Carnet  de  route  d'un  voyage  En Syrie
Septembre-octobre 2010 (suite 8)
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13 ème jour (7 octobre): Damas (les photos sont ici) 
 
La journée sera consacrée à la visite de Damas (pour situer cette ville, voir la carte de Syrie, ici). Damas, capitale de la Syrie, en arabe Dimashq al-Sham, compte environ 1,4 millions d'habitants. La cité se trouve à 80 km de la Méditerranée, de l'autre côté de l'Anti-Liban, sur un plateau, à 680 m d'altitude. Arrosée par la rivière Barada, c'est une oasis qui lui donna naissance. Très ancienne, les premières traces d'habitation remontent au 7ème millénaire avant notre ère. Elle est mentionnée sur les tablettes d'Ebla, ce qui prouve qu'elle existait au 3ème millénaire. On la trouve aussi sur des documents égyptiens. Au milieu du second millénaire, elle devint le centre d'une principauté araméenne sous le nom de Dar Masiq (le cité arrosée). Elle fut la ville la plus peuplée de l'Assyrie et on parle d'elle dans les livres de la Bible (Genèse, Rois et Prophètes). Plusieurs civilisations s'y sont succédées: assyrienne, hellénistique, romaine, arabe. Elle fut l'un des berceaux du christianisme. Après s'être soumise aux musulmans, en 635, elle devint la capitale des Omeyyades, de 661 à 750, à l'apogée de leur puissance, lorsque leur empire s'étendait du Moyen Orient jusqu'à l'Espagne. Les Croisés l'assiégèrent en 1148. Elle fut saccagée par les Mongols en 1401. De 1516 à 1918, elle fit partie de l'empire ottoman. En 1919, le Traité de Versailles ayant placé la Syrie sous mandat français, Damas fut occupée par les troupes françaises, de 1920 jusqu'à 1946, date à laquelle la Syrie devint indépendante. Cette très ancienne cité connut des périodes de grande prospérité et de prestige, notamment sous les Romains et sous les Omeyyades, entrecoupées d'époques de déclin. Elle donna notamment naissance à l'un des plus prestigieux architectes de l'empire romain, Apollodor le Damascène (2ème siècle), qui conçut la colonne trajane de Rome, la basilique ulpienne et un grand pont sur le Danube. 

Notre visite de la ville commence à la porte Bab Sharqi (porte du Soleil). Cette porte à trois baies est d'origine romaine. C'est par elle que le général musulman Khalid ibn al-Walid entra à Damas le 18 septembre 634, lors du siège de la ville. Au 13ème siècle, les baies latérales, aujourd'hui rouvertes, furent fermées, sous le règne de Nour ad-Din Zangi, pour des raisons militaires, et la porte fut agrémentée d'un minaret. Elle s'ouvre sur la rue Bab Sharqi qui, avec la rue Midhat qui la prolonge, constituaient l'ancien cardo maximus romain, appelé ensuite rue Droite, bien qu'elle ne soit pas parfaitement rectiligne; cette artère traverse la ville sur quelques 1300 m. La muraille qui ceignait l'ancienne ville, et dont quelques restes sont encore visibles, était percée de plusieurs autres portes. Citons la porte Bab al-Jabiye, ex porte romaine de Jupiter, ornée de beaux ventaux du 12ème siècle; la porte Bab Touma, qui est devenue un édifice militaire, et la porte Bab Kissan (ou Kassan), porte Saint-Paul, appelée ainsi parce qu'elle est voisine de l'emplacement où Saint-Paul se serait échappé de la ville dans un panier suspendu au bout d'une corde, pour fuir les persécutions des Juifs. 

Des maisons nouvelles ont été construites sur les ruines romaines, notamment sur celles d'un arc. Nous avançons dans les étroites ruelles du quartier chrétien. Les coupoles blanches de l'église arménienne Saint Sarkis s'offrent à notre regard. Le nombre des églises est considérable à Damas et il se compare à celui des mosquées; la ville compterait 240 mosquées et 160 églises et cathédrales. La population chrétienne de Syrie est loin d'être négligeable (environ 10%) et elle s'est encore accrue ces dernières années des exilés qui ont fui l'Irak pour échapper aux persécutions dont ils souffrent depuis la chute de Saddam Hussein. Il y a encore aussi quelques Juifs, mais ils sont peu nombreux. Damas est le lieu de résidence des chefs de plusieurs églises autocéphales (églises chrétiennes orientales indépendantes relevant d'un patriarche): église orthodoxe d'Antioche, église catholique melkite d'Antioche, église syriaque d'Antioche. 

Dans les ruelles où nous cheminons, nous observons un certain nombre de particularités qui se répéteront souvent: l'alternance de pierres de couleurs claires et foncées comme motif décoratif, des étages en saillie au-dessus de la rue comme chez nous au Moyen-Âge, des arbustes, voire des arbres fleuris, qui forment une voûte au-dessus du passage, de belles portes de bois ou de métal qui, lorsqu'elles sont ouvertes, le sont sur un couloir au bout duquel on devine un espace aéré, derrière les murs clos du rez-de-chaussée. Sur les murs sont placardés des avis de décès des gens du quartier frappés de la croix, signe de reconnaissance chrétien. Nous finissons par nous trouver devant la maison de Saint Ananie. 

Saint Ananie était un damascène d'origine juive qui jouissait d'un prestige incontesté dans la jeune église de Damas. Le Christ lui aurait révélé le futur destin de celui qui allait devenir l'apôtre des Gentils. La tradition assure qu'il était l'un des 72 disciples de Jésus dont parle Saint Luc (10,1) et qu'il rentra à Damas après la lapidation de Saint Eustache. Les apôtres le consacrèrent évêque de la ville. Son principal mérite est d'avoir converti et baptisé Saul, le persécuteur, après lui avoir rendu la vue, pour en faire Saint Paul. Ananie annonça la Bonne Nouvelle dans les régions de Syrie avant d'être arrêté par le gouverneur Lucinius et condamné à mort. Il fut exécuté, par lapidation, hors les murs de Damas, un premier octobre. Sa dépouille mortelle fut transportée dans la ville par ses fidèles. 

