Carnet  de  route  d'un  voyage  au  Yunnan
septembre  2004
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Le récit de ce voyage à été publié aux éditions Le Manuscrit sous le titre "Un voyage au Yunnan (septembre 2004)". On peut accéder à des pages de présentation en cliquant sur les liens ci-dessous: 
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Page auteur: http://www.manuscrit.com/catalogue/auteur.asp?idauteur=7972 
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Page ouvrage: http://www.manuscrit.com/catalogue/textes/fiche_texte.asp?idOuvrage=8490 
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Le livre est disponible sous une version papier (17,90 euros) et sous une version numérisée  (pdf) (7,90 euros).
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Sommaire du Carnet de Route: 

1- Paris - Kunming 
2- Kunming (le marché aux oiseaux et la vieille ville, le Mont de l'Ouest, Huating) 
3- Dali (Gantong, les Trois Pagodes, le lac Erhai) 
4- Dali - Lijiang (Xizhou, l'architecture baï, les batiks bleus) 
5- Lijiang (le Parc de l'Étang du Dragon Noir, les Naxi, les Dongba, Yufeng, Dayan, Baisha) 
6- Lijiang - Zhongdian (la boucle du Yang Tsé Kiang et les Gorges du Saut du Tigre) 
7- Zhongdian (le Kham, Songzanlin, Dukezong) 

Vous pouvez lire les notes à la suite où vous rendre directement à la rubrique souhaitée en cliquant sur l'un des numéros soulignés ci-dessus. 

Une carte du Yunnan est ici

 
1 er jour: Paris-Kunming 

Envol de Paris Charles-de-Gaulle en milieu de journée.  Escale de plus de 4 heures à Bangkok. Ceux qui le souhaitent ont largement le temps d'aller profiter d'un massage. Les autres  flâneront dans les longs couloirs du vaste aéroport de la capitale thaïlandaise, en jetant un coup d'oeil sur les innombrables boutiques, pour préparer les achats à effectuer lors du retour. Je préfère aller lire mon courrier dans l'un des nombreux cybercenters. Je parviens à me connecter et à me rendre sur mon site. Pour ce qui est de la lecture, l'opération est plus laborieuse et, lorsque j'essaie de le traiter, la machine se bloque inopinément. J'ai beau tenter plusieurs fois l'opération: rien à faire! Il ne me reste plus qu'à régler l'addition. Je paie avec ma plus petite coupure (20 euros). L'hôtesse me rend la monnaie en bahts: une poignée! Je vais me consoler de mon échec en prenant une bière. Je m'installe à la table voisine de celle d'un lama tibétain dont la valise en carton est couverte d'étiquettes, preuve qu'il se déplace assez fréquemment. C'est mon premier contact avec le Tibet. L'attente est longue et j'aurai l'occasion de bavarder avec des membres de notre groupe, en prenant d'autres verres. Je connais bien l'aéroport de Bangkok, pour y avoir transité plusieurs fois, et je n'ai pas grand chose de nouveau à y découvrir. Heureusement, nous n'avons pas eu à changer de satellite. 

2 ème jour: Kunming    (Les photos de Kunming sont ici) 

Départ pour Kunming, au Yunnan. Arrivée à l'aéroport où nous sommes pris en charge par un guide parlant français. Il profite de notre transfert à l'hôtel pour nous fournir quelques informations sur la ville et son environnement.  

Située à plus de 1800 m d'altitude, Kunming, capitale du Yunnan, occupe un vaste plateau autour du lac Tianchi. Entourée de montagnes (Jinma et Biji) qui la protègent, elle jouit d'un climat tempéré. Les écarts de température y sont limités et il ne fait jamais ni trop chaud ni trop froid. On l'appelle d'ailleurs la "Ville du printemps éternel" et aussi  le  "Pays des nuages roses". Plus de 400 espèces de fleurs (camélias, orchidées, azalées...) et plus de 4000 variétés de plantes tropicales et subtropicales y poussent. Beaucoup de ces végétaux, y compris les fleurs, sont comestibles. Au début des années 80, l’Institut botanique de Kunming, relevant de l’Académie des Sciences de Chine, se mit à étudier les habitudes locales de consommation des fleurs. On découvrit que les ethnies du Yunnan utilisaient une centaine de fleurs. Ces dernières sont odoriférantes, sucrées, médicinales ou nutritives. Ainsi, 16 espèces de rhododendrons sont mangeables. On les fait blanchir à l’eau bouillante pendant deux ou trois minutes, afin d’en enlever l’acidité, puis on les prépare en salade, en soupe ou sautées à la poêle. Les Dai cueillent les fleurs shizi à la veille de la Fête d’aspersion d’eau. Ils les sèchent, les réduisent en poudre, les mélangent à de la farine de riz glutineux et les enrobent dans des feuilles de musacées, avant de les cuire à la vapeur. Ce gâteau, dit haonuosu, est un plat indispensable au menu du Nouvel An. Ils font aussi un riz glutineux agréablement doré avec des fleurs appelées oreilles de mouton.  

La ville de Kunming couvre une superficie d'environ 21 km carrés. Sa population s'élève à 3,89 millions d'habitants (population urbaine: 1,69 millions). Sa fondation remonte à plus de 2000 ans. Au 8ème siècle, après être restée longtemps un poste éloigné, elle devint une capitale secondaire du royaume Nanzhao centré sur Dali. Elle fut ensuite l'une des étapes de la Route de la Soie et obtint une grande renommée sous la dynastie Ming. Aujourd'hui, elle attire un nombre imposant de touristes: 2 millions environ par an, dont 800000 étrangers. Plusieurs nationalités y sont représentées: Han, Hui, Mandchoue, Yi, Dai, Zhuang, Naxi, Mongole. De fait, la population du Yunnan se compose de plus de deux douzaines d'ethnies différentes.  

L'hôtel du Dragon d'Or, où nous allons loger, est confortable et bien situé. Un congrès international consacré à l'environnement s'y tient et, à côté de la réception, gazouillent de charmantes hôtesses, en costume de je ne sais qu'elle minorité nationale.  

A demi nu dans ma salle de bain, je reçois la visite d'une fille d'étage qui m'apporte un jeu de préservatifs. A la boutique de l'hôtel, parmi d'autres articles (thé, fruits secs, tissus brodés, sceaux chinois...) on peut se procurer des produits pharmaceutiques dont le viagra et divers pilules et onguents propres à accroître le désir sexuel et la virilité. On est loin de la pruderie qui sévissait naguère dans l'empire du milieu! 

J'essaie de transformer en yuans les bahts reçus à Bangkok. En vain. Après avoir soigneusement examiné mes billets, la caissière refuse de les prendre et m'engage à me rendre à la Banque de Chine pour les échanger. Je renonce à effectuer cette opération qui risquerait de me faire perdre mon temps. J'aurai toujours la possibilité de dépenser mes bahts à Bangkok, sur le chemin du retour, où l'escale va durer 6 heures. Je change donc des euros contre des yuans, au taux d'environ 10 yuans pour 1 euro. Puis, en compagnie d'un autre membre du groupe, je vais faire un tour en ville. 

Je retrouve ce que j'ai déjà vu dans les autres villes chinoises visitées il y a quatre ans: de larges avenues, une circulation relativement intense, des trottoirs spacieux et une propreté bien supérieure à celle des rues de Paris. Nous nous arrêtons dans une boutique pour acheter du thé. Il faut marchander. Mon compagnon de route, qui connaît bien la Chine, est orfèvre en la matière. Généralement, on obtient les articles à la moitié du prix indiqué. Nos emplettes achevées, les deux Chinoises qui tiennent la boutique nous invitent à prendre le thé en leur compagnie. Installés autour d'une table basse, nous assistons à tout un cérémonial: chauffage de l'eau, nettoyage des tasses avec un premier thé chaud, dégustation à petites lampées de plusieurs variétés... le rituel est minutieusement respecté. 

Nous nous rendons jusqu'à un marché. Une rue, relativement étroite, est bordée de marchands ambulants qui vendent à peu près de tout. La foule est très dense. On chemine dans la cohue en évitant les vélos des élèves qui sortent d'une école et se faufilent comme ils peuvent entre les chalands. Il y a parmi eux quelques pionniers, reconnaissables au foulard rouge qu'ils portent autour du cou. Je remarque une ruelle très bien arborée et fleurie ainsi que les grillages qui ornent les fenêtres des immeubles. Ils me font penser à un décor espagnol.  

Pendant que nous visitions le marché, d'autres membres du groupe allaient voir les deux pagodes: celle de l'Ouest et celle de l'Est. Nous n'aurons pas le temps de nous y rendre et je le regretterai presque. 

Je suis tiré de mon premier sommeil par des appels répétés à ma porte. Ayant ouvert cette dernière, je me trouve nez à nez avec un Chinois qui me tend deux sacs de toile joliment décorés, manifestement destinés à un couple qui m'est inconnu. J'ai beau m'évertuer à lui expliquer que ces présents ne sont pas pour moi et qu'il s'est trompé de chambre, dans les différentes langues européennes que je parle plus ou moins bien, il refuse de partir sans s'être délesté de ses deux sacs. De guerre lasse, je finis par les accepter. Ils contiennent divers cadeaux (presse-papier, cravate...) et surtout des brochures très intéressantes sur "La forêt de pierres" (Shilin). Cette curiosité naturelle est située à 125 km de la cité. C'est une formation rocheuse d'origine karstique, entourée de villages habités par les minorités Sani. Le site fut occupé par les hommes depuis le Néolithique et l'on peut encore y voir des traces de peintures remontant à cette période. La lecture des brochures me dédommage de la déception que j'éprouve de ne pas visiter un lieu hors de notre programme, lieu que j'imagine comparable à Hoa Lu et à la Baie d'Halong, au Vietnam, ou aux paysages des environs de Guilin admirés en Chine lors d'un précédent voyage.  
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La forêt de pierres d'après la documentation qui m'a été remise
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3 ème jour: Kunming    (Les photos de Kunming sont ici) 

Au petit déjeuner, j'apprends qu'une autre personne du groupe a bénéficié de la même faveur que moi. Il est facile de reconstituer la raison de la méprise du garçon d'étage: notre numéro de chambre a été changé à la dernière minute, sans que les consignes données précédemment aient été modifiées. Nous avons donc été pris pour les membres du congrès qui auraient dû coucher dans nos chambres. 

La matinée est consacrée à la visite du marché aux oiseaux et de la vieille ville. Joueur de flûte devant une boutique où se vendent ces instruments; cages emplies de perruches multicolores; anciennes maisons basses aux toits recouverts d'herbe; ruelles au sol dallé de plaques carrées; restaurants en plein air où l'on cuit l'omelette dans la rue, sous le nez des futurs clients; étals de marchandises diverses et d'antiquités plus ou moins authentiques; tea shirt décoré d'un portrait de Ben Laden; pharmacie chinoise traditionnelle, des médecins en blouse blanche y auscultent les patients qui peuvent s'y procurer les médicaments prescrits: plantes, pierres, ossements et divers animaux séchés, plus ou moins identifiables (tortues, hippocampes, serpents...) à prendre broyés dans une tisane. On retrouve l'ambiance du marché de la veille. 

Nous nous rendons ensuite au musée provincial où de nombreuses salles retracent l'histoire régionale. Des objets très anciens, des tambours de bronze en particulier, ainsi que de nombreux témoignages des diverses communautés culturelles du Yunnan, y sont exposés. Une salle est consacrée à Dan Dang ou Tang Da Lai. Cet artiste, peintre et poète,  naquit en 1593 dans le comté de Jinning, au Yunnan, sous la dynastie Ming. Il mourut au temple de Gantong, à Dali, en 1673, à l'âge de 81 ans. Ses parents étaient fonctionnaires et il poursuivit de brillantes études. Son talent et son amour des lettres se révélèrent très tôt. Devenu moine bouddhiste, il aimait vivre au milieu de la nature, dans les montagnes et au bord des rivières du Yunnan, épanchant la tristesse de son coeur dans de jolis poèmes et peignant des tableaux réalistes dont le style original fut plus tard reconnu à travers toute la Chine. 

Au rez-de-chaussée, à gauche en entrant, se trouve un vaste magasin où l'on peut acquérir toute une gamme de souvenir. A droite, une salle rappelle des épisodes de la guerre sino-japonaise. En la parcourant, j'apprends que les troupes communistes y livrèrent de rudes combats contre l'occupant nippon avec l'aide... des États-Unis d'Amérique! Il s'agissait d'empêcher à tout prix l'armée du soleil levant de couper la route de Birmanie, par laquelle transitaient les approvisionnements en armes des troupes chinoises. Après trois jours de sanglants affrontements, l'armée populaire de libération triompha des Japonais, qui furent contraints de battre en retraite, sous les bombes américaines. 

C'est maintenant l'heure du déjeuner, dont il n'y a pas grand chose à dire si ce n'est que les nombreux plats sont présentés dans le désordre, sur un plateau tournant au milieu de la table, comme c'est habituellement le cas en Chine. De la volaille, on ne sert guère que les os et la peau croustillante: la chair doit se retrouver éparpillée dans les autres mets. Un verre de bière arrose le tout. Je ne reviendrai pas sur les repas, car, sauf exception, ils seront presque similaires d'un bout à l'autre du voyage.  
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Mont de l'Ouest  (1) Mont de l'Ouest (2)
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En début d'après-midi, nous partons en excursion vers le Mont de l'Ouest 

Nous embarquons, deux par deux, dans les peu confortables fauteuils suspendus à un câble du télésiège qui va nous propulser en direction du sommet. La noria des sièges se croise au dessus d'une tranchée creusée à travers la végétation fournie qui tapisse la pente. Parfois, nos pieds frôlent la cime des arbres qui tendent leurs branches à travers le passage. D'autres fois, nous nous balançons en surplomb d'une profonde vallée. En dessous de nous serpentent de nombreux sentiers quelquefois fermés aux promeneurs. Des panneaux rappellent les interdictions ou mettent en garde contre le risque des feux de forêts. Les pictogrammes qui les ornent sont intelligibles même à ceux qui ne lisent pas le chinois. A gauche, en contrebas, on aperçoit une vaste nappe d'eau. A droite, de place en place, des pavillons ont été construits à travers la montagne. 

L'ascension achevée, nous prenons pied à terre, en voltige, comme nous sommes montés, à la station d'en haut. Puis nous nous dirigeons vers la Porte du Dragon. De là, nous allons redescendre, à pied, jusqu'au bas de la montagne. Nous n'aurons pas l'occasion de nous rendre jusqu'à la Forêt de Pierres miniature. Elle est à l'écart de notre chemin, comme l'indiquent les panneaux de bois qui renseignent, en anglais et chinois, sur les sites à visiter et la direction à prendre pour s'y rendre. Chemin faisant, notre guide nous fournit de nombreuses explications qui n'ont pas toujours de lien direct avec les lieux visités. 

Du haut de la Plate-forme Hui Feng, on jouit d'une belle vue sur les rives du fleuve qui coule au pied de la vertigineuse falaise de Luohan. Cette falaise a été aménagée à partir du 16ème siècle. Au milieu de ce siècle, un prêtre taoïste, Zhao Lian, grimpa jusqu'à la Caverne de Pierre et construisit un petit pavillon sur le rocher abrupt, après avoir pavé le sentier et l'avoir bordé de chaînes de fer. Pendant le règne de l'empereur Qianlong de la dynastie des Qing, Wu Laiqing, un moine taoïste, décora de sculptures la voie qui longe la montagne. Il orna tout le sentier sud, depuis le Rocher du Phénix jusqu'à la Caverne Ciyun, en 14 années de dur labeur. 

Après la Plate-forme Hui Feng, nous passons devant le Pavillon Yan Yu. Nous nous arrêtons devant des cavités, creusées à même la falaise, qui sont ornées de sculptures peintes. Un panneau nous rappelle le travail effectué ici par Wu Laiqing, de 1781 à 1795. Ce moine taoïste, natif du village de Xiayu, consacra 14 ans, comme on l'a dit plus haut, à façonner les durs rochers sur la partie sud du Pavillon Sanqing. Il sculpta les pavés du sol et les pierres des murs. Il creusa la caverne du Phénix. Il cisela le passage voûté du "Merveilleux paysage de Putuao" ainsi que la caverne de Ciyun, dans laquelle il aménagea une maison. Les colonnes principales de la porte, la Nef de la Pitié, la Terrasse Divine, les personnages chevauchant un dragon et un tigre sur les deux murs..., tout a été sculpté à même les rochers qui tapissent l'intérieur de la cavité. Le poème suivant est gravé sur un fronton:  
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Le travail laborieux témoigne d'un grand talent 
Sur la falaise escarpée, une Terrasse Divine a été sculptée 
Bien que les cavernes bouddhistes fussent d'accès difficile 
A coups de burin répétés la Porte du Dragon fut édifiée. 

Le guide profite de cet arrêt pour nous entretenir de la politique familiale de la Chine. Le gouvernement souhaite une diminution de la population. L'objectif affiché étant un recul d'environ 200 millions d'habitants sur le milliard et demi actuel. Pour ce faire, les jeunes couples en âge de procréer, qui mettent au monde plus d'un enfant, sont imposés d'une taxe dissuasive, par enfant supplémentaire. Au delà d'un certain âge, trente cinq ans, je crois, les naissances sont libres. Mais il est alors trop tard pour procréer, dans une population dont l'espérance de vie n'est pas aussi longue qu'en Occident. Ces dispositions ne valent d'ailleurs que pour les Han, ethnie majoritaire. Pour les minorités, elles sont assouplies. La plupart des couples ressortissant de ces minorités peuvent avoir deux enfants, au lieu d'un, sans taxe supplémentaire. Les autorités chinoises espèrent ainsi rééquilibrer les populations, en favorisant la croissance démographique des ethnies minoritaires, au détriment de l'ethnie majoritaire, estimée trop nombreuse. Certains trouveront sans doute cette politique injuste puisque les couples fortunés, à même de supporter le poids du supplément d'impôt, peuvent seuls avoir autant d'enfants qu'ils le souhaitent. Mais comment résoudre autrement le problème de la surpopulation? Je me souviens qu'une politique comparable était déjà en oeuvre à Singapour, lorsque j'y séjournais en 1977, et la Chine continentale s'est peut-être inspirée de cet exemple. A terme, la limitation forcée des naissances déséquilibrera sans doute le rapport entre population active et population retraitée. Une adaptation en souplesse de la législation devrait toutefois permettre de surmonter cette difficulté, à condition d'anticiper assez tôt les ajustements nécessaires. 

Nous devons franchir un passage en empruntant un tunnel. Nous arrivons au Rocher du Phénix, connu aussi sous le nom de la Vieille Maison de Pierre. La maison de pierre du Rocher du Phénix fut construite par Wu Laiqing. "Le Livre de Fengxian" est gravé au fronton de cet édifice. Selon la mythologie de la Chine ancienne, l'Empereur Jaune luttait contre Ci You, maître du vent et de la pluie. Ce dernier faisait jaillir les nuages et crachait de la fumée. Son adversaire éprouvait les plus grandes difficultés pour lui échapper. La Mère de Jade ordonna à la Jeune Fille Mystique des Neuf Cieux de donner à l'empereur le livre des cinq talismans et des cinq voies de la victoire. Ainsi, l'Empereur Jaune put triompher de Ci You et pacifier la nation. Les rivières se calmèrent, la mer s'éclaircit, le phénix se mit à danser et, tandis que des centaines d'oiseaux lui rendait hommage, il redevint la Jeune Fille Mystique. Un écrit de Fu Zonglong, datant de la fin des Ming, gravé sur la face sud, rapporte que "sur le sentier de la montagne tombent des gouttes de pluie colorées alors qu'une ample verdure s'éparpille sur des milliers d'arbres". C'est l'un des inestimables trésors qui se rencontrent parmi les inscriptions que l'on peut lire sur la falaise de Luohan. 

Nous voici maintenant devant une source ornée d'un veau blanc qui jaillit dans une petite grotte. C'est la Source du Veau Filial, aussi nommée Puits du Veau. Selon la chronique du comté de Kunming, le prêtre taoïste Zhaolin vivait à cet endroit, en ermite, durant les premières années du règne de Jiajing de la dynastie Ming (1522-1566). Il manquait d'eau et dût employer un boeuf pour en apporter jusqu'à sa retraite pendant vingt longues années. Un jour, le boeuf mourut subitement et, à l'endroit où il succomba, un puits fit son apparition. L'eau en était extraordinairement douce et fraîche. Jamais elle ne se tarit, même pendant les étés les plus torrides. Selon une autre chronique, un boucher de Kunming, nommé Zhao Wu, acheta un jour une vache et son veau. Il amena les bêtes à l'abattoir, affûta son couteau, attacha la vache et s'apprêtait à l'égorger lorsqu'il entendit quelqu'un l'appeler derrière la porte fermée du local. Il posa le couteau, s'en fut ouvrir et jeta un coup d'oeil à l'extérieur. Il n'y avait personne! Quand il revint sur ses pas, il ne retrouva plus son couteau et vit seulement le veau en pleurs agenouillé devant sa mère. Le boucher se trouva tout penaud mais il finit par se reprendre, chassa le veau et retrouva le couteau, que l'animal dissimulait sous son ventre. Zhao Wu ramassa le couteau et s'apprêta à immoler la vache. Les larmes se mirent alors à redoubler d'abondance, le long des joues du veau immobile devant sa mère. Zhao Wu sentit un étrange malaise l'envahir. Son corps fut parcouru de frissons. Un irrépressible flot de sympathie pour le veau le submergea. Il eut honte du métier qu'il exerçait depuis si longtemps, sans même éprouver autant de piété filiale que le petit veau. Alors, il posa son couteau et se rendit, accompagné de la vache et du veau, jusqu'au Pavillon Sanqing, sur la falaise, décidé à y vivre en accord avec les préceptes de la religion. Quand ils atteignirent le Pavillon, la vache était assoiffée. Le veau, aidant sa langue de ses cornes, suça et creusa si bien le rocher qu'à la fin un puits y fut percé. La vache put étancher sa soif, grâce à l'eau dont s'emplit la cavité, et c'est ainsi que la source fut nommée celle du Veau Filial. 

