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L'amitié
L'amitié, d'autres l'ont compris,
c'était une conversation prolongée
sur la consommation du temps
qui rendrait les jours éternels.
L'amitié était jouissance de
paroles
et mémorable jeu d'échecs
où les parties se terminaient en plaisir,
à jouer avec les gestes et la volonté.
L'amitié, vieille monnaie errante,
est offerte maintenant par des anciens,
malades, animaux, ivrognes et fous.
Les hommes ne savent rien d'elle:
cette fugitive des siècles.
("Miroir de masques", Bogota,
1987)
Harold Alvarado Tenorio est
un poète colombien
Un autre poème de cet auteur est
ici
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Rosario
de Acuña (Madrid, 1850 - Gijón, 1923)
Les envieux
L'envie, en ses répugnantes noirceurs,
Possède aussi son mérite, et
sa noblesse,
Et porte un sceau d'immortelle grandeur.
Quand il respire dans la poitrine des géants.
Qui sait si le Quichotte de Cervantes
Fut un sourire amer de tristesse
A voir subjuguée sa tête géniale
Entre tant d'imbéciles triomphants!
Cette envie du génie, qui ennoblit,
N'est pas la vôtre scélérate
camarilla
De l'odieuse mesquinerie, qui amoindrit et
avilit!
Vous autres n'êtes, qu'un chien en laisse,
Que la vue du fouet rend muet
Et l'animal intimidé que dompte le
cri impérieux.
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Javier
García Cellino
Donne moi la foi en l'oeil des persécutés, en le fruit mûr du bûcher, en la femme amoureuse et en les aveugles qui gardent des couplets dans leurs poches avec la même confiance que d'autres thésaurisent l'étain doré de leurs rêves.
Ne me donne pas la foi de ceux qui croient en la succession des heures, ni les fausses monnaies qui s'épuisent dans la corde du pendu, et ne me dis pas que tout ce qui brille sous tes paupières est amour.
Ne regarde pas en arrière. Marche. Ne fais pas comme la femme de Lot. Ne te transforme pas en statue, ni ne cherche dans le miroir un autre corps distinct du tien.
Marche si tu veux que la vie t'accorde une trêve pour l'amour.
Ce poème fait partie
de "Sonate pour un abécédaire" qui a reçu le prix
hispano-américain "Juan Ramón Jiménez" 2005
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Santiago
Montobbio
Manifeste initial de l'humaniste
La cause des paroles, qui ne servent à
rien,
sinon à vivre tellement seul, est une
cause minime.
Mais si chaque jour tu sais avec une plus
grande certitude
que non seulement tu répudies les couronnes
mais que chaque fois elles te donnent davantage
de dégoût;
si en vérité tu ne veux pas
que ton intelligence déjà ruinée
soit une pute mercenaire qui vend sa poitrine
ou son âme
à un quelconque enfant de l'argent
ou si, simplement,
tu n'as pas besoin de grand chose et que seulement
il t'importe de supporter
avec dignité la vie et ses tristesses
il serait préférable que tu
assumes dorénavant
l'inévitable condamnation de la solitude
et de l'échec
et que, en tant qu'abandon d'étoiles,
lumineux ou aveugle,
à cette petite cause somme toute ridicule
en laquelle déjà tu résumes
tout ce que tu fis, dans ta chambre vide tu
laisses
les mots de feu qui se combattent et se poursuivent,
et qui ont froid dans leur nuit solitaire,
être cendrée afin de prononcer
ton nom.
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Andityas
Soares de Moura
Baigneur à Vigo
alors tu ne pourras pas
oublier
que le
ciel
est seulement
une respiration
fatiguée: acide
tes pieds
nagent dans les sables
le silence tombe goutte à goutte
de profonds nombrils
ce matin la mer sauvage
lèche la
plage
lèche ton sexe
-froissé-
nu dans les vagues
les vagues
lèchent ton odeur
-oh végétation-
les sandales:
oubliées dans
ma bouche
et ainsi tout devint crépusculaire
sans piété
sans explication
Extrait de FOMEFORTE, publié
par les éditions Crisálida, traduit du portugais en espagnol
par Francisco Álvarez Velasco
Andityas Soares de Moura
est un poète brésilien
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Francisco
Javier Torres
L'observateur
Damas brûle face à Rome
tandis qu'un oiseau vole dans l'après-midi
vers l'eau suave,
et que le barbare succombe à son charme.
La ville sait que ses murs
abriteront avec ferveur une autre croyance,
que la ruine imminente ne sera pas si grande
cette fois.
Elle brûle et ses marbres se désagrègent
une fois de plus avec le brillant du bleu
et du rose.
Les cours, les balcons, les colonnes oranges
et maigres
s'élancent déjà vers
le festin du feu,
indifférents à qui eût
pu éteindre cette flamme
avec ses larmes vaines.
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Iacyr
Anderson Freitas
Photographie
Tu es posé là
comme à la fin il faudra l'être:
immobile, mort.
Ce que le papier révèle
tes nuits l'ont pressenti:
une certaine peine d'exister,
les mains quelque peu tremblantes.
Ah, les mains savent te trahir,
comme tout le monde.
Et les yeux ?
-congelés en un ponant
qui se perdit
hors du temps et des villes,
mais qui illumine
maintenant ta photographie
avec la même lumière
qu'en rêves tu percevais.
Cette lumière qui, sur le papier,
demeure égale à toi
et à tous,
immobile fantaisie.
