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11 ème
jour (5 octobre): Palmyre (les photos sont
ici)
L'antique Tadmor, Palmyre, a vu le jour il y a très longtemps. La Bible impute sa création au roi Salomon. Elle est située entre Damas et l'Euphrate, à peu près à mi-distance de la ville et du fleuve (plus ou moins 200 km) (voir la carte de Syrie ici), dans une oasis qui doit son existence à des sources d'eau souterraines, et qui est aussi un point de passage des routes caravanières entre la Méditerranée et la Mésopotamie. La présence de la cité est attestée dès le 2ème millénaire avant notre ère. Elle est mentionnée dans un contrat assyrien trouvé à Kultépé en Cappadoce, dans deux tablettes cunéiformes de Mari, au 18ème siècle avant notre ère, et dans une tablette d'Emar (Meskéné), au 13ème siècle avant notre ère; sous le nom de Tamar du pays d'Amurru, elle figure dans les annales de Teglath-Phalazar 1er, un roi assyrien (- 1115 à -1077), au début du 11ème siècle avant notre ère. L'étymologie du nom antique, toujours utilisé en arabe, Tadmor, est incertaine. La population fut tour à tour amorrite, araméenne puis arabe. Le palmyrénien est un dialecte araméen qui s'écrit selon une graphie qui rappelle celle de l'arabe. Au début de la période hellénistique, la ville est nommée dans le "Livre des Chroniques" où il est dit, comme on vient de le rappeler plus haut, que Salomon fonda Tadmor dans le désert; cependant, il pourrait s'agir plutôt de Tamar, près de la Mer morte, dont parle le "Livre des Rois". Les Séleucides y auraient créé une zone fiscale concernant les marchandises en provenance d'Iran ou du Golfe; cette zone aurait survécu pendant deux siècles et demi. En -64, Pompée annexe la Syrie. En -41,
Antoine envoie ses légions piller Palmyre dont les habitants commercent
aussi bien avec les Parthes qu'avec les Romains; mais les soldats romains
trouvent une ville déserte. Sous le règne d'Auguste, au début
de notre ère, les ingérences romaines se font plus pressantes.
Tibère (14-37) annexe la cité. Celle-ci est alors dirigée
par une assemblée et un sénat, mais la réalité
du pouvoir est exercée par le représentant du légat
de la province de Syrie, lequel réside à Antioche. En 106,
la chute de Pétra, met fin à l'hégémonie commerciale
nabatéenne; Palmyre profite largement de cette opportunité.
Les caravanes mésopotamiennes en direction de la Méditerranée
et de Rome, dont les marchandises voient leur valeur multiplier par cent
à leur arrivée dans la capitale de l'empire, font halte dans
l'oasis. La ville se trouve sur la Route
de la Soie. C'est l'âge d'or de la cité, celui de ses
constructions monumentales. En 129, Hadrien, au cours d'un de ses voyages,
accorde à Palmyre le statut de "ville libre". Sous l'empereur Marc
Aurèle (161-180), les guerres avec les Parthes entraînent
un certain déclin. Sous les Sévères (193-235), l'économie
connaît un nouvel essor stimulé par l'orientalisation de Rome
(l'épouse de Septime Sévère est la fille d'un grand
prêtre d'Emèse). En 212, Caracalla accorde la citoyenneté
romaine aux sujets libres de l'empire par la Constitutio Antoniniana;
Palmyre est élevée à la dignité de colonie
romaine; ses habitants bénéficient d'exemptions fiscales.
Mais, à la fin du règne des Sévères, la dynastie
sassanide, fondée par Ardachir, prend le pouvoir en Perse et annexe
l'embouchure du Tigre et de l'Euphrate, fermant ainsi l'accès du
Golfe persique.
Rome traverse alors une période de turbulences en raison des luttes pour le pouvoir. En 260, l'empereur Valérien est même fait prisonnier par les Perses. Odeinat, un roi palmyrénien, se distingue dans les combat avant de périr assassiné, entre 267 et 268. Sa femme Zénobie lui succède, son fils Wahballat étant encore trop jeune pour régner; on pense que la reine n'est peut-être pas étrangère à la mort de son époux. Pour des raisons économiques autant que par ambition, Zénobie, qui se fait appeler "illustrissime reine" se lance dans une série de conquêtes: Égypte (où ses troupes s'emparent d'Alexandrie, en 269), Antioche, Asie mineure. Profitant de l'anarchie qui divise le monde romain, elle pousse ses phalanges en Anatolie jusqu'au Bosphore. La reine prend le titre de Septima Zenobia Augustia et revendique la partie orientale de l'empire romain. Aurélien ne peut accepter un tel défi. Il chasse les troupes palmyréniennes d'Égypte et de Syrie, les bat à Emèse et à Antioche et les oblige à capituler à Palmyre même, en 273. Prisonnière, Zénobie est emmenée à Rome ployant sous les chaînes autant que sous les joyaux dont elle est encore parée. En 274, elle participe, bien involontairement, au triomphe d'Aurélien dans la capitale de l'empire. On dit que cette reine, ambitieuse mais aussi intelligente, belle et cultivée, élève du philosophe grec Longin* tué par les Romains après la prise de Palmyre, amie de l'évêque d'Antioche Paul de Samosate, aurait fini ses jours à Tivoli, en dame romaine; mais cette fin est controversée et, selon d'autres sources, toujours en proie à l'ambition, elle aurait participé à un complot contre l'empereur; le complot aurait été découvert, elle aurait été arrêtée, puis étranglée dans son cachot. *Longin était plutôt philologue que philosophe s'il faut en croire Plotin. Un an après sa chute, Palmyre se soulève et massacre la garnison des occupants. Les Romains se vengent en pillant la cité qui subit une sévère éclipse. Pour faire face à la menace perse, l'empereur Dioclétien (284-305) y établit un camp militaire, peut-être sur les ruines du palais de Zénobie ou à proximité. Justinien (527-565) y laisse aussi des traces. Le christianisme s'y est alors développé. En 634, Khaled Ibn Al Walid, général du calife Abou Bakr, beau-père de Mahomet, s'empare de Palmyre. Au 12ème