dépassait pas quatre vingt dollars dans les régions de l'ouest, alors qu'il était de trois mille dollars à Shanghai! Aux approches de la cité, malgré la largeur de la route, des bouchons se forment, comme chez nous, aux heures de pointe. Les échangeurs se multiplient. J'aperçois une petite église rose, coincée entre les gratte-ciel. Notre guide nous montre, au passage, les édifices les plus prestigieux: le théâtre construit par un Français, la mairie, le musée de l'architecture... un ancien quartier aussi, promis à la pioche des démolisseurs, qui devra laisser place nette aux constructions de la future exposition universelle. Pour nous faire patienter dans les embouteillages, elle évoque sa ville et son pays; le langage parlé à Shanghai, n'est pas le même qu'ailleurs, c'est une variante plus douce, je n'ose pas dire plus civilisée, du mandarin: le shangaïen; la rivalité entre sa ville et Canton, ne l'émeut pas; comme preuve, elle nous énonce un dicton chinois: dans le ciel, il y a le paradis; sur terre, il y a Canton; la Chine a deux paradis. La fleuve Huangpu (400 m de large, 9 m de profondeur)
sépare Shanghai en deux parties distinctes: Puxi et Pudong (l'ouest
et l'est); un affluent du Huangpu, la rivière Wusong, traverse le
quartier de l'ouest; les Shanghaïens tirent leur eau potable de ce
fleuve, qui aurait été dépollué, selon notre
guide. La ville s'est d'abord développée à l'ouest,
où se trouvent les concessions, avec leurs immeubles du début
du vingtième siècle; mais, depuis quelques années,
c'est l'est qui a pris le dessus, avec le nouveau quartier des affaires,
un mélange de Wall Street et de Silicone Valley; la Tour de la Télévision
(Tour TV de la Perle de l'Orient), de 468 m de haut, et le gratte-ciel
Jin Mao, de 421 m et 88 étages, domine ce quartier rival de Hong
Kong. Une célèbre promenade, le Bund, suit un coude de la
rive est du fleuve, face au nouveau quartier des affaires. Au sud du Bund,
on entre dans la vieille ville, Nantoa, un labyrinthe de ruelles, de maisons
à un étage blanchies à la chaux, où les trottoirs
sont envahis de joueurs de mah-jong. Outre l'attrait d'une ville moderne
en perpétuelle évolution, Shanghai ne manque pas d'atouts
touristiques. Citons: l'Opéra (Grand Théâtre de Shanghai)
et son restaurant Maxim's; les spectacles d'acrobatie; le jardin du mandarin
Yu (Yuyuan) dans la vieille ville; la maison de thé Huxin Ting,
vieille de 200 ans; la maison Lu Bo Lang, de style Ming; les temples de
Longhua et de Yofusi; le temple du Bouddha de Jade; l'intéressant
musée, avec sa collection de trésors de la Chine ancienne,
exposés sur quatre étages; pour les amateurs d'histoire,
le musée d'histoire, qui porte essentiellement sur la période
allant du milieu de la guerre de l'opium à la révolution
communiste, les maisons de Sun Yat Sen, Chou En Lai et celle où
se tint le premier congrès du parti communiste, dans la concession
française... A proximité de Shanghai, les villes de Suzhou
et Hangzou doivent leur célébrité à la beauté
de leurs jardins; Suzhou, traversée de canaux, est une sorte de
petite Venise chinoise. Dans la vieille ville et les rues commerçantes,
notamment la rue piétonne de Puxi, les boutiques offrent la possibilité
d'acheter de nombreux souvenirs. En deux jours, nous n'auront évidemment
pas le temps d'épuiser le sujet, mais nous ferons de notre mieux.
Au dîner, je bénéficierai du meilleur la jiao (piment) de Shanghai, d'après la serveuse; il était effectivement excellent. Après quoi, nous irons assister à un spectacle d'acrobatie; il y a six ans, j'ai vu se produire les élèves de l'école d'acrobatie de Shanghai, c'était extraordinaire; je pourrai comparer. Nous nous trouvons juste derrière une rangée d'Africains francophones qui sont délégués à un congrès d'aéronautique; ils sont de plusieurs pays: Algérie, Sénégal, Gabon... une grande partie de l'Afrique francophone nous salue; le Gabonais se dit tellement satisfait des succès de l'équipe de France au mondial qu'il en vient à évoquer le drapeau tricolore! Il est difficile de qualifier le spectacle: coloré, éblouissant, fantastique... Parfois, il est difficile de retenir son enthousiasme. Les photographies au flash sont interdites, pour ne pas gêner les acrobates, dont les performances exigent habileté, puissance et concentration; quelques éclairs crépitent cependant de temps à autres, sans attirer de réprimandes. Nous ressortons très satisfaits d'un spectacle qui vaut autant par le sens artistique de sa présentation que par la qualité et la difficulté des numéros. Avant de regagner ma chambre, je me rends au
centre des affaires pour traiter mon courrier Internet. L'accès
est rapide, comme partout au cours du voyage. Mais ce n'est pas le même
tarif qu'à Kashgar; ici, il m'en coûte huit fois plus et ce
n'est pas un forfait! Mais le prix est tout de même encore raisonnable.
