Glanures du premier semestre 2007

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L. Fels R. Welter N. Klecker S. Gucciardo S. Sanfilippo E. von Neff W. Lambersy J. Ohmann-Krause T. Crassas J. Aller
J. Fournier R. Caride Ogando J. Despert L. Négel F. Cottet L. Bertholom J. A. A. Pacheco F. Belloul F. Menéndez C. Dupuy-Dunier
A. Mounic P. Trouvé G. Dotoli M. Couquiaud P. Moré Cortez Noguera P. Colin G. Hons T. Le Pennec M.-J. Christien
B. Geneste E. Rougé R. Nédélec P. Lefebvre A. Guillemot D. Auray R. Frogé G. Georget B. Balteg M. Arlot
P. Gable T. Mann O. Tomazyk M.Compère-Demarcy Kelaÿ C. Moriat B. Poullain V. Jiménez J. M. Guillaumond  P. Angibaud
B. Throo R. Momeux M.-F. Lavaur M. Bonetto R. Ligné C. Bulting Bas de page
Traversées N° 44 (Automne 2006)

Laurent Fels 

Intermittences

Des ténèbres
du jour
naît la lumière

comme le germe
d'une vie pure
à peine
commencée.

....

Laurent Fels est un poète luxembourgeois

Un autre texte de cet auteur est ici
_______________________________
René Welter 

et tout
à la fin

on enlève
l'alliance

et la montre
pour accompagner

le dernier éclat
de qui

s'en va
vers où

le temps

ne compte plus

René Welter est un poète luxembourgeois
__________________________________
Nic Klecker 

La mort sait bien
qu'elle va gagner le duel
en attendant

la vie
a des parades habiles
et l'amour
guide son fleuret

Nic Klecker est un poète luxembourgeois
_____________________________
Salvatore Gucciardo 

Le profond secret

Les lèvres parcourent
Les seins du monde
Dans la splendeur de la flamme
Une silhouette surgit
De la musique des sphères
Pour animer
La torpeur des corps
Un sphinx
Au regard profond
Embrasse
Le rêve de l'homme
Pour lui dévoiler
Les racines ambiguës
De l'âme humaine
La source du mystère
Le flux des passions
L'ardeur des sens
La genèse de la vie
Et les affres de la mort

Dessinateur et illustrateur autodidacte, S. Gucciardo est né en 1947, à Siculiana (Italie). Il vit en Belgique depuis 1955.

Son site est  ici
_________________________________
Salvatore Sanfilippo 

Dites-lui
Quand elle viendra
Que je suis monté sur le cèdre
Au bout du champ
Que c'est là que je l'attends
Attendre ici
Attendre ailleurs
Puisqu'il faut attendre
Huitième branche
A gauche
Pas trop près du bord
De là-haut
La vue est dégagée
Impossible que l'on me confonde
Avec un quelconque volatile
Qui au moindre bruit
Prendrait la poudre d'escampette
Rien ne m'effraie
Je suis serein
Les yeux fixés au loin
Aucun mouvement
Ne trahit ma présence
Seul le souffle du vent
Dans le feuillage
Vient perturber le silence
Je suis insensible
A tout ce qui m'entoure
Même la pluie fine
Qui s'est mise à tomber
Ne m'affecte pas
Je l'attends
Je suis passé maître
Dans l'art d'attendre
Quand vous lui indiquerez mon refuge
Vous lui direz bien
Qu'elle crie bien fort mon nom
Je suis un peu sourd d'oreille
______________________________
Erich von Neff 

Dunsmuir, Californie, 1954

Rickey Tan frappa à la porte
Trois coups secs
Un homme un peu voûté vint ouvrir
"Pouvons-nous dormir sur votre pelouse?" demanda Rickey
Il y avait une grande cicatrice concave sur la tête de l'homme
"Un shrapnel Seconde guerre mondiale", dit-il calmement
comme si nous avions été curieux
Ce qui était le cas
"Oui. Dormez sur la pelouse
Et mettez vos bicyclettes à la cave."
Il retourna dans sa maison
Tout était aussi simple
Que si nous avions été invités
Il avait été blessé au cours de la seconde guerre mondiale
Il nous a laissé dormir sur sa pelouse
Il ne nous a jamais demandé nos noms
Nous n'avons jamais demandé le sien

Erich von Neff, docker à San Francisco, a publié de nombreux textes en France. Ce poème relate un événement réel
____________________________
Werner Lambersy 

Déjà le sacré n'est plus possible
...
L'absent est demeuré muet
car le néant
n'a plus à naître mais bien
les écritures
qui prêtent
des mots aux bruits de l'âme
...
On cherche l'ersatz de soi
dans les produits
sur affiches
...
Les conseils d'administration
crachent
leurs bénéfices
à la face d'un peuple qui veut
du travail
et un sens au travail bien fait
...
L'eau devient rare mais pas
les inondations ni
les tornades
l'air tue autant que le mazout
les cormorans

Se nourrir n'est plus une fête
ni le plaisir
une façon de rire avec la mort
...
L'esthétique est toujours
la fin d'une époque
...
Et rien ne sera perdu tant
qu'on attend
ce quelque chose qu'on n'a
pas

Né à Anvers, en 1941, Werner Lambersy, qui vit et écrit à Paris depuis 1982, est titulaire de plusieurs prix de poésie dont celui de l'Académie française
_____________________________
Joseph Ohmann-Krause 

on ne veut pas te croire

mais de ta pêche

tu ne tires du filet

que l'homme oublié

en lui

un début de famine

une mère

sans circonstance

et sans prononciation

J. Ohmann-Krause, né en 1955 à Paris, enseigne le français à Oregon State University



Théo Crassas: Zante

Éditions Encres Vives
Collection Lieu N° 186
 
Le Chant du Coucou 

Je suis le coucou 
qui chante dans les pins bruissants 
la joie d'avoir un écho 
dans la vaste solitude de l'azur 
et la sagesse d'être un seigneur 
d'entre les seigneurs 
qui gouvernent l'empire des oiseaux! 
... 

La Danse des Arômes Ioniens 

Je crois en la nécessaire 
fidélité des choses et des êtres, 
telle que je l'ai perçue à Zante, 
cette terre où grandit l'olivier 
et s'épanouit l'oranger, 
cette île fameuse 
pour la rhétorique de ses fleurs 
et où, d'entre les cigales 
et les coucous, 
se dégagent à midi 
les ombres des vendangeurs 
et des vendangeuses, 
cependant que, dès la nuit venue, 
chantent les blancs peupliers 
comme des séraphins en extase, 
au milieu des appels 
lancés par les grillons 
à l'été finissant 
...

