Carnet  de  route  d'un  voyage  sur la route de la soie
juin-juillet 2006 (suite 5)
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13 ème jour: Labrang (l'aller) - (Les photos sont  ici ) 

Le lendemain matin, après mon petit déjeuner, comme je suis en avance, je vais faire un tour dans la rue. Devant l'entrée de l'Université, il n'y a pas affluence; il est encore trop tôt; mais quelques véhicules circulent déjà sur la chaussée. Une fois tout le monde prêt, nous partons pour le monastère de Labrang (Labulengsi en chinois); ce monastère se trouve dans la ville de Xiahe, en Amdo, une province du Tibet historique rattachée aujourd'hui en partie au Gansu; en 1724, la majeure partie de l'Amdo fut soustraite au Tibet pour former la province chinoise du Qinghai; je ne sais pas si Xiahe fut alors réunie au Gansu; contrairement à ce que pensent beaucoup d'Occidentaux, le démembrement du Tibet par la Chine commença bien longtemps avant l'arrivée de Mao Tsé Toung au pouvoir (chronologie historique du Tibet). Tous les membres du groupe attendent beaucoup de cette découverte de l'ancien Tibet; pour ma part, je connais déjà la Région Autonome du Tibet (RAT), mais je n'ai jamais mis les pieds en Amdo; la présence de Labrang au programme est l'un des motifs qui m'ont conduit à choisir ce voyage; ce monastère est en effet l'un des plus prestigieux de l'école des coiffes jaunes.  

A la sortie de Lanzhou, un cimetière chinois immense monte à l'assaut des collines; j'aimerais le photographier; malheureusement, les conditions ne s'y prêtent pas (reflet dans la vitre du bus); je tenterai ma chance au retour. Nous empruntons bientôt une route de montagne qui s'enfonce dans des gorges. La route monte et nous nous trouvons bientôt dans les montagnes. Des champs en terrasses cloisonnent les pentes, du fond de la vallée jusqu'au sommet; pas un pouce de terrain n'est perdu. Diverses cultures verdoient sur la terre ocre; c'est d'un assez joli effet. Nous stoppons pour observer un charmant petit village, blotti dans une cuvette; peut-être est-ce un de ces villages nestoriens promis par notre programme et que nous ne verrons pas, à mon grand regret; c'est peu probable tant ils sont rares; sans doute est-ce plutôt un village de musulmans chinois, les Hui, très nombreux dans la contrée. D'autres villages d'adobe se sont établis sur les pentes et même sur le plateau, au sommet des collines. Si la terre est cultivée à notre hauteur, plus bas, dans l'éloignement sinueux de la vallée, les montagnes n'offrent que des pentes ravinées dépourvues de végétation. Je remarquerai, tout au long de notre périple, qu'un versant, probablement le mieux arrosé, est presque toujours plus fertile et plus verdoyant que l'autre. 

Au fur et à mesure que nous montons, si l'économie générale du terrain varie peu, les champs deviennent de plus en plus verts. La traversée des villages musulmans est l'occasion de nous familiariser avec l'aspect de leurs habitants. Les hommes sont souvent coiffés de la calotte blanche déjà vue au Sinkiang, mais pas toujours; les femmes portent une sorte de fichu, mais ne sont jamais voilées; la couleur du fichu précise le statut de la personne; s'il est coloré, il s'agit d'une fille; s'il est noir, il s'agit d'une femme mariée; s'il est blanc, il s'agit d'une grand-mère; ce semblant de fichu est une pièce vestimentaire importante; il est conçu de telle sorte qu'il s'adapte à la tête, se ferme sous le menton et découvre le devant du visage. 
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Vers Labrang - Sur la route, une femme mariée hui
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Les Hui sont chinois avant d'être musulmans; bien que descendants des anciens marchands arabes de la Route de la Soie, ils ont acquis, au cours des siècles, par suite des mariages inter ethniques, des caractéristiques physiques asiatiques; l'arabe est leur langue religieuse et le chinois leur langue profane; leur médecine est une combinaison des médecines traditionnelles arabo-islamiques et chinoises; ils ont adapté l'islam à la civilisation chinoise, ne le pratiquent pas strictement et ne connaissent pas l'intégrisme, au moins selon les dires de notre guide. Les Hui sont considérés en Chine comme une ethnie particulière; cette classification, basée en priorité sur un critère religieux, constitue une curiosité politique. Ils sont un peu moins de 10 millions, éparpillés dans plusieurs régions (Ningxia, Gansu, Henan, Hebei, Qinghai, Shandong, Yunnan, Xinjiang, Anhui, Liaoning, Heilongjiang, Jilin, Shaanxi, Beijing, Tianjin); d'après notre guide, c'est au Gansu que l'on en rencontre le plus; mais, selon d'autres sources, ce serait au Ningxia. 

Comme ils vivent dans des endroits aux hivers relativement rigoureux, il ont adopté la méthode des moujiks russes qui dormaient sur leur fourneau. Mais, plus inventifs, ils ont transformé chacun de leurs lits en calorifère; ces derniers sont des parallélépipèdes de maçonnerie dont l'âme creuse s'ouvre sur l'extérieur; en hiver, on allume du feu dans cette espèce de four, pour chauffer la couche; mais si, par malheur, le brasier est trop ardent, la couche se transforme en grill! C'est pourquoi les Hui sont qualifiés de "fesses brûlées" par leurs concitoyens moqueurs. Ajoutons que certains d'entre eux cuisent aussi leur pain sur le lit où ils ont dormi, lequel sert ainsi à la fois de couche et de plaque chauffante. 

