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Cette
nuit je pensais tout
laisser tomber.
Mais ce matin, de bonne heure,
attristé par un mauvais rêve,
en montrant mon nez dans la rue,
j'ai trouvé déposée
sur le pas de ma porte,
une petite plume,
je ne sais pas si elle était
de colombe ou bien de mouette,
mais elle vint m'agiter l'esprit.
Oui, j'en suis certain ce matin
l'ange égaré d'un vagabond
a dormi, là, contre ma grille;
il me demandait l'asile et je ne l'ai pas
entendu.
Extrait de "Gozo Comunicado
(1996-2001)", Córdoba, CajaSur, 2006
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Janet
Núñez Marroquín
Si
ce n'était par les supplications
de ce corps absorbé dans le pénombre
à cette heure déjà plongé
dans l'âcre saveur d'une rencontre avortée
une fois extirpée la racine protectrice
extraite la pulpe du sexe et piteuse la dépouille
une vérité quelconque pétrirait
le futur
Si ce n'était parce que quelqu'un
rumine les os d'un enfant non né
avec sa faim de moisissure gravissant l'insensé
et un son qui est le préambule du froid
j'ouvrirais les vannes du printemps
Si ce n'était parce que l'après-midi
mon corps reste sans impulsion
un sommet plié derrière le brouillard
une berge qui meurt sans se plaindre
une douleur d'accouchements dissimulés
j'exprimerais jusqu'à la moelle
cet effort de vivre que je suis et auquel
je tiens
quoique à tant m'examiner
pour ne pas devenir cadavre jamais je n'ai
vécu
Alors déjà épuisée
d'intentions et de mystères
à partir de cette heure je déploierais
mes ailes
je porterais le bagage des sans espoir
un coffre empli de choses troquées
et retroquées
la cendre des amours d'un jour transgressé
si ce n'était parce que le soir tombe
et que la nuit se ferme sans paupières
si ce n'était parce que ma vie
sonne
en points de suspension
et si ce n'était que la nuit
est brève et sans mémoire.
Extrait de "Equipaje para
desahuciados", Gijón, Ediciones del Horizonte, 2006
Janet Núñez
Marroquín est une auteur d'origine colombienne
D'autres poèmes, en espagnol, peuvent
être lus ici
et, en français, ici
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David
Leo García
Trois griffes de hyène
Je vais acheter le pain, comme le petit loup
qui, une fois sa meute calmée,
doit continuer à prolonger le rêve
des autres.
Pendant un moment je pense: dans cette mie
se pelotonne notre vie, notre perte,
des victoires, des perles, des vomissements.
La manger va être la manière
de différer le chèque
au croque-mort qui nous emportera.
Mais je la parcours de la main et m'aperçois
du contraire:
je ne porte rien d'autre que trois baguettes
d'oubli,
six cent grammes humides de mort,
je comprends que la nourriture qui bat dans
mon sac
confère leur puissance aux corps
et dédaigne l'essence des hommes.
Je monte les marches de ma demeure,
je donne sa ration de mort
à chacun de mes parents.
Que Dieu bénisse notre santé.
Amen.
Extrait de "Urbi et orbi",
21ème prix de poésie Hiperión
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Ben
Clark
VII
(Alberca
Blues)
Rien n'effraie tant que le froid.
Rappelle-toi la première fois qu'unis,
nous respirant mutuellement - sorte
de créature étrange sous la
pluie -
nous éprouvâmes le pouvoir de
notre baiser.
La nuit où nous sentîmes que la
nuit
rien ne pourrait s'entreprendre pour nous
tuer.
Que nous avions vaincu.
Que le plomb chuterait d'un pinacle endeuillé
et que nous serions là, comme si de
rien n'était;
comme quelqu'un qui écoute la pluie
tomber.
Nous avions vaincu et comme toujours,
étant frères primordiaux, avec
la joie
et l'oubli, j'écartai la peur que l'on
éprouve
à se trouver seul dans une rue tremblotant,
comme aujourd'hui je suis sans toi.
Rien n'effraie tant que le froid.
Extrait de "Los hijos de los
hijos de la ira", 21ème prix de poésie Hiperión
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Antonia
Álvarez
Après midi
La lumière habille de peau les mains
profondes,
le battement si lent des veines
de l'après-midi.
Le silence
ouvre une brèche dans les heures,
creuse un canal
chaque fois plus enfoncé.
Et la nostalgie
se perd dans la rivière de tes yeux.
Extrait de "El color de las horas" qui a obtenu le 36ème prix "Pastora Marcela"
Un autre poème de cette auteur est ici
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José
María Muñoz Quirós
Prélude
Je t'ai sentie
une fois de plus, proche, avec les choses
plus miennes, dans le monde
que je dessine seulement dans un rêve.
Au centre, c'est l'abîme qui se nourrit
de nos propres heures, ce que le temps
vole à d'autres mots sur l'air
depuis on ne sait quel espace.
Tu es là, avec les lettres
diaphanes, les murs, le crépuscule
de l'âme
entre les lèvres, la vérité
attendue. (Une fois de plus
je m'éveille à la poésie).
Que va-t-il advenir
de cet impérieux état de te
rencontrer...?
Extrait de "Ternura extraña",
réédité par Gárgola de poesía,
Salamanque 2005
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Delfina
Acosta
Temps
Le fait est que c'est dimanche et qu'il est
temps
d'ouvrir de bleu en bleu les baies vitrées
à un rêve dans lequel tout serait
différent:
les planches de bois dur sous le ciel,
et alentour, tranquillement posés le
chandelier,
le père de dix fils et un autre qui
passe,
le pêcheur, le vendeur de saints,
le colporteur de lustre correct,
le journalier à forfait avec son ballot,
le pauvre mendiant du coin,
le maçon sans maison, le locataire
de quatre poteaux qui a mis une lampe au clou,
bref, toute créature sombre et vivante,
et de dresser ici la table, avec du vin en
abondance,
du manioc, de la bonne viande épicée,
ce que l'on appelle une collation grandiose.
