Pour revoir la cueillette du 1er semestre 2008: cliquez ici
Pour accéder directement à un auteur de la cueillette la plus récente, cliquez son nom dans le tableau ci-dessous:
Gabriel Otero: Songes de Caïn face au miroir
4
Et après
tant d'années
nous découvrîmes la république
et nous tirâmes des feux d'artifice
la haine était le pardon
et la joie notre ébriété
l'aurore nous vint sur un ressac
de siècles en siècles
depuis ce jour
nous vaquâmes par les places
nous visitâmes les ruines
de la tombe d'Abel
nous exilâmes les collines
les casernes
et cette merveilleuse
purge quotidienne
de la guerre.
Épitaphes
3
A mon père
Tu dors ici
dans ce matelas de feuilles sèches
à ton côté fredonne le maquilishuat (1)
et ton corps a été modelé selon la théorie
de Colomb (2)
tu vois d'ici jusqu'à l'âme des nuages
et ton regard questionne les oiseaux
tu dors ici comme tu l'as toujours voulu
pour que les sérénades nichent dans les fleurs
pour que l'eau s'éternise
dans les recoins de ta tombe.
(1)- Arbre national du Salvador
aux belles touffes de fleurs roses
(2)- D'origine douteuse comme
l'amiral, la découverte de l'Amérique ou l'histoire de son
oeuf?
Gabriel Otero est un poète salvadorien
Des études et des oeuvres
des poètes qui précèdent sont accessibles en
espagnol sur le site Portal
de poesia
.
La spontanéité En pensant
Pour surmonter les peurs
Pour embellir la vie
Pour vivre humainement
Aider sans contre-partie
Amis ... Camarades…
Construisant des ponts avec des secrets
Grâce à une âme saine
|
Découvrir une voix de l'autre côté, aimable et
qui s'offre, c'est croire de nouveau dans le monde.
Ne me ressuscite pas! Je ne veux pas mourir deux fois.
Faire de ses soustractions une somme, pour aussi petite qu'elle
soit. La vocation profonde de l'aphoriste.
D'autres textes de cet auteur sont ici
Nul n'entend mieux les muets que les sourds.
L'échafaud: l'escabeau de l'impatience.
D'autres aphorismes de cet auteur sont
ici
Le contraire des lieux communs, ce ne sont pas les idées ingénieuses.
Ce sont les vérités que personne ne veut écouter.
Écrire par combustion interne.
Je cherche les pas des oiseaux dans les vers.
La nuit veille ton silence.
Voir ci-après
Difacil
Dieu existe seulement dans la boussole.
Je donnerais ma vie pour savoir ce qu'il y
a avant.
Il n'existe pas de gens plus égoïstes
que les moralistes.
Ce serait une entreprise utile que de redevenir
singe.
D'autres textes de Fernando Menéndez sont ici
L'obscurité est mon intimité.
Quand le monde ne m'oublie pas, je m'oublie moi-même.
La superficialité m'inquiète, mais la profondeur me
tue.
En diplomatie mentir est utile, en amour, c'est nécessaire.
Cent mille personnes veulent ce que, individuellement, aucune ne
voudrait.
La vie est la plus monotone des aventures; elle se termine toujours
de la même façon.
Quand un auteur devient classique, il n'est plus nécessaire
de le lire: il suffit de le citer.
Les vices nous aident à vivre et la vertu à mourir.
La force de l'aphorisme réside en son caractère péremptoire.
C'est au moins une joie que de résister à l'allégresse.
Supporter l'injustice, c'est déjà la commettre.
Naître est humain, persister à vivre est diabolique.
Je découvre avec horreur que je n'ai accompli certaines choses
que pour me souvenir d'elles.
Être l'unique lecteur de soi-même. Quel vice impérial!
L'idéaliste est le somnambule de la vie.
Le flatteur est un proxénète moral.
L'artiste créatif a une lanterne dans le cerveau.
Nous espérions la fin de l'art et c'est la fin de la mode
qui est venue.