Nouvel arrêt devant un temple taoïste, décoré de statues peintes, dont une grande représentation de Zhen Wu. Ce personnage, aussi nommé Xuan Wu,  est vénéré comme le Dieu de la Terre du Nord. Puis nous atteignons le Pont donnant sur le ciel. Ce pont est situé entre le passage voûté du Précipice de Luohan et le Hall Lingguan. Il fut construit au début du 16ème siècle. Dans sa relation d'un voyage à la montagne Taihua, le lettré Xu Xiake écrit: "Un pont, dont les parties hautes et basses sont sculptées, a été construit au-dessus du précipice. De cet endroit, jusqu'au sud du pont où le Hall Lingguan s'élève, la falaise est coupée en son milieu par un ravin. Le pont fait face à la porte nord de l'édifice". Sous le pont, la pente est particulièrement raide ce qui rendait le passage très périlleux. Certes, la surface du pont est maintenant pavée. Mais, autrefois, la construction des temples qui s'élèvent sur la falaise ne fut certainement pas tâche facile. 

J'ai remarqué, au passage, dans une niche creusée dans le roc, une statue de femme, assise sur une fleur de lotus et tenant une fiole à la main. Je pense qu'il doit s'agir de la version féminine du Bouddha, que l'on rencontre un peu partout dans les temples. Cette divinité pourrait être Kuan Yin, un avatar du bodhisattva de la compassion Avalokitesvara, qui prend en Chine une apparence féminine; elle aurait été imaginée pour éviter que la pudeur des femmes ne s'effarouche, à l'idée de mettre à nu leur âme, devant une déité masculine. D'après la légende, elle ne serait autre que la princesse Miaoshan, fille d'un roi de Sumatra, laquelle choisit de devenir nonne plutôt que d'épouser le riche parti choisi par son père. Celui-ci aurait alors ordonné aux moines de la faire travailler nuit et jour afin de la décourager, mais les animaux des alentours vinrent à son secours et elle fut toujours en mesure d'accomplir la tâche demandée, aussi ardue fût elle. Exaspéré, son père décida de mettre le feu au monastère. Miaoshan éteignit l'incendie de ses mains nues, sans souffrir la moindre brûlure. Courroucé, son tyran de père la fit mettre à mort; mais, alors qu'elle se dirigeait vers le paradis, elle baissa la tête et la vision de la souffrance du monde la décida à y rester pour venir en aide aux malheureux. Une variante de cette légende met l'accent de la manière suivante sur le dévouement de Kuan Yin, dont le culte date de l'époque des Tang: son père étant tombé malade, la princesse Miaoshan sacrifia ses bras et ses yeux pour demander sa guérison; aussitôt après son sacrifice, elle apparut brièvement dotée de mille bras et mille yeux, symboles de son infinie compassion, avant de retrouver son corps intact. 

Parvenu au bas de la montagne, nous revenons jusqu'au parking, où stationne notre car, en suivant une route asphaltée, bordée d'étalages de souvenirs. J'y remarque, entre autres choses, des magazines du milieu du siècle dernier, le vingtième, et le petit livre rouge de Mao Tsé Toung, en chinois mais aussi en plusieurs traductions, dont le français et l'anglais. Cet ouvrage, qui rencontra le succès que l'on sait pendant la révolution culturelle, voici moins d'un demi siècle, est maintenant devenu une antiquité! 

A l'entrée du Mont de l'Ouest, je découvre, avant de prendre congé, la sépulture d'un héros de la guerre sino-japonaise, mort je crois dans le Pacifique. C'est l'occasion de me remémorer combien la Chine eut à souffrir de l'agression nippone. Passent devant mes yeux des images d'actualités tressautantes, en noir et blanc, avec des enfants embrochés sur des baïonnettes. 
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Huating - La tour aux sûtras
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Sur le chemin du retour à Kunming, nous nous arrêtons au temple de Huating. Le nom de ce temple vient du fait qu'il est situé à Huatink Peak, relief qui fait partie de la Montagne du Coq Vert, du massif des Monts de l'Ouest. Il s'élève à l'emplacement d'une villa qu'un noble de Dali avait édifiée, durant la dynastie des Song. Sous la dynastie Yuan (mongole), le maître Yuanfeng, étudiant favori d'un autre maître bouddhiste, Xiongbian, construisit un temple d'abord nommé "Grand Temple Yuanjue". En 1453, alors que la dynastie Ming succédait à la dynastie Yuan, un eunuque de cours du Yunnan, Li Yi, entreprit la reconstruction de l'édifice. En 1462, le temple fut baptisé par l'empereur Yingzong "Grand Temple Yuanjue du Pic Huating". Cette dénomination fut contractée par la suite pour devenir le "Temple Huating", en 1552.  

Le temple fut plusieurs fois démoli et reconstruit au cours des dynasties Ming et Qing (mandchoue) à la suite de divers sinistres (guerres, incendies...). En 1920, le maître Xuyun, un célèbre moine bouddhiste déjà âgé, qui avait résidé au temple Zhusheng des Montagnes Jizu, fut invité par le gouverneur de la province, Tang Jiao, à devenir l'abbé du temple. Avant l'arrivée de Xuyun, le temple avait été si mal dirigé par ses prédécesseurs qu'il était en passe d'être vendu, pour servir de club à des étrangers. Xuyun fut profondément affecté par cette menace et sérieusement inquiet quant à l'avenir du temple. Il demanda au gouverneur Tang d'empêcher que la transaction envisagée ne se réalise. Avec le soutien du gouverneur, Xuyun entrepris de rebâtir le temple. Au cours des travaux, une stèle comportant une vague inscription fut découverte. Elle laissait supposer que le temple avait autrefois porté le nom de "Yunqi". Aussi le gouverneur Tang le baptisa-t-il "Temple Jingguo Yunqi Chan". Le manque d'argent rendit la tâche de Xuyun très difficile. Néanmoins, il acheva la reconstruction du temple à demi ruiné qui, après 10 ans d'efforts, retrouva sa prospérité d'antan.  

L'économie générale du temple est aujourd'hui très voisine de ce qu'elle était à la fin des travaux. Cependant, il fut réparé à nouveau plusieurs fois après 1949. En particulier, le bâtiment où étaient conservés les sûtras (textes sacrés) fut démoli durant la décennie 1970, en raison de sa vétusté, et remplacé par un nouvel édifice. La maison abbatiale fut également restaurée. En février 1995, le Hall de Majesté fut détruit par un incendie. Il fut rétabli par le maître Xinming, vice-président de l'Association Bouddhiste de Kunming, avec le soutien et l'aide des autorités locales et de l'ensemble de la population. Les statues furent délicatement repeintes et recouvertes d'or, de sorte que le temple semble neuf. Les principales reliques culturelles qui s'y trouvent sont deux Bouddhas de Jade offerts par des bouddhistes birmans, un Bouddha recouvert d'or offert par des bouddhistes thaïs, une statue en cuivre de Zhunti, pourvue de trois yeux et 18 bras, placée dans la salle abbatiale, le tombeau de Xuyun ainsi que des stèles des poètes Lin Zexu et Guo Muoruo. Le temple de Huating est officiellement reconnu comme l'un des sanctuaires bouddhistes les plus prestigieux de la culture Han depuis 1983. 

Une fois franchie le porche d'entrée, on donne sur un bassin empli d'eau couverte de nénuphars derrière lequel on aperçoit, sur la droite, le bâtiment des Devarajas. Sur la gauche, s'élève une sorte de kiosque abritant une énorme cloche de bronze. Devant le bâtiment des Devarajas, un fort récipient de bronze est posé sur un socle. De chaque côté de l'escalier se tiennent, à gauche un éléphant et à droite un lion de pierre dont l'une des pattes repose sur un globe, détail caractéristique de la statuaire han. Les statues sont, pour les raisons précisées plus haut, dans un état de fraîcheur remarquable. Il en va de même pour les autres pavillons visités: celui de Mahavira et la tour des sûtras. Sur le chemin qui conduit à cette dernière, on découvre des panneaux de bois finement sculptés, dont les scènes retracent les péripéties d'un pèlerinage légendaire en Inde. Ces panneaux sont également très bien conservés.  

Notre séjour à Kunming s'achève par la visite d'une fabrique de soieries et de son magasin. Quelques flashs supplémentaires. Lieux du culte exotiques: église et mosquée concurrençant la pagode, monumental temple de la finance, cybercenter gigantesque (sans doute plus de cent postes!)... La Chine éternelle et changeante. 
 

4 ème jour: Dali   (Les photos de Dali sont ici) 

Je cherche vainement, dans la presse chinoise en anglais (Daily News), des informations sur les otages français en Irak. On y parle bien des attentats et représailles dans ce pays, mais de nos compatriotes point. Pour les Chinois, cet enlèvement de journalistes n'est évidemment qu'un infime détail de l'histoire. Voilà qui nous fait prendre conscience de la relativité des événements et de la place modeste qu'occupe la France dans les préoccupations du monde. 

Départ en début de matinée pour Dali. Après une heure de vol, en direction de l'ouest, nous atterrissons à l'aéroport, où nous sommes pris en charge par un guide anglophone. La traduction par notre accompagnatrice va s'avérer nécessaire. Mais les explications resteront toujours aussi fournies. 

Située à 1900 m d´altitude, entre les monts Cangshan et le lac Erhai, la ville de Dali, nommée autrefois Xiaguan, fut la capitale d'un  puissant empire, qui régna sur tout le sud-ouest de la Chine du 9e au 12e siècle. Plusieurs petits royaumes peuplés de Baï commencèrent à s'établir autour du lac Erhai, entre le Mékong, le Yang Tsé Kiang et les sources du Fleuve Rouge, à partir du 2ème siècle avant notre ère. En 729, l'unification de six de ces royaumes, encouragée par la Chine, qui y voyait un rempart contre ses agressifs voisins du Tibet, permit la création d'un puissant État: le royaume de Nanzhao, sous l'égide d'un monarque local. L'endroit choisi pour y fonder la capitale fut heureux. Situé dans une cuvette entourée de montagnes, il constituait, en effet, une forteresse naturelle. Les avantages stratégiques de la position permirent au royaume de repousser deux tentatives d'invasion chinoises au 8ème siècle. En 754, par exemple, une armée Tang, sous les ordres du général Li Mi, fut complètement détruite et son chef y laissa la vie. Plus tard, un temple fut élevé en l'honneur de ce général et les descendants de ses vainqueurs viennent encore y prier, pour calmer son ressentiment. Toutefois, il convient de préciser que, de 704 à 794, le royaume de Nanzhao était tributaire du Tibet.  

A son apogée, le royaume contrôlait les routes commerciales de la Chine et du Tonkin en direction de l'Inde, en traversant le Myanmar. Cette situation assurait la prospérité du royaume qui atteignit un niveau culturel élevé. D'habiles artisans y tissaient le coton et la soie. Des gisements de sel et d'or y étaient exploités. Un système complexe de gouvernement et d'administration, de type esclavagiste, y avait été mis en place. Victorieux des Chinois, le royaume devint agresseur à son tour et se mit à conquérir ses voisins du sud, au cours du 9ème siècle. Au sommet de son expansion, il s'étendait sur presque tout le Yunnan et une grande partie du Myanmar. Ses armées allèrent jusqu'au Vietnam et au Cambodge. Cependant, travaillé par des dissensions internes, il ne tarda pas à décliner. Les Baï, qui s'emparèrent du pouvoir, le renommèrent royaume de Dali. Le nouveau royaume fut intégré à la Chine, sous domination Mongole, en 1253. Koubilaï khan y laissa la trace de son passage, sur une plaque commémorative, avant d'aller conquérir Kunming, dont il fit la nouvelle capitale provinciale. 

Dali est une ville au plan en damier typiquement chinois mais les maisons de son ancien quartier sont caractéristiques de l'architecture traditionnelle des Baï. Ces derniers constituent, avec les Hui, la principale composante ethnique de la région. En 2000, On comptait environ 1,8 millions de Baï répartis sur le Yunnan et le Guizhou. Quant aux Hui, ils étaient 9,8 millions éparpillés dans plusieurs régions de Chine (Ningxia, Gansu, Henan, Hebei, Qinghai, Shandong, Yunnan, Xinjiang, Anhui, Liaoning, Heilongjiang, Jilin, Shaanxi, Beijing, Tianjin). 

Parmi les fleurons de l'industrie locale, le guide nous recommande de ne pas partir sans avoir goûté à la bière locale. Je respecterai scrupuleusement cette recommandation. On peut aussi y déguster du thé blanc, y manger de la viande sautée aux fleurs haicai ou bien de la soupe aux mêmes fleurs. Je n'y goûterai pas. 

Notre première visite nous conduit au temple Gantong, nommé aussi Tangshan, dans la montagne. Ce temple a une longue histoire. Il a compté jusqu'à 36 couvents de bonzesses. Les guerres ne l'ont pas épargné. Il a été reconstruit après le règne Guangxu de la dynastie mandchoue et restauré après 1981. Le paysage qui l'entoure a inspiré de nombreuses légendes. En voici un exemple. La fille du roi de Nanzhao tomba amoureuse d'un chasseur. Elle l'épousa au sommet du pic Yujv. Mais la princesse souffrait du froid qui sévissait à cette altitude. Le chasseur se rendit donc dans un temple pour y voler la longue robe de bonze du maître Luo Quan. Ce dernier, le prenant sur le fait, l'enferma au fond du lac pour le punir et le transforma en mulet de pierre. La princesse attendit longtemps le retour de son époux. Elle finit par mourir de désespoir et fut transformée en nuage. Maintenant, l'apparition d'un long nuage sur les sommets est le présage d'une récolte abondante. 

Pour parvenir au temple, nous devons nous écarter quelque peu de la ville. Nous empruntons un chemin qui longe un vaste lotissement de pavillons en construction. Il est situé dans une sorte de parc clôturé de murs qui ressemble à un jardin chinois. Rien n'y manque, ni les arbres, ni les ruisseaux, ni les petits ponts de pierre en dos d'âne. Les maisons respectent les traditions. Leurs murs sont ornés de peintures comme dans la vieille ville. Tout cela est charmant et de bon goût. On est loin des tristes HLM de nos banlieues. Les habitants de Dali peuvent acquérir ces petits bijoux architecturaux pour la somme d'environ 40000 euros, si ma mémoire est bonne, ce qui ne doit pas les mettre à la portée de toutes les bourses.  

Nous traversons ensuite une zone boisée, avant de parvenir sur une large esplanade d'où part, sous un portique de marbre décoré, l'escalier interminable qui monte jusqu'au temple. Il va nous falloir gravir. Mais ce n'est qu'un hors d'oeuvre par rapport à ce qui nous attend au Tibet. Donc, habituons-nous! De part et d'autres des marches, sont installées des boutiques de bois, décorées de lampions rouges, où des marchands ambulants proposent des produits du terroir, fruits et légumes, très colorés. Je me laisse tenter par une poignée de tamarin. A gauche de l'escalier, entre celui-ci et les boutiques, un ruisseau canalisé dévale en cascades la pente de la montagne. 

Je n'ai pas gardé de souvenir particulier sur ce temple. J'en profite pour donner quelques précisions sur l'économie des temples bouddhistes que l'on retrouve partout et sur lesquels il sera donc inutile de revenir. A l'entrée, le visiteur est toujours accueilli par un Bouddha souriant. Au revers de ce Bouddha, se dresse un gardien menaçant aux sourcils froncés. Plus ou moins grand et plus ou moins bien armé, suivant l'importance du temple, ce gardien est chargé d'éloigner les mauvais esprits. De chaque côté du Bouddha, ainsi que dans les bâtiments du temple, se tiennent divers personnages de la mythologie bouddhiste, dont il n'est pas toujours facile de retenir les noms. Certains sont pourvus de longs bras, dirigés en l'air ou vers le sol. La dimension de ces membre démesurés témoigne, je crois, de l'ampleur des pouvoirs attribués au personnage. Les femmes ne sont pas autorisées à pénétrer dans les bâtiments où logent les moines. Des pancartes en anglais signalent généralement cette interdiction. Il existe des monastères de nonnes, mais nous n'en visiterons pas. Tout au plus y fera-t-on allusion, lorsque l'un d'entre eux sera voisin d'un monastère d'hommes. 
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Les Trois Pagodes
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Nous nous rendons ensuite aux trois pagodes. Chemin faisant, parmi des véhicules plus modernes, nous croisons des carrioles tirées par des chevaux. Elles sont pourvues de sièges recouverts de tissus vivement colorés et semblent servir de taxis collectifs. Je remarque aussi, sur le bord des routes, de grands bacs de ciments qui sont apparemment des dépôts d'ordures. 

Les Trois Pagodes se dressent, au nord-ouest de la ville, au pied des monts Hangshan. Construites sur les pentes d'une éminence, elles font partie du complexe du temple Chong Sheng. La plus grande compte seize étages formant corniches. Elle s'élève, sur un large socle de maçonnerie, à un peu plus de 69 m et a été bâtie au milieu du 9ème siècle, sous la dynastie des Tang. Sa forme, légèrement renflée en son milieu, évoque vaguement une fleur de lotus. Les deux autres, avec leur dizaine d'étages, ne dépassent pas 43 m et on été bâties deux siècles plus tard, sous la dynastie des Song, sur un modèle un peu différent. Elles sont situées de part et d'autre de la première et légèrement en arrière de sorte que l'ensemble épouse au sol la forme d'un triangle. Une sorte de flèche en bronze couronne le sommet des trois édifices. Ces trois pagodes seraient l'oeuvre d'architectes chinois originaires de Xian. Figurant parmi les plus anciens monuments du sud-ouest de la Chine, elles sont devenues l'emblème de la ville de Dali. Elles sont particulièrement bien restaurées et entretenues.  

Cet élégant groupe architectural est du plus bel effet. Le visiteur l'aborde par une allée monumentale, coupée d'escaliers, qui mène jusqu'à une vaste terrasse dallée, d'où il peut l'admirer à loisir. La couleur des bâtiments, beige claire légèrement rosée, tranche harmonieusement sur la verdure environnante.  

Notre guide profite d'un instant d'arrêt sur la terrasse, devant la plus haute des pagodes, pour nous parler d'une particularité culturelle des habitants de la région. Les Baï ont l'habitude de causer, par groupe de sept ou huit, autour d'un réchaud à charbon de bois, en dégustant successivement trois sortes de thé. Le premier thé à un goût amer qui lui donne son nom. Le deuxième thé, additionné de sucre, de lait et de sésame, est parfumé et sucré, ce qui lui vaut le nom de thé parfumé et sucré. Mêlé de miel et de grains de xanthoxile, le troisième thé, d'une saveur amère, sucrée et piquante, est connu sous le nom de thé de remâchement. 

Nous nous approchons des pagodes par la gauche pour en faire le tour. J'aperçois, pendant sous l'une des corniches de la pagode la plus proche, un énorme nid d'abeilles. Mais il est bien trop haut pour que les dangereux hôtes de cette verrue bourdonnante s'inquiètent des minuscules bonshommes qui déambulent en dessous d'eux. Quelques herbes, heureusement rares, ont également réussi à prendre racine sur les corniches.  

Nous cheminons au long d'allées, bordées d'arbustes parfaitement taillés, pour nous rendre jusqu'au temple, derrière les pagodes. Un escalier monumental conduit à une bâtisse en forme de tour à cloche. Le temple est devenu maintenant un musée consacré à l’histoire des pagodes. On y trouve notamment des vestiges récupérés lors de leur restauration. La petite statue dorée d'un phénix y attire mon attention. 

Ensuite, nous nous dirigeons vers un grand bassin où se reflètent les pagodes, sur le miroir d'une eau tranquille ombragée d'arbres. Chemin faisant, je croise deux jeunes hôtesses vêtues d'un seyant costume traditionnel: toque couronnée de blanc, habit brodé rouge, pantalon blanc, ombrelle bleue clair. Autour du bassin, la foule grouille. Les places sont chères. Je me faufile comme je peux pour tirer quelques clichés. Puis je me dirige vers la sortie. 

Devant le complexe, un espace est réservé aux boutiques. Quelques-uns de mes compagnons de voyage y sont déjà en train de chiner (sans jeu de mots). Grâce à l'aide de l'un d'entre eux, qui sait mieux marchander que moi, j'achète pour quinze yuans (un euro et demi) une chemise de coton rouge, ornée de dragons dorés, de facture ancienne. Sans doute ne la mettrai-je pas souvent. Qu'importe, c'est toujours un souvenir qui ne coûte pas cher! Un mot sur la façon de marchander. Comme le dialogue chiffré est difficile, entre des interlocuteurs qui ne parlent pas la même langue, il s'effectue au moyen d'une calculette sur laquelle marchand et client proposent leurs prix tour à tour. 