Je sais qu'il est temps de prendre sur nous
la faim
des autres, et de nous l'approprier.
Et qu'il est temps que le poète proclame
au monde
son rêve d'oignon rédimé.
Extrait de "Todas las voces,
mujer..."
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Ahmed
Hachem Eraissouni
Sous le toit de Tanger
Nous construisons la vie
corps à corps.
La mort arrive
et nous arrache la vie:
l'âme...
Combien de sentiers traverseras-tu,
Oh, chamelier!, avant que ne te réveille
la femme de ton ébriété.
Combien de mains tendras-tu,
oh, ruiné!,
après avoir vidé l'aurore
dans le nombril de la gamète.
Ou dis-moi, petite,
combien de sueur nettoiera l'embryon des vagues.
D'ici a commencé le voyage
du maquilleur de mes chaussures.
Il n'était pas ivre comme d'habitude,
il ne portait pas les rivières sous
son aisselle,
mais son soleil s'arrêtait
brillant sous un ciel caduc
dont les fioles inondèrent la porte
de la ville.
A-t-il renversé la folie sur ma chaussette?
A-t-il effacé le jour avec la fatigue
du marin?
Ou a-t-il seulement considéré
que les nuits sont des sermons?
Et ainsi,
avec mon fusil à l'épaule
je considère le gobelet du camarade.
Oh, mort amoureuse!
Combien de corps dépeupleras-tu cet
après-midi?
Quel rôle joueras-tu?
Lune au milieu du chemin,
une main serrée
en sanglotant dans le bûcher.
L'aube des mouches n'était pas nuageuse,
elle ne naviguait pas dans la poussière
du néant.
La nuit tomba
et la mer se replia,
en s'inclinant un peu vers le côté
gauche:
le côté de celui qui gémit.
Elle s'inclina un peu vers Tanger enterré.
Le bateau ne s'approcha pas de la berge,
les avirons semblaient se déplacer
tandis que les marins
trouaient les escaliers de l'eau,
et les filets dénudés.
Saufs de leur passion,
ils commençaient à nettoyer
les arbres avec la boue...
Dans la mémoire nous ficherons nos pieux,
nous nous réjouirons des jarres pleines
d'aurores
qui arrivent jusqu'à ce rivage de Tanger,
jusqu'à cette nuit obscure.
Cette nuit égarée dans les regards.
Extrait de "Sobre el tiempo
caminan los árboles" (Aula de Literatura José Cadalso, abril,
2006, nº 25)
Ahmed Hachem Eraissouni est
un poète marocain
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Jerónimo
Granda
Me voici sexagénaire
Pour lors je suis sexagénaire
D'abord j'ai été à la
crèche
J'ai ainsi appris l'alphabet
Et passa le calendrier
J'ai enlevé le scapulaire
Et j'ai aussi perdu la foi
Et j'ai aussi perdu la foi
Vierge bénie du saint rosaire
La faute en est j'en suis certain
A vivre toujours en chantant
J'ai bu selon le règlement
J'ai fumé plus que nécessaire
J'ai aimé comme un négligent
Et surtout bien sûr j'ai chanté
Et surtout bien sûr j'ai chanté
Un répertoire de boute-feu
Et surtout bien sûr j'ai chanté
Et moi je veux encore chanter
La faute en est j'en suis certain
A ce satané scénario
Je fus toujours extravagant
Jamais vivant sur les impôts
Pas plus que du crédit bancaire
Je le jure par le Tabernacle
De l'armoire je ne sortirai
De l'armoire je ne sortirai
Et le commentaire s'acheva
La faute en est j'en suis certain
Que le monde n'est qu'un théâtre
Je n'ai jamais servi non plus
D'émissaire ou de dromadaire
Quoi qu'en dise le commissaire
Jamais je ne fus de prison
Soldat de la légion non plus
Ma vie toujours s'est écoulée
Ma vie toujours s'est écoulée
En chantant comme un canari
La faute en est j'en suis certain
A ce satané scénario
J'aurais aimé être un pirate
Ou bien plutôt être un corsaire
Mais par dessus tout il me faut
Être un bon révolutionnaire
Et me voici devant vous autres
M'en allant droit chez un notaire
Pour y signer une hypothèque
Non payable avant mille années
C'est pourquoi moi je veux mourir
Moi je veux mourir en chantant
La faute en est j'en suis certain
A la vie qui n'est qu'un théâtre
C'est pourquoi moi je veux mourir
Moi je veux mourir en chantant.
Le site de ce chanteur est
ici
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Mariano
Shifman
Prêtre en Ugarit*
La condition est de toujours pouvoir t'aimer
que tu te recrées quotidiennement avec
le calme intense
de la fleur
Majestueuse
tu t'ouvres et te fermes comme à regret
dans le labyrinthe inéluctable
que tes fidèles trament pour toi.
Le crépuscule et l'aurore te précisent
entre les ténèbres symétriques
qui essaient de te confondre.
On m'a dit que tu refuses les eaux clémentes
de l'oubli,
baume des plus faibles.
Tu sais qu'avant les mots
avant tout principe
bien avant
te furent destinés un corps
et une mission.
*Ugarit: royaume du Moyen-Orient ancien, au nord de la Syrie actuelle, qui serait à l'origine de l'alphabet
Extrait de "Punto rojo", Buenos Aires, De los cuatro vientos, 2005
D'autres textes de ce poète argentin
sont ici
Et son blog est ici
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Máximo
Hernández
Araignée
Opiniâtre comme Pénélope,
mais sans l'excuse de l'amour
elle nourrit ce quelle délivre, sans
s'accorder la moindre trêve
cependant que s'ourdit la trame d'un voile
d'illusion,
le point focal universel où sera suppliciée
la proie
ciblée par son destin. L'araignée
ne tisse rien
qui n'ait déjà été
tissé dans un recoin du ciel.
