Glanures du second semestre 2006

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S.López Becera J.Núñez Marroquín D. Leo García B. Clark A. Álvarez J.M. Muñoz Quirós D. Acosta J. Aubert P. Brunaux B. Corette
N. Faucheux G. Garillon R. Marx G. Mateu J.-M. Roth P. Semee A. H. Eraissouni C. Cailleau A. Lebeau B. Throo
M. Hennart J.-L. Bouzou Troasel Liska Clod'Aria O. Caradec Kistila P. Tréfois M. L'Hostis R. Cailletaud
M. Fiermonte N. Lelubre A. J. Macé A. Lacouchie J. Granda M. Shifman G. Caso Rosendi M. Hernández M. Romero T. Crassas
J. J. Vélez Otero C. Saint-Paul M. Migozzi J. Asencio H. Heurtebise L. Fels R. Welter N. Klecker L. Mathoux S. Sanfilippo
W. Lambersy D. Abel J. Ohmann-Krause Danielle. S J. F. Frié K. Raine V. Jiménez G. Otero J. L. G. Herrera R. Álvarez
J. Ramón Barat M. Suárez S. Baizé B. Broc C. Hartweg M. Florián F. Menéndez J.-L. Bernard C. Thamrazian C. Gibelin
L. Benitez L. Fraga J. R. Mansilla M. Sanz Bas de page
Portal de Poesia

Salvador López Becerra 

Cette nuit je pensais tout laisser tomber.
Mais ce matin, de bonne heure,
attristé par un mauvais rêve,
en montrant mon nez dans la rue,
j'ai trouvé déposée
sur le pas de ma porte,
une petite plume,
je ne sais pas si elle était
de colombe ou bien de mouette,
mais elle vint m'agiter l'esprit.
Oui, j'en suis certain ce matin
l'ange égaré d'un vagabond
a dormi, là, contre ma grille;
il me demandait l'asile et je ne l'ai pas entendu.

Extrait de "Gozo Comunicado (1996-2001)", Córdoba, CajaSur, 2006
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Janet Núñez Marroquín 

Si ce n'était par les supplications
de ce corps absorbé dans le pénombre
à cette heure déjà plongé
dans l'âcre saveur d'une rencontre avortée
une fois extirpée la racine protectrice
extraite la pulpe du sexe et piteuse la dépouille
une vérité quelconque pétrirait le futur

Si ce n'était parce que quelqu'un
rumine les os d'un enfant non né
avec sa faim de moisissure gravissant l'insensé
et un son qui est le préambule du froid
j'ouvrirais les vannes du printemps

Si ce n'était parce que l'après-midi
mon corps reste sans impulsion
un sommet plié derrière le brouillard
une berge qui meurt sans se plaindre
une douleur d'accouchements dissimulés
j'exprimerais jusqu'à la moelle
cet effort de vivre que je suis et auquel je tiens
quoique à  tant m'examiner
pour ne pas devenir cadavre jamais je n'ai vécu

Alors déjà épuisée d'intentions et de mystères
à partir de cette heure je déploierais mes ailes
je porterais le bagage des sans espoir
un coffre empli de choses troquées et retroquées
la cendre des amours d'un jour transgressé
si ce n'était parce que le soir tombe
et que la nuit se ferme sans paupières
si  ce n'était parce que ma vie sonne
en points de suspension
et si ce n'était que la nuit
est brève et sans mémoire.

Extrait de "Equipaje para desahuciados", Gijón, Ediciones del Horizonte, 2006
Janet Núñez Marroquín est une auteur d'origine colombienne

D'autres poèmes, en espagnol, peuvent être lus  ici  et, en français, ici
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David Leo García 

Trois griffes de hyène

Je vais acheter le pain, comme le petit loup
qui, une fois sa meute calmée,
doit continuer à prolonger le rêve des autres.
Pendant un moment je pense: dans cette mie
se pelotonne notre vie, notre perte,
des victoires, des perles, des vomissements.
La manger va être la manière
de différer le chèque
au croque-mort qui nous emportera.
Mais je la parcours de la main et m'aperçois du contraire:
je ne porte rien d'autre que trois baguettes d'oubli,
six cent grammes humides de mort,
je comprends que la nourriture qui bat dans mon sac
confère leur puissance aux corps
et dédaigne l'essence des hommes.
Je monte les marches de ma demeure,
 je donne sa ration de mort
à chacun de mes parents.
Que Dieu bénisse notre santé. Amen.

Extrait de "Urbi et orbi", 21ème prix de poésie Hiperión
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Ben Clark 

VII
(Alberca Blues)

Rien n'effraie tant que le froid.
Rappelle-toi la première fois qu'unis,
nous respirant mutuellement - sorte
de créature étrange sous la pluie -
nous éprouvâmes le pouvoir de notre baiser.

La nuit où nous sentîmes que la nuit
rien ne pourrait s'entreprendre pour nous tuer.
Que nous avions vaincu.

Que le plomb chuterait d'un pinacle endeuillé
et que nous serions là, comme si de rien n'était;
comme quelqu'un qui écoute la pluie tomber.

Nous avions vaincu et comme toujours,
étant frères primordiaux, avec la joie
et l'oubli, j'écartai la peur que l'on éprouve
à se trouver seul dans une rue tremblotant,
comme aujourd'hui je suis sans toi.

Rien n'effraie tant que le froid.

Extrait de "Los hijos de los hijos de la ira", 21ème prix de poésie Hiperión
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Antonia Álvarez 

Après midi

La lumière habille de peau les mains profondes,
le battement si lent des veines
de l'après-midi.
Le silence
ouvre une brèche dans les heures,
creuse un canal
chaque fois plus enfoncé.

Et la nostalgie
se perd dans la rivière de tes yeux.

Extrait de "El color de las horas" qui a obtenu le 36ème prix "Pastora Marcela"

Un autre poème de cette auteur est ici
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José María Muñoz Quirós

Prélude

Je t'ai sentie
une fois de plus, proche, avec les choses
plus miennes, dans le monde
que je dessine seulement dans un rêve.
Au centre, c'est l'abîme qui se nourrit
de nos propres heures, ce que le temps
vole à d'autres mots sur l'air
depuis on ne sait quel espace.
Tu es là, avec les lettres
diaphanes, les murs, le crépuscule de l'âme
entre les lèvres, la vérité
attendue. (Une fois de plus
je m'éveille à la poésie). Que va-t-il advenir
de cet impérieux état de te rencontrer...?