siècle, la ville reprend de l'importance. Le temple de Bêl est transformé en forteresse. Les Mongols pillent à nouveau la ville au début du 15ème siècle; elle ne s'en relèvera plus et, sous l'empire ottoman, elle ne sera plus qu'un chétif village cantonné entre les murailles du temple de Bêl. Au 17ème siècle, elle est redécouverte par des négociants et un pasteur anglais. Cette "fiancée du désert" va alimenter les chroniques et la recherche. En 1754, un Anglais, J. Swinton, et un Français, l'abbé Barthélémy, déchiffrent l'alphabet palmyrénien. En 1917, des archéologues allemands dressent un relevé des monuments. Mais les véritables fouilles ne commencent que sous le mandat français. En 1929, Henri Seyrig est nommé à la tête de la Direction générale des Antiquités. De nombreuses missions archéologiques se succèdent ensuite sur le site après que le village, qui occupait le sanctuaire de Bêl, ait été évacué, entre 1929 et 1932. Le début de la matinée va être
consacré à la visite des ruines à l'exception du temple
de Bêl que nous verrons le lendemain. Palmyre n'a pas été
construite à partir d'un plan préétabli. Elle s'est
développée progressivement. On y distingue plusieurs zones
d'habitation qui ont vu le jour à des périodes différentes:
le tell de Tadmor, sous le temple de Bêl, la cité hellénistique,
entre le temple de Bêl et la source Efqa, une source d'eaux sulfureuses,
aujourd'hui tarie, dont les Palmyréniens révéraient
le dieu Yarhibol, au sud du wadi (oued). La ville s'est ensuite
déplacée vers le nord. Les édifices gréco-romains
sont venus se superposer à des habitations plus anciennes. Au 1er
siècle de notre ère, s'élevèrent les sanctuaires,
souvent sur l'emplacement de lieux du culte antérieurs. Le 2ème
siècle fut celui de l'urbanisation avec la construction d'une colonnade
transversale du côté de l'ouest, première rue à
portiques qui se terminait au sud par une place ovale (comme à Jerash).
Cette voie est reliée au temple de Bêl par la Grande Colonnade
qui se termine par des arcs de triomphe. Un rempart ceinturait la ville
dès la fin du 1er siècle avant notre ère. Dioclétien
reconstruisit cette enceinte et Justinien la renforça. A l'extérieur
de la ville, à l'ouest (Vallée des Tombeaux), ainsi qu'au
sud et au nord, se trouvent des nécropoles qui fournissent des renseignements
très intéressants sur la culture palmyrénienne. Enfin,
un château arabe paraît surveiller le désert alentour
du haut d'une colline voisine.
Au sortir de l'hôtel, notre regard est attiré par un profond fossé. Il permettait d'irriguer la palmeraie, si le besoin s'en faisait sentir, en y amenant l'eau de la source. Il est maintenant à sec. Nous gagnons la ville ancienne. Des tombeaux-tours se dressent à l'ouest sur les flancs des collines. Notre premier arrêt est pour un tombeau-maison. A Palmyre, trois types de tombeaux furent en usage: le tombeau-maison qui ressemblait aux maisons de l'époque, le tombeau-tour et l'hypogée creusé dans le sol; nous aurons l'occasion d'y revenir. Ces tombeaux pouvaient accueillir un nombre variable de défunts, mais ceux-ci n'y étaient presque jamais seuls; une sorte de vie sociale se perpétuait ainsi après la mort dans un décor agréable; les Palmyréniens, c'est certain, croyaient en une forme de vie post mortem. Nous nous dirigeons ensuite vers la colonnade transversale. C'est par ici, du côté de l'ouest, que fut établi, par le gouverneur de la Syrie, Sossianus Hiéroclès, le camp militaire de Dioclétien. Après la chute de Zénobie, la frontière entre l'empire romain et la Perse s'établissait en effet sur le Khabour, un affluent de l'Euphrate, qui se jette dans ce dernier au nord-est de Palmyre. La frontière orientale de l'empire était donc proche. Deux voies principales découpaient cet espace urbain: la via principalis, parallèle à la colonnade transversale, et la via praetoria qui lui était perpendiculaire; à l'intersection se dressait un tétrapyle aujourd'hui réduit aux bases de deux colonnes. La via praetoria mène au temple des Enseignes dont la cella est constituée d'une pièce rectangulaire se terminant en abside. Le sanctuaire d'Allat est situé sur la via principalis; Allat (la déesse) était vénérée par les tribus arabes; divinité protectrice des nomades, elle était assimilée à la syrienne Atargatis et à la grecque Athéna; déesse de la guerre et de la paix, elle avait tout à fait sa place dans un camp militaire; les ruines datent des 2ème et 3ème siècles: le temple a été édifié de 103 à 164 puis modifié ensuite, mais il était construit sur un autre plus ancien; à côté se dresse la colonne d'un donateur (Shalamallat); on pense que ce temple ressemblait à celui de Baalshamin, avec un portique à colonnes cannelées entourant une cella précédée d'un pronaos (vestibule) à six colonnes; c'est à l'intérieur de ce temple que fut trouvé le lion avec une antilope entre les pattes qui orne maintenant l'entrée du musée archéologique. Les colonnes debout que nous croisons sont la plupart du temps pourvues d'une console dont on peut supposer qu'elle supportait une statue. Tout au bout de la colonnade s'élève la maison-tombe connue sous le nom de temple funéraire. Elle date du 3ème siècle. Un portique de six colonnes la précède et elle possède une crypte. C'est l'une des plus belles tombes de Palmyre. Nous admirons un bel arc devant la Vallée des Tombeaux; peut-être est-ce un vestige du temple d'Arsu, un dieu arabe patron des caravanes, des chameaux et des pasteurs. Situé au nord de la cité, le temple de Baalshamin, un dieu d'origine cananéenne, est, comme Bêl, le maître du ciel, mais il est surtout associé à la pluie, à l'orage et à la fertilité. A cet endroit fut d'abord construit un tombeau collectif en briques crues, au 2ème siècle avant notre