D'autres textes de cet auteur sont  ici



Portal de Poesia

Jesús Aller 

Ruisseau

Toute la nuit tintinnabulait ta chanson. Dans un délire d'étoiles et transi de froid, grâce à ton murmure j'ai imaginé un foyer. Mon père, ma mère et mon maître souriaient près de moi. Je n'étais pas seul.

Maintenant l'orient commence à s'illuminer. Une splendeur embrase les montagnes qui apparaissent à travers la brume.

Et tu continues à carillonner, espiègle et impatient, image d'une éternité joyeuse.

Quel mystère ton rire ce matin résout-il?

Les corps consumés par le feu se transforment en air, en terre, en eau, et leur pensée vit ici, dans les doutes et les étincelles d'un moment unique.

Extrait de l'ouvrage "Subhuti (fragmentos de una vida)", Gijón, Llibros del pexe, 2006

D'autres extraits de cet ouvrage sont  ici

Le site de Jesús Aller est  ici
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Ramón Caride Ogando 

La blancheur infinie de la neige t'aveuglera
Comme la trace d'un rêve ou la lumière d'une autre enfance
rien ne sera pareil nous pas plus que les autres
la vie renaîtra entre les épineux calcinés.

Tu ouvriras les yeux pour la première fois
avec peur avec étonnement tu regarderas les choses
tu étendras les bras comme jamais tu ne le ferais
tu connaîtras la mer l'amour le monde entier
dans la récolte nouvelle de sève et de cicatrices.
 

Séquence (Les)

De de tout quand j'aime
seulement la tristesse
de tout quand je rêve
seulement l'ombre
de tout autant que je sais
seulement l'incertitude
de tout seulement l'image
jamais le miroir.

De la rose non pas
l'odeur, ni le parfum,
la couleur, la forme
ni le nom, seulement
l'essence, l'intangible,
le néant,
la trace des doigts
sur la vitre.

Extrait de "As máscaras de Cronos (Poemas 1994-2005)" avec un prologue de Xosé Lois García et un épilogue de Andityas Soares de Moura- Vigo, éditions Xerais de Galicia, 2006
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José Antonio Antón Pacheco

Épigraphie

Dans un lieu sacré
se croisent les chemins, s'unissent les rivières
et se séparent les espaces.

Dans un lieu sacré
les cippes indiquent les traverses
et dans les pâturages paissent les troupeaux

et les roues marquent les parcours des voitures
et les raies parallèles les sillons des charrues.

Parmi une rumeur de lumières
abondent traces et foulées dans les clairières.

Rends-toi aux carrefours.
Tu verras une pierre qui signale avec des mots une halte:
"Arrête-toi, lit, souviens-toi.
Ici est un lieu sacré ".

Extrait de "El pozo y la estrella", avec un prologue de Félix Morales Prado, Cadix, EH Editores, 2006

Des études et des oeuvres des poètes qui précèdent  sont accessibles en espagnol sur le site  Portal de poesia



Traces N° 163 (Automne 2006)

Jacques Fournier 

A la cantonade (extraits)
...
J'ai perdu la tête. Depuis, je la cherche. Mais je n'ai plus que mes mains pour pouvoir la reconnaître et, souvent, je me trompe, prenant une tête égarée pour la mienne. Je ne désespère pas de la retrouver.
.
Ce matin, le ciel était si bas que, dans la rue, tous les hommes marchaient à quatre pattes. Seuls les chiens firent montre d'une certaine satisfaction.
...
______________________________________
Jehan Despert 

Voyageur

Il était de ces gens
qui, revenus de tout,
n'étaient jamais allés
ailleurs que nulle part.
______________________________________
Lucile Négel 

Haïkaï

Les poissons jouent
dans les branches
du reflet de l'arbre

Point d'interrogation
sur un piquet
l'écureuil s'enfuit
______________________________________
Franck Cottet 

Se souvenir des moments heureux
en faire la liste
pour soi
sur une feuille de papier
l'agrandir la changer
pour voir un peu la taille
que ça a une vie
pour ne pas la voir se recroqueviller
pour ne pas la plier dans une armoire
comme on fait pour les draps

Franck Cottet est aussi éditeur. Le catalogue de sa maison, Les éditions du chat qui tousse, est  ici



Louis Bertholom : Pélerin de l'infini

Encres Vives N° 341
...
Pomme de pin
solidifiée par la rugosité
dans la flagellation des vents,
silencieuse grenade sur l'herbe rase
qui explose de lenteur
ouvrant ses écailles
d'une unité paisible.
...
Où sont les lisières
qui me situent?
...
L'infini
qui ne finira jamais
de nous finir
...
La rouille, une amitié
entre le métal et l'eau
...
Le brouillard, une cataracte
ou un pansement
...



Jesús Aller : Subhuti (Fragments d'une vie)

Éditions Llibros del Pexe
San Bernardo, 22-3 d., 33201 Gijon

La maladie

J'étais jeune, presque encore un enfant, et je sentis son souffle sur moi. La peste se propageait sur la terre. Mes parents moururent. De mes mains ulcérées je frappai à la porte du monastère. Et la porte s'ouvrit.

Je fus malade pendant longtemps. Je me souviens des interminables jours de souffrance. Cet homme nous soignait. La mort semblait le respecter.

Il nous administrait des médicaments, et parlait avec nous.

Un soir, toute espérance perdue, je gisais sur mon grabat. Mon corps était un battement impitoyable, une respiration épuisée, un poids insupportable. Il était à mon chevet. Mon angoisse s'apaisait en contemplant son visage.

"Oh Subhuti, captif dans la chaîne de l'existence, dans la fantasmagorie du temps. Tu jouais et tu riais et voici que tu gis torturé sur ton lit de souffrance. Une terrible connaissance t'afflige.

Subhuti, il faut que tu saches.

Tu contemples ta nature. Tu mords seulement dans les fruits amers de l'attachement.

Ce battement qui te blesse est ton père et ta mère. Tu découvres qu'il n'y a pas de sol en dessous de tes pieds. Ne souffres pas, Subhuti, il n'est pas d'espérance pour l'homme.

Examine le vain criailleur et dis lui: "Je te reconnais, subtil mystificateur, ombre fugace, symbole odieux et éternel.

Prends mon corps, parce qu'aucun lendemain n'est plus nécessaire. J'ai vu le tréfonds des profondeurs.

Ne souffre pas, Subhuti, il n'est pas d'espérance pour l'homme."

Un jour, au réveil, la fièvre m'avait abandonné. Je sentais la force de la vie se renouveler en moi. J'ouvris les yeux. Il était devant moi, recueilli en posture de méditation. Les lèvres tremblantes, je me hasardai à dire: "Seigneur, je suis guéri." Son sourire fut le même que celui du soir d'avant.

"Voici le vieux cri, le puissant enchantement. Je suis. Sur la terre âpre. Debout et libre. Je suis. Nais de l'obscur et reviens. C'est le moment. De l'étoile, en la nuée et dans la mer ardente. Voix éternelle. Je suis.

