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Encres Vives N° 351
Nu plus que nu
le plus pauvre héritier
Ne pas craindre d'aimer
le froissé, la page qu'on étreint
Là, où s'éteint le jour
la journée recommence
Parler aux murs
Attendre la rosée
dans le posé, le sûr, le dérisoire amant
Lunes et corolles de coraux
dans le serti, l'aveugle
nouer
La corde du pendu
Encres Vives N° 352
V
un temps
nous nous serions battus pour nos mères
pour un regard qui nous aurait manqué
parce qu'il faut bien
toute cette force
lui donner de l'air
je pense à la mère
partie sur des terres qui ne se visitent pas
son regard qui me manque
je pense à toi
au monde que nous devions refaire
à ces nuits dangereuses
aux flammes bleues et vertes que nous allumions
à ce poème que tu disais sous le pont de la rocade
qui parlait de parapets et de vieille europe
quand au loin s'estompaient les sirènes
je t'aimais plus qu'un frère
regarde-moi
je n'ai même plus envie de voler
VI
...
et le temps est si long quand les jours se
ressemblent
...
VIII
nous traînons des ombres plus maigres
que nous
ce n'est pas juste
voilà ce que le soleil nous donne
l'image noire de ce que nous sommes
-de ce que nous serons?
partout porter notre ombre
-nos femmes
c'est elle qu'elles embrassent
nos enfants
quand nous rentrons dans leurs
chambres éteintes
poser sur leur front un baiser confiant
c'est elle d'abord
qu'ils voient
qui les rassure-
pensez
s'il pleuvait
que resterait-il de nous?
Ceux qui gagnent leur vie
-gagner sa vie
d'ordinaire
c'est la perdre
...
comme on gagne du terrain sur
la mer
ceux
qui font des polders
-enfant j'entendais "bol d'air" ces terrains de volonté-
...
Dans les neiges où personne
ne va
quel est ce pas que je suis?
Aussi seul que tu sois
dit la voix
quelqu'un te guide
Je ne veux pas d'ancêtres
je ne veux pas de voie
je ne veux pas de maîtres
je ne veux pas
Mes pas dans la neige
je les écris pour toi et moi
pour la première fois
parce que jamais
jamais il n'y eut
sur cette neige
un autre toi
un autre moi
une autre histoire
Dans les neiges où personne ne va
n'est-ce pas mon pas que je suis
suis-je mon pas
ou pas?
Encres Vives N° 353
Boeing
Les avions brillent si haut dans le bleu
que même les hirondelles ne peuvent
les atteindre
Toi tu les enfermerais bien
dans ta boîte à jouets
avec les lapins, les cubes et le renard qui
parle.
Tu me les montres avec gravité
ce sont nos rêves qui passent.
Je fais un voeu avant l'arrivée des nuages
Vivre jusqu'au blé jusqu'aux cèpes
Vivre jusqu'à Noël jusqu'à
renaître
Mais il n'y a plus dans le ciel
qu'une traînée bleue qui s'élargit.
J'ai dormi cet après-midi plus longtemps que si j'étais mort.
Désormais le soleil rase les herbes hautes et bleues.
Les voitures filent.
La radio me dit que c'était un jour de grève
Moi je dormais comme on manifeste.
Où l'océan devient
piscine et chants d'oiseaux
A Malo
...
(Odeurs de sainteté: en descendant
la nef, j'ai perçu le parfum de fleurs oubliées depuis l'aube
des temps).