La matinée est maintenant terminée. Avant d'aller déjeuner, nous visitons une fabrique où est traité le marbre gris de Dali. Cette pierre, justement fameuse (en chinois, marbre se dirait dalishi), y est découpée en lames. Lorsque ces dernières sont jugées convenables, elles sont réservées à un usage noble. Les autres sont récupérées pour diverses utilisations, notamment en construction. La visite se termine par un passage à la boutique, où l'on peut admirer diverses plaques polies, dans lesquelles les veines du marbre évoquent les paysages de la peinture chinoise traditionnelle. J'achète une petite pièce comme souvenir. 

L'après-midi, nous nous rendons, en bateau, dans une île située sur le lac Erhai. Sur la route qui mène à l'embarcadère, nous rencontrons un groupe de paysans en train de procéder à la récolte du riz. Celui-ci une fois battu, les grains sont mis à sécher sur l'asphalte de la route, dont ils occupent la moitié. La scène est pittoresque et m'en rappelle une autre, vue il y a plusieurs années au Vietnam, sauf que, là bas, le riz était étendu en paille sur toute la largeur de la route, pour y être battu par le passage des véhicules! Les paysans sont protégés du soleil par de larges chapeaux et certains d'entre eux portent des paniers suspendus à une palanche. 

Les plaines qui bordent le lac Erhai sont fertiles et bien entretenues. Les Baï qui les habitent y cultivent le riz, avec divers autres légumes et fruits. Ils agrémentent leur ordinaire en pêchant les poissons du lac. Ceux qui vivent dans les collines cultivent l'orge, le sarrasin, l'avoine et les haricots. Ils ont leur propre organisation sociale, basée sur le village et la famille au sens large (les parents, les fils mariés et leurs familles). La culture et la religion de cette ethnie sont une synthèse d'influences indiennes, tibétaines et chinoises. La religion dominante est un compromis entre le bouddhisme et les déités du cru. Elle diffère peu de celle des Han. Les Baï vénèrent des dieux locaux et des esprits ancestraux, de même que des divinités bouddhistes et taoïstes. Cette ethnie descend des aborigènes établis dans la régions du lac depuis environ 3000 ans. Son dialecte appartient au groupe linguistique tibéto-birman. Bien qu'étant une langue non-chinoise, tonale et polysyllabique, avec une structure grammaticale très différente du chinois, il contient beaucoup de mots empruntés à ce langage. 

Les Baï aiment la couleur blanche, qu'ils considèrent comme noble. Ils appellent leur ancêtre le roi blanc. Le mot baï signifie blanc. Leur langue est la langue blanche. La couleur blanche domine dans leur habillement, allié au rouge dans le vêtement féminin traditionnel. Les femmes portent habituellement des blouses boutonnées à droite et des gilets bleus et blancs. La coiffe des jeunes filles ressemble à une couronne blanche. Les hommes, pour la plupart, portent des gilets blancs, avec des tricots de corps noirs à longs cols.  

La traversée du lac s'effectue sans histoire. Nous apercevons des pagodes et quelques autres constructions sur les rives. Nous prenons pied le long d'une voie qui longe le lac. Des étalages y exposent la production locale: principalement des poissons et crevettes séchées ainsi que des coquillages, notamment de grosses moules. Un peu plus loin, sur une place, sèchent des milliers de crevettes roses minuscules, étalées sur des filets posés à même le sol. Des jeunes gens y jouent au billard en plein air. En Chine, lorsque le temps s'y prête, il n'est pas rare de voir les gens s'assembler ainsi, sur les trottoirs, pour jouer ou discuter.  

Nous empruntons une rue encombrée d'un bric à brac d'antiquités où je remarque l'armure d'un guerrier chinois médiéval. On peut aussi y trouver des scènes érotiques, gravées sur une matière qui ressemble à l'ivoire, mais qui est probablement beaucoup moins noble. Nous visitons plusieurs temples, très bien décorés, dont l'entrée est ornée de gros lampions rouges et de dragons. Les statues des temples sont éclectiques. On y reconnaît des Bouddhas mais on y voit aussi des divinités locales non identifiables. Auprès de l'un des temples, dans une salle sans doute réservée à cet usage, des groupes d'hommes âgés, installés à quatre autour de tables, jouent à un jeu qui ressemble aux dominos.  
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Dans un temple sur une île du lac Erhai
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De retour à Dali, la journée s'achève par la visite de la vieille ville. Elle fut fondée en 1383, sous la 15ème année du règne de l'empereur Ming Hongwu. Elle est entourée de remparts de 8 m de haut et de 3,5 km de circonférence. Des canaux, bordés d'arbres et décorés de fleurs, forment de petites cascades au long de ses rues en pente, mêlant le frais murmure de l'eau au bruit de la foule. Les maisons en pierres, aux toits de tuiles grises parfois couvertes d'herbes, aux portes et fenêtres ornées de dragons et de phénix, renferment des cours et des jardins. On y respire une atmosphère paisible qui confère un charme indéniable à cette cité favorisée par la douceur de son climat. 

Devant l'une des portes monumentales, qui percent le rempart de la cité, des porteurs, vêtus d'une veste rouge et d'un pantalon jaune, véhiculent en se dandinant les touristes, qui empruntent leur palanquin rouge, sur quelques dizaines de mètres. De l'herbe croît sur les toits des premières maisons basses, comme à Kunming. Un peu plus loin, les maisons sont plus hautes et l'herbe se fait rare jusqu'à disparaître complètement. Les rues sont propres. La population, vêtue à peu près comme chez nous, y est relativement dense. Elle se promène tranquillement dans cet espace réservé aux piétons. Au musée, porte ronde, stèles indéchiffrables, statuettes de terre peinte... rien qui accroche vraiment l'oeil. Ce lieu fut, à la fin du 19ème siècle, le quartier général de Du Wenxiu, qui défia la puissance mandchoue déclinante. Après la victoire des troupes mandchoues sur celles de ce rebelle, l'ethnie qui l'avait appuyée, celle des Hui, qui sont de confession musulmane, fut sévèrement réprimée. Pour échapper aux persécutions, dans toute la région, nombre de villageois Hui se mirent à parler le langage des Baï, afin de cacher leur identité, et certains de leurs descendants, plusieurs générations plus tard, quoi qu'ouvertement musulmans, continuent de parler cet idiome. 

Une autre anecdote a trait à l'ethnie Yi, que l'on rencontre également dans la région de Dali (7,7 millions en 2000 répartis au Sichuan, au Yunnan, au Guizhou et au Guangxi). Un cruel potentat local exigea que des jeunes filles Yi lui fussent remises, pour assouvir sa concupiscence. Ces dernières s'enfuirent dans la montagne, où elles se dissimulèrent dans un grotte. Des araignées compatissantes, que leur détresse avait émues, tissèrent une toile à l'entrée du refuge. De la sorte, les soldats qui les poursuivaient passèrent devant sans y pénétrer, persuadés que la grotte était vide. Pour remercier les araignées, de les avoir aidées à sauver leur honneur, les jouvencelles décidèrent d'intégrer à leur costume une représentation de ces animaux. Ce détail vestimentaire fait toujours partie du costume féminin traditionnel de l'ethnie.  

De l'autre côté de la place, face à l'entrée du musée, veille la statue dorée d'un soldat de l'armée populaire, plus grande que nature. Nous empruntons la rue principale, sur laquelle s'ouvrent boutiques et hôtels. Un canal bordé d'arbustes est creusé au milieu d'une rue perpendiculaire à celle que nous suivons. Une eau cristalline en dévale la pente, d'escalier en escalier, pour finir sous un portique arrondi devant lequel sont disposées deux rangées de pots de fleurs rouges et roses. Une jeune fille en costume national: pantalon et habit blanc, tablier rouge, coiffure en couronne blanche, se tient debout devant le portique. Tout cela est frais et charmant. Sans doute une visite matinale, avant l'ouverture des boutiques, permettrait-elle d'apprécier encore mieux la beauté des façades décorées, des portes et fenêtres sculptées. Mais je n'aurai pas l'occasion de m'y livrer. 

Au bar de l'hôtel, je remplis mon devoir de touriste en buvant une bière locale (la Dali beer). Pour arroser mon repas, je suis tenté par le vin du Yunnan, mais il ne se vend qu'en bouteille et cela me ferait trop. Chacun s'approvisionne comme il l'entend à un buffet, où il ne serait pas toujours facile de reconnaître les plats, si leur contenu n'était pas indiqué sur un carton. J'y remarque un ginseng local, qui est une racine sans rapport, pour ce qui est de la forme, avec le vrai ginseng. J'accompagne mon dîner d'une nouvelle bière et termine la soirée au bar, où je serai bientôt rejoint par deux autres personnes du groupe, dont celle avec qui j'ai arpenté les rues de Kunming lors de notre arrivée. Un trio vient de se constituer: deux hommes et une jeune femme. En attendant, je teste le vin. Pour le prix d'une bouteille, on me sert un petit verre d'une sorte de liqueur. Ce n'est pas ce que je m'attendais à découvrir. Sans doute, comme je venais de manger, a-t-on jugé normal de me servir un digestif. Je ne connaîtrai donc pas le goût du vin du Yunnan. 
 

5 ème jour: de Dali à Lijiang    (Les photos de Dali sont ici) 

Le matin, départ pour Xizhou. Découverte des rizières au pied des montagnes. On y moissonne à la faucille. 

Le marché de Xizhou est animé et très coloré: pommes de terre, oignons, poivrons, piments rouges, tomates, concombres... et de nombreux légumes non identifiables, posés à même le sol, sur des nattes ou dans des paniers. Comme ailleurs en Chine, les étalages sont bien garnis et les acheteurs ne manquent pas. Au rayon de la viande, principalement du porc, je remarque du sang caillé coupé en gros dés dans une cuvette émaillée: quel drôle de boudin! Des femmes vont et viennent, avec une sorte de hotte de vannerie maintenue sur leur dos par des courroies ou des cordes. Fruits divers, sucre roux, quincaillerie... Un marchand de "sucettes" déambule parmi la foule. Ses douceurs sont embrochées sur de minces bâtons piqués sur un support qu'il porte sur l'épaule. Au rayon vêtements, j'avise un tea-shirt avec cette étrange inscription multilingue: The Union Centrale des Arts Decoratifs musee de la mode et du textile musee de la publicite musee Nissim de Camonao musee des arto decoratifs founded in 1864; j'ai respecté scrupuleusement l'orthographe!  

En dehors de son marché, Xizhou vaut également le déplacement en raison des nombreuses maisons baï traditionnelles qui y subsistent. La culture baï est justement célèbre pour le style typique de son architecture. Les maisons baï sont harmonieuses et élégantes. Leurs façades sont presque toujours décorées de tableaux dans le style ancien. Les portes et fenêtres sont en bois peint artistement sculpté d'ajours et de bas-reliefs. Une résidence baï comporte généralement plusieurs bâtiments construits autour d'une cour. Ces bâtiments sont orientés de façon à les protéger du vent. Un mur de couleur clair réfléchit la lumière et la chaleur pour les diffuser dans la cour. Ce mur porte parfois une inscription. Les toits sont recouverts de tuiles cylindriques. Assez souvent l'herbe y pousse. L'entrée est fréquemment située au fond d'une ruelle qui donne sur un mur. Celui-ci est destinée à arrêter les mauvais esprits qui viendront s'y cogner. Une porte monumentale, qui s'ouvre sur une façade perpendiculaire à ce mur de protection, permet d'accéder à la cour. Le fronton de cette porte est richement décoré. Les bâtiments qui entourent la cour sont surélevés et en retrait par rapport à elle. Une terrasse couverte, coupée de piliers, qui soutiennent la partie du toit faisant auvent, court tout autour de la cour. Les portes des bâtiments s'ouvrent sur cette terrasse. Les murs sont en pierres, en briques ou en bois. Ils sont parfois décorés et ajourés. 

Nous visiterons plusieurs maisons situées dans le vieux Xizhou auquel on accède par une porte voûtée. Toutes ont leurs particularités mais, généralement, le schéma précédent est respecté. Je résumerai la visite des maisons par une présentation un peu plus détaillée de la principale d'entre elles: celle de la famille Yan, de riches négociants du 19ème siècle.  

Construite sous le règne de l'empereur mandchou Kwang Su (vers 1899), cette maison se compose de quatre cours et d'un jardin. On y trouve rassemblés les éléments essentiels du génie architectural des Baï. Cette construction comprend plusieurs groupes de bâtiments autour de leurs cours. Certaines bâtisses comportent un second étage agrémenté de balcons. Une enfilade de couloirs permet de traverser l'ensemble, de part en part, jusqu'à une ultime maison de style occidental, qui devait abriter une concubine européenne. Outre la facilité d'accès, cette résidence est ingénieusement construite, tant pour ce qui concerne son éclairage que sa ventilation. Sa décoration dénote un goût raffiné et la qualité des matériaux choisis a permis à l'ensemble de résister aux offenses du temps. Après plus d'un siècle d'existence, on peut encore l'admirer presque dans son état initial. La porte d'entrée d'origine, décorée d'une plaque mentionnant que la maison fut celle d'un gouverneur, Yan Zizhen, appointé par la dynastie mandchoue, a malheureusement été détruite de sorte que c'est le second portail qui constitue désormais l'entrée. Une plaque par laquelle la famille remercie l'empereur y est apposée. La troisième porte, devenue maintenant la seconde, porte l'inscription: "résidence du ministre". Ces dispositions respectaient strictement les lois édictées par la dynastie mandchoue. Durant la décennie 1930, les enfants de Yan Zizhen firent édifier le bâtiment de facture occidentale, pourvu d'un abri antiaérien pour se protéger d'un éventuel bombardement japonais. L'ensemble couvrait alors au sol une superficie de 3066 m2. Un autre bâtiment fut plus tard construit, à l'ouest de la maison, par l'un des fils de Yan Zizhen. Une plaque gravée portant la mention "Villa des miroirs" y fut apposée. La plaque actuelle, qui porte la mention "Résidence de Yan Baocheng", est une addition ultérieure. La maison de la famille Yan attire un grand nombre de touristes. Elle fait maintenant officiellement partie du patrimoine national. Yan Zizhen (1870-1944), qui en fut le premier propriétaire, était un homme d'affaires prospère. Il créa et dirigea la compagnie Yong Changxiang dont l'empire s'étendit sur tout l'est de l'Asie. Dévoué à son pays, il contribua généreusement, par ses largesses, au développement de la région. 

A la sortie de la maison de la famille Yan, une vieille femme très typée, ridée comme une pomme sèche, propose aux touristes des objets de vannerie. Un peu plus loin, notre attention est attirée par une pancarte sur laquelle les autorités de l'endroit informent leurs administrés de la façon dont sont employés les deniers publics.  

Dès le début de la visite, une jeune fille, qui vend des cahiers de dessins anciens, s'est attachée à mes pas. Elle disparaissait dès que nous entrions dans une maison, mais je la retrouvais à la sortie. Le prix, qui avait commencé à 800 yuans, descendit graduellement. Au moment de quitter Xizhou, on en était à 120 yuans! Là, je me décidai à récompenser tant d'obstination et de persévérance. Je devais vérifier plus tard que j'aurais pu avoir le cahier pour 80 yuans en marchandant encore un peu! 
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L'architecture baï
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Nous reprenons la route pour nous arrêter un peu plus tard dans un autre village (Zhoucheng?). Le marché est en train de s'y terminer. Il se tient sous d'énormes arbres sans doute plus que centenaires. Sur une des faces de la place, s'élève une sorte de théâtre, où l'on célèbre fêtes et manifestations. Sur le fond de la scène, se détachent des personnages de la mythologie chinoise peints en couleurs vives. Une vieille femme très typique se promène entre les étalages. Nous sommes plusieurs à tenter de la photographier. Mais c'est impossible, tant elle est mobile. Nous empruntons une rue montante, où nous croisons plusieurs habitants pittoresques. La rue est assez propre. On y rencontre pourtant, par endroit, des tas d'une sorte de boue qui ressemble à du fumier. Des gens s'affairent auprès d'un tas pour le charger dans un petit camion. Nous sommes à la campagne et cette activité est toute naturelle.  

Visite d'une maison. Assis sur une marche, devant l'entrée d'un magasin à la belle porte rouge rehaussée de clous formant motifs, un vieil homme aspire la fumée à travers le tube démesuré d'un long porte-cigarette. Avec sa barbiche pointue et son bonnet de fourrure, il semble tout droit sorti du 19ème siècle.  

Visite d'un temple. Lao Tseu et Confucius y encadrent un Bouddha souriant. Devant l'entrée du temple, deux terrasses couvertes servent de lieu de détente. Pourvues de siège, ces terrasses sont décorées de tableaux naïfs dont le symbolisme m'échappe: d'un côté un enfant nu, de l'autre Lao Tseu juché sur son buffle, une fleur à la main, les deux sur fond de paysages bariolés.  

Visite d'une fabrique de batiks bleus. La technique utilisée pour réaliser ces tissus décoratifs est originale. Elle consiste à protéger de la teinture certains endroits convenablement plissés en y effectuant des points de couture. Elle exige une bonne dextérité et une longue habitude. La pièce de coton blanc est ensuite plongée dans une série de bains, dont celui de la teinture, décousue, puis mise à sécher sur des fils. Une fois les coutures enlevée, les motifs (fleurs, dessins géométriques...) apparaissent avec des nuances qui dépendent de la façon dont les points ont été serrés et un peu du hasard. C'est ce qui fait le charme particulier de ces batiks, par rapport à ceux qui sont obtenus au moyen de la cire, dans d'autres pays d'Asie. Les couturières les plus habiles sont capables de produire des effets superbes.  
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Les batiks bleus
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Visite d'un autre temple dédié à des divinités locales; personnages débonnaires ou grimaçants, dieux ou guerriers à têtes d'animaux: coq, chien, boeuf, âne. Une villageoise nous demande de la prendre en photo. Dans les cours de plusieurs maisons, des grains de maïs sont répandus. Une femme portant la coiffe baï égraine des épis sous un écartage de batiks. De vieux messieurs, coiffés d'une casquette et vêtus d'une veste bleue, semblable à celles que l'on portait du temps de Mao, nous regardent passer de la fenêtre d'un local où ils sont réunis, sans doute pour jouer. Un cordonnier, installé sur le bord de la voie, répare des chaussures. Trois femmes, portant sur le dos des hottes en vannerie, nous croisent en papotant. La Chine profonde. 

Nous reprenons la route vers le nord, en direction de Lijiang. Collines, rizières en plaine, villages... Nous nous arrêtons pour visiter un ancien cimetière aux tombes ruinées. Il faut faire attention où l'on met les pieds car le sol effondré est plein de trous cachés sous une herbe haute et bien fournie. La tombe rectangulaire, consiste en un tumulus entouré de murets sur trois faces, les deux grandes et une petite. Les murets sont en pierres taillées. Un mur plus élevé, sommé par une pierre en demi cercle, s'élève sur la second petite face. Une porte voûtée s'ouvre dans ce mur lui donnant l'apparence d'un arc. Toutes les sépultures semblent orientées dans la même direction. D'autres, plus récentes, que nous apercevrons de la route, sont construites sur le même modèle. Vue la hauteur du tumulus, je me demande si le corps est enseveli dans le sol ou simplement étendu sur lui, avant d'être recouvert de terre. Cette question restera sans réponse. 

Passage par un nouveau village. Une petite fille vêtue du costume traditionnel nous rappelle que nous sommes encore en terre baï. Un paysan, de retour des champs, porte sur l'épaule un araire, en poussant devant lui son attelage de boeufs. Nous sommes à la veille d'une fête lunaire qu'il est de tradition de célébrer en savourant un gâteau. Peut-être s'agit-il de l'anniversaire du soulèvement des Chinois contre les Mongols, rapporté dans ses récits par le père Huc, anniversaire commémoré en offrant une sorte de galette représentant la lune. Comme nous passons devant une pâtisserie, nous demandons à acheter un de ces gâteaux. Ceux qui ont attiré notre regard sont déjà vendus, mais il est possible de nous en procurer un autre. Une femme âgée nous le partage au couteau. L'un de ses doigts porte un pansement d'une propreté douteuse, qui cache peut-être un panaris. Voilà qui n'est pas de nature à nous ouvrir l'appétit! Mais nos appréhensions se révéleront exagérées et aucun d'entre nous ne sera incommodé. Après avoir cheminé au long d'une rue commerçante relativement populeuse, bordée d'étalages en plein air protégés par des parasols, nous nous trouvons dans un lieu plus campagnard. Des maisons basses, de parpaings, de briques et d'adobe, bordent le chemin de terre. Nous croisons une mère de famille souriante qui porte son bébé sur son dos, dans une hotte de vannerie; de petites remorques motorisées; un porteur de paniers suspendus à une palanche. Au bord d'un immense champ de maïs, une forge rurale est installée. Des martinets presque modernes y battent le fer tant qu'il est chaud avec entrain. Peut-être une relique du grand bond en avant! Un mélange d'archaïsme et de modernité: la Chine!  