Oh Subhuti, toute la nuit à ton côté, je demandais seulement que tu t'évades du brouillard de l'illusion."
 
 
La mort

Celui que la mort avait respecté durant la peste, au bout de huit années tomba gravement malade.
...
Il me dit: "Subhuti, n'oublie jamais quelle est la racine de la souffrance." Il se fatiguait énormément et fut contraint de se taire. Je me souvins de quelques paroles qu'il avait prononcées peu de temps auparavant:

"Le coeur de la nuit brûle, sa lumière noire crayonne les destins.
Les ombres fourmillent sur le mur,
des ombres sans maître, éternelles, vagabondes.
Jusqu'à ce qu'une voix résonne:
jamais,
rien,
personne."
 

Lumière

Je veux seulement savoir
la douceur de ta peau livrée à mes baisers,
l'éclat de tes yeux qui jouissent,
gloutons et sauvages,
le pli brisé de ton hurlement.

Tout au long des jours de ma vie
entraîné dans le bal des ombres
je n'oublierai pas cet instant,
la rose de tes lèvres
l'azur de tes veines.
 
 
Le livre
...
Je me souvenais des dernières paroles que l'Éveillé me destina: "Subhuti, n'oublie jamais quelle est la racine de la souffrance." Sans aucun doute, l'attachement est une tenaille pourvue de deux mâchoires puissantes: le plaisir et la douleur. Sa morsure nous enferme dans le labyrinthe du temps, nous condamne à revenir éternellement.

Il fut long le chemin pour découvrir qu'il n'existe de privilège ni dans la forme, ni dans la possession de la forme, et que la forme n'est que vide et que le vide est la forme, et qu'en cela seulement réside la vérité et en cela seulement la beauté.

Il fut long le chemin pour contempler enfin l'unité, au delà de toute discrimination, au delà de tout art et de toute chimère, de toute personnalité et de toute prétention.
 

La déesse intérieure
...
L'angoisse commence à se dissoudre seulement lorsque se produit une découverte transcendante. Auparavant nous ne voyions qu'un être au-dessus de tout ce qui est mortel, soudain se révèle une déesse charnelle qui n'existe pas au dessus de nous, mais qui, au contraire, se trouve à notre côté, comme une manifestation de notre propre nature.
...
 

Les paroles
...
Tu attends seulement que le vent apporte les mots, les mots puissants.

Parce que les paroles soutiennent l'architecture du monde, et elles seules dénuderont le motif qui gît obscur.
...
 

Révolution
...
Comment nous opposer à l'injustice, à l'ignominie de la misère coexistant avec le gaspillage. Les anciens grimoires nous enseignent que l'histoire se répète, tournant comme une roue sinistre. Les révolutionnaires d'aujourd'hui deviendront les despotes de demain, mais la révolte est un chemin inévitable.

Au monastère, nous savons que l'erreur fatale est dans le coeur de l'homme. C'est là qu'il faut la chercher et la combattre. Cependant, pour renverser la tyrannie, la raison droite nous assure que les armes peuvent aussi s'avérer nécessaires.
...
 

Naufrage

Ici glisse maintenant
le lourd courant d'une rivière millénaire.

Un ongle singulier
aussi vieux que le monde, griffe le papier.

De quelque lieu inconnu
arrivent les mots qui masquent la chimère.
 

Aube

Un oiseau qui va et vient dans l'air cristallin
tandis que les sommets lointains de l'orient flambent,
l'obstination des arbres, l'éclat de la gelée
célèbrent les mystères du matin qui renaît.

Le miracle se consomme devant tes yeux aveugles
ignorant le poème de l'herbe et de la neige.
De toi ils façonnèrent l'homme qui s'évertue,
sans regard de côté poursuivant son chemin.

Mais là tu as fait halte quand le monde s'éveille
pour contempler sans hâte ses muets engrenages.
Transi de froid, avec l'arbre et l'oiseau
tu joues parmi le givre.

Les textes dont ces extraits sont tirés sont supposés avoir été écrits voici plusieurs siècles par un moine birman sur des feuilles de palmier. Leur modernité est surprenante. Subhuti, par ailleurs, est le nom d'un des dix principaux disciples de Sakyamuni (Gautama), le Bouddha du présent.



Fodhil Belloul: L'exil et le signe - Extraits de "Fragments du Posthume"

Encres Vives
Collection Encres Blanches

Tharguith

À quoi rêvons-nous
À une voix qui ne serait plus la nôtre
Au murmure du roc, au souffle de Dieu
Aux signes après l'exil

À quoi rêvons-nous
Au ruisseau qui nous coulerait des veines
Au sang qui ne mentirait plus

Aux larmes qui nous aveuglant
Feraient de leur sel, la dureté de nos cris

Une ou mille blessures
Pour joindre nu
Les tressaillements des coeurs
Saignés de poésie

À quoi rêvons-nous
À ne plus rêver, mais à être, ô Dieu véritable
Corps absolu de tout rêve.

Fodhil Belloul est un jeune poète algérien (né en 1985)



Fernando Menéndez: Au creux de ton nom (En la oquedad de tu nombre)

Éditions Difácil
Valladolid - España

Au creux de ton nom
... 
Le monde se révèle à toi 
comme un savoir inconnu 
de terre et de feu, 
d'air et d'eau, 
où les nuits, les jours, 
s'ornent de lumière et de pensées, 
sillages de mers entre tes yeux 
d'homme et de solitude. 

L'homme se perd 
dans l'ironie du songe, 
où les jours sont des crevasses 
et des ombres de l'existence 
où le silence rumine 
la solitude du cosmos 
et l'harmonie est cet espace. 
Espace qu'habite le doute 
étranger à la mesure du rêve... 
Au fond des illusions du coeur 
perdurent les folies humaines 
dont la fin ne se voit pas: 
la fin de l'univers: 
image de l'infini origine diffuse 
des ténèbres et de la lumière. 

Près de ta parole, 
et loin de ton ombre, 
se vivent les pensées: 
idées frontières des confins 
où l'amour et l'espérance 
se querellent, se mutinent 
dans le silence de tes entrailles: 
une extension du cosmos 
où s'évanouissent dieux et mythes 
des solitudes, 
ces souffles mortels de l'existence 
qui naissent de soi dans la douleur 
et meurent dans la vacuité du chant, 
espace et temps de l'être. 

Maintenant je ne sais déjà plus 
si je suis l'image de moi-même 
ou bien celle de mon autre reflet. 
Maintenant, que je bois la lumière 
du plus obscur verset, 
les nuits flambent en sentiments, 
emplies de musique et de lune ténue. 
En moi même, je cherche refuge 
pour ma langue et ma parole 
sèche de monde. 

