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Mon royaume
Vers la mer immense
de tes yeux
courent toutes mes rivières
et ton corps
est une pampa de silences
gagnant
ma forêt de mystères.
Secrètement
tu avances à l'affût,
remplissant
nos solitudes profondes.
Je ne résiste pas
à ta force féline
qui pénètre imperturbable
dans ce piège
sûr et létal
de la mémoire.
("Ángeles de Fuego"
- Ed. Torre de Papel 2001)
Luisa Talarico (Gigia) est
une poète chilienne
Ne passe pas par les lieux que
j'ai fréquentés
Ne sens surtout pas mes fleurs
Ne touche pas à mes nuits pleines de
nostalgie
Laisse-moi seul
Traduit du turc par Yakup
Yurt
|
Ne reste pas plus longtemps devant mes peines
N'ébranle pas mes sentiments intimes
Dorénavant ne touche pas à mes
idées
Ne ranime pas mes souvenirs
Laisse-moi seul
Va-t'en à présent…
Reviens plus tard!
Moi, je suis dépendant de ma solitude…
Je ne laisse pas autrui piétiner
Si facilement mon amour
Laisse-moi seul
Va-t'en à présent…
Reviens plus tard!
Moi, je suis habitué à l'ironie
du ciel
Cela n'a aucune importance
Que je sois découvert dans mon sommeil…
Je grimpe moi-même sur mes arbres
J'arrose moi-même mes fleurs
Laisse-moi seul
Va-t'en à présent…
Reviens plus tard!
Ne reste pas plus longtemps devant mes peines
N'ébranle pas mes sentiments intimes
Dorénavant ne touche pas à mes
idées
Ne ranime pas mes souvenirs
Laisse-moi seul
Va-t'en à présent…
Reviens plus tard!
Traduit du turc par Yakup
Yurt
D'autres poèmes du même auteur
sont ici
Humidité
Il se peut que, pour toi, ce soit sans importance
ce déballage de tant de mystère
tout ce gris uniforme dans lequel le ciel
a dilué la mémoire
des arcs, des quais qui résistent encore.
L'eau des matinées déborde des
citernes
suivant des chemins sans raison
déployés en éventail
par quelque paon
comme les bouches d'un fleuve
à la recherche de l'océan.
L'air pèse, alourdi de plusieurs voix:
celles des mouettes, celle de la fontaine,
celles des signaux électriques.
L'auteur de ce poème m'a fait remarquer que son dernier vers, "os sinais dos eléctricos", se référait, dans le langage courant de Lisbonne, aux tramways, qui montent et descendent par les rues, en laissant les marques mouillées du fer de leurs voies. Il serait donc plus approprié de le traduire par: "celles des signaux des tramways".
(de "Tiempo de tranvías")
Un autre poème de cet auteur est
ici
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José
Lupiáñez
Le retour
C'est l'heure du retour:
le chemin dont la verdure te provoquait cet
après-midi
tu devras le refaire à l'envers en
cette heure nocturne.
Les vers luisants t'éclaireront de
leur lumière débile.
Les sommets éloignés surveilleront
tes pas.
Les mêmes branches, encore saisies de
ramages,
viendront à ta rencontre.
Déjà les villages allument
à l'air libre leurs foyers profanes.
Le feu rôtit les viandes aromatisées
le vin rouge coule à flot dans les
tavernes.
Tu reviens de cette forêt
avec ton fagot sur l'épaule
et ce roquet mordant tes talons.
Tu ne portes rien d'autre avec toi,
les mains lacérées de blessures
récentes,
et dans le coeur gravées d'anciennes
cicatrices.
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Miguel
Florián
Un enfant s'approche, avec dans une main
un morceau de pain, d'une miche, avec de l'huile.
Il revient de l'huilerie. C'est une huile
foncée
qui goutte dans ses mains. Avec une odeur
métallique
comme du bronze qui cogne dans la mémoire.
Et l'enfant dévore avec une avidité
séculaire. De l'huile
avec une saveur d'ancienne mère, d'amande
pressée
dans les nattes, de massettes*
et de joncs, de libellules.
* Sortes
de joncs appelées aussi quenouilles.
Je ne connais pas ton corps, je sais seulement ta fuite,
ton obscurité, cette mousse qui croît à ton
flanc.
Je connais seulement la chaîne secrète de tes lèvres.
J'ai imaginé ta chair, la pente escarpée
des seins.
Le précipice informe de ton sexe.
Ce dernier poème est extrait de "Gilgamesh" (Jerez, EH Editores, 2006, colección "Hojas de Bohemia")
D'autres poèmes de Miguel Florián
sont ici
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Antonio
Cabrera
La saison perpétuelle
L'hiver s'en est allé. Qu'ai-je perdu?
Qu'est-ce qui est parti, avec lui, de ma conscience?
(Cette préoccupation - certainement
absurde -
pour connaître ce qui nous fuit,
m'oblige à convertir l'air froid
en cristal pensé sur ma peau pensée,
et à transformer la gloire attristée
des jours hivernaux humides
en une lumière impossible que son concept
irradie;
cette préoccupation, enfin, est le
sentiment de culpabilité
- aussi confus et doux qu'il paraisse -
de ce que sommeillent en moi les arbres endormis.)
L'hiver s'en est allé, mais rien ne
s'est passé.
C'est toujours la même saison qui continue:
mon esprit sempiternel et seul.
Ce poèmes est inclus
dans "Montaña al Sudoeste" (Aula de Literatura "José Cadalso",
núm. 121)
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Antonio
Carvajal
À la fin, il se dit, il pleuvra cet après-midi.
Il regardait les tours
semblables, de briques
régulières, contre le fonds
gris de plomb
d'un ciel hier bleu.
L'air étant chaud
et calme, il remercia
du sang la tiédeur soudaine
que janvier lui offrait. Par les rues,
toutes blessés au sol
par des travailleurs tranquilles, sans que
nul
ne sache pourquoi, passèrent lentement
les boeufs de l'agonie, les durs oiseaux
de la rancoeur, les chiens aigris à
la chair
meurtrie par la soif.
Il contempla ses mains. Il pleuvra cet après-midi,
se dit-il. Il entra dans sa maison. Devant
un miroir
il s'arrêta: son image
le dévisageait avec des yeux lents
et secs,
dure et muette, tandis que de la rue
lui parvenait une sourde rumeur, différente
de la crépitation de la pluie sur les
vitres.
(Extrait de "Regards sur l'eau", 1993)
Ce poème figure dans
"De la vida serena", édité par "UNIVERSIDAD LABORAL", Cáceres,
2005
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Carlos
Penelas
Il existe un repos musical des choses...
Federico García Lorca
Tout est fragmentaire, jusqu'à ce réseau titubant de mots, ces yeux de la langue. Tout est fragmentaire. Le sait-elle? Elle vaque en silence, elle éloigne la peur en voilant l'irréel. Vigoureuse, elle cherche refuge sous un hamac. Son coeur est un tambour qui vole. Les traces encore fraîches dans la terre cassent l'ancestral. Elle assaille les terres lagunaires, elle mine les faux-semblants. Elle se réveille pour observer le champ des étoiles. Parfois je crois qu'elle éprouve la frayeur du néant. Elle examine avec distraction notre lampe. Elle boit l'eau pure d'une source, elle interroge l'écho et se penche sur le début du monde, elle fatigue la tendresse. J'ai l'impression qu'une galerie de miroirs m'encercle.
Je sombre maintenant dans le désordre. Endormie et réveillée, à soi même étrangère, elle transmet son tremblement dans le centre de la poitrine. Rien ne se produit. Seulement le rêve et l'air et la vigilance.
Extrait de "Posada del río"
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Aurelio
González Ovies
Hymne à l'enfance
Enfants, enfants de tous les points
cardinaux, chers enfants,
enfants depuis la mer jusqu'au désert:
Je ne comprends pas que nous croulions sous
le confort
quand tant d'autres sont dans la gêne.
La comptabilité n'est pas mon fort
-plus je multiplie, je divise, j'additionne
et j'extrais le reste -
Et moins il me semble comprendre...
naître paraît si difficile
que c'en est presque un exil.
Vraiment je ne le comprends pas,
-plus j'additionne j'extrais le reste, je
divise et je multiplie -
et moins je déchiffre la règle
de trois que l'on nomme souffrance;
cet infâme dragon, lâche, mauvais,
indigne,
qui éteint de ses griffes la lumière
de vos gestes
et qu'à peine vous permet-il d'être
heureux,
si heureux comme jamais on ne se retrouve
comme jamais on ne l'est
comme quand on est enfant...
-plus j'additionne j'extrais le reste, je
divise et je multiplie-
Moins je comprends pourquoi on biffe le sourire,
si un sourire limpide n'est jamais plus
possible.
Je ne comprends pas pourquoi tant d'entre
vous déambulez squelettiques.
Je ne comprends pas pourquoi certains d'entre
vous récitez la douleur
avant même de la comprendre.
Je ne comprends pas qu'on vous enseigne à
appuyer sur la gâchette
au lieu de vous accoutumer à tirer
des salves de baisers.
-plus j'additionne j'extrais le reste, je
divise et je multiplie -
Moins je comprends pourquoi vous hurlez à
la soif
alors que pleuvent les nuages que les rivières
suivent leur pente
et s'accroissent les océans.
Je ne comprends pas que nous croulions sous
le confort
quand tant d'autres sont dans la gêne.
La comptabilité n'est pas mon fort
-plus je multiplie, je divise, j'additionne
et j'extrais le reste -
Et moins je ne puis le comprendre...
Une illustration visuelle
de ce poème est ici
Exiles intérieurs
Dans ton espace c'est tout ce que tu assumes
d'espace,
tout ce qui t'occupes comme partie du monde,
tout ce qui du monde fait partie de toi.
Toi, comme poids dans la pierre. Comme ce
qui est rouge
dans la rose. Comme l'air dans l'arbre. Comme
le poing dans le poème.
Et si un jour tu regardais et trouvais des
chevaux
même s'ils n'étaient pas des
chevaux, mais toi
tu verrais des chevaux
(même s'ils n'étaient que fumée),
parce que tu verrais des chevaux,
ils pourraient être tes chevaux et t'emporter
au loin, très loin
et t'apprendre au galop
ce qui n'existe pas mais nous paraît
exister
et ce qui resurgit
et pousse
et se tient là, brillant, depuis toujours,
depuis toujours attend des chevaux
lumineux avec un homme qui admet que
nous travestissons seulement les vérités.
Et alors tu te poses et tes chevaux boivent
et une étendue très grande
comme un livre avec toute la nuit et les étoiles,
comme un verset géant d'où tombe
l'eau
devient ton espace,
la vision de tes yeux,
la dimension de tes mains,
le moment très fugace, la réalité
très longue.
Et alors tu chevauches, sur tes chevaux agiles,
bien qu'ils soient des pétales qui
restent en arrière,
quoiqu'ils soient des vagues qui meurent dans
le sable,
bien qu'ils soient des chevaux, si beaux,
si brefs.
Extrait de "Una realidad aparte"
(Cuadernos FÍBULA de Poesía, Avilés, 2005), de Aurelio
González Ovies y de Marian Suarez
Un autre poème de cet auteur est
ici
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Marian
Suárez
Absence
C'est attristant de ne pas la voir parce quelle
nous fit siens
pour un temps. Elle s'est fatigué de
nous, je le sais,
même si elle dissimule bien la peur
des ruines présentes et futures
dans lesquelles nous avons transformé
nos rêves.
Son silence est le gant
jeté au vide
où se décompose, solitaire,
le temps,
le long temps perdu,
LA VIE.
Extrait de "Una realidad aparte"
(Cuadernos FÍBULA de Poesía, Avilés, 2005), de Aurelio
González Ovies y de Marian Suarez
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Antonio
Redondo Andújar
Le repos de l'hiver
La nuit tombe lentement.
Les autobus rêvent
la mort des heures.
L'obscurité est tout,
tout le visible.
La nuit tombe lentement,
presque printanière.
Borde le précipice, aimée,
de la séparation.
Quel étendue plongée dans l'accord
de cette horloge aveugle!
Je puis à peine voir
l'encre qui s'étale
en peinture de signes.
Un paysage sinistre
s'étend, s'annule.
