Glanures du second semestre 2008.

Pour revoir la cueillette du 1er semestre 2008:  cliquez ici

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F. Menéndez Ü. Lokman Çayci D. Garcia J. Doce J. Dif M. Neila M. Cazenave T. Crassas J. Stéfan O. Harako
S. Heaney A. Burth Fietkiewicz-Paszek S. Roche C. Béric F. Castagné G. Althen M. C. Bancquart A. Bergamini F. Y. Caroutch
F. Chenot S. Clancier W. Lambersy M. Latif-Ghattas J.-M. Tixier F. Teyssandier L. E. Martin C. Cailleau C. Saint-Paul J. Joubert
B. Broc P. Joquel S. Haddad M. Le Liboux M. Cosem B. Mazo G. Otero Merini Gervaso Bernasconi
Bufalino Chazal Flaiano Longanesi Reverdy Ojetti Franchini Cioran Basili Morandotti
Montherlant Ceronetti Bigongiari Scutenaire Bousquet Sbarbaro Bas de page
 
Portal de Poesia

Gabriel Otero: Songes de Caïn face au miroir

4

Et après
tant d'années
nous découvrîmes la république
et nous tirâmes des feux d'artifice
la haine était le pardon
et la joie notre ébriété
l'aurore nous vint sur un ressac
de siècles en siècles
depuis ce jour
nous vaquâmes par les places
nous visitâmes les ruines
de la tombe d'Abel
nous exilâmes les collines
les casernes
et cette merveilleuse
purge quotidienne
de la guerre.
 
 

Épitaphes

3
 
                        A mon père

Tu dors ici
dans ce matelas de feuilles sèches
à ton côté fredonne le maquilishuat (1)
et ton corps a été modelé selon la théorie de Colomb (2)
tu vois d'ici jusqu'à l'âme des nuages
et ton regard questionne les oiseaux
tu dors ici comme tu l'as toujours voulu
pour que les sérénades nichent dans les fleurs
pour que l'eau s'éternise
dans les recoins de ta tombe.

(1)- Arbre national du Salvador aux belles touffes de fleurs roses
(2)- D'origine douteuse comme l'amiral, la découverte de l'Amérique ou l'histoire de son oeuf?

Gabriel Otero est un poète salvadorien

Des études et des oeuvres des poètes qui précèdent  sont accessibles en espagnol sur le site  Portal de poesia



Üzeyir Lokman Çayci
. 
La spontanéité 

En pensant 
En travaillant 
En mangeant 
De la compréhension à chaque âge… 

Pour surmonter les peurs 
Se débarrasser des craintes 
Et faire face aux ardeurs 
Une volonté de fer… 

Pour embellir la vie 
Améliorer l’amitié 
Enraciner la sincérité 
Un coeur exemplaire d’attitudes sans pareilles.  

Pour vivre humainement 
Dans une coexistence de haut niveau 
Un amour enraciné 
Une affection permanante 
A approfondire 
Par une personnalité à principes… 

Aider sans contre-partie 
Une tolérence illimitée 
Approches sans marchandage 
Et des sacrifices qui se reconnaîteront 
Les uns dans les autres... 

Amis ... Camarades… 
Voisins... Frères... 
Sans aucune distinction 
Une vertu 
Qui ne considère que la personne... 

Construisant des ponts avec des secrets 
Faisant sentir appréciation et colère 
Promenant ses hôtes 
Dans un coeur…  

Grâce à une âme saine 
Orientant 
Faisant se comprendre 
Unifiant à jamais 
Dans la spontanéité!

Traduit du turc par Yakup YURT
D'autres textes de cet auteur sont  ici  et  ici


Entre nous (Entre nosotros)

Dionisia Garcia

Découvrir une voix de l'autre côté, aimable et qui s'offre, c'est croire de nouveau dans le monde.
 

Jordi Doce

Ne me ressuscite pas! Je ne veux pas mourir deux fois.
Faire de ses soustractions une somme, pour aussi petite qu'elle soit. La vocation profonde de l'aphoriste.