A l'aube du mutisme 
baigné dans la rosée 
de la contemplation, 
je compose un jardin 
de sables nus et de rocailles 
où je médite 
la quiétude sublime 
de la beauté. 
...

________________________________
Fond blanc
...
Ce paysage
est pure
contemplation /

                                   de terre
                                   de mer
                                   et de mort /

où la mémoire
dissimule
sa musique tendue/

                                   et la nature
                                   entonne
                                   son chant.
 

Je reviens à toi
au bois
de la tendresse, /

                                  où les feuilles
                                  des arbres
                                  dansent au vent /

et le vert
couvre
la solitude; /

                                  où le silence
                                  estompe
                                  la mort.
...
______________________________
Avec toi
...
Je ne sais pas pourquoi,
mais je m'éloigne
pour t'aimer encore plus.
...
Quand tu es loin de moi,
je me cherche
et je m'emplis de toi.
...
Tu es le tournesol
qui vire vers mon corps
illuminant les seuils
des bocages du cœur.
...
______________________________
Sans fond
Ton nom 
trois voyelles 
et cinq consonnes 
qui s'éteignent 
et s'allument 
au fond du songe 
 

Parce que tu es 
mon souffle et ma demeure: 
je t'aime. 

Et si tu me donnes un baiser 
tu inondes mon vers 
de lumière. 

Et si tu m'ouvres les bras 
tu dilates mon temps 
de toi à l'infini. 
 

Pour te chercher 
dans ma pénombre 
je te demande l'éclat de l'aube.

___________________________
Au fond de ton mutisme

27
J'écris sur ce que je ne sais pas.
Sceptique comme les vagues,
je glisse ma musique
dans l'espace de la mémoire
de mon futur.
Je me laisse aller aux limites
de la pensée et de la mort
pour devenir le refuge
de la parole et de l'obscurité.

Un autre extrait de ce recueil est  ici



Fernando Menéndez: Dunes (Dunas)

Éditions Difácil
Valladolid - España

Le monde appartient au vent.
Il n'est rien de plus poétique qu'une feuille qui tombe.

La souffrance est l'aveuglement de la félicité.

Je cherche à être le poète de la distance intérieure.

Le coeur n'échappe jamais à son ombre.

L'amour est une métaphore sur la métamorphose.

Nous allons vers l'espace en laissant derrière nous l'espace.
L'espace est l'endroit strictement extérieur à nous-mêmes.

Nous nous promenons dans les limites de notre vide intime.
Nous ne sommes qu'un brin de songe sur le néant.

Je veux m'immortaliser moi-même en moi-même.

Le coeur: un nid précaire.

L'oeuvre est une émigration intérieure.

Penser est comme se souvenir.

L'infini existe seulement dans l'instant.

Mon voyage va de la présence à l'absence.

Il est des poètes qui, plutôt que de s'adonner à écrire des poèmes, se vouent à l'élevage de coqs de combat.

L'ombre du soir est plus lourde que celle du matin.

Parler d'autrui est parler de soi-même.

Je suis une ombre de mon vide.

Au travers de l'écriture, la distance intérieure s'accroît.

La mort est la toile d'araignée de la vie.

J'écris un vers et je sens l'écho de l'éveil.

Le poète oeuvre comme une source de lumière dans le jardin de la vacuité.

Chaque arbre est une parole de silences.

Le chemin de la poésie peut être long, il conduit toujours au silence du néant.



Fernando Menéndez: Lumière des limites (Luz de limites)

Avec cette pluie
les jours et les nuits
passent en pleurant.

Au long de l'écorce
les fourmis cheminent
en marche funèbre.

La vague repart
qui défait la trace
de ton existence.

En nuits de hiboux
le bois se recouvre
de magiques fables.

Arrive l'automne
les arbres répandent
leurs larmes sans eau.

Je me sens poisson
car voici l'été
je songe à la mer.



Fernando Menéndez: Traces de l'Écrit (Huellas de lo Escrito)
 


Chantal  Dupuy-Dunier  : Des Ailes

Voix d’encre Éditeur

Une fois ouverte la porte basse,
sous la visière rayée de sa verrière,
l’ancienne cuisine de ferme
dévoile la longue table de bois
                      au tiroir profond
                      pour resserrer le pain.
L’hiver, un poèle
nourri de genêts et de fagots
tente de gravir quelques degrés.
Assis sur des bancs étroits,
nous partageons les cueillettes des prunelliers,
         la gourmandise des confitures
                       et celle,
                       plus grande encore,
                       de nos mains.
 

À l’orée de décembre,
seuls les sapins arborent encore
le trapèze de leurs toges.
Dans le sol, fermentent
les feuilles des hêtres
et la patience des sources.

Nous avons hiberné
entre les livres et les cahiers
où le cristal des pages
appelle l’écriture.
 

Le cabaret des oiseaux
propose aux rouges-queues de passage
l’émail de ses vasques violettes.

 À la saison des papillons,
      les petits bleus comme de brefs télégrammes,
      les éventails crèmes en soie calligraphiée,
      des ailes en franges de ciel,
quand le mois d’août
espère l’avénement des étoiles,
nos longues siestes
dans la lumière orangée des rideaux,
nous conduisent jusqu’au tintement sensuel
                                                    de l’angélus.

Un autre texte de cet auteur est  ici



Anne Mounic: Poussière amoureuse

Encres Vives N° 342

...l'amour
ne s'apprécie que par la distance qu'offre l'humour.
...

La solitude en soi n'est rien;
c'est l'absence qui est tout,
la chute de ce qui, au fil du temps, s'est tissé,
le lien, la certitude de vivre au-delà,
le goût (la manie!) de parler et de s'immiscer
en des lieux, des perspectives, étrangers.

La solitude en soi n'est rien,
mais le lien qui tombe est tout,
tout le fracas d'une existence qui atteint (enfin?) son inanité,
le décourageant essoufflement de sa vanité.
...

...comme l'ombre parfois fleurit.

...

Et si le monde des poètes, au seuil du silence,
était le vrai, celui de Dieu, que nous créons
pour qu'il ne soit pas, je veux dire,
qu'il n'existe pas en dehors de nous, mais à la racine,
là où germe en secret la petite voix, subjective, unique,
authentique et rebelle, et puis s'enroule, volubile,
trois petites volutes, art du retour, art de la spirale,
et puis surgit le merveilleux, là, ici présent,
de la parole.