16 ème jour: Shanghai (suite) - (Les photos sont ici ) Après le petit déjeuner, notre première visite est pour le Temple du Bouddha de Jade. En attendant, je lis la presse chinoise en anglais. Depuis plusieurs jours, on y parle du train le plus haut du monde qui entre en service au Tibet; on célèbre cette prouesse technique. La voie ferrée relie Lhassa à Pékin, mais aussi à d'autres villes chinoises, notamment Chengdu, au Sichuan, via Golmud, au Qinghai. Cette réalisation, achevée en un temps record, en moins de 4 ans, a exigé des investissements colossaux. Elle chemine à plus de 4000 m d'altitude, sur une distance supérieure à 1000 km, avec un point culminant à la passe de Tanggula (5072 m). Son trajet emprunte, sur la moitié du parcours, des territoires au sol gelé en permanence. Les ingénieurs chinois ont été amenés à résoudre des problèmes qui n'avaient jamais été rencontrés auparavant (amplitude thermique, risques sismiques...). De profonds puits ont été forés pour stabiliser la température; il a fallu édifier 2647 ponts et creuser 11 tunnels. Des mesures ont été prises pour préserver l'environnement et faciliter notamment la migration des antilopes tibétaines en surélevant les voies. Les autorités se montrent fières des résultats obtenus tout en reconnaissant que des difficultés non soupçonnées peuvent encore surgir au cours de l'exploitation; tout, promet-on, sera mis en oeuvre pour les surmonter. Ce projet ne fait cependant pas l'unanimité et la presse reconnaît que des craintes relatives à la dégradation de l'environnement agitent une partie de l'opinion. Certains redoutent, par exemple, que les facilités offertes par ce nouveau moyen de transport n'amènent la population rurale tibétaine à substituer le charbon, plus polluant, à la bouse de yak séchée. On leur répond que ce risque est négligeable, les paysans tibétains n'étant certainement pas disposés à renoncer à l'emploi d'un combustible peu coûteux qu'ils utilisent depuis des siècles. Le départ de Golmud (2800 m) du premier convoi a lieu le premier jour de juillet, en présence du président de la République chinoise et de nombreux journalistes. Il est mu par des locomotives General Electric, à fort pouvoir de traction et de freinage, choisies en raison de la compétence particulière de cette firme américaine qui a déjà équipée les trains péruviens franchissant les Andes à 4700 m d'altitude. Les autorités de Lhassa estiment à 3 ou 4000 visiteurs quotidiens supplémentaires le nombre de touristes que cette nouvelle liaison amènera. Des mesures ont été prises pour protéger l'héritage culturel menacé par un tel afflux. Un maximum de 1800 billets sera vendu par jour pour visiter le Potala; plus de la moitié seront réservés à des groupes; les visiteurs individuels sont invités à déposer leur candidature assez tôt à l'avance pour obtenir un ticket, faute de quoi ils ne pourront admirer le monument que de l'extérieur. Des sacs seront remis aux touristes du lac Namco, afin qu'ils n'abandonnent sur place aucun déchet; la baignade, la pêche ou les excursions en bateau y seront interdites. Parmi les nouvelles économiques et sociales, j'ai retenu qu'une nouvelle loi était en cours d'examen devant le parlement pour sanctionner plus sévèrement les employeurs qui exposent délibérément la vie ou la santé de leurs salariés; la peine, aujourd'hui de sept ans d'emprisonnement, devrait être portée à quinze ans. Le président de la république insiste également, devant le parti communiste, sur la nécessité d'un plan efficace de lutte contre la corruption. Au plan sportif, le mondial de football excite les esprits; un restaurateur transalpin est poursuivi par le syndicat d'une de ses employées qu'il a malmenée parce qu'elle ne soutenait pas l'équipe d'Italie; un téléspectateur est tombé du quatrième étage, par la fenêtre, sur le rebord de laquelle il était assis, pour regarder un match; un sportif en chambre, si je puis dire, s'est cassé le pied de la manière suivante: rêvant qu'il shootait le but de la victoire, il donna un grand coup de pied dans le mur contre lequel son lit s'appuyait! J'apprends aussi que des coureurs cyclistes chinois vont devenir professionnels; nous les verrons peut-être bientôt dans le tour de France et il n'est pas impossible que l'un d'entre remporte l'épreuve un jour ou l'autre. Quant aux nouvelles internationales, la crise
du Moyen Orient n'est pas oubliée et les commentaires ne sont pas
très différents de ceux qui, je pense, doivent figurer dans
la presse française.