D'autres textes de cet auteur sont ici
Encres Vives N° 354
Les écritures végétales de Françoise Cuxac (extraits, inédit)
Un vibrato de feuilles
Irise l'aire du poème
D'une secrète sourdine
Au bord du sensible
A l'instant
La langue hissée
Aux nervures du sens
Écrit un paysage
Étrange et ordinaire
Ridelles Ruissellements
En guipures d'ombres
Des lettres nouvelles
Cité par Claude Barrère
J'écris le mot poème
et c'est tout le poème
contenu dans le mot
et je ne dis rien d'autre que
poème
et malgré le peu en dépit
du sec
le poème
a corps
a vie
au-delà du vide
qui me fait évoquer
l'absence du poème
D'autres textes de cet auteur sont ici
Encres Vives N° 355
I
Le grand Mississipi de l'écriture déroulant
ses flots
Sur les continents de la mémoire
Le désert dans l'abondance des mots
Dans l'absence des syllabes
Le sexe qui nous conduit dans les grands pâturages
De l'essence
Totems et idoles
Une grande bouche de belles hanches
C'est une poétesse qui nous vient des
contrées syriaques
Elle aime ses amants et fustige les époux
Et trahit les deux avec le Poème
Sir Luy un ci-devant sans fief
Clame sur les hauteurs d'Alger
Que la poésie n'existe pas
que c'est une sornette pour midinette
Que le seul poème le beau le mâle
le vierge
L'inconsolé le veuf le prince étincelant
Nervalien suicidé
Conduit le monde
On ne sait où
Ni comment
...
D'autres textes de cet auteur sont ici
La Lucarne Ovale
.
Cela qui demeure
Sous l'arcade de la parole
La voix est là
L'étendue respire à l'aise
Discrète la main n'a pu que décrire
l'empreinte
|
Dervy Éditeur
Marc-Antoine Désaugiers (1772-1827)
Tableau de Paris à 5 heures du matin
L'ombre s'évapore
Et déjà l'aurore
De ses rayons dore
Les toits d'alentour;
Les lampes pâlissent,
Les maisons blanchissent,
Les marchés s'emplissent:
On a vu le jour.
...
Comme un avant goût
de Léo Ferré
_______________________________________
Charles-Gabriel
de Latteignant (1697-1779)
Le mot et la chose
Madame quel est votre mot
Et sur le mot et sur la chose
On vous a dit souvent le mot
On vous a fait souvent la chose
Ainsi de la chose et du mot
Vous pouvez dire quelque chose
Et je gagerais que le mot
Vous plaît beaucoup moins que la chose
Pour moi voici quel est mon mot
Et sur le mot et sur la chose
J'avoûrai que j'aime le mot
J'avoûrai que j'aime la chose
Mais c'est la chose avec le mot
Mais c'est le mot avec la chose
Autrement la chose et le mot
A mes yeux seraient peu de chose
Je crois même en faveur du mot
Pouvoir ajouter quelque chose
Une chose qui donne au mot
Tout l'avantage de la chose
C'est qu'on peut dire encore le mot
Alors qu'on ne fait plus la chose
Et pour peu que vaille le mot
Mon Dieu c'est toujours quelque chose
De là je conclus que le mot
Doit être mis avant la chose
Qu'il ne faut ajouter au mot
Qu'autant que l'on peu quelque chose
Que pour vous la chose et le mot
Doivent être la même chose
Et vous n'avez pas dit le mot
Qu'on est déjà prêt à
la chose
Et que pour le jour où le mot
Viendra seul hélas sans la chose
Il faut se réserver le mot
Pour se consoler de la chose
Pour vous je crois qu'avec le mot
Vous voyez toujours autre chose
Vous dites si gaîment le mot
Vous métirez si bien la chose
Alors quand je dis que le mot
Doit être mis avant la chose
Vous devez me croire à ce mot
Bien peu connaisseur en la chose?
Et bien voici mon dernier mot
Et sur le mot et sur la chose
Madame passez moi le mot
Et je vous passerai la chose.
_______________________________
Gérard
de Nerval (1808-1855)
Homme! libre penseur - te crois-tu seul pensant
Dans ce monde où le vie éclate
en toute chose:
Des forces que tu tiens ta liberté
dispose,
Mais de tous tes conseils l'Univers est absent.
Respecte dans la bête un esprit agissant...
Chaque fleur est une âme à la
Nature éclose;
Un mystère d'amour dans le métal
repose:
Tout est sensible; - et tout sur ton être
est puissant!