Extrait de "Ternura extraña", réédité par  Gárgola de poesía, Salamanque 2005
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Delfina Acosta

Temps

Le fait est que c'est dimanche et qu'il est temps
d'ouvrir de bleu en bleu les baies vitrées
à un rêve dans lequel tout serait différent:
les planches de bois dur sous le ciel,
et alentour, tranquillement posés le chandelier,
le père de dix fils et un autre qui passe,
le pêcheur, le vendeur de saints,
le colporteur de lustre correct,
le journalier à forfait avec son ballot,
le pauvre mendiant du coin,
le maçon sans maison, le locataire
de quatre poteaux qui a mis une lampe au clou,
bref, toute créature sombre et vivante,
et de dresser ici la table, avec du vin en abondance,
du manioc, de la bonne viande épicée,
ce que l'on appelle une collation grandiose.
Je sais qu'il est temps de prendre sur nous la faim
des autres, et de nous l'approprier.
Et qu'il est temps que le poète proclame au monde
son rêve d'oignon rédimé.

Extrait de "Todas las voces, mujer..."
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Ahmed Hachem Eraissouni

Sous le toit de Tanger

Nous construisons la vie
corps à corps.
La mort arrive
et nous arrache la vie:
l'âme...
Combien de sentiers traverseras-tu,
Oh, chamelier!, avant que ne te réveille
la femme de ton ébriété.
Combien de mains tendras-tu,
oh, ruiné!,
après avoir vidé l'aurore
dans le nombril de la gamète.
Ou dis-moi, petite,
combien de sueur nettoiera l'embryon des vagues.
D'ici a commencé le voyage
du maquilleur de mes chaussures.
Il n'était pas ivre comme d'habitude,
il ne portait pas les rivières sous son aisselle,
mais son soleil s'arrêtait
brillant sous un ciel caduc
dont les fioles inondèrent la porte de la ville.
A-t-il renversé la folie sur ma chaussette?
A-t-il effacé le jour avec la fatigue du marin?
Ou a-t-il seulement considéré que les nuits sont des sermons?

Et ainsi,
avec mon fusil à l'épaule
je considère le gobelet du camarade.
Oh, mort amoureuse!
Combien de corps dépeupleras-tu cet après-midi?
Quel rôle joueras-tu?
Lune au milieu du chemin,
une main serrée
en sanglotant dans le bûcher.

L'aube des mouches n'était pas nuageuse,
elle ne naviguait pas dans la poussière du néant.
La nuit tomba
et la mer se replia,
en s'inclinant un peu vers le côté gauche:
le côté de celui qui gémit.
Elle s'inclina un peu vers Tanger enterré.
Le bateau ne s'approcha pas de la berge,
les avirons semblaient se déplacer
tandis que les marins
trouaient les escaliers de l'eau,
et les filets dénudés.
                                 Saufs de leur passion,
ils commençaient à nettoyer
les arbres avec la boue...

Dans la mémoire nous ficherons nos pieux,
nous nous réjouirons des jarres pleines d'aurores
qui arrivent jusqu'à ce rivage de Tanger,
jusqu'à cette nuit obscure.
Cette nuit égarée dans les regards.

Extrait de "Sobre el tiempo caminan los árboles" (Aula de Literatura José Cadalso, abril, 2006, nº 25)
Ahmed Hachem Eraissouni est un poète marocain
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Jerónimo Granda

Me voici sexagénaire

Pour lors je suis sexagénaire
D'abord j'ai été à la crèche
J'ai ainsi appris l'alphabet
Et passa le calendrier

J'ai enlevé le scapulaire
Et j'ai aussi perdu la foi
Et j'ai aussi perdu la foi
Vierge bénie du saint rosaire

La faute en est j'en suis certain
A vivre toujours en chantant

J'ai bu selon le règlement
J'ai fumé plus que nécessaire
J'ai aimé comme un négligent
Et surtout bien sûr j'ai chanté

Et surtout bien sûr  j'ai chanté
Un répertoire de boute-feu
Et surtout bien sûr j'ai chanté
Et moi je veux encore chanter

La faute en est j'en suis certain
A ce satané scénario

Je fus toujours extravagant
Jamais vivant sur les impôts
Pas plus que du crédit bancaire
Je le jure par le Tabernacle

De l'armoire je ne sortirai
De l'armoire je ne sortirai
Et le commentaire s'acheva

La faute en est j'en suis certain
Que le monde n'est qu'un théâtre

Je n'ai jamais servi non plus
D'émissaire ou de dromadaire
Quoi qu'en dise le commissaire
Jamais je ne fus de prison

Soldat de la légion non plus
Ma vie toujours s'est écoulée
Ma vie toujours s'est écoulée
En chantant comme un canari

La faute en est j'en suis certain
A ce satané scénario

J'aurais aimé être un pirate
Ou bien plutôt être un corsaire
Mais par dessus tout il me faut
Être un bon révolutionnaire

Et me voici devant vous autres
M'en allant droit chez un notaire
Pour y signer une hypothèque
Non payable avant mille années

C'est pourquoi  moi je veux mourir
Moi je veux mourir en chantant

La faute en est j'en suis certain
A la vie qui n'est qu'un théâtre
C'est pourquoi moi je veux mourir
Moi je veux mourir en chantant.

Le site de ce chanteur est  ici
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Mariano Shifman

Prêtre en Ugarit*

La condition est de toujours pouvoir t'aimer
que tu te recrées quotidiennement avec le calme intense
de la fleur 
               Majestueuse
tu t'ouvres et te fermes comme à regret dans le labyrinthe inéluctable
que tes fidèles trament pour toi.

Le crépuscule et l'aurore te précisent
entre les ténèbres symétriques qui essaient de te confondre.

On m'a dit que tu refuses les eaux clémentes de l'oubli,
baume des plus faibles.

Tu sais qu'avant les mots
                  avant tout principe
                  bien avant

te furent destinés un corps
                  et une mission.