Nous voilà à pied d'oeuvre, devant l'entrée du Temple du Bouddha de Jade. Nous entrons dans une cour où tout est en place pour un étrange cérémonial: une table, recouverte d'une toile orange, dont les plis descendent jusqu'à terre, y est dressée; un bouddha doré, jovial et gras, trône en son milieu; autour de lui, s'élèvent des pyramides de fruits: pommes, bananes, un melon, reposant ou non sur des assiettes; devant la table, des coussins rouges, de base carrée, attendent sur le sol que les fidèles viennent s'y asseoir ou s'y agenouiller; derrière la table, une conduite intérieure noire, aux portes ouvertes, jette une note sombre, malgré son luxe intérieur. Des moines en robe orange s'affairent autour du dispositif; ils se rangent bientôt en demi cercle autour de la table, face à la voiture; des laïcs s'installent du côté des coussins; un officiant, vêtu d'une chasuble rouge, arrive au milieu des moines et commence à psalmodier devant la table. Nous assistons à un enterrement; les laïcs appartiennent à la famille du défunt; la voiture est la sienne; la présence de ce véhicule permettra au mort de franchir plus vite qu'à pied le bardo, cet espace qui sépare la mort de la réincarnation! Au milieu de la cour s'élève la fumée de l'encens; il brûle dans des foyers de bronze qui ressemblent à des pagodes miniatures. Nous entrons dans une première chapelle, en franchissant sa porte de bois cloisonné, peinte en rouge. Notre guide nous fait remarquer les quatre devarajas, gardiens des points cardinaux; ils sont tous affublés d'un instruments qui permet de les identifier; je crois que celui de l'est tient une sorte de mandoline, celui du sud, un parasol, et pour les autres, je ne sais plus. Nous passons successivement dans plusieurs salles, en admirant les statues dorées, parfois ornées de barbes postiches, d'un noir de jais, les bouddhas rutilants, en robe rouge, debout sur un socle où s'ouvre un oeil, avant d'atteindre la salle du Bouddha de Jade, qu'il est interdit de photographier. Je raconte à notre guide l'anecdote selon laquelle cette statue aurait échappé à la fureur des gardes rouges grâce à l'ingéniosité des moines; ils auraient apposé à l'entrée des affiches de Mao; elle me dit ignorer ce détail de l'histoire et ajoute qu'elle croit plutôt que le bouddha fut sauvé par l'intervention de Chou en Lai, lequel protégea beaucoup de sites, pendant la révolution culturelle. S'il est interdit de photographier le Bouddha de Jade, debout dans sa chapelle, s'il est même impossible de l'approcher, une barrière canalisant la foule à bonne distance, il est en revanche permis de prendre des clichés des autres statues et notamment d'un bouddha couché; d'une blancheur immaculée, ce bouddha est mollement étendu dans une vitrine, aux montants rouges ornés de dragons dorés, laquelle repose sur un meuble dont la forme rappelle un vaisseau. De retour dans la cour, où la cérémonie
s'est achevée, je tire le portrait de deux bouddhas roses, ventrus
et souriants, qui jouent avec des fleurs, au-dessus d'une porte ronde.
Dans la rue, le mur qui fait face à l'entrée du temple est
décoré de panneaux à médaillons de rondes-bosses
grises sur fond orange. Nous partons maintenant vers la vieille ville.
A peine arrivée sur l'air de stationnement, le chauffeur de notre bus est interpellé par une mégère qui l'invective avec vivacité; un attroupement s'en suit; il prend parti pour la dame; notre guide descend pour tenter de calmer l'ire de cette dernière; comme je m'apprêtais à quitter le véhicule, elle me fait signe de regagner mon siège; je ne me le fais pas répéter. J'ai pour principe de ne jamais me mêler des querelles entre ressortissants des pays que je visite; j'ignore leurs règles du jeu et les antécédents qui justifient peut-être les animosités qui les opposent; j'évite d'aborder les sujets qui dressent les gens les uns contre les autres, par exemple la politique; j'ai constaté que tout le monde n'est pas aussi réservé; les imprudents qui se mêlent de ce qui ne les regardent pas devraient se rappeler qu'ils sont loin de leur pays, dans un endroit dont ils ne connaissent pas la langue; si l'altercation tourne mal et que la police intervienne, ils se retrouveront au poste, sans pouvoir se justifier; la suite de leur séjour sera bêtement compromise. Heureusement, tout fini par rentrer dans l'ordre et nous nous acheminons pédestrement en direction du Jardin du Mandarin Yu. Chemin faisant, nous traversons des quartiers traditionnels très colorés que je connais déjà; des immeubles en cours de réfection sont recouverts d'un mince grillage vert de protection. Pour franchir le large bassin tourmenté,
grouillant de poissons rouges, qui étend son eau verte devant le
jardin, nous empruntons le pont à neuf zigzags; cette chicane est
destinée à gêner les mauvais esprits; comme chacun
le sait, ceux-ci ne se propagent qu'en ligne droite. Le pont passe devant
la maison de thé Huxin Ting où les amateurs lampent à
petites gorgées les meilleurs thés de la ville, parmi les
agréables parfums qui se dégagent des feuilles sèches;
cette maison est bâtie sur pilotis, au dessus du bassin. Clinton,
sa femme et sa fille y sont venus; je demande à notre guide où
était Monica; "sous la table", me répond-t-elle. De l'autre
côté du pont, au milieu de l'eau, se dresse une statue féminine
blanche; rien n'a pratiquement changé depuis ma précédente
visite.