Nous visitons une demeure typique de cette population originale. Nous sommes accueillis avec bienveillance par plusieurs membres de la famille qui ne demandent pas mieux que de se laisser tirer le portrait. Les bâtiments sont distribués autour d'une cour plantée d'arbres; certaines pièces, creusées dans le loess d'un talus élevé, paraissent remplir l'office de granges et de greniers. Devant la cuisine sont entassées des briques de tourbe pour le chauffage; à l'intérieur, le fourneau est en maçonnerie; plusieurs foyers, en forme de cavités voûtées, sont percées dans sa façade; des récipients divers, noircis par la fumée, parmi lesquelles une bouilloire qui a perdu sa couleur d'origine, reposent sur le dessus du fourneau, dans lequel sont scellés de larges chaudrons métalliques, clos d'un couvercle; sur les murs, maculés de suie, sont accrochées des étagères, supportant des pots de faïence. On ne peut pas dire que cet aménagement rustique respire la richesse. La maison d'habitation est cependant assez coquette; un étroit perron court le long d'une façade où la brique et le bois se marient harmonieusement; le bâtiment est légèrement élevé par rapport au sol; on accède à l'entrée par une marche. Sous la fenêtre de la chambre, on remarque le foyer de l'alcôve; il a la même taille et la même forme que ceux du fourneau. 

Toute la maisonnée est correctement vêtue et, si elle n'est pas riche, au moins ne semble-t-elle pas être dans la misère. Personne d'ailleurs ne nous demandera rien. L'arrivée d'un ancêtre suscite de l'animation; coiffé d'un chapeau blanc, barbiche grise au menton, proprement habillé, il est plus vrai que nature; comme il est à peine plus âgé que moi, nous fraternisons; on nous demande de poser ensemble pour une photo souvenir; un obstacle surgit: je porte des lunettes de soleil et lui n'en a pas; il en réclame à tout prix, pour soutenir sa réputation; on lui en prête une paire, avec d'énormes verres, ronds comme des roues de bicyclettes, et il se soumet, un brin cabotin, aux formalités du vedettariat. 
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Vers Labrang: les ancêtres
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Avant de repartir, nous découvrons un petit âne, dans une grotte qui lui sert d'écurie. Pour sortir de la cour, nous franchissons un porche visiblement obtenu en creusant le sol. Je prends alors conscience du fait que la cour tout entière à été percée dans la pente de la colline, comme à Jiaohe. L'écurie de l'âne, et les grottes qui servent de dépendances, furent peut-être naguère des habitations, avant que la maison actuelle ne soit bâtie. Nous sommes certainement sur l'emplacement d'un ancien site troglodytique. 

La famille nous accompagne un bout de chemin et nous prenons congé du grand père. L'habitat rural que nous venons de visiter est typique, je l'ai dit. Mais pour encore combien de temps? Cette famille doit bientôt emménager dans une nouvelle résidence, plus spacieuse et où tout sera en dur, y compris les dépendances. Nous l'avons entrevue à notre arrivée. Plus rien n'y est creusé dans le sol. C'est le progrès, mais le pittoresque y perd! 

Un col franchi, nous apercevons, à la faveur d'un virage, la vallée verdoyante dans laquelle allons descendre par une route en lacets. Nous approchons de Linxia, une bourgade importante, sur les rives de la rivière Daxia, large mais peu profonde, au moins pour le moment. Cette ville, à mi chemin de Labrang, est l'endroit idéal pour déjeuner. Nous en profiterons pour jeter un coup d'oeil aux endroits intéressants qu'elle recèle. 

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Une carte du Gansu est ici
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Linxia, forte de ses deux millions d'habitants, s'appelait autrefois Hezhou; elle est le chef lieu du département autonome qui porte son nom. Essentiellement peuplée de Hui, on y rencontre aussi des Dongxiang et des Baoan, deux ethnies d'origine turco-mongole. La ville, parfois qualifiée de petite Mecque, contient une bonne trentaine de mosquées et d'autres sont encore en construction; c'est dire que l'islam semble bien se porter dans cette région qui comporterait un millier de mosquées. La rue principale est bordée de maisons blanches, couvertes de tuiles grises; les porches sont décorés de tableaux en fer ciselé; les murs sont incrustés de faïence; la plupart des maisons n'ont qu'un étage; des versets du coran décorent les linteaux des portes. Des hommes, coiffés de la toque blanche, et des femmes portant un fichu noir, blanc ou coloré, vaquent à leurs occupations; des personnes âgées discutent ou jouent aux échecs sur le pas de leur porte. Les Baoan, vêtus de leur costume d'apparat, portent une ceinture rouge et un sabre gravé, confectionné dans le respect des règles traditionnelles. Linxia est connue pour sa sculpture en briques, créée au 10ème siècle, sous les Song; on s'y délecte d'une spécialité culinaire à base de mouton, qui se mange avec les doigts; on y achète des articles d'artisanat, de la porcelaine, de la peinture à la feuille d'or, des peignes en corne de bovidés et de la broderie fine. La cité est le centre d'une oasis où l'on pratique à bras la culture maraîchère. 