Un autre texte de cet auteur est ici



Philippe Trouvé (1936-2005): La litanie des mots

Encres Vives N° 343
 
Je parle par ma peau 
... 
je n'ai pas eu le temps de vivre 
j'ai seulement dit quelques mots 
que je répète de plus en plus mal 
j'ai vendu ma vie à toujours 
qui m'a payé contre un jamais 

et pourtant derrière 
est une plaine 

rien 
rien n'y pousse 
et j'y vois même encore 
tout au fond avec leurs bras morts 
deux fantômes à qui je ressemble 
et qui me font des signes très doux 
très lentement les yeux à terre 

est-il possible que je sois aussi loin d'eux 

tant de mensonges dits en route 
appris par coeur et refusés 
pour en inventer de semblables 
et les crier à un ciel sourd 

dîtes-moi que ce long couloir 
n'est pas pour moi et que je rêve 

et si je rêve 
je voudrais tant savoir à quoi 
à qui 
... 

je refuse vos amours de coeur 
et vos fausses passions de corps 
... 

je parle par ma peau qui est le vif éther 
... 

je ramène la pesanteur à une claque sur la gueule 
... 
je règle ma montre sur l'horloge de mon temps passé 
 

Les caves de Bruxelles 
... 
peintre et poète et l'on est sans médaille 
la neige nous décore allant dans l'air atone 
... 

Une serveuse pâle est passée près de nous 
fragile. Femme sans doute. La laine noire la vêt. 
Elle s'est blessé à la main et les doigts sous les gazes 
font penser à la Somme et à Verdun. En somme 
je l'aperçois soudain dans sa blondeur de fille. 
Un plateau de laiton au mur comme un soleil 
... 
Paul chez lui sur son oeuvre et près de lui Marie 
épouse amie ombre du créateur et sa lumière 
quand on porte ce nom on se doit d'être obscure 
et puis de demeurer vers l'accomplissement. 
Vous savez ce que c'est qu'un atelier de peintre 
quand vous ne voyez rien et que vous voyez tout! 
Je fume. Ferme les yeux. Là je vois une main 
qui grandit dans le lieu tout en broyant de l'ombre 
un souffle qui balaie tout ce qui n'est pas lui 
un oeil s'est allumé tout au bout de la nuit. 
... 
On croit qu'un peuple fou a empaillé ses rois 
dans de vastes couloirs... 
puis s'est enfui surpris par la venue du froid 
sans y mettre le feu... 
... 
Promenade au musée profond comme une banque 
... 
Paul et moi ainsi que deux frères sur le quai 
faisons des gestes de sémaphores en donnant l'heure au monde. 
...

.
Philippe Trouvé fut un poète et aussi un peintre apprécié. Voir  ici



Giovanni Dotoli: A huis ouvert

Encres Vives N° 344
 
Au pays de la voix 

Larmes de chênes rouges 
Sous la neige sonore du soir 
Se plaint le jasmin du balcon 
Blessé par les bourdons de la vitre 

Je fouille la route de l'herbe 
Dans le bruit des milles jours 
Je pars au pays de la voix 
Où chante la source du visage 
 

Route de l'eau 

Intuition de l'instant qui vibre 
La clef perdue dans l'écho 
Je vois les portes du passage 
Sur mon rivage de poète 

Je traverse des terres dormantes 
Je féconde la route de l'envol 
Je veux agrafer les lignes 
Du soleil à l'aube du matin 
 

Courbes 

Je vis la vie de la vérité 
Dans le soleil d'innocence 
Le vent du chemin de l'étoile 
Est l'espace de mon corps 

Cors de chasse en alerte 
Je marche à l'étage de la rose 
Je nage dans le ruisseau de l'arbre 
Sous les courbes de l'idéal

.
Giovanni Dotoli est un poète d'origine italienne qui écrit aussi bien en français que dans sa langue maternelle

Un autre poème de cet auteur est  ici



Maurice Couquiaud : L'éveil des eaux dormantes

Éditions Le Nouvel Athanor
Les Cahiers du Sens

Cristaux
...
Comme les jours de neige dans leurs tourbillons,
les poèmes déposent l'histoire de leurs flocons.
Un vers traduit le climat de l'instant cristallisé
dans la fraîcheur de l'image qu'il a saisie.
La symphonie s'exprime dans la forme épousée
qu'il étoile en silence autour de lui.
S'alliant à la symétrie blanche de ses partenaires
il va fondre au contact du monde avec ses frères.
 
 

Le chant des pierres

Alignés dans le brouillard, les grands menhirs de
l'indifférence m'écrasent et me fascinent à la fois.

Ils ne veulent parler qu'à mon fantôme.
 

Confidences au mur de mon jardin

Je l'ai récemment découvert dans une déchirure...
certains murs nous cachent qu'ils ont un coeur!

Comme nombre d'entre nous,
entre deux structures de pierres,
ils retiennent une matière tenace
mais friable qui refuse les clous.

C'est sans doute par la faiblesse de mon enceinte
que le champ voisin dialogue avec ma pelouse,...
Remboursant en liserons ce qu'elle emprunte,
cette mal élevée se prend pour mon épouse
parce que je m'endors parfois sur sa poitrine.
...
 

L'âme des trottoirs

Je suis meublé par tous les cris de mon enfance,
par le chant des métiers simples et disparus
qui venaient réparer le cours des apparences,
la vitre et l'image qui les avaient reçues.

L'âme des trottoirs assourdis se paralyse.
Les bras en croix, rivée sur un carrefour,
torturée de bruits, voici qu'elle agonise
et meurt dans l'échappement libre des amours.

La caresse ne connaît que les radotages
de la peau dans le va et vient des abandons.
Elle néglige le bonheur d'un subtil partage
qui faisait vibrer l'au-delà de nos plafonds.

Ma ville aura besoin de ceux qui se regardent
vivre, traduisant le langage des balcons
pour comprendre ce qui bouge dans les mansardes
ce qui circule à bord des murs et des frissons.
...



Pascale Moré: Au-delà

Éditions La Tilv,

J'ai brûlé ma vie
sur le tranchant du ciel

glaives radieux d'un Amour
      au bleu d'outre-chair

Je marche sur la Terre sans nom
dont la cendre efface
toutes traces

Mon chant déraciné
             erre
vers la Pierre aux cent miroirs
où Dieu abîme son regard
     dans ma Béance

...
Sur la dérive des jours
les griffes de la mémoire
déchirent notre chair
jusqu'au jaillissement
          du Sens
     toujours perdu
...

Je marche en aveugle derrière vos grandes Voix
frères de la Parole Perdue
poètes au visage sans frontière
dont les lèvres transparentes
distillent la Paix dans nos blessures profondes

Frères qui mesurez le Temps
comme on soupèse l'Or
alchimistes des Grandes Heures de Lumière
sur l'océan de leur Soif illimitée
...

Ces bulles de savon
où l'on cherche en vain le sens

reflets irisés du monde

à peine un miroir
où croire que l'on existe

Est-ce ainsi que nos vies
montent au ciel?

Se laisser porter
par le vent
Sans y penser
 

...
L'ombre des roseaux rythme le rêve
        - bercement aigu
comme l'arête phosphorescente
             du Poisson
     où scintille le Temps
                d'avant
            les hommes
...