Antérieurement à la conquête de la ville par les musulmans, en 634-635, la maison de Saint Ananie fut transformée en un lieu du culte byzantin appelé église de la Sainte Croix (5ème et 6ème siècle), en raison de sa forme (en arabe Moussallabeh). L'endroit où elle s'élevait se nommait Hananiyeh, probablement en mémoire du saint. Durant le mandat français, des fouilles y découvrirent les vestiges d'une abside et des sondages révélèrent qu'elle avait été construite sur les ruines d'un temple païen grec; un autel avec un taureau à bosse y fut trouvé. La succession de plusieurs lieux du culte sur un même site est un gage d'authenticité. D'après un auteur arabe, l'église aurait été détruite en 700. En 1347, s'il faut en croire le franciscain Poggiboni, la maison de Saint Ananie était convertie en mosquée. D'après Ibn Chaker, un chroniqueur arabe, le calife Walid 1er (702-712) rendit le site aux chrétiens en échange de la basilique Saint Jean-Baptiste, appelée à devenir la mosquée des Omeyyades. Au 16ème siècle, le père Boniface de Raguse, custode de Terre Sainte, observa que l'on descendait dans l'église par quelques degrés. Plusieurs écrivains du 17ème siècle décrivent l'église et affirment qu'elle est l'objet de vénération aussi bien des chrétiens que des Turcs qui y tiennent constamment des lampes allumées. En 1820, la maison fut récupérée par les Franciscains qui la réaménagèrent. Tout fut détruit pendant les troubles de 1860. Reconstruite en 1867, elle fut restaurée en 1893 et embellie en 1973. Elle constitue l'un des plus sûrs témoignages du passage de Saint Paul à Damas. La maison actuelle est très certainement une partie de l'église byzantine de la Saint Croix. Son enterrement actuel s'explique par l'exhaussement du terrain depuis l'époque romaine, comme pour les cryptes de nos églises. On descend dans ses deux chambres par un escalier de 23 marches; l'une des chambres est une petite chapelle, l'autre une sorte de musée où sont exposés des chromos relatant la vie de Saint Paul avec une carte de l'itinéraire du saint (Asie mineure, Grèce, Italie). Dans la cour, un groupe de statues blanches dans une niche rappelle le baptême de Saint Paul par Saint Ananie. 

La visite de la maison de Saint Ananie terminée, nous nous rendons dans un magasin situé juste à côté. On y trouve différents articles locaux notamment des boîtes en marqueterie, du mobilier, des tissus. Damas est renommée pour ses lames forgées fortement trempées, parfois incrustées de filets d'or et d'argent, technique qui, sous le nom de damasquinage, a essaimé à Tolède et aux Indes. La ville est également célèbre pour ses étoffes de soie, ses brocarts (les damas) et son linge damassé dont les illustrations sont réalisées au cours du tissage. D'autres spécialités existent aussi, en particulier les sucreries et les fruits confits. Damas enfin, cette perle du désert, est par excellence la ville de la rose et du jasmin; un restaurant de Paris ne porte-t-il pas le nom de "La Rose de Damas"? 

Nous reprenons notre périple dans la vieille ville. Assez fréquemment, on y rencontre, à l'angle des rues, de petits oratoires où apparaissent, derrière un grillage protecteur, des statues de la vierge et du Christ, rappelant, à qui l'aurait oublié, que nous nous trouvons toujours dans un quartier chrétien. Plusieurs maisons bedonnent, non seulement à l'étage mais aussi au rez-de-chaussée, sur une rue déjà passablement étroite. Des toitures formant auvent sont étayées par des chevrons qui prennent appui sur des façades à peu près aveugles. Les ouvertures sont souvent grillagées. La configuration des lieux laisse penser que l'ont doit y être assez bien protégé des fortes chaleurs. Au hasard de notre cheminement, nous passons sous un arbre fleuri qui émerge d'une maison. Un peu plus loin, derrière une porte ouverte, au fond d'un couloir dallé d'un damier noir est blanc, on aperçoit la clarté d'un espace libre. De belles façades exhibent leur étage surmonté d'une terrasse, lequel étage avançant sur la rue est largement éclairé par des fenêtres ornées de fer forgé; certaines d'entre ces fenêtres sont encadrées de colonnes torsadées. Une porte métallique ornée de signe cabalistiques attire notre attention. 