La rivière, lourdement obscurcie,
a convoyé le repos de l'hiver.
Extrait de "La soledad arrebatada",
ouvrage édité par "Portal
de poesía" qui a obtenu le prix "Toro de Hierro" du meilleur
recueil 2005
Un autre texte de cet auteur est ici
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María
Sanz
Épargne
toi la douleur, tu n'as pas la manière
pour convaincre le monde de ta fuite
vers ces plaisirs
où tu te vidas de ton sang.
Les hivers se suivent sans repos,
ils tracent la solitude de tant d'heures
comme des blessures, ils imposent
leurs mains sur les tuméfactions de
tes tempes.
Il n'y a maintenant plus de douceur pour d'autres
nuits.
Cette fin à laquelle tu ne renonçais
jamais
pour maintenir épanouie ton insomnie,
a déjà dilué ses confins
dans une joie affligée,
te refusant l'amour sempiternel
après l'amertume.
Les hivers allègent
le paysage fébrile qui t'entoure,
mais ce n'est pas suffisant
pour éloigner du monde ton départ
vers le délire dans lequel tu agonises.
Extrait de l'ouvrage: "Mínimo
sol de invierno" qui a obtenu le 15ème prix international "Ateneo
Jovellanos de Gijón"
Bien
que tu admires à
nouveau les paysages
qui furent autrefois la
source de ton étonnement,
tu te reconnais seulement
en eux parce que l'arbre
celui, dont avec l'ombre tu
te fondis,
est toujours là sur le bord
d'un chemin
par lequel tu passas sans
que lui ne passe.
Jusqu'au ruisseau qui
perpétue
le sillage de
tes yeux,
bien que maintenant
seul un souvenir vient sur
l'eau,
qu'il est impossible d'approfondir
comme alors.
Quoique tout paraisse avoir
fuit
de la nature que
tu entendais,
une trace palpite
au dos de chaque feuille fanée
et incolore.
Tu te reconnais seulement
dans la contemplation d'un
arbre seul,
celui qui perdure
sur tes propres pas, sans
te regarder.
Extrait de "Sept poèmes"
édité par Portal
de Poesia
Eux et toi
Jusqu'à se souvenir de leurs réveils,
aucun homme ne fut juste.
Aimables, ils se ceignaient de tes lauriers
dès qu'ils manifestaient leur venue,
de triomphateurs minuscules
sans perdre haleine.
Ils passent maintenant auprès de toi,
ils te regardent de travers
depuis un album de photos inutilisables,
comme en voulant se livrer
à un monologue inutile.
Toi aussi tu as gagné.
La promenade, la place, la gloriette,
tu rebroussas chemin
tout d'un coup pour toujours,
pour qu'ils ne puissent jamais te reprocher
leurs attentes, encore indéfinies.
Toi aussi tu es arrivée
à te trouver sans eux.
Extrait de "Voz mediante"
qui a obtenu le prix international de poésie "San Juan de la Cruz-Ciudad
de Úbeda"
Un autre extrait de cet auteur est ici
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Mario
Cuenca Sandoval
De peur de se transformer en glace
Si je tourne en glace,
si je m'emplis de miroirs,
promets que tu feras quelque chose avec tes
mains,
un tour, un sortilège, que sais-je.
Promets-moi le dégel, récupère-moi
je ne sais avec quelle sagesse fébrile.
Avec tes lèvres chaudes comme du pain
récemment cuit.
Avec ta natte de lumière tendue depuis
l'air.
N'oublions pas qu'il y a des hommes qui paraissent
être faits de froid. N'oublions pas
qu'il y a des hommes pareils à des
tombes.
Et c'est pourquoi l'amour vient à eux
en grand apparat.
Et c'est pourquoi ils ne comprennent pas la
pomme.
Ils seront attirés par la mort,
ou que sais-je (la mort est si magnétique...).
N'oublions pas qu'il y a des hommes de phosphore
et de tristesse;
qui brillent un instant, mais sans rien d'autre
à l'intérieur
qu'une répétition muette d'eux-mêmes.
Et c'est pourquoi,
si je m'emplis de miroirs,
si je deviens de glace,
promets qu'une autre fois, une fois de plus
seulement,
ta leçon de lumière me redonnera
forme.
(De Todos los miedos, Renacimiento,
Sevilla, 2005)
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Carlos
Vaquerizo
Nous
parlâmes tout le
temps. Finalement
le verbe se fit chair. Les paroles
devinrent caresses, baisers et peu à
peu
langue de deux amants inattendus.
Les paroles repeuplent le silence
que nous fûmes s'accumulant dans les
coins.
Les corps se taisent car ils savent
que le silence retient les énigmes.
Et les murmures ensuite, lentement,
dénouent l'impulsion intempestive,
irrépressible, folle, nécessaire,
qui est routine d'amour, anxiété
coite,
que l'on devine en toute relation.
Le temps est seulement soleil dans les horloges,
voracité, l'ombre qui s'échappe.
le beau est déjà d'hier, un
souvenir aimable,
seulement du temps converti en temps
ou alors peut-être nos yeux se trompent-ils.
Je voudrais laisser reposer les heures,
me noyer dans les minutes qui me restent
jusqu'à indiquer le temps sur les cadrans
et imaginer la vie comme un jeu
qui entre reproche et larmes attend
l'instant enclin à la jubilation.
Extrait du recueil "Fiera Venganza del tiempo", prix Adonáis 2005
D'autres poèmes de cet auteur sont
ici
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Basilio
Sánchez
Au delà des vitres
Les balcons, les arbres,
la rue qui descend,
qui a déjà ouvert ses portes;
les gens qui commencent à sortir sans
faire de bruit,
qui marchent lentement, comme dans l'obscurité,
à cause de la proximité de leurs
maisons.
L'étincelle de la pierre jaune
qui se cache dans le mur,
la main traversée par la raie de lumière.
Ce lieu visible de ma vie
où se réunissent les nuages
des hommes qui n'ont pas été lestés.
La femme qui s'approche,
celle qui porte dans les bras l'enfant récemment
né,
ou l'air de cette heure, saturé
d'un parfum imaginable, une fragrance
encore nocturne.
Derrière les vitres
rien encore ne remue.
Seulement ma main tremble.
Ce poème est extrait de "Entre una sombra y otra", (Visor, 2006), qui a valu à son auteur le 20ème prix Unicaja de Poesía
Un autre poème de cet auteur est
ici
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Manuel
Moreno Díaz
La beauté
La cendre est le coeur du feu,
un paysage calciné de silence
où finissent les anxiétés
du crépitement,
et leur ascension enflammée jusqu'aux
sommets de l'air.
Il garde l'os, mémoire de la chair,
livré au festin de l'obscurité.
Là, dans un éternel voisinage
avec l'oubli,
se thésaurisent la moelle et la poussière,
les âges de toutes ses ruines.
Et dans les braises violentes de l'après-midi,
quand la lumière paraît une conquête
de l'homme et de sa soif de croissance,
les ténèbres déposent
leur germe
et le soleil couvre déjà les
larves de la nuit.
La beauté est le masque
choisi par la mort
pour nous laisser croire invulnérables
à sa patience carnivore.
Extrait de "La saliva del
sol" (Visor, 2006), 4ème prix Emilio Alarcos
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James
Kirkup
La signification de la neige
Quelle est la signification de la neige
qui tombe tellement silencieuse, si épaisse,
qui tombe régulièrement du ciel
soumis?
Les flocons persistants ne paraissent pas
s'imposer d'eux-même, ils n'essayent
pas
de faire leur effet; mais, ils le font...
alors, pour quelle raison? La neige sait-elle
ce qu'elle fait?
Un intention sinistre et silencieuse
transparaît sous sa douceur, sa force
muette...
Jusqu'à ce qu'une rafale soudaine
rende visible le vent,
et qu'une intrigue assassine
efface les plans précédents,
en promettant des catastrophes.
Voici quelle est la signification de la neige.
Extrait de "Cinq poèmes andorrans". James Kirkup est un poète anglais
D'autres poèmes de cet auteur sont
ici
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Teresa
Núñez
Trouver à temps l'éternité
Parce qu'on dit
qu'à une table de café
un jeudi après-midi,
à côté de Chez Madame
Arthur,
quelqu'un trouva l'éternité
avec un papillon fané
suspendu aux épaules.
Ils m'ont raconté
que c'était une jouvencelle pâle.
A peine pouvait-elle
se maintenir sur le marbre, tandis
qu'avec une voix de cygne elle priait:
Monsieur, servez-moi un croissant
tartiné de beurre.
Elle pouvait avoir les yeux souverains,
dérobés à Ankhesenamon*,
la plus belle de toutes, mais ils racontent
qu'une alouette palpitait
contre son sein gauche.
Ou peut-être était-ce le coeur
échappé
de sa blouse de soie ?
On raconte
qu'elle n'a pas attendu plus de cinq minutes.
Que quelqu'un l'appela du coin de la rue,
mais qu'en traversant la chaussée,
nimbée de la rouge transparence
des feux de signalisation,
un autobus en pleine vitesse l'assassina,
emportant ses vitres imprégnées
de perles de cristal.
*
L'épouse de Toutankhamon
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Sergio
Badilla Castillo
Complainte majeure à Artémise
L'image des vierges sur une amphore mortuaire
provoque l'effroi
comme les kyrielles de naines funéraires
feignant la tristesse.
Dans le vallon du Tanis les amazones se brûlaient
un sein
pour mieux tirer à l'arc
d'autres erraient dans les plaines du Caucase
ou dans les vallées sauvages
du Danube.
Elles devenaient des lucioles quand elles
sortaient avec leurs torches allumées
dans la nuit d'Artémise, chasseresse
et chaste,
parmi les marécages au parfum de sédiment
et d'immondice.
Hérodote d'Halicarnasse dans deux de
ses neuf livres le rapporte,
en suivant la veine de Myson*
un des sept sages de l'Hellade.
Rien n'est effroi et tout est merveille avec
le vent qui vient de l'est
et leurs coursiers s'irritent à l'arrivée
de l'orage,
après le brouillard qui défigure
les silhouettes dans les ténèbres.
Elles prient ensuite et chantent avec leurs
belles bouches
puis elles se préparent à orner
leurs sexes pour le printemps.
Penthésilée, et ses guerrières
vertueuses, se tatouent les
cuisses et les seins
je les ai vues avant de forniquer
elles évitent l'effusion de pollen
dans leurs cavités,
pour perpétuer leur pureté excentrique.
Elles se taisent car elles désirent
avoir des filles quand elles s'accouplent,
non par caprice non pour accomplir
quelques rites mais par menstruation
Dans une contrée de femelles, depuis
le ventre un enfant naît
condamné à mort.
Aucune qui cherche à séduire
Aucune qui s'embellisse
ou ne se passionne après l'éphémère
rapprochement charnel.
Dans certains textes érudits on dit
qu'Achille, une fois qu'il
eût tué Penthésilée
pour secourir Priam, à Troie
dans le frôlement de son corps, de ses
lèvres morbides,
s'énamoura vicieusement d'elle.
Toutefois le crépuscule déjà
tombait sur le territoire de la vie.
L'aspect de ce qui est immaculé dans
un récipient, et qui déjà s'évanouit,
cause de l'effroi
comme les cortèges de pleureuses funèbres
feignant l'amertume.
Les pucelles guerrières s'éliminaient
un sein pour mieux tirer à l'arc.
Rien n'est peur et tout est magie quand le
blizzard retourne du levant
aux eaux de Thermodon, en Cappadoce.
* J'ai traduit Milesio par Myson, un des sept sages de Grèce. C'était le nom le plus proche.
Sergio Badilla Castillo est
un poète chilien qui a obtenu le Prix International Artomi de la
Fondation des Arts des États-Unis
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Miguel
Rojo
Les chèvres dorment dans la grotte
à côté de la tombe de
l'Ascète
où quelqu'un déposa une fleur
de plastique.
Ici la terre est vide. Ici croissent le cactus
et les pierres. Les abeilles seules extériorisent
la vie
dans les ruches ponctuant le coteau
qui dessèche jusqu'à la vue...
L'Ascète
devait avoir les yeux transparents.
Quelle sorte d'homme as-tu été
?