Elle revêt d'un linceul de soie la source
de la vie,
elle boit avec avidité la lumière
des ses impulsions,
en oubliant la peur, sans aucune défense
elle sillonne l'empyrée de son garde-manger,
le champ de bataille où elle trouvera
la mort.
Pour regarder le ciel, qu'elle a couvert de
rides
elle offre sans défense à la
terre son dos,
à la terre qui est son mortel ennemi.
Extrait de "Zooilógico"
(Barcelone, La Poesía señor hidalgo, 2004)
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Mara
Romero
Abriter
des orages,
éloigner cette fonction
qui anticipe le parfum des morts
telle fut ma consigne:
l'espérance dissimulée,
en réparant des versants de cristal,
construits en brouillard qui brûle.
Dans le lointain des vagues écoutent
ma plainte,
ce son austère qui nous berce
et se perd au fond des nuits
qui déjà ne sont plus nôtres.
Je contemple ton voyage intérieur
quand tu t'absentes des limbes;
tu penses des rêves,
et moi je les convoque
spectatrice qui essaie de rafistoler ton retour,
percevoir nos voix dehors
diluant la conscience,
les adieux qui me suivent
quand les mots échouent.
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Juan
José Vélez Otero
(En regardant ma première montre)
De temps en temps viennent les couleurs
qui nuancent les souvenirs; printemps
passés, lumineux, authentiques,
pesants de cloches et de fleurs.
Réminiscences qui sont plumes ou rumeurs,
et s'en retournent en manipulant mille sphères
des jours écoulés à la
poursuite des chimères,
d'un temps emprisonné dans les tambours.
Il ne reste rien d'autre que l'écume
de la mer,
ce qui est mort, toujours attaché aux
rouages,
au fossile du métal et de la brume.
Il ne reste plus que le passé, dans
l'horloge,
cristal observateur du temps. En somme:
du passé dans le présent ankylosé.
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Julio
Asencio
Lavinia*
Tel un Orphée** mineur,
ombre mienne, quand je t'embrasse
l'air glacial du néant me brûle,
hélas, enfer récurrent de la
chair.
Mal blessé je déambule
dans une tourbe d'êtres infâmes
mastiquant la jusquiame*** de cette galère
si terrible que l'on me croit déjà
mort.
Chanteur de mon malheur,
avec le son arraché de mon sang
je t'invoque, belle ombre entre les ombres,
hélas, inexorable et funeste passion.
*Fille de Latinus, roi des Latins,
et épouse d'Énée, dans la mythologie romaine.
**Personnage de la mythologie
grecque, poète et musicien, qui tira sa femme, Eurydice, des enfers
avant de la perdre à jamais.
***Allusion à l'épisode
de l'Odyssée durant lequel la magicienne Circé transforma
en pourceaux les compagnons d'Ulysse en leur faisant boire un philtre contenant
de la jusquiame?
Extrait de "Los espejos desvelados"
- (Jerez, "Tierra de nadie", 2006)
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Víctor
Jiménez
Ici entre les ombres
Être ici tellement près,
à la distance de mes bras,
à la distance de ton haleine,
et ne pouvoir ni te toucher ni te dire
au moins un mot
d'amour ou de désir;
être ici à tes côtés,
entre des ombres anonymes qui ne savent
rien aux façons de ce destin;
être ici avec toi et ne pas être
ensemble,
comme si nous n'étions déjà
plus nous autres;
être ici te sentant,
humant ce parfum d'autres après-midi,
méditant comment faire
pour lors mienne ta beauté;
être ici te regardant et que tu tournes
la tête ailleurs et m'ignores,
je ne sais pas si c'est ton stratagème,
je ne sais pas si c'est l'oubli,
je ne sais pas... je ne sais pas si tu me
montres
ou non le dos,
mais bien la nuit.
Extrait de "Taberna inglesa", Casa de Galicia en Córdoba, 2006 , (Prix "Rosalía de Castro")
Un autre poème de cet auteur est
ici
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Gabriel
Otero
Caïn dormit
après le meurtre
il se rêva habitant
de terres étranges
il se vit retournant des déserts
débordant de cadavres
il s'imagina fondateur de villes
avec des enfers de plomb
et des cieux de glace
il s'éprouva entrailles
du veau d'or
puis il se réveilla
et sa faute
le fit se traîner éternellement
vers son exil.
Extrait de "Sueños
de Caín frente al espejo y otros poemas" du poète salvadorien
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José
Luis García Herrera
U Minuty
À midi, de retour à la mosaïque
taciturne
d'une mer de pierre lente et calme,
la lumière noire dessina des ombres
équestres
sur une façade aux fenêtres donnant
sur l'oubli.
La vie pourrait être expliquée
en une minute
et encore, il nous resterait beaucoup de temps
pour comprendre la brièveté
de ce miracle
qui échappe des mains comme une pluie
de sable.
Des ombres d'eau trouble et de cendre chevauchent
le coffre secret de ma courte jeunesse
sur la berge solitaire des soirées
éloignés.
À d'autres fenêtres j'appellerai
quand je m'en irai,
quand les chevaux de la nostalgie s'enfuiront
- en galopade précipitée -
sur la ligne obscure de mes dernières
heures
jetées comme des cartes sur une mer
morte.
Il reste une minute pour atteindre le néant.
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Rosaura
Álvarez
De la mort dans la vie
Ma vie, tu n'es pas seulement de la vie.
Tu me mens et tu te pares
de souffles vécus
-la pulsion suprême de te savoir présente-.
Tu vis davantage le passé.
Ces vies qui furent
et tu respires et parfumes ton sang.
Matière incertaine,
que tu ne peux caresser,
silences qui t'habitent.
Absence et coexistence
-noces de vie et de mort -
ah, si unis
que les disjoindre ne se peut.
Extrait de "El áspid,
la manzana", 10ème Prix Internacional de poésie "Antonio
Machado en Baeza", Madrid, Hiperión, 2006
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Juan
Ramón Barat
Comme un homme quelconque
En embrassant mon corps,
garde présente à l'esprit
cette vérité profonde:
que mon corps est seulement
une ombre éphémère au
milieu de l'ombre
que le temps ne borne pas,
et que dans ma chair
tu n'embrasseras jamais la transcendance
parce qu'il n'existe pas de mystère
dans le corps qui est poussière
et seulement poussière.