Nous arrivons aux reste d'un arc de triomphe romain (al Kharab). Il marque le milieu de la voie antique et aussi la fin du quartier chrétien. De là, on peut voir en même temps, se détachant sur le bleu sans nuage du ciel, le haut d'une colonne romaine, celui d'un minaret et le campanile de l'église orthodoxe grecque Sainte Marie, cathédrale de la Dormition de la Vierge. Voici maintenant un magasin d'antiquités ou une boutique d'objets de cuivre surchargée de pièces clinquantes. Un porche, en forme de coupole éclairée par de nombreuses fenêtres romanes, donne sur une charmante ruelle ombragée. Dans une niche à l'architecture raffinée, dont le haut s'orne d'un bouquet de roses, une fontaine publique se détache dans l'ombre, derrière un devant de fer forgé noir; celui-ci s'harmonise parfaitement avec le basalte gris du socle de l'encadrement et la teinte plus pâle, légèrement rosée, de l'arc de la voûte. Quelques syriennes typiques, vêtues de noir, du fichu de la tête au bas de la robe, vaquent tranquillement à leurs affaires; peu d'ailleurs sont voilées, si peu que je ne me souviens pas en avoir vu une seule. Un très beau moucharabieh permet à quelque pudique damascène d'observer sans être vue le va et vient de la rue. Une maison penchée, qui menaçait de tomber sur sa voisine, est retenue par un étai qui s'appuie sur cette dernière. Et nous voilà à l'entrée du souk al-Bazouriyé (ou al-Buzuriyah). 
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L'intérieur du khan Asad Pacha - Source: Internet
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Ce souk est réputé pour ses herbes médicinales et ses épices. Les boutiques en offrent des monticules, sur les étals ou enfermés dans des sacs de jute, aux yeux et aux narines des chalands, en un festival de couleurs et d'odeurs. A certaines heures de la journée, une foule bigarrée se presse dans les souks où il est facile de se perdre lorsque l'on est en groupe. La presse n'empêche nullement les motos, vélos et autres moyens de transports rapides d'y circuler en se faufilant entre les gens; les distraits n'ont pas leur place ici; j'y ai vu une personne s'y livrer à un majestueux vol plané après avoir été percutée par un de ces engins roulants! Dans ce souk, se trouve le khan Asad Pacha, un caravansérail construit en 1749 par le gouverneur Asad Pacha al-Azem; il recevait autrefois les marchands caravaniers; son entrée est une sorte d'immense porche en pierres sombres et claires alternées dont la conception nous rappelle les architectures vues à Alep; nous ne visiterons pas l'intérieur qui semble pourtant valoir le détour. En hauteur, à côté de l'entrée, une sorte de tribune ou de minaret exhibe, en saillie sur le mur, son chapeau pointu entouré de deux hauts parleurs. Dans le même souk, un peu plus loin, nous entrons dans le fameux hammam Nour ed-Din, un endroit très agréable, bien décoré, sous sa coupole blanche, éclairée par de nombreuses fenêtres haut perchées. La sortie du souk est proche du palais Azem. 

Le palais Azem fut bâti, comme le khan, par le gouverneur de Damas Asad Pacha al-Azem en 1749.  Cet édifice est le plus important de Damas du point de vue historique. Il est l'un des plus significatifs et des plus anciens exemples de l'architecture domestique damascène sur une aussi grande étendue (3500 m2). Le site du palais fut soigneusement choisi par Asad el-Azem afin de symboliser la puissance politique et le statut social de sa famille, à l'époque de la domination ottomane de la Syrie. Il se trouve à quelques centaines de mètres de la grande mosquée des Omeyyades, construite en 705 par le calife al-Walid 1er, l'une des plus anciennes et des plus importantes mosquées du monde, érigée sur l'église byzantine Saint Jean-Baptiste, en incorporant aussi les vestiges plus anciens d'un temple païen dédié à Jupiter-Haddad. On pense que le palais Azem se trouve à l'endroit des restes du palais d'Or de Tangiz, gouverneur mamelouk de Damas (1312-1339). Le palais mamelouk fut sans doute détruit lors de l'incendie de la grande mosquée des Omeyyades par les mongols de Tamerlan en 1401. D'après la tradition, le palais d'Or de Tangiz aurait été édifié sur le palais Vert construit par le premier dirigeant ommeyade de Damas, Mu'awiyya Ibn Abi Sufian (vers 680), lequel était construit sur les ruines d'édifices byzantins, romains et hellénistiques de la cité qui, eux-mêmes, recouvraient des restes, plus vieux encore, de constructions perses et sémitiques. Le site  du palais Azem offre l'exemple d'une étonnante continuité qui remonte aux temps primitifs de l'arrivée des habitants dans l'une des plus anciennes villes du monde jusqu'à l'époque pré-moderne. Il a été construit à proximité de deux marchés majeurs de l'ancienne cité et de l'intersection des principales routes caravanières, entre la grande mosquée des Omeyyades et de la fraction de la rue Droite (ancien cardo maximus) aujourd'hui appelée rue Midhat Pacha, à un emplacement stratégique lui permettant de bénéficier au mieux des avantages économiques et politiques de cette proximité. A quelques mètres seulement du palais Azem, on l'a vu, le pacha construisit un khan qui porte son nom. Huit cent artisans furent employés pendant deux ans pour venir à bout de l'édification du palais. On tira de Damas et de toute la Syrie, les éléments nécessaires à la construction, jusqu'à Bosra, dont les piliers romains se retrouvent dans la cour, afin d'embellir la résidence du maître des lieux. Les autres chantiers de Damas furent interrompus, tous les charpentiers et les maçons étant réquisitionnés à travers la ville pour participer au grand oeuvre; la mise en place du système d'adduction d'eau public fut différée jusqu'à ce que la plomberie du palais soit achevée. Ce palais monumental abrite aujourd'hui le musée des Arts et Traditions populaires. 