D'autres textes de cet auteur sont  ici

 
Jean Dif

Nul n'entend mieux les muets que les sourds.
L'échafaud: l'escabeau de l'impatience.

D'autres aphorismes de cet auteur sont  ici
 

Manuel Neila

Le contraire des lieux communs, ce ne sont pas les idées ingénieuses. Ce sont les vérités que personne ne veut écouter.
 

Fernando Menéndez:

Écrire par combustion interne.
Je cherche les pas des oiseaux dans les vers.
La nuit veille ton silence.

Voir ci-après



Fernando Menéndez: Hilos sueltos (Fils défaits)

Difacil

Dieu existe seulement dans la boussole.
Je donnerais ma vie pour savoir ce qu'il y a avant.
Il n'existe pas de gens plus égoïstes que les moralistes.
Ce serait une entreprise utile que de redevenir singe.

D'autres textes de Fernando Menéndez sont  ici

Merini

L'obscurité est mon intimité.
Quand le monde ne m'oublie pas, je m'oublie moi-même.
La superficialité m'inquiète, mais la profondeur me tue.

Gervaso

En diplomatie mentir est utile, en amour, c'est nécessaire.
Cent mille personnes veulent ce que, individuellement, aucune ne voudrait.
La vie est la plus monotone des aventures; elle se termine toujours de la même façon.
Quand un auteur devient classique, il n'est plus nécessaire de le lire: il suffit de le citer.
Les vices nous aident à vivre et la vertu à mourir.

Bernasconi

La force de l'aphorisme réside en son caractère péremptoire.
C'est au moins une joie que de résister à l'allégresse.
Supporter l'injustice, c'est déjà la commettre.

Bufalino

Naître est humain, persister à vivre est diabolique.
Je découvre avec horreur que je n'ai accompli certaines choses que pour me souvenir d'elles.
Être l'unique lecteur de soi-même. Quel vice impérial!

Chazal

L'idéaliste est le somnambule de la vie.
Le flatteur est un proxénète moral.
L'artiste créatif a une lanterne dans le cerveau.

Flaiano

Nous espérions la fin de l'art et c'est la fin de la mode qui est venue.
Ils aiment la révolution, mais préfèrent dresser les barricades avec les meubles des autres.
Si les peuples se connaissaient mieux, ils se haïraient davantage.
La stupidité des autres me fascine, mais je préfère la mienne.

Longanesi

Une idée imprécise a toujours un avenir.
L'intellectuel est un monsieur qui relie les livres que nul n'a lu.
Un imbécile est un imbécile. Deux imbéciles sont deux imbéciles. Dix mille imbéciles sont une force historique.

Reverdy

L'ascétisme: une première cruauté que nous initions nous-mêmes.
L'homme est supérieur à l'animal en tant qu'homme, mais pas comme animal.

Ojetti

L'ignorance est la paupière de l'âme.
Le mépris du passé réside soit dans l'ignorance soit dans la peur.
Qui après quarante ans parle de ses amours est un imbécile raffiné.
Si tu veux savourer ta vertu, pêche quelques fois.

Franchini

Ce n'est pas Dieu qui est mort, c'est le pape qui est vivant.
Le premier degré du pouvoir: l'esclavage.
Le dogmatisme est la philosophie des autres.

Cioran

Ma force réside en ceci que je n'ai jamais trouvé de réponse à rien.
La vulgarité est toujours contagieuse, la délicatesse est unique.

Basili

Parfois l'ingénu est le plus raffiné des provocateurs.
Ne regarde pas le ciel pour être serein. Regarde le avec sérénité.

Morandotti

Le stupide profère des stupidités; l'intelligent les fait.
Tu reconnais le véritable ami à la manière dont il te ment.

Montherlant

Après avoir fait l'amour, le premier qui parle dit une bêtise.
Quel est ce mystère? Un homme fait tout ce qu'il désire et pas plus qu'il ne désire, et il ne parvient pourtant pas à être totalement heureux.
Le puissant ordonne. L'opinion gouverne.
Aux jeunes et aux vieux la saveur de la gloire. Aux hommes mûrs le goût de la vie.