N'oublie pas, mon amour,
que je ne suis pas dans la chair brandie
mais dans la musique de ton désir.
Extrait de "Malas compañias"
(Madrid, Asociación de Escritores y Artistas Españoles, 2006),
ouvrage qui a obtenu le prix "Blas de Otero" en 2006
Le site de Juan Ramón Barat est
ici
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Marian
Suárez
La lumière jamais usée
L'hiver
qui aujourd'hui hume la terre quand il pleut,
n'est pas égal
pas plus que la lumière
qui met sur pied
l'ombre des arbres.
Comme il est singulier de voir
la vie à travers un cristal
qui simule tant de beauté,
regarder la lumière
tomber
entre les murs séparateurs
de mes yeux.
Extrait de l'ouvrage "Las
calendas griegas (Antagonía)", Ferrol, Collection Soláster,
2006
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Fernando
Menéndez
Laisser les traces
où déjà personne
ne peut aller plus loin,
où être est naître
et où la mémoire est le désir
qui parvient à être la lumière
fugace du poème.
Sans voix, et cheminant
entre les ombres
du coeur,
maître de qui aime
son destin
et ses silences.
Extrait de "En la oquedad
de tu nombre", Valladolid, Difácil, 2006 (Ilustrations de Kíker)
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Lucía
Fraga
La nuit de mon corps
Je vois la face de ma mère en pleurs
qui se reflète sur le sol.
Je me suis montrée à la fenêtre
et je me suis changée en pluie qui
tombe sur la ville insomnieuse.
La nuit je perds complètement la notion
de mon corps et,
peu à peu,
je m'incorpore au paradis des imbéciles.
La rue a une étrange couleur de chat
nocturne
qui ne me laisse presque pas reconnaître
mes mains
mêlées à la brume.
J'étire les bras par dessus des labyrinthes
de béton
de la même envolée qui soulève
les jours en haut des souvenirs.
Le temps se désespère dans cette
nuit
qui est la nuit de mon corps sur la terre
mouillée.
Les eaux endormies parcourent les chemins d'argent,
des torrents s'écroulent,
en inondant des villes qui rêvent.
Je déambule dans une boule de cristal
qui garde la neige de l'hiver oublié
et donne leur nom aux demeures dormantes
sur lesquelles je passerai.
Désormais je n'aurai plus jamais froid,
même si la neige couvre mon corps,
parce que viendra le jour que ma chair requiert.
Extrait de "Nostalgia del
acero", Santiago de Compostelle, "Los libros del caracol", Follas novas,
2006
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Juan
Ramón Mansilla
Patries
Et ensuite celui-ci se tient là,
creux dans le trou,
immobile entre des équipements,
des visages, des vies qui changent,
et au milieu l'habitude
comme un déguisement de vent usé.
La chair devra supporter un long hiver,
les vêtements perdus,
davantage de boue qui souille la terre.
La solitude, la faim,
pas grand chose de plus qu'une notice.
Parfois avec colère, d'autres fois
avec mansuétude dans son for intérieur.
Les mots ne sonnent pas pour tous.
Nous ne sommes pas ceux qui sommes,
mais ce qu'en solitaire nous poursuivons.
Déjà nous n'avons plus le temps.
D'autres finiront ce que nous n'avons pas
fait.
Extrait de l'ouvrage "Los
días rotos" qui figure dans la bibliothèque de Portal
de Poesia
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María
Sanz
Lucidement triste
Marquée par le signe des heures,
judicieusement folle
dans une raison en quarantaine,
tu en arrives à te différencier
grâce à ces avatars qui derrière
eux te traînent.
Aucune minute ne croît, elle se transforme
peut-être comme l'idée submergée
dont la déduction te motive
pour survivre entre deux eaux.
Libérée par tous les silences,
lucidement triste au milieu
d'un destin livré par tranches,
tu viens voir ton ombre
derrière ces clartés qui n'éclipsent
rien.
Aucun moment ne s'écoule,
il se dilate
peut-être comme l'amour dépossédé,
dont la vérité exige d'être
en même temps captive et fuyante.
Extrait de l'ouvrage "Voz mediante" (Séville, Point de Lunettes, 2006) qui a obtenu le prix de poésie "San Juan de la Cruz-Ciudad de Úbeda"
D'autres textes de cet auteur sont ici
Des études et des oeuvres
des poètes qui précèdent sont accessibles en
espagnol sur le site Portal
de poesia
Temps
forts
...
Je demeure berger d'aurores
Et de soleils en devenir,
Comme un cueilleur de météores,
Qu'il nous convient de définir.
...
___________________________________________
Patricia
Brunaux
La poésie est désert
... Le déracinement est la cicatrice des humbles.
... Je suis d'une espèce qui s'éteint
et ne veut plus souffrir les pointes de bonheur. Le soulagement m'est insupportable,
il me faut devancer les gestes de ma progéniture. J'ai résilié
le bail qui me liait à mon créateur.
___________________________________________
Bénédicte
Corette
...
Dans le monde où je vis
Il y a des flaques de verre
Soir figé dans la glace
Brise l'âme des étoiles
...
___________________________________________
Nicole
Faucheux
Émeute
...
Les pierres se font légères
Aux mains des émeutiers.
...
___________________________________________
Georges
Garillon
Un
glaive d'espoir
...
Mais déjà nous étions
dans le noir
de la houille, prisonniers des pierres
et des larmes; nous étions arrivés
dans le potager de l'agonie universelle
à ne croire qu'en un glaive d'espoir.
___________________________________________
Roland
Marx
Inventaire
...
puisqu'on délaisse aux bombardiers
le soin de modeler la terre
...
remettez-nous une autre bière!!
___________________________________________
Gilberte
Mateu
Le
mur
...