L'origine de la famille al-Azem est entourée de mystère. Nous ne savons rien de sa généalogie avant le début du 17ème siècle. Cette lacune est peut-être la conséquence des troubles causés par l'invasion de Tamerlan en 1401. Ce conquérant brûla maints villages et villes de Syrie, y compris Damas, et détruisit les récoltes et les ateliers, tuant ou déportant à Samarcande une grande partie de la population syrienne. Son passage engendra le chaos, la famine et les maladies. A cette époque, les registres familiaux se perdirent et les populations des villages se dispersèrent ou furent exterminées. Avec l'effondrement du pouvoir mamelouk et l'absorption de la Syrie par l'empire ottoman, en 1516, le pays ne retrouva pas la stabilité. Pendant la période de transition, des raids bédouins interrompirent le commerce et ruinèrent les efforts agricoles, causant une nouvelle vague de famine et de désordres économiques. Il est question de la famille al-Azem, pour la première fois, dans le nord de la Syrie, à Ma'arat al-Numan, entre Hama et Alep, où elle se montrait active en secondant les Ottomans contre les Bédouins. C'est dans la région de Ma'arat que se croisaient la route de Turquie en Égypte et celle de la Méditerranée vers l'Euphrate, cette dernière reliant la côte méditerranéenne à l'intérieur syrien. En conséquence, la famille al-Azem fut souvent liée à Hama et au port de Tripoli et elle constitue un cas particulier dans l'histoire de l'empire ottoman. Pendant une période de grande instabilité politique et économique, entre 1725 et 1807, les hommes de cette famille atteignirent, et surtout conservèrent, à neuf reprises, la haute position sociale de pacha, c'est-à-dire gouverneur, de la région de Damas ainsi que d'autres postes importants dans les villes et les régions de Syrie sous domination ottomane. Ibrahim al-Azem, né en 1600, est considéré comme l'initiateur de la fortune et du renom de la famille. Son fils Ismaïl fut gouverneur de Tripoli et de Damas, entre 1725 et 1730. Ce dernier eut six enfants dont Asad, né en 1705, et Sad al-Din, né en 1717; ces fils étaient d'éminents officiers syriens à l'époque ou Asad, devenu gouverneur de Damas, entre 1743 et 1757, construisit le palais et le khan. L'influence des grandes familles provinciales, à l'instar de la famille al-Azem, s'accrut au fur et à mesure que le pouvoir ottoman se montrait incapable de contrôler le vaste empire turc. Les révoltes tribales et ethniques en Syrie, conjuguées avec la pénétration commerciale et économique européenne au Moyen Orient, rendaient de plus en plus problématique le maintien de la domination ottomane dans la région. Des unités de janissaires de l'armée prenaient l'habitude d'intervenir dans les affaires politiques et menaçaient les sultans. Les maladies et la famine, dont la peste bubonique, enlevèrent de nombreuses vies en 1635, à travers la Palestine et la Syrie, notamment à Damas et à Jérusalem. La sécheresse et la mauvaise gestion des ressources agricoles syriennes causaient la famine, la maladie et la mort prématurée de nombreuses personnes. Tout cela fit de Damas un foyer de révolte contre la Sublime Porte et le maintien d'un contrôle étroit sur la cité s'avéra donc vital pour le sultan. Le rôle de Damas en tant que lieu de concentration du pèlerinage à La Mecque (Hajj) et la remise en activité de la fonderie d'armes de la ville ancienne renforçaient encore l'importance du pacha. Aussi le sultan limitait-il la durée de son mandat. Entre 1516 et 1757, la province ne connut pas moins de 148 gouverneurs. Ces faits ne rendent que plus impressionnante la réussite de la famille al-Azem et sa longévité.  
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Le plan du palais Azem - Source: panneaux du site
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Le palais Azem était divisé en un haramlik (espace familial privé), un salamlik (espace de réception public pour le chef de la maison, ses clients et ses hôtes), un khadamlik (quartier des serviteurs) et un hammam (bains), chacune de ces parties ayant leurs cours, leurs fontaines et leurs jardins (voir le plan). A l'intérieur de ces espaces, le palais abritait approximativement 16 grandes pièces, 19 chambres au rez-de-chaussée, 9 chambres à l'étage, trois iwans, un sous-sol servant d'entrepôt, une aile consacrée à la prière, une étable, un garage pour les voitures (tous ces endroits ne sont pas ouverts au public). Le salamlik était réservé aux visiteurs masculins étrangers à la famille, c'est-à-dire aux amis du pacha et à ses relations politiques ou d'affaires. En dehors de ses responsabilités de chef de famille, le maître des lieux devait faire prospérer sa fortune en se livrant à des activité économiques, commerciales ou agricoles. Le salamlik lui permettait de rencontrer ses interlocuteurs sans que cela n'interfère sur la vie familiale qui restait à l'écart, dans le haramlik. Beaucoup de maisons damascènes respectaient cette séparation du monde du travail de celui de la vie familiale. Cette coutume n'est d'ailleurs pas spécifiquement musulmane et on en trouve également des traces dans le monde grec et romain. L'hospitalité était sacrée dans la société syrienne et les hôtes y étaient toujours traités princièrement avec les mets et les rafraîchissements les plus recherchés; la réputation de la maison en dépendait. Les serviteurs du palais Azem disposaient de leur propre cour pourvue d'un bassin. Leurs chambres à coucher et pièces personnelles étaient distribuées autour de cette cour. Dans les anciennes maisons romaines, les quartiers réservés aux serviteurs étaient souvent situés à proximité des cuisines ou d'autres pièces dédiées au service. La dimension du palais autant que la position élevée de son propriétaire exigeaient la présence d'un grand nombre de serviteurs pour remplir correctement les tâches multiples qui leur incombaient: jardiniers, plombiers, cuisiniers, lavandières, préposés aux bains, bonnes d'enfants, domestiques pour les hommes... On ne connaît que peu de chose sur la vie quotidienne de tout ce personnel; la vie des classes laborieuses est rarement consignée dans les mémoires. Le khadamlik est aujourd'hui une réserve où sont stockées les collections du Musée des Arts et Traditions populaires; il n'est pas accessible au public. 

La conception et la décoration des espaces laïcs, dans l'architecture musulmane, était influencée par les préceptes du Coran mais aussi par les exemples grecs, romains et perses ainsi que par les traditions locales du Moyen Orient. Une habitation musulmane classique devait respecter les règles imposées par la religion tout en satisfaisant les besoins individuels et familiaux de ses habitants. La maison damascène traditionnelle était aussi conçue pour remplir un rôle fonctionnel dans le contexte du climat difficile de la Syrie tout en favorisant le bien être et l'épanouissement spirituel. Les murs épais, les cours, les jardins, les iwans d'inspiration persane, rafraîchissaient l'atmosphère en été tandis que la chaleur solaire maintenait une température confortable en hiver. Les embellissements étaient réservés à l'intérieur plutôt qu'à l'extérieur, pour des raisons de sécurité; les murs et les portes devaient résister aux émeutes pendant les périodes d'instabilité politique et protéger aussi contre les tempêtes de sable et les assauts du mauvais temps. La protection de l'intimité vis-à-vis de l'extérieur était également prise en compte; on attachait une importance particulière à la sécurité physique et morale des femmes et des enfants. Le maître de la maison était responsable de la création d'un environnement propice à la vie familiale et à l'éducation de sa progéniture autant qu'à la poursuite de ses intérêts économiques. En entrant dans une maison damascène, on abandonnait les soucis du monde extérieur pour se livrer à la tranquillité spirituelle et savourer les joies de la vie domestique. La maison était en quelque sorte un reflet symbolique du paradis selon l'islam et en même temps un endroit où l'on pouvait prier, se comporter avec droiture envers autrui et s'élever spirituellement pour mériter le paradis d'Allah. Les fontaines et les jardins, la fine maçonnerie, les mosaïques, les boiseries sculptées, les peintures, s'inscrivaient de ce cadre conceptuel. Ils étaient empreints de symbolisme religieux et de sens allégorique associés aux enseignements du Coran et aux pensées philosophiques de l'islam. Les maisons des autres communautés religieuses de Damas s'inspirèrent de ces concepts en les adaptant à leurs propres croyances. 