...
Le temps a dépouillé les mots
            de leur écorce
jusqu'à l'amande amère et blanche
       où sommeille le Sens
          dans sa virginité



Rosana Veronica Cortez Noguera: Gleams

Éditions Publicatuslibros - Ittakus

Lui (Cachets d'Encre)

Il répand toute sa douceur sur moi,
et toutes les graines de l'amour il les fait fleurir
sur ceci, mon coeur,
qui s'épanouit lentement  jusqu'à devenir aussi grand
que la plus haute et la mieux établie des montagnes.

Il tisse bien serrés ses fils
mais il garde tous ses liens lâches,
pour me laisser ma liberté.

Il ne m'attacherait  jamais sur une croix de roses.

Il se tient loin, au loin de ma maison,
au-dessus d'un paysage aux sentiers de clairs miroirs,
un peu triste mais au moins plein d'espoir
attendant la nuit pour nos réunions réticulaires.

Et je l'aime à chaque coup d'oeil,
invisibles touches qu'il métamorphose au-dessus de mes ombres,
en lumières les plus brillantes.

Lui, il est le rayonnement
la distance
et moi,
le cachet d'encre le plus beau jamais venu sous ma plume,
magique et mystérieux,
comme le  jour dans la nuit.

Comme le mirage dans le jour,
clair sous la liberté...

Rosana Veronica Cortez Noguera est une poète argentine



Encres Vives N° 345: Spécial Pierre Colin

... Le poète n'a pas d'oiseau sublime dans ses pièges...

... -Que domptes-tu? vieil homme, demande-t-on au scribe accroupi en lui-même - Je demande l'aumône et l'asile à chaque instant qui passe. J'enterre dans l'azur les mots que j'ai aimés.

... je préfère le spadassin de l'esprit. Le passager des mots en coupe-gorge. Ce gladiateur de la parole.

... -Parfois je côtoie des orties heureuses, des roses amoureuses, des nénuphars en extase au clair de lune.- ... Le poète se meut à la surface des mots, comme un cygne dans un bassin...

... Il y a des tendresses qui n'ont plus de bouches...

... Tout texte est un palais de glaces. Il faut savoir entrer dans le miroir déformant de la vie pour lui trouver un sens...

Un autre texte de cet auteur est ici

L'atelier d'écriture Thot'M avec le blog de Pierre Colin sont ici



Gaspard Hons: Personne ne précède

Encres Vives N° 346

I
.
Un rien suffit, tel ce flocon de neige
oublié, cette lumière fragile. Au plus
proche d'avril, une bêche céleste, un
pourceau frappé d'amnésie.

Est-ce la réalité d'une rivière en crue,
d'une cascade laiteuse, celle d'un
éternuement métaphysique? Ou
simplement l'ombre de l'abeille
première
 

XVI
.
Confidence d'un verger: dans le cri de
la graine telle fissure, tel édifice
deviné. Dans les mille et une nuits de la
pomme des signes légers et un mince
ruisseau coulant vers le froid.



Encres Vives N° 347: Cinq voix de Bretagne présentées par Jacqueline Saint-Jean

Thierry Le Pennec

Picasso

et de voir
             au pied d'un arbre en presque bout de rang
l'outil qu'elle a laissé me serre
le coeur moi qui encore à midi
                  lui dis quelques mots durs
à propos de je ne sais quoi quelle contingence
                  menant nos vies au jour le jour
                         celle avec qui je porte
                     nos soleils sur les épaules.
_________________________________________
Marie-Josée Christien

Affleurement
...
Les mots
entrouvrent une porte
sur l'autre monde
présent dans celui-ci

Ils rendent presque visible
l'invisible

à l'improviste.
...

Un autre texte de cet auteur est ici
________________________________________
Bruneau Geneste

Le Chemin des sédiments
...
Surgit

les lignes
bleues d'un labrador
de l'esprit

rumeurs, souffles
chavirés des rochers
de criques et de baies.

Un autre texte de cet auteur est ici
________________________________________
Erwann Rougé

Iara
.
Ne crains pas le fleuve dans la bouche
Tout est rouge de l'autre côté

A cause de la lenteur de l'air
pense l'immobile

Te frémir dit-elle
De toute façon - Te tremble

Peut-être la nudité touche les brumes
la rétine se brûle

Peut-être les langues affolent la poitrine
exactement là dans la gangue du corps

Te veux plus       dit-elle

A force elle tend un arc
très dense très démuni

Mordre dans l'air Tends moi
Nous n'aurons pas si froid
...
_______________________________________
Robert Nédélec

La violence
.
Au matin, on n'a souvent qu'une tache étoilée de suie blanche, dans les paumes ou sur les yeux, quand le feu couve encore sous le papier peint, que la neige brouille les miroirs

Et que l'on s'efforce d'aller, en aveugle, croit-on d'abord, tant est avare la lumière du lever, vers ses châteaux inhabités de verre dépoli et de rouille; et c'est à chaque fois

La même avancée à tâtons, les mêmes faux égarements, et bientôt les mêmes écorchures, lorsque l'on a tenté de se raccrocher en tombant, à la fin de sa danse, aux morceaux

De ferraille qui éventrent les murs; et c'est chaque soir le même voile laiteux sur la photo ou dans le regard, chaque soir aussi les mêmes fragments à juxtaposer au hasard

Et la même évidence: puisque s'épaississent toujours au ciel les nuées d'oiseaux, que l'on doit y jeter avec force une pierre pour qu'il en meure quelques-uns et que, par bonheur,

Apparaisse alors une trouée plus claire, il faut s'obstiner à dénoncer la douceur et à déposer, quand un enfant vient au monde, une fronde plutôt qu'un hochet, près de son berceau.



Avel IX N° 21: Animaux réels ou fabuleux

Philippe Lefebvre: Le livre d'écorce
...

La haie d'hiver grince, agitée,
crissant d'un vieux secret de haie.
Depuis le temps que son échine
et ses os endurent les bises,
elle sait, la vieille aux fagots,
d'où vient qu'on persiste. Elle aborde
les passants rares et leur crie
ses oracles enchevêtrés.
...

Pourquoi le tilleul, retiré
fait-il du tertre un ermitage?
Pour épuiser par ce qu'il est,
la splendeur simple de son site.
Chaque jour, centré, dense, il tente
d'en ressaisir tout le mystère.
Jusqu'en ses feuilles, chaque nuit,
il infuse sa science acquise.
...

Le houx couvert de crocodiles
où s'accrochent des montgolfières,
sert d'abri à des hérissons
qui glissent, cirant les parquets.
Ses briques d'émail assyriennes
dessinent dans le jour d'hiver
un génie ogre assis, les ailes
engrêlées, pointant vers.. vers où?
...