Vieux de près de cinq siècles, le Jardin du Mandarin Yu (Yuyuan) remonte à la dynastie des Ming; il fut construit sous l'empereur Jiajing, en 1559, par Pan Yunduan, un administrateur de la Province du Sichuan, sur une surface de plus deux hectares, il tient sa célébrité du grand nombre de merveilles architecturales qui s'y rencontrent comme la grande rocaille, la pierre de jade naturellement façonnée par la nature, la salle d'émeraude printanière, la scène d'opéra ancien et le jardin intérieur; on y trouve également plusieurs reliques précieuses de l'art chinois traditionnel soigneusement conservées. Délicatement décoré de plantes, de pierres, de pavillons et statues, soigneusement choisis et arrangés, il est considéré comme le plus achevé du sud-est de la Chine. Il constitue un bon exemple, parfaitement conservé, de l'art classique des jardins chinois. .
Le fronton arrière de la porte d'entrée, en forme de toit de pagode, est ornée de deux statues traditionnelles de la Chine ancienne: un pêcheur et un pèlerin. Bassins, rocailles, arbustes, pont en zigzag, pavillons dont les portes épousent diverses formes, long couloirs sombres se succèdent évoquant des accidents de la nature ou des dispositions de l'esprit, et les deux parfois conjugués, en une sorte de syncrétisme cosmologique, comme la Montagne du Bonheur ou celle de la Sérénité. Une halte sur les bancs de pierre d'un pavillon, à cheval sur un canal, offre un instant de repos, loin des tracas de l'existence, dans un environnement campagnard, où des branches d'arbres caressent l'onde qui fuit, sous un pont de pierre en dos d'âne. Une salle est meublée de tables et de fauteuils confectionnés avec des branches noueuses et torturées; c'est d'un bel effet, mais ne devait pas être très confortable. La Pierre de Jade est un roc de granit découvert sous l'empereur Hui Zong, de la dynastie des Song; sa particularité tient à son élégance, son apparence élancée, sa transparence, ses ondulations et sa fluidité d'eau courante, depuis sa base jusqu'à son sommet; son histoire s'écoule sur plus de mille années; elle se dresse au fond d'un bassin. Devant un édifice, un lion chinois tient dans sa bouche une boule parfaitement ronde; il est impossible de l'extraire car elle a été détachée de la pierre et façonnée directement à l'intérieur de la bouche. J'ai déjà rapporté l'histoire du dragon qui a perdu une partie de ses griffes afin de ne pas indisposer l'empereur; je n'y reviendrai pas. Ailleurs, au sommet d'un mur, une grenouille semble explorer la gueule ouverte d'un autre de ces animaux fabuleux; qu'elle est la signification symbolique de cette scène? Il est parfois bien difficile d'interpréter les sinuosités de la pensée chinoise. En sortant, nous traversons un petit temple taoïste; une estrade y est surmontée d'une coupole intérieurement ornée d'entrelacs bruns qui font penser aux rayons d'un cercle, déformés en faisant tourner la circonférence, tandis que le centre reste fixe. .
Notre guide nous donne quartier libre pour visiter à notre gré le vieux Shanghai. Nous avons rendez-vous à une heure précise pour aller déjeuner. Je pars en compagnie du couple, mes compagnons habituels. Nous parcourons des lieux qui me sont familiers, à la fois pareils à eux mêmes et différents; pareils car ce qui n'a pas été détruit est identique, différents parce que des espaces libres sont maintenant construits et que des espaces vétustes ont été remplacés. Une ruelle sordide que j'avais photographié voici six ans n'existe plus, elle a été bouchée par une construction en préfabriqué bleue et blanche. Je cherche en vain des échafaudage de bambous; j'en avais vus; il n'y en a plus; ont-ils définitivement disparus? Je ne saurais l'affirmer. J'observe que, si des gens crachent encore par terre, je n'en ai pas vu uriner dans la rue, comme en l'an 2000. Les boutiques, toujours aussi nombreuses et aussi colorées, les maisons basses au toit relevé, les venelles étroites, les cyclistes sur la chaussée et les vélos sur les trottoirs... tout cela est du déjà vu, avec, dans la perspective des rues, les gratte-ciel qui rappellent que le vieux Shanghai n'est qu'un îlot d'ancienneté, au milieu d'un océan de modernité. .