Ils aiment la révolution, mais préfèrent dresser
les barricades avec les meubles des autres.
Si les peuples se connaissaient mieux, ils se haïraient davantage.
La stupidité des autres me fascine, mais je préfère
la mienne.
Une idée imprécise a toujours un avenir.
L'intellectuel est un monsieur qui relie les livres que nul n'a
lu.
Un imbécile est un imbécile. Deux imbéciles
sont deux imbéciles. Dix mille imbéciles sont une force historique.
L'ascétisme: une première cruauté que nous initions
nous-mêmes.
L'homme est supérieur à l'animal en tant qu'homme,
mais pas comme animal.
L'ignorance est la paupière de l'âme.
Le mépris du passé réside soit dans l'ignorance
soit dans la peur.
Qui après quarante ans parle de ses amours est un imbécile
raffiné.
Si tu veux savourer ta vertu, pêche quelques fois.
Ce n'est pas Dieu qui est mort, c'est le pape qui est vivant.
Le premier degré du pouvoir: l'esclavage.
Le dogmatisme est la philosophie des autres.
Ma force réside en ceci que je n'ai jamais trouvé de
réponse à rien.
La vulgarité est toujours contagieuse, la délicatesse
est unique.
Parfois l'ingénu est le plus raffiné des provocateurs.
Ne regarde pas le ciel pour être serein. Regarde le avec sérénité.
Le stupide profère des stupidités; l'intelligent les
fait.
Tu reconnais le véritable ami à la manière
dont il te ment.
Après avoir fait l'amour, le premier qui parle dit une bêtise.
Quel est ce mystère? Un homme fait tout ce qu'il désire
et pas plus qu'il ne désire, et il ne parvient pourtant pas à
être totalement heureux.
Le puissant ordonne. L'opinion gouverne.
Aux jeunes et aux vieux la saveur de la gloire. Aux hommes mûrs
le goût de la vie.
Comprendre quand un homme doit être abandonné à
sa mort, telle est la vraie médecine.
Le côté cruel de la mort est qu'elle amène avec
elle la douleur tangible de la fin, mais pas la fin elle-même.
La vérité est une passion.
Le mystère est la candeur de l'obscurité.
L'homme est un puits de science-fiction.
L'existence des curés fait douter de celle de Dieu.
Se chérir c'est prendre peur de se perdre.
L'angoisse n'est rien d'autre que le vertige de la liberté.
La poésie, un autre vice solitaire.
La sagesse des proverbes réside en leur contradiction.
Le plaisir métamorphose l'homme en dieu de l'instant.
L'humour porte le deuil des illusions perdues.
D'autres aphorismes de cet auteur sont
ici
Le Nouvel Athanor
Il marchait dans la nuit,
sans repère
au milieu
des longues dunes
de sable:
"Tu vas te perdre,
lui dit,
se moquant un génie.
- Me perdre? c'est impossible!
J'ai ses yeux
dans mon coeur
qui m'indiquent la route!"
Encres Vives - Collection Encres Blanches
La
Flûte à Sept Trous
Ô ma douce palmeraie d'amour
Ô fille adorée,
Laisse-moi, ô toute belle,
Oui, laisse-moi poser un baiser
Et je soufflerai bientôt
|
Le temps qu'il fait
Au seul être pudique appartient de savoir se dénuder correctement.
Ne justifie pas tes défauts, donne-t-en le courage.
Se délivrer de la tentation, c'est y succomber.
L'ascète est celui qui hait chaque homme en lui-même.
Quand un artiste s'est conquis, il s'imite.
Le "fou" a le pouvoir de devenir arbre, cheval ou empereur; l'homme
raisonnable, celui de se prendre pour lui-même.