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Cinq
exercices finaux
Premièrement: ouvrir bien la bouche
pour goûter le jour.
Trop doux, obscur?
Second exercice: respirer profondément
jusqu'à sentir une cloche.
Deux coups de battant
c'est le son du dimanche.
Troisièmement: toucher avec la phalange
gauche
une des sept extrémités pointues
de l'aurore
jusqu'à faire mal au bleu - et que
ce soit bien douloureux.
Quatrièmement: regarder à l'envers,
regarder en dedans
et voir l'enfant qui court
sur le pont.
Cinquièmement: ouïr le mécanisme
de l'heure, ses engrenages
et, au centre, toutes les autres heures
dans lesquelles tu es né.
Dans lesquelles tu es né
pour ces exercices inutiles.
Ce second poème est extrait de Terra Além Mar publié par Ed. Ardósia Associação Cultural, Colecção Pasárgada
Iacyr Anderson Freitas est
un poète brésilien traduit
du portugais en espagnol par Francisco Álvarez Velasco
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Basilio
Sánchez
La femme qui marche devant son ombre.
Celle qui précède la lumière
comme les oiseaux
aux célébrations du solstice.
Celle qui n'a rien gardé pour elle
sauf sa jeunesse
et la pierre enfilée des larmes.
Celle qui étendit ses cheveux sur l'arbre
fleuri en automne, celle qui est docile
aux insinuations de ses feuilles.
La femme dont les mains sont les mains d'un
enfant.
Celle qui est visible maintenant dans le silence,
celle qui offre ses yeux à l'animal
obscur qui observe tranquillement.
Celle qui fut avec moi depuis le début,
la femme qui a tracé
la forme des choses avec l'eau qui cache.
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Antonio
Redondo Andújar
Une fois de plus les arbres s'agitent
Regarde par là: une fois de plus les
arbres s'agitent
et le soleil s'est écroulé
sur les corps qui l'adorent imprudemment.
Le crépitement du feu est si maladroit!
Il ressemble au tic-tac de l'horloge.
Regarde par là: une fois de plus les
arbres s'agitent.
Leurs cimes décrivent d'immenses cercles.
La voûte céleste est d'un bleu
qui ment.
Sentiment d'une existence qui tourne en rond:
Où tomberas-tu de nouveau?
Dans un cylindre
ou dans la masse visqueuse d'un personne inexistante?
Chemin, je tourne mon regard vers l'arrière,
au loin
-en gardant la distance nécessaire-,
une femme, dissimulant son corps
-de manière qu'on ne peut pas savoir
ce qu'elle me cache,
me poursuit inlassablement.
Rien ne me sert de me hâter,
de courir comme un fou
-enfermé entre des parois de chair-
puisque je ne fais que décrire d'immenses
cercles.
Une fois de plus les arbres s'agitent
et le ciel est d'un bleu qui ment.
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Francisco
Álvarez Velasco
Aubade
Petit pain chaud
qui se refroidit dans l'aube.
Au travail de l'homme
on pressent déjà le matin.
Ce poème de Francisco Álvarez Velasco fait partie du recueil "Noche" qui a obtenu le Prix International de Poésie "Antonio Machado". Ce livre est édité par Hiperión
On peut lire un autre poème de Francisco
Álvarez Velasco ici
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Júlio
Polidoro
Aurore, crépuscule et soleil
mer de sonorité et de parole
la flûte de Pan
résonne dans les quatre éléments
si limpide, si unique,
symbiose des vents
voyage, de l'intérieur vers l'extérieur,
synchronisme du ciel
en transportant, dans le temps,
aurore, crépuscule et soleil
Ce poème a été
traduit du portugais en espagnol par Francisco Álvarez Velasco
Júlio Polidoro est
un poète brésilien
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Gabriella
Sica
Tu ne percevras pas le rossignol qui pleure
ses fils bien aimés et son épouse
chère,
tes yeux ne verront pas luire la douce famille
des fleurs et des herbes des prairies printanières.
Maintenant que tu as changé le bien
en mal
et que tu bouges seulement pour te séparer,
maintenant que tu savoures la rupture amère
sans que le doute ni la peine ne t'assaillent.
Toi qui souffres du même malaise ténébreux
que ce siècle qui meure aride lentement,
toi qui fuis de manière honnête
et véridique
tu ne vois pas combien d'erreurs tu commets,
tu répands seulement ton mal aux alentours
ta langue n'est pas faite pour le siècle
nouveau.
Gabriella Sica est une poète
italienne.
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Miguel
Florián
Traverser
l'ombre jusqu'à
la lumière,
descendre au long de la moelle du rêve,
par les racines blanches des os,
tomber jusqu'au minéral où les
voix
se confondent avec l'argile avare,
avec la source des lamentations.
Lorsque la coupure est plus secrète,
sa lave plus ardente, sous le limon
je recherche le fruit rouge de la mort,
et dans sa pulpe rugueuse la semence.
Des gamines déchaussées courent
dans l'herbe
(je sens la légèreté
de leur chair enflammée,
la splendeur de leurs années incertaines,
le rire limpide qui s'ouvre et s'agrandit,
et la petite fleur sur leur poitrine, l'effort
douloureux de la terre pour atteindre leur
chair).
Ce poème fait partie de l'ouvrage "Reparto de sombras" - Ed. La Palma - Ministerio del Aire - Madrid - 2005
D'autres poèmes de Miguel Florián
sont ici
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Xosé
Bolado
Si ce soir un tremblement
t'annonce
la proximité de la fatigue,
garde ton amphore de lumière
et attend l'aurore.