Ceronetti

Comprendre quand un homme doit être abandonné à sa mort, telle est la vraie médecine.
Le côté cruel de la mort est qu'elle amène avec elle la douleur tangible de la fin, mais pas la fin elle-même.

Bigongiari

La vérité est une passion.
Le mystère est la candeur de l'obscurité.

Scutenaire

L'homme est un puits de science-fiction.
L'existence des curés fait douter de celle de Dieu.

Bousquet

Se chérir c'est prendre peur de se perdre.
L'angoisse n'est rien d'autre que le vertige de la liberté.

Sbarbaro

La poésie, un autre vice solitaire.
La sagesse des proverbes réside en leur contradiction.

Dif

Le plaisir métamorphose l'homme en dieu de l'instant.
L'humour porte le deuil des illusions perdues.

D'autres aphorismes de cet auteur sont  ici



Michel Cazenave: Anthologie

Le Nouvel Athanor

Il marchait dans la nuit,
sans repère
au milieu
des longues dunes
de sable:

"Tu vas te perdre,
lui dit,
se moquant un génie.

- Me perdre? c'est impossible!
J'ai ses yeux
dans mon coeur
qui m'indiquent la route!"



Théo Crassas: La majestueuse inconnue

Encres Vives - Collection Encres Blanches
 
La Flûte à Sept Trous 

Ô ma douce palmeraie d'amour 
ta bienveillance est l'ombre 
où je me plais 
et la fraîcheur dont je suis le complice! 

Ô fille adorée, 
ce n'est qu'en toi que réside 
la paix de mon âme, 
et si le prix des faveurs insignes 
que tu m'accordes aujourd'hui 
était ma vie, 
je te donnerais, non pas un trésor 
de mille besants d'or, 
mais ma vie elle-même! 

Laisse-moi, ô toute belle, 
laisse-moi mordiller les pommettes roses 
de tes tendres joues 
et baiser ta chevelure, 
des ténèbres noires de laquelle 
se lève le soleil d'été 
de ton front splendide, 
riche en pensées délicates 
s'exprimant dans l'art de jouer 
les instruments à cordes! 

Oui, laisse-moi poser un baiser 
entre tes yeux 
où montent les astres scintillants 
de la nuit orientale! 

Et je soufflerai bientôt 
dans ton corps sonore, 
comme dans une flûte 
à sept trous 
...

D'autres textes de cet auteur sont  ici
Et son site est  ici



Jude Stéfan: Gnomiques

Le temps qu'il fait

Au seul être pudique appartient de savoir se dénuder correctement.

Ne justifie pas tes défauts, donne-t-en le courage.

Se délivrer de la tentation, c'est y succomber.

L'ascète est celui qui hait chaque homme en lui-même.

Quand un artiste s'est conquis, il s'imite.

Le "fou" a le pouvoir de devenir arbre, cheval ou empereur; l'homme raisonnable, celui de se prendre pour lui-même.



Voix d'encre N° 39

Osamu Harako

Moi aussi j'ai été enfant

à cette époque-là
le soleil
était éteint de rouge par le sang des combats
la lune
le ventre vide brillait d'un bleu livide

dans le monde, où trouver
un adulte qui n'a jamais été enfant
un enfant qui n'a jamais rêvé de devenir adulte

hélas! mais alors pourquoi peut-on voir

maintenant encore un moi enfant qui a peur de la guerre
il tend la main à notre moi devenu adulte et lui dit
arrête le massacre

maintenant encore pourquoi peut-on voir un moi enfant le ventre vide
il tend la main à notre moi devenu adulte et lui dit
j'ai faim

aaah!

sur le chemin poussiéreux
maintenant encore l'enfant qui va mourir
ressemble justement à la pauvre silhouette
de notre moi enfant

pourquoi donc

sommes-nos là, nous, adultes
pourquoi nous éloignons-nous en silence
la cigarette aux lèvres
nous qui étions jadis enfants
adultes maintenant nés hier de ce moi enfant...

alors que devant nous
un autre moi épuisé tend une main amaigrie
il dit
au secours
et se lamente en pleurant...

alors que ce pauvre moi enfant est toujours là
se plaint d'une voix mourante
et dit
aime-moi

Traduit du japonais par André Geymond
Harako Osamu est né en 1932 à Hakodate, dans le nord du Japon
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Seamus Heaney

Hors de ce monde
                   en mémoire de Czeslaw Milosz

I. Comme tout le monde

Comme tout le monde, je baissais la tête
lors de la consécration du pain et du vin,
levais les yeux vers l'hostie offerte et le calice offert,
et croyais (n'importe quel sens) en un changement.