Dans une ville où les mosquées pullulent, la visite de la plus importante s'impose évidemment. Mais auparavant, un passage par l'hôtel, où nous prendrons notre repas, offre une pause toilettes à ceux qui le souhaitent. Dans la cour de cet hôtel, je remarque les fleurs roses d'un arbre commun en France où elles sont blanches: un acacia. 
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Le tableau du mur du temple
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La mosquée ressemble d'avantage à un temple bouddhiste qu'à un lieu du culte musulman. Les toits aux bords relevés, aux tuiles vernissées, les murs en panneaux de bois verni ouvragés, les portes rondes, les murs blancs ornés de frises sculptées, les tours et les portiques en forme de pagodes, les brûle-parfums de bronze au milieu des cours, tout nous confirme que nous sommes bien dans l'ancien empire du milieu, parmi les fils du ciel. N'étaient cette stèle de pierre gravées de signes arabes et l'endroit sombre où un fidèle adresse une oraison à son Dieu, face à la Mecque, genoux et front touchant le sol recouvert de tapis, n'était le mur gris sur lequel est inscrit, en relief doré, un verset du coran, juste derrière la salle de prières, on ne se croirait pas dans une mosquée. A l'arrière de ce vaste ensemble de bâtiments de facture chinoise, sur une terrasse recouverte, se trouve le cimetière des imams; les caveaux, des cercueils de pierre reposant sur des socles, sont recouverts de draps rouges décorés de motifs floraux identiques; les bords des draps s'effilochent en franges multicolores; toutes les tombes sont orientées dans le même sens. Une famille de fidèles rend ses devoirs à quelque imam vénéré; bien que nous soyons relativement discrets, notre présence finit par indisposer le père; il demande à notre guide s'il est bien sûr que nous nous sommes lavés les pieds, avant d'entrer dans le sanctuaire; comprenant que notre présence impie n'est plus qu'à peine tolérée, nous vidons les lieux sans insister. A côté de la mosquée, se trouve une madrasa, c'est-à-dire une école coranique où l'on forme des imams. J'apprendrai plus tard que ces écoles sont fréquentées par des garçons mais également en Chine par de nombreuses filles. Elles seraient même majoritaires dans celle de Dongda. Les élèves y apprennent l'arabe pour pouvoir lire le Coran dans le texte. 

A la sortie, j'observe qu'un temple bouddhiste est le voisin immédiat de la mosquée; son mur s'orne d'une peinture représentant une ravissante jeune femme; accompagnée d'un tigre couché à ses pieds, elle semble se parer de fleurs. Par dessus les toits, une pagode noire, d'une dizaine d'étages, se projette sur le bleu du ciel, en haut d'une colline. Oecuménique Linxia? Pas davantage que bien d'autres cités chinoises. Si l'architecture de la mosquée que nous venons de visiter est typiquement Han, il n'en va pas de même pour toutes les mosquées de Linxia. Voici la description d'un autre lieu du culte musulman qui se trouvera fortuitement sur notre passage, au coeur de la ville: deux hauts minarets blancs, à fenêtres ogivales bordées de vert, terminés par des dômes eux aussi verts, que prolonge une flèche surmontée d'une lune, la flèche enfilant une brochette de boules de plus en plus petites; des murs blancs percés d'ouvertures de même forme que celles des minarets, une coupole verte surmontée de sa flèche, avec sa lune et ses boules rappelant celles des minarets, en plus conséquent. D'autres mosquées offrent au regard un mélange de styles. Quoi qu'il en soit, les mosquées de Linxia ne sont pas de mêmes types que celles du Sinkiang; l'architecture de ces dernières était plus proches des formes du Moyen Orient et de l'Asie Centrale. On pourrait gloser longuement sur la transition des styles au long de la Route de la Soie; celle-ci n'est pas aussi brutale qu'il y paraît; au Gansu plusieurs influences conjuguées aboutissent à des constructions hybrides, partiellement pagodes, mosquées et même églises orthodoxes, que l'on rencontre dans beaucoup de villages. 
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Linxia: une mosquée en construction ou en rénovation
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Au cours du repas, j'apprends, de la bouche de notre guide, que Linxia fut la capitale du seigneur de la guerre Ma Bufeng. Ce personnage terrorisa et accabla d'impositions les populations de l'Amdo, des années trente jusqu'à 1950; il exigea même que les Tibétains lui paient une forte rançon pour autoriser le jeune 14ème Dalaï lama, natif de la région sous sa domination, à se rendre à Lhassa; après la victoire de Mao Tsé Toung, sous la pression conjuguée des troupes communistes et des guerriers du royaume de Nangchen, alliés pour se débarrasser de lui, il s'enfuit avec son harem et le produit de ses rapines, non pas à Taiwan, comme le prétend notre guide, mais au Caire, d'après ce que je sais; réfugié dans la capitale égyptienne, il se la coula douce jusqu'à sa mort. 

Nous reprenons la route dans une vallée verdoyante. De temps à autre, à proximité d'un village, nous apercevons une petite mosquée mélange des genres, avec son minaret, sa pagode et son dôme; le grand nombre d'édifices religieux neufs ou en construction confirme la vitalité de l'islam chinois.  

Nous atteignons enfin la frontière du Tibet historique; celle-ci est marquée par la présence d'un chorten blanc, sur une colline, et celle d'un portique doré, orné de la roue du dharma, encadrée de ses deux gazelles, posé comme un pont au-dessus de la chaussée. Notre guide nous fait remarquer un amas de terre qui barre la vallée, en contrebas de la route; c'est tout ce qui reste des fortifications qui protégeaient autrefois les régions musulmanes contre les incursions tibétaines; une Grande Muraille en miniature, en quelque sorte; les Tibétains étaient très redoutés de leurs voisins et ceci à juste titre, car ils étaient de farouches guerriers; dans la vallée paisible où nous nous trouvons, à côté de ce mur effondré, de rudes batailles durent opposer naguère partisans de l'islam et adeptes du lamaïsme. Au delà de l'éboulis de la muraille défaite par les ans, les sveltes minarets d'une mosquée et son dôme d'argent, imitation d'une coupole russe, semblent nous adresser les adieux du monde musulman. Sans quitter le Gansu, nous entrons au Tibet! 