Laisse à la luciole
les sentiers de la forêt.
Aux astres la musique
lointaine de la mer.
Repose-toi,
l'horizon est plat,
évanoui le temps passé.
Ce poème est extrait
de "Antologia" '(édition bilingue espagnol-italien et asturien-italien,
avec une traduction de Emilio Coco), une publication de la collection "Quaderni
della Valle"
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Antonio
Merayo
La peur faite descendre un loup des montagnes pour venir lécher l'arroyo, de la taille du monde, qu'idéalisent les enfants.
La relation bleue du ciel et des montagnes représentait la foi dans les horizons si bien enracinée en moi.
Les huppes malodorantes ne parvenaient plus à nous tromper avec leur tenue ostensible parce que nous savions déjà ce que dissimulait leur aspect.
Pas plus que les oiseaux blessés ne dormaient dans leur chant tandis qu'une enfant coloriait mes rêves préférés.
Je puis encore entendre la cloche de la tour, rendue depuis longtemps en un lointain lieu de mémoire.
De ce lieu où j'appris que la beauté est respirable, j'ai rapporté une brassée de rêves et d'espoirs ensuite gaspillés sur des chemins rugueux.
Mais en dépit de tout, j'imagine parfois que mon coeur aujourd'hui à vif, continue de pouvoir partager ses attentes avec l'air.
Ce poème est tiré
du livre "En aquel tiempo azul" ("Fuencalada" - 16, Centro de Estudios
Astorganos "Marcelo Macías" - Astorga - 2005)
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Harold
Alvarado Tenorio
Tout n'est pas silencieux dans la montagne
Tout n'est pas silencieux dans la montagne.
Le moucheron assaille la lumière de
la lampe.
Le chant du coq annonce le matin.
Les oies poursuivent le chien.
Tout n'est pas silencieux.
Le moucheron, le coq et les oies
prouvent que le silence est impossible
tant que nous sommes vivants.
Ce poème est extrait de "El ultraje de los años" - Arquitrave - 2005. Il en existe une version anglaise de Rowena Hill.
D'autres poèmes de cet auteur sont
ici
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Antonia
Álvarez
Derrière
les cristaux
et la cécité
fut une lumière fixe,
et entre regarder et voir il reste le vent...
Luis Rosales
Parfois (tant de fois,
tu le sais),
nous restons regardant
l'autre monde depuis la fenêtre
sombre et triste du soir,
regardant, -ce qui ne se voit pas-,
comme le froid
étreint la blessure ouverte des arbres,
regardant comme souffle sur le temps
tant de vent
un
vent
l'accablement ultime de l'instant...
Silence dans le regard. Dans la mémoire,
cet amour qui nous laissa éteints,
tristement rouillés
et lâches.
Quelle douleur que l'amour
vilaine blessure,
et tant de roses mortes dans les parcs!
Le regard, en silence,
dicte au coeur ses certitudes,
doutes de soi, de ce qui fut, des vérités
médianes,
et il se perd, se perd immensément
dans les bras véloces de l'air.
Tandis qu'en des yeux ef-
feuillés,
la lumière évanescente s'incarne
pour habiter le terrier de l'oubli,
pour que nous nous sachions vivants, encore,
et que s'illuminent les seuils
de l'inquiétude d'être hommes,
de cette aventure rare
et sans ancrage.
Des colonies d'étourneaux
volent en fauchant le ciel
et nul ne sait
dans quelle peupleraie reposeront leurs ailes,
vers quelles latitudes
dans quelles vallées
leur esprit d'oiseau s'épanouira.
Quelle beauté, sans plus,
tombe sur le soir!
Et ainsi, avec le silence en soi
en ses propres sentiments
(ou ses regrets),
nous restons attentifs
à cette haute solitude qui nous offre
le ciel,
celle de cesser d'être...
derrière les cristaux.
Ce poème a été
honoré du premier prix du ´´Certamen Poemas sin rostro´´
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Elsa
López
A Ana Teja
Je
t'aime parce que tu portes
une enfant dans ta bouche
avec une poitrine de cristal
Et des yeux de cristal
quand tu regardes ou que tu détailles
ce que tu regardes
Parce que tu suspens des colombes
et d'autres enfants comme toi sur les murs.
Parce que tu vas et viens grâce à
la lumière de tes tresses
sans me dire quels sont les pas qui t'accompagnent.
Et que tu sors dans la rue à la recherche
de tes yeux
dans l'aurore de cette ville sans portes.
Je t'aime
parce qu'un jour tu m'as emmenée jusqu'à la rivière
jusqu'au vol des oiseaux qui nidifient dans
l'eau.
Et que tu m'as touché l'épaule
pour me donner le souffle
que parfois je perds.
Parce que tu me contemples gravement
et m'invite à te suivre d'un clin d'oeil.
Et que tu m'encourages,
et tu m'accueilles,
et me retiens en l'air quand je vole sans
direction
ou que j'ai perdu le nord.
Ces deux poèmes sont
extraits de "Quince poemas de amor adolescente". Elsa López, avec
"La travesía", vient d'obtenir le 13ème Prix de la ville
de Córdoba de "Poesía Ricardo Molina". Cet ouvrage sera édité
au printemps par Hiperión
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Fernando
Fábio Fiorese Furtado
Matinée
dans la clarté de la cour
rien ne bouge.
le marbre des colonnes est seul
à lutter contre le vent.
le sol tout entier annonce la chute
le mot qui ouvre le matin.