ère, puis une salle de banquets rituels. A partir de 67 de notre ère, un complexe vit progressivement le jour, avec une cour à péristyle. Mais la cella (15x10 m) ne fut inaugurée qu'en 130, à la faveur du passage de l'empereur Hadrien. Cette cella fut transformée en église au 5ème siècle. Le pronaos à six colonnes, avec des traces de consoles, les murs décorés, pour trois d'entre eux de pilastres, les fenêtres latérales, et le thalamos du fond, avec exèdre semi-circulaire et niche rectangulaire, qui abritait l'image cultuelle, combinent la tradition architecturale romaine avec des influences orientales (consoles des colonnes, merlons surmontant la corniche, fenêtres latérales et thalamos). Un Tétrapyle masque le premier changement d'orientation de la Grande Colonnade. Sur une place ovale, un soubassement carré supportait quatre socles comportant chacun quatre colonnes en granit rose à l'origine. Chacun des quatre édicules contenait une statue. Au hasard de notre cheminement, nous découvrons une frise mélangeant décor végétal et animalier. L'Agora, une vaste cour rectangulaire (71x84 m), bordée de quatre portiques, était la place principale des discussions publiques et des échanges commerciaux; l'ensemble date du 2ème siècle. A un des angles, je remarque une sorte de bassin triangulaire. Les consoles murales supportaient quelques 200 statues dédiées aux notables de Palmyre. La porte centrale du portique était décorée de statues de l'empereur Septime Sévère et de sa famille. A l'angle sud-ouest, on voit des vestiges d'une salle de banquet. A l'est se dressait l'annexe de l'Agora où, dans une petite cour, derrière une entrée monumentale, fut découverte la stèle du Tarif sur laquelle est gravé un texte, en araméen et en grec, qui fixait les droits à payer pour les marchandises passant par la ville. Ces droits étaient probablement perçus dans l'annexe. Ce Tarif est aujourd'hui au musée de l'Ermitage, en Russie. Palmyre était une ville bilingue (grec et palmyrénien); le latin n'y était utilisé qu'exceptionnellement. La Grande Colonnade est une large voie de 1,2 km de long, perpendiculaire à la colonnade transversale. Bordée de portiques, elle traverse la ville d'ouest en est. Sa construction commença au 2ème siècle de notre ère. On distingue trois sections: 1°)- la partie à l'ouest du Tétrapyle qui est la plus ancienne; elle traverse un quartier résidentiel; au nord subsistent des vestiges d'églises; à l'extérieur du rempart, on aperçoit le tombeau dit de Marona (236); 2°)- la partie centrale, construite au début du 3ème siècle, située entre le Tétrapyle et l'Arc monumental, elle n'était pas pavée afin que les chameaux puissent l'emprunter; c'était la partie la plus prestigieuse de la colonnade car elle était bordée de nombreux édifices publics; 3°)- l'Arc monumental, section la plus récente, sans doute inachevée, qui menait au propylée du temple de Bêl; elle est maintenant coupée par une route asphaltée. La Grande Colonnade n'est pas rectiligne. Elle a respecté le tissu urbain préexistant et, comme on l'a dit plus haut, le Tétrapyle marque un de ses changements de direction, l'autre étant masqué par l'Arc monumental. Les colonnes lisses, au style sobre, étaient pourvues de consoles qui portaient les statues des notables de la cité. Nous avons suivi cette colonnade dans l'ordre chronologique. Le théâtre se trouve sur une place en demi-cercle au croisement de la Grande Colonnade et d'une rue transversale. On pénètre à l'intérieur par une porte voûtée qui aboutit à l'orchestre. Daté du 2ème siècle, il serait antérieur à la Grande Colonnade. Les gradins sont au nombre d'une douzaine mais on ne sait pas si le théâtre ne fut pas achevé ou si ses étages supérieurs étaient en bois. La scène mesure 48 m de long et 10,5 m de profondeur. Le front de scène comprend cinq portes au lieu des trois habituelles, la porte centrale, plus imposante, étant qualifiée de royale. Devant le théâtre, les colonnes de la voie principale étaient ornées de statues de personnages célèbres: Odeinat, Zénobie... Du haut des gradins du théâtre, on jouit d'une belle vue sur les environs. Derrière le théâtre, sur le côté ouest de l'hémicycle, un petit édifice abritait, suppose-t-on, le Sénat de la ville. Les Thermes de Dioclétien sont situés à gauche de la Grande Colonnade lorsqu'on suit le sens de notre visite. Ils furent construits par Sossianus Hiéraclès entre 292 et 303. Mais il est probable que ce dernier n'en a fait édifier que le propylée. Au sol, on distingue la trace d'un bassin et de plusieurs pièces. Comme tous les monuments de ce type, il possédait un frigidarium (froid), un tepidarium (tiède) et un caldarium (chaud). La façade de granit rose d'Assouan était magnifique. Le temple de Nebo se trouve de l'autre côté
de la colonnade, avant l'Arc monumental. Nebo ou Nabu, fils du dieu Mésopotamien
Bêl Marduk, était la divinité des oracles, de la sagesse
et de l'écriture. Assimilé à Apollon, Palmyre lui
vouait une vénération particulière. La construction
du sanctuaire débuta au 1er siècle de notre ère et
se poursuivit jusqu'au 3ème siècle. Les riches famille de
la ville participèrent au financement de sa construction, dont celle
d'Elahbel à qui l'on doit aussi une tour funéraire. Le plan
retenu est similaire à celui du temple de Bêl: une cour entourée
d'une enceinte trapézoïdale doublée d'un portique couvert
intérieur, sauf au nord où l'ensemble s'appuyait aux murs
des boutiques de la Grande Colonnade; une cella, ouvrant sur le
petit côté, élevée sur un podium entourée
d'un péristyle, avec un propylée à colonnes
à l'entrée; un autel monumental entre la cella et
le propylée situés dans le même axe. De cet
ensemble ne subsistent plus que le podium et les bases des colonnes du
portique.