*Ugarit: royaume du Moyen-Orient ancien, au nord de la Syrie actuelle, qui serait à l'origine de l'alphabet

Extrait de "Punto rojo", Buenos Aires, De los cuatro vientos, 2005

D'autres textes de ce poète argentin sont  ici
Et son blog est  ici
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Máximo Hernández

Araignée

Opiniâtre comme Pénélope, mais sans l'excuse de l'amour
elle nourrit ce quelle délivre, sans s'accorder la moindre trêve
cependant que s'ourdit la trame d'un voile d'illusion,
le point focal universel où sera suppliciée la proie
ciblée par son destin. L'araignée ne tisse rien
qui n'ait déjà été tissé dans un recoin du ciel.

Elle revêt d'un linceul de soie la source de la vie,
elle boit avec avidité la lumière des ses impulsions,
en oubliant la peur, sans aucune défense
elle sillonne l'empyrée de son garde-manger,
le champ de bataille où elle trouvera la mort.

Pour regarder le ciel, qu'elle a couvert de rides
elle offre sans défense à la terre son dos,
à la terre qui est son mortel ennemi.

Extrait de "Zooilógico" (Barcelone, La Poesía señor hidalgo, 2004)
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Mara Romero

Abriter des orages,
éloigner cette fonction
qui anticipe le parfum des morts
telle fut ma consigne:
l'espérance dissimulée,
en réparant des versants de cristal,
construits en brouillard qui brûle.
Dans le lointain des vagues écoutent ma plainte,
ce son austère qui nous berce
et se perd au fond des nuits
qui déjà ne sont plus nôtres.
Je contemple ton voyage intérieur
quand tu t'absentes des limbes;
tu penses des rêves,
et moi je les convoque
spectatrice qui essaie de rafistoler ton retour,
percevoir nos voix dehors
diluant la conscience,
les adieux qui me suivent
quand les mots échouent.
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Juan José Vélez Otero

(En regardant ma première montre)

De temps en temps viennent les couleurs
qui nuancent les souvenirs; printemps
passés, lumineux, authentiques,
pesants de cloches et de fleurs.

Réminiscences qui sont plumes ou rumeurs,
et s'en retournent en manipulant mille sphères
des jours écoulés à la poursuite des chimères,
d'un temps emprisonné dans les tambours.

Il ne reste rien d'autre que l'écume de la mer,
ce qui est mort, toujours attaché aux rouages,
au fossile du métal et de la brume.

Il ne reste plus que le passé, dans l'horloge,
cristal observateur du temps. En somme:
du passé dans le présent ankylosé.
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Julio Asencio

Lavinia*

Tel un Orphée** mineur,
ombre mienne, quand je t'embrasse
l'air glacial du néant me brûle,
hélas, enfer récurrent de la chair.

Mal blessé je déambule
dans une tourbe d'êtres infâmes
mastiquant la jusquiame*** de cette galère
si terrible que l'on me croit déjà mort.

Chanteur de mon malheur,
avec le son arraché de mon sang
je t'invoque, belle ombre entre les ombres,
hélas, inexorable et funeste passion.

*Fille de Latinus, roi des Latins, et épouse d'Énée, dans la mythologie romaine.
**Personnage de la mythologie grecque, poète et musicien, qui tira sa femme, Eurydice, des enfers avant de la perdre à jamais.
***Allusion à l'épisode de l'Odyssée durant lequel la magicienne Circé transforma en pourceaux les compagnons d'Ulysse en leur faisant boire un philtre contenant de la jusquiame?

Extrait de "Los espejos desvelados" - (Jerez, "Tierra de nadie", 2006)
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Víctor Jiménez

Ici entre les ombres

Être ici tellement près,
à la distance de mes bras,
à la distance de ton haleine,
et ne pouvoir ni te toucher ni te dire
au moins un mot
d'amour ou de désir;
être ici à tes côtés,
entre des ombres anonymes qui ne savent
rien aux façons de ce destin;
être ici avec toi et ne pas être ensemble,
comme si nous n'étions déjà plus nous autres;
être ici te sentant,
humant ce parfum d'autres après-midi,
méditant comment faire
pour lors mienne ta beauté;
être ici te regardant et que tu tournes
la tête ailleurs et m'ignores,
je ne sais pas si c'est ton stratagème,
je ne sais pas si c'est l'oubli,
je ne sais pas... je ne sais pas si tu me montres
ou non  le dos,
                        mais bien la nuit.

Extrait de "Taberna inglesa", Casa de Galicia en Córdoba, 2006 , (Prix "Rosalía de Castro")

Un autre poème de cet auteur est  ici
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Gabriel Otero

Caïn dormit
après le meurtre
il se rêva habitant
de terres étranges
il se vit retournant des déserts
débordant de cadavres
il s'imagina fondateur de villes
avec des enfers de plomb
et des cieux de glace
il s'éprouva entrailles
du veau d'or
puis il se réveilla
et sa faute
le fit se traîner éternellement
vers son exil.

Extrait de "Sueños de Caín frente al espejo y otros poemas" du poète salvadorien
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José Luis García Herrera

U Minuty

À midi, de retour à la mosaïque taciturne
d'une mer de pierre lente et calme,
la lumière noire dessina des ombres équestres
sur une façade aux fenêtres donnant sur l'oubli.
La vie pourrait être expliquée en une minute
et encore, il nous resterait beaucoup de temps
pour comprendre la brièveté de ce miracle
qui échappe des mains comme une pluie de sable.
Des ombres d'eau trouble et de cendre chevauchent
le coffre secret de ma courte jeunesse
sur la berge solitaire des soirées éloignés.
À d'autres fenêtres j'appellerai quand je m'en irai,
quand les chevaux de la nostalgie s'enfuiront
- en galopade précipitée -
sur la ligne obscure de mes dernières heures
jetées comme des cartes sur une mer morte.
Il reste une minute pour atteindre le néant.
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Rosaura Álvarez

De la mort dans la vie

Ma vie, tu n'es pas seulement de la vie.
Tu me mens et tu te pares
de souffles vécus
-la pulsion suprême de te savoir présente-.
Tu vis davantage le passé.
Ces vies qui furent
et tu respires et parfumes ton sang.
Matière incertaine,
que  tu ne peux caresser,
silences qui t'habitent.

Absence et coexistence
-noces de vie et de mort -
ah, si unis
que les disjoindre ne se peut.