Le palais Azem est le symbole par excellence de l'architecture damascène. Les visiteurs apprécient la qualité de sa décoration, aussi bien celle des salles que celle des façades. Le dessus des portes et des fenêtres, comme celui des larges arcs des iwans, des deux cours du Salamlik et du Haramlik, sont décorés de mosaïques à motifs géométriques. Ces motifs ont été obtenus en gravant le modèle dans la pierre puis en garnissant les cavités avec de la pâte, des pierres ou des coquillages colorés. Ces décorations renforcent les bandes horizontales blanches et noires, alternance de calcaire et de basalte, auxquelles s'ajoutent des pierres blondes, selon un ordre particulièrement harmonieux qui relève du style architectural musulman appelé ablaq. D'autres variétés de marbres et de pierres complètent la décoration des murs, des planchers et des plafonds. Les murs et les plafonds des salles et des iwans sont recouverts de boiseries ornementales ou de peintures très élaborées. Plus de mille arbres ont été utilisés dans la construction du palais. Certains ont été envoyés sous forme de dons de la noblesse ou proviennent des droits qui devaient être acquittés au pacha selon les règlements administratifs de la province de Damas. La plupart des bois de construction furent employés dans la structure des bâtiments. De beaux peupliers entrèrent dans la confection des plafonds à multiples couches, selon le goût des plus riches maisons de Damas à la période ottomane. Nombre de plafonds sont ornés de panneaux de bois peints décorés de motifs végétaux, géométriques ou de calligraphie arabe. Les textes arabes sont la plupart du temps des versets du coran ayant une portée religieuse, philosophique ou poétique. On y trouve aussi des inscriptions en l'honneur du pacha. Ce décor symbolique est destiné à inspirer sagesse et méditation et à stimuler les conversations élevées. Cet art de la décoration des plafonds (ajami) remonte probablement à l'ancienne Mésopotamie; il fut développé par les Parthes et les Perses. Il était déjà en usage à Damas lorsque Tamerlan brûla la ville en 1401. Dans l'Antiquité, les bois de Syrie et du Liban, en particulier les cèdres, étaient déjà exportés en Asie mineure et en Égypte. Plus tard, l'art de la décoration des plafonds se répandit dans le monde musulman jusqu'en Europe, en Sicile et en Espagne, ainsi qu'en Asie, grâce à  l'expansion de l'islam. Les textiles tissés et brodés, ainsi que l'enluminure des manuscrits, furent certainement influencés par l'art mamelouk et ottoman. A la fin de la période ottomane, au contraire, l'influence de l'art européen se développa en Syrie, en particulier à travers la peinture des paysages. 

Dans les différentes pièces du palais ouvertes aux visiteurs, ces derniers peuvent revivre les scènes d'autrefois non seulement grâce aux décors et au mobilier et objets d'époque mais aussi à des personnages de cire, portant des costumes traditionnels, qui reproduisent ces scènes. Dans les cours, dallées de dessins géométriques, agrémentées parfois d'un bassin, ils jouiront des ombrages des jardins et des senteurs des fleurs et des fruits d'essences variées (tamaris, jasmins, orangers et citronniers, vignes...) en écoutant le murmure des jets d'eau. Dans une partie du salamlik, ils s'intéresseront aux interprétations de quelques activités artisanales traditionnelles, celles du cuivre, celles du verre, celles du bois...  

On pense que la fabrication du verre est née en Phénicie. Le verre phénicien était très prisé du monde antique méditerranéen. La technique de fabrication se propagea vers l'Égypte à partir du Levant. Pendant les périodes hellénistique et romaine, l'industrie du verre connut une forte expansion en Syrie*, à Damas, et en Égypte, à Alexandrie. Elle resta prospère après la conquête musulmane, tandis qu'elle se développait également à partir des Sassanides en Mésopotamie et en Perse. Les formes classiques se maintinrent au début de la période islamique (gobelets, bouteilles de diverses formes et dimensions, vases, globes...). Les objets étaient produits en employant la technique du verre soufflé. Différents moyens de décoration furent mis en oeuvre, pour rendre les produits plus attractifs, en s'inspirant de modèles mésopotamiens, grâce aux objets qui circulaient sur les routes caravanières. Jusqu'au 15ème siècle, le verre en provenance du Levant joua un rôle primordial dans la renaissance de l'industrie du verre européenne, mise à mal par l'effondrement de l'empire romain. A la fin de la Renaissance, cependant, cette industrie se développa en Italie, à Venise, et le courant d'échanges s'inversa. Pendant les périodes safavides et ottomanes, le verre européen, en provenance d'Italie, d'Angleterre et de Hollande, fut importé en quantité croissante au Moyen-Orient, où il entra en concurrence avec les productions locales. Malgré tout, la production de verre en terre musulmane résista, que ce soit dans l'empire ottoman ou dans l'empire hindou du Grand Mogol. La Turquie stimula cette résistance, notamment à Damas, afin de maintenir en activité la production locale. 

* C'est en Syrie qu'aurait été inventé le verre coloré voici 3000 ans et deux frères italiens seraient à l'origine de l'industrie du verre vénitien après s'être formés dans ce pays. 