Est-il certain qu'entre tes rêves et
les miens
il y a seulement une ligne, la ligne courbe
et frêle
qui sépare ta folie de la mienne?
Est-il certain que ton renoncement
fut le seul chemin de salut que tu trouvas
comme le mien est celui de la perdition?
Maintenant, les chauve-souris tissent des fils
dans l'obscurité de la grotte
et de vol en vol, sais-tu,
elles cautionnent tes rêves dans l'attente
des miens.
Extrait de "Llaberintos",
écrit en asturien avec une traduction espagnole de l'auteur
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Manuel
Jurado López
VOYONS,
posons la question centrale.
Être en Europe, en Centre Europe, c'est
comme être monté
sur un cheval de bière aux yeux de
Rhin
avec un fouet de charbon contre les nuages.
Pour d'autres, peut-être moins enclins
au raisonnement,
être dans cette forêt de crinières
c'est comme marcher sur
la mémoire des barbares, comme partager
le lit
d'Attila et continuer d'être la Vierge
inconsolée.
Mais ne soyons pas imprudents, ne discréditons
pas le ronfleur blond qui berce son chignon
de Goth
et s'endort sur une peau de vache suisse,
avec un réveil suspendu au ciel de
la bouche,
pour le cas où surviendraient les armées
ennemies.
Être en Europe c'est danser au son de
la musique jouée
par le vieux fusilier de Schaffhouse*,
qui déchargea son arme isolée
quand les Allemands laissèrent des
tonnes de ruines
dans sa ville par suite d'une méprise
injustifiable;
mais ce peut être aussi accompagner
la jeune femme
de Werther à la présentation
au Parlement
d'une nouvelle loi contre les réfugiés.
Ce faisant, vous ne croyez pas même
la moitié
de ce que vous racontent les Genevois sur
leur
résistance contre Napoléon,
ni le quart
de ce que les Autrichiens vous disent sur
la bizarrerie
de l'empereur François Joseph;
et très peu de ce que les amis de Zwingle**
voudraient vous faire avaler de leurs vertus,
et vous croyez moins encore les émigrants
turcs
qui ont laissé l'Anatolie plongée
dans sa tristesse de veuve.
Ici existe seulement la vérité
des nombres, la froide
main des collectes qui gèle jusqu'au
sexe
des vierges et l'haleine de leurs amoureux.
(tiré de "Manuscrits de Berlin", 1993)
*
En 1944, l'aviation américaine bombarda par erreur cette ville suisse
croyant pilonner l'Allemagne.
**Zwingle
est un réformateur suisse qui s'opposa à Luther au sujet
de la présence réelle du Christ dans l'eucharistie.
Manuel Jurado López
est un poète sévillan
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Víctor
Jiménez
Avril
Ainsi qu'apparut la brise dans l'après-midi
de cette tiède rue parfumée
d'orangers.
À ma rencontre lentement elle venait,
comme si elle voulait ne jamais arriver
ou bien si elle quêtait on ne sait quel
mystère.
Elle parvint à la fin vers moi
et s'arrêta
-juste le temps d'attendre une question
avec cet accent blond des yeux si clairs
qu'arborent toujours les filles étrangères-
venue cueillir des fleurs d'oranger,
avant si loin, et maintenant si proche.
Elle poursuivit ensuite lentement son chemin
sans plus me regarder, plongée dans
ses pensées.
Je me suis éloigné en sachant
que j'avais
alors par elle appris le retour du printemps.
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Mariano
Shifman
Dar/win*
Et si tu nais papillon à Birmingham
-la vie entêtée impose des règles-
tout se résume à s'adapter
ou mourir;
tes heures devront être noires
pour l'illusion de l'heure nouvelle.
L'arbre fossile qui te protège
la suie en quoi tu te métamorphoses
auront la couleur d'un ciel
qui attend.
* L'auteur
a probablement voulu faire un jeu de mot: dar (donner en espagnol), win
(gagner en anglais).
Lama
Trop de chemins, une couleur altière,
un numéro t'aiguillonnent
et la nuit blanche est la magie
que tu réclames à ta conscience
abyssale.
Cependant, le fil qui tranche la piété
pour toi même aussi se refuse
à l'équilibre juste, et peut-être
à la résignation.
Mariano Shifman est un poète
argentin. Son blog est ici
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Antonia
Álvarez
Vers la mer
A Elisángela Barbosa Guimarães,
"Lorena"
omnis et una
dilapsus calor atque in ventos vita recessit.
Virgile, livre IV de l'Eneïde
L'air sembrouillait à vue d'oeil
tandis que le temps s'ancrait dans le sable.
Tout cessa d'être, exceptée la
peine
qui l'inonda de paix désespérée.
Elle eut seulement le bleu comme appel
de ciel et de mer ouverts par la veine
qui porte au coeur la scène intime
de l'éternelle caresse du néant.
L'après-midi court à la recherche
de consolation
et c'est la brise qui psalmodie en verset
triste.
La vie se délie. Elle coupe le lien.
Et tandis que passe le monde comme un vol,
peu à peu la mort la dénude
et les vagues la bercent en l'embrassant.
Strie
Si à la fin elle disait: viens
Sous l'haleine des poutres
et qu'émerge la lumière de l'aube
pareille au quartz.
Si à la fin elle exprimait
le silence monosyllabique de la liberté
les cerisiers s'épanouiraient
épars à travers la toile du
brouillard.
Dans cette aurore de marais gris
quand au-dessus de tout
je sanglotai
espérant qu'elle dise enfin: viens.
Un autre poème de cet auteur est
ici
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Luis
Mateo Díez
Quand vient le jour
Quand vient le jour
et que le feu du déjeuner
réchauffe le pain
il faut regarder par la fenêtre
et rouler un cigare
et voir les nuages
et taire sérieusement
tous les secrets
les petits secrets
enfouis dans les broussailles.
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Ángel
Fierro
Matinée d'un jour d'amour
Aujourd'hui le matin est plus bleu, il y a
davantage de ciel
à la verticale, la pluie a ciselé
tout à coup ses joyaux entre les brins
d'herbe
et libéré
un ruissellement de joie à travers
chaque rivière vers la mer.
Pourquoi
à Port-Said, du côté du
Rhône, à Chianti
aujourd'hui le jour est-il plus limpide, les
mouettes
tracent-elles des vols de bonheur
et les tranchées du Sinaï paraissent-elles
des jeux
de cartes que les enfants arrangent
sur la table familiale?
Si rien
ne se produisit depuis hier qui suscitât
ce miracle. Si légèrement comme
d'habitude
le cristal bien huilé des heures nous
amena
le nouveau jour sans peine quelle victoire
invisible
de l'espoir a pu mettre
en pièces l'oppression, les grilles
de la liberté,
en une ribambelle de souvenirs oubliés?
La lumière du matin dispose toujours
d'une réponse en chaque homme, et il
est nécessaire
de la clamer pour mettre en marche l'univers.
Cette réponse est l'amour.
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José
Antonio Llamas
Les feuilles tombent
des petits acacias.
Le vent, déjà novembre,
est chargé de flocons de neige.
N'était-il pas novembre aussi
quand dans mon coeur s'effaça
l'ultime souvenir? Les moineaux
commençaient à regagner
les trous de la maison.
De vieux troncs descendaient de la montagne
entraînés par la rivière
sale, et dans mon coeur
croissait aussi l'ancienne solitude.
La cour de mes rêves n'était
pas ainsi...
Mes rêves n'étaient pas comme
les feuilles. Il n'y avait pas
tant de frénésie dans mon coeur.
C'étaient les jours paresseux d'un
hiver
qui s'en fut, comme un vieux fantôme.
Les quatre poètes ci-dessus
furent les fondateurs de la revue "Claraboya" (1963-1968) qui joua un rôle
important dans la poésie espagnole du vingtième siècle
Elle traversa
endormie dans la chaloupe
les tentacules du lierre (Ses rêves
étaient une demeure d'ombres
et un corps transpercé
par une belle dague brillante)
Nicolas lui parlait d'une musique occulte
qui lui caresserait les seins
et le ventre
comme les crins bleus et le fouet
d'un cheval au galop.
(Plus tard, Nicolas rencontra une danseuse
russe
et se noya dans un lac
de glace et de vodka transparentes)
Ce poème est extrait
de l'ouvrage "Alrededores o la Mansión de Las Luciérnagas",
Éditions Calima, 2006
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Pelayo
Fueyo
(Le néant)
"Le poète nomme le néant",
dit María Zambrano, ce néant qui est l'ange des choses avec
lesquelles Rilke se perd en Dieu, comme le fit Blake avec son chant immoral,
avant Nietzsche, et George Bataille avec sa percée corrosive.
(L'émotion poétique)
Tout ce qui m'a touché et que j'ai
converti en quelque chose de "touchant" me rend fier de ma condition humaine,
car, grâce à cela, je suis de ceux qui, en transformant l'énergie,
se sont rendus dignes de Dieu.
Quand ils nous dépouilleraient de tout, au moins nous resterait-il le patrimoine du rêve et le souvenir avec lequel nous écrivons le poème de notre vie.
Extraits du livre "Lección
de magia" ( Eikasia Ediciones, Oviedo 2005)
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Aurora
García Rivas
Avril: je
dois me contenter
à nouveau
de la complicité de la pluie
et de la radio
que je bloque sur la station musicale,
des tangos à voix de cazalla*
tandis que le silence rythme son pouls
sur ton éloignement.
Avril sait que je suis toujours en exil,
dans les chansons cassées de Brel
dans la vacance entre mars et tes mains,
toi, tu n'es jamais en avril.
* Cazalla: eau de vie fabriquée à Cazalla de la Sierra, dans la povince de Séville.
Extrait du livre! "Tierra
vertical", qui vient d'être édité par l' Ateneo Obrero
de Gijón dans la collection Deva
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Felipe
Sérvulo
Peut-être ce
fut le mâtin
ou le gémissement du genévrier
dans le feu...
Peut-être le soupçon,
les préceptes obscurs,
le caisson à sel,
l'avant-dernier blasphème...
Quand s'est éteinte la braise,
dans le coffre j'ai placé quelque souvenir,
j'ai harnaché la jument et je t'ai
laissé cet écrit:
-Ma vie n'est pas ma vie
mais du temps qui passe-.
En partant j'ai fermé la porte à
clef,
ce n'était pas que la solitude
eût voulu m'accompagner.
Ce poème fait partie
de l'ouvrage "Cartografía de la materia", Jaén, 2005
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Agustín
Delgado
La parole
est une jarre de fraises.
Tu mords et cela saigne.
La parole est une cuillerée de miel,
Avec les paupières en fleur.
La parole est une flammèche de fumée
Avec son vêtement orné de petites
lunes.
Le parole est un vin âpre
De pierre de soleil.
La parole est dans la chambre
S'y dévêt toute et me possède.
Elle tombe harassée
Et ne peut déjà plus être
prononcée
Extrait de "Antología
poética"
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Celina
de Sampedro
La tristesse qui arrive
La tristesse m'est venue
et le corps qui m'enferme
n'est pourtant pas mort ni vacant parmi les
rues
de la cité vivante.
Mon âme bat de l'aile et l'encre écrit
les mots.
La solitude entière ne m'a pas encore
submergée.
Je possède le souffle qui ne m'a pas
quittée
définitivement;
comme si le sentiment avait d'autres racines
ou bien si les pitres n'avaient pas
terminé la farce.
Comme si dans la crevasse de ce qui est brisé
demeurait une trace d'espoir préservé.
Comme si le passé ne voulait pas voir
mourir le dernier soupir qui lui reste.
Et comme s'il attendait, contre tout espoir,
des colombes dans la brise.
La poète de Gijon Celina
de Sampedro est décédée le 21 avril
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Salvador
García Ramírez
En connaissance de cause
Même en sachant
que tout périt si vite,
que l'albâtre des pinacles,
comme le glacier,
depuis toujours perdent la mesure;
même avec l'ignorance dans laquelle se
complaisent
l'atome, le hasard et l'eau,
qui nous ont produits par mégarde;
malgré les lois et les chemins tracés,
les hésitations, la foi, le gaspillage,
quoique tout vive sans se soucier de mes alarmes,
ainsi,
sûrement mort,
je ressuscite.