En route à nouveau. Champs en terrasses sur la pente des collines. La région est de plus en plus montagneuse. Nouvel arrêt dans une petite ville. A un carrefour, se dresse une porte monumentale en forme de pagode. Sur ce qui semble être la rue principale, les maisons sont toujours de style baï mais avec, comme originalité, un premier étage qui avance en auvent au-dessus du trottoir. Les fenêtres de bois sont joliment travaillées. Des pâtissiers, vêtus de leur costume de travail blanc, passent dans la rue. Ils vont livrer les commandes de leur client. La scène est curieuse et j'aurais voulu l'immortaliser sur la mémoire sensible de mon appareil numérique. Las, au moment du déclic, un cyclo pousse motorisé s'interpose entre l'objectif et le sujet. Je devrai me contenter d'un gros plan sur la tête du conducteur! Quant la rue sera libre à nouveau, les pâtissiers seront hors de portée. Un coffret de vins chinois s'offre à mon regard derrière la vitre d'un étalage. Il est illustré d'une image de... Bonaparte franchissant le Grand Saint Bernard! J'achète deux petites bouteilles d'alcool, l'une de riz et l'autre de maïs, dans une distillerie artisanale, où les grains fermentent dans des jarres, et nous repartons. Nous ne sommes plus très loin de Lijiang où nous allons passer la nuit. 

Le membre du groupe, avec qui j'ai exploré les rues de Kunming, juste après notre arrivée, invite les deux autres membres du trio constitué à Dali, à venir prendre l'apéritif dans sa chambre avant le dîner. Familier de la Chine, où il se rend fréquemment, il veut nous faire goûter un vin liquoreux qu'il vient d'acheter. Après le dîner, nous irons prendre le digestif dans ma chambre. Nous y sifflerons la bouteille d'alcool de maïs que nous trouverons très agréable. L'habitude étant ainsi prise, nous renouvellerons chaque soir l'opération. Nos chambres seront souvent contiguës, ce qui facilitera notre manège. Profitons-en, car au Tibet, l'ingestion d'alcool n'est pas recommandée, en raison de l'altitude.   
 

6 ème jour: Lijiang   (Les photos de Lijiang sont ici) 

Située au nord de la province du Yunnan, Lijiang et sa région ne comportent pas moins de onze ethnies différentes: les Naxi, les Yi, les Lisu, les Pumi, les Bai, les Dai, les Miao, les Zhuang, les Tibétains, les Hui, et les Han. L'ethnie la plus nombreuse, celle des Naxi, descend des Di-Qing, une ancienne tribu nomade. Il y a plusieurs siècles, un groupe de ces nomades échangea ses tentes en peau pour des huttes en bois et s'installa dans la vallée de Lijiang. Ils se mirent à cultiver le blé et le riz et à y élever des chevaux. Ils étaient connus sous les noms de Moxie et Mosha. On les appelle Naxi seulement depuis peu. La mythologie naxi raconte que ce peuple est né d'oeufs magiques couvés par Tabu, le créateur. Des récits mythologiques, inscrits sur des ouvrages en écorce datant du 10ème siècle, ont été conservés jusqu'à nos jours. L'ethnie naxi fait partie du groupe des Tibéto-Birmans. En l'an 2000, les Naxi étaient environ 308000, répartis au Yunnan et au Sichuan. La majorité d'entre eux sont établis à Lijiang et ses environs, au nord-ouest de la province du Yunnan. Ils seraient arrivé là, en provenance du plateau du Qinghai, un peu avant le 7ème siècle.   

Notre nouveau guide, une jeune femme qui parle anglais, appartient à cette minorité nationale, dont elle porte le costume traditionnel. Ce costume comporte une sorte d'habit à larges manches, plus court devant que derrière, généralement de couleur blanche. L'habit est recouvert d'une jaquette sans manche, de couleur pourpre, rouge ou bleue, drapée dans un châle dont la forme évoque une grenouille, totem du peuple naxi. Sur ce vêtement, sept médaillons représentent les étoiles de la grande ourse associées au soleil et la lune. Les sept étoiles symbolisent le rôle éminent que les femmes jouent dans la société. Les couleurs représentent le jour et la nuit. Le soleil et la lune signifient une journée bien remplie: levées à l'aube, les femmes naxi travaillent jusqu'au crépuscule. Un coussin, qu'elles portent sur le dos, symbolise le fardeau du ciel. Plus prosaïquement, il amortit le poids des charges qu'elles sont amenées à trimbaler. Il est assujetti au moyen de bandes croisées (j'allais dire de jugles!) nouées dans le dos. Des broderies de papillons stylisés rappellent que les femmes naxi ne chôment pas et qu'elles sont aussi actives que les abeilles et les papillons. Notre guide nous fera remarquer les quatorze rubans blancs qui flottent autour de ses hanches mais je ne suis pas sûr que ce détail vestimentaire soit obligatoire pour compléter un costume naxi. 
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Les 7 médaillons (source: M. Carré)
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Nous commençons la journée par la visite du Parc de l'Étang du Dragon Noir. De chaque côté de la porte d'entrée monumentale, quatre lions de pierre, deux mâles et deux femelles, montent la garde. Mais, à la différence de ce que l'on peut voir ailleurs en Chine, aucune de leurs pattes ne repose sur une boule. Ce détail a son importance. Il est révélateur des différences culturelles qui distinguent les Naxi des Han. Ces lions de pierre, sculptés sous la dynastie Ming, ont encore fière allure, malgré leur ancienneté.  

Notre guide profite d'une halte pour nous fournir quelques renseignements concernant les traditions de son peuple. Les Naxi sont organisés en société matriarcale. L'héritage et le nom se transmettent aux enfants par les femmes. La liberté des moeurs pourrait d'ailleurs rendre parfois la paternité douteuse. Les femmes gèrent les finances du foyer, effectuent l'essentiel des tâches agricoles, tiennent les boutiques et les étals, surveillent les magasins sans oublier les soins du ménage. Le sort dévolu aux hommes est beaucoup moins rigoureux. On attend surtout d'eux qu'ils soient artistes: poètes, calligraphes, musiciens... Une grande partie de leur temps est vouée aux relations sociales, à la promenade d'un animal favori, au jeu... et aussi, quelquefois, à la composition d'un poème. Les femmes ne consacrent pourtant pas l'intégralité de leur temps au travail. Il leur arrive aussi de s'attabler, par petits groupes, pour papoter sur le bord des canaux ombragés par les saules. Pour qu'un homme puisse espérer trouver une compagne, il doit remplir un certain nombre de conditions. Je me contenterai d'en citer quelques-unes, à titre d'exemple, ayant oublié les autres. Il doit boire, fumer, tirer à l'arc, chanter, jouer d'un instrument de musique, s'adonner au jeu... bref, posséder autant de qualités qui seraient chez nous des défauts! 
  
Les Naxi sont agriculteurs et artisans. Dans leur alimentation, on trouve, comme chez les Tibétains, le thé au beurre et la farine d'orge grillée. Ils élèvent des poulets, mais ne mangent pas les oeufs, réservés aux rituels religieux. Ils cultivent le blé, l'orge et le riz, ainsi que les choux, les navets, les aubergines, les concombres. Ils ont consigné leurs expériences concernant les fleurs dans un ouvrage classique. Les fleurs vertes sont toxiques, les rouges antipoison et les blanches nutritives. Leur maison traditionnelle est un bâtiment en bois et en briques, de deux étages. La pièce principale est située au sud et la porte d'entrée à l'est. Les cours fleuries sont pavées de dalles ou de cailloux formant motifs. Des canaux d'irrigation y amènent l'eau. 

Les Naxi rendaient autrefois un culte à la nature, à leurs ancêtres et aux esprits. Ils adoraient l'eau, le tonnerre, le soleil, la lune, le feu, etc., mais leur principal culte était dédié à "la fertilité de la femme". Ils croyaient que la maladie et les désastres étaient causés par de mauvais esprits que leurs chamans tentaient de conjurer. Leur religion traditionnelle, appelée dongba, n'a pas de doctrine bien établie, ni de temple ni de clergé. Les cérémonies se déroulent dans la nature, sous la présidence du chaman. Pour les Naxi, tous les éléments, ciel, terre, montagnes, rivières, nuages et vent, ont une âme. Au contact des ethnies environnantes, les Naxi subirent des influences diverses. Leur religion assimila des aspects du bön, du lamaïsme, du taoïsme et d'autres religions. La plupart d'entre eux sont aujourd'hui bouddhistes mais ils n'ont pas renoncé totalement à leurs croyances ancestrales. 
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Chamans dongbas
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Le Parc de l'Étang du Dragon Noir, appelé aussi localement Parc de la Source de Jade du Temple du Dragon Royal, est situé au nord de l'ancienne Lijiang et au pied de la Colline de l'Éléphant. Une source jaillit sous les châtaigniers qui croissent en bas de la colline. L'eau de cette source alimente un étang de 40000 m2. Elle est transparente et aussi brillante que le jade. A la surface de l'étang, poussent des fleurs aquatiques, dont certaines sont comestibles. Plusieurs espèces de poissons multicolores errent dans la profondeur des eaux. Des saules, mêlés à d'autres essences, tendent leurs branchages larmoyants au-dessus de la nappe, dans laquelle se reflètent le ciel, les nuages et la cime enneigée de la Montagne du Dragon de Jade. Plusieurs tours et des pavillons ornent le parc conférant à celui-ci un aspect très romantique. En 1737, l'ancien Temple du Dragon Royal fut édifié. En 1812 et 1889, par deux fois, la Source de Jade fut déclarée Dragon Royal par les empereurs mandchous. Ces décrets accrurent sa notoriété. Une série d'édifices y furent alors construits. Après l'arrivée au pouvoir des communistes, plusieurs bâtiments, caractéristiques des architectures ming et mandchoue, dispersés dans la région, ont été réunis dans le parc qui est ainsi devenu une sorte de musée en plein air. On y trouve aussi la tombe du professeur Fong Guoyu, un célèbre historien chinois. En 1963, lors de la reconstruction du Pavillon De Yue, Guo Moruo fut chargé d'écrire le titre de l'édifice ainsi que des poèmes gravés sur un pilier. Au cours des dernières années, le site a reçu la visite de nombreux visiteurs de marque dont Hu Yaoban, Jiang Zemin, Li Peng, Qiao Shi Liu, Liu Huaqing, Wu Yi, Zhu Rongji et les leaders du Tibet. Chaque année des milliers de touristes y affluent. 

Nous nous arrêtons un moment sur le Pont Vert qui enjambe le déversoir, dans le prolongement de l'entrée. On y jouit d'un beau point de vue sur le plan d'eau. On peut y lire des inscriptions marquées dans la pierre dont le sens m'échappe. Au milieu de l'eau s'élève le Pavillon d'un Liard. Notre guide nous raconte, au sujet de sa construction, une étrange histoire d'un personnage qui aurait essuyé des revers de fortune dont je n'ai pas retenu grand chose. La version du dépliant touristique, distribué à l'entrée, est différente. Un moine aurait quêté de la menue monnaie auprès des familles, en observant qu'avec beaucoup de peu il est possible d'amasser gros. Le produit de la quête aurait servi à défrayer la construction du pavillon. De l'autre côté du plan d'eau, on aperçoit la silhouette blanche du Pont à Cinq Arches, bâti en 1966, à l'ouest du pont initial, qui comptait neuf arches, dans un souci d'esthétique, afin de respecter la symétrie avec un autre pont, celui où l'on saisit la lune. 

Nous nous arrachons à cet agréable spectacle pour emprunter un chemin bien entretenu qui nous amène au pied de l'escalier de la Galerie d'Art Dongba. Un panneau nous apprend que le Jetuolin fut construit en 1601 et que le gouverneur de Lijiang, Mu Zeng (1587-1646), tenta à cet endroit de percer les secrets du Zen. En 1639, Mu Zeng rencontra Xu Xiake, un écrivain et touriste renommé, avec lequel il se lia d'une amitié profonde. L'intérêt pour les Dongba ne remonte évidemment pas à cette période reculée. L'Institut de Recherches sur la Culture Dongba du Yunnan ne fut créé qu'en 1981. La galerie d'art offre au visiteur un bref panorama de cette culture originale, qui a suscité bien des vocations de chercheurs chinois et étrangers. La culture dongba est éminemment religieuse. Le chaman, autrement dit le sage, est un sorcier, docteur, érudit et artiste. Intercesseur entre les dieux et les hommes, il détient le secret d'écrire et lire un système d'écriture sacrée, basé sur l'utilisation de pictogrammes, qui se transmet entre initiés, de génération en génération. Cet étrange alphabet graphique comporterait quelques 1400 signes. L'art dongba s'exprime également par la peinture, mais peindre, n'est-ce pas une autre manière d'écrire, comme écrire est, surtout en Chine, une façon épurée de peindre. A la boutique de la galerie, il est possible d'acheter un ouvrage illustré très intéressant sur ce sujet. Malheureusement, les amateurs sont légion et, lorsque viendra mon tour, il n'y en aura plus. Je le retrouverai heureusement ailleurs. Mais je devrai me passer du sceau dont sont frappés ceux que l'on vend à la galerie. Je m'en console en photographiant, à la sortie, une charmante hôtesse au demi sourire mutin. 

Nous continuons notre cheminement à travers le parc. Nous longeons un bassin circulaire. Un arbre mort s'y dresse dans l'eau, comme une leçon d'humilité. Nous parvenons face à un pavillon où une demi douzaine de jeunes femmes espiègles, revêtues de l'habit traditionnel de diverses minorités nationales, attendent le visiteur en quête d'exotisme. Mes connaissances limitées en la matière ne me permettent pas de reconnaître plus d'un costume: celui des Naxi! Ces demoiselles enrubannées se prêtent volontiers, avec le sourire, à la photo en compagnie d'un visiteur, rituel dont paraissent friands les touristes asiatiques. 

Nous parvenons sur une esplanade qui s'étend devant une sorte d'estrade recouverte où se produit un orchestre naxi. La musique qu'il interprète remonte à plusieurs siècles. Au moment où il allait quitter la région, Koubilaï khan aurait laissé derrière lui quelques membres de son orchestre militaire et des dizaines de partitions, dont  une vingtaine seraient parvenues jusqu'à nous. La musique naxi pourrait donc avoir, au moins pour partie, une origine mongole. Mais il est probable que les Naxis possédaient déjà leur propre expression musicale. Et celle-ci ne devait pas être totalement étrangère à la musique de cour qui prévalait sous les Tang et les Song. Les airs que l'on peut entendre aujourd'hui seraient donc le résultat d'un mélange d'influences variées. Deux compositions originales, Baishaxili et Dongjing Yingyue, souvent interprétées, ont été transmises à travers les siècles. L'origine ancienne de ces compositions les a fait qualifier de fossiles vivants de la musique chinoise. Nous nous asseyons un moment sur un banc mis à la disposition du public pour nous laisser pénétrer par les résonances magiques de ces harmonies d'un autre âge. Parfois, un groupe de jeunes gens, hommes et femmes, viennent mimer sur l'estrade, aux sons d'instruments musicaux typiques (flûtes, cithares, percussions...), des scènes du folklore naxi, dont mon entendement occidental éprouve le plus grand mal à percevoir la signification. On peut écouter un échantillon de cette musique en cliquant  ici  (source: vidéo Maurice Carré). 

Nous passons ensuite devant la Source de la Perle, ainsi nommée parce que des bulles naissent sans arrêt sur les graviers du fond, pour venir crever à la surface, comme autant de joyaux fugaces. Un peu plus loin, une personne est en train de remplir ses bidons d'une eau cristalline particulièrement pure et parfaitement consommable. Ici la pollution n'a pas encore exercé ses ravages. De l'autre côté d'un bras de l'étang, s'élève majestueusement le Pavillon de la Lune Saisie, au bout du pont du même nom. 

Nous voici parvenu devant le Temple des Cinq Phénix. Il aurait été construit vers 1600, sous la dynastie Ming. La hauteur du bâtiment principal est de 20 m. Il comporte 32 piliers dont quatre mesurent 12 m. Lorsqu'on regarde les phénix qui ornent le temple sous un certain angle, on a l'illusion de les voir voler. Le lettré Xu Xiake, qui visita le temple, fut émerveillé par sa forme et son élégance. On atteint le bâtiment central, le plus élevé, en empruntant un escalier au milieu duquel se dresse la statue équestre d'un dieu déguisé en guerrier de Gengis khan armé d'une lance. Cette statue est à l'origine d'une légende. Un chasseur poursuivait un daim blessé dans la montagne. Ce dernier se serait dissimulé derrière un tas de pierres. En retournant les pierres le chasseur les aurait trouvées si légères qu'il aurait conçu le projet de les emporter jusqu'à son village, afin d'en construire une maison. Hélas, les pierres se seraient alourdies au fur et à mesure qu'il s'approchait du village. Conscient de la nature divine du phénomène, notre homme aurait alors décidé la construction d'un temple sur le lieu du prodige. Ce temple fut intégré à une lamaserie. Les autorités chinoises le déplacèrent jusqu'à l'endroit où il se trouve désormais, avec le souci d'assurer la préservation d'un fleuron de l'héritage national, en 1983. Lors de notre visite, des photos et documents relatifs à la longue marche y étaient exposées. Des cartes permettaient de comprendre cet épisode fameux de l'histoire chinoise, qui se déroula partiellement dans le Yunnan. Deux armées communistes firent leur jonction au niveau de la boucle du Yang Tsé Kiang, pas très loin de Lijiang, après avoir combattu celle du gouverneur local, qui tenta en vain de s'opposer à leur passage. Parmi les protagonistes de ces événements, je reconnais facilement Mao Tsé Toung et Tchu Te. Nous sommes rejoints, dans la salle d'exposition, par plusieurs femmes âgées, en costume traditionnel, qui font partie d'un groupe folklorique venu se produire à Lijiang. Aimablement, elles se laissent photographier en souriant. 

Nous repassons devant la scène où se produit l'orchestre naxi. Nous la contournons. Derrière elle, s'ouvre une boutique où j'achète une sorte de dictionnaire dongba-chinois-anglais. Un grand nombre de pictogrammes y sont représentés et traduits. Nous empruntons le Pont de la Lune Saisie où je tire le portrait d'une hôtesse non moins ravissante que celles que j'ai rencontrées jusqu'à présent. Puis nous nous dirigeons vers une vaste demeure qui fait office de musée. Le sol de sa cour est pavé de galets formant un motif décoratif où je crois reconnaître des signes dongba.  
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Peintures du musée naxi (source: Maurice Carré)
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Ce musée est consacré à la culture et à la religion naxi. On y apprend que les pictogrammes ont été conçus dans le respect des formes du ciel, de la terre, du soleil, de la lune, des montagnes et des rivières, du bois et de la pierre, des oiseaux et des animaux, bref de tout ce qui s'offrait aux yeux des hommes. En combinant phonétiquement ces divers éléments, les ancêtres des Naxi auraient créé l'écriture primitive des chamans. Cette écriture est la seule forme d'écriture pictographique encore en usage. A partir d'elle, un langage doté de caractères syllabiques, le geba, a été élaboré. 

La culture dongba est liée à la religion primitive des Naxi. Cette religion comporte plus de 80 sortes de sacrifices rituels aux dieux, aux fantômes et aux ancêtres. On distingue plusieurs classes: prières adressées aux déités, éloignement des fantômes, funérailles... suivant leur caractère et leur contenu. Ces rites ont conservé jusqu'à nos jours leurs caractéristiques primitives. Les ancêtres des Naxi pensaient que les âmes des personnes mortes par suite de désespoir amoureux, guerres ou autres calamités, étaient la proie de fantômes et de démons, qui les obligeaient à hanter les vivants. Aussi les chamans dongba devaient-il procéder à un sacrifice pour rappeler l'âme en peine, normaliser en quelque sorte le décès, et mettre fin à son errance. Ce sacrifice s'accompagnait d'une grande débauche de drapeaux colorés qui ne sont pas sans rappeler les drapeaux de prière tibétain. Shu est le dieu le plus important qui dirige la nature. D'après les textes dongba, Shu et les hommes seraient nés du même père mais de mères différentes. A Shu aurait été dévolu le rôle de conduire la nature et aux hommes celui de développer l'agriculture et l'élevage du bétail. Les hommes auraient mésuser de leur pouvoir détruisant les forêts, polluant l'eau des sources, tuant les animaux sauvages. Aussi Shu, malgré la parenté qui l'unissait aux hommes, se serait-il fâché contre ces derniers. Pour regagner sa grâce et prévenir d'autres désastres, chaque année au mois de février, les Dongba se livrent à un rituel destiné à préserver l'harmonie entre les hommes et la nature. J'observe que les dessins, qui ornent des planchettes terminées en pointe, ne sont pas sans rappeler vaguement ceux des peuples amérindiens. Plus de 2000 ouvrages canoniques dongba ont été préservés jusqu'à nos jours. Depuis les années 1960, le Centre de Recherches sur la Culture Dongba de Lijiang conserve et traduit ces ouvrages. A ce jour, 1500 volumes ont été traduits dont certains ont été publiés. On y  traite des sujets aussi variés que l'astronomie, la géographie, la philosophie, l'art, les activités sociales... En bref, les opinions du peuple naxi sur l'éthique, les comportements humains, la religion, l'histoire et la vie en société, y sont consignées. C'est une source de connaissances d'autant plus importante à mes yeux qu'on y trouve peut-être des éléments de réponses à des questions qui se posent sur le Tibet pré bouddhiste, d'où sont venus les Naxi. (Un texte complémentaire sur les Dongba est  ici )  
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Livres dongba
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Après déjeuner nous allons visiter le monastère de Yufeng situé à quelques kilomètres de Lijiang. Nous ne sommes plus très loin du Tibet et son influence religieuse et culturelle commence à se faire sentir. Aussi notre guide éprouve-t-elle le besoin d'évoquer le mythe du Shangrila. Ce mythe est né d'un roman de James Hilton "L'Horizon Perdu". L'auteur y décrit l'aventure survenue à trois aviateurs américains tombés dans un pays inconnu au coeur de l'Himalaya. Les trois aviateurs y auraient rencontré un véritable paradis terrestre dont les habitants vivaient heureux dans la paix, la tranquillité, la tolérance et le respect des traditions, au milieu de cimes enneigées et de pâturages verdoyants. Les pilotes, recueillis et soignés par leurs hôtes, auraient ensuite pu regagner leur pays. Ce roman, et son adaptation cinématographique, rencontrèrent un grand succès auprès du public occidental qui contribua, après la seconde guerre mondiale, à propager l'idée de l'existence d'un royaume quasi parfait, dans les vallées tibétaines. Ce n'était qu'une fiction, mais cela n'empêcha pas deux villes de se disputer le titre prestigieux et producteur de recettes touristiques. Pour les supporters de la première, l'idée du roman aurait été inspirée à James Hilton par la lecture d'articles publiés sur Lijiang par Joseph Rock, un explorateur américain, nommé ancêtre sacré des Naxi! (Des photos et des cartes de Joseph Rock sont visibles ici). Pour ceux, de la seconde, Zhongdian... nous en parlerons plus tard. Quant à notre guide, apparemment peu soucieuse de participer à cette querelle, Shangrila est en fait n'importe où. Chacun peut se forger le sien qui se trouve là où il lui fait bon vivre.   