L'artisanat du bois existe à Damas depuis une époque très reculée et il a évolué vers un art raffiné tout en continuant à produire des objets utilitaires employés quotidiennement. L'oasis bien arrosée de Damas (Ghouta) et les gorges de la Barada fournissent du bois dur et tendre de première qualité aux travailleurs de cette matière première. La montagne libanaise, connue pour son cèdre, et le nord de la Syrie, produisent également des bois remarquables. Les noyers, les oliviers, les citronniers, les abricotiers et les peupliers des alentours de la Barada sont spécialement appréciés. Les noyers ne fournissent pas seulement des fruits nourrissants mais servent aussi à la fabrication de meubles et de coffres marquetés. Pendant la période ottomane, de beaux plafonds (ajami), des bois incrustés (intarsia), de la marqueterie et des objets utilitaires furent produits en quantité par les artisans damascènes. Avant l'arrivée de la mécanisation, des tours manuels pouvaient encore être vus en activité dans les ateliers de Damas. Le tour était habituellement posé sur le plancher et le morceau de bois à travailler fermement coincé entre deux mors d'acier en rotation. On le faisait tourner avec la corde d'un arc tenu de la main droite tandis que l'artisan employait sa main gauche et son pied pour appuyer une lame d'acier sur le bois en mouvement, le façonnant ainsi de la manière la plus régulière possible. Les portes et les portails en bois ouvragé étaient une marque déposée des maîtres artisans de Damas. Le style syrien des portes en bois clouté développait souvent un modèle compliqué qui rayonnait du centre aux extrémités en répétant toujours la même forme étoilée. Le temps et l'attention pour concevoir et réaliser de tels chefs-d'oeuvre témoignaient du professionnalisme exemplaire des artisans damascènes. 

Pendant le mandat français, le palais Azem fut un moment la résidence du Haut commissaire français. Au cours d'une émeute, en 1925, ce haut fonctionnaire n'aurait dû son salut qu'à la fuite, déguisé en femme. Le palais fut sévèrement endommagé par les incendies allumés par les émeutiers et les bombardements qui triomphèrent de l'insurrection. Reconstruit, il abrita l'Institut français d'Archéologie de Damas à partir de 1930. Après l'indépendance, dans les années 1950, le musée des Arts et Traditions populaires s'y installa. 

Pour plus d'informations sur l'histoire du palais Azem, cliquez ici

La visite du palais Azem achevée, nous revoilà dans un souk; puis nous longeons une muraille antique La prochaine visite sera pour la mosquée des Omeyyades. Je ne me souviens pas quand la pause déjeuner a interrompu nos visites. Je crois que ce doit être à peu près à ce moment. Au sortir du restaurant, qui était dans un sous-sol, nous avons rencontré un ancien champion de Syrie dans je ne sais plus quelle discipline (course à pied ou natation?), une connaissance de notre accompagnatrice française. 

Au débouché du souk Hamidiyé (ou Hamidiya), une longue galerie commerçante, en partie couverte de fer, nous nous trouvons devant les restes d'un propylée romain. De l'autre côté d'une petite place, s'ouvre l'une des entrées de la grande mosquée des Omeyyades. Une partie du souk est construite sur l'axe de la cité romaine qui conduisait au temple de Jupiter, successeur au 3ème siècle d'un temple araméen, qui a cédé ensuite la place à une basilique dédiée à Saint Jean-Baptiste, puis à la mosquée. Une coupole rouge se dresse sur le bleu du ciel, au-dessus des façades blanches (nos trois couleurs sont toujours à Damas!) Dans l'enceinte de la mosquée, des colonnes du temple de Jupiter sont encore debout. Notre première visite, après que les femmes se soient revêtues d'une longue tunique grise à capuchon, est pour le mausolée de Saladin 

Ce mausolée fait partie de la madrasa al-Aziziya; ces deux édifices furent bâtis par al-Aziz Othman, un des fils de Saladin, en 1195; ils se trouvent au coin nord de la mosquée. Saladin, mort en 1193, fut d'abord enterré dans la citadelle de Damas. La vie de ce preux musulman a déjà était résumée sur la page consacrée au château de Saône. Ajoutons que ce redoutable guerrier était aussi un lettré qui aimait les discussions philosophiques et littéraires, y compris avec ses adversaires francs, pendant les périodes de paix. Cela ne l'empêchait pas de se montrer impitoyable envers ses ennemis. C'est ainsi qu'il décapita de sa main Renaud de Châtillon, seigneur de Kérak, mais il est vrai que celui-ci ne l'avait pas volé! Saladin savait se montrer chevaleresque au point de refuser de combattre le roi lépreux de Jérusalem, Baudouin IV, ou d'épargner le secteur où se tenaient les noces de la belle-fille de Renaud de Châtillon, lors d'un siège du château de Kérak. A l'intérieur du mausolée, on peut admirer le tout premier sarcophage qui renferma le corps de Saladin, celui du 12ème siècle, tout de bois sculpté, dans lequel repose encore sa dépouille mortelle. On peut également voir un sarcophage de marbre plus récent, qui fut offert par Guillaume II, lors d'une visite. Il y a là aussi une lampe de bronze et d'argent sur laquelle sont gravées les initiales du héros. 