émigré de l'ombre
je me livre à l'usure du vent.
ah l'azur
l'azur me désempare.
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Gabriel
Impaglione
Il
faut se saouler d'oiseaux à en mourir
d'éclatements d'iris et de crépuscule,
de rires et de chansons à pleines mains
et laisser la gravité des sacoches
aux tristes collecteurs d'impôts,
laisser dire ceux qui conseillent
de perdre sa vie à la gagner.
S'obstiner dans l'espérance
des bras ouverts dans la rue,
en un festin d'indiscipline.
Il faut marcher, c'est en marchant
qu'on arrive finalement.
Ceux qui sont au long du chemin
distribuent la joie comme l'eau.
Il faut vivre tous les possibles
jusqu'à renaître, fonder à
nouveau
la terre au nom des fils.
Il est urgent de construire le vrai,
la maison définitive
des ultimes fraternités.
Extrait de "Prensa Callejera".
Gabriel Impaglione est un poète argentin
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Antonio
Gamoneda
Mauvais
souvenirs
La honte est un sentiment révolutionnaire
Karl Marx
Je porte à mon coeur pendus
les yeux d'une chienne et, plus bas,
une lettre de mère paysanne.
Quand j'avais douze ans,
un jour, à la tombée de la nuit,
nous emmenâmes à la cave une
chienne
sale et petite.
Avec un câble nous la maltraitâmes
et aussi
avec des échardes et des fers. (C'était
ainsi. C'était ainsi.
Elle gémissait,
elle se traînait suppliante, elle urinait,
et nous la pendions pour mieux la maltraiter).
Cette chienne venait avec nous
aux pâturages et sur les coteaux. Elle
courait
vite et nous aimait.
Quand j'avais quinze ans,
un jour, je ne sais pas comment, parvint à
moi
une enveloppe avec une lettre pour un soldat.
Sa mère lui écrivait. Je ne sais
plus:
"Quand reviens-tu ? Ta soeur ne me parle pas.
Je ne puis t'envoyer d'argent... "
Et, dans l'enveloppe, il y avait, cinq timbres
pliés
et du papier à cigarettes pour son
fils.
"Ta mère qui t'aime."
Je ne me souviens pas
du nom de la mère du soldat.
Cette lettre n'est pas arrivée à
sa destination:
j'ai volé au soldat son papier à
cigarettes
et j'ai déchiré les mots qui
disaient
le nom de la mère.
Ma honte est aussi grande que mon corps,
mais serait-elle aussi vaste que la terre
je ne pourrais pas retourner pour détacher
le câble de ce ventre ni envoyer
la lettre au soldat.
Antonio Gamoneda: Prix de
Castille et Leon (1985) - Prix national de poésie (1988)
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Agustín
Delgado
En privé
Depuis déjà longtemps
Je n'écris plus de poèmes.
Auparavant j'aimais
Avoir la feuille de papier sous les yeux
Tandis que le soir tombait.
Maintenant
Toutes les nuits ma tête s'emplit de
bruit
Un bruit rare
Et je vois les mots pareils à une infinité
de libellules
Disparaître en voletant jusqu'à
se volatiliser
Et je me perds
Et je tombe sans respiration dans l'amphithéâtre
de la nuit
Et je me réveille
Avec les muscles raides.
Quand je vais crier
Une main très blanche lentement s'abaisse
Et me ferme la bouche.
Extrait de "Discanto" qui
vient d'être publié par Visor avec un prologue de Luis Mateo
Díez
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Francisco
Álvarez Velasco
La sève lente
Le drap de feuilles
retombe en haillons sur la terre
il enveloppe les racines
pour abriter la sève endormie.
En haut demeure le nid
comme ton coeur maltraité
par le brouillard de l'automne.
Tu espères transie
la nuit de décembre
sans oiseaux ni chansons.
Sous la croûte dure
les lombrics
travaillent silencieux pour l'arbre.
Extrait de "Noche", prix international
de poésie "Antonio Machado en Baeza", publié par Hiperión
On peut lire un autre poème de
Francisco
Álvarez Velasco en cliquant
ici
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Jaume
Subirana
L'Ami dit
Je suis un chien
et tu es l'air que je respire,
je suis un rayon
et tu es l'ombre de mon pas,
je viens du monde
où je te cherche et me précipite
avec la fureur
de l'animal ébloui:
je requiers la lumière
qui bat dans le plus foncé.
Jaume Subirana est un poète
catalan
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Juan
Carlos Gea
C'était un beau matin
de célébration
-le jour des Saints
et ceux de Lisbonne
qui ont si justement gagné
la renommée
d'un peuple pieux
A l'heure du kirie
A ce moment
le sol du temple de Notre Seigneur
se mit à trembler
et s'écroula
La vallée entière fut exhaussée
tous les monts toutes les collines
tout ce qui était vallonné fut
arasé
et les terrains rocailleux
changés en planèzes
même l'herbe
l'herbe qui est la viande
l'herbe qui est le peuple
l'herbe incalculable
les morts nombreux
comme anonymes
l'herbe se dessécha
fauchée dans sa splendeur
Trois secousses du sol
dix minutes suffirent
pour faire de la cité
cette lande brisée
de corps et de décombres
Et ensuite advint le feu
...
Extrait de "El temblor. Lisboa,
sábado de Santos de 1755", Gijón, Ediciones Trea, 2005
Des études et des oeuvres
des poètes qui précèdent sont accessibles dans
leur langue d'origine sur le site Portal
de poesia
Rumeur des Âges éditeur
...