Extrait de "Nudos", ouvrage
qui a obtenu la prix du concours Alcalá de Poesía de 2005
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Enrique
Barrero Rodríguez
Droit d'auteur
Tu n'as rien, poète.
Tes lecteurs ne comptent pas.
La routine gribouille ton cahier
la nuit de l'insomnie la plus obscure.
Tu écris parce que,
parce que, dans le fonds, tu sais que c'est
l'unique
engagement qui te libère, bien qu'inutile,
et te rend tolérable, en partie, le
monde.
Tu n'as rien, poète.
Seulement des comptes à rendre, indemne,
à ta fierté.
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Luis
Benítez
La densité de l'homme
Il était seul entre les choses
comme une étoile unique dans le ciel
et comme un mort au centre de la terre.
Autour de lui les hommes s'échangeaient
des colliers de fer
et la vie édifiait sa tour de Babel,
comme une araignée ponctuelle et silencieuse.
Années après années;
les fils des saisons
l'enserraient en leurs noeuds avec le cordage
de la mort
tandis que le silence lui durcissait la bouche.
Parce qu'il fuyait entre les hurlements des
clameurs horribles,
de la main qui frappe la table affamée
au centre de l'âme.
Et dans toutes les choses et dans tous les
hommes
le signe de la mort qui brille dans l'ombre.
Extrait de l'Anthologie du
poète argentin Luis Benítez que Portal de poesia vient d'éditer
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Antonio
Gamoneda
[Clarté sans repos]
Peut-être
que je me succède à moi même.
Je ne sais pas qui mais quelqu'un est mort en moi.
Il pressentait lui aussi hier la disparition
et il était menacé par la lumière, mais
aujourd'hui c'est un autre couteau que j'ai
devant mes yeux.
Je ne veux pas être mon propre inconnu,
je suis encombré par les visions.
Il est difficile
de faire circuler tous les jours la lumière
dans les veines et travailler à la contraction
de visages inconnus jusqu'à ce qu'ils
se transforment en faces aimées
pour pleurer ensuite parce que je vais les
abandonner ou parce qu'ils vont
m'abandonner.
Quelle
stupidité que cette peur éprouvée
au bord du mensonge et qu'il est fatigant
de quitter la non-existence pour
ensuite mourir quotidiennement.
Extrait de "Arden las pérdidas"
Antonio Gamoneda (Oviedo, 1931) a reçu le 15ème prix "Reina Sofía de Poesía Iberoamericana", décerné conjointement par le Patrimoine National et l'Université de Salamanque
Un autre poème de cet auteur est
ici
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Alberto
Vega (1956-2006)
Nocturne avec musique de CV
Tout m'a été donné: ce
profil
confus des choses qui m'inquiètent,
ce lent sentiment de me savoir l'ami impur
d'êtres qui aiment, qui rêvent,
qui vieillissent
qui un jour se meurent sans commencer à
fleurir
tellement les étouffe l'effroi d'être
vivants.
Tout m'a été donné, cependant
il y a quelque chose dans cette nuit qui crie
n'être pas à moi
au nom de personne.
(En sont témoins
la solitude, la pluie, les chemins...)
Extrait de "Para matar el
Tiempo"
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Carmen
Yáñez
Encore là
Ils s'en sont tous allés;
le bois avec sa musique de sapins,
les hommes emportant leurs ombres
et leur chiens.
Et les prismes de couleurs
qu'ils laissaient derrière eux
n'étaient qu'un songe.
Ils s'en sont tous allés.
Moi je reste
avec un petit lumignon
entre les mains.
De temps à autre
je suis l'arbre
qui confronte ses racines à la terre.
Extrait de "Alas del viento"
qui vient d'être édité par Ediciones Elogio del horizonte
de Gijón
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Francisco
Mena Cantero
Fille sans nom
Le silence de la mer n'est pas comme le tien.
Ton bruit est différent,
ton silence est autre, une autre manière
de se taire,
pareille à celle de l'arbre
quand le vent le berce. Si tu savais,
fillette,
comme je t'écoute quand tu passes
gracile et délicate, par ma rue.
Je me transforme
en chasseur furtif, et j'épie
tes pas.
Je n'ose
prononcer un mot
car je sais que si tu me parlais
tu briserais l'enchantement.
Ignorer ton nom,
ne pas désirer ton corps
ni me perdre dans tes yeux;
t'écouter seulement
traverser l'orée de ma vie
c'est atteindre la lumière, sentir
ta musique
tue,
répéter le mystère chaque
jour
- anonymat heureux -, la vérité
silencieuse
de ta merveilleuse jeunesse.
Ton nom ignoré
quelqu'un l'a prononcé ce matin
et j'ai senti s'agiter
comme la douleur d'un oiseau dans ma poitrine.
Extrait de "ANTOLOGÍA
POÉTICA", Ateneo de Sevilla, 2005
____________________________________________
Antonia
Álvarez Álvarez
Noctes atque dies
patet atri ianua Ditis
Virgile. Livre VI de l'Enéide
(A elles, blessées dans leur corps et leur âme)
De la lumière à la nuit il y
a un amenuisement
de mers et d'ombres,
un déclin pâle
où dans le noir s'efface le visage
des jours
et où se flétrit, attristé,
le regard.
De la nuit à la lumière il y
a un sanglot
de toutes les paroles moribondes
qui ne virent pas l'aurore,
hôtes saignés à blanc
du silence.
De la lumière à la nuit, deux
rivages:
du rêve au rêve,
son pardon d'eau.
Extrait de "Voces nuevas"
(19ème sélection) - Torremozas
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Eloy
Santos
Les forêts de ta voix
Les forêts de ta voix sans aller plus
loin.
Des oiseaux, par exemple, attardés
sur de vielles portées musicales que
ta bouche
inquiète libère de leur cage
pour personne,
pour toi seul. Des navires, par exemple,
goélettes faisant voile au sud de notre
rage,
dessinant presque la mer des Sargasses
dans ce port solitaire et goulu de la page.
Tes mains, par exemple, dans une autre nuit,
venant de l'obscur jusqu'à la musique
seulement pour que danse le dieu le plus cruel,
quand la peau est semailles et semence
d'un être qui nous confond, et qui est
nous
dans l'accolade mortelle d'être vivants.
Tes lèvres cet après-midi, par
exemple,
les palmiers, ma soif comme des mouettes
autour de ta fenêtre d'eau foncée,
rivière où se dissimule un poisson
d'or pirate
et un harpon que j'ai perdu quand j'étais
courageux,
et secret et tien.
Extrait de "Libro de olas", Ediciones Elogio del horizonte, 2006
Des études et des oeuvres
des poètes qui précèdent sont accessibles en
espagnol sur le site Portal
de poesia
Jean-Baptiste Besnard-Eveillard
Temps forts
...
Il est des matins fragiles
Qui craignent de nous quitter
Et s'accrochent aux branches
Mais il est des matins de bonheur
Qui ruissellent d'oiseaux
...
Je vis des jours anémiés ou
pleins de santé
Des jours tendres comme une brioche
Ou rassis comme une miche oubliée.
____________________________________
Gérard
Bollon
Soldat adolescent
...
Sa vie s'enfuyait comme l'air d'un ballon
crevé
Et il posa sa main comme pour la retenir
Sur le trou rond rougi de son corps violé
Et il sut qu'à cet instant il allait
mourir
...
_____________________________________
Jacqueline
Commard
Chant d'automne... en forêt!
...
La valse lente d'une abeille
Entraîne celle d'une feuille...
Quelques lumignons de soleil
Jouent sur les flancs d'un écureuil!
...
_____________________________________
Jean-Marc
Delaye
Grand-père a tout bouffé
Grand-père a tout bouffé, le
pétrole et le gaz
Il a percé des trous dans la couche
d'ozone
Et c'est lui qui a chié tout au long
du rivage
Des étrons de mazout sur les grands
albatros
...
On lui aurait confié les feux de l'univers
Il serait parvenu à salir la lumière!
_____________________________________
Jeannette
Louise Grenier
Où est accrochée
la clé des mots
où se cache-t-elle?
au dos du miroir
des poètes disparus
contre la face cachée
de la lune
...
_____________________________________
Olivier
Manceron
...
Comme une valise
Sur un quai de gare
Après le départ du train
Comme un poisson dans l'air
Le poète cherche son chemin.
_____________________________________
Claude
Prouvost
Hors
du temps
...
Il y a des parfums qui sautillent, des odeurs
évadées du large, entremêlées, des témoins
de l'autre horizon avec des langueurs de vanille, des acuités de
mandragore, des soubresauts de floraisons. C'est un langage induit, une
exploration du silence, une impénétrable tentation. On sent
les charmes d'un voyage, des entrelacs de liberté, des volutes de
brumes lointaines, des essences primitives et pures.
...
Le site de Flammes Vives est
ici
La Boussole
Je ne veux pas emplir d'amertume ta matinée
ni aigrir le rêve de cette nuit.
Il existe certaines aspérités
et quelque détail
qui altère la perspective d'une bonne
fin.
Pouvons-nous saisir les subtiles
reflets des joncs de l'étang,
ou le chromo des Aurores
le Crépuscule et tous les clichés.
Les poèmes naissent en nous si brefs
et arides
pareils à tes baisers dans les recoins.
Il n'y a pas plus de contact ni de peau.
La conscience du vertige nous submerge.
Les cicatrices et les rides refont surface
à contempler le mur et le détachement
qui s'impose.
Ce n'est pas le moment de se morfondre dans
l'attente.
Les éclairs pressentent les orages.
Là-bas, au dehors, on entend des tirs,
la mitraille
et les cris d'abandon. On meurt à toute
heure.
Sang, douleur et lamentations. Fracas de guerre.
Ce n'est pas le temps de s'adonner aux simulacres
de l'amour.
Je dois m'engager. Il n'y a rien d'autre à
faire.
Reste en lieu sûr derrière ta
frontière d'aubépines.
Je suivrai la voie que me trace ma boussole:
Au Nord, la cécité. Au Sud,
l'oubli.
Abel, 05-09-05
Le site de l'éditeur
de cette revue est ici
Les nuages viennent flâner
dans les reflets de la ville
les tours s'inventent
un firmament
chant vertical
pour horizon trop loin
Le site de la revue @lternative
est ici
Le sismographe
Avec des mots simples on peut nommer le monde
L'arbre la rivière un enfant
Un cahier d'écolier de pages blanches
quadrillées
Sur lesquelles une main trace des signes
Comme l'appareil - le sismographe-
qui transmet sur une feuille
les légères secousses de la
terre
Et c'est ainsi
Nous sommes une petite terre
qui a des secousses
Et sans ce bâton d'écriture
Nous étoufferions
Enfermés dans notre petite et insignifiante
Personne
Ce poème a été
reproduit avec l'aimable autorisation de son auteur
Il figure aussi sur son blog,
"Poésie mode d'emploi". Ce blog est ici
La manif
On aurait dit
Un convoi mortuaire
sans cadavre
_________________________________________
Jean
Michel Guillaumond
ce matin
j'ai acheté un grillon
pour mon araignée
mais il chantait si bien
alors je l'ai gardé
_________________________________________
René
Cailletaud
...
On se demande pourquoi
C'est à la saison froide
Que l'arbre se déshabille
_________________________________________
Amédée
Guillemot
...
Même l'éclair a peur de vivre
_________________________________________
Philippe
Gicquel
Tu es tombé au-dedans de toi et tu vis
ici comme un moine muet au creux d'un monastère. Un seul oiseau
passant devant ta fenêtre, voletant sans but comme mince feuille
nonchalante, et te voilà transformé en clochard céleste,
en vagabond ordinaire et solitaire.
_________________________________________
Gérard
Prémel
Notes pour un art poétique
... la poésie est l'expression d'une
nécessité paradoxale: celle de dire l'indicible et de faire
entendre l'inaudible.
... la poésie ne demande rien à
personne... elle n'a jamais dit et ne dira jamais son dernier mot.
...
_________________________________________
Michel-François
Lavaur
La
belle et la bête
.
Les hérauts noirs
Il y a, dans la vie, des coups si forts...
Moi je ne sais!
Des coups comme de Dieu la haine; comme si
avant eux
le ressac de tout ce qui fut souffert
se déposait dans l'âme... Moi
je ne sais!