Le monastère de Yufeng n'aurait rien de bien remarquable s'il ne possédait pas un camélia plusieurs fois centenaire et si une anecdote historique n'était pas attachée à cet arbre. Ce monastère, de taille plutôt réduite, n'en fut pas moins l'une des plus importantes lamaseries de Chine au 17ème siècle. Les différents bâtiments qu'il comporte sont dispersés au flanc d'une montagne. On y accède par une succession d'escaliers bordés d'herbages et de plantations où j'ai cru reconnaître quelques arbres fruitiers. C'est déjà le Tibet, avec ses temples aux fresques anciennes, ses statues, ses banderoles, ses tankas et ses drapeaux à prière. Mais c'est encore aussi l'univers naxi, avec ses cours pavées de cailloux formant motifs. Certains bâtiments semblent être en cours de restauration. Après un cheminement assez long, nous parvenons en face du fameux camélia. L'arbre au tronc noueux, large mais court, étend ses branches, comme celles d'un chandelier, dans un espace relativement limité. Pendant l'époque de sa floraison, il porterait jusqu'à 10000 boutons roses, selon la légende, et quelques 4000 selon des témoins autorisés. Des pots de fleurs sont placés devant lui et des tuteurs maintiennent ses branches bien fournies. Sur les côtés et en arrière, s'ouvrent des chapelles contenant des statues et divers objets religieux, parmi lesquels il me semble reconnaître le portrait du jeune Karmapa. Ce détail me laissera supposer qu'il s'agit d'un monastère de l'école karma-kagyu, ce qui serait exact. Venons-en maintenant à l'anecdote historique. Pendant la révolution culturelle, un jeune moine se serait opposé à la destruction de l'arbre par les gardes rouges. Se plaçant devant le camélia, il aurait prévenu ses adversaires qu'il leur faudrait d'abord le tuer avant d'abattre l'arbre. Les gardes rouges auraient alors renoncé à leur projet. On dit même qu'il enlaça le tronc de ses bras, ce qui est peu crédible, eu égard à sa taille. D'après une autre version, moins mélodramatique, le jeune moine se serait contenté d'arroser clandestinement l'arbre, pour l'empêcher de péricliter, pendant la tourmente révolutionnaire. Ces faits sont rappelés par une image où l'on peut voir le moine en habit sacerdotal assis devant son protégé en fleurs. Notre homme, qui vit encore, ne manque pas de se montrer, pour se laisser photographier, dès qu'un groupe de touriste apparaît dans le voisinage. 

De retour à Lijiang, nous allons consacrer le temps qui nous reste, avant le repas du soir, qui sera pris dans la vieille ville, à visiter cette dernière, Dayan, la pierre à encre.  

L'ancienne Lijiang s'étend sur une superficie d'environ 3,8 km2 à une altitude d'à peu près 2400 m. Elle comporte plus de 6000 habitations où logent plus de 25000 personnes. Les deux tiers de cette population sont d'origine naxi. Cette citée fut fondée à la fin du règne des Song et au début de celui des Mongols. L'armée de Koubilaï khan, en route pour conquérir le royaume de Dali, s'y arrêta, en 1253, après avoir franchi le Yang Tsé Kiang, avec l'aide des Naxi dont il nomma le chef, le Mu, gouverneur héréditaire de la province. Dayan fut autrefois un point clé du commerce entre le Sichuan, le Tibet et le Yunnan.  

La Rivière de Jade qui la traverse se partage en trois branches principales franchies par 300 ponts. Les rues, qui serpentent et s'entrecroisent, sont pavées et bordées de maisons de briques et de bois, aux portes et fenêtres sculptées agrémentées de cages d’oiseaux. Leur style, plus que centenaire, confère à la cité une atmosphère historique indéniable. La maison du Mu, la Place Sifiang, le Grand Pont de Pierre, Le Centre Culturel Dongba... sont autant de témoignages de l'harmonie nécessaire entre l'homme et la nature, le modernisme et le passé. La maison du Mu est située au sud de la Montagne du Lion; ses nombreux édifices, résidentiels et administratifs, couvraient une centaine d'hectares; pour le lettré Xu Xiake, elle était aussi belle qu'un palais royal; aujourd'hui cette résidence est devenue le musée de l'ancienne ville. Le Grand Pont de Pierre est aussi nommé Pont du Reflet de Neige car le sommet de la Montagne du Dragon de Jade se réverbère sur la surface de l'eau qui court sous son arche. La Place Sifang occupe le coeur de le vieille ville. Nombre de rues y aboutissent et elle symbolise l'esprit national des Naxi, large, ouvert et soucieux d'apprendre. Elle est entourée de boutiques. C'est enfin un lieu de rencontre où l'on peut voir la population locale danser le Datiao, une sorte de ronde, au son du Hulu Sheng, un instrument à vent typique.  

La famille du Mu, de plus en plus fortunée, soutint la construction de monastères karma-kagyu dans les environs mais n'encombra jamais la cité d'édifices religieux. Le mur d'enceinte, qui entourait autrefois Dayan, fut démoli, avec d'autres bâtiments, en 1871, par les troupes mandchoues, après l'écrasement d'une rébellion musulmane. En 1996, un tremblement de terre, d'une magnitude de 7 sur l'échelle de Richter, lui causa d'importants dégâts et tua une centaine de personnes. Plusieurs bâtiments durent être rénovés. Les multiples restaurations imposées par les événements ont respecté le style ancien de l'agglomération. Déjà inscrite par le Conseil d'État chinois au patrimoine historique et culturel national, l'ancienne Lijiang entra, en 1997, dans la liste des héritages culturels majeurs du patrimoine mondial établie par l'UNESCO. 

Notre autobus s'arrête sur une place où se dresse une gigantesque statue de Mao. Celles-ci ne sont plus légion en Chine. La plupart ont été démolies. On peut comprendre le respect de la population de Lijiang pour la mémoire du grand timonier puisque ce fut sous sa direction que la décision fut prise, voici une cinquantaine d'années, de protéger l'ancienne cité de Dayan et de construire la nouvelle ville de Lijiang à côté. Ainsi les maisons anciennes ont-elles échappé aux pioches de la modernisation. On peut aujourd'hui les visiter à pied, comme autrefois, car les automobiles sont interdites dans les rues, d'ailleurs souvent étroites et accidentées, de la vieille ville.  

A l'entrée de cette dernière, un grand mur de brique rappelle l'inscription au patrimoine de l'humanité. Devant ce mur, tournent deux immenses roues de bois, entraînées par le courant de la Rivière de Jade. Un peu plus loin, un bas relief symbolise je ne sais quelle légende naxi. Nous entrons dans une large avenue pavée, bordée de saules, le long de laquelle court un canal. L'eau est omniprésente à Dayan. Derrière les arbres apparaissent de belles maisons de bois sculpté.  

Sur une placette, deux escogriffes barbus, déguisés en bandits tibétains, assis sur un banc, tiennent à la bride leurs chevaux dont la selle est recouverte d'une couverture bariolée. Les Naxi ont la passion des chevaux. On appelle d'ailleurs Lijiang "La Terre des chevaux". Au fur et à mesure que l'on approche du coeur de Dayan, la foule est de plus en plus dense, mêlant touristes chinois et étrangers. Les Chinois sont les plus nombreux. Depuis qu'ils ont goûté aux congés annuels, ils semblent ne pas se lasser de découvrir leur vaste pays. Ils ont de quoi faire! Les maisons basses sont de plus en plus exotiques. Il s'agit presque toujours de commerces parfois décorés de lanternes rouges. On y vend à peut près de tout, de la viande de yack séchée de bien des façons aux tissus côtes-de-boeuf, à bandes alternées vivement colorées, qui font penser à ceux des populations andines. Les rapprochements entres civilisations des hautes vallées de l'Himalaya et de la cordillère des Andes s'imposeront encore davantage au Tibet.  
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Les babioles pour touristes (source: Maurice Carré)
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Sur la place centrale, des danseuses folkloriques tournent en rond. Elles sont vêtues comme celles que nous avons rencontrées le matin au Temple des Cinq Phénix. Peut-être sont-ce les mêmes. Un peu plus loin un cavalier à mine patibulaire, émule des deux autres déjà rencontrés, exhibe fièrement une escopette moyenâgeuse dont la crosse ressemble à celle d'un pistolet.  

Nous nous promenons à travers des ruelles étroites toujours bordées de commerces avec, parfois, une mince rigole le long du trottoir. L'envie me prend de marchander quelque article. J'achète deux petites médailles d'argent, du moins je le pense, pour la moitié du prix indiqué. Il faut être prudent car il existe du cuivre blanc qui imite le métal précieux! Le travail du cuivre, ou plutôt celui du bronze, est très ancien chez les Naxi. L'offrande par les parents d'une arme à feu de ce métal, lors du mariage de leur fille, est considérée comme un don de grande importance et un gage de bonheur pour les nouveaux époux. Je remarque un puits sur la margelle duquel sont posés quatre bols de porcelaine. On descend par quelques marches jusqu'au niveau de l'eau et il est facile de la puiser. Elle est potable.  

Le théâtre dongba est ouvert. Dans l'entrée un chaman en habit de cérémonie: barbiche blanche au menton, robe de soie, longues plumes de faisan sur la tête, amulettes au cou, s'offre, assis sur une chaise, à la voracité des photographes amateurs. Derrière lui, accroché au mur, on peut voir un étrange jeu de l'oie. C'est un tapis divinatoire. La grenouille fétiche des Naxi est au milieu du cercle central. Le second cercle est divisé en douze cases. Dans chacune des cases figure l'animal correspondant à l'un des mois de l'année. Après dîner, nous reviendrons là pour assister à un spectacle. Il ne me laissera pas un souvenir impérissable. Comme la plupart des autres spectateurs, je le trouverai trop long et plutôt ennuyeux. Malgré les explications qui défilent en anglais sur un écran lumineux, il n'est pas toujours facile de pénétrer le sens de l'histoire qui se déroule sur la scène. On nous a bien distribué un programme détaillé, mais il est impossible de le lire dans l'obscurité. J'applaudirai tout de même. (Les thèmes du spectacle dongba sont  ici ). 
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Les tissus côte-de-boeuf Les cuivres de Lijiang
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7 ème jour: Lijiang-Baisha    (Les photos de Lijiang sont ici) 

Tôt le matin, j'essaie d'aller lire mon courrier sur Internet dans la pièce de l'hôtel où est offert ce service payant. Il y en avait une dans tous les hôtels où nous sommes descendus. Malheureusement, ma tentative restera vaine. Je parviendrai bien à me connecter, mais le système fonctionne beaucoup trop lentement pour que je puisse en tirer partie. Comme à l'aéroport de Bangkok, j'en serai pour mes frais!  

Ce matin, nous allons nous rendre à 8 km au nord de Lijiang, dans la bourgade de Baisha. Cette petite ville fut autrefois la capitale des Naxi. Elle est située dans une vallée où les dirigeants naxi, qui rêvaient pour leur peuple d'une importante extension démographique, se trouvaient trop à l'étroit. C'est pourquoi elle fut abandonnée au profit de Dayan. Elle doit sa célébrité à d'anciennes constructions, du temps des Ming et des Qing (mandchous), remarquables non seulement par la qualité de leur architecture mais également par la beauté des fresques dont leurs murs sont décorés.  

Ces fresques se distribuent principalement entre les palais Liuli, Dabaoji, Dajue et le hall Dading. On compte 53 groupes couvrant une superficie de 171,67 m2. Les premières fresques furent peintes durant la 17ème année du règne de l'empereur Zhu Yuan-Zhang (1385). D'autres s'ajoutèrent sous les empereurs Jiajing et Wanli, puis cette activité artistique entra en déclin vers la fin des Ming. Seules quelques fresques du hall Dading ne relèvent pas de cette dynastie. Elles ont été peintes durant le règne de l'empereur Qianlong de la dynastie mandchoue. Les fresques des palais Liuli et Dabaoji font partie du patrimoine national et sont placées sous la protection de l'État chinois. Plusieurs générations d'artistes s'attelèrent à la réalisation de ces peintures monumentales. Citons les maîtres Muwang et Muzeng et les peintres Yang Dehe, de Dali; Gu-Chang, un Tibétain; Ma Xiao-Xian, un Han; Zhang, un taoïste, ainsi que des peintres naxi de religion dongba. Les sujets des fresques intègrent ainsi bien des éléments du bouddhisme tibétain que du bouddhisme chinois, du taoïsme et du culte dongba. Elle sont un témoignage de la culture locale et de la propension des Naxi à assimiler d'autres héritages culturels. Les fresques de Baisha sont uniques et originales. Elles occupent une place particulière dans l'histoire de la peinture murale chinoise. Leur valeur est inestimable, non seulement en tant que témoignage du passé, mais également en raison de leurs qualités artistiques qui en font l'un des trésors de l'humanité. Celles des palais Dabaoji et Dajue sont les mieux conservées. 

Arrivés à Baisha, nous empruntons une longue galerie marchande en plein air où l'on vend des souvenirs, notamment de nombreuses pièces datant de la révolution culturelle, facilement reconnaissables aux portraits de Mao et de Lin Piao qui les ornent. Cette galerie conduit en direction des fresques, mais, avant d'atteindre ces dernières, nous nous arrêtons quelques instants dans une petite salle où se produit un orchestre naxi local. Cette formation a été créée à l'initiative de quelques fermiers musiciens soucieux de préserver l'héritage culturel de leur nation. Elle a eu la bonne fortune de disposer de la documentation laissée par un vieil artiste, He Xidian, féru de musique dongba classique. Mais elle ne se borne pas à l'interprétation de cette musique. Son répertoire comprend également de la musique taoïste. Tous les exécutants sont des amateurs bénévoles. Le groupe transmet son savoir aux générations futures. On peut écouter un échantillon de cette musique en cliquant  ici  (source: vidéo Maurice Carré). 

L'architecture des bâtiments nous donne un avant-goût de ce que nous trouverons au Tibet. Du moins je le suppose. Je suis surtout séduit par les entrelacs de bois qui soutiennent les toits. C'est très chargé mais d'un charme indéniable. Comme c'est souvent le cas en Chine, des panneaux rappellent qu'il est interdit de photographier ou de filmer à l'intérieur. Il faudra nous contenter d'admirer. Heureusement des dépliants sont disponibles. 

Face à l'entrée du palais Dabaoji, une fresque du Bouddha Amitayus (Amitaba), Bouddha de la lumière infinie, prêchant le dharma, occupe tout le mur. Ce Bouddha possède le pouvoir de transformer les passions en énergie spirituelle. Il est représenté sur un fond rouge, couleur de feu, son élément. Il est assis sur un trône placé sous une sorte de yourte, symbolisant un sanctuaire. Il tient dans ses mains un vase contenant la liqueur d'immortalité, obtenue par le barattage de la mer de lait. Ce Bouddha est en effet souvent invoqué dans les rituels de longévité. De part et d'autre du trône se tiennent debout les nombreux bodhisattvas qui l'assistent. Au-dessus d'eux flottent, sur des nuages, des personnages plus petits dont j'ai oublié la signification. Sur le mur nord, est peinte l'histoire d'Avalokitesvara, bodhisattva de la compassion, reconnaissable à ses nombreux bras ainsi qu'à la fleur de lotus qui est souvent son attribut. Sur le mur sud, une très grande fresque représente Namo-Mahamayuri prêchant, entouré d'une foule d'auditeurs, parmi lesquels on identifie des apsaras, jeunes danseuses de la cour d'Indra, nées pendant le barattage de la mer de lait. A l'arrière de l'édifice, on peut également voir une fresque du devaraja Vaisravana, le guerrier gardien du nord des Chinois, mais aussi le dieu de la richesse des Tibétains, installé sur un lion des neiges.  

Sur un terre plein, à côté du palais, une demi douzaine de femmes d'âge mûr, qui se tiennent par la main, exécutent une danse locale. Elles sont revêtues d'un costume national uniforme. 
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La galerie marchande de Baisha
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Nous nous promenons à travers le village. J'entre dans une cour où je suis accueilli par le sourire quelque peu édenté d'une vieille dame. Elle m'invite de la main à pénétrer chez elle. Je n'en ai pas le temps et décline l'invitation. Celle-ci n'est d'ailleurs pas totalement désintéressée. Je pourrai photographier ma nouvelle amie, mais il m'en coûtera quelques yuans. Nous passons devant les étalages d'une sorte de marché aux souvenirs. Rien de bien alléchant. Et nous voici devant la maison du célèbre docteur Ho (He en pinyin): la clinique de phytothérapie chinoise de la montagne enneigée du dragon de jade de Lijiang! Il est impossible de manquer cette maison dont la façade est décorée de journaux et affiches vantant les mérites du maître des lieux.  

Né en 1923, dans le comté de Lijiang, le docteur Ho n'est plus de la première jeunesse mais paraît encore très gaillard. Dans son uniforme blanc, avec sa barbiche et ses moustaches de même couleur, il ressemble à un vieil apothicaire. Il s'exprime en anglais. D'origine Naxi, il étudia à l'université de Nankin (Nanjing), dont il est diplômé. Après son retour dans son village, pour raison de santé, il étudia la médecine et l'appliqua à son propre cas. Guéri, il exerça gratuitement son art au profit des villageois ses voisins. Sa notoriété augmenta rapidement et, en 1985, le gouvernement l'autorisa à ouvrir sa clinique. Depuis, plusieurs centaines de milliers de visiteurs, chinois et étrangers, sont venus le consulter. Il est un spécialiste écouté du traitement par les plantes des maladies chroniques. Il lui arrive de participer à des congrès internationaux et son nom figure dans plusieurs publications américaines dignes de crédit. Le docteur Ho a servi comme médecin dans l'armée chinoise. Une photo collée à un mur rappelle cet épisode glorieux de son existence. Il est aujourd'hui membre de la conférence politique du comté de Lijiang. Son fils, également médecin, exerce la médecine occidentale aussi bien que la médecine traditionnelle chinoise. Sa fille et sa belle-fille sont aussi praticiennes. Le père est le fils rédigent actuellement un ouvrage sur les plantes yulong.  

Le docteur Ho nous reçoit avec affabilité et nous offre un thé de sa composition, à base de plantes des montagnes voisines, qui nous est versé généreusement, par une dame à peu près de son âge, peut-être sa femme, dont la prestance me rappelle ma grand-mère maternelle. Cette boisson est très agréable. Il brandit devant nous un livre récent intitulé "L'homme le plus célèbre du monde" en ajoutant fièrement: "Cet homme, c'est moi"! Plusieurs personnes de notre groupe sollicitent une consultation et repartent avec un chargement de médicaments composés de plantes réduites en poudre. La consultation est gratuite mais les médicaments ne le sont pas. On peut se les procurer, du monde entier, par Internet! 