La Grande Colonnade se termine par l'Arc monumental qui fut érigé sous Septime Sévère (193-211) pour masquer un nouveau changement de direction important de la colonnade. Pour ce faire, on édifia deux façades à trois baies, avec un arc central élevé flanqué de deux ouvertures latérales plus basses, l'une s'ouvrant face au temple de Bêl et l'autre sur la section centrale de la Grande Colonnade. L'ensemble était richement décoré de glands, de feuilles de chêne, de rangées de perles et de troncs de palmiers ainsi que de rinceaux d'acanthe. Nous partons ensuite pour la Vallée des Tombeaux, à l'ouest de la ville. Avec plus de 150 tombeaux répertoriés, les nécropoles de Palmyre comptent parmi les ensembles funéraires les plus fournis de l'époque romaine. Elles s'étendaient à l'extérieur de la ville, au nord, à l'ouest et au sud, l'oasis étant à l'est. Si l'on trouve parfois des tombes individuelles où le défunt était enseveli seul dans un sarcophage, une stèle marquant l'emplacement de la sépulture, les tombeaux collectifs sont les plus nombreux. Ils étaient utilisés par les classes aisées qui y plaçaient les défunts momifiés et entourés de bandelettes. Ces édifices étaient construits pour durer et ils sont arrivés jusqu'à nous, certains dans un état de conservation presque parfait. Il faut y voir le symbole d'une civilisation qui ne redoutait pas la mort, qui l'apprivoisait même en quelque sorte en édifiant des palais pour des défunts supposés éternels. Chaque famille disposait de sa propre tombe et on peut aussi y voir une forme de culte rendu aux ancêtres. On distingue trois catégories de tombeaux collectifs: 1°)- Les tours funéraires, les plus anciennes, dont la construction s'échelonna des dernières années avant notre ère jusqu'à 128 mais qui furent encore employées après; leur architecture évolua au cours du temps autour de principes de base qui peuvent être résumés comme suit: un socle, des étages reliés par des escaliers, des travées superposées (loculi) destinées à recevoir les corps, une dalle sur laquelle était gravé le buste du défunt fermant l'ouverture. 2°)- Les hypogées ou tombeaux souterrains qui existèrent dès le 1er siècle avant notre ère et qui étaient à l'origine combinés avec une tour avant d'être construits de façon indépendante, une centaine d'années plus tard; leur porte d'entrée, accessible par un escalier, menait à un couloir souterrain voûté, parfois à 5 m de profondeur, flanqué de travées occupées par des loculi, avec au fond un exèdre et de chaque côté des galeries, le tout ayant la forme d'un T renversé plus ou moins régulier; sur les linteaux de la porte figurait le nom du fondateur de la tombe; des bustes funéraires représentant les défunts fermaient les loculi; des représentations de la vie des morts et de scènes de la mythologie grecque décoraient l'intérieur; dans chaque hypogée il y avait un puits avec de l'eau pour boire et pour les sacrifices; au fond, se trouvait le lit funéraire du fondateur de l'hypogée familiale. 3°)- Les temples funéraires ou tombeaux-temples ou encore tombeaux-maisons qui furent construits entre la première moitié du 2ème siècle et le milieu du 3ème siècle; le temple funéraire dont il a déjà été question plus haut relève de cette catégorie. Nous nous bornerons à visiter la tour-tombeau
d'Elahbel et l'hypogée des Trois Frères. La tour d'Elahbel
fut édifiée en l'an 103 de notre ère. Elle porte le
nom d'un des quatre frères fondateurs et pouvait contenir 300 corps.
Elle est constituée d'une crypte et de quatre étages supérieurs.
Un banquet funéraire orne sa façade sud. Le rez-de-chaussée
est très bien décoré. On peut grimper en haut de la
tour pour admirer le paysage environnant.