Nous nous retrouvons tous à l'heure dite au lieu de rendez-vous. En allant déjeuner, notre guide nous montre le restaurant où l'on sert les meilleurs raviolis de Shanghai; ils est facile de le retrouver, sur le bord du bassin du Jardin Yuyuan, la queue des consommateurs qui attendent leur tour en marque l'emplacement; un conseil: si vous voulez avoir une place rapidement, soyez là à l'avance! Nous prendrons montre repas ailleurs. En début d'après-midi, pour le
énième fois, nous sommes conviés à visiter
une fabrique de soieries. On nous y apprend que 25 jours sont nécessaires
pour passer de l'oeuf à une larve accomplie et deux jours pour tisser
le cocon; la larve est particulièrement vorace. Si le cocon contient
deux vers, ces derniers produisent chacun leur fil; les deux fils s'entremêlent
et le cocon est difficile à dévider; il sera utilisé
pour la confection des couettes; si le cocon ne contient qu'un vers, on
en tire environ 1200 m de fils. Nous savions déjà tout cela,
plus ou moins bien. Nous passons ensuite par un atelier où les cocons,
qui baignent dans des cuvettes d'eau tiède, sont dévidés
par une batterie de machines vertes, surveillées par des ouvrières;
cet atelier est tellement semblable à celui que j'ai visité
il y a six ans que je crois un moment que c'est le même; c'est impossible
puisque l'autre était à Xi'an! Long passage par la boutique;
afin de ne pas perdre mon temps, puisque les résidus des vers sont
utilisés en cosmétologie, j'achète un pot d'une crème
soi-disant souveraine pour les soins de la peau.
Le bus nous emmène ensuite à proximité d'une rue piétonne bordée de magasins que nous suivrons jusqu'au bout, en direction du Bund. Chemin faisant, je remarque une bannière rouge annonçant le 12ème festival de télévision de Shanghai, accrochée à un poteau d'éclairage, devant deux tours jumelles, à base carrée, agrémentées de tourelles à chacun des quatre angles et dont le toit est surmonté d'un petit pavillon à dôme doré. Plus loin, c'est un large et haut immeuble en demi cercle qui attire mon attention, ou plutôt l'arche qui s'ouvre, pareille à une immense porte, en son milieu. D'autre immeubles sont coiffés d'un chapeau de magistrats. Les hommes de l'art ne sont pas avares d'imagination pour se distinguer dans cette ville où toutes les audaces architecturales paraissent s'être donné rendez-vous. Comme on ne peut pas planter d'arbres le long des échangeurs, on y dispose des pots de fleurs! Je ne me souviens pas avoir jamais arpenté la rue piétonne. Existait-elle, il y a six ans? Je ne sais pas. Spacieuse, elle n'en est pas moins encombrée de passants. De larges dalles la pavent, grises sur les bords, lie de vin au milieu. J'essaie d'en évaluer la longueur: elle est grande. Dans sa saignée, j'aperçois un building coiffé d'une soucoupe volante, à moins que ce ne soit un champignon; dans son voisinage, un autre édifice est sommé d'une sorte de kiosque à colonnade et coupole néo-grecques. A droite, sur une place plantée de quelques arbres écrasés par les immeubles, un gratte-ciel, de verre et de béton, se termine en couronne dentée, à côté d'une construction plus petite, chapeautée d'un dôme doré. Nous buttons sur une chinoise de bronze qui conduit une poussette; d'autres statues de ce genre ornent la rue; grandeur nature, ces reproductions immobiles de scènes familières, se fondent parmi la population qui vaque; plus loin ce sera une mère de famille qui tient par la main son fils, lequel porte une raquette de tennis sur son épaule. Nous entrons dans une officine dont la devanture est peinte en rouge: c'est une pharmacie traditionnelle; on y trouve beaucoup de produits étranges et aussi du ginseng. Non sans avoir repéré un restaurant italien, nous parvenons dans une rue bordée d'immeubles en pierre très typiques, du début du 20ème siècle: nous sommes dans la concession anglaise. Il y a là de luxueux magasins, des banques et des restaurants coûteux. Cette rue donne sur le Bund; je pense qu'il s'agit de la rue de Nankin (Nanjing Road), sans en être sûr. La
promenade au bord du fleuve n'a pas changé. La même brume
traîne dans l'air; les photos ne seront certes pas d'aussi bonne
qualité qu'au Tibet! La statue de l'ancien maire, qui eut à
se plaindre de la révolution culturelle, est toujours en place,
devant un bosquet. L'affluence est nombreuse, en cette fin d'après-midi,
plus qu'en l'an 2000. Des gens de tous âges déambulent, sur
les larges dalles grises, entre le fleuve et la rangée d'arbres
qui sépare la promenade de la rue; les plus paresseux ou les handicapés
roulent dans de petites autos électriques; d'autres, assis sur des
bancs ou sur la rambarde, au bord de l'eau, prennent le frais. Des marchands
proposent d'amusantes pacotilles bon marché. Du côté
de Puxi les buildings de style anglais, dont certains ont un air nord-américain,
rivalisent avec les immeubles chinois plus modernes. De celui de Pudong,
tout est moderne et chinois; je cherche à deviner ce qui n'était
pas là autrefois; la tour de la télévision, je m'en
souviens; les deux globes terrestre de couleur bleutée, avec la
Chine en rouge, comme il se doit, je m'en rappelle aussi; pour le reste,
deux impressions se dégagent: d'abord l'espace était plus
dégagé, il s'est rempli; en second lieu, des constructions
n'avaient pas leur forme définitive, ils sont maintenant achevés.