J'allais aux grilles de l'autel recevoir le mystère
sur la langue, regagnais ma place, fermais fort les yeux et disais
un acte de grâce, ouvrais les yeux et sentais
le temps qui repartais.
                         Ce fut toujours sans heurt
que je fis le point en moi ou avec d'autres.
L'omission vint en coulisses. Et pourtant je ne peux
désavouer des mots comme "grâce" ou "hostie"
ou "pain de communion". Ils gardent un tremblement,
une attraction impérissables, comme l'eau tout au fond d'un puits.

Traduction de Bernard Le prêtre et Emmanuel Malherbet
Seamus Heaney est né en 1939 en Ulster
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Anthony Burth

Le pressoir

Pour la tristesse
on cuisine
des plats d'automne

des gibiers fragiles
nagent encore sous peu de sauce

par la fenêtre les arbres se douchent
sans un regard pour le Rhône qui
brûle en silence

et les soirées paraissent interminables
clés de voûte pour la lune solitaire
...
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Izabela Fietkiewicz-Paszek

Éléonore est morte

on l'a trouvée
le noeud autour du cou et les veines coupées
le restant des cachets dans son tablier

et tout est devenu si clair
que déjà il n'y a plus

rien à faire
...
 

J'étais soi-disant somnambule

Les prévisions étaient favorables. Je sais - cette fois
cela devait arriver. A cette altitude
le vent fort devrait permettre de se poser

délicatement à côté des moineaux, sur le saule pleureur.
Dans la maison d'en face quelqu'un criait - dans le cadre
de la fenêtre il était accroché solidement
jusqu'à ce que ses doigts blanchissent. Il aurait pu

réveiller les oisillons, j'ai pensé qu'ils dorment
à ce moment. Froid. Qui aurait pu soupçonner
qu'il ferait si froid? La brume

rinçait le reste du sommeil. De plus en plus,
distinctement les balcons passaient, s'éloignaient:
et les pots en rayures, et la taie aux éléphants,
et le voisin avec le visage

comme de chez Munch. Des épines vertes poussaient
démesurément je ne sais quand. J'ai dû sentir encore quelque
chose; un paquet de Golden dans la poche. Entier.

Traduction par Irena Barbier et Michel Lenglet
Izabela Fietkiewicz-Paszek est née en 1972, à Kalisz, en Pologne
___________________________________________________
Serge Roche

Sans lumière

Là d'où l'on vient s'efface
On est jeté dehors
L'image est sur la glace
La main du temps s'impose
Quelqu'un nous a chassé trop loin de sa pensée
Il fallait bien qu'on naisse
Qu'on flotte à la surface
La mémoire d'avant au-dessous de la ligne
Et la matière de soi au milieu d'autres choses
D'autres êtres qu'on ne connaît pas
Mise en terre dans l'oubli
Mise à l'obscur du monde
On désespère non pas d'être
Mais d'avoir le coeur à côté
Quand il faudrait chaque seconde
Accepter de ne rien savoir
Consentir à ne rien vouloir
Et goûter de ne rien comprendre
Voyager dans la nuit
Se taire
Attendre
____________________________________________
Carole Béric

Au bord de l'ultime
                 extrait

...
le jardin clos, le haut mur de pierres, certaines saillantes, mal ajustées, c'est là que plongent les mots, dans l'obscur, les phrases poussent comme des rosiers et dans le geste qu'elles font pour se délivrer, quelque chose en nous se lézarde, vacille, un peu de terre tombe sur la page, un peu de boue, de celle qui cimente nos vies, la boue des mémoires, la boue dans laquelle nous pataugions, enfants, effrayés par son bruit de succion. Nous regardions lentement nos empreintes disparaître.
...
____________________________________________
Franck Castagné

Mallarmé

... Assis à son bureau mourut-il, dit-on, en avalant scrupuleusement sa langue.
 