On abat un mur à Berlin
Et comme il est malin
Le voilà qui ressuscite
Sur un autre site,
...
___________________________________________
Jean-Marc
Roth
Au
diapason
...
Choeur de ma ville
Résonances des sources murées
Je te donne ma voix, rue sans impatience
Écho de tes ciels plombés
Je m'élève au pic des tours,
Point d'orgue où se grattent les nuées.
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Pierre
Semee
Un
espoir
...
Si le poème était le scintillement
de l'instant!
sa brûlure même puisqu'elle devient
mémorable chaleur dans le lieu froid
d'un souvenir.
...
Le site de "Flammes Vives"
est ici
Hommage à Pierre Reverdy
Solesmes
Rue du Rôle, les lampadaires
n'éclairent plus que le silence.
Chaque soir, une étoile brille,
pâle, au-dessus du cimetière.
Un jour un homme est passé là
.
L'escalier craque-t-il encore?
Une ombre marche dans l'absence,
accompagnant le temps qui passe.
Rue du Rôle où la vie s'efface,
une voix surgit du silence,
paisible aux portes de la mort.
La maison basse aux murs épais
censure le danger qui passe.
Quelqu'un a crié dans la rue.
Personne n'a voulu entendre.
Dans la petite chambre aux livres,
le poète parle à la nuit.
A la fenêtre où l'ombre veille,
la vitre ne protège plus.
Les aléas d'ailleurs surgissent,
et la peur au dedans de soi.
Un arbre frotte la gouttière
en un bruit d'eau léger. La pluie
est tombée. Était-ce un hasard,
ce regard dans la vitre obscure?
L'heure se vide, et le vent passe
sur les mots du dernier poème.
...
Solesmes Ici
nul ne connaît le poète
qui marchait dans sa vie
comme l'on saigne
...
Non loin dans les couloirs du couvent où
Dieu veille
la solitude austère étouffait
le message
...
l'angoisse venue comme une
mer dans l'ombre de la chambre
D'autres textes de ce poète sont ici
________________________________
Alain
Lebeau
...
Il court il court le sida
...
La jeune mariée caresse sa ceinture
de TNT
...
Une petite fille casse des cailloux
Sur le bord de la route
Il ne faut pas la parrainer
Les parrains mettent sur le trottoir
...
Mon téléphone n'a plus de fil
...
C'est Noël
...
La petite flamme sent le naphte
...
_________________________________
Bernadette
Throo
Linaigrette et lycopode
...
De mots pour rien je fais provende
et que leur sens au loin s'évente
je garde leur grelot léger
pour qu'il me tinte dans la tête,
...
_________________________________
Marcel
Hennart cité par Gérard Cléry
Bonne digestion
Messieurs les Maîtres du Jour
boulangers de l'Ordre
bouchers du bonheur
puissions-nous être les os
pointus et blancs
de vos ultimes bouchées
(Extrait de "Je pluriel et singulier", Rougerie éditeur)
Le poète belge Marcel
Hennart est décédé le 13 novembre 2005, à 87
ans
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Jean-Louis
Bouzou
De l'écrivain
la plus grande peur:
- ne pas être à la page.
_________________________________
Troasel
...
La Petite Lune a fauté, on dirait...
Orléans Paris Tours
...
La nuit, la ville
Me regarde
De ses yeux de chat
Et chaque fenêtre
s'allume de curiosité.
________________________________
Clod'Aria
Le ciel est-il aussi beau
vu d'une autre planète???
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Odile
Caradec
Un amour qui déborde
un souvenir de larmes
et des arbres qui bruissent
près d'une maison tendre
A l'intérieur de moi
c'est chaud comme un vitrail
Un autre poème d'Odile Caradec est
ici
________________________________
Kistila
Offrande
Vasque creuse
comme la paume des mains
De celui qui vient boire...
Paumes creuses
De cette vasque de pierre
S'offrant à qui veut boire...
Le poème se veut offrande
Le poète recherche le
partage
_____________________________
Pierre
Tréfois cité par Patrice Maltaverne
Y aura-t-il quelque chose après le pire?
Les conseillers de la Maison Blanche y réfléchissent.
Mes haines platoniques.
J'aimerais mettre fin à mes jours -
sans toucher à mes nuits.
Je suis le cheveu. Où est la soupe
chauve?
(Citations de "Au bonheur des
dagues, Farrago" - Éditions Gros Textes, Yves Artufel, Fontfourane,
05380, Châteauroux les Alpes)
_________________________________
Michel
L'Hostis
Alors que j'entame un crawl
Ce crustacé au bord de l'eau
Semble me réciter
Une fable de Lafontaine
Le lièvre et la tortue
A ce que je crois comprendre.
René
Cailletaud
...
Veuillez me pardonner
si déjà je vous laisse
J'ai rendez-vous avec
les aurores qui vont venir
les enfants qui vont grandir
________________________________
Madeleine
Fiermonte
...
La pendule puise
Dans son tic-tac
Une énergie incomparable
...
________________________________
Norbert
Lelubre
Le
jeune endormi
...
Tu dors et tu t'en vas déjà
très loin
En vérité tu marches dans un
parc
En vérité tu n'attends rien
le jour a perdu la parole
les fleurs sont des silences solennels.
Tu dors
mais il y a toujours au bord de ton sommeil
un oiseau qui s'effeuille
le même qui se chante
un air qui lui revient de ton enfance...
Comme il y a toujours un château de
miracles
et toujours sur la route
une vieille roue laissées par la Fortune
comme il y a toujours cet arbre qui se penche
et qui t'accorde sa confiance
toujours, toujours ces mêmes nuages
à bout de souffle
témoins de nos paresses
et confidents de ceux qui dorment.
________________________________
Odile
Caradec
Je voudrais qu'une contrebasse
enfile un jour un violoncelle
Le fruit de cet accouplement
serait un tout petit violon
...
________________________________
Alain
Jean Macé
Plus d'un vent se vante
A commencer par la brise
Qui ne casse rien
________________________________
Alain
Lacouchie
...