Ils sont peu nombreux; mais ils sont... Ils
creusent d'obscurs sillons
sur le plus fier visage, sur le dos le plus
fort.
Ils sont parfois les poulains de barbares
attilas;
ou bien les hérauts noirs que la Mort
nous envoie.
Ce sont les chutes profondes des Christs de
l'âme,
d'une adorable foi que le Destin blasphème.
Ces coups sanglants sont les crépitations
d'un pain brûlant pour nous à
la porte du four.
Et l'homme... Pauvre... Pauvre! Il tourne les
yeux, comme
quand sur l'épaule un battement de
main nous appelle;
il tourne des yeux fous, et tout ce qu'il
vécut
se dépose, comme une flaque de remords,
dans le Regard.
Il y a des coups dans la vie, si forts... Moi je ne sais!
Traduction Jean-Jacques Dorio
et Jean Dif
Cesar Vallejo était
un poète péruvien. Pour en savoir plus sur lui,
cliquez
ici
C'est pourquoi j'ai choisi de mettre la mort
dans la vie, pour te sentir plus près.
Ton absence n'en finira pas avec moi.
Je préfère célébrer
la vie, ma chair qui fond et ta mémoire qui me consume.
Nul ne nous écoute maintenant, personne
ne le fera plus tard.
Nous, les tueurs à gages,
Toujours nous fûmes des dieux.
Toi pour moi, moi pour toi: les autres n'écoutent
pas.
Et cela importe peu.
Je crois en cet autre monde, que nous avons
créé voici des années,
Le jour où je t'ai rencontré:
cette planète éloignée
Existe.
Là existe la félicité
que nous n'avons jamais connue.
Et sur cette distance préventive, toutes
les nuits
Je préfère la folie; je préfère
regarder vers le haut et penser
Que là se trouve ta planète...
ma planète.
Tandis qu'assise dans le cimetière
du néant
Je répète les mots que nous
rêvâmes ensemble
Et que volent à nouveau les mouettes
dans ce bleu
Qui t'appartient.
Sara Ballini est née
à Florence. Elle a vécu à Rome, Milan, Helsinki, Los
Angeles, Mexico. Depuis 1999, elle s'est établie en Espagne
Nil éditions
Le fleuve
Le fleuve Rouge. Le Kizil Irmak. Yunus aime venir s'asseoir sur ses rives pour écouter l'aveu des eaux qui ici n'est jamais imploration ni déploration mais plaisir de couler, bonheur de s'épandre et de s'épancher en chutes jubilantes ou de s'étaler en nappes improvisées pour accueillir hérons et mouettes.
Yunus aime les fleuves parce que leurs eaux viennent de loin et qu'elles sont elles aussi une voie vivante et vibrante, un cheminement fait de rencontres et de refus, de noces et de séparations, d'affluences et de confluences, d'obstacles surmontés, de gorges caressées et d'estuaires accomplis. Combien de sources s'achèvent-elles un jour par un estuaire? Très peu sans doute. II faudrait être sourcier subtil, guetteur et voyeur d'émergences, chroniqueur d'affluents pour découvrir combien d'entre elles s'agrandissant en rus puis en rivières puis en fleuves méritent un estuaire. Car jamais, bien sûr, on ne pense à tous les rus inaccomplis, ni aux ruisseaux inaboutis écoulant une eau orpheline à jamais privée de la mer. L'estuaire n'est pas l'aboutissement mais l'accomplissement de la source, ce Je minuscule qui sourd, croît, s'accroît, s'affirme, s'écoule puis se perd dans l'anonymat de l'immense. Car le Large est au chemin d'eau ce qu'est l'Immense au chemin de terre: une rencontre avec l'universel.
Depuis qu'il est revenu au tekké, Yunus
a le sentiment d'avoir lui aussi avancé comme un fleuve, traversant,
évitant, contournant, surmontant les mille obstacles de sa route
et recevant tout au long du parcours affluence d'amis, confluence de compagnons.
Maintenant il pressent ce qui déjà s'esquisse en cette odeur
d'Immense. Une odeur qui n'est plus celle d'une nuit sédentaire
passée sous une tente en la compagnie des Parfaits mais celle d'une
eau nomade en son profond désir d'estuaire.
Nil éditions
Où
l'on voit qu'il existe encore des ondines en la forêt d'Orient, et
que le pays d'immortalité n'est pas un lieu de repos.
… Oui, je vais te faire une confidence parce que je crois que tu peux me comprendre: il n'y a pas de pire destin ou de pire châtiment que celui de naître ou de devenir immortel. Tu ne peux pas avoir la moindre idée de ce que signifie vivre hors du temps et hors de l'espace auxquels toi, tu es habitué. Dans un monde immortel, plus rien n'a d'importance puisque plus rien ne bouge ni ne change, que plus rien ne s'achève. II n'y a plus de temps là-bas ou là-haut, mais une sorte de présent éternel, de pause, d'ellipses indéfiniment répétées, de vide blanc, stagnant où plus rien ne commence, où plus rien ne finit. Peux-tu comprendre qu'en un tel pays l'amour soit impossible puisque aimer implique le commencement de quelque chose, puis sa continuation et son déroulement avec tout ce que cela entraîne d'enchantement ou de désenchantement, de liesse ou de désolation, et ce, au sein d'une lumière immuable, étrangère aux jeux changeants qu'elle a sur cette terre, une lumière qui jamais ne scintille et jamais ne clignote comme celle d'un soleil figé au coeur d'un éternel midi? Peux-tu comprendre ou sentir tout cela, chevalier sans cheval, comprendre que le Temps n'existe pas en tant que tel, qu'il dépend toujours de ce qui le précède, de ce qui le suivra et qu'au pays d'immortalité rien, absolument rien, ne le précède ni ne le suit, un pays comme un reflet qui aurait perdu son modèle et où le moindre bruit, le moindre son se prolongent au point de résonner sans fin dans tout l'espace environnant? Oui, peux-tu imaginer un seul instant une existence où les plus vagues, les plus insipides de tes premiers balbutiements d'enfant te suivraient ta vie durant comme tout ce que tu as pu dire ensuite à haute voix? Voilà ce qui se passe au pays de Là-Bas, de Là-Haut, où rien ne peut disparaître, s'effacer ou s'éteindre. Tu ne peux pas imaginer l'ennui de vivre en un tel lieu où rien ne distingue le présent du futur, où tout ce qui est chair n'est que semblant d'être et de vie...
L'Assosiation des amis de Jacques
Lacarrière est ici
Mes pas me portent
dans l'indécision
prompte
à s'attarder
...
Je saisis
en lenteur
le bref.
...
comme si le regard
inventait
un levain pour l'esprit.
...
la relique minérale
sait
en toute langue
dire le silence.
Chaque coup de vent
affûte les ardoises
...
L'infini intimide.
Un autre poème de Marie-Josée
Christien est ici
...
un oeil pour entendre
et voir la rivière
dans le vent
...
sur la falaise
cet air qui se dilue
trace un chemin
dans la lumière.
...
la lumière
nous enveloppe
dans le vide
Viens t'asseoir près de moi
sur le banc aux croisillons de fonte.
Écoute les phrases végétales
qui s'ordonnent peu à peu dans la métamorphose.
A présent,
l'automne peut rétrécir les
jours,
décembre féconder la terre de
sa semence blanche.
Le jardin migrateur
commence son voyage
vers l'intériorité.
Fernando Fabio Fiorese Furtado
Ossuaire personnel
III
Le silence était avant
quand chaque mot
inaugurait un étonnement
et que la chair
en verbe s'éveillait,
touchant tout ce qui naissait,
pour que ce soit musique escargot
roche mer ou vent violent.
Penché sur le néant,
je chantai les incarnations du feu,
le déluge des choses désirées.
Oui,
le silence
était avant,
et il changea ma soif
en rivière de paroles.
Biographie
celui qui
pour autel ou maison
choisit le dédale
d'aucun dieu ne fut l'otage
pour chercher une autre face
dans la terre sans nombres
dans l'océan sans syntaxe
qui consacra les jours
au dialogue des nuages
et consuma les nuits
à curer la chair des arcanes
avec ses mirages
engendra un héros
là où s'achève la parole
et où commence la fable
qui hérita des manques
du livre des lignages
et les épela
pour tisser la biographie
traduit les signes
en poignard
Post-Scriptum
la fable du dernier mot
de cette page
sans rien
seulement un signe
rêvé par le poignard
Un autre poème de cet auteur est
ici
___________________________________________
Edimilson
de Almeida Pereira
Saint Antoine des Créoles
Il y a des mots réels
Inutile d'écrire sans eux.
La poésie entre têtes chenues
et bêtes
est aussi parole.
Mais ce que le texte capture est la voie
de charrettes qui vont sans les boeufs.
La poésie comparaît
pour nommer le monde.
Oreille percée
Danser le nom avec le bras dans le mot: comme dans sa maison un maconde*.
Danser le nom père des dieux qui peut
tout en ce monde et endurer
le lézard qui voudrait être évêque
dans l'ombre.
Danser le nom misère, éclat et
tripe qui est la feuille du livre. Et savoir que l'on est
le patron des lettres en sa cuisine.
Danser le nom en sept souliers astiqués pour le dimanche.
Danser la nom avec la femme sa dame: la femme en son coeur tempête et ciranda*.
Danser le nom avec le bras dans le mot berceau.
*
maconde: individu
d'une ethnie du Mozambique.
* ciranda:
jeu d'enfants comportant chant et danse.
Absent
Les gamines de l'Absent
n'ont jamais eu de miroirs.
Le lit où elles font des rêves
se repose sur des fourches
Celles-ci comme tant d'autres
héritages de la mer.
C'est une mer qui se lève
pour s'appeler Calunga*.
Elles n'allèrent pas à l'école
les gamines de l'Absent.
Syntaxe géométrique
se mesure comme fortune.
Il y a beaucoup de sang
dans les champs évalués.
N'interrogez pas l'Absent
sur l'or caché des montagnes.
Les gamines de l'Absent
se tiennent pour des modèles.
Qu'en elles tout soit en ordre
comme les eaux sur les dalles.
Et de l'amour qui tourmente
les boeufs comme le verger.
Les gamines le savent bien
l'éprouvent comme présence.
Parfois dans la faux du vent
le théâtre des nuées.
De leurs vagues fomentant
un océan puis un autre.
* calunga:
divinité bantoue de la mer.
__________________________________
Iacyr
Anderson Freitas
Toujours le cercle
Toujours le cercle des actions
le cercle des âges
et cette sphère majeure
qui entraîne le moteur des muses
aller par la carte en cercles
revoir la nuit
les sites parcourus par les anciens
les cloches
les pavés qui furent leurs quelque
jour
dans la mer qui empoisonna l'enfance
dans la mer terrible qui m'encombra
avec ses morts ses sels et ses fleurs
en cette mer ils chevauchent
ils sont les cloches ils sont les dalles sous
la place
ils sont le propre miroir dans lequel ils
se précipitèrent
le miroir inverse
celui qui n'est pas transitoire
Sisyphe dans le miroir ~ poème 62
...
le sol est le même depuis des siècles
: ici , en d'autres temps
les jours tombèrent.
mais où le jus des corps?
: le silence
le silence enterre le paysage
et le dieu se déplace, indubitablement.
le temps est l'oubli majeur
un tableau dans lequel tu es gracile et grave
un paysage, un vent rongeant les îles.
entre faims, entre feux la terre chemine.
pliant les harnais de l'après-midi,
les rivières,
sous tes pieds, se putréfiant
avec tes pieds la terre chemine.
elle charge en elle tes morts. elle vacille.
oui: c'est la terre de la démence,
le site
ouvert en toi et dans ta mémoire
maintenant.
Et sur le désert
condamnation première: charger
les dépouilles de cet après-midi,
le traîner
hors du temps,
l'enterrer là où n'existe aucune
échappatoire.
comme ceux qui cherchent dans la besace,
entre les serpents, l'aliment de leurs morts,
j'offrirai aussi mon corps
aux figurations de la pluie et du tropique,
je pourrai oindre aussi
les cartilages nuls de son nom;
et sur le désert
et sur les dépouilles de tout
ce qui resta de l'après-midi en son
transport
demeure la même recherche,
incessante, d'une terre plus
profonde et gaspillée, chaque jour
plus distante.