Moi aussi j'ai été enfant
à cette époque-là
le soleil
était éteint de rouge par le
sang des combats
la lune
le ventre vide brillait d'un bleu livide
dans le monde, où trouver
un adulte qui n'a jamais été
enfant
un enfant qui n'a jamais rêvé
de devenir adulte
hélas! mais alors pourquoi peut-on voir
maintenant encore un moi enfant qui a peur
de la guerre
il tend la main à notre moi devenu
adulte et lui dit
arrête le massacre
maintenant encore pourquoi peut-on voir un
moi enfant le ventre vide
il tend la main à notre moi devenu
adulte et lui dit
j'ai faim
aaah!
sur le chemin poussiéreux
maintenant encore l'enfant qui va mourir
ressemble justement à la pauvre silhouette
de notre moi enfant
pourquoi donc
sommes-nos là, nous, adultes
pourquoi nous éloignons-nous en silence
la cigarette aux lèvres
nous qui étions jadis enfants
adultes maintenant nés hier de ce moi
enfant...
alors que devant nous
un autre moi épuisé tend une
main amaigrie
il dit
au secours
et se lamente en pleurant...
alors que ce pauvre moi enfant est toujours
là
se plaint d'une voix mourante
et dit
aime-moi
Traduit du japonais par André
Geymond
Harako Osamu est né
en 1932 à Hakodate, dans le nord du Japon
____________________________________________________
Seamus
Heaney
Hors
de ce monde
en mémoire
de Czeslaw Milosz
I. Comme tout le monde
Comme tout le monde, je baissais la tête
lors de la consécration du pain et
du vin,
levais les yeux vers l'hostie offerte et le
calice offert,
et croyais (n'importe quel sens) en un changement.
J'allais aux grilles de l'autel recevoir le
mystère
sur la langue, regagnais ma place, fermais
fort les yeux et disais
un acte de grâce, ouvrais les yeux et
sentais
le temps qui repartais.
Ce fut toujours sans heurt
que je fis le point en moi ou avec d'autres.
L'omission vint en coulisses. Et pourtant
je ne peux
désavouer des mots comme "grâce"
ou "hostie"
ou "pain de communion". Ils gardent un tremblement,
une attraction impérissables, comme
l'eau tout au fond d'un puits.
Traduction de Bernard Le prêtre
et Emmanuel Malherbet
Seamus Heaney est né
en 1939 en Ulster
______________________________________________
Anthony
Burth
Le pressoir
Pour la tristesse
on cuisine
des plats d'automne
des gibiers fragiles
nagent encore sous peu de sauce
par la fenêtre les arbres se douchent
sans un regard pour le Rhône qui
brûle en silence
et les soirées paraissent interminables
clés de voûte pour la lune solitaire
...
______________________________________________
Izabela
Fietkiewicz-Paszek
Éléonore est morte
on l'a trouvée
le noeud autour du cou et les veines coupées
le restant des cachets dans son tablier
et tout est devenu si clair
que déjà il n'y a plus
rien à faire
...
J'étais soi-disant somnambule
Les prévisions étaient favorables.
Je sais - cette fois
cela devait arriver. A cette altitude
le vent fort devrait permettre de se poser
délicatement à côté
des moineaux, sur le saule pleureur.
Dans la maison d'en face quelqu'un criait
- dans le cadre
de la fenêtre il était accroché
solidement
jusqu'à ce que ses doigts blanchissent.
Il aurait pu
réveiller les oisillons, j'ai pensé
qu'ils dorment
à ce moment. Froid. Qui aurait pu soupçonner
qu'il ferait si froid? La brume
rinçait le reste du sommeil. De plus
en plus,
distinctement les balcons passaient, s'éloignaient:
et les pots en rayures, et la taie aux éléphants,
et le voisin avec le visage
comme de chez Munch. Des épines vertes
poussaient
démesurément je ne sais quand.
J'ai dû sentir encore quelque
chose; un paquet de Golden dans la poche.
Entier.