En longeant une haute muraille, surmontée d'un minaret, nous gagnons une porte qui donne sur la cour intérieure de la mosquée où nous allons pénétrer, en laissant nos chaussures sur le seuil. Le périmètre sur lequel s'élève la mosquée n'a pas cessé d'être consacré au culte, depuis plus de trente siècles. Ce fut d'abord celui de Hadad, un dieu sémitique, puis celui de Jupiter damascène avec les Romains, avant que, dans la seconde moitié du 4ème siècle, le temple païen ne cède la place à une église dédiée à Saint Jean-Baptiste. Entrés à Damas en 636, les musulmans se contentèrent tout d'abord d'un modeste lieu de prière, à côté de l'église du Précurseur. Mais, en 705, à la suite des troubles consécutifs à l'approche des troupes byzantines, le calife omeyyade Walid Ier (Walid Ibn Abdulmalek), décida de remplacer l'église par une mosquée monumentale dont la construction s'étala sur une dizaine d'années; c'est donc l'un des premiers édifices monumentaux érigés par les musulmans. Les chrétiens ne furent cependant pas totalement privés de lieux du culte, comme on l'a déjà vu plus haut, puisque Walid 1er leur rendit notamment l'église de la Sainte Croix. Le calife fit appel à des architectes et décorateurs byzantins qui adaptèrent les plans des églises orientales aux impératifs de la religion musulmane. L'édifice connut bien des vicissitudes; pillé et en partie démoli à deux reprises par les Mongols, aux 13ème et 15ème siècles, il fut détruit, en 1893, par un incendie accidentel qui ne laissa que les murs de la salle de prières et la cour. Le 6 mai 2001, la mosquée des Omeyyades connut un événement mémorable avec la première visite d'un pape dans un lieu de culte musulman. 
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Les somptueuses décorations d'inspiration byzantine
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La mosquée des Omeyyades est la plus célèbre des mosquées. Son architecture, sa construction et ses ornements sont uniques. Elle a servi de modèle à d'autres mosquées de par le monde et les architectes n'ont jamais cessé de s'en inspirer, de l'Inde jusqu'à l'Atlantique. Elle marque le début d'un nouvel essor de l'architecture arabo-musulmane. Elle couvre une superficie de plus de 15000 m2 (157x97 m) auxquels furent ajoutés, au 20ème siècle, 7000 m2, sous la présidence de Hafez el-Assad. Elle possède quatre portes: Bab Bride, Bab al-Nofara, Bab al-Sagha et Bab al-Amara. Elle compte trois minarets: le minaret du sultan Qait Bey, construit à l'époque mamelouke, au 15ème siècle, dans le style alors en faveur au Caire, au sud-ouest, du côté du souk Hamidiyé; le minaret de Jésus, dont la partie inférieure date du 13ème siècle tandis que le sommet fut construit à l'époque ottomane, au sud-est; le minaret de la Fiancée (al-Arousse), qui est le plus ancien, sa base datant du 11ème siècle et sa partie supérieure du 12ème siècle, au nord. Le minaret le plus haut est celui de Jésus; on dit que c'est là que le Messie reviendra le jour du jugement dernier. La mosquée possède quatre salles: la salle Ali Bakr, la salle Omar, la salle Othman et la salle al-Hussein qui contient la tête du fils d'Ali vénéré par les chiites. La cour, qui mesure 122x55 m, est dallée de marbre et bordée d'un portique sur trois côtés; on peut y admirer trois coupoles: à l'ouest, la coupole d'Almal (Trésor ou Khazné), la coupole des montres et la coupole de la fontaine jaillissante, au milieu de la cour. Dans la grande salle des prières, se trouve le tombeau de Saint Jean-Baptiste, le prophète Yahya, qui repose sous un drap vert brodé d'or, le mihrab (niche tournée vers la Mecque), à côté de lui le minbar (chaire des sermons), ainsi que quatre autres chaires. Au milieu de la salle des prières, s'élève la magnifique coupole de l'aigle dont la hauteur dépasse 45 m. Dans cette salle des prières viennent se recueillir des chrétiens aussi bien que des musulmans en l'honneur de Saint Jean-Baptiste. Les panneaux en mosaïque dorée sont considérés comme parmi les plus beaux du monde. On y voit des scènes représentant des dattiers couverts de fruits, des arbres et de l'eau à profusion, entourant des ponts et des châteaux; bref l'image du paradis telle que peuvent l'imaginer les habitants d'un désert pour qui une oasis est forcément un lieu de délices. Ces illustrations, visiblement héritées de l'art byzantin, constituent une sorte de transition avec l'art proprement arabo-musulman. Ajoutons que plusieurs colonnes et chapiteaux sont d'origine antique. On y voit aussi une horloge solaire sur l'une des colonnes nord de la mosquée et une horloge astronomique dans le minaret al-Arousse.  

La visite de la mosquée terminée, nous longeons un moment la rivière Barada, qui passe près de la citadelle où fut inhumée Saladin, avant d'être transféré dans son mausolée. La citadelle, passablement ruinée, paraît très ancienne. Les maisons aux façades blanches, juchées sur des fondations élevées, juste au bord de la rivière, sont très pittoresques et abondamment décorées de plantes vertes et de fleurs. Je remarque, accroché à une fenêtre de l'une d'elles, qui doit être un magasin d'antiquités, un uniforme de légionnaire romain! 