Mécène

... Homme riche qui a conservé le goût de la culture...
 

Micro

Le phallus du pouvoir.



Rêver Québec

L'Arbre à Paroles

Gabrielle Althen
 
Consumer la distance 
... 
Bracelet froid 
De l'eau de mer autour de ma cheville 
Serais-je fleur 
Circonscrite par son vase 
Quand ce temps-ci donne sur un autre temps? 
...
_______________________________________
Marie-Claire Bancquart
 
...
Écoute un peu chanter ta plèvre
avec le vent,
commence un feuilletage d'amitié avec l'arbre,
prends-toi pour une paraphrase des saisons.
Opération vitale
réussie
tu ne seras plus l'étranger des germes ni des bêtes.

Celle qui effleure les herbes
disparaît dans l'arbre
peut-être
loin
dans le ciel

l'écureuil corps dansant
qui semble se quitter lui-même
ouvre
là haut
une porte
à ton propre mirage.
______________________________________
Alexandre Bergamini
 
... Ce qui est vivant, est ce qui ne se protège pas de sa perte.
______________________________________
Francesca Yvonne Caroutch

Étendues solaires
                          Pour Sylvia Lacarrière
 
... 
Des garçons glissent dans les rues 
criant de joie 
Des carrefours 
où la mort ne dort que d'un oeil 
...
Immensités de pages vierges
comme les gouffres galactiques
Le corps est une fenêtre ouverte sur l'infini
Présence éveillée
Tout ondoie
Dans nos magnifiques vicissitudes
 
Et toutes ces chutes de neige 
fleurs nées de l'espace 
Ondée de grâce
Les enfants du futur
font partie de nous
La nuit ne tombe pas
Elle voile en caressant

D'autres poèmes de cet auteur sont ici
________________________________
Francis Chenot

Québecqueries
Affectueuses divagations sans importance
sur des patronymes québécois
...
4. Quand, bon an mal an, un Malenfant rencontre un Bonenfant, cela ne peut, comme de bien entendu, déboucher que sur des malentendus.

16. Lamontagne, se gaussant Descollines et Descôteaux, a pris l'habitude de regarder de haut aussi bien Laroche que Lacombe et Laforêt.

20. Légaré ressent une joie très vive à trouver un Beauchemin qui lui ouvre Lavoie.
...
_________________________________
Sylvestre Clancier

Québec de rêve, Québec que j'aime

...
Québec, tu as donné ton nom au pays
quand le Canada des Indiens et des Français
a été pris par les Anglais,
même si les cabanes à sucre,
les parties de sirop d'érable te restent familières,
la feuille d'érable n'est pas ton emblème,
la fleur de lys te maintient dans le lien, dans l'ancien,
la tradition françoise.
Tu te souviens.

Tu conserves à mes yeux un air d'ancien régime
...
__________________________________
Werner Lambersy
                           A José Acquelin
...
Aujourd'hui je n'ai rien
Mangé
Rien de mort n'est entré
En moi

                            Canicule!
Laissons le drap du dessus
Rouler à terre avec la robe
Et la culotte

Car nous n'avons besoin
Ni d'espérer ni
De croire

Seulement d'être consolés
...

Les fous de Bassan sont assis
Sur le manège forain
De la houle
Spinoza avait raison
Et c'est ainsi
Qu'ils partent à ta recherche

Mélancolie
De savoir qu'il n'y a plus aucun
Gardien de phare
...

D'autres textes de cet auteur sont ici
_______________________________
Mona Latif-Ghattas

Quand l'exilé te rêve

Je te rêve dès que je pars
Sur les bords d'un Nil d'enfance
Dans la chaleur de mes déserts
Je rêve à tes neiges guérisseuses d'exil.