Traduction par Irena Barbier
et Michel Lenglet
Izabela Fietkiewicz-Paszek
est née en 1972, à Kalisz, en Pologne
___________________________________________________
Serge
Roche
Sans lumière
Là d'où l'on vient s'efface
On est jeté dehors
L'image est sur la glace
La main du temps s'impose
Quelqu'un nous a chassé trop loin de
sa pensée
Il fallait bien qu'on naisse
Qu'on flotte à la surface
La mémoire d'avant au-dessous de la
ligne
Et la matière de soi au milieu d'autres
choses
D'autres êtres qu'on ne connaît
pas
Mise en terre dans l'oubli
Mise à l'obscur du monde
On désespère non pas d'être
Mais d'avoir le coeur à côté
Quand il faudrait chaque seconde
Accepter de ne rien savoir
Consentir à ne rien vouloir
Et goûter de ne rien comprendre
Voyager dans la nuit
Se taire
Attendre
____________________________________________
Carole
Béric
Au
bord de l'ultime
extrait
...
le jardin clos, le haut mur de pierres, certaines
saillantes, mal ajustées, c'est là que plongent les mots,
dans l'obscur, les phrases poussent comme des rosiers et dans le geste
qu'elles font pour se délivrer, quelque chose en nous se lézarde,
vacille, un peu de terre tombe sur la page, un peu de boue, de celle qui
cimente nos vies, la boue des mémoires, la boue dans laquelle nous
pataugions, enfants, effrayés par son bruit de succion. Nous regardions
lentement nos empreintes disparaître.
...
____________________________________________
Franck
Castagné
Mallarmé
... Assis à son bureau mourut-il, dit-on,
en avalant scrupuleusement sa langue.
Mécène
... Homme riche qui a conservé le goût
de la culture...
Micro
Le phallus du pouvoir.
L'Arbre à Paroles
Consumer
la distance
... Bracelet froid De l'eau de mer autour de ma cheville Serais-je fleur Circonscrite par son vase Quand ce temps-ci donne sur un autre temps? ... |
Celle qui effleure les herbes
disparaît dans l'arbre
peut-être
loin
dans le ciel
l'écureuil corps dansant
qui semble se quitter lui-même
ouvre
là haut
une porte
à ton propre mirage.
______________________________________
Alexandre
Bergamini
... Ce qui est vivant, est ce qui ne se protège
pas de sa perte.
______________________________________
Francesca
Yvonne Caroutch
Étendues
solaires
Pour Sylvia Lacarrière
...
Des garçons glissent dans les rues criant de joie Des carrefours où la mort ne dort que d'un oeil ... |
Et toutes ces chutes de neige
fleurs nées de l'espace Ondée de grâce |
D'autres poèmes de cet auteur sont ici
________________________________
Francis
Chenot
Québecqueries
Affectueuses divagations
sans importance
sur
des patronymes québécois
...
4. Quand, bon an mal an, un Malenfant rencontre
un Bonenfant, cela ne peut, comme de bien entendu, déboucher que
sur des malentendus.
16. Lamontagne, se gaussant Descollines et Descôteaux, a pris l'habitude de regarder de haut aussi bien Laroche que Lacombe et Laforêt.
20. Légaré ressent une joie très
vive à trouver un Beauchemin qui lui ouvre Lavoie.
...
_________________________________
Sylvestre
Clancier
Québec de rêve, Québec que j'aime
...
Québec, tu as donné ton nom
au pays
quand le Canada des Indiens et des Français
a été pris par les Anglais,
même si les cabanes à sucre,
les parties de sirop d'érable te restent
familières,
la feuille d'érable n'est pas ton emblème,
la fleur de lys te maintient dans le lien,
dans l'ancien,
la tradition françoise.
Tu te souviens.
Tu conserves à mes yeux un air d'ancien
régime
...
__________________________________
Werner
Lambersy
A José Acquelin
...
Aujourd'hui je n'ai rien
Mangé
Rien de mort n'est entré
En moi
Canicule!
Laissons le drap du dessus
Rouler à terre avec la robe
Et la culotte
Car nous n'avons besoin
Ni d'espérer ni
De croire
Seulement d'être consolés
...