Extrait de "El áspid, la manzana", 10ème Prix Internacional de poésie "Antonio Machado en Baeza", Madrid, Hiperión, 2006
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Juan Ramón Barat

Comme un homme quelconque

En embrassant mon corps,
garde présente à l'esprit
cette vérité profonde:
que mon corps est seulement
une ombre éphémère au milieu de l'ombre
que le temps ne borne pas,
et que dans ma chair
tu n'embrasseras jamais la transcendance
parce qu'il n'existe pas de mystère
dans le corps qui est poussière
et seulement poussière.
N'oublie pas, mon amour,
que je ne suis pas dans la chair brandie
mais dans la musique de ton désir.

Extrait de "Malas compañias" (Madrid, Asociación de Escritores y Artistas Españoles, 2006), ouvrage qui a obtenu le prix "Blas de Otero" en 2006
Le site de Juan Ramón Barat est  ici
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Marian Suárez

La lumière jamais usée

L'hiver
qui aujourd'hui hume la terre quand il pleut,
n'est pas égal
pas plus que la lumière
qui met sur pied
l'ombre des arbres.

Comme il est singulier de voir
la vie à travers un cristal
qui simule tant de beauté,
regarder la lumière
                                 tomber
entre les murs séparateurs
de mes yeux.

Extrait de l'ouvrage "Las calendas griegas (Antagonía)", Ferrol, Collection Soláster, 2006
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Fernando Menéndez

Laisser les traces
où déjà personne
ne peut aller plus loin,
où être est naître
et où la mémoire est le désir
qui parvient à être la lumière
fugace du poème.

Sans voix, et cheminant
entre les ombres
du coeur,
maître de qui aime
son destin
et ses silences.

Extrait de "En la oquedad de tu nombre", Valladolid, Difácil, 2006 (Ilustrations de Kíker)
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Lucía Fraga

La nuit de mon corps

Je vois la face de ma mère en pleurs
qui se reflète sur le sol.
Je me suis montrée à la fenêtre
et je me suis changée en pluie qui tombe sur la ville insomnieuse.
La nuit je perds complètement la notion de mon corps et,
peu à peu,
 je m'incorpore au paradis des imbéciles.

La rue a une étrange couleur de chat nocturne
qui ne me laisse presque pas reconnaître mes mains
mêlées à la brume.
J'étire les bras par dessus des labyrinthes de béton
de la même envolée qui soulève les jours en haut des souvenirs.
Le temps se désespère dans cette nuit
qui est la nuit de mon corps sur la terre mouillée.

Les eaux endormies parcourent les chemins d'argent,
des torrents s'écroulent,
en inondant des villes qui rêvent.
Je déambule dans une boule de cristal
qui garde la neige de l'hiver oublié
et donne leur nom aux demeures dormantes
sur lesquelles je passerai.

Désormais je n'aurai plus jamais froid,
même si la neige couvre mon corps,
parce que viendra le jour que ma chair requiert.

Extrait de "Nostalgia del acero", Santiago de Compostelle, "Los libros del caracol", Follas novas, 2006
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Juan Ramón Mansilla

Patries

Et ensuite celui-ci se tient là,
creux dans le trou,
immobile entre des équipements,
des visages, des vies qui changent,
et au milieu l'habitude
comme un déguisement de vent usé.

La chair devra supporter un long hiver,
les vêtements perdus,
davantage de boue qui souille la terre.
La solitude, la faim,
pas grand chose de plus qu'une notice.

Parfois avec colère, d'autres fois
avec mansuétude dans son for intérieur.

Les mots ne sonnent pas pour tous.
Nous ne sommes pas ceux qui sommes,
mais ce qu'en solitaire nous poursuivons.

Déjà nous n'avons plus le temps.
D'autres finiront ce que nous n'avons pas fait.

Extrait de l'ouvrage "Los días rotos" qui figure dans la bibliothèque de Portal de Poesia
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María Sanz

Lucidement triste

Marquée par le signe des heures,
judicieusement folle
dans une raison en quarantaine,
tu en arrives à te différencier
grâce à ces avatars qui derrière eux te traînent.
Aucune minute ne croît, elle se transforme
peut-être comme l'idée submergée
dont la déduction te motive
pour survivre entre deux eaux.
Libérée par tous les silences,
lucidement triste au milieu
d'un destin livré par tranches,
tu viens voir ton ombre
derrière ces clartés qui n'éclipsent rien.
Aucun moment ne s'écoule,
il se dilate
peut-être comme l'amour dépossédé,
dont la vérité exige d'être
en même temps captive et fuyante.

Extrait de l'ouvrage "Voz mediante" (Séville, Point de Lunettes, 2006) qui a obtenu le prix de poésie "San Juan de la Cruz-Ciudad de Úbeda"

D'autres textes de cet auteur sont ici

Des études et des oeuvres des poètes qui précèdent  sont accessibles en espagnol sur le site  Portal de poesia



Flammes Vives - Anthologie 2006 - Volume 1

Jean Aubert 

Temps forts
...
Je demeure berger d'aurores
Et de soleils en devenir,
Comme un cueilleur de météores,
Qu'il nous convient de définir.
...
___________________________________________
Patricia Brunaux 

La poésie est désert

... Le déracinement est la cicatrice des humbles.

... Je suis d'une espèce qui s'éteint et ne veut plus souffrir les pointes de bonheur. Le soulagement m'est insupportable, il me faut devancer les gestes de ma progéniture. J'ai résilié le bail qui me liait à mon créateur.
___________________________________________
Bénédicte Corette
...
Dans le monde où je vis
Il y a des flaques de verre
Soir figé dans la glace
Brise l'âme des étoiles
...
___________________________________________
Nicole Faucheux 

Émeute
...
Les pierres se font légères
Aux mains des émeutiers.
...
___________________________________________
Georges Garillon 

Un glaive d'espoir
...
Mais déjà nous étions dans le noir
de la houille, prisonniers des pierres
et des larmes; nous étions arrivés
dans le potager de l'agonie universelle
à ne croire qu'en un glaive d'espoir.
___________________________________________
Roland Marx 

Inventaire
...
puisqu'on délaisse aux bombardiers
le soin de modeler la terre
...
remettez-nous une autre bière!!
___________________________________________
Gilberte Mateu 

Le mur
...
On abat un mur à Berlin
Et comme il est malin
Le voilà qui ressuscite
Sur un autre site,
...
___________________________________________
Jean-Marc Roth 

Au diapason
...
Choeur de ma ville
Résonances des sources murées
Je te donne ma voix, rue sans impatience
Écho de tes ciels plombés
Je m'élève au pic des tours,
Point d'orgue où se grattent les nuées.
__________________________________________
Pierre Semee 

Un espoir
...
Si le poème était le scintillement de l'instant!
sa brûlure même puisqu'elle devient
mémorable chaleur dans le lieu froid d'un souvenir.
...