Nous reprenons notre visite de Baisha. Sur un trottoir, deux hommes pèlent un chien, probablement préalablement ébouillanté, pour le repas de midi. Nous arrivons à une belle porte qui devait autrefois appartenir à une enceinte. La rue pavée est bordée par un canal où coule une eau peu profonde. De petits ponts, parfois rudimentaires, permettent l'accès à des maisons de pierres et de briques qui ne comportent généralement pas plus d'un étage. Des portails ouvrent sur de vastes cours où se dissimulent, à l'écart de la rue, les logements des habitants. Les murs de certaines maisons sont décorées de céramiques représentants des paysages chinois très colorés. C'est le cas de la maison des oiseaux, que nous visitons. Des ruelles conduisent à de belles portes peintes de couleurs vives. On y entrevoit parfois une vache à l'attache, dont la robe rouge me rappelle les salers de mon Auvergne natale. Une charmante petite fille, marquée entre les deux yeux de la tache factice du troisième oeil, se soumet sans rechigner à la corvée d'une photo. Elle est très joliment vêtue de velours grenat ourlé de broderies blanches et ne paraît pas du tout effarouchée par les barbares au long nez qui la mitraillent. 

Ici, je dois avouer que je ne sais plus trop où j'en suis. Nous avons visité un autre village puisque, dans mes photos, figure un panneau portant l'inscription Huan Shan, village naxi. Mais où s'arrêtent les clichés de Baisha? Franchement, je ne m'en souviens plus. Peu importe, puisque nous sommes toujours en terre naxi! Aux alentours, jardins et arbres fruitiers, ainsi que des espèces de grands échafaudages de bois dont je me demande à quoi ils peuvent bien servir. Nous entrons dans la cour d'une très belle maison typique. Derrière une porte ronde apparaît un mur décoré de scènes mythologiques. Un autre mur est recouvert d'un tissu marqué de caractères dongba. Le sol de la cour est pavé de cailloux de différentes couleurs formant un motif décoratif géométrique et floral. Dans une pièce, largement ouverte sur un balcon peu élevé, se tiennent deux jeunes filles, assises dans de vastes fauteuils de cuirs placés de part et d'autre d'une petite table. Dans le fond de la pièce, un poste de télévision diffuse un programme que personne ne regarde. Dans une pièce contiguë, la famille paraît être en train de manger. On aperçoit plusieurs personnes autour d'une table à travers la porte. La présence d'étrangers ne semble nullement gêner cette famille bucolique. Elle doit y être habituée. Les deux demoiselles viennent même jouer pour la photo sur le balcon avec un petit chien. Des épis de maïs sèchent, entreposés sous le toit, à l'air libre. 

Notre guide nous conduit à la vaste boutique pour touristes de l'agence de voyages de Lijiang qui l'emploie. C'est un passage obligé. Elle doit y pointer faute de subir une pénalité. Nous passons à travers les nombreux rayons, où s'offrent à la convoitise des visiteurs de nombreux objets dignes d'attention mais, pour ma part, je n'achèterai rien. Ensuite nous retournons à la vieille ville pour une visite plus approfondie de l'ancienne Dayan 

Nous passons devant trois bacs, creusés en escaliers au ras du sol, dans une rue légèrement pentue. Le plus élevé est réservé à l'eau pour la cuisine, le plus bas sert de lavoir. Un abondant courant les traverse renouvelant constamment l'eau qui reste pure. Je n'en boirais pourtant pas volontiers! Un homme et une femme, qui ont achevé leur lessive, retournent chez eux en emportant leur linge, elle dans une cuvette émaillée, lui dans deux seaux galvanisés suspendus à une palanche.  

Nous empruntons une rue qui me rappelle celles de Baisha. Passage devant la cour de l'auberge de jeunesse. On y voit des jeunes gens de plusieurs nationalités. Quelques gouttes de pluie commencent à perturber notre promenade, mais ce ne sera qu'une fausse alerte. Le long d'un montant de porte s'étale une longue bande de papier blanc marquée de caractères chinois. Quelqu'un est mort ici dans l'année. Lorsque ce genre d'événement malheureux se produit, on en avise ainsi les passants. L'annonce restera présente plusieurs années, mais la bande changera de couleur chaque fois qu'une année se sera écoulée. Une curieuse façon de porter le deuil!  

Face à un pont en dos d'âne, se dresse l'imposante façade blanche du palais du Mu, aujourd'hui transformé en musée. Des enfants jouent sur un autre petit pont en dos d'âne, flanqué d'une roue en bois actionnée par l'eau qui passe dessous. Les Naxi semblent affectionner beaucoup ces roues que le courant agite.  

Nous gravissons la colline qui s'élève derrière le palais du Mu pour jouir, à partir d'une terrasse, d'une belle vue sur les toits de Dayan. De là-haut, le complexe du palais apparaît dans toute son étendue. Il y a bien une vingtaine de bâtiments. Impressionnant. Une jeune touriste asiatique me demande, en anglais, de la prendre en photo au bord de la terrasse, avec son appareil. Les plus vaillants vont monter, par un long escalier, jusqu'à la pagode qui s'élève au sommet de la colline. Du dernier étage de la pagode, qui en compte trois ou quatre, la vue sur les environs est encore plus belle. Presque tous les étages sont consacrés à des activités commerciales. Il y a même des gravures érotiques, ce qui, sans me choquer, me semble curieux dans un lieu du culte. L'édifice est entouré d'un jardin avec fontaine et bassin.  

Retour vers le bas de Dayan. Flânerie à travers les rues commerçantes, en compagnie de mes acolytes habituels. Marchandages et achats. L'un d'entre nous, champion du marchandage, se fait graver un sceau. Il montre l'idéogramme qu'il souhaite y voir figurer. Une trentaine de minutes plus tard, on lui remet autre chose. L'artisan chinois n'en a fait qu'à sa tête. Refus et nouvelle tentative dans une autre échoppe qui, cette fois, réussira.  

Sur la place centrale, dans une boutique pourvue de cabine, coup de téléphone en France; facile et peu onéreux. Dégustation d'une bière sous les saules, au bord d'un canal sur lequel pendent de grosses lanternes rouges, à la queue leu leu, comme un chapelet de saucisses. Photographie d'une statue qui représente deux montagnards armés et un cheval chargés de deux sacs bien emplis, posés en travers de la selle. Au rendez-vous, au pied de la statue de Mao, j'achète à une vieille brocanteuse, deux chaînes en argent pour aller avec les deux médailles acquises la veille. Je les reçois individuellement rangées dans des sachets, comme dans une boutique! 

Notre dernière journée à Lijiang s'achève. Demain, après une matinée d'intermède, nous allons prendre de la hauteur. Le dîner achevé, suivant les conseils qui nous ont été prodigués, nous allons nous pourvoir d'eau et de fruits secs, dans un supermarché qui ressemble assez à ceux de nos banlieues. Nous nous interrogeons sur l'intérêt de nous procurer des produits pour lutter contre le mal des hauteurs. Il n'y a pas ici de coca, comme dans les Andes. Mais il est possible d'acheter des bouteilles d'oxygène à l'hôtel. Nous nous réunissons, pour une fois à quatre, dans une de nos chambres, afin de profiter encore d'un verre d'alcool, avant les sommets. 

Nouvelle tentative infructueuse de lecture de mon courrier sur Internet. Je me promène dans les couloirs de l'étage où est située la salle informatique avant d'aller dormir. Cet étage ne semble pas comporter de chambres. On y trouve des lieux de détente pour les clients: bar, salles de sport ou de jeux... Comme dans les autres hôtels où nous descendrons, au Yunnan, au Tibet et au Sichuan, il est possible de se faire masser dans sa chambre. Les prix figurent sur une fiche. N'ayant pas profité du service, j'ignore la  nature de ces massages. 
 

8 ème jour: Lijiang-Zhongdian   (Les photos de Lijiang sont ici) 

Nous quittons Lijiang en direction de la courbe du Yang Tsé Kiang. Chemin faisant, notre guide nous fournit quelques explications complémentaires sur les ethnies régionales.  
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Le Yang Tsé Kiang
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Les Moso (ou Mozo ou Mosuo ou Nas), un sous-groupe de l'ethnie Naxi, vivent à l'est de Lijiang, sur les bords du lac Lugu. Ils vouent un culte à la déesse Gunma. Leur société matriarcale traditionnelle est très libre de moeurs. Voici comment s'effectuent les mariages. Dès qu'elle atteint l'âge d'être mère, la jeune fille se sépare de ses parents, pour aller vivre dans une autre maison, spécialement construite pour elle. Elle y attendra le père de ses futurs enfants. Le jeune homme, qui aura jeté son dévolu sur elle, devra la rejoindre la nuit en cachette. Il se munira d'un morceau de viande, d'un couteau et d'un chapeau. Le morceau de viande servira à éloigner le chien qui rôde inévitablement autour de la maison et dont les aboiements pourraient donner l'alerte. Le couteau facilitera l'ascension du mur jusqu'à la fenêtre de la chambre de la belle. Cette dernière laisse évidemment la fenêtre ouverte ou au moins entrebâillée. Le chapeau sera accroché à un clou, à l'extérieur de la chambre, de manière qu'un autre galant soit dissuadé d'entrer, si l'idée lui venait de venir faire sa cour. La présence d'un chapeau montre que le nid est déjà occupé! Une fois sa semence convenablement versée dans le sillon à fertiliser, le jeune homme s'en retourne chez lui, sans bruit, comme il est venu. Le manège dure jusqu'à ce que la grossesse de la jeune femme soit visible. Alors, le jeune homme déclare publiquement sa paternité. Il continue néanmoins à vivre et à travailler chez ses parents, mais il peut également s'occuper des propriétés de sa femme, qu'il rejoint le soir. L'enfant reste dans la famille de la mère. Les membres de cette famille (frères, oncles, soeurs...) s'occupent collectivement des enfants. Si la famille compte plusieurs filles, les dernières sont privées de nuit de noce dès que le nombre d'enfants de la famille est jugé suffisant. La séparation d'un couple est possible mais généralement mal vue. Cette sorte d'union libre, qualifiée d'azhu, est encore en vigueur, malgré la volonté des autorités chinoises de favoriser la monogamie classique. Elle est toutefois en recul, sous la triple pression des réformes économiques, de l'ouverture au monde et de l'attrait exercé par les moeurs et les cultures étrangères. Les montagnes des régions moso sont emplies de déesses et mythes féminins, auxquels la population rend hommage, au cours de cérémonies annuelles.  

Les Yi (ou Luoluo ou Wuman), de la montagne Xiaoliang, comptaient, en 2000, environ 7,7 millions de personnes réparties sur le Yunnan, le Sichuan, le Guizhou et le Guangxi. Ils descendraient, comme les Tibétains, des Qiang qui vivaient autrefois à l'ouest de la Chine. La langue yi appartient au groupe des langues tibéto-birmanes et les Yi parlent six dialectes. Les Yi disposaient d'une écriture syllabique, appelée vieille langue, datant du 13ème siècle. Cette écriture comportait 10000 mots, dont 1000 courants. Dans les régions yi, on trouve encore des oeuvres historiques, littéraires et médicales, ainsi que la généalogie des familles dirigeantes rédigées dans cette langue. La culture traditionnelle Yi comprend une agriculture primitive à la houe, l'élevage du bétail et la chasse. Un système de castes divisait autrefois les Yi en plusieurs groupes fortement hiérarchisés. L'origine des Yi noirs (ou Nuohuo, environ 7% de la population) serait voisine de celle des Naxi. Les Yi blancs (ou Qunuo, environ 50 % de la population) étaient des demi serfs qui jouissaient d'un droit de propriété limité, devaient soumettre leurs déplacements à l'autorisation de leur maître, mais avaient néanmoins autorité sur les membres des autres groupes. Ces derniers, les Ajia et les Xiaxi, étaient pratiquement réduits en esclavage. Les Ajia (environ le tiers de la population) étaient entièrement dépendants des deux castes supérieures qui pouvaient en disposer à leur gré. Quant aux Xiaxi (environ 10% de la population), ils étaient tout simplement des bêtes de sommes vouées aux travaux les plus pénibles. Le gouvernement chinois mit fin à cette situation dans les années 1950. Autrefois, le mariage entre personnes de groupes différents était prohibé; il est aujourd'hui devenu théoriquement possible; les villageois Yi s'assemblent pour préparer sur les collines les champs des jeunes couples qui se marieront dans l'année; lors de la cérémonie, les nouveaux époux sont accueillis en les aspergeant d'eau. Les Yi pratiquent une religion animiste célébrée par un prêtre shaman appelé Bimaw; cette religion contient des éléments empruntés au taoïsme et au bouddhisme. Lors du Festival des Faces Noires, les Yi se barbouillent le visage de suie.  

Voici une anecdote relative aux Lisu et aux Nosu, deux groupes apparentés aux Yi*. Vousa, le créateur et le souverain des Trois Mondes (les Enfers, la Terre et le Ciel), décida un jour d'anéantir l'humanité par un déluge, sauf un frère et une soeur, Ahâp'a et Ahâma, qui étaient restés bons, purs et sincères, dans un monde où tous les autres hommes étaient devenus mauvais. Ahâp'a et Ahâma se réfugièrent dans une toupie, en compagnie de leur chien. Quand la pluie eut cessé et que l'eau eut reflué, ils quittèrent leur embarcation de fortune et s'abritèrent dans une grotte. Mais ils n'avaient rien à manger. Aussi envoyèrent-ils leur chien à la recherche de nourriture. Vousa plaça alors des graines dans les oreilles de l'animal; elles tombèrent sur le sol et germèrent, des plantes poussèrent dont l'une donna naissance à une énorme courge; cinq êtres humains sortirent de cette courge; quatre d'entre eux furent les ancêtres des Lisu et des Nosu; le cinquième, doté d'ailes, s'envola vers les cieux où ils généra les esprits. Certains auteurs voient dans le chien de cette anecdote un avatar du Bodhisattva protecteur du Tibet Shenrezi ou Avalokitesvara.  

Voici maintenant quelques autres renseignements concernant les Lisu; ils sont résumés du récit d'un voyage de l'explorateur André Guibaut réalisé en 1936: les Lisu vivent sur les rives de la Salouen comme à l'époque de la préhistoire, dans une végétation de forêt vierge peuplée de bêtes venimeuses; ils tirent essentiellement leurs subsistances de la chasse; la variole les décime et cause des guerres inter tribales car les épidémies sont attribuées aux manigances des sorciers. Les Chinois assez audacieux pour s'aventurer sur le territoire de cette ethnie vindicative le paient souvent de leur vie, même les militaires en armes; ces assassinats appellent des représailles qui se soldent par la destruction de deux ou trois villages et tout recommence; les armes des Lisu sont des arbalètes aux flèches empoisonnées; ils ont assassiné deux explorateurs allemands au début du 20ème siècle. Les Lisu habitent des cases sur pilotis, pour se protéger des eaux de la mousson; ils ménagent un espace libre sous leur plancher, lequel espace est fermé pour devenir à la fois une porcherie et un calorifère, grâce à la chaleur des bêtes. Leurs femmes portent sur elles toute la richesse du foyer en bijoux. Les Lisu croient au mythe du déluge; cet événement n'aurait laissé sur terre qu'un frère avec sa soeur; le frère aurait proposé à la soeur de s'accoupler avec lui; elle aurait d'abord refusé, avant de finir par accepter, en y mettant la condition qu'il se montrerait capable, au préalable, de tirer une flèche à travers le chas d'une aiguille; le garçon y étant parvenu, ils auraient eu neuf filles et sept garçons qui se dispersèrent sur la terre et la repeuplèrent. Les Lisu n'ont pas d'écriture car leurs ancêtres écrivaient sur une peau de tigre qui fut dévorée par les chiens! 

* Bien qu'apparentés au Yi, les Lisu seraient de caractère assez indépendant et égalitaire; le système des castes serait inconnu chez eux; on a parfois comparé leur société à celle des Gaulois, ressemblance qui n'est peut-être pas fortuite. Les Yi, quant à eux, font penser, par leur hiérarchisation sociale, aux Thai noirs et aux Thai blancs du Vietnam. 

En dehors des Naxi, des Moso et des Yi, on trouve encore d'autres minorités nationales dans la région de Lijiang:  les Pumi, les Bai, les Dai, les Miao, les Zhuang, les Tibétains et les Hui. 

Selon une légende, un homme vertueux se trouvait entouré de méchants. Les dieux décidèrent de lui venir en aide en détruisant les méchants. L'homme, resté seul, prit femme. Le couple mit au monde trois enfants. Malheureusement, ces trois enfants demeurèrent muets. Les parents se lamentaient en s'interrogeant sur la cause de cette étrange infirmité. Après bien des hésitations, l'idée leur vint de sacrifier aux dieux. Ces derniers, que l'ingratitude du couple avait rendus hostiles, furent enfin satisfaits et levèrent le charme. Les enfants se mirent à parler. Mais ils ne se comprenaient pas: l'un parlait tibétain, l'autre baï et le troisième naxi! Ainsi naquirent ces trois ethnies soeurs.  

Nous voici à proximité de la ville de Shigu (Tambour de Pierre) où le Yang Tsé Kiang change de direction. Le fleuve le plus long d'Asie, qui prend sa source au mont Tangula, sur le plateau tibétain, pour se jeter dans l'océan à Shangaï, amorce ici une ample courbe, formée de plusieurs méandres, pour abandonner sa direction initiale et s'orienter vers le nord-est. Si la montagne ne lui barrait pas le passage, il continuerait son chemin vers le sud. Ses eaux fertilisantes et productrices d'énergie seraient alors perdues pour la Chine. Cet endroit représente donc un intérêt vital pour l'économie chinoise. Vital, il l'est aussi au plan stratégique. Par trois fois, en effet, il fut choisi comme lieu de passage par des armées en mouvement. La première fois par Zhuge Liang, le meilleur stratège de l'armée chinoise; la seconde fois par Koubilaï khan, qui franchit le fleuve avec l'aide des Naxi sur des radeaux de peaux de chèvres; La troisième fois par Mao Tsé Toung et l'armée rouge, au cours de la longue marche. 

A l'endroit où nous nous sommes arrêtés, le long fleuve est déjà large et majestueux. Il paraît profond. Des roseaux poussent sur ses berges. De hautes montagnes bordent son lit enserré dans un écrin de verdure. La vallée est étroite. Quelques champs s'y étagent, probablement consacrés à la culture du riz. On n'aperçoit qu'à peine une bourgade dans un coude. Sans doute est-ce Shigu. Aucun pont ne semble la relier à l'autre rive. Je me demande comment les soldats communistes, sans doute harcelés par leurs adversaires, ont pu réussir l'exploit de traverser ici.  

Une légende s'attache au changement de direction du fleuve. Trois soeurs avaient deux frères. Les trois soeurs étaient des rivières et les deux frères des montagnes. Les deux frères s'étaient mutuellement chargés l'un l'autre de veiller sur leurs soeurs. Mais l'une d'elle, le Yang Tsé Kiang, tira profit d'un instant d'inattention de son gardien pour fuir vers le nord. Mécontent, l'autre frère coupa la tête de l'étourdi qui avait manqué de vigilance. C'est pourquoi aujourd'hui le Yang Tsé Kiang baigne la Chine et l'une des montagnes est moins élevée que l'autre. 

Nous partons visiter les Gorges du Saut du Tigre (Hutiaoxia). Ces gorges s'étendent sur une distance de 15 km, du Mont Haba (comté de Zhongdian) jusqu'au Mont Yulong (comté de Lijiang). D'après la légende, au point le plus étroit des gorges (30 m), un tigre aurait sauté au-dessus de l'eau pour fuir un chasseur. Ces gorges comptent parmi les plus longues, les plus étroites et les plus profondes du monde.  

Il commence à pleuvoir et je me revêts d'une veste imperméable par précaution. Pour se rendre à l'endroit le plus spectaculaire, il est nécessaire de cheminer sur une corniche, le long du fleuve, sur une distance assez longue. Le chemin, parfaitement balisé et entretenu, est quelque peu glissant sous la pluie. Une rambarde protectrice court tout de son long. De temps à autre, des gardes sont postés pour inviter les touristes à la prudence. Des panneaux indiquent la possibilité de chutes de pierres et il est conseillé de se tenir le plus près possible de la paroi. Celle-ci est parfois en surplomb. On peut s'abriter dessous. Sur l'autre rive, on devine une route en construction ou en réparation. Des moutons audacieux paissent tranquillement, sur une pente raide, en haut d'une falaise vertigineuse. Un affluent dévale en cascade la pente, à travers une brèche étroite encombrée d'énormes rocs, pour aller rejoindre le cours principal en passant sous le chemin. Une fois franchi un tunnel, on débouche sur un grand pont jeté sur un autre affluent coupé par un petit barrage. La promenade se termine ici. Sous le pont, l'eau se faufile en bouillonnant entre les rochers. Un long escalier mène à proximité des remous. C'est l'occasion d'un excellent exercice pour ceux qui ne sont pas trop essoufflés. Une passerelle, située juste au-dessus du saut, permet d'apprécier au mieux l'imposant spectacle qui s'offre aux regards. Une borne précise qu'ici, entre le haut des montagnes et le fond de la gorge, le dénivelé atteint 3900 m! C'est à peine croyable. Plusieurs amateurs de souvenirs se font photographier appuyés contre la borne. L'affluence est grande et il faut patienter dans une file d'attente. Les Chinois apprenant à mieux connaître leur vaste pays sont majoritaires. Au-delà de la brume qui monte de l'eau écumante, on distingue les vestiges d'un autre chemin d'accès, qui semble maintenant abandonné. 