Crains dans le mur aveugle un regard qui t'épie:
A la matière même un verbe est
attaché...
Ne la fais point servir à quelque usage
impie.
Souvent dans l'être obscur habite un
Dieu caché;
Et, comme un oeil naissant couvert par ses
paupières
Un pur esprit s'accroît sous l'écorce
des pierres.
______________________________
François
Ponsard (1814-1867)
...
Des papillons coupant les ailes,
Je m'en suis fait un éventail;
Aux cuirasses des coccinelles
Je dois mon collier de corail.
J'ai trouvé mes boucles d'oreilles
Dans la rosée, au fond des fleurs;
J'ai pris au dragon qui sommeille
L'escarboucle aux mille couleurs.
La feuille du houx m'a peignée
Vers le miroir des étangs bleus;
La dentelle de l'araignée
Sert de résille à mes cheveux.
L'épine du prunier sauvage
Fournit d'épingles mon corset;
Et parmi les joncs du rivage
J'ai choisi mon souple lacet.
_____________________________
Eugène
Pottier (1816-1887)
...
Transi quand il gèle,
Sans gîte souvent,
J'ai dans la cervelle
Des mots et du vent.
Ah, je l'attends, je l'attends,
L'attendrai-je encore longtemps?
Bétail, on m'attelle,
Esclave on me vend.
La guerre est cruelle,
L'usurier pressant.
Ah, je l'attends, je l'attends,
L'attendrai-je encore longtemps?
L'un suce ma moelle,
l'autre boit mon sang,
Ma misère est telle
Que j'en suis méchant.
Ah, je l'attends, je l'attends,
L'attendrai-je encore longtemps?
...
_____________________________
Jean
Pons Guillaume Viennet (1777-1868)
L'ourson
et la belette
Un ourson grand joueur comme tous les enfants
Mais il devint plus lourd et, sur sa pauvre
amie,
Jouer avec les grands aux petits fait envie,
|
Origine
...
Les âmes se tiennent dans l'attente
d'être créées.
Les visages ne sont encore que des figures,
mais déjà, les regards tâtonnent
vers leur vue.
Une aile bat sur la margelle de la nuit
Dans un martèlement pareil aux tambours
de l'averse,
les premiers troupeaux sur le porche
émergent à ce qu'ils sont.
De toutes ses routes la terre
s'efforce vers son lendemain.
Au seuil des jours vient s'incliner le front
des sources.
...
______________________________
Vincent
Bounoure (1928-1996)
L'oubli du mail
Le rite et le parc hagard
L'air sérieux
Conjurent les omnibus.
Loin les sonneries sont perdues
Pour ma plus grande résolution et la
gorge de fauvette
Votive au milieu du vent.
Carême au marché qui bruit de
mots à dire
Aux plis d'une soie tremblante.
Le toit recru délaissé
Au deuxième silence d'une seule heure
sans escorte
Porteur du signe de reconnaissance.
_____________________________
Michel
Bourçon (1963-....)
De la route
La route est un signet
marquant une page
ouverte
au chapitre des
champs.
Toutes les routes
mènent à nous-
mêmes.