La vie est une attente
qui est aussi une fuite.
Manuscrit inédit
Quand tomba le soldat Vojkovic
le père de Vojkovic cessa de vivre
et la mère de Vojkovic et la soeur
et aussi la fiancée qui tricotait
et détricotait des chagrins de laine
et les enfants que jamais
ils n'auront ensemble
Les oncles, les aïeux, les cousins
les cousins au second degré
et la belle soeur et les neveux
à qui Vojkovic offrait des chocolats
et quelques voisins et quelques amis
de Volkovic et Colita* le petit chien
et un camarade de l'école primaire
que Volkovic avait à moitié
oublié
et jusqu'au boutiquier
à qui Volkovic
achetait de l'herbe
quand il était de garde
Quand tomba le soldat Voikovic
tombèrent toutes les feuilles du quartier
tous les moineaux toutes les persiennes.
* Petite-queue
MAOL-MHIN
C'était terriblement beau
de voir en plein bombardement
la suavité avec laquelle
tombaient les flocons de neige.
Ce livre de poèmes
est consacré à la guerre des Malouines. L'auteur est Argentin
Éditions Encres
Vives
Collection Encres
Blanches
.
La
cantate Olympienne
Ô Augustes déesses de l'Hellade,
|
Encres Vives N° 335
4
Elle emporte plus tard
tous ces bannis
dans les heures inéluctables
où refroidit l'ivresse,
à tant est que l'on nomme ivresse
la possession d'un coeur que l'on brise
comme un rêve interrompu.
Ceux qui l'ont enlacée
se courbent
sous leurs lauriers trop lourds.
12
Unanimes, ils confondent les présages,
les indices,
empressés à brûler leurs
ailes
déterminés à tuer le
futur,
aux aguets d'une béance sans issue
ne voyant pas le pied
qui écrase la fourmilière
de leurs désirs.
D'autres textes de cet auteur sont ici
Encres Vives N°
336
...
les noyaux des cerises
quand les fruits viennent
sur la table lavés
trempés
dans l'encre rouge
ou violette que c'est
beau
à jouer
on invente invisible
un jardin tout fleuri
...
l'école était bâtie autour
de la baguette de
Monsieur Ollivier en
gris
jusqu'aux cheveux
car les doigts eux aussi doivent
apprendre la règle
et le silence
cuisant
...
le pain manque
mais les tomes de fromages
arrondissent les fins de repas
le matin le bol sent
tiède
l'oreiller la nuit
fait craquer
des étoiles
le bois
de la vieille armoire
se transforme en chalet
après la guerre
les enfants
qui ont vieilli ils
ont quels âges
Encres Vives N° 337
Les poètes sont quand même des gens bizarres, qui préfèrent regarder la vitre plutôt que le paysage qui est derrière.
Le cerisier commence à éclairer
le jour
La mort est le lieu sans oiseaux dit-elle
La poésie est au bout de l'humain
Le hasard se mêle à la vie comme
le vent aux feuilles des arbres.
A demi-mots, que deviennent les choses?
Le poète est un libre senteur.
Odeur de fumée mouillée.
Pose un regard léger sur les choses.
On s'est souvent quitté
sans dire adieu.
Nuages qui
ont dessiné
la mer
en camaïeu.
Des profondeurs
émerge toujours
un appel au secours.
...
__________________________________________
René
Welter
écrire
oblige
la main
à vérifier
le moindre
mot
dans
le calepin
à
venir
_________________________________________
Nic
Klecker
La mort sait bien
qu'elle va gagner le duel
en attendant
la vie
a des parades habiles
et l'amour
guide son fleuret
_________________________________________
Louis
Mathoux
Un jour, une plaie tua son couteau.
On la jugea pour parricide devant le Tribunal
des Blessures.
Elle fut condamné à vingt
ans de suture.
_________________________________________
Salvatore
Sanfilippo
Dites-lui
Quand elle viendra
Que je suis monté sur le cèdre
Au bout du champ
Que c'est là que je l'attends
Attendre ici
Attendre ailleurs
Puisqu'il faut attendre
Huitième branche
A gauche
Pas trop près du bord
De là-haut
La vue est dégagée
Impossible que l'on me confonde
Avec un quelconque volatile
Qui au moindre bruit
Prendrait la poudre d'escampette
Rien ne m'effraie
Je suis serein
Les yeux fixés au loin
Aucun mouvement
Ne trahit ma présence
Seul le souffle du vent
Dans le feuillage
Vient perturber le silence
Je suis insensible
A tout ce qui m'entoure
Même la pluie fine
Qui s'est mise à tomber
Ne m'affecte pas
Je l'attends
Je suis passé maître
Dans l'art d'attendre
Quand vous lui indiquerez mon refuge
Vous lui direz bien
Qu'elle crie bien fort mon nom
Je suis un peu sourd d'oreille
__________________________________________
Werner
Lambersy
...
L'absent est demeuré muet
car le néant
n'a plus à naître mais bien
les écritures
qui prêtent
des mots aux bruits de l'âme
...
Les conseils d'administration
crachent
leurs bénéfices
à la face d'un peuple qui veut
du travail
et un sens au travail bien fait
...
L'eau devient rare mais pas
les inondations ni
les tornades
l'air tue autant que le mazout
les cormorans
Se nourrir n'est plus une fête
ni le plaisir
une façon de rire de la mort
...
Et rien ne sera perdu tant
qu'on attend
ce quelque chose qu'on n'a
pas
________________________________________
Daniel
Abel
Ton coeur bat
Ton coeur tambour ton coeur tam-tam ton coeur
de chair
Et de passion
Ton coeur bat ton sang bondit dans tes artères
Ton sang veut échapper aux castrateurs
aux dompteurs
Ton sang irrigue tes paysages intérieurs
Invente des forêts vierges de toute
morale réductrice
Greffe des fontaines aux carrefours ton sang
Veut ouvrir des fenêtres
Dans tous les murs de la nuit
Ton coeur bat
au rythme des semences des mascarets des marées
ton coeur
De soldat de bourreau
Ton coeur d'oiseau sauvage au-dessus des épines
Ton coeur d'aigle ton coeur de saumon de couguar
Et les savanes les steppes les jungles les
pampas
Viennent habiter tes orages
...