L'hypogée des Trois frères fut inauguré en 160. De part et d'autre de l'arc de la porte d'entrée, deux figures féminines sont postérieures d'environ un siècle au reste du décor. Celle de gauche, Bata, fille de Siméon, tient un enfant dans ses bras; un coffret et une corbeille de laine évoquent la vie quotidienne. Celle de droite se détache sur une draperie; elle a été endommagée dans l'Antiquité par le percement d'une porte. . Le monde animal est figuré à la base des piliers. Paisible dans le cas des oiseaux, il est plus animé dans celui des fauves se jetant sur leurs proies. Le thème de la chasse et de la victoire est évoqué par des représentations de la faune familière. . Des victoires ailées, les pieds posés sur une sphère enveloppée de feuilles d'acanthe élèvent au-dessus de leur tête des médaillons comportant des bustes féminins ou masculins parfois accompagnés d'un enfant. Cette interprétation héroïque de la mort est l'une des caractéristiques de l'art funéraire palmyrénien. Les femmes portent les cheveux bouclés sur les épaules selon les canons de la mode au milieu du 2ème siècle. Leurs bijoux sont plutôt sobres. Elles retiennent leur voile alors que les hommes tiennent un objet. L'absence d'inscription semble exclure qu'il s'agisse de portraits des défunts. La face intérieure et extérieure des pilastres d'ante porte des rinceaux de vigne verticaux qui partent du sol. Le long de la tige s'étalent des feuilles et des grappes noires. Au sommet un médaillon contenaient des symboles propres à éloigner le mauvais oeil (oiseaux, coq, serpent, scorpion, armes entourant l'oeil central). Dans cet hypogée, la riche décoration
polychrome s'inspire du répertoire gréco-romain de l'architecture
du monde des vivants. La roche est recouverte d'une couche d'enduit rappelant
le plâtre (djousse). A la différence des fresques,
les pigments, délayés dans un liant végétal,
sont déposés sur l'enduit sec. Le bleu occupait une place
importante qui ne se perçoit plus qu'imparfaitement. Une hygrométrie
relativement stable explique la conservation assez bonne du décor.
Néanmoins, l'humidité a fait pâlir les teintes et endommagé
certaines zones.
Le plan de l'hypogée adopte la forme d'un T irrégulier. L'une des branches est légèrement déviée probablement à cause de la présence d'un autre hypogée. Le vestibule donne accès à trois chambres en exèdres; 65 niches (loculi) y sont creusées, chacune divisée en 5 niveaux; un emplacement creux est situé à la base de chaque loculus, ce qui représente une capacité de 390 corps. Toutefois cette capacité théorique s'est trouvée réduite par l'installation de deux sculptures: un banquet funéraire et un triclinium. D'après des inscriptions gravées
à l'entrée, cet hypogée n'était pas un tombeau
familial. Les loculi s'achetaient et se vendaient, comme des concessions,
des noms inscrits en rouge indiquant les propriétaires successifs.
Seul l'exèdre du fond est resté à la famille des fondateurs
jusqu'au 3ème siècle. Le décor de cet espace constitue
l'unique témoignage de peinture funéraire visible à
Palmyre.
Le tympan est encadré de deux bandeaux végétaux: une guirlande de laurier et un rinceau rouge dont les enroulements enferment des grappes de raisins mi-bleu mi-noir. Un masque interrompt au sommet la continuité du rinceau. Sur la voûte et l'arc sont privilégiés les décors géométriques transposant les caissons de l'architecture monumentale. Un réseau d'hexagones traité en rouge et vert est marqué de fleurons ocre-jaune. Les peintres se sont efforcés d'adapter la rigueur géométrique aux irrégularités de la surface. Sur la voûte, Ganymède, un jeune berger phrygien d'une grande beauté est enlevé par Jupiter métamorphosé en aigle. Dans l'Olympe, il deviendra l'échanson des dieux. La scène se présente comme un rapt. Ganymède, un genou à terre, lève le bras pour se défendre. Le thème de l'enlèvement aux cieux convient au contexte funéraire. L'aigle apparaît fréquemment dans les hypogées. .
Sur le mur du fond (voir ci-dessus), une très belle peinture retrace la légende d'Achille à Skyros. Encore enfant, Achille fut caché par sa mère, Thétis, pour être soustrait à son destin qui était de mourir en combattant. Déguisé en fille, il vécut avec les filles du roi Lycomède, dans l'île de Skyros. Cependant, les Grecs apprirent par l'oracle qu'ils ne pourraient jamais vaincre Troie sans lui. Ils partirent donc à sa recherche. Ulysse inventa une ruse pour le démasquer. Il s'introduisit dans le palais de Lycomède avec ses compagnons déguisés en marchands. Parmi les objets que ces derniers colportaient se trouvaient des armes. Au signal du son de la trompe guerrière d'Agyrtès, la vraie nature d'Achille se réveilla. Il rejeta ses vêtements féminins, saisit sa lance et leva son bouclier. Sa nourrice s'affligea; les filles du roi s'effrayèrent; Deidamie tenta de retenir le héros dont le travestissement ne l'avait d'ailleurs pas trompée puisqu'elle en avait eu un fils, Pyrrhos-Néoptolène. Divers objets complètent cette scène mouvementée: un bouclier, deux miroirs, une corbeille de laine. La scène se détache sur un arrière-plan végétal accentué par la couleur verte du fond. La lumière ultraviolette fit apparaître une foule de détails invisibles à l'oeil nu. Des inscriptions, découvertes en 2004, transcrivaient en palmyrénien les noms grecs des personnages. Une autre inscription de ce genre se retrouve sur une mosaïque de Palmyre (Bellérophon et la Chimère). (Pour en savoir plus sur les monuments funéraires de Palmyre, cliquez ici). . Après la visite des tombeaux, nous nous rendons au Musée archéologique de Palmyre. Inauguré en 1961, on trouve dans ce musée des pièces découvertes dans les ruines de la cité antique, notamment de nombreux sarcophages. A l'entrée, on est accueilli par la statue du lion tenant une antilope entre les pattes provenant du temple d'Allat. Une statue de cette divinité en Athéna, copie sans doute réalisée à Antioche, de l'Athéna du Parthénon de Phidias, tirée du même temple, s'y trouve aussi. Une maquette du temple de Bêl fournit une entrée en matière intéressante à la visite, prévue pour le lendemain, de ce sanctuaire. L'écriture palmyrénienne y est également représentée. En début d'après-midi, nous avons
quartier libre pour le repos, une nouvelle visite des ruines ou un tour
dans la palmeraie, au choix de chacun. Rendez-vous est pris pour nous rendre,
en fin de journée, sur la colline au pied du château arabe
Qalaat Ibn Maan pour y jouir du coucher
de soleil sur le désert. Cette citadelle, longtemps attribuée
à l'émir libanais Fakhr al Din (1590-1635), qui tenta de
tenir tête aux Ottomans, serait en fait antérieure et remonterait
aux 12ème et 13ème siècles, c'est-à-dire à
l'époque où le sanctuaire de Bêl fut fortifié
par les Mamelouks. On pénètre dans la forteresse par un pont.