Les fous de Bassan sont assis
Sur le manège forain
De la houle
Spinoza avait raison
Et c'est ainsi
Qu'ils partent à ta recherche
Mélancolie
De savoir qu'il n'y a plus aucun
Gardien de phare
...
D'autres textes de cet auteur sont ici
_______________________________
Mona
Latif-Ghattas
Quand l'exilé te rêve
Je te rêve dès que je pars
Sur les bords d'un Nil d'enfance
Dans la chaleur de mes déserts
Je rêve à tes neiges guérisseuses
d'exil.
Sous le torride des soleils
Je rêve à tes vents
Qui élèvent mes voiles et découvrent
mes yeux
Qui m'emportent allègrement
Là où me portent mes écrits
Tes vents sans frein ni digues inutiles
Tes vents de liberté
Je rêve à tes visages de France
Ancienne
Apprise dans mes classes orientales
Dans une langue inculquée qui ressemble
à la tienne
Et nous parlons
Et nous parlons
Et de nos mots qui se fondent en nos accents
divers
Jaillissent des concerts métissés
Inédits
Magnifiques
Dont la sonorité fait l'envie de toute
la terre
Je rêve à ton Château
Mémoire de mes palais
Et je rêve à ton port
Ravivant mes bords de mers.
Je te rêve quand je suis à Montréal
Comme une vacance de plaisance
Un oxygène d'histoire
Une joie de Carnaval
Je te rêve
Ville escarpée à l'image de
mon destin
Je revois tes ancêtres qui un jour comme
moi
Ont accosté au flanc de ta terre inconnue
Découvrant tes richesses et oeuvrant
sans chômer
A y inscrire leur destin
Je te rêve comme une ville fondée
tous les matins
par de nouveaux marins venus sur des bateaux
de
tous les coins du monde pour se trouver en
toi.
Québec.
Née au Caire, en Égypte,
Mona Latif-Ghattas a émigré en 1966 au Québec
______________________________________
Jean-Max
Tixier
Séquences du froid pays
3
Je me suis fait jour d'hiver
Vêtu de silence et d'oubli
J'ai marché dans la trace de mes rêves
De l'aube rare à la tombée des
mots
Vers le mélèze imaginaire
Qui chante pour lui seul
L'immense nuit tranchante
4
Moi
Lointain cousin du Sud
Par la voix du poème
Qui abolit toute distance
Semblable de langue et de coeur
Je chasse solitaire sur un sol étranger
Un écho un reflet une réminiscence
Un gibier de silence et de gel
Qui ne m'appartient pas
6
Je construis un pays que je ne connais pas
Avec des choses en moi qui lui ressemblent
Une brassée d'images d'illusions
D'où s'élève la flamme
pâle
Tremblée des heures vides
J'entends craquer de nulle part
Les branches mortes d'un soir d'hiver
D'autres textes de cet auteur sont ici
_________________________________
François
Teyssandier
Arbres et collines
Se heurtent à la lumière du
matin
Ta marche est si légère qu'elle
s'aventure
Sur les ailes du vent
Hôte éphémère du
feu
Et de la cendre des routes
Tu te voulais sur terre
L'égal des cimes les plus hautes
La nuit viendra te détourner
Des êtres et des songes qui te sont familiers
Tu n'attends plus que le givre et le sang
Pour franchir le gué d'un pas altier
Sous l'herbe ou la pierre
Tu n'auras d'autre nom
Que le nom secret de l'absent
Tu portes le soleil
sur ton dos
Quelques cailloux Alourdissent tes poches Les oiseaux te racontent
|
Encres Vives N° 359
Les libellules, à la brune, ont le monopole de l'air.
C'est l'heure où l'oiseau s'empreint de nuit: nul n'est perceptible, volatile et végétal s'amalgament, la "patte" de bananes accueille les corps légers, comme soustraits au pouvoir du bec - coi, délivré de sa voracité.