Libre dit-on de moi. C'est parfois lourd à
porter. alors, je cherche ma proie pour partager mes soirs d'hivers. J'économise
d'autant que le gisement se fait rare. Mais j'insiste, avant que la chasse
ne soit interdite!
...
Se souvenir des bonnes choses, c'est primordial
pour faire plaisir aux autres. C'est ce que je dis pour faire bien. Comme
un galop de chevaux dans la prairie, l'essentiel est de faire du bruit
pour marquer ton territoire.
...
Extrait de La Grande Boiterie
Il est temps que je parle de cette envie de lumière. Que je décrive ce jardin clos d'amour.
Je sais toutefois, que parler à la mare, fait taire les oiseaux. Cela ressemble au frôlement d'un chat en rut.
Défense pour l'homme de bousculer les grenouilles. Il est juste d'établir des règles. Sachez mes amis que marcher jusqu'aux poiriers donne du goût aux fruits. Que le clic et le clac de l'horloge marque le temps du figuier qui, lui, interrompt le jappement du chien.
Dans ce jardin secret, je sais ce qu'il ne faut pas dire.
Extrait de Brouillis
D'autres poèmes de
Josyane de Jésus-Bergey peuvent être lus ici
Arquitrave
Proverbes
Ne dis rien,
regarde comment les choses pourrissent autour
de toi.
Accorde confiance seulement aux enfants et
aux animaux
et apprends des vieillards la peur d'avoir
vécu
trop longtemps.
A tes contemporains demande seulement les choses
pratiques
et partage avec eux tes échecs, tes
maladies,
tes angoisses, mais jamais tes réussites.
De tes frères aime celui qui est loin
et crains celui qui vit près de toi.
N'interroge pas tes parents sur ton passé
et n'essaye pas de tirer au clair avec eux
les faits de ton enfance et de ta jeunesse.
Ne parle pas à ton patron, écris
lui et ne l'entretiens jamais
de tes projets futurs et mens lui toujours
à propos de ton passé.
Aime ta femme autant qu'elle te le permet et
s'il t'arrive d'être père, pense
que, comme dans les
jeux de hasard, tu pourras gagner ou perdre.
Le destin n'existe pas, tu es ton propre destin.
Et si tu parviens à la vieillesse
rend grâce au ciel qui t'accorda de
vivre longtemps,
mais implore avec résignation une mort
prompte.
Ceux qui n'ont ni argent ni pouvoir
valent moins qu'un cheval, un chien,
un oiseau ou une lune pleine.
Ceux qui n'ont ni argent ni pouvoir
réclament sans cesse une longue vie.
Ceux qui n'ont ni argent ni pouvoir
parvenus à la quarantaine doivent vivre
en silence
dans la solitude absolue.
Ainsi l'entendirent les anciens,
ainsi le certifie le présent.
Celui qui ne peut changer son pays
avant d'atteindre la quatrième décade,
est condamné
à payer pour sa couardise le restant
de ses jours.
Les héros moururent toujours jeunes,
ne te comptes point parmi eux,
et termine ta vie
en accomplissant la tâche cynique d'un
homme sage.
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Ultrages (Hommage
au Poète - 13ème festival international de Poésie
de Bogota - 2005)
Instituto Caro y Cuervo
Bogota - Colombia
La poésie
Qu'es-tu sinon la vision de la nuit?
Tout le nocturne t'appartient.
Tu invites aux splendides banquets des songes
et aux non moins splendides veilles de la
réalité.
Tu voyages avec l'homme et la femme comme si
tu étais
la larme de leurs yeux, le bourdon de leur
félicité
ou l'épaisse fumée des aurores.
Pour toi, mère de la douleur, il n'est
rien que gloire et regret,
le milieu du jour n'est pas inscrit sur tes
agendas.
Tu n'es pas autre chose, poésie,
que la plus haute cime où le fou,
les mortels,
les déshérites de la chance
et de la fortune,
trouvent un refuge.
Toi, la détestée, la lépreuse,
la purulente,
tu es la meilleure des femelles
la meilleure mère
la meilleure épouse
la meilleure soeur
et la plus grande, la plus joyeuse des nuits.
Extrait de "Espejo de mascaras",
Bogota, 1987
La revue "Arquitrave", dirigée
par Harold Alvarado Tenorio, est ici
Encres Vives
Collection Encres Blanches
Ode
Vespérale
... De grâce ne succombe pas à la tentation d'une vertu inopportune! Sois l'huile au parfum de citron dont tu oindras mon corps et mon sexe et la myrrhe dans laquelle tu baigneras mon coeur! ... . Le chant de la Nativité ... De même que la sève monte dans les arbres au printemps, nous devons, en expiation du Mal insidieux qui nous ronge, sentir la vie battre dans nos veines et la joie bourgeonner au bout de nos ongles et de nos orteils! ... . Le Poète et sa Parole ... Quand je dors, j'entends des voix puissantes qui viennent du fond des siècles, des voix issues de ma race vieille comme le monde, et qui m'invitent à prendre la vie comme une pomme entre mes mains fines et puissantes et à lui infliger de mes dents une large blessure creuse, telle qu'un hymne en naîtra, digne d'être gravé en lettres d'or dans le sanctuaire d'Apollon, à Délos la Sainte! ... |
Encres Vives N° 323
D'un seul tonneau
bondissent la vigne et la récolte vers
l'autre siècle
le cep racine et la vendange éclate en diadème de ciel
l'esprit de vin s'enfuit des sillons pétris vers la fête
la vie souffle des ponts de couleur
comme les hommes des cavernes une crinière
entre les doigts
*
La terre en gésine cache des forêts,
des animaux, des poissons pagayant
doucement une eau de calcite
la terre verse sur un ravin sans étoiles
la fête des trajectoires égale aux galaxies les quelques courses d'aujourd'hui
la Muse Espace agite le bandeau bleu de l'essor
et brode le monde à longues
touches aurifères
Encres Vives N° 324
Régénération
Source bleue d'un rocher oublié
Puis elle se perd au bas du figuier
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ciel gris souris ce soir le chat ne l'attrapera
pas lui nuage de lait dans la pelouse infusette
...