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André
Breton (1896-1966)
Pleine
marge
A Pierre Mabille
Je ne suis pas pour les adeptes
Je n'ai jamais habité au lieudit La
Grenouillère
La lampe de mon coeur file et bientôt
hoquète à l'approche des parvis
Je n'ai jamais été porté
que vers ce qui ne se tenait pas à carreau
Un arbre élu par l'orage
Le bateau de lueurs ramené par un mousse
L'édifice au seul regard sans clignements
du lézard et mille frondaisons
Je n'ai vu à l'exclusion des autres
que des femmes qui avaient maille à partir avec leur temps
Ou bien elles montaient vers moi soulevées
par les vapeurs d'un abîme
Ou encore absentes il y a moins d'une seconde
elles me précédaient du pas de la Joueuse de tympanon
Dans la rue au moindre vent où leurs
cheveux portaient la torche
Entre toutes cette reine de Byzance aux yeux
passant de si loin l'outre-mer
Que je ne me retrouve jamais dans le quartier
des Halles où elle m'apparut
Sans qu'elle se multiplie à perte de
vue dans les glaces des voitures des marchandes de violettes
Entre toutes l'enfant des cavernes son étreinte
prolongeant de toute la vie la nuit esquimau
Quand déjà le petit jour hors
d'haleine grave son renne sur la vitre
Entre toutes la religieuse aux lèvres
de capucine
Dans le car de Crozon à Quimper
Le bruit de ses cils dérange la mésange
charbonnière
Et le livre à fermoir va glisser de
ses jambes croisées
Entre toutes l'ancienne petite gardienne ailée
de la Porte
Par laquelle les conjectures se faufilent
entre les pousse-pousse
Elle me montre alignées des caisses
aux inscriptions idéographiques le long de la Seine
Elle est debout sur l'oeuf brisé du
lotus contre mon oreille
Entre toutes celle qui me sourit du fond de
l'étang de Berre
Quand d'un pont de Martigues il lui arrive
de suivre appuyée contre moi la lente procession des lampes couchées
En robe de bal des méduses qui tournoient
dans le lustre
Celle qui feint de ne pas être pour
tout dans cette fête
D'ignorer ce que cet accompagnement repris
chaque jour dans les deux sens a de votif
Entre toutes
Je reviens à mes loups à mes
façons de sentir
Le vrai luxe
C'est que le divan capitonné de satin
blanc
Porte l'étoile de la lacération
...
D'autres textes de cet auteur sont ici
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Serge
Brindeau (1925-1997)
Le sable
Extrait de l'eau
Sèche la page
Où se reflétait l'herbe
...
Je suis né plusieurs fois
Sans rompre avec mon corps
Inexplicable
Hors des frontières des remparts
...
On vient toujours d'ailleurs
On parle
A son insu
Une langue étrangère
Chaque jour un jardin
Creuse une tombe où l'ombre se souvient
D'autres textes de cet auteur sont ici
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Michel
Camus (1929-2003)
Qui n'a jamais vu la lumière transfigurer
le monde en un clin d'oeil?
Qui n'a jamais croisé dans la nuit
transparente
le regard d'une étoile
Qui n'a jamais entendu, ne fût-ce qu'un
instant
le chant muet du vide,
la voix silencieuse du dedans?
Où est l'entrée de l'univers?
Où la sortie?
L'infini est au centre de nous.
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Francesca-Yvonne
Caroutch
Voyages du double
Paume contre paume
soleil contre lune
sans interstice
Le mouvement est quête de fixité
sous les rébus qui se consument
Par-delà l'océan de transmigration
extraire la clarté du coeur
où joie et mauvaiseté sont tressées
De lumineux présages s'ébattent par myriades
Une porte secrète s'ouvre dans l'esprit
découvrant ses fleurs d'abîme
ses trésors d'insomnie
son travail bleu qui ressemble à l'espace
De l'épicentre du désir
aux confins du désert
où tous les paysages parlent la langue
des dieux
fontaine et fournaise mêlées
te relient à ton nom de comète
perdue
Que l'errant et la terre promise
n'hibernent jamais en nous
D'autres textes de cet auteur sont ici
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Malcolm
de Chazal (1902-1981)
Seules
Les couleurs
Sales
Noircissent
Le noir.
La lumière
Ne s'est
Jamais
Vue.
Les
Roches
Ne
Sont
Debout
Que
Tombales.
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Maurice
Couquiaud (1930-....)
A la pierre
Je rends grâce à la pierre
d'affranchir parfois la volonté des
choses
en faisant place aux signes de l'éphémère.
D'un contour, elle creuse les pas du vent
dans la mémoire que le temps dépose.
D'un relief, elle fixe l'appel à la
méditation
ou compose un songe dentelé.