D'autres poèmes de cet auteur sont ici et d'autres encore (en portugais et en flamand) sont ici
L'Escampette éditeur - Bordeaux
Au fond du septième matin j'étais
pierre
roulée déjà contre le
flanc de la montagne,
j'étais l'eau qui jaillit dans le creux
du rocher.
J'étais le cri des fées dans
la forêt du monde
et les destins futurs qui se tissaient entre
eux.
Homme et femme je fus, et le désir
au creux des hanches.
Je suis le feu et l'eau, la vapeur et la terre,
voyez là-bas la trace de mes pas;
étangs obscurs, chemins ouverts, sillons,
ornières,
partout je prendrai forme et le flot des nuages
ne peut lui-même m'échapper.
Je suis la mer et le rivage, je suis la vague
et le rocher.
Mais l'horizon, l'horizon large et magnifique,
lui qui n'est ni soleil ni montagne ni pierre
ni fronton ni linteaux que je puisse épouser,
lui qui n'est ni l'instant ni le temps
ni même l'infini que j'ai dans ma pensée,
lui seul me désespère et m'offre
le miroir
où je ne peux me ressembler.
Berceuse
Quand le sommeil descend sur le calme des tombes,
dors, héritier de tant de veilles,
dors.
Quand la nuit vient bercer les ombres de nos
morts,
dors pour calmer la vie encore inquiète,
dors.
Dors et rejoins le monde d'avant toi
et les rêves d'avant la chair,
les rêves obstinés des morts,
mon enfant, dors.
Dors et rejoins la force émue des plantes,
la crue des fleuves sous le manteau de la
lumière,
les fleurs qui s'ouvrent vers le soir et le
raisin
lent qui mûrit, qui craint l'orage.
Dors.
Et pour que tourne cette terre sur son axe
selon la grande mue du temps, dans l'incessant
désir qui fait se mouvoir toute chose,
mon enfant, dors.
Dors pour que vivent encore en toi les morts,
tandis que dans ton âme des cités
s'éveillent, où tu marchas dans
la lumière d'un autre corps,
dors jusqu'à ton matin de créature,
mon enfant, dors.
Algaida - Poesia - Sevilla
L'autre côté
Ce crépuscule qui s'éteint
qu'y a-t-il derrière?
J.R.J.
Quel monde pourrais-tu me donner
qui serait plus doux que ce monde.
Peut-être un monde où les branches
s'élèveraient
depuis leur ombre jusqu'à toucher la
lune
et où l'eau tomberait pour calmer la
soif
profonde des arbres? Et où les yeux
sombres d'une femme, nous raviraient
jusqu'aux confins de l'âme, là
où l'âme
n'existe plus? Je n'ambitionne ni autre chair
ni autres baisers. Donne moi les mêmes
jours
incendiés. Donne moi les mêmes
nuits
et leurs cieux peuplés de secrets.
Quel pain délicieux me rassasierait?
En quel sein, de femme ou d'ange,
trouverais-je le repos? J'aime l'éclat
doré de la mer dans les pupilles,
la science généreuse du vin.
Je n'ai pas besoin d'un autre monde mais de
celui
qui déjà me fut octroyé.
Et ses tâches,
et pouvoir le dire. Ne me donne pas des paradis
que le coeur ne saurait contenir.
Pluie
d'aurore
(Séville, 1988)
Je m'approche de la fenêtre. Infatigable
la pluie tombe jusqu'à recouvrir l'aube.
C'est d'un bleu très froid qui s'ouvre
et noie de tristesse le coeur.
(Cette averse, le ciel encapuchonné,
peuvent blesser à mort un coeur.)
Tu es ici, me frôlant, et je voudrais
parvenir jusqu'à la ligne de ton rêve,
jusqu'à son seuil d'argent et le franchir,
approcher mes lèvres de ton âme,
tandis que la pluie, indéchiffrable,
étouffe la gorge.
Et que les paroles
abandonne leur lumière aux alentours
du songe.
Rien ne me permet d'approcher jusqu'à
la peau
secrète de ton âme. Jusqu'à
la berge
où le monde semble faire naufrage
et où la chair se dissimule en sa tristesse.
Secret
Le fruit croît lentement.
S'inonde de douceur,
de sève qui s'allume.
Je ferme les yeux,
je te sens respirer.
Toi aussi tu es secrète,
et lumineuse.
Fermée, lente et profonde.
Tout comme le fruit.
Les jours et les oiseaux
Les jours ressemblent aux oiseaux
-ils viennent et puis s'en vont - et toujours
laissent
une blessure de lumière. Leur vol
sent la mousse, les pays de givre,
la sève des arbousiers cachés...
(Il est une fontaine occulte qui répand
de blanches rivières de soif, et un
clocher
bleu, bercé par le vent).
De quel ciel, de quelle haute parole
les oiseaux descendent-ils. De quel amour.
Les jours ressemblent aux oiseaux,
ils laissent la même tristesse en passant,
la même obscurité, le même
silence.
Eucharistie
J'aime ton corps sombre de blé trituré
répandu sur les draps, de farine rédimée,
la fleur, la candide, quand tu sombres dans
le rêve
quand tu te précipites vers ta pierre
sans lumière.
Les lèvres sont de mie, de brise récemment
faite
qui nouvelles s'illuminent, quand l'ange plus
blanc
frappe dans ta mémoire avec sa palme.
Je désire
cette bouche de feu qui embrase les cristaux,
cette peau retenue en miroirs très
brefs.
Braise, toi, qui me brûles. Eau, toi,
air, vin
qui est chair et qui est mystère. Je
veux porter maintenant
ton âme jusqu'à mon âme,
ton pain de blé et de lave,
de marbre, de ténèbres, jusqu'à
ma bouche affamée.
Omphalos
III
Toute notre ambition est seulement ceci: la
similitude.
Notre âme se comble avec l'analogie,
les âges
de nouveau en mémoire, les noms répétés.
(Nous aimons les reflets, les heures parallèles,
le souvenir généreux gomme les
différences.)
Secrète réminiscence de la cellule,
de l'atome
quand le cristal ordonna, l'étang et
les astres,
la pluie et le chiendent. Rien de plus, seulement
ceci.
Ad inferus
II
Au plus profond de toi, dans ton noyau,
au germe fin de ta flamme.
Rond, intime, rutilant, doux,
si jusqu'aux lèvres tu l'élèves,
(et parfois c'est amer).
Derrière la mémoire, au revers
de la chair, en une autre mer, retourné
vers une autre pupille, une autre main
distincte, ou des dents
qui nous mâchonnent sous la brume
dans l'intérieur du rêve.
Le plus horizontal,
l'anonyme et désert
(celui que, indécis, nous nous efforçons
de nommer), - non pour libérer
l'ombre,
pour être toi même l'ombre.
-Non pour puiser l'eau,
pour être toi même l'eau.
-Non pour t'enquérir de la pierre,
pour être toi même la pierre.
Gravitation
ailée. Et, maintenant, puisque c'est
possible
marquer d'un signe les choses,
reproduire leur topographie
(les choses précieuses, les choses
tièdes;
les corps qui nous sont les plus nécessaires).
Et maintenant quand la chair,
quand derrière la chair se réfugie
la voix, et derrière la voix, la pierre,
le cri, et ainsi jusqu'à se taire.
Lumière nouvelle
La lumière immobile - horizontale
assoiffée - dans le repos du temps.
Le petit lézard plat sous le soleil
de l'après-midi,
sa verdeur sur les murs. Et la mémoire
blanche qui tombe sur la citerne.
(Cette asphyxie heureuse
et la chair encerclée par le songe).
D'autres poèmes de Miguel Florián
sont ici
Éditions Rumeurs des Âges, La
Rochelle, 2003
Éditions Autres Temps, Marseille, 2004
Un fil
me relie
à mon enfance
le barbelé
___________________
Cette femme inconnue assise là à
un coin
de table de ce café triste elle vient
de traverser la mer
sur son visage tous les enfants morts de mon
pays
et ceux aussi pas encore nés et qui
vont mourir
___________________
La mer dans la brume n'est pas un lac
les feuilles mortes dans le vent
ne sont pas des oiseaux
mais rien
ne m'empêche de le croire
___________________
Entre un premier jongleur
ses prouesses sont applaudies
à tout rompre par la foule – à
l'exception d'un seul homme
Entre un second jongleur
il manque une balle la foule le
hue – à l'exception du même homme
qui l'applaudit debout
___________________
Ma petite mon lumignon
parcelle de moi
qui se construit il
ne faut pas que
je la dérange
indépendamment
elle travaille à
devenir adulte
___________________
Fermée désormais
la petite porte
qui s'ouvrait jadis
sur un brin de certitude
Le peintre Hamid Tibouchi
est aussi un poète algérien d'expression française
Un autre texte d'Hamid Tibouchi est
ici
Editions Encres Vives
Collection Encres blanches
Hommage
à l'Hellade
... Et même la démarche nonchalamment ondulée de nos vierges reflète l'ondoiement des cimes de nos montagnes et les eaux moirées des havres hospitaliers de nos côtes! ... Des Jeunes Filles Joyeuses ... où Aphrodite, la Déesse de la Volupté, surgie de Cythère et de Paphos, se fait porter toute nue, ainsi qu'une courtisane d'Alexandrie, sur un char en forme de coquille tiré par des cygnes, fleurie de roses blanches et rouges et d'oeillets pourpres et illuminée d'autant de flambeaux tenus par des vierges! ... Ode à Constantin Cavafy ... Or, ce que tu appelais Ithaque, c'est, non le retour au pays natal, mais la destination de l'homme, son but dans cette vie qui tient du miracle et sur cette vaste Terre illuminée par la lune de septembre! |
Paradis minimes
rêves qui espèrent
le baiser, le contact du vin
dans la maison de banlieue*
le Christ
des paradis minimes
où la nostalgie limpide
la langue étrangère
le destin qui n'est pas samba
font parler l'âme presque
lusitanienne
heureux l'homme qui naît
vit et meurt sur sa terre
* du
quartier ou de banlieue, littéralement: hameau urbain.
Apocalypse
Il est nécessaire
de faire exploser le mot
démolir l'édifice
libérer le silence
Genèse
Au début
était le silence
puis Dieu
créa le verbe
et emprisonna pour toujours
le silence dans le coeur de l'homme
Extraits de "Páginas
Despidas".
Ozias Filho est un "poète
brésilien de naissance et portugais d'adoption" (Carlos Barbarito)
D'autres extraits en portugais sont
ici
Editions Publicatuslibros
Le maillon
En hommage aux personnes prises lors de Cromañon le 30/12/04, à Buenos Aires
Une crépitation de flammes
consume le calendrier
des heures qui passent.
Des êtres égarés
s'efforcent d'échapper
à cet enfer.
Une conjuration séculaire
les surveille
et leur intention de fuir
n'est qu'une allégorie.
Ils traînent par la vie
le maillon perdu
et l'explosion de la lumière
les effraie.
Comment absoudre
ce geste
captif dans les fenêtres.
Quand attraper les cris
qui n'en finissent pas.
Teresa Palazzo Conti est une
poète argentine
Publicatuslibros est
ici
Les voyageurs
Nous agitons la tendresse ancrée dans
les parcs
comme un insecte dans une caisse de plomb.
Nos chemins ont perdu leurs lézards
qui
partaient des rivières vers l'asphalte
rouge.
Dans quelque lieu éloigné
les frontières jouent avec les chiens
affamés.
Nous aimons les bancs dévorés
de jambes et le
garçon noir qui siffle au brouillard.
Malgré tout le cri s'étrangle
entre nos doigts.
Malgré les iguanes chargés de
miel
qui se dévorent dans les sillons.
Il y a ici les pleurs des trains qui traversent
les
gares sans s'arrêter.
Et nous voulons partir sur la couverture d'un
monstre.
Sur les taches de pétrole qui flottent
dans l'eau.
Sur les faucons qui ne grandissent pas dans
les coins
et nous restons, silencieusement saisis
par le sifflement du garçon noir.