les dattes que tu avales faussent le calendrier
les persiennes déplient un air d'accordéon
...
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Michel
Flayeux
On est là. On n'est pas là. On
vit dans les brochures. Des monstres triturent le paysage. A la recherche
d'on ne sait quelle imposture. On finit par céder, par s'adosser
contre un platane. Attendre que la pluie se renverse. Sous les frondaisons,
de profondes déchirures par où le vide passe.
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Michel
Cosem
Le merle noir
dans le jardin givré
quitte la nuit des bosquets de banlieue
Un jour nouveau bat dans le coeur de l'oiseau
la faim, la soif
la faim, la soif
la peur encore
et il s'échappe
dans un petit éclat de soleil
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Pascal
Demai
Ils venaient vers vous avec les yeux brillants de ceux qui savent lire dans la nuit des hommes, ceux qui savent la marque du sang à leur peau fatiguée, avec les yeux brillants de celui qui sait le bonheur d'avoir toujours à apprendre.
Des textes de Pascal Demai
peuvent être lus ici
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Nicolas
Gille
Laisse
Ces jours à fleur d'écume,
trouves-y le repos:
leurs sable et eaux mortes
absorbent l'amertume-
le sait-on seulement?-
des moments mal vécus.
Lâche dans ces accrues
tous tes ressentiments.
Objet identifié
Chose incroyable
Cette tasse à café
Posée
là
Devant vous
Est un extra-terrestre
Ou bien c'est moi
Qui suis Martien
Car j'en suis sûr
Pour l'avoir vue
De mes yeux vue
Arriver sur la table
Avec une soucoupe
Introspection
J'ai la vue qui baisse
O bonheur des yeux
Je vais voir enfin
De jour en jour mieux
Au fond de moi-même
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Sylvie
de Monte
...
Dans la cuisine, une vaisselle attend dans
la bassine ourlée de mousse grasse. On entend un bruit sec, un glissement
de faïence ou de porcelaine:
-"Un verre qui rêve!..." dirait le Père en tirant sur sa moustache.
Le torchon s'abat. La vitre vibre...
Et passe dans l'oeil de la femme, ce simple
sourire jetable du désespoir.
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Alain
Lebeau
Derrière
le Tsunami
...
Des hommes dorment par terre
sous les lampadaires
des vaches dorment debout
au milieu de la rue
des chiens jaunes
rôdent dans les caniveaux
...
Des musiciens jouent au pied de l'ashram
pour personne
le bus s'est ouvert de l'autre côté
et ses touristes passent la tête
dans les colliers de jasmin
A l'hôpital ouvert sur la rue
un moribond halète sous sa perfusion
un dentiste creuse une dent cariée
sous le regard des autres patients
Une femme adultère couchée sur
le trottoir
crie sous les brûlures d'acide
Des vélos contournent une vache
qui se fait épouiller par une corneille
noire
Un mendiant pisse dans une rigole verdâtre
...
La vie se réveille
Les tigres ont fermé leurs paupières
...
Ici c'est le fond de la misère
personne n'interviendra
On ne peut pas regarder l'enfer
en face
...
Le train pour Kandy
a des allures d'avant-guerre
de souvenirs d'enfance
et d'images de livres de géographie
...
Dans les villes cachées par la jungle
dans les villes monstrueuses
la souillure est intouchable
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Gilles
Baudry
"toi que rien
ne protège
et que le don des larmes
a fait toucher du doigt
cette autre face de la nuit"
Le caillou
le plus dur
ne croyez pas
qu'il soit sans coeur
Gilles Baudry vient de recevoir
le prix de l'Académie de Bretagne et des pays de la Loire
La
morsure profonde
Il y a une morsure profonde
Il y a une morsure profonde en moi
Elle me tranche une pente
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Enchantement
Madame lionne
en un cercle parfait
Dans les jointures
Quand s'amenuiseront mes forces
ils soutiendront la pression,
en croissance,
Madame lionne,
|
Où je suis en train de brûler
Laisse moi maintenant regarder dans la prairie
suave
de mousse qui te couvre les cendres d'or
(une lumière éblouissante a
convoqué autour de ton corps
les papillons nocturnes: ils viennent ici
mourir
brûlés dans le halo glorieux
de ta chair).
Femme, laisse moi suivre avec mes doigts la
carte,
les longs méridiens, la rose des vents
qui sent l'aube, la lumière de ton
orient,
la mer ardente en sang quand commence la nuit.
Amie de mes nuits, laisse moi m'abriter
dans la grotte profonde où crépite
le feu de ton rêve. Le givre dans les
cristaux
trace des signes secrets. Des rafales de vent
glacial
descendent des hauteurs comme des ailes de
la mort
qui battent dans l'obscurité et sur
les ramures dénudées
et déposent une masse noire qui au
matin est encore là.