La vallée où nous nous trouvons est relativement large; le fond en est occupé par une petite plaine découpée en champs irréguliers, parfaitement cultivés, où se déclinent toutes les nuances du vert; les pentes sont recouvertes de végétation jusqu'en haut des montagnes; il s'en dégage une impression de fraîcheur et de bien être. Notre prochaine halte s'effectue auprès d'un second chorten, plus imposant que le premier; sa base est blanche et ses différents étages sont ornés de dessins colorés où dominent le bleu, le jaune et le blanc; l'environnement est toujours aussi boisé et verdoyant; à proximité, un centre de loisirs attire les touristes qui peuvent y admirer une yourte. 
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En Amdo: champs cultivés au bord de la route
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Au fur et à mesure que nous pénétrons en Amdo, je me rends compte que le paysage n'est pas aussi désolé que celui que j'ai vu lors de mon précédent voyage dans la Région Autonome du Tibet (RAT), deux ans plus tôt. Certes, quelques pentes sont plus sèches que les autres, mais la végétation en est rarement absente; la plupart sont boisées et les vallées, comme d'ailleurs dans la RAT, sont cultivées. Une autre de mes surprises tient à l'architecture des maisons; dans les villages que nous apercevons de la route, à part de rares exceptions, aucune ne ressemble aux demeures tibétaines; toutes sont de style chinois; un détail significatif attire mon attention: de chaque côté des portes, au bas du chambranle, sont peints des lions chinois de couleurs vives; ces décorations ont-elles pour but d'indiquer l'appartenance à l'ethnie Han des gens qui les habitent ou sont-elles les manifestations d'allégeance de Tibétains soumis? Je m'informe auprès de notre guide: les gens qui vivent ici sont bien des Han ou des Hui, les Tibétains n'orneraient pas leurs habitations de lions chinois. Compte tenu de la répétition du symbole, j'en déduis que le peuplement tibétain est devenu aujourd'hui largement minoritaire, dans la partie de l'Amdo que nous traversons, et que les Chinois qui vivent là tiennent à le faire savoir. 

Nous nous arrêtons pour admirer de loin un monastère tibétain de taille modeste, bâti au flanc de la montagne, de l'autre côté des cultures de la vallée; son toit doré, ses draperies noires brodées de blanc, nous rappellent que nous sommes en territoire tibétain, en dépit de l'apparence des villages; sans la présence de cet édifice religieux, j'avoue que je me serais senti bien loin du légendaire royaume des neiges. 

Arrivés à Xiahe, en fin de journée, nous nous rendons directement au monastère de Labrang, pour le visiter avant la fermeture. Ce monastère est situé dans un cadre grandiose, au nord ouest du comté de Xiahe, sur le territoire de la Préfecture Autonome Tibétaine du Gannan; il est environné de montagnes escarpées, dont le mont du Phénix, et une rivière coule devant lui: la Daxia. C'est, en importance, le sixième monastère de l'école des coiffes jaunes, à laquelle appartient le Dalaï lama. Il fut fondé en 1709, par Jamyang-zhaypa, qui avait notamment étudié à Drepung, à la demande du roi mongol du Kokonor; depuis lors, il est dirigé par les réincarnations successives de son fondateur.  

Le monastère comporte 90 salles qui s'étendent sur 866000 m2; sa surface bâtie recouvre 400000 m2; on y trouve 48 salles contenant des statues de Bouddha en or, argent, bronze, jade et autres pierres, bois précieux ou argile; une stèle y porte gravé, en chinois, tibétain, manchou et mongol, un texte de l'empereur Jiaqing (1760-1820); les luxueux chorten où reposent les dépouilles mortelles des dignitaires religieux ayant dirigé le monastère y sont abrités; Trois mille moines se trouveraient à l'aise dans ce vaste complexe qui n'en compterait plus actuellement que la moitié.  