Le regard maintenant n'a plus de sens, ni grand-chose à donner; pourtant le son le plus ténu tisonne l'ombre, y fait brasiller la mémoire du jour. De même que l'oeil écoute, l'oreille peut voir. Il suffit qu'un bruit soulève dans la nuit sa paupière: alors, comme par réflexe, aux tempes du scrutateur s'ouvre une pupille, qui lui donne à saisir l'invisible.
Clignements sonores, dans le noir.
Je recrée la grenouille, ici gravier coassant du crépuscule à l'aube.
Le blog de ce poète
est ici
Encres Vives N° 360
... Quelque part rue du Rôle, l'oubli
pose sa neige sur les pas du Poète...
Témoin
Les maisons ont des dos
de laine noire dans l'hiver
Une ombre traverse
la nuit des lampadaires,
furtive, comme absente.
S'éloigne dans le temps.
Les murs sont nus.
Dans le brouillard des rues,
quelque chose survit
à la fuite des heures.
... Elle est morte un jour, comme tout le monde, et la maison s'est repliée sur son mystère...
... J'entendais le bruit de l'eau sur les conversations...
... Goutte à goutte les mots, comme des notes d'oiseaux sur les fils électriques...
D'autres textes de ce poète sont ici
Encres Vives N° 361
A Ouradour-sur-Glane le choc
du sang
dans les hautes molaires des murs de la ville anéantie! Nous avançons voûtés d'effroi
A Guernica aussi soixante ans après
le massacre
Que de portes à refermer! |
Encres Vives N° 362
Il y a
Il y a dans la forêt une gare
Où ne passent que des trains de spectres
Les quais sont vides les horloges muettes
Il est toujours trop tard
Il y a une chambre blanche
Une porte où frappe
Un homme sans visage
Il y a dans le désert une tour
Que le vent tourmente
La gravir use les nerfs
Un dément s'agrippe entre ciel et terre
Il y a un enfant cruel qui nous fend le coeur
La douleur en est éternelle
Il y a au fond d'un trou une bille rouge
Qu'un écolier du bout de l'ongle bouge
Il y a dans le ventre de la colline
Une fouine aux yeux verts
Enveloppée de racines
Il y a trois filles nue fardées d'argile
Dans une rivière de lune et de nénuphars
Entre les feuilles luit l'oeil du loup
Il y a sur la neige un merle immobile
Plumage de nuit et bec de lumière
Telle est sa beauté que le ciel l'aspire
Il y a une fillette folle
Qui répète colibri colibri
Puis par la fenêtre s'envole
Il y a dans les nuages
Un paon qui fait la roue
Il pleut des plumes rouges
Il y a
Le feu fidèle
La tendresse des pierres
L'éternité de la rose
D'autres textes de ce poète sont ici
Encres Vives N° 363
...
Je voudrais maintenant indiquer quelques-unes
des directions principales d'Encres Vives. Nous nous sommes intéressé
aux mythes comme fondements de l'écriture poétique, donc
plus loin et autrement que les travaux de Mircéa Eliade - ce qui
m'a conduit au concept de "mythécriture". Hors du religieux et du
sacré, nous ne transigions pas avec le matérialisme revendiqué
par tous. Le rejet de l'inspiration, de la spontanéité, de
l'idéalisme devait déboucher sur une écriture qualifiée
de textuelle (Jean Ricardou a utilisé plus tard la notion de textique).
Un deuxième centre d'intérêt très important
fut la réflexion sur l'imaginaire - à distinguer de l'imagination
- et les modalités de son exploitation. Un troisième, et
des plus importants, consista à prendre en compte l'apport des sciences
fondamentales dans la démarche poétique et à nous
situer au point de rencontre des deux disciplines. Il ne s'agissait pas
seulement des sciences humaines mais des sciences exactes ou dures comme
la physique, les mathématiques, la biologie.
Nos recherches nous ont conduits à créer
un nouveau support au début des années soixante-dix, la collection
"Manuscrits". Sa conception permettait notamment d'intégrer au texte
des reproductions, des signes, des dessins, des éléments
divers, intervenant pour l'engendrer ou le prolonger, mais non pour l'illustrer.