Le retour s'effectue par le même itinéraire que l'aller, dans une atmosphère moite et pluvieuse. Sous ma veste imperméable, la transpiration s'est condensée. Ma chemise est aussi mouillée que si je l'avais trempée dans un bain. Dans notre car, je me livre à une séance de strip-tease pour changer de linge. Au diable la pudeur. Je préfère montrer un peu de peau plutôt que de risquer le rhume, avant d'affronter les neiges éternelles des monts himalayens! 

A l'entrée de l'auberge où nous déjeunons, une vaste affiche vente les mérites du vin tibétain. Il y a donc des vignobles dans ce pays. Je crois me souvenir avoir lu quelque part que la vigne y fut introduite par des missionnaires portugais, pour la fabrication du vin de messe. Mais je ne le parierais pas. En attendant, nous prenons notre dernier repas en compagnie de notre guide, qui va nous quitter là. Comme je trouve les plats trop peu épicés à mon goût, je me suis associé à mon acolyte des apéritifs et digestifs nocturnes, lui aussi amateur de piment, pour en demander aux serveuses. Se faire comprendre n'est pas chose facile. Heureusement, mon compagnon de route dispose d'un dictionnaire franco-chinois et il suffit de montrer l'idéogramme pour obtenir un bol de piments, rouges ou verts, parfois nature et d'autres fois en purée, certains grillés, de goût et de qualité variables. Depuis que nous faisons équipe en gastronomie, nous ne nous quittons plus, au moins à table. 

A la boutique de l'auberge, on peut se procurer toute la pharmacopée chinoise et tibétaine, ginseng compris. On se croirait dans une succursale de la clinique du docteur Ho!  

Notre nouveau guide est un Tibétain dont les parents ont quitté le pays. Il a vécu en exil avant de revenir en Chine. Il parle parfaitement le français. En sa compagnie, nous nous dirigeons vers Zhongdian, c'est-à-dire Shangrila, pour faire plaisir aux habitants de cette ville. Nous allons entrer dans une partie du Kham, naguère tibétaine, aujourd'hui annexée au Yunnan. Il va nous falloir monter encore d'un bon millier de mètres, dans des gorges boisées, au fond desquelles coulent des eaux que nous ne verrons pas souvent.  

Notre voyage est soudain interrompu par une panne. Les voyants du tableau de bord de notre car sont passés au rouge. Après examen du moteur, situé à l'arrière, il apparaît qu'une durite laisse échapper l'eau du système de refroidissement. Aller plus loin, dans un col comme celui où nous nous trouvons, serait condamner à mort les bielles. Chauffeur, guide et passagers, s'affairent autour du moteur bouillant, comme des guêpes autour d'une poire blette. Le trou est presque aussi gros que le petit doigt. Que faire? Le garage le plus proche se trouve on ne sait trop où mais sûrement à plusieurs dizaines de kilomètres. Cela me rappelle la nuit où j'ai failli coucher (mais pas dormir!) embourbé dans une forêt du Swaziland! Finalement, l'idée vient qu'un trou ne demande qu'à être bouché. On taille une cheville au couteau, dans un morceau de bois; on l'enfonce à force dans le trou de la durite et on l'assujettit fermement, avec un chiffon noué, obtenu je ne me souviens plus comment. Peut-être avec un bas de femme. Nous voilà repartis. Les véhicules chinois sont rudimentaires, mais robustes. Une halte au premier point d'eau rencontré nous permettra de refaire le plein. 
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A la frontière du Kham
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L'ancienne frontière du Tibet est signalée par la présence de quelques monuments: un chorten, un cairn surmonté d'un mât pour les drapeaux à prière, un socle sur lequel s'élève un faisceau de perches ornées de drapeaux. L'ensemble est situé à la lisière d'un bois où dominent les conifères. Le chorten, ou chaïta, (réceptacle d'offrandes) est la version tibétaine du stupa hindou et du dagoba cinghalais. Il en existe de toutes les tailles et de plusieurs couleurs. De petits chortens funéraires sont souvent déposés dans des niches ou sur des rebords. Les momies des dignitaires religieux (Dalaï lama, Panchen lama...) sont ensevelies dans des chortens d'or de très grande dimension. Les différentes parties du chorten ont un sens symbolique qui correspond à leur forme. La base carrée signifie la solidité de la terre et l'élément terre. La partie en forme de globe, représente la goutte d'eau et l'élément eau. La partie en forme de flèche, ou de flamme, symbolise l'élément feu. Le croissant, en forme de lune ou de ciel inversé, représente l'élément air. Le petit cercle s'effilant en pointe dans l'espace symbolise l'élément éther. Esotériquement, le chorten représente la Voie de l'Illumination: de sa base, la terre, il s'élève par degrés, à travers les Treize Cieux de la Connaissance (les marches de la flèche), pour atteindre l'informé, l'incréé, le Nirvâna, au delà du Royaume de l'éther, où la flamme de la lumière sacrée s'amenuise et se perd dans le vide. Celui qui se dresse devant nous est assez volumineux et il est de couleur blanche. Du mât du cairn jusqu'à un arbre voisin (un sapin?) est tendue une corde sur laquelle flottent de nombreux drapeaux de prière multicolores. Sur les morceaux de tissus sont inscrits des mantras. En les agitant, le vent remplace les lèvres qui devraient les murmurer. De nombreux autres drapeaux de prière, disposés ici et là, certains gisant à terre, décorent ce lieu certainement sacré. J'ajoute ma pierre à celle qui compose déjà la pyramide du cairn. Nous remontons en voiture alors qu'un troupeau de bovidés rentre du pré. On pourrait prendre certaines bêtes pour des yacks mais notre guide nous détrompe: ce n'en sont pas. Il s'agit seulement d'un hybride obtenu en croisant le yack et la vache, le dzo (dzomo au féminin).  

Nous roulons désormais en terre des dieux, au sud du Kham. Comme le but de notre voyage était surtout le Tibet, nous voici satisfaits. Nous descendons en direction d'une vallée largement ouverte sur une plaine. Nous sommes au début de l'automne et la nature nous gratifie d'une tendre symphonie de nuances, avec le vert plus ou moins foncé, le jaune et le gris des forêts, le roux des prairies et des champs, l'ocre des terres argileuses. Nous nous arrêtons à nouveau devant un groupe de sept à huit cairns sommés de mâts sans drapeau dont la signification nous échappe. De petits buissons rougissent à leur pied.  

Nous sommes à proximité d'un village. Je découvre enfin l'utilité des échafaudages déjà vus dans les villages naxi. On trouve les mêmes ici. Ils servent à mettre au sec la récolte destinée au bétail, sur un cadre vertical debout sur des pilotis. Parfois, une plate-forme, accessible par une échelle, ou un escalier taillé dans un tronc d'arbre, permet de disposer convenablement, sans trop de difficulté, les énormes radis blancs, presque aussi gros que des betteraves, la paille et le foin, sur ces silos en plein air. Une femme, chargée d'une hotte, se livre sous nos yeux à ce travail mais, lorsqu'elle voit que certains d'entre nous essaient de la photographier, elle se tourne en riant de l'autre côté montrant par là que nous l'importunons. Ce manège n'étant apparemment pas suffisamment dissuasif, elle finit par rentrer chez elle avant d'avoir fini son travail. Que cette leçon serve à ceux qui l'ont comprise!  

Quelques bâtiments, aux murs peints en blanc ou en rouge, sont construits au bord d'une route correcte, quoique non asphaltée. Ici et là, des bouquets d'arbres rompent la monotonie du paysage. Une maison tibétaine en construction nous permet de nous familiariser avec l'architecture locale. Elle est très différente de celles que nous avons vues jusqu'à présent. Le bois y domine. Je ne la détaillerai pas ici car nous devons en visiter une un peu plus tard. Des hommes s'affairent à décharger une remorque tirée par un petit tracteur. Dans un pré paissent vaches de jais et cochons noirs. Des prairies sont entourées de claies, de barrières en gros piquets serrés ou bien de haies. Au loin s'étendent des champs séparés par des chemins. Certains viennent manifestement d'être labourés. On aperçoit, dans le lointain, les maisons d'un village. Tout cela paraît, à première vue, étonnamment prospère, compte tenu de l'altitude qui dépasse largement les 3000 m. 

Nous atteignons Zhongdian dans la soirée. La ville est située sur un plateau, à 3500 m d'altitude. La région qui l'entoure est riche en herbes médicinales et en champignons, dont le réputé et très cher "matsutaké" qui est censé protéger du cancer. Les Japonais l'apprécient paraît-il beaucoup. Trois monts enneigés dominent cette région, qui constitue la Préfecture Autonome Tibétaine de Deqin: le Meili (montagne sacrée pour les Tibétains), le Baimang et le Haba. Deux importants fleuves la traversent: la Rivière aux Sables d'Or (Yang Tsé Kiang) et le Mékong. Les pentes des montagnes boisées servent d'habitat à plusieurs variétés d'animaux rares. L'agriculture est essentiellement pastorale et consacrée à la culture des céréales, surtout l'orge. Plusieurs minorités nationales y cohabitent: les Lisu, les Naxi, les Yi et surtout les Tibétains. En 2000, les Lisu étaient environ 635000 au Yunnan et au Sichuan, les Yi 7,7 millions, comme on l'a vu plus haut, et les Tibétains environ 5,5 millions répartis au Tibet, au Qinghai, au Sichuan, au Gansu et au Yunnan. Ces statistiques, qui émanent des autorités chinoises, sont contestées par les Tibétains en exil qui affirment qu'elles sous-estiment du simple au double la population d'origine tibétaine. Les Tibétains établis dans la région sont des Khampas, grands gaillards, redoutables guerriers quelques peu brigands, souvent en délicatesse avec le pouvoir central, qu'il soit à Lhassa ou à Pékin.  

Des recherches sérieuses auraient permis d'arriver à la conclusion que le pays idéal décrit dans le roman de James Hilton se trouve ici. Des aviateurs américains y auraient fait un atterrissage forcé pendant la seconde guerre mondiale, ce qui ne prouve rien, puisque le roman est antérieur. La dénomination de Shangrila est maintenant utilisée dans quelques documents officiels pour désigner Zhongdian et ses environs.  
 

9 ème jour: Zhongdian    (Les photos de Zhongdian sont ici) 

Nous allons d'abord visiter une maison tibétaine. Les bâtiments se déploient autour d'une cour rectangulaire, au sol cimenté au milieu et de terre battue sur les bords. La cour est fermée sur le devant par un mur percé d'un large portail. Les trois corps de logis comportent un rez-de-chaussée et un étage. Les murs du rez-de-chaussée sont en pierres crépies et chaulées. Les murs de l'étage sont en bois. Un balcon, couvert par une avancée du toit, court au niveau de cet étage sur les trois faces bâties. Des piliers, faits de gros troncs d'arbres, appuyés sur des pierres taillées en cylindres légèrement renflés, soutiennent l'ensemble. Les bois, fortement chevillés, sont peints en rouge. La rampe fermée du balcon comporte des panneaux rectangulaires bleus entourés de jaune qui tranchent sur la couleur dominante. Le dessous du toit et les poutres sont agrémentés de sculptures colorées qui rappellent celles des temples. Sur les piliers sont suspendus différents objets décoratifs dont le crâne d'un yack. Le rez-de-chaussée semble réservé aux étables et remises. L'étage constitue la maison d'habitation. Des poules picorent dans la cour. Une remorque attelée à un petit tracteur stationne dans un coin. Des bicyclettes sont négligemment appuyées contre un mur. Cet ensemble bucolique est assez imposant. 

On grimpe jusqu'au balcon en empruntant un escalier qui ressemble à une échelle de meunier. L'escalier repose sur un socle de quelques marches en béton. Le balcon est abondamment décoré de peintures et affiches diverses. Les portes qui s'ouvrent sur lui sont parfois vitrées, presque toujours ornées de motifs sculptés. La porte principale, en face de l'escalier, est entourée d'inscriptions et surmontée d'une écharpe blanche de bienvenue. Elle donne dans une vaste pièce qui paraît être la salle de séjour. Nous y sommes attendus. 

La première chose qui me frappe est la présence d'un grand portrait de Mao*, qui voisine avec une image du Potala entourée d'une écharpe blanche, au-dessus d'un poste de télévision. D'autres images moins significatives décorent la cloison de bois bien entretenue. Le parquet est irréprochable. Un poêle de fonte monumental chauffe la pièce. Il est isolé du parquet par une sorte de petite estrade. Son tuyau s'élève dans la pièce en direction d'une ouverture pratiquée dans le plancher du grenier. Le tuyau s'arrête un peu en dessous. Il n'y a pas de cheminée et la fumée s'échappe à travers le grenier. En quelque sorte un poêle à échappement libre! Au-dessus du poêle, sur une étagère suspendue au plafond, sèchent des fromages de yack de forme conique. Comme le bois ne semble pas faire défaut dans la maison, il est utilisé comme combustible, plutôt que la bouse de yack, en usage dans les contrées moins favorisées. Divers récipients, dont certains en cuivre, sont disposés sur le poêle. Une batterie de cuisine, des louches en cuivre, des seaux galvanisés et d'autres ustensiles ménagers, sont suspendus ou rangés dans une sorte de crédence, le long d'un mur. Ce meuble est entouré de bandes de papier rouge portant des inscriptions chinoises. Un peu plus loin, plusieurs récipients de cuivre, soigneusement frottés, reposent sur le sol. A leur côté, dans un renfoncement, l'autel de la maison est également entouré de bandes de papier rouge couvertes de caractères chinois. Un cordon bleu, blanc et orange, fixé par à un clou, y laisse pendre les franges de deux tresses, de chaque côté de plusieurs photos, devant lesquelles sont disposés de petits bols de beurre de yack. 

* La présence d'une photo de Mao à côté du Potala ne manquera pas de susciter des commentaires. Certains penseront qu'elle est le résultat des pressions chinoises. Pourtant, une autre possibilité m'est venue à l'esprit: et si Mao était divinisé! La reine Victoria, un siècle plus tôt, ne l'a-t-elle pas été sous le nom de laie adamantine? Les populations du Nanzhao n'ont-elles pas divinisé le général chinois Li Mi qu'elles ont tué parce qu'il était venu chez elles en conquérant? Après tout un conducteur de peuples, quasiment tout puissant comme le fut Mao, n'est-il pas une force de la nature, tout comme la montagne qui crache du feu et fait trembler la terre ou le fleuve qui déborde, lesquels sont bien perçus par les Tibétains comme autant de divinités?  

Derrière le poêle, entre une crédence et une banquette basse recouverte de tissu rouge, un moine est assis au sol sur un coussin. C'est le lama de la famille. Son dos s'appuie sur un mur illustré de dessins géométriques très décoratifs. Nos hôtes sont accueillants et nous reçoivent avec le sourire. Ils ne portent pas le costume national. La maîtresse de maison est toutefois coiffée d'un couvre-chef rouge assez typique. On émulsionne à notre intention du thé au beurre de yack dans une sorte de baratte. Ensuite, on nous invite à nous installer, pour un petit déjeuner tibétain, assis sur un banc recouvert de coussins, devant une table étroite et basse disposée le long de la cloison, sous le Potala et le portrait de Mao. Le dessus de la table, peint en rouge, est décoré de motifs chinois. Devant chacun d'entre nous sont disposées les victuailles, dans de petites assiettes: pommes de terre cuites à l'eau, fromage de yack, beignets et, dans un pot en bois rouge et doré: la tsampa, c'est-à-dire la farine d'orge grillée. On verse dans notre bol le thé au beurre. J'y ajoute une bonne cuillerée de tsanpa. Le breuvage ressemble à une soupe. A condition de mettre assez de farine d'orge, il n'est pas désagréable à boire. Il aidera à passer la pomme de terre, qui est bonne. Par contre, le goût du fromage de yack est beaucoup trop prononcé pour nos bouches occidentales. J'en mangerai un peu mais je serai sans doute le seul, ou à peu près, à m'y risquer. Les beignets sont délicieux. Ils ressemblent à nos bugnes à s'y méprendre. 

Le guide nous fournit quelques explications complémentaires sur la vie des familles tibétaines. L'aîné reste dans la maison familiale. Les autres enfants s'en construisent une autre. Autrefois, un enfant de chaque famille entrait dans les ordres. Comme il n'y avait pas d'école ailleurs que dans les monastères, c'était la seule manière d'avoir, dans une famille, quelqu'un sachant lire et écrire. Et celui-là, au moins, n'aurait pas à gagner sa tsampa! Certains abordent la question du Dalaï lama. Ses photos sont interdites. Le guide nous déconseille fortement d'en distribuer dans les temples, si nous en possédons. Il ne nous précise pas pourquoi. Nous ne comprendrons que plus tard la signification de sa mise en garde. La demeure de nos hôtes respire l'aisance. Ils possèdent des troupeaux de moutons, de chèvres et de yacks ainsi qu'une vingtaine de chevaux. Ils s'adonnent à la culture: pommes de terre et orge surtout. L'été, ils pratiquent l'estive. Les bergers conduisent les troupeaux dans la montagne. En hiver, ils les ramènent vers la plaine. Ce foyer, qui n'est sans doute pas représentatif de la moyenne, nous a tout de même donné un bon aperçu de la vie dans la région. (Une note sur l'habitat tibétain au Gannan est  ici ). 

En route pour le monastère de Songzanlin. Notre guide nous donne quelques précisions sur les différentes écoles du bouddhisme tibétain (lamaïsme, selon le langage occidental ancien style). On distingue quatre écoles principales, selon la couleur de leur bonnet: les bonnets rouges, les bonnets blancs, les bonnets noirs et les bonnets jaunes. A part les bonnets rouges, portés par les adeptes de l'école la plus ancienne, et les bonnets jaunes de l'école aujourd'hui dominante, celle du Dalaï lama, j'avoue que les explications du guide m'ont laissé perplexe. J'ai cru lire quelque part que les bonnets noirs correspondaient à l'école du Karmapa. J'ai lu aussi ailleurs que l'école Sakyapa était celle des bonnets colorés. Avec tous ces bonnets, il y a de quoi perdre la tête! Je ne retiendrai guère qu'un détail dont je suis certain. La fonction du chef spirituel des Sakyapas est héréditaire, éventuellement d'oncle à neveu, et ne s'effectue pas par réincarnation, comme dans les autres sectes. 

Sur une colline, une inscription en caractère tibétain, gravée à même le sol, attire notre attention. Il s'agit du fameux mantra d'Avalokitesvara, le bodhisattva de la compassion, patron du Tibet, dont le Dalaï lama est la réincarnation: Om Mani Padme Hum. C'est-à-dire: Om, l'éveil ultime; Mani, le joyau et la sagesse (principe masculin); Pedme, le lotus et la compassion (principe féminin); Hum, le potentiel d'éveil ou le germe de Bouddha que chacun porte en soi. Il est assez facile de saisir le sens général de cette prière mais, comme presque toujours pour ce genre de texte, la traduction laisse place à l'interprétation.  

Les bâtiments du monastère, situés sur une colline, sont visibles de loin. Au fur est à mesure que nous approchons, nous saisissons mieux la dimension impressionnante du complexe. C'est une véritable petite ville. A l'endroit où nous nous arrêtons, deux gorets noirs fouillent le fossé à la recherche de pitance. Nous nous dirigeons à pied vers l'entrée du monastère. La rue est bordée de maisons tibétaines. J'en remarque une particulièrement belle au fond d'une cour à laquelle donne accès un portail monumental. Des étalages de souvenirs longent la chaussée. Le monastère attire les touristes et par conséquent aussi les commerçants de pacotille pseudo-religieuse ou folklorique. Le vaste espace du monastère est clôturé de murs. Un porche, décoré de peintures mythologiques, y donne accès. Devant l'escalier du porche, une Tibétaine, tenant un agneau dans les bras, une petite fille devant elle, les deux en costume que je suppose national, se fait photographier pour 20 yuans (2 euros). Je dois emprunter 10 yuans à un compagnon de voyage pour payer ce cliché. Une longue rue presque droite, terminée par une volée d'environ 150 marches, conduit aux temples, en haut de la colline. De chaque côté de la voie s'élèvent des bâtiments qui font partie du monastère.  

Je m'écarte un peu sur la droite pour me rendre à un premier sanctuaire, à peu près au milieu de la côte. Des draperies blanches et bleues décorent sa façade autour de l'entrée. Des marches abondamment fleuries mènent jusqu'à cette dernière. Sur le toit se dressent deux cylindres dorés qui ressemblent à des moulins à prière. Ils encadrent une roue du dharma également dorée. Le dharma est un concept fondamental de la doctrine bouddhiste. Il signifie devoir, loi, mais aussi unification de la religion, de la philosophie et de la science. La roue symbolise cette doctrine et décrit comment elle forme un tout immense, cohérent, sans commencement ni fin. Elle se compose d'un moyeu, de rayons et d'une jante. Le moyeu représente la discipline éthique, les rayons la sagesse et la jante la concentration. Deux gazelles couchées, de part et d'autre de la roue, rappellent le premier sermon donné par le Bouddha à ses adeptes, près de Bénarès, en compagnie de deux de ces animaux. A quelques détails près, les autres temples reproduiront les mêmes dispositions.  