Sous le torride des soleils
Je rêve à tes vents
Qui élèvent mes voiles et découvrent mes yeux
Qui m'emportent allègrement
Là où me portent mes écrits
Tes vents sans frein ni digues inutiles
Tes vents de liberté

Je rêve à tes visages de France Ancienne
Apprise dans mes classes orientales
Dans une langue inculquée qui ressemble à la tienne
Et nous parlons
Et nous parlons
Et de nos mots qui se fondent en nos accents divers
Jaillissent des concerts métissés
Inédits
Magnifiques
Dont la sonorité fait l'envie de toute la terre

Je rêve à ton Château
Mémoire de mes palais
Et je rêve à ton port
Ravivant mes bords de mers.

Je te rêve quand je suis à Montréal
Comme une vacance de plaisance
Un oxygène d'histoire
Une joie de Carnaval

Je te rêve
Ville escarpée à l'image de mon destin
Je revois tes ancêtres qui un jour comme moi
Ont accosté au flanc de ta terre inconnue
Découvrant tes richesses et oeuvrant sans chômer
A y inscrire leur destin

Je te rêve comme une ville fondée tous les matins
par de nouveaux marins venus sur des bateaux de
tous les coins du monde pour se trouver en toi.

Québec.

Née au Caire, en Égypte, Mona Latif-Ghattas a émigré en 1966 au Québec
______________________________________
Jean-Max Tixier

Séquences du froid pays

3
Je me suis fait jour d'hiver
Vêtu de silence et d'oubli
J'ai marché dans la trace de mes rêves
De l'aube rare à la tombée des mots
Vers le mélèze imaginaire
Qui chante pour lui seul
L'immense nuit tranchante

4
Moi
Lointain cousin du Sud
Par la voix du poème
Qui abolit toute distance
Semblable de langue et de coeur
Je chasse solitaire sur un sol étranger
Un écho un reflet une réminiscence
Un gibier de silence et de gel
Qui ne m'appartient pas

6
Je construis un pays que je ne connais pas
Avec des choses en moi qui lui ressemblent
Une brassée d'images d'illusions
D'où s'élève la flamme pâle
Tremblée des heures vides
J'entends craquer de nulle part
Les branches mortes d'un soir d'hiver

D'autres textes de cet auteur sont ici
_________________________________
François Teyssandier

Arbres et collines
Se heurtent à la lumière du matin
Ta marche est si légère qu'elle s'aventure
Sur les ailes du vent

Hôte éphémère du feu
Et de la cendre des routes
Tu te voulais sur terre
L'égal des cimes les plus hautes
La nuit viendra te détourner

Des êtres et des songes qui te sont familiers
Tu n'attends plus que le givre et le sang
Pour franchir le gué d'un pas altier

Sous l'herbe ou la pierre
Tu n'auras d'autre nom
Que le nom secret de l'absent
 
 
Tu portes le soleil sur ton dos 
Quelques cailloux 
Alourdissent tes poches 

Les oiseaux te racontent 
Ce qu'ils ont vu et entendu 
Dans l'autre monde 
Quand ils escortaient sans bruit 
Au ras des pierres 
L'ombre furtive des morts

François Teyssandier a obtenu le prix Louise Labé en 1984



Lionel-Edouard Martin: Miroirs des jardins tropicaux

Encres Vives N° 359

Les libellules, à la brune, ont le monopole de l'air.

C'est l'heure où l'oiseau s'empreint de nuit: nul n'est perceptible, volatile et végétal s'amalgament, la "patte" de bananes accueille les corps légers, comme soustraits au pouvoir du bec - coi, délivré de sa voracité.

Le regard maintenant n'a plus de sens, ni grand-chose à donner; pourtant le son le plus ténu tisonne l'ombre, y fait brasiller la mémoire du jour. De même que l'oeil écoute, l'oreille peut voir. Il suffit qu'un bruit soulève dans la nuit sa paupière: alors, comme par réflexe, aux tempes du scrutateur s'ouvre une pupille, qui lui donne à saisir l'invisible.

Clignements sonores, dans le noir.