Nous proposions des unités spatiales et globales à plusieurs
entrées, jouant sur l'aléatoire et la circulation du sens.
...
D'autres textes de cet auteur sont ici
__________________________________
Brigitte
Broc
A nous d'élaguer
Pour toucher l'aubier
Et les champs de silence
Fragilité
De l'instant
Dissous
Le doute ouvre nos mains
D'autres textes de cet auteur sont ici
__________________________________
Patrick
Joquel
Cinqueterre,
un territoire signé des hommes
...
Les torrents
comme autant de traits d'union balafrant les
pentes
on regarde avec effroi les traces de leurs
morsures
on imagine leur furie
C'est pourtant là
sur les lèvres de ces oueds que des
hommes ont niché des villages dont la rue principale se jette à
la mer
Aux heures où le travail se désaltère
en terrasse
un verre de blanc à la main
le regard se perd dans les mouvants horizons
bleus qu'un cargo parfois souligne
reposées devant les portes colorées
des maisons les barques voient fleurir sur leur bois peint le sel oublié
de la dernière pêche
Comment choisit-on d'habiter l'inhabitable et pourquoi?
La question reste en suspens tandis qu'on marche entre ciel et terre et d'un clocher à l'autre sur ces adrets sculptés au burin des restanques
La vigne bourgeonne un léger vert
sous les oliviers le paysan vient rouler ses
filets
On arpente ici un territoire signé des hommes
*
L'agave cloue le sentier à la falaise
...
*
Le vent écume un goéland
son cri arrache un lambeau de chair au silence
il dessale un vieux paysage
...
_________________________________
Slaheddine
Haddad
...
Dans la confusion
tout finit par rejoindre le malentendu
arabe continental, j'ai vu mon pays
se réduire tout doucement à
une île
mon duvet de protection
devenir limaille de cuivre
pour rejoindre les autres
sais qu'il me faut désormais
compter sur la démesure des membres
plein d'inquiétude je me hasarde
à m'aventurer sur leur territoire
les surprends à parler en toute ignorance
de tous "ces hommes [...] qui changent de pays
sans jamais changer de patrie".
...
à trop errer entre des valeurs extrêmes
un arabe réussit à rester important
par la grandeur de son émotion
étrange sensation que celle d'être
piégé
par le conformisme auquel j'appartiens
_________________________________
Mireille
Le Liboux
Le
marais
...
Écrire sur le marais demande une longue
patience. Impossible à circonscrire, il préfère le
silence
On devine sous l'eau dormante les matières
en putréfaction, odeur fade de la mort lente dans la pâleur
du palud.
Mort des mots usés jusqu'à la
corde, mort des vieux sentiments délavés qui se dissolvent
dans l'eau du marais.
Le marais ne pose pas de questions, il sait.
De la mort naît la vie, il n'a pas de regrets.
Dans le secret de son immobilité la
vie fermente en somnambule.
Du marais naît la libellule.
Marais de Kerderff, An Arvor. Juin-juillet 2007
D'autres textes de cet auteur sont ici
_____________________________
Michel
Cosem
...
Il reste dans l'olivier
après la récolte
une olive noire toute ridée
comme une chrysalide
comme une pierre
qui témoigne du passé
et de la richesse pillée
Elle remue sur le rameau
danse avec le vent et les mésanges
elle est secrète et inquiète
Les cauchemars l'ont désertée
Encres Vives N° 364
Je ne sais plus
qui parle en moi
est-ce l'enfant que je fus
ou ce double sans visage
qui s'est glissé
à mon insu
au coeur de ma vie
et dont le discours ininterrompu
m'est impénétrable
Il nous arrive parfois
de nous sentir traversés
par une parole
venue semble-t-il
de la nuit des temps
on dirait
qu'elle se transmet
des morts aux vivants
qu'elle tisse
un fil ininterrompu
à travers eux
un fil dont gît la source
dans la mémoire commune
des premiers commencements