Les rois mages sont au jardin.
Chacun d'eux cueille une citrouille,
chaque citrouille se transforme
en turbans dont ils s'enrubannent.
Ils bourrent un coffre en lichen
de bourrasques gorgées d'odeurs,
de doublons. Puis, chargés, ils partent
cherchant dans les flaques un astre.
...

"Le livre d'écorce" a obtenu le prix du Goéland 2007.

Un autre extrait de cet ouvrage est  ici
__________________________________________
Amédée Guillemot

Petits frères

Comme des époux qu'on méprise
sur le sable blond de Bréhat
les guillemots au lieu de bagues
portent des bracelets d'or noir

Leur duvet couvert de bitume
étouffe leurs cris sans espoir
la mer ne peut plus que les plaindre
le ciel ne les reconnaît pas
...

Pour quelques dollars dans leurs soutes
les marins d'un univers fou
n'ont jamais vu couler les larmes
des derniers guillemots bretons

Un autre texte de cet auteur est  ici
____________________________________
Danièle Auray

Les bêtes

Les cascades muettes étranglent les rires.
C'est un matin de neige
les bêtes silencieuses marchent vers la mort.
...

Vous n'avez pas écouté leurs plaintes
vous n'avez pas vu leur peur
face au bourreau qui les attend.

Dites-moi
emportent-elles dans leur voyage
l'odeur des bois au printemps,
le rêve d'une terre généreuse
où elles n'ont pas vécu,
la lumière d'un soleil
qu'elles n'ont jamais vu
le souvenir d'une implacable solitude?

Extrait de "Le Sang du Silence" (Subervie). Danièle Auray a reçu le Prix d'Honneur de la Ville de la Baule en 2006 pour son recueil "La Source de Sable"

Un autre texte de cet auteur est  ici
__________________________________
Roselyne Frogé

A dos d'ange

Je partage le coeur du feu
Avec un oiseau immortel
Qui se nourrit de rêve humain
De rires d'enfants et de soleil
...
Un autre texte de cet auteur est  ici
______________________________
Georges Georget

Mon chien

...
Mon chien s'en va, s'en vient
Tourne, s'arrête et regarde
Fixe un soleil oublié
Regarde le vide avec inquiétude

Et moi qui ne le voit pas...

Je ne sais que faire l'idiot
Avec mes sondes effroyables
Avec mes sondes immenses

Mon chien s'en va toujours...

Extrait de "Instants d'éternité"
_________________________________
Béatrix Balteg
...
TU SAIS
la géométrie rêveuse des ailes de la libellule
le battement du coeur étale l'algèbre de son secret
vibrante pivoine
il soulève la peau de la terre.
Le souffle de la souris
rejoint celui de la mer
UN SEUL BATTEMENT
AU CENTRE DE L'OEIL

Extrait de "Frontières abolies" (Guy Chambelland)

Un autre texte de cet auteur est  ici



Anthologie poétique 2007 de Flammes Vives - Tome 1

Maxime Arlot
.
Aria

Dans le silence de la nuit,
La musique du temps qui passe
Martèle son refrain tenace
En contrepoint de mon ennui.
...
______________________________________
Pierre Gable
.
Falaise

La falaise est un corps
Nous réveillons son âme
En y imposant nos mains.

A tâtons nous cherchons les failles
Qui permettent de s'élever.
Jamais elle ne résiste, elle offre
Son corps à nos membres engourdis.

En collant notre visage contre la paroi
Et en fermant les yeux on entend
Battre son coeur.
...
_______________________________________
Théodore Mann (menuisier)
.
La roue qui roule

Chaque chose doit correspondre et c'est pourquoi nous refusons le satin aux laines, par exemple. Dans l'exubérant désordre d'un salon, rien n'est à sa place, et l'on passe un temps anormal pour comprendre l'utilité d'une ouïe, par exemple.
_______________________________________
Olivier Tomazyk
.
Nuits

...
Le marcheur, inconnu à ses propres pas, s'est traversé lui-même.

Combien sommes-nous vagabonds, et qui avons tous le même visage, sur ces ports interminables avec tous nos bateaux depuis longtemps partis sans nous?
...



Anthologie poétique 2007 de Flammes Vives - Tome 2

Murielle Compère-Demarcy
.
A Michel

Tu es mon plus beau poème
Celui que je n'ai jamais écrit
Et que chaque jour je lis
Sur la page affolée de mon coeur qui s'écrie

-Qui s'écrit dans l'attente de ton retour.
A chacun de tes départs je me heurte
Contre moi-même....
____________________________________
Kelaÿ
.
A nouveau
...
Il n'y a pas de soleil pour éclairer mon âme
Si bien qu'à l'intérieur il fait si noir
Que même un aveugle pourrait y voir.
...
____________________________________
Christian Moriat
.
A la fleur de vos mains
...
J'aurais tant voulu voir fleurir vos baisers
Au printemps de mes mains
Comme autant de pétales dérobés aux étoiles...!
Alors,
Dans l'univers entier,
J'aurais fait pousser des champs de flammes,
avec des bouquets d'oiseaux,
Allumés tout autour.
____________________________________
Bernard Poullain
.
La douleur
...
La douleur est un maître
Qui chasse nos envies
Et fait renaître en nous
L'obsédante question,
L'obsédante évidence

Qu'une partie de nous
Ne nous appartient pas,
Qu'une partie de nous
Ne nous aimera plus.
...
Le site de Flammes Vives est  ici



Víctor Jiménez: Tango pour tromper la tristesse

Renacimiento éditeur

La gare

Le pont celui de San Bernardo,
passe encore le train
de mon enfance en dessous.

Je n'oublie pas que je dois prendre,
à la gare de san Bernardo,
un jour mon dernier train.

A la gare de San Bernardo,
mieux vaudrait que mon dernier train
arrive très en retard.
 

Le poème

Ombre du vécu
et du songé. Peau
de celui que je serai, de celui
que je suis, de celui que je fus.

Et joie et peine. Nid
de blancheur, nuit de miel,
ou de douleur et de fiel
quand l'oubli redouble

un après-midi de plomb
sans trouver le repos.
Un après-midi sans après-midi

sans même la cendre.
Rien ne reste du feu
de cette vie qui brûle.
 

Mars

Quand l'oiseau sombre
et lent du dégoût
voile ton libre arbitre
et la splendeur du jour;

quand règne l'ombre,
et que l'hiver est si froid
éternel comme le fleuve
de ta mélancolie;

quand tu regardes les choses
sans trouver la fleur désirée
anxieusement du printemps,

ne serait-ce pas que les roses
sont seulement à l'endroit
dont ton coeur n'attend rien?
 

Tango pour tromper la tristesse

A l'absence, à l'oubli, à la nostalgie
mon coeur mit les paroles et la musique
du tango certaines nuits, tu le sais:
vingt ans ce n'est rien. Quoique, bien sûr,
on sache bien qui le mensonge
prétendait tromper, comme un benêt,
la tristesse.