Le site de "Flammes Vives" est  ici



Traces N° 160

Claude Cailleau 

Hommage à Pierre Reverdy

Solesmes

Rue du Rôle, les lampadaires
n'éclairent plus que le silence.
Chaque soir, une étoile brille,
pâle, au-dessus du cimetière.
Un jour un homme est passé là    .
L'escalier craque-t-il encore?
Une ombre marche dans l'absence,
accompagnant le temps qui passe.
Rue du Rôle où la vie s'efface,
une voix surgit du silence,
paisible aux portes de la mort.
La maison basse aux murs épais
censure le danger qui passe.
Quelqu'un a crié dans la rue.
Personne n'a voulu entendre.
Dans la petite chambre aux livres,
le poète parle à la nuit.
A la fenêtre où l'ombre veille,
la vitre ne protège plus.
Les aléas d'ailleurs surgissent,
et la peur au dedans de soi.
Un arbre frotte la gouttière
en un bruit d'eau léger. La pluie
est tombée. Était-ce un hasard,
ce regard dans la vitre obscure?
L'heure se vide, et le vent passe
sur les mots du dernier poème.

...
Solesmes Ici
nul ne connaît le poète
                                     qui marchait dans sa vie
                                     comme l'on saigne
...
Non loin dans les couloirs du couvent où Dieu veille
la solitude austère étouffait le message
...
                                     l'angoisse venue comme une
                                     mer dans l'ombre de la chambre

D'autres textes de ce poète sont ici
________________________________
Alain Lebeau 

...
Il court il court le sida
...
La jeune mariée caresse sa ceinture de TNT
...
Une petite fille casse des cailloux
Sur le bord de la route
Il ne faut pas la parrainer
Les parrains mettent sur le trottoir
...
Mon téléphone n'a plus de fil
...
C'est Noël
...
La petite flamme sent le naphte
...
_________________________________
Bernadette Throo 

Linaigrette et lycopode

...
De mots pour rien je fais provende
et que leur sens au loin s'évente
je garde leur grelot léger
pour qu'il me tinte dans la tête,
...
_________________________________
Marcel Hennart cité par Gérard Cléry 

Bonne digestion
Messieurs les Maîtres du Jour
boulangers de l'Ordre
bouchers du bonheur
puissions-nous être les os
pointus et blancs
de vos ultimes bouchées

(Extrait de "Je pluriel et singulier", Rougerie éditeur)

Le poète belge Marcel Hennart est décédé le 13 novembre 2005, à 87 ans
______________________________________
Jean-Louis Bouzou 

De l'écrivain
la plus grande peur:
- ne pas être à la page.
_________________________________
Troasel 
...
La Petite Lune a fauté, on dirait...



Traces N° 161

Liska 

Orléans Paris Tours

...
La nuit, la ville
Me regarde
De ses yeux de chat
Et chaque fenêtre
s'allume de curiosité.
________________________________
Clod'Aria 

Le ciel est-il aussi beau
vu d'une autre planète???
________________________________
Odile Caradec 

Un amour qui déborde
un souvenir de larmes
et des arbres qui bruissent
près d'une maison tendre

A l'intérieur de moi
c'est chaud comme un vitrail

Un autre poème d'Odile Caradec est  ici
________________________________
Kistila 

Offrande

Vasque creuse
comme la paume des mains
De celui qui vient boire...

Paumes creuses
De cette vasque de pierre
S'offrant à qui veut boire...

Le poème se veut offrande
Le poète recherche le partage
_____________________________
Pierre Tréfois cité par Patrice Maltaverne

Y aura-t-il quelque chose après le pire? Les conseillers de la Maison Blanche y réfléchissent.
Mes haines platoniques.
J'aimerais mettre fin à mes jours - sans toucher à mes nuits.
Je suis le cheveu. Où est la soupe chauve?

(Citations de "Au bonheur des dagues, Farrago" - Éditions Gros Textes, Yves Artufel, Fontfourane, 05380, Châteauroux les Alpes)
_________________________________
Michel L'Hostis 

Alors que j'entame un crawl
Ce crustacé au bord de l'eau
Semble me réciter
Une fable de Lafontaine
Le lièvre et la tortue
A ce que je crois comprendre.



Traces N° 162

René Cailletaud 
...
Veuillez me pardonner
si déjà je vous laisse

J'ai rendez-vous avec
les aurores qui vont venir
les enfants qui vont grandir
________________________________
Madeleine Fiermonte 
...
La pendule puise
Dans son tic-tac
Une énergie incomparable
...
________________________________
Norbert Lelubre

Le jeune endormi
...
Tu dors et tu t'en vas déjà très loin
En vérité tu marches dans un parc
En vérité tu n'attends rien
le jour a perdu la parole
les fleurs sont des silences solennels.

Tu dors
mais il y a toujours au bord de ton sommeil
un oiseau qui s'effeuille
le même qui se chante
un air qui lui revient de ton enfance...
Comme il y a toujours un château de miracles
et toujours sur la route
une vieille roue laissées par la Fortune
comme il y a toujours cet arbre qui se penche
et qui t'accorde sa confiance
toujours, toujours ces mêmes nuages à bout de souffle
témoins de nos paresses
et confidents de ceux qui dorment.
________________________________
Odile Caradec

Je voudrais qu'une contrebasse
enfile un jour un violoncelle
Le fruit de cet accouplement
serait un tout petit violon
...
________________________________
Alain Jean Macé

Plus d'un vent se vante
A commencer par la brise
Qui ne casse rien
________________________________
Alain Lacouchie

...
La vie est une attente
qui est aussi une fuite.



Gustavo Caso Rosendi: Soldados

Manuscrit inédit

Quand tomba le soldat Vojkovic
le père de Vojkovic cessa de vivre
et la mère de Vojkovic et la soeur
et aussi la fiancée qui tricotait
et détricotait des chagrins de laine
et les enfants que jamais
ils n'auront ensemble
Les oncles, les aïeux, les cousins
les cousins au second degré
et la belle soeur et les neveux
à qui Vojkovic offrait des chocolats
et quelques voisins et quelques amis
de Volkovic et Colita* le petit chien
et un camarade de l'école primaire
que Volkovic avait à moitié oublié
et jusqu'au boutiquier
à qui Volkovic
achetait de l'herbe
quand il était de garde

Quand tomba le soldat Voikovic
tombèrent toutes les feuilles du quartier
tous les moineaux toutes les persiennes.