Maracaïbo, mars 1956
Miyó Vestrini (1938-1991),
est une poète vénézuélienne, née Marie
José Fauvelles Ripert à Nîmes (France)
On peut lire d'autres poème
de cette auteur (en espagnol), dans la revue Arquitrave
Editions Rialp S. A. - Madrid
L'air
.
Il nous inspire, invisible, un désespoir
Un monde abandonné nous rassure
et nous convoitons
ses couleurs et ses arômes et cette
peur
de ne pas connaître la main qui l'anime.
L'héritage
- IX
.
Tout est suspendu, tout est dans l'attente.
Depuis l'origine tout est éclosion.
Les actions altèrent les eaux du destin.
Tes pas, tes pensées, ouvrent le chemin,
risquent
un but, un périple. La sévère
succession des choses met tout cela en ordre.
Que le hasard comme centre et point de départ
trouve en toi sa chance et voilà
le monde qui s'ouvre
comme une fleur qui naît déjà
fruit mûr.
Mon
frère
.
J'ai traversé la brise attentive
qui nous unissait comme sur un fil.
Nous l'avons traversée. Dès
lors jamais plus
nous n'avons foulé le même sentier.
Seulement le sang, la chaude respiration
du souffle originel nous réunit en
ses liens.
Regarde ma main lavée par les pluies
qui furent locataires de notre oubli.
Prends-la, mon frère, approche-la de
ton sein.
Ulysse
.
Ni Ezra Pound ni Virgile ne sont pareils,
mais ils ambitionnèrent d'être
le même homme.
Ils rêvèrent d'être Homère,
qui dans les ténèbres
s'aventura jusqu'aux abîmes de la lumière.
Tous les hommes rêvent, depuis lors,
d'être Homère, en conservant
l'espérance
qu'il reviendra dans une barque, un de ces
jours.
Le
retour - I
A Juan José Tejero
.
Comme de timides fleurs, paresseuses,
qui vivent dans l'obscurité, qui diffèrent
leur croissance au soleil, le voyageur s'efforce
de ralentir sa marche afin de percevoir
l'infini du monde à chaque pas.
Retour
.
Seulement des racines.
Je descends jusqu'au sentier le plus intime
du songe,
où naît la brise des âges.
Comme une plante, la nuit muette se déploie.
Je te pressens dans l'étrange solitude
des êtres
(embrouillés en leur sève de
fleurs et d'étoiles)
tandis que tu traces le contour d'un monde
encore à naître.
L'ouvrage d'où ont
été extraits ces poèmes a obtenu le prix Adonais 2005
Peux-tu?
.
Peux-tu me vendre l'air qui passe entre tes
doigts
et qui frappe ta face et te décoiffe?
Peut-être pourrais-tu me vendre cinq
pesos de vent,
ou mieux, me vendre un orage?
Peut-être la brise
tu me la vendrais, la brise
(non pas toute) celle qui court
dans ton jardin de corolle en corolle,
dans ton jardin pour les oiseaux,
dix sous d'air fin?
L'air tourne et passe
comme un papillon.
Nul ne le possède, personne.
Peux-tu me vendre du ciel,
le ciel parfois bleu,
ou gris parfois aussi,
une parcelle de ton ciel,
celui que tu as acheté, penses-tu,
comme les arbres
de ton verger, comme on achète le plafond
avec la maison?
Peux-tu me vendre un dollar
de ciel, deux kilomètres
de ciel, un morceau, ce que tu peux,
de ton ciel?
Le ciel est dans les nuages.
De hauts nuages passent.
Nul ne les possède, personne.
Peux-tu me vendre la pluie, l'eau
dont tes larmes sont nées celle qui
mouille ta langue?
Peux-tu me vendre un dollar de ton eau
de source, une nuée grosse d'orage,
crépue et douce comme une agnelle,
ou bien l'eau plue sur la montagne,
ou l'eau des flaques
abandonnées aux chiens,
ou une lieue de mer, peut-être un lac,
cent dollars de lac?
L'eau tombe, roule.
L'eau tourne, passe.
Nul ne la possède, personne.
Peux-tu me vendre la terre, la nuit
profonde des racines;
des dinosaures et de la chaux
éparpillée d'antiques ossuaires?
Peux-tu me vendre des forêts déjà
enterrées, des oiseaux morts,
des poissons de pierre, le soufre
des volcans, qui s'élèvent en
spirale
depuis des milliards d'années?
Peux-tu me vendre des terres,
peux-tu me vendre des terres, le peux-tu?
Ta terre est la mienne.
Tous les pieds la foulent.
Rien ne la possède, personne.
Nicolas Guillén, poète
cubain, fut aussi journalite. En 1972, à l'accasion de son soixantième
anniversaire, l'Institut cubain du livre publia ses oeuvres complètes.
Ses derniers recueils de poèmes sont "La Rueda Dentada" et "El Diario
que a Diario". Il fut président du Syndicat des écrivains
et artistes de Cuba
Le poème ci-dessus,
diffusé par POEMA NECESSÁRIO / 60 - Belo Horizonte, 25 mars
2006., a été traduit par mes soins. Une autre traduction,
assortie d'une biographie, est ici
Editions Hiperión
Blues
de la porte de la nuit
.
Quand le pauvre ouvre et entre,
la porte de la nuit
révèle derrière elle
une ampoule triste
et un foyer éteint.
Le samedi glorieux,
quand sortent les riches,
la porte de la nuit s'ouvre
sur une rivière de lumières
à la joie de la rue épanouie.
Et toi, seule dans le coin;
ou retournant muette
au vestibule de la nuit
pour pousser sans bruit
la porte de la nuit.
Des versions espagnoles,
néerlandaises et anglaises de ce poème sont ici
Je hume ton ombre
L'abeille qui s'abreuvait
aux iris bleus
sera-t-elle retournée à l'essaim
avec la récolte?
Le pétale qui hier s'envola
de ta ceinture
suivra-t-il le vent de la nuit?
Quand mourut la rose sur laquelle tu veillais
pour sauver la lumière
qu'alors tu étais?
Le feu de la main
Arriver jusqu'où se tient
l'ultime enclos de ton hiver.
Entrer en toi en palpant les collines,
les vallons en repos
et chercher dans les nids
où l'aurore est printemps
et où est l'oiseau qui couva
les oeufs de la vie.
Entre les lèvres
La première parole que tu as dite
se fit chair entre les lèvres.
Et maintenant le silence habite,
à la frontière même des
dents
et dans le fruit défendu
que tu m'offres:
-Prends-en un peu,
ceci est mon corps.
La joue livrée
Et toi, main, tu caresses
la peine végétale, la douleur
profonde.
Là tu jetas les grains
du tas de la souffrance
qui tellement s'accrut.
Et en nid tu te changerais,
main,
afin que reviennent
cet oiseau et cette rose
qui un jour pour nous furent,
joue, à travers les airs.
Main
Et toi, main, qui viens
pour fermer les yeux,
En quel pain te posas-tu?
Dans la farine de quels pétrins
te plongeas-tu avec l'aurore?
Dans quel battage?
Dans quelle faucille
pour couper le blé?
Dans quel panier de grains
pour ensemencer la terre ?
Douce main maternelle,
quand père attendait
dans les salles sombres de San Marcos.
Une colombe triste.
Et c'était la nuit
sans lumière déjà sur
tes épaules.
Une colombe en vol
où arrivera-t-elle
lorsque poindra le jour.
Ainsi était la nuit,
lumière enfouie dans ton corps, source,
où abreuver les lèvres,
où creusent les dents
pour chercher l'immaculée lumière
de l'aube.
L'ouvrage d'où ont été extraits ces poèmes a reçu le 9ème prix international de poésie "Antonio Machado en Baeza"
D'autres poèmes du même auteur
sont ici
Le saut de l'ange
Un jour il faudra dire adieu à ce décor
usé par tant d'azurs de givres et de
pluies
pour le dernier plongeon du plus haut de ma
vie
vers les palais marins de l'âme et de
la mort.
La vesprée sera fraîche et frais
seront les flots
et ma bonne étoile brillera sur les
eaux
et l'écume lavera mon âme à
grande eau
Mon âme sera nue enfin et baptismale
j'irai vers Dieu couché sur les eaux
de la Bible
et je ne saurai plus ce que c'est que le mal
Départ vers l'au-delà dans quelle
périssoire
mettant le dernier cap sur une Ys impossible
où brillent les feux verts d'un éternel
rêvoir
Mes douleurs je les laisserai dans mon sillage
mes malheurs bien pliés au vestiaire
des plages
et tous mes jours perdus aux patères
des étoiles
A la dérive vers le ciel
dont j'entendrai comme un mirage les chorales
au fil des noroîts éternels.
Poèmes 1942
_____________________________________________
Henry
Rougier
Tu souris
Toute nuit se fait jour
Toute plaie sous l'hiver
Allume un feu de roses
Toute parole entend
L'indicible accorder
Son mutisme à la mer.
_______________________________________
Philippe
de Boissy
Un goéland
à grands coups d'ailes
tente de remonter le vent
soudain il heurte mon visage
nous sommes tombés
tous les deux
dans un autre oiseau
qui passait
______________________________________
Gérard
Le Gouic
Tours de mer
...
L'arbre solitaire
de la plaine
nous paraît moins
"naturel"
que la tour de mer.
_____________________________________
Danièle
Auray
Le goéland
Croix d'algue ensevelie sous le sable froid
songe revenu de la mer
signe posé sur la pierre
c'est un oiseau aux yeux mangés.
Marche invisible de l'Amour
arche de feu à travers temps
présence frêle offerte au vent
c'est l'indicible Lumière.
Les morts parlent aux vivants.
____________________________________
Gilles
Baudry
Pour Anne Perrier
La mer
ses sandales de pluie
les phares tournent sur eux-mêmes
comme des chiens
qui cherchent le sommeil
sans le trouver
ailleurs que dans les soubresauts
des dunes et des vagues
dans les rêves à blanc
que font nos insomnies.
_____________________________________
Jean-Albert
Guénégan
Gardien de phare
...
je ne sens la vie
qu'à l'odeur du tabac de pipe,
là, on ne fait pas l'amour
pourtant, c'est de noces qu'il s'agit!
Ici la terre et la mer s'obligent
plus qu'elles ne s'aiment,
leur destin n'est pas un pacte
mais une fin
...
_____________________________________
Marie-Josée
Christien
Tour-Tan*
L'invariable totem
flambant
entaillant
le vide du ciel
jette sa semence
de lumière
offrande des humains
à l'océan.
...
*
Phare en breton, mot à mot "tour de feu".
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Yvon
Roussel
Que le ressac réveille le rivage
Que la marée envahisse les hommes
Que le jour fleurisse dans la nuit
Quand l'écume inondera les prés
Le blé germera sur les plages.
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Béatrix
Balteg
Maïva
Maïva et la mer s'étaient toujours connues. La rencontre fut fulgurante car ce ne fut pas rencontre parallèle, face à face, mais reconnaissance, retrouvaille, pénétration et dissolution. Tout amour mène à la fusion. Ce fut un choc pour Maïva. Son être fut plongé dans un état où tout semblait se dilater à l'extrême. Un leitmotiv intérieur, irritant comme une démangeaison et à la fois exquis, s'immisça. Mémoire ouverte à vif sur le sang. Me reconnais-tu? Qui parle? Où suis-je? Pourquoi ce changement de paysage, pourquoi cet ailleurs, offert soudain? Ailleurs qui est en même temps un ici - La vue des rochers déclencha un état qui semblait revendiquer une autre appartenance. Marcher près de la mer, la voir, la flairer, la caresser des yeux, c'était rentrer dans l'oeuf, dans le pays, sucer un cordon gonflé de sève. Maïva était d'aujourd'hui, d'hier et de demain. Son regard lucide sortait de son corps, y rentrait, jouait à cache-cache et se dilatait délicieusement dans la nouvelle dimension trouvée où le temps humain mesuré par pendules, montres et horloges n'intervenait plus.
Extrait de Maïva - Éditions
Chambelland
Je suis
L'image vide
de ce que j'aurais pu
si j'avais été
Vous retrouverez ce poème
et d'autres aussi sur le site d'Alter
Texto
L'acrobate dans le sentier des songes
Son monde
Le sol froid et mouillé
Sa réalité maritime
Les océans inondés d'eau sale
Et chaque morceau de pavé
Un îlot de mémoires
Une ville où il passa.