Un autre poème de ce recueil est  ici
______________________________________
Taverne anglaise

Casa de Galicia éditeur

Taverne anglaise

Dans la vie il y a des lieux qui t'attendent
avec la même patience que les ports.
Lieux dans le brouillard, lieux  ignorés,
tout juste à la distance de l'étonnement,
et tu ne soupçonnais pas qu'ils t'attendaient
jusqu'à ce qu'un jour tu y reviennes de manière inespérée.
Lieux impossibles à trouver
si tu ne t'es jamais perdu,
si tu ne t'es jamais brûlé
pour ne pas jouer avec le feu.
Ce sont des lieux où est
réservé le droit d'admission
interdite l'entrée à l'oubli personnel.
Des lieux vespéraux, noctambules
comme ce bar
où s'incarna ton absence pour me recevoir
et m'inviter à prendre un rhum cola
dans le coin si intime de toujours,
tandis qu'en musique de fond s'entendait Yesterday
et que la nostalgie apportait, comme s'il était dans l'air,
ton parfum au jasmin de je ne sais où.
Des lieux - tu le sais - qui sont complices
des ardentes oeillades
qui disent, en silence, tant de choses...
des lieux comme cela
cette taverne anglaise
où habite la mémoire
et, parfois, le temps y fait une halte en son chemin.
Un lieu au monde
où tout est différent, où tout t'appartient tellement
que le rhum à minuit prend
la saveur clandestine du baiser de ta bouche.
 

Voyageur

Comme un voyageur fugace
qui dans la tristesse quitte,
son court séjour terminé,
la cité mystérieuse
qui captiva son regard,
et se retourne pour voir
les maisons dans le lointain,
s'effacer tout doucement,
tandis qu'en son for il sent
avoir perdu sa journée
à l'achat de souvenirs
quand il eût pu s'égarer
au hasard des rues obscures
dans la lumière de ses ombres;
comme l'homme solitaire
le voyageur qui se rêve
chaque nuit et imagine
tout ce qu'il aurait pu être
en se gardant pour toujours
de la vie et de l'amour
triste aujourd'hui tu t'éloignes
sans faire le moindre pas,
en pensant à un retour
que tu augures impossible,
tout en sachant qu'il te reste
tant de chose encore à faire...

 
Paroles ultimes

Là sont les mots que tu abandonnas à l'oubli
dans ma poitrine et sur mes lèvres, voici déjà beaucoup de rêves;
les mots ignorés que je ne sais pas si quelque jour
tu les liras dans un livre quand je serai si loin
qu'elle viendra d'un étranger cette voix qui aujourd'hui t'arrive,
cette voix d'un autre temps quand tu étais la plage
pour la mer de mes ombres. Les mots nus
que j'ai trouvés en ces heures sempiternellement lentes
d'abandon et d'insomnie, de pénombres transies
comme une aube de solitude et de froid,
quand le silence dans la nuit se métamorphose en chanson triste
et que la mémoire se rend à la rencontre de l'absence.
Je te restitue les dernières paroles. Les vers
que, sans le vouloir, tu me dictas voici tant de naufrages;
objets personnels qui ne m'appartiennent pas,
qui ont toujours été à toi même si tu ne le savais pas.
Prends-les et fais d'eux la flamme, la lumière ou la cendre.
Je ne te dois déjà plus rien. Et toi non plus tu ne me dois rien.

Un autre poème de ce recueil est  ici



Traces N° 164 (Hiver 2006)

Jean Michel Guillaumond 
...
un jour j'ai pris le temps
et je l'ai mis en cage
il ne s'envole plus
il reste près de moi
son nom est: le présent
________________________________________
Patrice Angibaud 

Les fleurs
Ferment leurs corolles

Les maisons
Leurs volets

Et les hommes
Leurs yeux

C'est l'heure
De l'épanouissement du silence

De la méditation
Qui germe dans la nuit
________________________________________
Bernadette Throo 

On le sait - car on a vécu -
il n'y a pas de couleurs franches
mais un dégradé de nuances
toujours près de virer.
Toute lumière est frangée d'ombre
toute vérité peut mentir
en cette vie où le oui et le non
déteignent l'un sur l'autre.
Et l'on feint d'écouter la voix
qui vient de nulle part
qui n'est voix de personne.
________________________________________
Robert Momeux cité par Claude Serreau 

... un enfant... même si on ne le connaît pas... est nous-même un peu par toutes les fibres de la mémoire.

... il y a des femmes
qui prennent des enfants dans leurs bras
les soirs d'orage
ou quand le bateau coule.

Et l'on s'immobilise soudain
le mauvais goût du malheur dans la bouche
hésitant à poursuivre son rêve
dans le jour tremblant.

Extrait de "Terre à terre" - Sac à Mots éditeur

Un autre poème de cet auteur est  ici
_____________________________________________
Michel-François Lavaur 
 
La peira al codier 
los pès dins los esclops 
e lo dalh al punh 
la terra èra mai 
qu'al rei son reiaume 
per lo paubre sejaire 
quand l'erba èra nauta 
et la pradela seuna.
La pierre au fourreau 
les pieds dans les sabots 
et la faux au poing 
la terre était plus 
qu'au roi son royaume 
pour le pauvre faucheur 
quand l'herbe était haute 
et la prairie sienne.
Michel-François Lavaur écrit en occitan de fort beaux poèmes qu'il traduit en français



Traces N° 165 (Printemps 2007)

Marc Bonetto

Disparates
...
Patience, petit homme, tu grandiras. Et si tu restes un enfant, le ciel descendra jusqu'à toi, par déférence, curiosité ou distraction.
...
La cuiller à pot est inexplicable.
___________________________________
Roselyne Ligné

de source et d'airelle

Laissons pour le moment l'enfance
courir sur les sommets,
se refaire une santé de source
et d'airelle
Libre
et si recueillie par instants...
On dirait parfois
une langue
prophète
tissant la lumière
dans le silence des nuages
___________________________________
Christian Bulting cité par Jean-Claude Martin

Est-ce que l'arbre sait autre chose de la sève
Que ce besoin qu'il en a pour tenir debout

___________________________________
Robert Momeux

Leçon de choses

Un enfant rit dans la maison
Un enfant pleure
Du vent on ne saurait rien dire
Une femme chante au loin
Une caille courcaille
Un homme suivra le chemin
Et les jardins d'ombre se couvrent
Est-ce un regard qui s'est posé
Ou une colombe qui passe
Une seule branche de cerisier
Tire un trait pur au flanc de la colline
Est-ce le soir qui fait trembler
Le vent dont on ne peut rien dire
Oeil de velours duvet d'oiseau
Tout ça c'est du pareil au même



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