________________________________________
Joseph
Ohmann-Krause
on ne veut pas te croire
mais de ta pêche
tu ne tires du filet
que l'homme oublié
...
Manuscrit inédit
...
Qu'il s'y pique donc l'insolent, cet affamé de chasteté, qu'il s'y pique et s'y cloue, mais laissez moi dormir du bon sommeil du juste. Un peu pris de boisson, il n'est pas besoin de souffler la chandelle, je dors les yeux ouverts.
Tous me veillent, depuis bientôt seize ans, tous m'accablent de ne rien dire, Et me couronnent de leur malheur, malheur de ne pas avoir tenu, entre leurs cuisses froides, Ma rose d'or. Kelpie, Léviathan, tarasque, renard, dansant debout dans les prés, blancs de lune, sous l'apparence d'hommes plus beaux que des anges et vrillant à coup de langue douce le désir chez les moins insensées, les plus belles, pour rebondir après l'acte final sur leurs sabots fourchus, leurs crinières dégoûtantes de bave, leurs regards somptueux de mépris, pour déchirer à dents de fauve, sans recherche autre que leur faim. J'ai rêvé à de telles rencontres, au bord du Rhône, alors que l'eau enroulait son duvet d'écume, autour de mes chevilles. Je me suis vue grosse d'oeufs, la croupe déformée,
pondre nuit et jour, dans quelque grotte marine, des créatures infâmes
et diaboliques.
|
Collection "Les Visions
Vives"
Éditions
Saint-Germain-des-Prés
... de mort
Il heurte contre la pierre
un regard d'os qui casse. Il
sent l'ouverture de l'oeil
par où le rectangle passe.
Il crie. Il souffre le sang.
Parce qu'il ne peut pas plus,
la morte reste figure
sans figure dans le vent.
O l'arbre des veines noires!
Il voudrait encore y croire
que sa branche l'oiseau-saint
dans la nuit, dans le ventre,
dans la hanche de novembre.
L'esprit prend corps. Mais le sien,
celui de la sépulcrale,
n'a plus sa chair de justice.
Feu ni lieu? Qui vive? Qui
est-ce? A la suite de l'âme,
pour ressemblance et martyre,
il crispe son coeur d'espace,
il serre à vomir le temps,
il suffoque de nuée,
bas sur la tombe où le ciel
inférieur, ha! s'écrase.
...
Collection "Orphée"
Éditions
La Différence
Antienne de la création
Dans la fleur naît une graine,
Dans la graine pousse un arbre,
Dans l'arbre grandit une forêt.
Dans la forêt brûle un feu,
Un feu dans lequel fond une pierre,
Dans la pierre un anneau de fer.
Dans l'anneau on voit un O
Dans cet O regarde un oeil,
Dans cette oeil flotte une mer,
Dans la mer le reflet du ciel,
Dans le ciel brille le soleil,
Dans le soleil un oiseau d'or,
Dans l'oiseau bat un coeur,
Et du coeur s'écoule un chant,
Et du chant monte une parole.
Dans la parole parle un monde,
Parole de joie, monde de peine,
Des joies et des peines jaillit mon amour.
Amour, mon amour, jaillit un monde,
Et sur le monde brille un soleil
Et dans le soleil brille un feu,
Dans le feu se consume mon coeur
Et dans mon coeur bat un oiseau,
Et dans l'oiseau s'éveille un oeil,
Dans l'oeil la terre, la mer, le ciel,
Terre et mer et ciel dans un O
Telle la graine dans la fleur.
Flammes Vives éditeur (2006)
Une
étoile
...
D'où me vient cette flamme qui si elle
s'éteignait
Me glacerait le sang?
...
________________________________________
Brigitte
Broc
...
Qu'est-ce qui s'échappe
De la marge
Et tremble sous ma main?
...
________________________________________
Christiane
Hartweg
Requiem
Un jour,
Dans la grande maison vide
S'épanouira le silence:
Plus de mots,
Plus de chuchotements,
De rires ni de pleurs,
Le silence tombera doucement
Au rythme de la poussière...
...
EH Editores
Pénétrer dans l'aube, se
perdre parmi les arbres,
sentir croître entre ses mains le
blé
et le coquelicot ardent. Humer le fenouil,
le thym âpre. Recueillir la rosée,
voir le monde apparaître, tomber
enfiévré
dans les gosiers affamés des bêtes.
Être la brise qui berce un moment
la capitule
pour l'éparpiller ensuite, dispersée,
dans l'espace.
Avec les troupeaux il se délectait en s'abreuvant.
I,2
En moi, le sang de la terre,
désordonné, ample,
le vent muet qui agite les rejets.
Sous les pieds la rumeur du chiendent
le songe des larves,
l'appétit incertain d'une langue lascive
fouillant l'ombre d'une autre chair,
et retourner à la cendre initiale.
Maintenant, il comprenait, son esprit était devenu sage.
I,4
Revenir en arrière, rompre
la délicate écaille qui nous
unit au mystère,
le fil gris qui nous embobine
et endort notre conscience.
Ne pas reconnaître la voix de la matière
parce que nous sommes de métal, fer
en fusion
qui se vainc comme une bouche sans défense.
Il le conduisit jusqu'aux vert pâturages.
II,2
Me répandre dans l'ombreuse
bleutée des paroles et dévorer
le soleil,
et sentir dans ma chair l'épée
grise du rêve
comme une sève profonde,
pareil à celui qui embrasse midi
et aspire à la hauteur des peupliers
et sent les moineaux battre de l'aile
en sa poitrine.
Et la montagne leur apporta les songes.
V,2
La pureté intacte du givre, la faim
de la pierre, l'oiseau obscur qui s'éloigne
et la pluie ancestrale traversant la dureté
du temps.