Nous allons dîner sur un bateau, début d'une croisière nocturne sur le fleuve. Le repas achevé, nous montons sur le pont. De part et d'autre de la noire tranchée dans laquelle vogue notre nef, les immeubles sont illuminés. Nous remontons le long de la rive de Puxi avant de tourner et redescendre le long de celle de Pudong. La Tour de la Télévision me fascine; elle ressemble à celle que j'ai vue en construction à Berlin Est, en juillet 1968, juste avant l'invasion de la Tchécoslovaquie, d'où je venais, en compagnie d'un ami ancien déporté, en pèlerinage dans les camps de concentration qu'il avait connus; nous avons croisé les troupes du pacte de Varsovie en déplacement: cela ne s'oublie pas! Nous passons devant un voilier dont on n'aperçoit que le sanglant squelette lumineux de Hollandais volant. Nous longeons les grandes ailes d'un centre de réunions futuriste, déployées dans la pénombre, derrière un bateau éclairé de bleu. Nous tournons face à un pont, devant un monument dont ne voit que la base et les édifices de l'autre rive, celle de Puxi, défilent à leur tour, derrière le Bund. Des détails insignifiants pendant le jour prennent un relief particulier sous les projecteurs: une tour carrée, pourvue d'un cadran d'horloge, sur chacune de ses faces, juchée sur un immeuble cubique typiquement britannique; une réplique de la cathédrale Saint Paul, sans doute un temple de la finance; et, dominant tout, la brillante couronne d'un gratte-ciel moderne, qui paraît flotter dans le noir du ciel, les étages inférieurs étant à peine éclairés. Les façades anciennes prennent un relief qu'elles n'avaient pas sous la lumière triviale du soleil; on les prendrait pour des palais. Sur l'eau, se balancent des fantômes de barques phosphorescentes comme des lucioles. Un dernier coup d'oeil sur l'autre rive: des images et des idéogrammes se dessinent puis s'effacent, les uns après les autres, sur l'immeuble Aurora comme sur un écran géant. La croisière s'achève, ces paroles de lumière muettes sont les adieux de Pudong aux touristes. 17 ème jour: Shanghai (suite et fin) - (Les photos sont ici ) Cette journée est libre. Notre guide, qui passe un examen, ne peut pas nous accompagner; elle est sur les nuages, pour reprendre son expression; d'ailleurs, le programme ne le prévoyait pas. Comme nous ne repasserons pas à l'hôtel avant midi, nous déposons nos bagages à la réception. Munis des précieuses indications de notre guide, d'un plan du métro et d'une carte de la ville, nous tentons à trois notre chance. Une station de métro est juste à côté de l'hôtel. Ce moyen de transport, rapide et moderne, est d'utilisation aussi simple et facile qu'à Paris. Nous n'éprouvons aucune difficulté à nous tirer d'affaires, même pour changer de lignes; il y en a cinq; les stations sont écrites en signes européens. Notre premier déplacement nous amène à Pudong, presque au pied de la Tour de Télévision. Nous avons l'intention de monter jusqu'en haut de la Tour Jin Mao pour jouir du panorama sur la ville. Cette tour est plus haute que notre Tour Eiffel; mais ce n'est pas suffisant pour les Chinois amoureux de la performance: ils vont en construire une autre pour l'exposition universelle de 2010; elle dépassera 500 m et sera la plus haute du monde! L'arche la plus longue, le pont le plus grand, le train le plus rapide, la tour la plus haute... Shanghai a le culte du record; la Chine veut être la première partout; ça n'est pas nouveau! Jin Mao s'élève jusqu'à 420,5 m mais l'ascenseur ne propulse les touristes que jusqu'à 340 m, à une vitesse de 9 mètre par seconde; le déplacement est très confortable. On arrive sur un anneau qui tourne autour d'un puits central; dans ce puits donnent des ouvertures de l'hôtel qui occupe la tour; un regard dans ce trou de 300 m est hallucinant. Sur la plate-forme, constitée par l'anneau, se trouvent divers commerces. Les parois extérieures vitrées offrent une vue panoramique sur la ville en contrebas; malheureusement, la brume limite le champ de vision; Pudong, malgré ses nombreux buildings, est relativement dégagé; de nombreux espaces verts séparent les immeubles; les autres quartiers de la ville que nous voyons sont plus serrés, mais les gratte-ciel sont loin d'être la norme; entre eux s'étendent des cités d'immeubles plus petits, mais tout de même de plusieurs étages, aux toits colorés de rouge ou de bleu; certaines zones sont plus denses que d'autres, mais, presque partout, des arbres s'efforcent de monter vers la lumière, entre les maisons; Shanghai n'est pas totalement privée d'espaces verts, même si la concentration urbaine y est intense; au pied de la Tour de la Télévision, un