De forme circulaire, cette forteresse est entourée par un fossé.
De sa terrasse, et même de son pied, la vue s'étend sur le
site de Palmyre, cette cité qui imita Rome sans perdre toutefois
sa spécificité, comme l'attestent ses monuments funéraires.
12 ème jour (6 octobre - matin): Palmyre - Le temple de Bel (les photos sont ici) La matinée est consacrée à
la visite du temple de Bêl. Nous nous rendons devant l'entrée
où se délivrent les billets avant l'ouverture. La palmeraie
s'étale devant nos yeux, derrière un mur de pisé,
verte au pied d'une montagne rose et sous un ciel bleu qu'éclaire
les rayons du soleil matinal. L'imposant sanctuaire était entouré
d'une muraille de 15 m de haut qui a été remaniée
lorsque le monument fut transformé en forteresse par les Mamelouks.
Des débris de colonnes ont été employés pour
renforcer l'enceinte originelle.
Bêl était la divinité suprême de Palmyre, le maître du cosmos; on le rapproche du dieu mésopotamien Bêl Marduk, père de Nebo, qui fut assimilé à Zeus et Jupiter par les Grecs et les Romains. Il est souvent associé aux divinités secondaires du soleil et de la lune, Yarhibol et Aglibol. On l'a vu, la Grande colonnade conduisait au temple de Bêl qui était l'édifice le plus important de la cité. Il fut érigé sur un tell remontant au 3ème millénaire avant notre ère et prit la place d'un temple hellénistique plus ancien. Une fois passé le mur d'enceinte, on pénètre dans une vaste cour presque carrée de 210x205 m. Cette cour était fermée, on l'a dit, par une enceinte monumentale, le péribole. A peu près au centre de cette cour, où se rassemblaient les fidèles, se dressait, sur un podium, le temple contenant la cella, demeure de la divinité, selon un schéma qualifié de syro-phénicien par un archéologue. La cella du temple de Bêl fut consacrée à la triade du panthéon palmyrénien en l'an 32, sous le règne de Tibère. Certes, la construction du sanctuaire commença avant, mais cette date marque l'entrée de Palmyre dans le monde romain. Si l'architecture de l'ensemble s'inspire du modèle gréco-romain, les influences orientales n'en sont pas pour autant absentes, dualité qui subsista dans l'ensemble de la société dont le caractère tribal a survécu jusqu'à nos jours. La construction du monument fut complétée entre la fin du premier siècle et celle du second. Le péribole fut percé de fenêtres et agrémenté d'une galerie limitée par un portique. Celui-ci était doublé, sur les côtés nord, est et sud, et soutenait une toiture. Il était à rangée unique du côté de la façade ouest, laquelle était aveugle, et où était située une entrée monumentale, le propylée, dans lequel s'ouvrait un triple portail. Le portique aurait été construit entre les ans 80 et 120. Le propylé a disparu lors des travaux de fortification entrepris par les Mamelouks mais des vestiges du portail sont encore visibles. Le temple à cella sur son podium attire d'emblée les regards. A première vue, il a les apparences d'un temple classique. C'était un édifice rectangulaire entouré d'un péristyle à chapiteaux corinthiens et à colonnes cannelées interrompues par une entrée monumentale. Mais plusieurs anomalies peuvent être détectées par un oeil exercé: l'entrée, décentrée vers la droite, s'ouvre sur un grand côté et non sur un petit côté, probablement pour des raisons d'ordre rituel; une frise de merlons triangulaires, d'origine mésopotamienne, couronnait le péristyle, comme d'ailleurs aussi le péribole, il en reste quelques témoignages; les chapiteaux corinthiens étaient probablement recouverts d'or et d'argent; enfin, le toit en terrasse, orné de sa frise de merlons triangulaires, supportait un autel auquel on accédait par des escaliers depuis la cella. On remarque, sur les murs nord et sud, deux pilastres et deux colonnes à chapiteaux ioniques. Quelques marches conduisent à la cella. La hauteur du péristyle est impressionnante (18 m); il mesurait 55 m de long sur 30 m de large. La porte monumentale a été restaurée à l'époque du mandat français, après que le village arabe, qui s'était installé dans l'enceinte, ait été évacué. La cella, d'assez vastes dimensions (40x14 m), comporte deux niches surélevées, les thalamos, au lieu d'une seule. A gauche, le thalamos nord abritait probablement une représentation de la triade palmyrénienne (Bêl, Yarhibol et Aglibol); le plafond, en forme de coupole, comporte les sept divinités planétaires; le tout est entouré par un zodiaque. A droite, le thalamos sud, plus petit, abritait sans doute une divinité portative qu'un escalier en pente douce permettait de mouvoir sans trop de difficultés; son plafond est orné d'une rosace et de fines sculptures décorent son encadrement. Des aigles aux ailes déployées symbolisent Bêl. Trois escaliers conduisaient de la cella à la terrasse supérieure, deux dans le thalamos sud et un à partir du thalamos nord. Des fenêtres rectangulaires haut perchées éclairaient l'intérieur de la cella. A la sortie, des poutres sculptées du péristyle reposent sur le sol du podium. Sur l'une d'elle, on reconnaît Aglibol devant un autel chargé de fruits et le combat d'un dieu contre un monstre. Sur une autre, on découvre un chameau et son conducteur précédés d'un mulet et accompagnés par un cortège de femmes. Sur d'autres, on devine des soldats, on reconnaît des pampres et des grappes de raisin... Il faut parfois se coucher sur le dos, la tête sous la poutre, pour voir les sculptures qui la décorent. En faisant le tour de l'édifice, on
remarque une belle colonnade, encore assez fournie, sur le côté
sud. Le dos du temple nous permet d'admirer les colonnes cannelées
du péristyle et quelques merlons triangulaires d'inspiration orientale
sur le rebord de ce qui fut le toit en terrasse. Une plaque plus ou moins
bien reconstituée nous rappelle que les empereurs romains divinisés
(Tibère, Drusus et Germanicus) trouvèrent place dans le temple
de Bêl, avant que la cella ne soit transformée en église
puis en mosquée. Du coin nord-est de la cour, on aperçoit
la palmeraie en jetant un coup d'oeil par dessus la muraille. On observe
au passage des colonnes jumelles étroitement accouplées.