Je recrée la grenouille, ici gravier coassant du crépuscule à l'aube.

Le blog de ce poète est  ici



Claude Cailleau: La solitude du poète

Encres Vives N° 360

... Quelque part rue du Rôle, l'oubli pose sa neige sur les pas du Poète...
 

Témoin

Les maisons ont des dos
de laine noire dans l'hiver
Une ombre traverse
la nuit des lampadaires,
furtive, comme absente.
S'éloigne dans le temps.
Les murs sont nus.
Dans le brouillard des rues,
quelque chose survit
à la fuite des heures.

... Elle est morte un jour, comme tout le monde, et la maison s'est repliée sur son mystère...

... J'entendais le bruit de l'eau sur les conversations...

... Goutte à goutte les mots, comme des notes d'oiseaux sur les fils électriques...

D'autres textes de ce poète sont ici



Christian Saint-Paul: Les plus heureuses des pierres

Encres Vives N° 361
 
A Ouradour-sur-Glane le choc du sang 
dans les hautes molaires des murs de la ville anéantie! 

Nous avançons voûtés d'effroi 
la haute stature de notre fille émerge des tombes 
Elle entre chez les morts 
dans l'intimité des visages des enfants figés 
dans la porcelaine des photographies 

A Guernica aussi soixante ans après le massacre 
l'ambassadeur d'Allemagne s'était excusé 
et voulait sortir en refermant sur lui la porte 

Que de portes à refermer!

D'autres textes de ce poète sont ici



Jean Joubert: Éternité de la rose

Encres Vives N° 362

Il y a

Il y a dans la forêt une gare
Où ne passent que des trains de spectres
Les quais sont vides les horloges muettes
Il est toujours trop tard

Il y a une chambre blanche
Une porte où frappe
Un homme sans visage

Il y a dans le désert une tour
Que le vent tourmente
La gravir use les nerfs
Un dément s'agrippe entre ciel et terre

Il y a un enfant cruel qui nous fend le coeur
La douleur en est éternelle

Il y a au fond d'un trou une bille rouge
Qu'un écolier du bout de l'ongle bouge

Il y a dans le ventre de la colline
Une fouine aux yeux verts
Enveloppée de racines

Il y a trois filles nue fardées d'argile
Dans une rivière de lune et de nénuphars
Entre les feuilles luit l'oeil du loup

Il y a sur la neige un merle immobile
Plumage de nuit et bec de lumière
Telle est sa beauté que le ciel l'aspire

Il y a une fillette folle
Qui répète colibri colibri
Puis par la fenêtre s'envole

Il y a dans les nuages
Un paon qui fait la roue
Il pleut des plumes rouges

Il y a
Le feu fidèle
La tendresse des pierres
L'éternité de la rose

D'autres textes de ce poète sont ici



Jean-Max Tixier : Regard sur l'aventure de la revue Encres Vives

Encres Vives N° 363
...
Je voudrais maintenant indiquer quelques-unes des directions principales d'Encres Vives. Nous nous sommes intéressé aux mythes comme fondements de l'écriture poétique, donc plus loin et autrement que les travaux de Mircéa Eliade - ce qui m'a conduit au concept de "mythécriture". Hors du religieux et du sacré, nous ne transigions pas avec le matérialisme revendiqué par tous. Le rejet de l'inspiration, de la spontanéité, de l'idéalisme devait déboucher sur une écriture qualifiée de textuelle (Jean Ricardou a utilisé plus tard la notion de textique). Un deuxième centre d'intérêt très important fut la réflexion sur l'imaginaire - à distinguer de l'imagination - et les modalités de son exploitation. Un troisième, et des plus importants, consista à prendre en compte l'apport des sciences fondamentales dans la démarche poétique et à nous situer au point de rencontre des deux disciplines. Il ne s'agissait pas seulement des sciences humaines mais des sciences exactes ou dures comme la physique, les mathématiques, la biologie.