Le contact avec la réalité
Un pied déchaussé
Et le visage peint
Pour arriver à des lieux éloignés
De bonheur et de tristesse
Où il tissa les années
Qui le laissèrent nu.
Mouvement absent du corps
Et battements précipités du
coeur
Face au métal froid
La nécessité de manger
En échange
Une vie.
Et en tombant de la nuit il sera mou et blanc
Pain
Dans l'estomac vide
Il sera un autre jour de plus
Avec le regard perdu
Entre des souvenirs
D'un visage de femme regrettée
Engendré par lui
Et le chaos était.
Juan B. Benítez est un poète andalou
Publicatuslibros est
ici
Hub Editions - Hand Made in Wingland
Fonction publique
Un homme qui demeurait
près de la porte de Yen
dans la capitale des Song
devint si maigre d'affliction
causée par la mort de sa mère
que l'on jugea approprié
d'attribuer à ce modèle
de vertu filiale le
poste
de Directeur de
la fonction publique.
-Ceci encouragea ses voisins
à maigrir également.
Mais une moitié d'entre eux
expira de cachexie,
sans avoir même obtenu
l'emploi le plus subalterne.
Liberté
Le faisan qui marche
dans les champs donne du bec
tous les dix pas;
et se désaltère à chaque
centaine de pas; il refuse
de gagner pitance et boisson
au prix de l'incarcération
dans une cage. - Et c'est ainsi
qu'aucun faisan n'envie jamais
la bonne fortune d'un roi.
Le mot
Le filet est employé pour
capturer le poisson - mais
quand le poisson est capturé,
on met le filet de côté.
Un piège est employé pour
attraper le lièvre; quand
le lièvre est pris, adieu le piège.
Le mot est utilisé
pour communiquer une idée;
mais quand l'idée est saisie,
qui s'occupe encore du mot.
-Comment trouverai-je un homme
qui maintenant ne sait plus
comment le mot s'utilise
pour converser avec lui?
Grande chance
D'anciens exorcistes disaient
que les taureaux à tache blanche
les cochons au groin retourné
et l'homme du peuple affligé
d'hémorroïdes ne doivent pas
être jetés comme offrandes
à la rivière. -Les sacrificateurs
connaissent leur nocivité.
Mais pour le sage ces êtres
symbolisent une grande chance.
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Croquis de Shields
(Shields sketches)
Hub Editions - Hand Made in Wingland
Variations sur un thème de Robert Desnos
Aujourd'hui je suis allé me promener
avec un ami.
Nous avons marché au bord du fleuve,
sous les arbres,
au long de la plage et sur les rochers
au bout du débarcadère avec
son brise-lames
au long du quai et des docks silencieux.
Aujourd'hui je suis allé me promener
avec un ami.
Je lui ai montré l'endroit secret connu
de moi depuis toujours
et lui ai raconté des histoires que
je n'avais jamais dites.
Nous jetâmes nos mots et nos rires dans
le vent
jusqu'à la nuit tombée quand
la ville fut froide.
Aujourd'hui je suis allé me promener
avec un ami.
C'était la première fois que
nous marchions ensemble-
et la dernière aussi. Car je n'ai jamais
revu son visage,
ni entendu sa voix. Et maintenant, en ce temps
solitaire,
je marche seul, avec pour compagnon la pluie,
la pluie.
-Mais je me suis promené une fois avec
un ami.
Exil et réincarnation
Mal du pays pervers, nostalgie maritime,
désir ardent d'être n'importe
où sauf ici,
volonté d'auto-banissement, en arrière
du passé, pas seulement pour un ailleurs
quelconque.
Soif de l'horizon, que l'on ne peut
boire, futur perpétuel, appétit
pour toucher des intouchables,
les humains comme l'éternel.
Une sorte d'immortalité précoce,
mais toujours
avec l'espoir d'une renaissance, d'un retour
à l'endroit d'où l'on est parti
-maintenant,
heureusement, devenu méconnaissable.
Tout ce qu'on a pensé qu'on a connu
aussi
ou qui nous fut indifférent, merci
bonté,
mort maintenant; ou parti, intelligemment,
comme on aurait dû faire depuis longtemps,
longtemps.
et qui, même plus intelligemment,
n'est jamais revenu.
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Une île dans
le ciel (An island in the sky)
Hub Editions - Hand Made in Wingland
Comment arriver en Andorre
Seulement si vous perdez votre chemin
vous trouverez la voie cachée
qui vous mènera sans vous en douter
à l'endroit inattendu.
C'est la plus longue distance
possible entre les deux points:
et la plus courte, elle ne prend
qu'une vie pour la couvrir...
Nul moyen de savoir quand
vous arriverez - attendez,
plutôt que vers vous il vienne.
Vous saurez quand vous y serez
par des signes invisibles cependant indubitables
qui furent longtemps attendus
qui vous accueillent ou vous repoussent,
que cela vous plaise ou non -
Un art natif imaginatif
crûment, triste autant que comique;
des paysages d'affreuse beauté,
une nourriture vraiment singulière.
Par dessus tout, une façon de parler
pareille au bruit d'un torrent sur les pierres;
avec la vision ça et là d'un
visage souriant
qu'amuse votre propre étrangeté
ébahie.
Alors vous saurez que vous avez atteint
la Terre de AND*
- et que jamais vous ne reviendrez
d'où vous êtes parti - même
si vous le vouliez.
Et d'ailleurs maintenant vous ne le voulez
plus.
* Ce
sont les lettres qui apparaissent sur les plaques d'immatriculation de
la principauté.
Une
île déserte de l'esprit
En mémoire d'Antonin Artaud
Aux pôles de toutes
les longitudes et latitudes,
Aux méridiens
de nulle part, de nul ailleurs,
là flotte une île déserte
une île de l'esprit
en exil, où les étrangers
qui ne le sont plus
jettent aux orties les malentendus
qui les ont faits complètement étrangers
dans leurs propres pays.
Ne parlant aucune autre langue
que le silence intime,
les bannis de l'espace intérieur
vont avec un langage éloquent
de signes - sans mots,
sans noms, et dépossédés
joyeusement d'eux-mêmes
et de leurs citoyennetés
dans des sociétés déplacées.
Ici, la solitude
d'être né étranger
est leur salut.
Île déserte de l'esprit -
Île au trésor de l'égaré.
Interprétations
Quelquefois un poème inconnu
d'une langue étrangère commence
à me parler - J'écoute la page
me dire quel en est le sens
dans un langage qui est le mien.
Et ainsi je me mets à l'écrire,
en prêtant l'oreille aux deux voix
- mais les mots seuls ne suffisent pas
à moins que le coeur et l'esprit
n'interprètent l'indicible,
et ne le rendent exprimable.
D'autres textes de James Kirkup
en anglais sont ici
Un autre poème en français du
même auteur est ici
Le renard de Pampanito
Que la musique d'Orphée retentisse et
soit avec moi.
Que la table soit servi par des oiseaux.
Que demeure en moi la sonate, que la mort,
à coup sûr, entonnera dans les
forêts.
Que l'eau des yeux de dieu tombe sur la terre.
Que le doux honneur de l'ange me couvre et
m'accompagne,
que l'or du cadavre devienne royaume en mon
esprit.
Qu'en avril enfin la mort me saisisse.
Qu'elle soit comme l'épanchement de
ma petite soeur,
qu'ainsi même le sang escalade mes nerfs
et que j'éprouve le beau vertige
dans les campagnes de l'automne.
(Sonata)
José Barroeta est un
poète vénézuélien
Soirs d'été
Délicatesse de soie
des soirs d'été
ces amples papillons de nuit
dépliant leurs ailes
sur la lumière du jour
Le souffle est en suspens
aux lèvres des secrets.
Plaisir du feu
Dans l'âtre en plein été
La lumière fragile
colonne gris bleu odorante
Paix de l'âme qui
songe et monte
Dans le calme des soirs
Vers les nuages bourgeonnant
de neige d'amandiers
Au matin, la cendre sous
les doigts
Est chaude et douce comme
un ventre d'oiseau.
Étranger
Un étranger dans mon pays, une vieille femme l'attend.
A mon tour de tutoyer le passé
quand les heures perdues en paroles
détournent les amis de leurs voeux.
L'ennui guette mon voisin d'ailleurs,
l'étranger n'a pas de vie, il vient
là où je le quitte,
son sang manque de jalousie.
Ou encore, je cours après des légendes
plus noires que sa peau.
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Pascal
Demai
Échappés des pierres creusant
la nuit d'un silence rauque atteindrons-nous pour autant la respiration
de la mer?
Épuisement du jour égaré
dans des ronces aux phrases à chair poreuse.
Déclin des lampes écorchées
par un crachin de gestes à la voix brisée.
O émigrer dans l'insularité
du poème s'effaçant à mesure qu'il se livre.
Équivoque des reflets usés de
paroles ressassées.
Délivrés du vertige de vivre
laisserons-nous pour autant de hautes marées inscrire leur oeuvre
dans notre gorge?
Atteindrons-nous l'assomption des verbes qui
ouvrent les choeurs des îles aux voleurs de feu?
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Jacques
Lucchesi
Anniversaire
Même dans deux mille ans de ça
Jamais on ne visitera
Hiroshima
Comme Pompéi.
Aux rats
Aucun feu rouge ne protège
Les rats qui traversent nos rues
Combien est grande pour eux la
Nécessité de courir vite.
Anne Mounic citée par Claude Vigée
Pauvre homme
errant des rues
sous l'arrêt de l'autobus
assis.
Pantalon lustré
de velours, silhouette
de hachures, veston
marine avalant
la carrure. Trop grandi
pour la vie.
A la pochette extérieure
gauche
quatre stylos bille,
droits.
Éditions Arcam - Paris
Je suis le silence
d'où vient le bruit. Je suis le ciel bleu par où passent les nuages. Je suis l'océan d'où sortent les vagues. Je suis la lumière d'où apparaissent les formes. Je suis l'amour qui embrasse la violence. Je suis le Vide d'où jaillit la Plénitude. Je vide l'eau du lac,
Fleur d'hibiscus
Se trouver c'est se perdre.
Marées de bougainvilliers
Invisible le souffle
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Ex-libris
Il n'est pas bon de pressurer l'âme,
pour voir s'il en sort de l'encre.
Le papier continue l'assassinat - ton assassinat
-
et peut-être est-ce mieux que l'ombre
et ses dagues
s'en aillent par d'anciennes voix déchaussées.
Par d'anciennes voix,
très loin du numéro et de ses
prisons, parmi les brumes
oubliées. Mais je pense également
qu'avec tout cela
tu pourras faire un de ces jours un petit
carnet;
qu'avec tout cela - des rouges, des brouillards
et des enfants
qui se disent adieu aux carrefours - tu pourras
peut-être
rassembler des fragments illisibles de journal
pour les raccommoder patiemment, le soir à
l'intérieur,
jusqu'à ce qu'ils forment un livre
maladroit composé de froid.
Et peut-être sur ses couvertures grises
de pluies
tu pourras toi aussi mettre mon ancien nom
et, juste en dessous, les dates sues
de ma naissance et de ma mort. Et alors
mon petit nom ici, mon nom - pauvre -
qu'on ne sait déjà plus s'il
fait pitié ou suscite la moquerie
ainsi gravé sur des couvertures
avant que tu puisses embrasser les silhouettes
évaporées
des tristes fantômes sentimentaux que
je ne suis pas
mais que les vieux papiers disent avec obstination
que je fus.
Extrait de "Hospital de inocentes" (1989) - Santiago Montobbio est un poète espagnol
Un autre poème de cet auteur est
ici
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Jérôme
Nicolle
La Terre est bleue comme une Chimay
Quand on la voit par le hublot, la Terre est comme un verre de bière, teintée d'un peu de curaçao, un verre mousseux de Chimay bleue dont on s'enivre de là-haut.
Les cheveux bruns, châtains ou blonds,
chacun y cherche un autre avion, un océan, un continent... ou des
rougeurs à l'horizon, comme ceux qui, accoudés au soir, cherchent
le ciel dans le houblon.
Vices et versets
...
Les jeux de mots sont-ils vilains? Pas plus
que ceux qu'on prête aux mains.
...
Éditions Signatura - Paris
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