Plus loin, une construction peut être aisément identifiée
comme étant d'origine mamelouke, voire plus récente, grâce
à l'emploi de colonnes dans ses murs. Au pied du podium qui supporte
la cella, une dépression révèle l'ancienne
présence d'un bassin sacré. Sous les restes de la colonnade
de l'ouest, subsiste un passage voûté par lequel les animaux
accédaient à l'autel sacrificiel situé à gauche
de la cella et au-devant d'elle. Des canalisations encore visibles
permettaient l'évacuation du sang. A droite de la cella et
à la même hauteur que l'autel sacrificiel se trouvait une
autre plate-forme utilisée sans doute pour les purifications rituelles.
Une salle de banquet s'élevait devant l'autel sacrificiel.
12 ème jour (6 octobre - suite): Maaloula - (les photos sont ici) La visite du temple de Bêl achevée, nous prenons la route à travers le désert en direction de Maaloula (pour situer Maaloula, voir la carte de la Syrie, ici). Je profite d'un arrêt au Bagdad Cafe (cela ne s'invente pas!) pour prendre quelques clichés du désert. Nous repartons. Notre guide syrien, qui est druze, en profite pour nous dispenser quelques informations concernant sa communauté. Voici ce que j'en ai retenu, agrémenté de quelques renseignements recueillis par ailleurs. Le mouvement druze serait né de l'ismaélisme, une branche minoritaire de l'islam chiite, au début du 11ème siècle, sous l'impulsion d'un Persan, Hamza, qui se prétendait intelligence universelle, et d'un Turc, Mohamed ad-Darazî. Ce dernier donna son nom au mouvement, bien qu'il ne soit que le représentant d'une de ses expressions les plus rigoureuses. Ad-Darazî était l'un des vizirs du calife fatimide al-Hakim bi-Amr (996-1021). Ce calife encouragea le mouvement. Il disparu en 1021, au cours d'une promenade nocturne, dans les environs du Caire, probablement assassiné. Son corps n'ayant jamais été retrouvé, on en fit une incarnation divine et sa disparition fut dès lors considérée comme provisoire. Le calife, dernier prophète inspiré par la parole divine, doit en effet revenir un jour auprès de ses fidèles. On trouve ici un écho des croyances millénaristes. Quoi qu'il en soit, après sa disparition, une vague de persécutions s'abattit sur les druzes qui furent contraints de s'exiler dans les montagnes du Chouf au Liban et au sud de la Syrie. Ayant pris conscience que les croyants de toutes les religions du Livre adoraient le même dieu, même s'ils lui donnaient un nom différent, ce calife et ses continuateurs pensaient que leurs querelles ne reposaient sur aucun fondement sérieux. Il en tirèrent la conséquence que juifs, chrétiens et musulmans pouvaient vivre ensemble harmonieusement, chacun suivant les rites de sa religion à condition de reconnaître un seul dieu. Dès lors, la religion est vécue de manière individuelle ou familiale plus que publique. Elle est une affaire privée et n'a pas besoin de sanctuaire. Ces traits du mouvement druze sont évidemment compatibles avec la laïcité. Les druzes empruntent des éléments à l'islam, mais aussi aux religions perses et hindoues, au néoplatonisme, au gnosticisme et au messianisme, comme on l'a déjà dit. Ils croient par exemple en la réincarnation ou plutôt, d'après ce que j'ai cru comprendre, en la transmigration de l'âme du corps d'un défunt au corps du nouveau né, ce qui est différent de la conception bouddhiste. Leur dogme essentiel est un monothéisme particulier, la divinité étant intimement lié au cosmos; les druzes se qualifient d'ailleurs d'uniates. Très vite, dès le 11ème siècle, le mouvement renonça au prosélytisme, ce qui fait qu'il ne peut plus croître que du fait des familles déjà existantes, lesquelles ne peuvent s'unir qu'avec d'autres druzes. Au 15ème siècle, la communauté druze fut réorganisée en sages et initiés, dirigés par des chefs religieux, et en ignorants ou non initiés, dirigés par des émirs. Les druzes croient en une interprétation ésotérique des Écritures, la parole divine devant être interprétée pour en découvrir le sens caché et allégorique, des imams d'essence divine, comme Hakim, étant envoyés sur terre pour dispenser aux croyants leur enseignement. Les vérités cachées ne sont révélées qu'aux initiés. Sept commandements s'imposent aux druzes: ne pas mentir (sauf aux non croyants si cela s'avère nécessaire: les druzes sont notamment autorisés à taire leur appartenance religieuse pour des raisons de sécurité); s'entraider et se protéger mutuellement; renoncer à croire dans son âme aux autres religions; n'accepter aucune obligation en dehors de la communauté; reconnaître l'unité de dieu; approuver toutes ses actions quelles qu'elles soient; se soumettre sans réserve à sa volonté (ce qui revient à accepter sans récriminer sa condition). L'histoire des druzes est chaotique, comme
celle de la plupart des confessions minoritaires. Ils ont été
en butte à des persécutions au cours des siècles,
les sunnites comme les chiites les tenant pour hérétiques.