Centre religieux, le monastère de Labrang est également une université; il compte 6 académies, dont celles de la méditation et de la médecine; on y enseigne les doctrines exotériques et ésotériques, la philosophie, la logique, la médecine, la géographie, l'histoire, l'astronomie, le calcul du calendrier, la littérature, les arts... La mémorisation des textes joue un rôle essentiel; aucun examen écrit ne sanctionne les études; celles-ci s'étalent sur de nombreuses années; leur durée varie en fonction des aptitudes et de l'assiduité des élèves; le contrôle des connaissances s'effectue au moyen de discussions, de débats et de joutes verbales. De nombreux savants, des artistes réputés, des professeurs émérites, des conseillers de plusieurs empereurs, dalaï lamas et panchem lamas, sont sortis de ce haut lieu du savoir qui apporte une contribution essentielle à la préservation et à la propagation de la culture tibétaine. La bibliothèque du monastère contient la collection de livres la plus riche du pays; elle offre la documentation la plus abondante sur les différents aspects de la société tibétaine (économie, histoire, architecture, politique...). Une imprimerie traditionnelle continue d'y reproduire les textes sacrés et profanes. L'académie de la méditation constitue l'ensemble le plus imposant; une roue du dharma la couronne, encadrée par un cerf et une biche; les bâtiments combinent harmonieusement le style han et le style tibétain. 
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Masques de danse tibétains (source: vidéo)
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Plusieurs fois par an des assemblées se tiennent à Labrang. La plus notable est celle du Monlam, le nouvel an tibétain, qui dure plusieurs jours. Chaque village y délègue son représentant, richement vêtu, afin de mettre en valeur la prospérité de sa communauté. Plusieurs cérémonies s'y déroulent. Le relâchement des animaux vivants est l'une des plus significatives; elle symbolise la miséricorde du Bouddha; les animaux élargis, désormais bétail des dieux, sont sacrés et nul ne peut plus leur ravir la liberté. Une autre cérémonie importante consiste à déployer le grand tanka de cérémonie; cette  pièce de tissu monumentale mesure 35 m sur 118 m*; elle est en soie multicolore; le portrait qui y figure est confectionné au moyen de pièces d'étoffes rapportées; chaque année l'image change; les visages de Sakyamuni, d'Amitabha et de Tsongkapa, fondateur de l'école des coiffes jaunes, sont exposés tour à tour; en milieu de journée, des voiles sont lentement écartés et soulevés pour qu'apparaisse progressivement la face vénérée devant la multitude des fidèles. La spectaculaire danse des masques constitue une performance athlétique en même temps qu'un exercice religieux hautement symbolique; les moines danseurs, lourdement vêtus, portent un masque d'argile pesant de 15 à 20 kilos; dans ce pesant accoûtrement, symbolisant les métamorphoses du roi des enfers, ils exécutent les figures du cérémonial pendant trois à quatre heures, en agitant un pilon supposé chasser les démons; à la fin, on brûle la farine d'orge du sacrifice, pour signifier que les forces du mal ont été vaincues. L'assemblée se termine par la procession de Maitreya, le bouddha de l'avenir. Pendant ces festivités, Xiahe, qui ne compte pas plus de 10000 habitants, en temps normal, voit sa population doubler par l'affluence des pèlerins.  

* 24 m sur 54 m selon d'autres sources! 

Notre guide nous invite à nous promener à l'extérieur, autour du bâtiment, pendant qu'il part à la recherche du moine qui nous fera visiter quelques chapelles. Le premier bâtiment qui se dresse devant nous doit appartenir à l'académie de la méditation*; il est surmonté d'une pagode à tuiles vertes vernissées, typiquement chinoise; mais sa lourde façade rectangulaire est bien de style tibétain. Nous tournons autour des bâtiments; des moutons, et peut-être aussi des chèvres laineuses, en tous cas des animaux au pied sûr, qui ne craignent pas le vertige, paissent à flanc de montagne, derrière le monastère; leur toison ponctue de touches blanches la sombre verdeur de la pente. Les constructions s'étagent selon un plan que l'on retrouve dans tous les monastère; leurs murs sont peints de blanc et de rouge; les toits en terrasse s'agrémentent parfois d'une pagode ou d'une couverture dorée; un long mat droit sommé d'un parasol, pour lors fermé, se dresse fièrement au milieu d'une vaste place; un grand chorten blanc se montre au bout d'une allée; à droite, au-dessus des toits, à flanc de collines, je crois apercevoir des maisonnettes blanches, à peine plus grandes que des ruches vues d'ici: il s'agit sans doute d'un ermitage; quelques bâtiments sont en cours de construction ou de rénovation; le monastère continue de se relever des destructions causées par la révolution culturelle qui, selon certaines sources, n'aurait laissés debout que 12 temples sur les 80 du 18ème siècle. Tout cela m'est familier et me rappelle ce que j'ai vu, deux ans plus tôt, à Lhassa, Gyantse et Shigatse. 

* D'après un ouvrage ramené l'année suivante de Xiahe, il s'agirait en fait du collège Meyjung Thösamling. 

Le moine qui dirige nos pas nous invite à pénétrer dans une chapelle; ici, on n'achète pas le droit de photographier, comme dans les monastères de la RAT (Région Autonome du Tibet): tout cliché est interdit, il en va de même dans les monastère bouddhistes chinois; l'atmosphère est sombre; on distingue à peine les piliers carrés enrobés de tissus colorés, les tankas qui pendent du plafond, les statues faiblement éclairées, par les fumeuses lampes à beurre qui brûlent devant elle; je remarque quelques billets déposés comme offrandes, mais rien de comparable à la débauche d'argent, traînant jusqu'à terre sous les pieds des visiteurs, qui m'a passablement choqué, lors de mon précédent voyage. La visite s'effectue au pas de charge et les quelques explications données par notre guide (le moine tibétain est muet comme une carpe), sont sommaires et me paraissent quelquefois plus qu'approximatives; c'est ainsi que ses commentaires d'une représentation de la roue de l'existence (samsara) l'amène à comparer le nirvana à notre paradis, ce qui n'a aucun rapport, et à introduire un enfer chrétien inconnu de la doctrine bouddhiste, où la notion de punition éternelle n'existe pas. 
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Labrang - Statues de beurre: Songtsen Gampo vieux
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Nous passons dans une salle parfaitement éclairée, où il est permis de photographier gratuitement. C'est celle ou l'on entrepose les statues de beurre. J'ai déjà vu des fleurs de beurre, mais jamais de statues; j'en profite. Fleurs et statues sont fabriquées à la main avec du beurre de yack; le sculpteur doit plonger sans arrêt ses mains dans l'eau glacée afin que les doigts ne collent pas au beurre; c'est un travail minutieux, certainement gratifiant, mais pénible. De nombreux personnages du bouddhisme tibétain sont représentés; je reconnais Tsongkapa et, avec l'aide du guide, j'identifie Songtsen Gampo, le fondateur de l'empire; c'est lui qui introduisit pour la première fois le bouddhisme au Tibet, ou plutôt ce sont ses épouses chinoises et népalaises; il est représenté jeune et imberbe, puis vieux et moustachu; un cavalier muni d'une lance me fait penser à Saint Georges ou à Saint Michel; ce n'est ni l'un ni l'autre, mais je comprends mieux comment les missionnaires catholiques ont pu se laisser abuser, au point de croire que le lamaïsme était un christianisme dégénéré. Toutes les statues sont artistement travaillées et joliment colorées; elles font penser à des miniatures ou à des enluminures. Je demande au guide si le fondateur de l'opéra tibétain, dont le nom m'échappe, ne figure pas au milieu d'elles; hélas, notre cicérone ignore qu'il existe un opéra tibétain. 