Mais qu'importe le coassement de mauvais augure
des méchants
Dans la carrière incertaine marquée
par les dieux
pendant les jours qui nous restent, quoique
l'ombre soit si présente,
nul ne pourra empêcher qu'il ait glorieusement
flambé le feu
sur cette berge nôtre où je me
consume.
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César
Bisso
* Boisson à base de miel, de jus de canne à sucre ou encore de sève d'agave. Rappelons qu'autrefois la canne à sucre s'appelait chez nous canne à miel |
Secret
dessein
Le visage serein
Quelle aspiration céleste s'ourdit intimement
Il n'y eut pas de prémonitions
Nous dormions dépourvus de rêves
terrestres
|
Le
temps s'ouvre
Le temps s'ouvre
Te regarder ensuite dans la marge
Ne pas réprimer la main qui donne l'illusion
du vol
Taches sur la vision
|
Le site de la revue "Arquitrave"
est ici
Les
héros
. On dirait aujourd'hui qu'ils sortaient d'un livre interdit Mais - alors - ils sortaient surtout de la vie... Grands, minces et blancs, ils haïssaient tous deux le soleil et portaient des marques dans les mains: Ils se brûlaient eux-mêmes. Ils fumaient du cannabis et buvaient des alcools anisés dès le matin. Ils dormaient dans des pensions. Ils s'habillaient de noir. Ils en savaient long sur le rock et parlaient du corps comme s'ils avaient été chirurgiens ou négriers... Ils aimaient le faubourg, le quartier, l'argot. Ils avaient des allures fausses et des airs de jeunes canailles. Eduardo, le plus grand, mauvais garçon et anarchiste, écrivait de la poésie visionnaire. Et crachait. Il disait des choses cruelles sur les gens et le monde. Juan Angel, le plus petit, possédait de grand yeux suaves et une beauté malsaine, à la fois inquiétante et fragile. Ils dessinaient des rêves et des phallus et ne croyaient en rien. Ils marchaient dans la nuit, parcourant les troquets et les tripots, évoquant des fantasmes, des bandits, des coutelas, des souteneurs... Et parfois ils riaient et d'autres fois s'embrassaient avec ostentation. Ils jaunissaient les doigts de leurs très longues mains. Et pissaient dans la rue, sans pudeur, cinglés et agressifs. Nous les enviions et les tenions à l'écart: ils n'étaient pas des livres. Eduardo mourut d'une overdose et Juan Angel, auparavant, était parti au Pérou. Il ne revint pas. Et nul ne sut jamais rien de lui. |
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Poèmes
d'un corps (extraits)
Quel homme viendra cette nuit
depuis un temps immémorial ils étaient
réunis
tu es un noeud, l'espace vide qui attire le lointain ils t'ont accompagnée pendant des siècles
maintenant ton corps est une aire dévastée
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Le site de la revue "Arquitrave"
est ici
Moi qui aurais voulu être assez affreux pour faire avorter les femmes dans la rue ou mettre au monde des enfants soudés par le front, je ne maudis point ma beauté, mettant à mes genoux l'éphèbe prosterné, et ce jour, crapaud bon serviteur, je te tolérerai un rival. ... . . . Rapide, il imprime, l'imprimeur. Les sequins tremblent aux essieux des moyeux du moulin à vent Les feuilles vont le long des taquins du vent. La mâchoire du crâne sans cervelle digère la cervelle étrangère Le dimanche sur un tertre au son des fifres et tambourins Ou les jours extraordinaires dans les sous-sols des palais sans fin. Dépliant et expliquant, décerveleur, Rapide il imprime, il imprime, l'imprimeur. |
Le brouillard vient
sur des petons de chat.
Il s'assied regardant
le port et la ville
silencieux à croupetons
et puis s'en va.
Tandis
Tandis que je contemple ma main
entravée,
presque paralysée par une pause
sur une ligne vide, après une autre
ligne,
je ris de l'intérieur.
Je ris
de ma main,
du signe placé
au centre de la page
comme une cloche inutile.
Et moi en dedans
étranger au texte
suivant.
Je ris d'une gorge prêtée à
un vol aveugle
et stérile.
Je ris de ma voix, de l'angoisse
d'un cauchemar imposé dont je ne me
réveillerai pas
après aujourd'hui.
Je ris de ma calligraphie serrée
en lignes poussiéreuses,
comme une vacuité de tombeaux ondulés.
Je ris de l'écriture jetée à
la volée
iris de rêve et de l'écriture
que le papier calcine.
En chaque ligne
je cherche quelque chose qui s'échappe
de ma main.
Et je ris
du manteau que le vent dessinera
sur ma bouche, du terrible éternuement
qui m'attend
avec le salut de la poussière.
Extrait de "Entre dos Blancuras",
sélection de poèmes traduits en espagnol par Khalid Raissouni.
Mehdi Akhrif est un poète marocain
La lumière abandonnée
Elle resta là, couchée dans l'espace,
la lumière blanche, la lumière
traversée
par le glaive d'une existence plus élevée.
Ce fut une fleur de verre, cette clarté
qui nous brûla le front. Ce fut le fruit
d'une mère secrète. Dans ses
miroirs
nous reconnûmes l'éclat du sang.
Nous ne sûmes pas retenir
sa transparence.
Vers l'extérieur nous avons tendu, vers
l'ombre
(désolation,
muette nostalgie d'autres pays plus purs.)