Mais ils ont aussi connu leurs heures de gloire, principalement au Liban
et en Syrie où des chefs druzes ont joué un rôle très
important, par exemple la famille Maan(1516-1697), dont nous avons vu le
Qalaat à Palmyre, la famille Chehab (1697-1841)
ou encore plus récemment les Joumblatt. Aujourd'hui, la communauté
druze compterait environ 400000 personnes (d'autres disent 900000) principalement
installées en Syrie (djebel druze), au Liban (Chouf) et aussi en
Israël (notamment dans le Golan). Ils sont reconnus comme musulmans
par les autorités sunnites du Caire. Bien qu'ils soient minoritaires
en Syrie et au Liban, leur influence sur le plan politique est loin d'être
négligeable. En Israël, ils ont servi de supplétifs
à l'armée, en raison des souvenirs des persécutions
dont ils souffrirent de la part des musulmans orthodoxes. Il existe également
une diaspora druze non négligeable.
Notre guide syrien, bien que druze, estime être musulman, ce qui est contesté par notre accompagnatrice française (il ne va pas en pèlerinage à la Mecque et ne jeûne pas pendant le ramadan se contentant alors d'une période de silence et d'aumônes). Cette controverse appellerait certainement de longs développements. Sans doute un druze n'est-il pas un musulman comme les autres, pas plus qu'un protestant n'est catholique; cependant protestants est catholiques sont bien qualifiés de chrétiens. Reste à savoir si la différence entre un druze et un autre musulman est plus grande qu'entre un catholique et un protestant. Je ne me hasarderai pas à tirer cette affaire au clair d'autant qu'elle a été tranchée par les autorités religieuses du Caire plus compétentes que moi! Notre guide syrien se lance aussi dans une comparaison de la démocratie syrienne et de la démocratie américaine, bien sûr au détriment de cette dernière. Bien que Bachar el-Assad n'ait pas eu d'opposant lors de son élection, il l'estime mieux élu que ne le fut George W. Bush lors de son premier mandat. Cette opinion soulève des protestations de la part des membres du groupe et entraîne une intervention de notre accompagnatrice française pour éviter que ce dérapage mal contrôlé ne dégénère. Pour ma part, je ne donne qu'à demi tort au guide syrien; George W. Bush, en effet, lors de son premier mandat, ne fut pas véritablement élu mais seulement désigné par la Cour suprême, après avoir recueilli moins de voix qu'Al Gore et sans qu'aient été recomptés les bulletins de Floride, dont son frère était gouverneur, bien que les résultats cruciaux de cet État aient été contestés; beaucoup de gens semblent ne pas s'en souvenir, mais ce n'est pas le cas d'un de mes voisins, ce que je constate avec satisfaction. Nous approchons de Maaloula, village situé sur les premiers contreforts de l'Anti-Liban, à plus de 1500 m d'altitude et à 56 km de Damas. Nous allons déjeuner là. Ensuite, il nous faudra attendre un nouvel autobus car le nôtre est tombé en panne. Heureusement, cela ne prendra pas trop de temps. Grâce à notre nouveau véhicule, nous montons sur la colline, à travers une gorge étroite, jusqu'au monastère de Mar Sarkis, d'origine byzantine, dédié aux saints Serge et Bacchus. Ce couvent est enrichi d'icônes et de peintures de différentes époques, dont les représentations des deux saints avec lesquels nous avons lié connaissance lors de notre visite de Resafa. L'autel creux de sa petite église date du début du 4ème siècle et peut donc être considéré comme l'un des plus anciens témoignages du christianisme. On remarque en haut du dôme bleu du monastère une croix aux branches horizontales doubles et perpendiculaires, de sorte que, vues de haut, on doit apercevoir une croix grecque ou une croix de Saint André, selon la façon dont on la regarde. Dans la petite cour blanche, un prêtre en soutane noire, les mains jointes, nous récite le Notre Père en araméen. Au retour, je photographie, par le vitre du car, des habitations troglodytiques creusées dans le rocher au voisinage du couvent. Nous traversons le village chrétien, resserré dans une étroite vallée et qui semble s'élancer à l'assaut d'un énorme rocher. Des croix dominent les maisons et, au bord de la haute falaise qui interrompt brutalement le plateau rocheux dominant le village, on aperçoit une statue blanche, minuscule vue de loin, que j'imagine être celle de la Vierge. La langue parlée à Maaloula, ainsi que dans quelques villages voisins, est encore celle du Christ, l'araméen; dans cette langue, Maaloula signifie "entrée". Nous prenons ensuite, comme Saint Paul, le
chemin de Damas (pour situer Damas, voir
la carte de la Syrie, ici)
où nous passerons la nuit, sans avoir été aveuglés
en route par une illumination.
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