La visite terminée me laisse perplexe; elle a été beaucoup trop rapide et trop médiocrement commentée; la majeure partie du monastère nous a échappé; nous n'avons pas vu l'imprimerie, une curiosité dont je rêvais. Mais les prédictions apocalyptiques de notre guide de Kashgar ne se sont pas vérifiées: la route jusqu'à Xiahe était convenable et le supérieur de Labrang ne nous a pas claqué la porte au nez. 

Temps libre pour flâner sur les trottoirs de la longue rue commerçante, de part et d'autre de laquelle s'étire la ville. Je me déleste du carton contenant la saucisse chinoise que je traîne depuis Dunhuang: j'en fais cadeau à une vieille femme qui fait la manche; immédiatement des jalouses accourent. Au bout d'une ruelle transversale, entre les dernières maisons et la montagne, s'étend une assez vaste plaine où poussent des plantes à fleurs jaunes, qui me font penser à du colza, parmi d'autres parcelles encore vertes; un Tibétain y arrose tranquillement les cultures en soulageant sa vessie. Aux bords des champs, en direction du monastère, un interminable alignement de moulins à prière, tel que je n'en ai encore jamais vu, couvert d'un toit soutenu par des piliers, court le long d'une voie pavée.   

L'atmosphère de la rue commerçante est tibétaine, mais avec des signes manifestes d'influences chinoises; les musulmans ne sont pas absents, on les reconnaît à leur toque blanche. En compagnie du couple avec qui je me promène habituellement, j'achète une poignée de chevaux du vent, carrés de papier sur lesquels sont écrits des mantras, que l'on jette en l'air, en manière d'oraison; le paquet coûte dix yuans, je n'en ai que huit; la vendeuse me fait crédit. Une jeune femme vêtue du costume traditionnel, avec le tablier à bandes colorées, façon cotes de boeuf, attire mon attention: grande et bien faite, son visage est avenant; elle a fière allure. Une fois de plus, je remarque la parenté vestimentaire qui rapproche les peuples des hauts plateaux; ici, comme dans les Andes, couleurs vives et chapeaux ronds! La ressemblance n'est pas fortuite puisqu'il est généralement admis que les indiens d'Amérique sont partis de Mongolie, pour gagner leur nouvelle patrie via la Sibérie, le détroit de Béring et l'Alaska. J'acquiers un bol musical, chez un couple de Tibétains dont le fils porte au cou le foulard rouge des pionniers; très aimablement, ils m'offrent en cadeau un bracelet de pacotille. 
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Xiahe: un cheval du vent
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Je termine ma promenade en me procurant un DVD multilingue consacré à Labrang. J'en profite pour apprendre deux ou trois expressions françaises à la vendeuse; elle savait déjà dire bonjour et au revoir, mais ignorait encore bonsoir, avant mon passage. Devant le magasin, un moine joue aux échecs avec une autre personne. Les moines sont nombreux dans les rues; ils ne s'y livrent pas uniquement à la méditation. 

Nous allons maintenant à l'hôtel, nous nous y installons puis nous dînons, dans une grande salle où nous sommes seuls. Au menu: des momos de moutons, une sorte de raviolis qui est loin d'emporter nos suffrages. Le patron vient nous voir; il est coiffé d'un chapeau mou, qui le fait ressembler à un mafiosi chinois; mes camarades trouvent ce détail vestimentaire insolite; pour ma part, comme j'ai déjà pu apprécier les fantaisies vestimentaires tibétaines, je ne suis pas surpris. Le maître des lieux nous demande si nous souhaitons des légumes. Il ajoute qu'il savait d'avance que nous laisserions les raviolis au mouton: aucun touriste ne les mange; aussi a-t-il précautionneusement préparé autre chose; pourquoi nous a-t-il servi tout de même cette spécialité culinaire régionale que les étrangers rejettent? Parce que l'agence de voyage le lui impose! Les légumes calment notre faim. Nouvelle déception: ce dîner devait nous initier aux spécialités du cru; c'est un fiasco; il y a deux ans, à Lhassa, on nous avait régalé d'un repas tibétain mangeable, accompagné d'un spectacle, avec momos et sauté de yack; mais il est vrai que c'était dans la capitale. 