Au coeur de l'aube nous blesse encore
sa tiédeur perdue, le creux obscur
et triste
de cette lumière blanche abandonnée.
Peupliers
Une pluie ancestrale tombe des peupliers,
transforme chaque feuille en bref miroir.
C'est un arbre silencieux qui s'élève
depuis la racine jusqu'à la ligne ferme
de la lumière, et ses feux courent
dans la chair profonde. Et s'il marche,
il tremble comme une jeune fille
qui s'élève aussi vers l'incertitude.
Je sens dans mes poumons comme il encourage
l'air qui entre et vivifie
la tendresse d'un sexe caché
qui attend la beauté, l'accomplissement,
l'équilibre parfait avec le monde.
Je prends sa peau, je sens dans la bouche
la sève parfumée des peupliers.
Les poèmes de cette
anthologie ont été traduits en français par Annie
Pruvost Paresys
Encres Vives N° 326
Ce mois de juin nous écrase
cependant à l'orée du noir,
à pas de loup, comme en cachette,
le bonheur surgit, clandestin.
Ruelles, jardins clos, lampadaires.
Le ciel défie la nuit de sa peau de
satin,
de ses colliers d'étoiles.
Respirer la tête à l'envers,
sans arme, sans ce trop de pudeur.
L'air fredonne, virevolte,
valse à trois temps près des
fontaines,
se frôler, s'abandonner dans un soupir.
Puis à l'heure tardive se quitter sur
une promesse.
Encres Vives N° 327
Ce qu'il y a de plus beau dans la vie c'est
de se réveiller
En sachant que quelqu'un vous aime que l'eau
des veines
Cueille vos rêves et que vous n'aurez
pas trop d'horizons
Pour voir venir vos fièvres Tout ce
qu'il y a de plus faux
Dans l'aveu auquel on croit trop vite c'est
ce vieux chant
Du corps le soir au fond de soi ce violon
trop désaccordé
Cette envie d'en finir avec la soie froissée
du mensonge
Qui remonte sous la peau cette longue maladie
qui ronge
L'âme et dis-moi ce qui te hante je
te dirai ce que tu hais
Cette écume aux ongles qui te fait
te cacher je te dirai ça
Et là les sept plaies de l'amertume
cette hache pour la mer
Gelée ce lièvre qu'on poursuit
de page en page pour être
Celui qui s'éveille en premier et qui
peut dire ce silence
Terrible cette barque seule au milieu de l'étang
ce poing
Qui s'ouvre lentement pour laisser couler
un peu de vent
Encres Vives N° 328
Avec le juste amour
Il y avait un temps où la jeunesse riait
dans tes yeux; à présent le
soir luit sur ton visage
en le soulignant d'un tendre rayon;
une chaude lumière et un frisson plus
appuyé
tremblent dans ton regard.
C'est l'âge où la vie se penche
sur soi
et s'arrête pour regarder
les vastes mers et les ciels immenses
qui deviennent tendres et doux: d'une limpidité
humble et faible avant de disparaître.
Mais le plus grand trésor
tu le cueilles peut-être maintenant,
sans fuite,
sans impatience ni ardeur
d'aller au-delà poursuivre un désir
depuis toujours insatisfait.
...
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Vico
Faggi
Venimus larem ad nostrum
Là s'arrêtait Catullo, je l'entrevois
étonné, ébloui par l'éclat
qui remonte du lac.
Son coeur est apaisé.
Nous nous posons entre les vieux oliviers
pas loin. Et nous aspirons
la lumière qui nous humecte.
Nous capturons
d'anciens et de très nouveaux mots
qui pénètrent notre esprit.
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Margherita
Faustini
Le cadre vide
Aucune passion ne m'a jamais effleurée
je me suis arrêtée inerte
au bord des jours.
Ma vie est un cadre vide.
Quand l'heure arrivera
je prierai le Seigneur
de ne pas me renvoyer sur terre
où je retrouverais la même présence
au monde.
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Bruno
Rombi
Peut-être
Peut-être que dans le reflet solaire
sur l'eau tremblante
il y a le sens de notre vie
qui nous éclaire par moments.
Mais nous fermons les yeux
au miracle de la lumière
en niant l'évidence
de notre regard.
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Guido
Zavanone
Les couleurs du monde
Je suis la nuit toute la nuit
qui fonde les couleurs du monde,
qui tient dans ses bras
le corps inanimé du jour.
Tout le jour je suis le jour
qui renaît et qui brille
en jouant avec les ombres
et revient en tremblant
le long de la nuit
Et toi, tu es ma vie
qui aime et ne retient pas
le vacillement de la lumière
quand elle s'éteint.
Pour que l'écriture soit lisible
Pour que l'écriture soit lisible,
il est nécessaire de disposer des instruments,
de se doter du tour de main,
connaître tous les caractères.
Mais pour commencer dire
quelque chose qui vaille la peine,
il est nécessaire de pénétrer
tous les sens
de tous les caractères,
et d'expérimenter en son for intérieur
toutes les significations
et d'avoir observé le monde
et l'au-delà du monde
et de tirer profit de toutes ces études.
Que jamais la douleur ne soit
Que jamais la douleur ne soit
cultivée vicieusement
pour se changer soudain en vers
cette fausse intention de l'art.
Mais que l'art, pour accomplir son destin,
par la force du rêve ou du tourment
se transmute un moment donné
en chose divine, immense et singulière...
Cecília Meireles est
une poète brésilienne