* Petite-queue
 

MAOL-MHIN

C'était terriblement beau
de voir en plein bombardement
la suavité avec laquelle
tombaient les flocons de neige.

Ce livre de poèmes est consacré à la guerre des Malouines. L'auteur est Argentin



Théo Crassas: La fin de l'errance

Éditions Encres Vives
Collection Encres Blanches
.
La cantate Olympienne 

Ô Augustes déesses de l'Hellade, 
toi, Artémis Archère, 
et toi, Aphrodite d'Or, 
vous ne me fîtes point don 
de la force des bras, 
accordez-moi au moins 
la puissance de l'éloquence 
et permettez que mon arc poétique 
se tende avec justesse 
et avec précision 
et que ma flèche lyrique 
atteigne sa cible 
et se cloute dans le coeur même 
de l'univers intelligent! 
...

D'autres extraits des oeuvres de Théo Crassas sont  ici
Son site est  ici


Christian Saint-Paul: L'Enrôleuse

Encres Vives N° 335

4
Elle emporte plus tard
tous ces bannis
dans les heures inéluctables
où refroidit l'ivresse,

à tant est que l'on nomme ivresse
la possession d'un coeur que l'on brise
comme un rêve interrompu.

Ceux qui l'ont enlacée
se courbent
sous leurs lauriers trop lourds.

12
Unanimes, ils confondent les présages,
les indices,
empressés à brûler leurs ailes
déterminés à tuer le futur,

aux aguets d'une béance sans issue
ne voyant pas le pied
qui écrase la fourmilière
de leurs désirs.

D'autres textes de cet auteur sont ici



Marcel Migozzi: Quels âges as-tu?

Encres Vives N° 336
...
les noyaux des cerises
quand les fruits viennent

sur la table    lavés trempés
dans l'encre rouge

ou violette     que c'est beau
à jouer

on invente     invisible
un jardin tout fleuri
...

l'école était bâtie autour
de la baguette de

Monsieur Ollivier     en gris
jusqu'aux cheveux

car les doigts eux aussi doivent
apprendre     la règle

et le silence
cuisant
...

le pain manque
mais les tomes de fromages

arrondissent les fins de repas
le matin le bol sent     tiède

l'oreiller     la nuit fait craquer
des étoiles     le bois

de la vieille armoire
se transforme en chalet
 

après la guerre     les enfants
qui ont vieilli     ils ont quels âges



Spécial Henri Heurtebise

Encres Vives N° 337

Les poètes sont quand même des gens bizarres, qui préfèrent regarder la vitre plutôt que le paysage qui est derrière.

Le cerisier commence à éclairer le jour
La mort est le lieu sans oiseaux dit-elle
La poésie est au bout de l'humain

Le hasard se mêle à la vie comme le vent aux feuilles des arbres.
A demi-mots, que deviennent les choses?
Le poète est un libre senteur.
Odeur de fumée mouillée.
Pose un regard léger sur les choses.



Traversées N° 44 (Automne 2006)

Laurent Fels 

On s'est souvent quitté
sans dire adieu.

Nuages qui
ont dessiné
la mer
en camaïeu.

Des profondeurs
émerge toujours
un appel au secours.
...
__________________________________________
René Welter 

écrire
oblige

la main
à vérifier

le moindre
mot

dans
le calepin

à
venir
_________________________________________
Nic  Klecker 

La mort sait bien
qu'elle va gagner le duel
en attendant

la vie
a des parades habiles
et l'amour
guide son fleuret
_________________________________________
Louis Mathoux 

Un jour, une plaie tua son couteau.
On la jugea pour parricide devant le Tribunal des Blessures.

Elle fut condamné à vingt ans de suture.
_________________________________________
Salvatore Sanfilippo

Dites-lui
Quand elle viendra
Que je suis monté sur le cèdre
Au bout du champ
Que c'est là que je l'attends
Attendre ici
Attendre ailleurs
Puisqu'il faut attendre
Huitième branche
A gauche
Pas trop près du bord
De là-haut
La vue est dégagée
Impossible que l'on me confonde
Avec un quelconque volatile
Qui au moindre bruit
Prendrait la poudre d'escampette
Rien ne m'effraie
Je suis serein
Les yeux fixés au loin
Aucun mouvement
Ne trahit ma présence
Seul le souffle du vent
Dans le feuillage
Vient perturber le silence
Je suis insensible
A tout ce qui m'entoure
Même la pluie fine
Qui s'est mise à tomber
Ne m'affecte pas
Je l'attends
Je suis passé maître
Dans l'art d'attendre
Quand vous lui indiquerez mon refuge
Vous lui direz bien
Qu'elle crie bien fort mon nom
Je suis un peu sourd d'oreille
__________________________________________
Werner Lambersy
...
L'absent est demeuré muet
car le néant
n'a plus à naître mais bien
les écritures
qui prêtent
des mots aux bruits de l'âme

...
Les conseils d'administration
crachent
leurs bénéfices
à la face d'un peuple qui veut
du travail
et un sens au travail bien fait

...
L'eau devient rare mais pas
les inondations ni
les tornades
l'air tue autant que le mazout
les cormorans

Se nourrir n'est plus une fête
ni le plaisir
une façon de rire de la mort

...
Et rien ne sera perdu tant
qu'on attend
ce quelque chose qu'on n'a
pas
________________________________________
Daniel Abel

Ton coeur bat
Ton coeur tambour ton coeur tam-tam ton coeur de chair
Et de passion
Ton coeur bat ton sang bondit dans tes artères
Ton sang veut échapper aux castrateurs aux dompteurs
Ton sang irrigue tes paysages intérieurs
Invente des forêts vierges de toute morale réductrice
Greffe des fontaines aux carrefours ton sang
Veut ouvrir des fenêtres
Dans tous les murs de la nuit
Ton coeur bat
au rythme des semences des mascarets des marées ton coeur
De soldat de bourreau
Ton coeur d'oiseau sauvage au-dessus des épines
Ton coeur d'aigle ton coeur de saumon de couguar
Et les savanes les steppes les jungles les pampas
Viennent habiter tes orages
...
________________________________________
Joseph Ohmann-Krause

on ne veut pas te croire
mais de ta pêche
tu ne tires du filet
que l'homme oublié
...