Après le repas, nous nous approchons du bar, où des bouteilles de cognac nous font de l'oeil. Mais, pas plus là qu'ailleurs, on ne sert au verre; j'achète une bouteille d'eau minérale pour la nuit; c'est alors que l'intervention du patron au chapeau mou nous sauve la mise; il n'est pas possible de servir du cognac au verre, mais il existe un produit de substitution; il sort de sous le comptoir un récipient de plastique, assez semblable à ceux qui contiennent chez nous les produits d'entretien, pose des verres sur le comptoir et y verse un alcool blanc; cet alcool n'a pas le goût du cognac, mais ressemble un peu à la vodka; c'est probablement de l'eau de vie d'orge, obtenue par la distillation de la bière tibétaine; comme nous lui demandons la note, il nous fait comprendre que ce tord-boyau local ne se fait pas payer à des étrangers! Ce cadeau de la direction n'est certes pas l'affaire du siècle, mais c'est tout de même une gentillesse; ailleurs, on ne nous à rien proposé.  
 

14 ème jour: Labrang (le retour)  - (Les photos sont  ici ) 
 
Levé de bonne heure, le matin suivant, je me promène devant l'hôtel, pour jouir de l'aurore qui jaunit les pentes. La pureté de l'air permet d'apercevoir le moindre détail et favorise la photographie. L'établissement où nous avons passé la nuit est à l'écart de la ville, sur une prairie où sont plantées quelques yourtes et des bâtiments qui lui servent d'annexes; des chaises sous un dais; un foyer couvert avec sa cheminée rouillée; un brûleur à offrandes, dont la forme rappelle vaguement celle d'un chorten, avec un sac poubelle vert empli de je ne sais quoi, dans la cavité de son piédestal de briques; une tente blanche décorée de motifs bleus, comme on en voit en territoire nomade; une autre plus spacieuse, largement ouverte sur un mobilier de bois; un kiosque recouvert de tôles; tous ces éléments sont dispersés sur le gazon, pour l'agrément des clients.  

Des employés s'affairent; le petit déjeuner est servi dans la salle à manger où nous avons dîné la veille; deux tableaux ornent les murs: celui d'un sage à barbe blanche entouré d'animaux, un Saint François bouddhiste; celui du groupe d'animaux symbole de l'entraide que j'ai déjà vu à Gyantse: une biche immaculée, portée par un singe brun, monté lui-même sur un éléphant blanc, au milieu d'un paysage de légendes. 
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Xiahe: l'allégorie de l'hôtel
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Nous partons poursuivre notre visite de Xiahe et de Labrang. Nous nous arrêtons devant le mur oblique destiné à recevoir le grand tanka de cérémonie; un troupeau broute tranquillement à proximité; mes compagnons pensent qu'ils s'agit de yaks; je les détrompe, ce sont des dzo (dzomo au féminin), un hybride de vaches et de yacks; pour ce qui est de ces derniers, nous n'en verrons point. Nous grimpons sur la colline, au-dessus du mur, pour bénéficier du point de vue sur la ville et sur le monastère; le panorama est superbe: la ville, qu'entoure une boucle de la rivière Daxia, paraît plus grande que je ne le supposais; elle s'étage au loin, sur la gauche, autour de la montagne, dont elle gravit le début de la pente; devant elle, sur la plaine de l'autre rive, des cultures alternent leurs nuances de vert et de jaune; le monastère occupe une grande partie de la droite de la cité; ses hauts bâtiments rouges à toits dorés brillent sous les rayons du soleil matinal. Des fleurs bleues, probablement de la famille des iris, poussent en liberté sur le gazon que nous foulons. Parvenu au point culminant de mon ascension, je disperse en l'air mes chevaux du vent; une fois de plus, les dieux ont triomphé, les démons sont vaincus. La descente est plus périlleuse que la montée; n'importe, tout le monde arrive à bon port. 

Nous nous dirigeons vers la longue théorie des moulins à prières. Ils sont en bois, détail que je m'avais pas remarqué la veille; ce bois est peint de rouge vif; des illustrations à dominante bleu clair sont dessinées sur le fond rouge, elles ne sont pas identiques, mais elles semblent correspondre à un modèle commun. Un moulin plus grand est installé à l'intérieur d'une petite pièce sombre; je lui fais faire trois ou quatre tours. Des pèlerins passent le long de la galerie couverte en poussant de la main la multitude des moulins plus petits; d'autres entrent dans la caverne au moulin géant; agiter un moulin à prières, ou jeter des chevaux du vent, vaut le prononcé des mantras. Des moines, une trompe en bandoulière, pénètrent à l'intérieur du monastère, se dirigeant vers la salle de prières; dans une cour, des pèlerins font brûler leurs offrandes, sur un bûcher de maçonnerie. Un cochon noir se promène en liberté, sur le pavé caillouteux d'une rue, en quête de détritus comestibles; en 1904, lors de l'invasion de Lhassa par les Britanniques, ceux-ci en virent se vautrer dans la fange des rues de la capitale, du moins c'est ce qu'ils racontent. Des bicyclettes noires, d'un âge qui paraît canonique, sont appuyées contre les murs. Une camionnette lilliputienne, tractée par une moto, stationne au bord d'un trottoir de terre battue. Des étalages sont déjà actifs; on y vend principalement des offrandes. Au bout d'une rue, apparaît un majestueux chorten qui paraît presque neuf; il l'est effectivement; détruit par les gardes rouges, au moment de la révolution culturelle, il a été reconstruit depuis; cette précision fournie par notre guide m'amène à lui demander s'il y a eu des gardes rouges tibétains; il me répond qu'aucun Tibétain ne fut jamais garde rouge; cette réponse n'est conforme ni à mes lectures, ni aux informations que nous donna, voici deux ans, notre guide tibétain; elle ne me satisfait qu'à demi: il y a belle lurette que je ne crois plus à l'unanimité populaire; mais ces renseignements contradictoires montrent, une fois de plus, combien il est difficile de se forger une opinion objective au sujet du Tibet. 

