|
C'est à la veille de la première
guerre mondiale, en 1912, qu'apparaît en Allemagne le Groupe de Thulé.
Il est fondé sur le mythe antique de l'ultime Thulé, contrée
localisée dans le grand nord, dans une plaine entourée de
montagnes de glace étincelante, habitée par une race supérieure;
à l'instar de l'Atlantide, Thulé aurait été
engloutie par la mer, mais quelques-uns de ses habitants auraient échappé
au cataclysme et engendré les Aryens. Le groupe de Thulé
voit dans la race nordique, particulièrement chez les Allemands,
grands, athlétiques, blonds et aux yeux bleus, les descendants des
habitants de Thulé, les fameux hyperboréens. Au départ,
ce groupe n'est guère plus qu'une association d'études ethnologiques
sur l'antiquité germanique. La guerre de 1914 disperse ses membres
dont l'activité est mise en sommeil pendant les hostilités.
.
En 1918, un pseudo baron, Sebottendorf, ingénieur allemand naturalisé turc, fonde la Société Thulé, qualifiée de cercle extérieur de "l'Ordre des Germains"de Bavière. La nouvelle organisation mêle une idéologie d'extrême-droite, antisémite et pangermaniste, à l'étude des runes et des anciennes légendes germaniques. Elle devient rapidement une société secrète et un rassemblement d'activistes politiques ayant pour objectif de faire tomber la jeune République de Weimar. Cette société secrète sera ultérieurement présentée par son auteur comme un mouvement précurseur du parti nazi. En fait, si certains dirigeants du troisième Reich la fréquentèrent, la société Thulé n'eut probablement pas l'importance que Sebottendorf lui attribua dans la genèse du parti nazi, après l'accession de ce dernier au pouvoir. Le pseudo baron quitta d'ailleurs l'Allemagne pour la Turquie en 1933; il se livra à des activités d'espionnage, sans grand intérêt pour sa patrie d'origine, pendant la guerre et se suicida après la défaite en 1945. Hitler, porté par caractère vers les sectes et l'occultisme, qui ne prenait ses décisions qu'après consultation des astrologues, fut certainement sensibles à la doctrine développée par la Société Thulé, à laquelle il emprunta l'emblème du parti nazi, même si son parti n'est pas directement issu de cette société. Cet emblème, le svastika, baptisé croix gammée, est d'origine très ancienne; on le fait remonter à l'âge du bronze indo-européen, mais, comme il se rencontre à la fois dans les pays nordiques, en Asie et aussi dans les tribus indiennes d'Amérique du Nord, on peut supposer que son origine est encore plus lointaine. Il symbolise une rotation autour d'un axe; au départ, il représenta sans doute le déplacement de la voûte céleste autour de l'étoile polaire; lorsqu'il est dextrogyre, c'est-à-dire tournant vers la droite, c'est maintenant un symbole solaire; lorsqu'il est senestrogyre, c'est-à-dire tournant vers la gauche, comme c'est le cas de l'emblème du parti nazi, c'est un symbole maléfique. Le svastika, quelle que soit son orientation, a servi d'emblème à plusieurs sectes (dont celle des théosophes) avant de devenir celui du parti nazi. Les membres de ce parti y voyaient le symbole du paradis perdu de Thulé et de son peuple de surhommes aryens dont ils voulaient régénérer la puissance. Leur idéologie raciste trouvait ainsi une justification théorique dans le retour à un âge d'or détruit par la civilisation gréco-latine et chrétienne. .
On a pensé que Karl Haushofer, militaire de carrière et diplomate, qui voyagea en Asie, mais ne mit sans doute jamais les pieds au Tibet, en dépit de ce qu'affirment certains auteurs, aurait gravité autour de la Société de Thulé. Devenu professeur, spécialiste de la géopolitique, cet Allemand, dont l'épouse était d'origine juive, serait à l'origine de l'idée d'espace vitale nécessaire à l'épanouissement du peuple allemand. Il eut pour élève Rudolf Hess, second personnage du parti nazi, qui s'envola le 10 mai 1941 pour l'Angleterre, avec le secret espoir de conclure la paix. Cette équipée, qui échoua lamentablement, n'avait probablement pas reçu l'aval de Hitler; cependant, les dignitaires nazis considéraient les Anglais comme des Aryens; à ce titre, ils les tenaient davantage pour des compétiteurs que pour d'irréductibles ennemis et ils étaient disposés à transiger avec eux pour le partage du monde. Quant à Haushofer, l'initiative de son ancien étudiant, lui valu, ainsi qu'à sa famille, d'être inquiété par le pouvoir en place. Après l'attentat du 20 juillet 1944, il fut interné à Dachau, tandis que son fils, Albrecht, compromis avec les conjurés, prenait la fuite. Arrêté, Albrecht fut interné à la prison berlinoise de Moabit, avant d'être exécuté par les SS, peu de jours avant la chute du régime; il laissait un recueil de sonnets écrits en prison. Karl Haushofer et son épouse mirent fin à leurs jours en 1946, dans les environs de Munich. Il n'est pas sans intérêt de souligner l'influence qu'eurent les sociétés secrètes sur la politique allemande. Ce phénomène n'est d'ailleurs pas isolé; on le retrouve en Italie avec le carbonarisme, et aussi en Chine et au Japon. Enfin, il ne faut pas oublier que les théories de la Société Thulé trouvèrent entre les deux guerres un écho en France, notamment en Bretagne, comme le prouvent les écrits de Marchal et Mordrel dans le journal Breiz Atao. |