Nos recherches nous ont conduits à créer un nouveau support au début des années soixante-dix, la collection "Manuscrits". Sa conception permettait notamment d'intégrer au texte des reproductions, des signes, des dessins, des éléments divers, intervenant pour l'engendrer ou le prolonger, mais non pour l'illustrer. Nous proposions des unités spatiales et globales à plusieurs entrées, jouant sur l'aléatoire et la circulation du sens.
...

D'autres textes de cet auteur sont ici
__________________________________
Brigitte Broc

A nous d'élaguer

Pour toucher l'aubier
Et les champs de silence

Fragilité
De l'instant

Dissous
Le doute ouvre nos mains

D'autres textes de cet auteur sont ici
__________________________________
Patrick Joquel

Cinqueterre, un territoire signé des hommes
...
Les torrents
comme autant de traits d'union balafrant les pentes
on regarde avec effroi les traces de leurs morsures
on imagine leur furie

C'est pourtant là
sur les lèvres de ces oueds que des hommes ont niché des villages dont la rue principale se jette à la mer

Aux heures où le travail se désaltère en terrasse
un verre de blanc à la main
le regard se perd dans les mouvants horizons bleus qu'un cargo parfois souligne
reposées devant les portes colorées des maisons les barques voient fleurir sur leur bois peint le sel oublié de la dernière pêche

Comment choisit-on d'habiter l'inhabitable et pourquoi?

La question reste en suspens tandis qu'on marche entre ciel et terre et d'un clocher à l'autre sur ces adrets sculptés au burin des restanques

La vigne bourgeonne un léger vert
sous les oliviers le paysan vient rouler ses filets

On arpente ici un territoire signé des hommes

*
L'agave cloue le sentier à la falaise
...
*
Le vent écume un goéland
son cri arrache un lambeau de chair au silence
il dessale un vieux paysage
...
_________________________________
Slaheddine Haddad
...
Dans la confusion
tout finit par rejoindre le malentendu

arabe continental, j'ai vu mon pays
se réduire tout doucement à une île
mon duvet de protection
devenir limaille de cuivre

pour rejoindre les autres
sais qu'il me faut désormais
compter sur la démesure des membres

plein d'inquiétude je me hasarde
à m'aventurer sur leur territoire
les surprends à parler en toute ignorance

de tous "ces hommes [...] qui changent de pays
sans jamais changer de patrie".
...
à trop errer entre des valeurs extrêmes
un arabe réussit à rester important
par la grandeur de son émotion

étrange sensation que celle d'être piégé
par le conformisme auquel j'appartiens
_________________________________
Mireille Le Liboux

Le marais
...
Écrire sur le marais demande une longue patience. Impossible à circonscrire, il préfère le silence
On devine sous l'eau dormante les matières en putréfaction, odeur fade de la mort lente dans la pâleur du palud.
Mort des mots usés jusqu'à la corde, mort des vieux sentiments délavés qui se dissolvent dans l'eau du marais.
Le marais ne pose pas de questions, il sait. De la mort naît la vie, il n'a pas de regrets.
Dans le secret de son immobilité la vie fermente en somnambule.
Du marais naît la libellule.

Marais de Kerderff, An Arvor. Juin-juillet 2007

D'autres textes de cet auteur sont ici
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Michel Cosem
...
Il reste dans l'olivier
après la récolte
une olive noire toute ridée
comme une chrysalide
comme une pierre
qui témoigne du passé
et de la richesse pillée
Elle remue sur le rameau
danse avec le vent et les mésanges
elle est secrète et inquiète
Les cauchemars l'ont désertée



Bernard Mazo: L'hostilité mortelle de l'inconnu

Encres Vives N° 364

Je ne sais plus
qui parle en moi
est-ce l'enfant que je fus
ou ce double sans visage
qui s'est glissé
à mon insu
au coeur de ma vie
et dont le discours ininterrompu
m'est impénétrable
 

Il nous arrive parfois
de nous sentir traversés

par une parole
venue semble-t-il
de la nuit des temps

on dirait
qu'elle se transmet
des morts aux vivants

qu'elle tisse
un fil ininterrompu
à travers eux

un fil dont gît la source
dans la mémoire commune
des premiers commencements



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