Danielle S: Journal

Manuscrit inédit
... 
Belle eau
Gente sautière, fleur de lys aux lèvres, rose d'or entre les cuisses. 

Qu'il s'y pique donc l'insolent, cet affamé de chasteté, qu'il s'y pique et s'y cloue, mais laissez moi dormir du bon sommeil du juste.  

Un peu pris de boisson, il n'est pas besoin de souffler la chandelle, je dors les yeux ouverts. 

 
Les Dieux de Pierre 
Les Dieux en Bois
Les Bouddhas insolents de silence 
Les Ganeça troublants de gaieté  
Les Bakota emplies jusqu'aux tripes 
Des cendres des aïeux 
Et enfin l'Écartelé, 
Pour mon plaisir d'amour. 
Tous me veillent, depuis bientôt seize ans, tous m'accablent de ne rien dire, 
Et me couronnent de leur malheur, malheur de ne pas avoir tenu, entre leurs cuisses froides,  
Ma rose d'or. 

Kelpie, Léviathan, tarasque, renard, dansant debout dans les prés, blancs de lune, sous l'apparence d'hommes plus beaux que des anges et vrillant à coup de langue douce le désir chez les moins insensées, les plus belles, pour rebondir après l'acte final sur leurs sabots fourchus, leurs crinières dégoûtantes de bave, leurs regards somptueux de mépris, pour déchirer à dents de fauve, sans recherche autre que leur faim. 

J'ai rêvé à de telles rencontres, au bord du Rhône, alors que l'eau enroulait son duvet d'écume, autour de mes chevilles. 

Je me suis vue grosse d'oeufs, la croupe déformée, pondre nuit et jour, dans quelque grotte marine, des créatures infâmes et diaboliques. 
...



Jacqueline Frédéric Frié: Toucher terre

Collection "Les Visions Vives"
Éditions Saint-Germain-des-Prés

... de mort

Il heurte contre la pierre
un regard d'os qui casse. Il
sent l'ouverture de l'oeil
par où le rectangle passe.
Il crie. Il souffre le sang.

Parce qu'il ne peut pas plus,
la morte reste figure
sans figure dans le vent.

O l'arbre des veines noires!
Il voudrait encore y croire
que sa branche l'oiseau-saint
dans la nuit, dans le ventre,

dans la hanche de novembre.
L'esprit prend corps. Mais le sien,
celui de la sépulcrale,
n'a plus sa chair de justice.

Feu ni lieu? Qui vive? Qui
est-ce? A la suite de l'âme,
pour ressemblance et martyre,
il crispe son coeur d'espace,
il serre à vomir le temps,

il suffoque de nuée,
bas sur la tombe où le ciel
inférieur, ha! s'écrase.
...



Kathleen Raine: Le Royaume invisible

Collection "Orphée"
Éditions La Différence

Antienne de la création

Dans la fleur naît une graine,
Dans la graine pousse un arbre,
Dans l'arbre grandit une forêt.

Dans la forêt brûle un feu,
Un feu dans lequel fond une pierre,
Dans la pierre un anneau de fer.

Dans l'anneau on voit un O
Dans cet O regarde un oeil,
Dans cette oeil flotte une mer,

Dans la mer le reflet du ciel,
Dans le ciel brille le soleil,
Dans le soleil un oiseau d'or,

Dans l'oiseau bat un coeur,
Et du coeur s'écoule un chant,
Et du chant monte une parole.

Dans la parole parle un monde,
Parole de joie, monde de peine,
Des joies et des peines jaillit mon amour.

Amour, mon amour, jaillit un monde,
Et sur le monde brille un soleil
Et dans le soleil brille un feu,

Dans le feu se consume mon coeur
Et dans mon coeur bat un oiseau,
Et dans l'oiseau s'éveille un oeil,

Dans l'oeil la terre, la mer, le ciel,
Terre et mer et ciel dans un O
Telle la graine dans la fleur.



Le chant des poètes

Flammes Vives éditeur (2006)

Sabine Baizé 

Une étoile
...
D'où me vient cette flamme qui si elle s'éteignait
Me glacerait le sang?
...
________________________________________
Brigitte Broc 

...
Qu'est-ce qui s'échappe
De la marge
Et tremble sous ma main?
...
________________________________________
Christiane Hartweg 

Requiem

Un jour,
Dans la grande maison vide
S'épanouira le silence:
Plus de mots,
Plus de chuchotements,
De rires ni de pleurs,
Le silence tombera doucement
Au rythme de la poussière...
...



Miguel Florián: Gilgamesh

EH Editores
 
Pénétrer dans l'aube, se perdre parmi les arbres,
sentir croître entre ses mains le blé
et le coquelicot ardent. Humer le fenouil,
le thym âpre. Recueillir la rosée,
voir le monde apparaître, tomber enfiévré
dans les gosiers affamés des bêtes.

Être la brise qui berce un moment la capitule
pour l'éparpiller ensuite, dispersée, dans l'espace.
 

                Avec les troupeaux il se délectait en s'abreuvant.
                                                                          I,2
En moi, le sang de la terre,
désordonné, ample,
le vent muet qui agite les rejets.

Sous les pieds la rumeur du chiendent
le songe des larves,
l'appétit incertain d'une langue lascive
fouillant l'ombre d'une autre chair,

et retourner à la cendre initiale.
 

            Maintenant, il comprenait, son esprit était devenu sage.
                                                                          I,4
Revenir en arrière, rompre
la délicate écaille qui nous unit au mystère,
le fil gris qui nous embobine
                                           et endort notre conscience.

Ne pas reconnaître la voix de la matière
parce que nous sommes de métal, fer en fusion
qui se vainc comme une bouche sans défense.
 

             Il le conduisit jusqu'aux vert pâturages.
                                                                    II,2
Me répandre dans l'ombreuse
bleutée des paroles et dévorer le soleil,
et sentir dans ma chair l'épée grise du rêve
comme une sève profonde,
pareil à celui qui embrasse midi
et aspire à la hauteur des peupliers
et sent les moineaux battre de l'aile
                                       en sa poitrine.
 

           Et la montagne leur apporta les songes.
                                                                 V,2
La pureté intacte du givre, la faim
de la pierre, l'oiseau obscur qui s'éloigne
et la pluie ancestrale traversant la dureté du temps.