large terre-plein est à peu près libre. Sur le fleuve des bateaux circulent lentement. Nous avisons une pancarte qui indique les distances: Xi'an est à 1200 km et Paris à 9250 km; nous y serons demain! Nous nous dirigeons ensuite vers la Tour de la Télévision. Ses pieds reposent sur un cercle de verdure; celui-ci est entouré d'un anneau dallé où sont dessinés des motifs géométriques, tirant parti des couleurs des dalles, qui rappellent celles de la rue piétonne. Des groupes de statues sont négligemment disposés sur cet espace; on distingue deux hommes d'affaires, serviette en main, en train de converser avec une femme, et, un peu plus loin, des touristes européens, les yeux levés vers la tour, admirant le génie chinois; ces statues s'incorporent parfaitement au décor et aux activités qui s'y déroulent. Nous marchons ensuite vers le spectaculaire
tunnel touristique franchissant
le fleuve sous l'eau, à proximité de l'embouchure de la rivière
Wusong, son affluent. Nous passons devant le bâtiment au toit en
forme d'ailes blanches, aperçu pendant la nuit. Les murs de la gare
du tunnel sont ornés d'aquarium, où vont et viennent des
poissons de la baie. La traversée s'effectue dans de petits wagons
en forme de bulles, à vision panoramique; des effets lumineux distraient
les passagers du départ jusqu'à l'arrivée.
Nous refaisons en sens inverse le trajet de la veille, dans le secret espoir de retrouver le restaurant italien. Cet espoir ne sera pas déçu et, pour notre dernier repas, nous ne mangerons pas chinois. Ensuite nous continuons vers le centre de Puxi. Notre but est de gagner le Parc du Peuple, autour duquel s'élèvent plusieurs bâtiments que nous souhaitons voir de plus près. Une femme, munie d'une pelle et d'un balai, entretient la propreté de la rue piétonne. Voici le secret de la propreté des villes chinoises; ce n'est pas seulement le civisme des Chinois qui l'explique; chaque fois qu'un morceau de papier tombe à terre, il se trouve toujours un employé de la voirie pour le ramasser. Autre détail: tout est récupéré; des gens attentent que vous ayez fini de boire l'eau de votre bouteille pour réclamer l'emballage; nous l'avons expérimenté au Sinkiang où on nous aurait presque enlevé l'eau de la bouche; dans les villes, la compétition est rude et des algarades opposent parfois les employés municipaux aux francs-tireurs qui se livrent au noir à cette activité de ramassage des bouteilles vides. Nous finissons par arriver sur une place, devant la blanche bâtisse futuriste que je crois être le Musée de l'Architecture. Alors que nous musardons dans les rues alentour, une jeune femme, qui distribue des tracts à l'entrée d'une église, nous invite à y entrer; c'est un temple protestant, je ne sais plus de quelle obédience. Une tour, qui ressemble à un crayon la pointe en haut, ou à une arme blanche menaçant le ciel, est dardée vers les nues. Ailleurs, le haut d'une tour de vert et d'acier se boursoufle d'ondulations dont l'utilité laisse perplexe, mais son esthétique n'est pas discutable; plus loin, un gratte-ciel arbore fièrement ses vitres teintées de bleu; en faisant assaut de modernité, on attire les entreprises étrangères; un proverbe chinois ne dit-il pas que, si le nid est accueillant, l'oiseau s'y pose? Le Parc est une vaste esplanade arborée et couverte de gazon, fleuri par endroit; sa dalle recouvre un important centre commercial souterrain. Alentour, on peut voir, dans l'ordre où nous les abordons: le musée déjà cité, l'Hôtel de Ville, l'Opéra et le Musée des Beaux-Arts. Devant l'Opéra, au toit incurvé, s'étend une pelouse verte sur laquelle picorent des pigeons blancs; des massifs de fleurs roses et blanches jettent une note claire sur l'herbe sombre; sur un des coin de la pelouse, je remarque une sculpture végétale semblable à celles qui figuraient à l'exposition des mosaïcultures de Montréal en 2003. La différence des points de vue entraîne bien des métamorphoses: la tour que je prenais tout à l'heure pour un crayon m'apparaît maintenant, sous un autre angle, comme un porte-plume dont la pointe fouille les nuages, à la recherche de je ne sais quel encre; mais cette apparence n'est que fugitive et je pourrais encore avancer d'autres propositions; brisons là et passons à autre chose. Sur la gauche, derrière un massif d'arbres taillés en boules, une tour est couronnée d'une roue à rayons posée sur son moyeu. D'autres massifs d'arbres bien coiffés défendent l'entrée du Musée des Beaux-Arts. Ce musée est circulaire; des oeuvres d'art exceptionnelles y sont présentées sur quatre niveaux. Je pense l'avoir visité, il y a six ans, mais je ne reconnais plus l'environnement. Nous