En découpant le ciel sur le fleuve qui
la ronge
elle traduit dans le courant les messages
de la limpidité.
Antimatière des nuages qu'elle semble
avoir solidifiés,
elle copie la forme des orages pour y conduire
les ruisseaux.
Elle offre la source au poète avec l'imaginaire
de l'eau
pour qu'il franchisse en rappel nos chutes
débridées,
... sans attendre l'hiver qui saisira le blanc
dans le sens le plus froid des mots soudain
glissants.
D'autres textes de cet auteur sont ici
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Christophe
Dauphin (1968-....)
La
Campagne bleue
Avant d'apprendre
à écrire, il a fallu apprendre à vivre
c'est-à-dire à souffrir et à aimer.
René Guy Cadou
A Jacques Taurand
...
Une obscure tendresse veille à la barrière
du pré
Les étangs noirs roulent sur les collines
Au fond des rues éteintes où
je respire enfin
Loin de Paris dont chaque cri est un couchant
d'usine
Promis au soleil nouveau de la campagne bleue
La Loire dans les doigts
Je me perds de vue entre les pierres-reptiles
Je cherche un homme en moi
A qui parler sous la lampe déserte
Je cherche la chaleur d'un regard fort comme
le sang
La nuit s'allume mon nom écrit dans
l'ombre
Le Louet longe ma solitude
Des coqs de bruyère brûlent à
l'horizon
L'épaule de l'aube achève mon
murmure
La campagne flambe comme un silex
Dehors le ciel est rouge
Pendu aux fils barbelés de tes paupières
de trente-et-un ans.
D'autres textes de cet auteur sont ici
et ici
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Thieri
Foulc (1943-....)
A Tataouine sous les tamaris
Nous irons, du pas ennuyeux de nos chameaux
de plomb
Et dans le hamada pour passer le temps du
voyage
Nous attendrons chaque soir
Pour les lorgner
Les mirages où vont boire les lions.
...
_________________________________
Georges
Henein (1914-1973)
Une rose entre deux seins
un gant dans la poussière
une femme répondant tour à tour
à plusieurs noms
dont aucun n'est le sien
il n'en faut pas davantage pour que sautent
les scellés de l'âme
et que chacun secoue son manteau de patience
il n'en faut pas davantage
pour que s'éveille le voyageur
et son premier émoi en pays étranger
est pareil à l'épi d'où
naîtra
le pain de l'enfer
_________________________________
Michel
Héroult (1938-....)
Mon nom
J'écris mon nom avec le sang des lettres
sur la terre qui se réjouit de l'offrande
du dégel
mon nom plonge ses racines dans mon âme
il ne fait pas seul son chemin
la vague le dispute à la mouette
et c'est son cri qui jaillit comme un couteau
...
Je le retrouve peut-être
dans la plainte d'un chien
dans l'élan d'une tige de bambou
de l'autre côté de la terre
mon nom ne me quitte pas
mais il n'est pas avec moi
il a ses voyages à faire que je ne
connais pas
...
D'autres textes de cet auteur sont ici
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Alain
Mercier (1936-....)
Rituel des jours anciens
La main passe...
On pressent des rats
Sous le chambranle,
Il y a du grabuge dans la métapsychie.
...
_______________________________
Pierrette
Micheloud (1920-....)
II
Les feuilles mouillées de pluie
Qu'en marchant j'écrase
Collent à mon coeur.
Qu'elles soient l'onde amnistie
Aux âmes errantes!
Pour la Terre apaisement
De la parole froissée.
_______________________________
Armand
Olivennes (1931-2006)
Prière à mon diable
Mon diable,
faites-moi disparaître,
en Yamaha,
derrière une colline
avec des bosses et des trous.
Rendez-moi invisible à mon fantôme,
revenant le hanter,
à midi,
dans le cocon d'une cabine téléphonique.
...
_______________________________
Jean
Phaure (1935-2002)
La Terre du trident
...
Coupe de sel, ô calme Lune
Qui dors au fond de nos sommeils,
En toi mûrissent des soleils
Et tournent des roues de fortune.