Nous voici près de la porte Bab Kissan (ou Kassan), l'une des plus anciennes portes de Damas. C'est donc là que Saint Paul a fait le mur de la ville romaine, dans un panier suspendu à une corde, pour fuir ses persécuteurs juifs et se réfugier au sud de la Syrie, dans le Hauran, avant de se rendre à Jérusalem. Pour rappeler cet événement, une chapelle a été construite par Paul VI, pape entre 1963 et 1978, lors de son pèlerinage en Terre Sainte. Cette chapelle moderne n'a rien d'extraordinaire mais les peintures qui l'ornent sont très fraîches et très jolies. Sur un mur, une sculpture représente le saint en train de descendre le long de la muraille dans un panier attaché à une corde que ses disciples tiennent fermement en haut du rempart. Si ma mémoire est bonne, on voit même une réplique grandeur nature de la corde et du panier. Jean-Paul II a visité cette chapelle en 2001.   
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Une image saisie subrepticement dans le musée par un compagnon de voyage 
Au milieu Bêl, sous la forme d'un aigle et, de part et d'autre,Yarhibol et Aglibol 
Cette sculpture ornait-elle le thalamos de la cella du temple de Baalshamin à Palmyre?
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Notre prochaine visite est consacrée au Musée national. La façade de ce musée est décorée de statues parmi lesquelles ont reconnaît la réplique d'un château du désert, le Qasr el Heyr el Gharbi. Ce musée, qui date de l'époque du mandat français, conserve une riche collection d'archéologie syrienne. Il est précédé d'un grand jardin rempli de sculptures antiques ou il fait bon flâner ou lire au bord d'un bassin. L'intérieur contient une foule d'antiquités découvertes sur les sites par où nous sommes passés (Mari, Ougarit, Ebla, Doura Europos, Palmyre...) ou par où nous devons encore passer (Bosra, Shabba...); la visite constitue donc un incontournable complément de notre périple; malheureusement, il est interdit de photographier, comme d'ailleurs dans la plupart des musées, et nous sommes submergés d'informations qu'un cerveau normal ne saurait assimiler et retenir en si peu de temps; il nous faut donc nous contenter de savourer les découvertes dans l'instant. Autre circonstance à déplorer, le musée est en cours de réfection et des salles sont fermées; en particulier, nous ne pourrons pas voir les peintures de la synagogue de Doura Europos. La visite ainsi écourtée, je me promène longuement dans le jardin où des statues, entières ou tronquées, voisinent avec des sarcophages. Je remarque, contre le mur blanc du musée, une statue en basalte noir aux yeux blanc, portant une haute coiffe, qui me semble de facture assyrienne. 
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La statue d'une déesse de Mari du Musée de Damas 
Source: Syria - Ministère du Tourisme
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A peu de distance du musée, s'élancent vers le ciel les deux minarets de la mosquée Tekiya Soulaymania (ou Takiya al-Sulaymaniya) qui encadrent une belle coupole centrale accompagnée de coupoles plus petites, avec deux minarets sveltes, pareils à des crayons la pointe tournée vers le ciel. Cette mosquée, située derrière un grand bassin dans lequel somnole une eau verdâtre, est entourée d'arbres. Elle a été construite en 1554 par ordre du sultan Soliman le Magnifique, à l'endroit du château du sultan Adh-Dhâhir Baybars, le Qasr al Ablaq. C'est un architecte turc distingué, Sinan, bâtisseur de la mosquée Soulaymaniya d'Istanbul qui en dessina les plans. L'ouvrage est donc de facture ottomane. De superbes carreaux de faïences locales, à motifs floraux, ornent le tympan des portes. 

En face de la mosquée, derrière les arbres, on aperçoit les bâtiments d'une ancienne école coranique (madrasa) quelque peu écrasée par les buildings qui vont gratter les nuages (absents) derrière elle. Nous empruntons un chemin qui passe entre la mosquée et la madrasa pour gagner un ancien khan (caravansérail) converti en bazar. C'est le souk de l'artisanat, lequel dépend du Ministère du tourisme. Il participe de la volonté des autorités de maintenir vivantes les traditions artisanales syriennes. Les objets qui y sont vendus bénéficient d'une réputation de qualité. 

Nous gravissons la colline qui surplombe Damas, le djebel Qassioum, afin d'avoir une vue d'ensemble sur la cité. Celle-ci est vaste et il n'est pas facile pour un profane de retrouver les lieux qu'il a visité. On peut tout de même imaginer quel devait être l'émerveillement des habitants du désert, habitués à vivre au milieu de la solitude et des sables, lorsqu'ils apercevaient de ces hauteurs, pour la première fois, la grande cité dans l'écrin de verdure de son oasis: une image du paradis. On ne saurait donc s'étonner des superlatifs employés pour la nommer: la "Perle de l'Orient", la "Parfumée", "Iram", c'est-à-dire la ville à colonnes fabuleuse du Coran, ce qui est impossible puisque celle-ci aurait été découverte au sud de la péninsule arabique... Au cours des siècles, la ville a subi bien des transformations et la rigueur romaine n'y est plus guère perceptible. Elle s'est largement étalée et elle a grimpé au 20ème siècle sur les pentes voisines de manière pas toujours ordonnée. La palais présidentiel est aujourd'hui symboliquement en hauteur, mais aussi loin des foules turbulentes. Voici une anecdote relative au djebel. Il y a neuf siècles, quarante soufis y effectuaient régulièrement une retraite spirituelle; leurs persécuteurs les y suivirent en vue de les assassiner; pour leur échapper, les soufis se glissèrent dans une anfractuosité des rochers et nul n'a jamais plus entendu parler d'eux; pour commémorer cet événement, on construisit une mosquée, celle des Quarante. 

Sur le chemin du retour à la ville, j'aperçois, au bout d'une esplanade gazonnée, une sorte d'arc de triomphe moderne placé derrière une coupole qui ressemble à un énorme casque. Je ne sais pas s'il faut rattacher ce monument à quelque légende ou, plus prosaïquement, s'il est, comme le nôtre, chargé d'honorer la mémoire d'un soldat inconnu. 

De retour à Damas, le crépuscule est là. Quelques emplettes, un passage dans une boutique de friandises (chocolats, fruits confits...) et nous finirons la journée dans la caverne d'Ali Baba d'un souk. Nous revoici à l'angle de la citadelle. Une statue de Saladin se dresse dans le soir qui tombe. Derrière elle, dans la muraille, je remarque une porte murée. Nous n'épuiserons pas les charmes des souks où l'on trouve à peu près de tout, y compris des bijoux vendus au poids, et même des sous-vêtements féminins affriolants; ne nous y trompons pas, si la femme syrienne doit se montrer réservée à l'extérieur, il lui est recommandé de savoir se montrer séductrice lorsqu'elle est en tête à tête avec son mari! Il ne faut pas confondre réserve et pruderie. 
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Saladin au crépuscule
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Une journée pour visiter Damas, c'est vraiment trop peu et je suis sûr que nous sommes passés, sous la contrainte du temps, à côté de bien des choses intéressantes. Un regret: notre hôtel, situé à proximité de l'aéroport, était trop éloigné de la ville pour pouvoir y flâner, comme à Alep, après notre dîner. Il ne nous restait que la ressource d'un tour au bar!  

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