Lignes qui ne délimitent rien,
qui ne contiennent rien.
(Peut-être l'aube est-elle la peau d'un animal vide?)
Il est très doux de s'approcher de l'horizon
lavé
d'un vol quelconque,
d'aller vers la quiétude fermée
des pierres.
Je me mettrai en chemin, en quête de consolation.
IX,1
Le ciel est clair aujourd'hui, hier la mort
couvrait les yeux de ténèbres,
d'oiseaux noirs les mains.
Maintenant le ciel est bleu,
mais cette obscurité
demeure dans les yeux.
Le ciel est clair.
Hier, la mort était là.
L'obscurité était complète, je ne voyais pas la lumière.
IX,5
Mes lèvres descendirent jusqu'à
ta mort,
à cette brume qui comble la gorge d'argile,
comme un basalte immobile.
J'ai frappé à ta mort,
et voici qu'elle transperce maintenant ma
poitrine,
qu'elle fend ma mémoire, qu'elle me
pèse
au centre le plus trouble du sang.
Pendant la nuit j'ai cru traverser la mer,
cette mer où tu habitais. Donne-moi
une autre fois ta voix, ménage-moi
une place dans ta mort.
Le nom de la plante est: le vieux redevient jeune.
XI
Je poursuis la tiédeur de la chair
La certitude de ses promesses, l'aura
circulaire de la bouche immobile
quand elle recueille le reflet des astres,
l'apesanteur des chauves-souris.
(que de semence elle conserve
dans le vide de ses ailes.)
Je poursuis les heures plus obscures,
pour me fermer, être une chrysalide
qui s'agrandit en profondeur.
Je poursuis la pulpe de la lumière,
la brièveté
de l'eau froide dans le serein
qui s'emprisonne dans les mains, et puis se
répand
à l'intérieur de la peau,
et tombe sur l'âme.
Le destin ne s'est pas emparé de lui.
XII,2
Notre destin dépend maintenant du caprice
du hasard d'une pierre qui dévie de
sa route
et s'enferme dans le temps dévasté.
La vie
se loge dans le murmure, dans la rumeur de
la tige.
Et la ravenelle tremble dans la solitude immense
de la nuit. Une chandelle est sur la table,
le livre
reste ouvert, la voix de la sirène
résonne
en la mémoire, l'homme tombe à
terre,
les astres rythment la monotonie grise
de son souffle, la cendre enveloppe les cheveux.
D'autres textes de cet auteur sont ici
Encres Vives n° 338
...
peu importe en vérité
que la ronce vienne mordre
les doigts du vent
puisque l'aspérité des heures
porte notre maraude
où le regard ne nomme pas
...
Veilleur indéfectible
de l'éphémère
le proscrit
interroge l'oiseau
...
Encres Vives n° 339
Ville-perce-neige
...
J'ai voulu penser des lunes
Des lunes blessées, des lunes percées, des lunes-perce-neige,
des lunes de sang
Pour tes nuits qui quittent les visages, les mains et les terres, pour
tes nuits
désertes et ocres.
J'ai voulu croire aux soleils d'encre pour
couronner tes fuites.
J'ai voulu boire les soleils; être froid, en veille.
J'ai voulu cracher les lunes: brûler froid.
...
Une poète arménienne
d'expression française et arménienne
Encres Vives n°
340
Si pure
la lumière
éclabousse le monde
M'y fondre
serait vivre
enfin
dans la beauté
du rien
Grands chasseurs d'éternel,
nous transitons
A travers l'éclat fragile des genêts
l'éblouissant miracle des cerises,
nous transitons
vers d'autres paysages,
et des brûlures plus nouvelles
Torturés d'infini,
nous transitons à travers
nos constructions les plus durables
Mais nos regards fixés sur des horizons
sans limites
ne rencontrent peut-être
que nos prisons intérieures
Ediciones Nueva Generacion - Buenos Aires
L'empoisonneur
Il extrayait des lombes
des choses extraordinairement compliquées
pour que ses contemporains,
comme des fourmis patientes
grimpant laborieusement au long des branches,
s'abreuvent d'amères saccharoses,
de sucres raffinés qui empoisonnent
l'esprit,
cultivent des champignons profonds dans le
terrier de l'âme,
cette chose impossible, semblable à
une vapeur,
que nous portons tous en nous, dans le néant
diffuse.
Patiemment il distillait le cyanure de l'histoire
qui démontre de manière palpable
qu'un bon cauchemar vaut mieux,
parce qu'au moins ensuite on se réveille.
Il malaxait des liquides choisis,
élève de Borgia dans la coupe
en l'air de la tête,
comme un insecte infime, un de plus,
suspendu à la mamelle auguste de la
plante littérature.
La nageuse
la femme que j'aime
toute nue dans l'eau
paraît habillée
et elle est comme une larve
la belle exilée
elle s'est échappée du monde
la femme que j'aime
dévêtue dans l'eau
elle s'en va comme un fétu
quel courant l'emporte
quand elle remonte en nageant
de son âme solitaire
la femme que j'aime
toute nue dans l'eau
comme à la dérive
de ses réflexions
elle ne fait jamais grand cas
de tout cela que j'écris
une plume plus célèbre
lui dilue son nom
la femme que j'aime
dévêtue dans l'eau
au fond d'elle s'engloutit
sans aucun remords
elle est de feu et de sang
et de noyade et de bulles
tandis qu'elle se plonge entière
en elle-même toujours
déjà plus rien ne l'agite
comme si elle se promenait
tout en compliquant la Terre
elle crawle dans l'oubli
de ses cuisses aux muscles forts
flic-et-floc désespéré
ce que mastique ma bouche
couvercle baillant du fonds
il y a dans son coup d'oeil
un regard qui est absent
la femme que j'aime
toute nue dans l'eau
soudain s'est évanouie
elle est entrée dans son âme
seule à seule elle s'embrasse
cercle qui n'a pas de centre.
Un autre texte de cet auteur est ici
Luis Benitez est un poète
argentin