Le programme prévoyait une excursion vers la vallée de Sangke, à une quinzaine de kilomètres de Xiahe, auprès d'un petit lac situé dans un paysage typiquement tibétain, où des yaks paissent de vastes prairies herbeuses et sur un territoire dont les habitants sont vêtus de costumes traditionnels; pour une raison que j'ignore, nous n'irons pas. Notre rapide crochet par l'ancien Tibet ne peut donner, à ceux qui ne le connaissaient pas, qu'une image partielle et déformée de l'attachant royaume des neiges; c'est dommage. Nous prenons la route de Lanzhou. 
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Retour à Lanzhou: un village hui dans une vallée
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Sur le chemin du retour, nous revoyons les paysages découverts lors de l'aller, mais sous un autre angle; je découvre de nombreux monastères tibétains que je n'avais pas remarqués. Malgré l'évidente sinisation de la région, le bouddhisme tibétain paraît donc toujours vivace. Les pentes me semblent curieusement plus sèches qu'à l'aller, au moins par endroit. Dans les plaines, les villages Hui sont entourés de champs de céréales ou de plantes potagères parfaitement entretenus; les minarets des mosquées se dressent au milieu des maisons comme chez nous les clochers; une pagode, surmontée de la flèche ornée de boules terminée par un croissant, montre que les Chinois du lieu ont su concilier leur foi avec l'architecture de leur nation. Ici, de nombreuses briqueteries nous rappellent que nous traversons une région où l'industrie de la terre cuite est développée depuis une époque très reculée. Ailleurs, les cultures en terrasses, montent à l'assaut des pentes.  

Nous nous arrêtons devant une entrée creusée dans le talus de loess qui borde la route; un long couloir, où sont entreposés des instruments agricoles rudimentaires, nous conduit jusqu'à une cour intérieure arborée; autour de la cour, l'agencement des bâtiments rappelle celui de la demeure visitée à l'aller; il y a là aussi des grottes creusées et une maison bâtie. L'intérieur est propret; sur les murs, pas de portraits de Mao et des autres dirigeants chinois, comme au Tibet; ici, ce sont plutôt des tableaux fleuris, des images religieuses ou des versets du coran; un poste de radio repose sur une étagère. L'accueil est toujours aussi bienveillant; la gent féminine prédomine; aucune des quatre femmes ne porte de foulard islamique; l'une est tête nue et les trois autres sont coiffées de la calotte masculine immaculée; elles sont en pantalons et leurs vestes colorées s'ornent de dessins; des deux hommes, un seul porte la chéchia blanche; les traditions se perdent. Dans une cage en bois suspendue à un arbre, un drôle d'oiseau est prisonnier; il ressemble à une grosse perdrix rouge; c'est un faisan chinois, au dire de notre guide. 

Nous traversons une région désolée, aux hautes buttes quasiment imberbes, à la terre rougeâtre. Puis c'est une nouvelle vallée peuplée. Arrêt auprès de l'échoppe d'un paysan qui vend sa production de pastèques; notre guide achète un de ces fruits de la soif, selon les termes de Pablo Neruda, et découpe à la machette, sur une table recouverte d'une toile cirée rouge, les tranches qu'il nous distribue; rien ne vaut l'eau sucrée de ce fruit pour se désaltérer. Les murs de l'abri sont faits d'un entrelacs de feuillages qui font penser à des plants de maïs secs; le toit est imperméabilisé par une toile de plastique; un lit figure dans un coin; un vieux vélo est appuyé contre une cloison; notre agriculteur commerçant campera sous ce toit de fortune, jour et nuit, jusqu'à épuisement de sa récolte. 
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Lanzhou: le cimetière chinois sur la colline
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A l'approche de Lanzhou, malgré l'heure tardive, je photographie l'immense cimetière chinois sur la colline. En nous rendant au repas du soir, je remarque, devant un restaurant coréen, trois charmantes hôtesse vêtues de soie, de la tête aux pieds; l'une d'entre elles, qui est au bas de l'escalier, est démesurément grande; j'imagine que sa longue robe rose traînant sur le trottoir cache des échasses; amusante manière d'attirer l'attention du client pour l'amener à emprunter le tapis rouge qui mène au restaurant. Notre menu est identique à celui de l'autre jour: raviolis et melon; nous ne sommes pas déçus. Pour la première fois, nous ne nous entendons pas sur le pourboire du guide; chacun donnera ce qu'il voudra. 

Le plafond de la gare de Lanzhou, où nous prenons le train pour Xi'an, est décoré d'une fresque où de gracieuses apsaras voltigent dans les airs, autour d'un motif floral. Cette station ferroviaire paraît neuve; les salles sont propres et les fauteuils très confortables. Cette fois, j'ai la chance de voyager en compagnie du couple avec lequel je me suis lié; un jeune chinois complète notre quatuor; il parle anglais et nous échangeons quelques mots; natif de Pékin, il réside à Xi'an, où il a trouvé un emploi. La nuit se passe dans l'ombre et sans problème; le train est bien suspendu, la couche moelleuse, je dors jusqu'au petit matin. Lorsque je m'éveille, il est à peine jour, mais déjà, dans les champs qui bordent la voie, des travailleurs s'affairent. 
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Lanzhou: les apsaras du plafond de la gare

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