Un arrêt sur une large terrasse, dominée par un mur élevé, peint en ocre, nous permet de souffler un peu. C'est peut-être sur ce mur que l'on tend, à l'occasion des fêtes, le grand tanka de cérémonie. De la hauteur où nous sommes parvenus, nous mesurons mieux les dimensions de l'ensemble. Songzanlin, centre de la secte des bonnets jaunes (gelugpa) du Sichuan et du Yunnan, occupe 33,3 hectares et a été construit au 17ème siècle, d’après les plans du Potala de Lhassa, sous le règne du 5ème Dalaï lama. Son nom signifie l'endroit où jouent les divinités. On l'appelle aussi le Petit Potala. Huit statues de Sakyamuni plaquées d'or, bon nombre de sculptures, d'instruments de rites bouddhiques, de tankas et des collections de livres y sont conservés. On dit qu'un jeune Dalaï lama, le 7ème où le 9ème, menacé d'assassinat par le régent, qui voulait le remplacer par son fils, s'enfuit encore enfant avec sa mère. Une fois parvenu à Songzanlin, il dit à cette dernière: "Arrêtons-nous ici. J'y serai en sécurité puisque c'est moi qui ai fait bâtir cette lamaserie dans une autre vie". A son apogée, le monastère abritait plus de 1400 moines et 9 tulkou (réincarnations de bodhisattvas). Sa vaste salle de prière pouvait accueillir 1600 personnes. Les autorités chinoises ont maintenant limité le nombre des moines et ceux-ci ne sont plus qu'environ 700 à vaquer dans les nombreux édifices du domaine. Tous les bâtiments ont été rasés à l'époque de la révolution culturelle. Ils ont été reconstruits depuis et l'on ne peut qu'admirer le travail qui a été réalisé. Huit statues de Sakyamuni plaquées d’or, bon nombre de sculptures, d’instruments de rites bouddhiques, de tankas et des collections de livres y sont conservées. 

D'autres marches nous font monter jusqu'à une esplanade sur laquelle s'élèvent d'autres temples. Celui de gauche a été terminé seulement voici un an. Les draperies de sa façade sont noires et blanches, ou plutôt de dessins blancs ressortant sur un fond noir bordé de blanc. On reconnaît la roue du dharma, les gazelles, le lotus en compagnie d'entrelacs géométriques. Le bas de la façade est peint en blanc. Le haut, peint en rouge, est décoré de motifs et de statues dorées. Un peu plus loin, sur la droite, s'élève un autre temple presque identique. Il est gardé par deux lions chinois: le mâle pose l'une de ses pattes sur une boule. En face du temple, de l'autre côté de l'esplanade, une construction en bois, ouverte sur l'extérieur, abrite deux compositions picturales vivement colorées où deux personnages principaux, peut-être Padmasambhava, qui fonda l'école des bonnets rouges et propagea le bouddhisme au Tibet au 8ème siècle ou plutôt un Karmapa, comme le laisserait supposer son bonnet noir, et Tsongkhapa, réformateur qui fonda la secte des bonnets jaunes au 14ème siècle, sont entourés de disciples attentifs. Mais les peintures à mon sens les plus intéressantes se trouvent à l'intérieur des édifices. J'y remarquerai notamment: un lion des neiges, une déité au visage bleu quelque peu démoniaque, un musicien sur un tigre... et surtout trois représentations religieuses que nous retrouverons ultérieurement dans les autres temples visités: d'abord, la succession des cercles du samsara, ou cycle des existences, où sont dépeintes les réincarnations, plus ou moins désagréables, auxquelles un individu est soumis avant d'atteindre la délivrance dans le nirvâna, le cercle central contenant les trois sources du malheur, sous forme d'animaux: la haine, le désir et l'ignorance; en second lieu, un long chemin ascendant, suivi par un éléphant et un singe noirs conduits par un moine, sur lequel les animaux deviennent progressivement blancs (s'épurent?) au fur et à mesure qu'ils s'élèvent, le chemin du perfectionnement, en quelque sorte; enfin, une étrange représentation du cosmos enfermée dans un cercle; l'intégration au cosmos tient une grande place dans le bouddhisme tibétain.  

Ici, les photographies sont gratuites. Profitons-en. Il n'en ira plus de même dans la Région autonome du Tibet.  

Notre guide nous fournit quelques explications sur la réforme de Tsongkhapa qui épura le bouddhisme (ce sont ses termes) au 14ème siècle. Je lui demande s'il faut entendre par là que le bouddhisme fut alors débarrassé des influences de la religion bön. Il me répond que non. Je crois comprendre que la réforme consista plutôt à mettre fin à un relâchement de la discipline monastique. Je lui demande s'il subsiste encore des adeptes du bön au Tibet. Il me dit que oui. Des villages du Kham pratiquent encore cette ancienne religion tibétaine basée sur le culte des forces naturelles. Il me propose de m'en fournir la liste si cela m'intéresse. Cette proposition n'aura pas de suite car j'oublierai de lui en faire la demande avant notre envol pour Lhassa. 

Retour vers Zhongdian. Sur la montagne qui domine le monastère flottent de nombreux drapeaux à prière. Je ne peux me retenir de penser qu'il s'agit peut-être d'un ancien lieu sacré bönpo que le bouddhisme a repris à son compte. Le guide nous parle de la mort et des obsèques au Tibet. D'après lui, il y aurait cinq sortes d'obsèques dépendant pour l'essentiel des circonstances de la mort: 1°- l'enfermement dans un chorten réservé aux personnages ayant atteint le nirvâna (Dalaï lama, Panchen lama...); 2°- l'incinération pour les personnes mortes de mort violente; 3°- l'enterrement pour les personnes ayant succombé à une maladie; 4°- la noyade dans un lac ou une rivière pour les cadavres d'enfants; 5°- les obsèques célestes qui consistent à découper le cadavre et à en livrer les morceaux en pâture à des bêtes de proie, pour les autres cas de décès qui sont les plus fréquents (mort naturelle). Des explications complémentaires et quelques peu divergentes nous seront données ultérieurement par un autre guide. J'aurai l'occasion de revenir sur cette question.  

Le passage devant une maison tibétaine en construction nous donne l'occasion de voir comment s'y prennent les ouvriers. La carcasse étant essentiellement en bois, ces ouvriers sont surtout des charpentiers. Les gros piliers, qui protégeront la structure des tremblements de terre, les murs doublés pour l'isolation, le toit, les poutres aux étages, sont en place et la frise en dessous du toit est déjà peinte. Il ne reste plus qu'à fermer le devant, à poser les planchers et à fignoler les dernières décorations. 
  
Déjeuner. Lecture du Daily news. Un article très intéressant sur l'Irak montre que les positions de la Chine sont proches de celles de la France. Il est illustré d'un dessin humoristique très clair. La statue brisée de Saddam Hussein y gît au pied d'un socle sur lequel se dresse un aigle américain, piteux et déjà passablement chancelant, que des adversaires invisibles s'efforcent de mettre à terre en le tirant avec des cordes. 

Visite du marché, une halle couverte. Il est copieusement approvisionné de victuailles de toutes sortes. Côté viande, je remarque des volailles à la peau bleue: drôle de poulets! Un peu plus loin, on busque des canards au chalumeau. Ce travail achevé, on brûle avec la même flamme le pourtour d'un jambon, sans doute pour assurer la conservation de la viande. Côté jardin, les étalages croulent sous des amas de légumes. Beaucoup sont les mêmes que chez nous, d'autres me sont inconnus. Mais, faute d'en connaître le nom, j'en ai peut-être apprécié le goût, après plus d'une semaine de gastronomie chinoise. Au rayon des condiments, je retrouve les piments qui me sont servis aux repas. Un moulin électrique en broie quelques-uns. La marchande ensache la poudre, au fur et à mesure qu'elle sort de l'appareil, sous les yeux des clients. Au coin restauration, je photographie un groupe de femmes qui déjeunent en plaisantant. Elles n'ont pas le type chinois et j'imagine qu'elles sont tibétaines. Leurs têtes s'ornent de coiffes vivement colorées qui évoquent vaguement le turban. Un marché aux tissus se trouve ailleurs, sur une autre rue. Rien de bien intéressant. 

Maintenant, nous partons pour une tournée dans la campagne environnante. Nous arrivons dans une plaine marécageuse entourée de collines. Au delà de l'eau stagnante et des bourbes, s'étendent des pâturages. Dans le lointain, une ville émerge de la brume. Les maisons du village sont moins cossues que celle que nous avons visitée ce matin, mais la disposition est la même. On aperçoit des antennes de télévision sur quelques toits. Dans une cour, où les eaux usées coulent à l'air libre, stationne un petit tracteur. Nous ne rencontrons pratiquement personne. A cette heure, les villageois s'affairent sans doute à leur travail. Nous croisons seulement des brebis en liberté. Elles s'aventurent à quémander auprès de nous quelque bribe de nourriture et s'en retournent dès qu'elles ont compris qu'il n'y avait rien à glaner. Nous gravissons une éminence pour jouir du point de vue. On y retrouve les petits buissons rouges déjà cités qui décorent si bien le paysage. Le sentier est jonché de chaussures éculées. Le lieu doit servir de décharge. On ne peut tout de même pas supposer qu'il s'agit d'offrandes! De la hauteur, la vue embrasse mieux l'horizon. Des champs labourés jouxtent le village. Des enclos ceinturent un espace auprès de quelques maisons. Les toits sont couverts d'une sorte d'ardoises que des pierres calent parfois contre le vent. Des échelles à sécher la récolte se dressent ici et là.  

Le ciel devenant menaçant, et la pente plus ou moins périlleuse, je préfère revenir sur mes pas plutôt que de m'aventurer sur un terrain que la pluie rendrait glissant. Je n'ai pas oublié ma mésaventure malgache: une cheville brisée sur terrain gras! Heureusement, mes craintes ne sont pas fondées. 
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L'attelage de l'araire
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En revenant, nous passons auprès d'un champ que des paysans sont en train de labourer. L'attelage est composé de deux bovidés à longs poils, probablement issus du croisement du yack et de la vache. Le joug est un gros piquet façonné en gouttière. Chacun des deux colliers est constitué d'une couple de fortes baguettes de bois qui traversent le joug. Elles viennent se placer de part et d'autre du cou de l'animal. Une sorte de licol assujettit l'ensemble à l'encolure. Un bouvier, placé devant cet attelage rustique, le conduit au moyen de bâtons fixés aux naseaux des bêtes. Ces dernières tirent un araire dont l'unique mancheron est fermement tenu par un second paysan. Ce mode de labourage n'est certainement pas très différent de celui qui prévalait autrefois dans nos pays. On peut l'estimer arriéré. Pourtant, la profondeur des sillons et la grosseur des mottes montrent qu'il est loin d'être inefficace. Peut-être même est-il mieux adapté aux conditions de culture en altitude que bien des moyens modernes. 

Visite de Dukezong, la Ville de la Clarté Lunaire, c'est-à-dire l'ancienne Zhongdian, alias Shangrila, puisque c'est le nouveau nom de la cité. Nous nous arrêtons devant la maison Abu. Les bâtiments bien entretenus sont disposés autour d'une cour dallée, copieusement fleurie, où apparaît la margelle basse d'un puits couvert par des planches. Une plaque, apposée à l'entrée, ainsi que plusieurs feuillets dactylographiés, collés sous le porche, nous en apprennent davantage sur cette résidence et ses habitants. Les textes de la plaque et des feuillets sont en anglais. 

Comparée à d'autres édifices de l'agglomération, cette maison n'a rien d'extraordinaire. Elle est de dimension modeste. Mais son propriétaire actuel, M. Abu, dernier descendant d'une famille de notables, les Song, toujours disposé à en faire les honneurs à des étrangers, se tient invariablement sur le pas de la porte, pour les inviter à y entrer. Cet original est un Tibétain âgé de 73 ans. 

Sous l'auvent du toit du bâtiment principal, sont sculptés les neuf fils d'un dragon mythique. Ils décorent également les murs intérieurs. Dans la pièce centrale, des traces de carbonisation, laissée par la chaleur d'une lampe, ont noirci le fond d'un cabinet. La porte de ce cabinet, lacérée de coups de couteau, rappelle que l'occupant des lieux dut s'y défendre contre des bandits, avant la révolution de 1911. D'autres événements historiques ont laissé leur marque sur les murs des corridors. Certains datent de l'époque de la révolution culturelle, pendant laquelle la maison fut occupée par les gardes rouges et M. Abu emprisonné.  

Mais l'intérêt principal de la maison réside dans la première pièce où l'on pénètre en arrivant, en haut des marches, laquelle est consacrée à la religion. Au moins une fois par jour, M. Abu et son épouse s'y recueillent devant les images du Bouddha. Une inscription révèle que l'autel date de la période des Ming, ce qui laisse supposer que la maison fut construite voici environ 400 ans. Les sculptures du cadre de l'autel comportent une paire de dragons volants. Un tableau, représentant les Fameux Immortels, mêle la culture han à la culture tibétaine. Sur les murs de droite et de gauche, apparaissent des figures traditionnelles de la mythologie tibétaine, supposées apporter la fortune et la chance. Les offrandes florales sont déposées sur la base d'une colonne qui proviendrait du monastère de Songzanlin. Elle aurait été amenée ici au moment de la révolution culturelle. De riches amateurs offrirent des sommes importantes pour l'acquisition de cet autel. Mais sa famille et ses amis insistèrent auprès de M. Abu afin qu'il ne s'en séparât jamais, car la disparition de cette pièce rare enlèverait beaucoup de valeur à sa demeure. Ainsi fut préservé un irremplaçable témoignage du passé, qui traversa la révolution culturelle pratiquement intact.   

Pour M. Abu, la politique et la religion sont inextricablement mêlées à Zhongdian, comme elles le sont en la personne du Dalaï lama. Avant la révolution de Sun Yat Sen, deux familles de la ville, les Song et les Qi, entretenaient d'étroites relations avec les autorités tibétaines et fournissaient au monastère de Songzanlin, ainsi qu'au gouvernement local, tout ce dont ils avaient besoin. La cité jouait alors un rôle éminent sur l'ancienne route du thé. Les négociants du Yunnan, du Tibet, du Sichuan, du Qinghai et d'autres régions y venaient exercer leur commerce. Les caravanes laissaient leurs animaux de bât (chevaux, ânes, mulets...) au monastère où l'on en prenait soin. Les marchandises du Tibet, les fourrures et les peaux, étaient stockées dans les magasins de la ville, pour être échangées contre du sucre roux, du riz ou du thé. Des voyageurs s'arrêtaient à la maison Abu, dont les bâtiments extérieurs avaient été aménagés pour les loger. La maison employait alors un grand nombre de serviteurs. Les tâches étaient multiples. Il fallait aller puiser l'eau jusqu'à une source située au pied de la Montagne de la Tortue. Chaque jour, plus de dix voyages devaient avoir lieu de la maison à la source. Du bois devait être scié et fendu pour alimenter les feux de chauffage et de cuisson. Il fallait labourer les champs et garder le bétail, en plus d'encore beaucoup d'autres travaux. 

La maison connut bien des vicissitudes et bien des changements. Elle fut endommagée par un incendie. On acheta une autre maison afin d'utiliser ses éléments pour la réparer. Plus tard, l'activité commerciale de Zhongdian déclina, par suite des guerres et du banditisme. L'entretien de la maison fut négligé. Les autorités l'enlevèrent à M. Abu et à son épouse, pendant la révolution culturelle, et la leur restituèrent après. Aujourd'hui, contre vents et marées, M. Abu continue d'entretenir à grand frais sa demeure et  refuse de s'en défaire. Il accepta néanmoins l'aide que lui proposa le président de la Société de Préservation de l'Histoire Populaire. Les ancêtres de cet homme avaient réparé la célèbre chaîne de fer d'un vieux pont de la rivière Liudong. Ils avaient honorablement dirigé une ancienne compagnie dont ils étaient propriétaires. Ces antécédents parurent suffisants à M. Abu qui lui fit confiance. 

La visite est gratuite et M. Abu, digne représentant de l'hospitalité tibétaine, ne manque pas d'offrir à ses visiteurs une tasse de thé au beurre de yack accompagné de tsampa. 

Dans la rues que nous suivons, plusieurs vieilles demeures sont en cours de restauration. Dans quelques années, la physionomie du quartier aura certainement beaucoup changée. Compte tenu de sa dimension, il est toutefois douteux que les restaurateurs parviennent à en faire une réplique de Dayan. Espérons qu'ils sauront préserver l'ambiance et l'architecture traditionnelle tibétaine que l'on peut encore y admirer. 

Après avoir traversé une place, nous nous engageons dans une rue étroite, bordée de vieilles maisons, sur laquelle débouchent d'autres voies perpendiculaires. Le pavage est grossier mais non dépourvu de recherche artistique. Le milieu de la chaussée d'une rue en pente est jalonné de pierres plus claires que les bords légèrement relevés. Je note que les inscriptions, à la devanture d'un magasin, sont en chinois, et non en tibétain. Dans la ville neuve, il ne viendrait évidemment à l'idée de personne de chercher du tibétain. 

Nous parvenons au bas d'un escalier, au pied duquel une sorte de derrick est installé probablement afin d'effectuer un forage hydraulique. L'escalier s'élève en direction d'un énorme moulin à prière doré, qui trône majestueusement en haut d'une colline, à proximité d'un petit temple. Nous gravissons la pente et je fais faire trois tours au moulin pour me rendre les dieux propices. Le poids de l'appareil est tel que cela exige un certain effort. 
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Le moulin à prière monumental
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Une personne du groupe distribue des bonbons à des écoliers qui sortent d'un groupe scolaire. Cette manne occidentale met évidemment les enfants en joie. Ensuite, nous revenons vers la ville neuve et sa modernité. Visite à un magasin de souvenirs. Peu d'intérêt: les belles pièces viennent du Népal! Exploration dans une épicerie qui vend de l'alcool, pour les désormais traditionnels apéritifs et digestifs qui encadrent le dîner de notre trio. Nous devrions nous abstenir puisque la consommation d'alcool est déconseillée en altitude. Mais nous remettons l'abstinence à plus tard. En vitrine, j'aperçois des bouteilles de vin tibétain qui ne m'inspirent pas trop confiance.  

A l'hôtel une fête bruyante bat son plein dans un salon. Je vais effectuer une nouvelle tentative sur Internet. Mais il me faut d'abord mettre la main sur la préposée au service, visiblement plus intéressée par le charivari de la fête que par son travail. Elle daigne finalement venir mettre en route une machine. Je me connecte. Première difficulté: une fenêtre d'anomalie apparaît; ses boutons sont en chinois! J'appelle à l'aide. Heureusement la demoiselle responsable du service parle anglais et sait me montrer où se trouve le bouton OK. Pour ce qui est de retenir l'idéogramme, je m'en sens incapable. Miracle, ma boîte aux lettres s'ouvre. Je parviens même à traiter partiellement les nombreux messages accumulés depuis une semaine. J'envoie un mot à mon fils pour lui faire part de mon arrivée à Lhassa dans les deux jours. Le fonctionnement est lent, mais parfait. Miracle de la technologie: je suis entré en contact instantané avec le reste du monde à partir du Kham. Si Alexandra David-Néel était encore vivante, elle en tomberait à la renverse! 
 

10 ème jour: Vers le Tibet 

Départ pour le Tibet. A l'aéroport, une mauvaise surprise attend certains d'entre nous. Pour des raisons de sécurité, des limitations ont été imposées, par les autorités chinoises, au transport de bouteilles de verre. Je ne m'étendrai pas sur les détails. Que l'on se contente de savoir que les bouteilles de dimension usuelle (75 cl) sont interdites en cabine. Celles qui se trouvent dans les bagages à main sont confisquées. Il faut rappeler les valises, déjà enregistrées, pour les y serrer, afin qu'elles voyagent en soute. Ces mesures laissent supposer que la Chine redoute des détournements d'avion. Une bouteille brisée est certainement aussi efficace qu'un cuter pour prendre une hôtesse en otage! Donc, le Tibet n'est peut-être pas aussi pacifié qu'on pourrait le penser*. Nous verrons bien. 

*Au cours d'un autre voyage, en 2006, je m'apercevrai que mes suppositions étaient erronées. C'était en effet l'alcool qui était interdit dans les avions, quelle que soit la dimension des bouteilles et qu'elles soient en verre ou en plastique. Le préposé au contrôle reniflait même le contenu des bouteilles d'eau minérale. 

Le vol se déroule dans de bonnes conditions. Nous survolons l'Himalaya, que nous n'apercevons que par intermittence, à travers les nuages. Heureusement, je suis du bon côté de l'appareil et j'ai la chance d'apercevoir, dans le lointain, trois sommets qui émergent de la mer blanche moutonnant autour d'eux. J'imagine que le plus élevé d'entre eux est l'Everest. Je ne trouve personne pour me contredire. J'apprendrai, trois ans plus tard, qu'il s'agit d'un autre sommet, dont j'ai oublié le nom, car l'Everest ne se voit pas sur le trajet Zhongdian-Lhassa. 
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L'Himalaya sous les nuages 
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A l'aéroport de Lhassa, je note, sur une grande affiche, la présence des petits chevaux à grosse tête des déserts tibétains, animaux sauvages qui meurent plutôt que d'accepter la domesticité. Un nouveau guide nous accueille, en nous passant autour du cou une écharpe de soie blanche, en signe de bienvenue. 

Nous sommes au Tibet et la suite du voyage fera l'objet d'une autre page. 


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