partons à la recherche du quartier français, de ses avenues bordées de platanes et de la maison où se tint le premier congrès du parti communiste, que nous baptisons à tort maison de Mao. Nous parvenons jusqu'à l'avenue Huaihai, ancienne rue du maréchal Joffre; nous sommes, sans nous en douter, en ancienne terre française, je dis sans nous en douter car j'apprendrai seulement plus tard que cette avenue porta le nom d'un maréchal français; toute mention de ce passé a été évidemment bannie. L'orage menace et nous nous réfugions hâtivement dans un petit café qui se trouve là opportunément. Bien nous en prend; presque immédiatement, une trombe d'eau s'abat sur la ville; un vent furieux tourmente les arbres et fait gémir la structure de bois du chalet, où nous dégustons une pâtisserie chinoise accompagnée d'une boisson; à côté de nous, un photographe mitraille une jeune femme qui prend des mines, sans doute un mannequin ou une comédienne; on se croirait en Occident; d'ailleurs Shanghai n'est-elle pas à demi occidentalisée, depuis l'époque des concessions? Les jeunes femmes s'y marient en blanc, comme chez nous, alors que je les ai vues se marier en rouge, il y a deux ans au Sichuan. L'orage passé, nous constatons les dégâts:
grue abattue, rangées de vélos jetés au sol... il
ne faisait pas bon être dehors! Nous trouvons une avenue bordée
de platanes, ce qui nous met du baume au coeur; mais de maison de Mao,
point. Parmi les gens interrogés, certains semblent ignorer son
existence, d'autres nous donnent des indications que nous interprétons
mal. Pourtant, petit à petit, nous nous rapprochons, nous brûlons.
Nous voici dans un charmant petit quartier d'allure européenne,
j'allais dire française, sans aller jusqu'à parisienne; deux
jeunes femmes se tiennent par le cou et s'embrassent sur le trottoir; un
policier, à qui nous soumettons notre plan, nous regarde d'un air
dubitatif; sur une petite place, nous découvrons le restaurant français
La Maison, un cabaret, avec, devant lui, un réverbère bien
de chez nous. Nous prenons la rue qui s'ouvre au fond de la place; nous
tombons bientôt sur une exhibition de je ne sais quel groupe de rock
australien, dont les affiches vantent les mérites; nous revenons
sur nos pas, en empruntant une autre rue, et le miracle se produit. A l'angle
d'une voie traversée tout à l'heure, se dresse une maison
de briques grises, agrémentées de décorations rouges;
une plaque doré explique en chinois quelque chose que nous ne pouvons
comprendre; heureusement, un groupe de jeunes gens stationne devant la
maison qu'ils viennent peut-être de visiter; ils nous confirment
qu'il s'agit bien de celle que nous cherchions.
J'avoue que le quartier français m'a laissé une agréable impression. Dans une cité où tout devient démesuré, il est resté à taille humaine. Ses maisons sont en général basses et bien entretenue; un aspect cossu s'en dégage; il n'est pas trompeur: galeries d'art, boutiques de modes et de luxe, boîtes de nuit et restaurants y voisinent. Nos objectifs atteints, nous regagnons notre hôtel par le métro. Notre guide vient nous prendre pour nous conduire
à l'aéroport. Comment s'est passé son examen? Comme
ci, comme ça, sur les nuages! Le
crépuscule est là, ombrant les tours et faisant ressortir
les structures transparentes qui ornent parfois leur terrasse: voûtes
ogivales en grillages, couronnes d'acier ajouré, graciles
constructions cubiques de poutrelles métalliques. J'essaie en vain
de photographier l'arche blanche d'un pont que je pense être le Lu
Pu; le temps d'apprêter mon appareil et des maisons me le cachent
presque totalement.
A l'aéroport, des règles de sécurité draconiennes contraignent un couple du groupe à ouvrir sa valise et à en extraire un jouet pourvu d'électronique: il aurait pu servir de détonateur à une bombe; ils le laisseront à notre guide. Notre voyage est fini. Le retour n'appelle
pas de commentaires. Quand au séjour, je n'en suis qu'à demi
satisfait. Le programme n'a pas été suivi à la lettre;
peut-être était-il trop ambitieux. Les guides n'étaient
pas toujours aussi compétents qu'ils auraient dû l'être.
L'organisation laissait à désirer; pourquoi nous a-t-on amenés
par trois fois dans des magasins de soieries au lieu d'une seule visite
approfondie sur un seul site? Les travaux en cours à Pékin
ont contraint notre guide à édulcorer le programme. Enfin
peut-être n'étais-je pas moi-même aussi réceptif
que lors de mes précédentes pérégrinations.
J'ai conscience d'être passé à côté de
beaucoup de choses, mais j'en ai vu aussi beaucoup d'autres; mes lectures
combleront les lacunes.
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