Lignes qui ne délimitent rien,
qui ne contiennent rien.

(Peut-être l'aube est-elle la peau d'un animal vide?)

Il est très doux de s'approcher de l'horizon lavé
d'un vol quelconque,
d'aller vers la quiétude fermée des pierres.
 

          Je me mettrai en chemin, en quête de consolation.
                                                                    IX,1
Le ciel est clair aujourd'hui, hier la mort
couvrait les yeux de ténèbres,
d'oiseaux noirs les mains.

Maintenant le ciel est bleu,
mais cette obscurité
demeure dans les yeux.

Le ciel est clair.
                          Hier, la mort était là.
 

        L'obscurité était complète, je ne voyais pas la lumière.
                                                                    IX,5
Mes lèvres descendirent jusqu'à ta mort,
à cette brume qui comble la gorge d'argile,
comme un basalte immobile.

J'ai frappé à ta mort,
et voici qu'elle transperce maintenant ma poitrine,
qu'elle fend ma mémoire, qu'elle me pèse
au centre le plus trouble du sang.

Pendant la nuit j'ai cru traverser la mer,
cette mer où tu habitais. Donne-moi
une autre fois ta voix, ménage-moi une place dans ta mort.
 

          Le nom de la plante est: le vieux redevient jeune.
                                                                    XI
Je poursuis la tiédeur de la chair
La certitude de ses promesses, l'aura
circulaire de la bouche immobile
quand elle recueille le reflet des astres,
l'apesanteur des chauves-souris.

(que de semence elle conserve
dans le vide de ses ailes.)

Je poursuis les heures plus obscures,
pour me fermer, être une chrysalide
qui s'agrandit en profondeur.

Je poursuis la pulpe de la lumière, la brièveté
de l'eau froide dans le serein
qui s'emprisonne dans les mains, et puis se répand
à l'intérieur de la peau,
                                     et tombe sur l'âme.
 

                       Le destin ne s'est pas emparé de lui.
                                                                    XII,2
Notre destin dépend maintenant du caprice
du hasard d'une pierre qui dévie de sa route
et s'enferme dans le temps dévasté.
                                                             La vie
se loge dans le murmure, dans la rumeur de la tige.

Et la ravenelle tremble dans la solitude immense
de la nuit. Une chandelle est sur la table, le livre
reste ouvert, la voix de la sirène résonne
en la mémoire, l'homme tombe à terre,
les astres rythment la monotonie grise
de son souffle, la cendre enveloppe les cheveux.

D'autres textes de cet auteur sont ici



Jean-Louis Bernard: De mémoire et d'errance

Encres Vives n° 338

...
peu importe en vérité
que la ronce vienne mordre
les doigts du vent
puisque l'aspérité des heures
porte notre maraude
où le regard ne nomme pas
...

Veilleur indéfectible
de l'éphémère
le proscrit
interroge l'oiseau
...



Chouchanik Thamrazian: Dans le jardin des glaces

Encres Vives n° 339

Ville-perce-neige
...
J'ai voulu penser des lunes
              Des lunes blessées, des lunes percées, des lunes-perce-neige,
              des lunes de sang
              Pour tes nuits qui quittent les visages, les mains et les terres, pour tes nuits
              désertes et ocres.
J'ai voulu croire aux soleils d'encre pour couronner tes fuites.
              J'ai voulu boire les soleils; être froid, en veille.
                            J'ai voulu cracher les lunes: brûler froid.
...

Une poète arménienne d'expression française et arménienne



Spécial Colette Gibelin

Encres Vives n° 340
 
Si pure
la lumière
éclabousse le monde
M'y fondre
serait vivre
enfin
dans la beauté
du rien
 

Grands chasseurs d'éternel,
nous transitons

A travers l'éclat fragile des genêts
l'éblouissant miracle des cerises,
nous transitons
vers d'autres paysages,
et des brûlures plus nouvelles

Torturés d'infini,
nous transitons à travers
nos constructions les plus durables

Mais nos regards fixés sur des horizons sans limites
ne rencontrent peut-être
que nos prisons intérieures



Luis Benitez: El venenero y otros poemas

Ediciones Nueva Generacion - Buenos Aires

L'empoisonneur

Il extrayait des lombes
des choses extraordinairement compliquées
pour que ses contemporains,
comme des fourmis patientes
grimpant laborieusement au long des branches,
s'abreuvent d'amères saccharoses,
de sucres raffinés qui empoisonnent l'esprit,
cultivent des champignons profonds dans le terrier de l'âme,
cette chose impossible, semblable à une vapeur,
que nous portons tous en nous, dans le néant diffuse.
Patiemment il distillait le cyanure de l'histoire
qui démontre de manière palpable
qu'un bon cauchemar vaut mieux,
parce qu'au moins ensuite on se réveille.
Il malaxait des liquides choisis,
élève de Borgia dans la coupe en l'air de la tête,
comme un insecte infime, un de plus,
suspendu à la mamelle auguste de la plante littérature.
 

La nageuse

la femme que j'aime
toute nue dans l'eau
paraît habillée
et elle est comme une larve
la belle exilée
elle s'est échappée du monde
la femme que j'aime
dévêtue dans l'eau
elle s'en va comme un fétu
quel courant l'emporte
quand elle remonte en nageant
de son âme solitaire
la femme que j'aime
toute nue dans l'eau
comme à la dérive
de ses réflexions
elle ne fait jamais grand cas
de tout cela que j'écris
une plume plus célèbre
lui dilue son nom
la femme que j'aime
dévêtue dans l'eau
au fond d'elle s'engloutit
sans aucun remords
elle est de feu et de sang
et de noyade et de bulles
tandis qu'elle se plonge entière
en elle-même toujours
déjà plus rien ne l'agite
comme si elle se promenait
tout en compliquant la Terre
elle crawle dans l'oubli
de ses cuisses aux muscles forts
flic-et-floc désespéré
ce que mastique ma bouche
couvercle baillant du fonds
il y a dans son coup d'oeil
un regard qui est absent
la femme que j'aime
toute nue dans l'eau
soudain s'est évanouie
elle est entrée dans son âme
seule à seule elle s'embrasse
cercle qui n'a pas de centre.

Un autre texte de cet auteur est ici

Luis Benitez est un poète argentin



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