Ici brûlèrent d'autres cieux
Et fleurirent d'autres rivages,
Mais c'est toujours le même Essieu
Et le même divin Sillage
Qui ramène à nos coeurs anxieux
A la même divine image:
Rose de feu, Zodiaque igné
Chemin de Vie, calme Lumière,
Nous revenons ici baigner
Notre quête impassible et fière.
...
_______________________________
André
Rolland de Renéville (1903-1962)
Maturité du vide - Qui me pense?
Qui me pense? Qui se permet de me tirer au
jour? que le sang s'arrête de tourner dans les circonvolutions blanches
et frémissantes de celui qui me compose, et que l'os horrible de
sa tête éclate comme une lampe. - Mais il n'en a pas. Ni son
sang non plus. Pourtant son souffle m'épaissit et je nais. Les cloisons
sont bien sous-tendues d'os et les éclaboussures de la chair s'assouplissent.
Même voici la bouche à l'image de Dieu. O. O. Aum.
...
Me voici nu dans la chambre. Le goût
de l'eau tiède dont on m'a lavé tord encore ma bouche, et
j'étouffe sous les couvertures qui me grattent à chaque mouvement.
J'étais bien plus joli dans le monde des fantômes, lorsque
je poussais comme un arbre de glace. Cette grande roue du sang qui me parcourt,
atténue ma noblesse. Je me connais des limites, et ne puis désormais
tout appeler par le nom qu'on m'impose.
...
_______________________________
Paul
Sanda (1961-....)
Madrigal
...
je te dédis de l'ange déchu
comme un désir comme un enfer
te psalmodie te scarifie dans les chaînes
les puits de pierres
je signifie jusqu'au rire des serpents
ta voix plus folle qu'un soleil froid
ton oeil plus méprisé que la
lune au désert
c'est ainsi que j'avale une poignée
de sauterelles
quitte à lécher ta terre
je sais déjà le bois des météores
ta peau plus molle que le sang sur la serpe
ton cri plus brisé que le sang perlé
du masque blanc
c'est ainsi que j'écartèle les
replis extrêmes du sarcophage
quitte à lécher ton âme
je sais déjà que nous sommes
morts
_______________________________
André
Savoret (1898-1977)
Les
deux Silences
...
Il est deux sortes de silences,
L'un est terrestre et l'autre divin,
Si l'un n'est, au fond, que l'absence
Des bruits de ce monde incertain,
L'autre plein d'auguste présences,
Pour qui sait l'écouter, détient
Lumière, espoir, intelligence...
L'un étant tout, - et l'autre rien,
-
Il est deux sortes de silences!
_______________________________
Georges
Sédir (1927-2006)
Temple
Pour un dieu qu'on dit inconnu
Pour tous ceux que l'on croit connaître
Et tous ceux qui ont disparus
En ne laissant que mots et murs,
Pour ceux aussi qui se diluent,
Pour ceux qui dans le secret germent
Et pour un Non-dieu qui peut-être
Possède en lui tous les possibles
Certains s'efforcent de bâtir
Un temple.
...
________________________________
Jacques
Simonomis (1940-2005)
Ceignez vos ceintures
mortuaires
jeunes bombes humaines
Les dieux aiment
la chair grillée les abats
à la sauce au sang
Que sauveront
les martyrologues
éphémères
...
La mort n'était pas
un tapis volant
D'autres textes de cet auteur sont ici
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Jacques
Taurand (1936-....)
Madrid
Madrid tu es l'orange crevée du soleil
sous la mantille de la mort
Le destin n'a pas fini d'éclater sur
les rails de l'épouvante
La vie n'est que ferraille tordue chair éventrée
Madrid a matar
Le sacré tournoie dans les yeux du
vide gît dans l'arène noire
Résonnent partout des cris couteaux
plantés dans l'absurde
L'espoir est un cadavre qu'il faut enjamber
Madrid soeur de la douleur Muleta sanglante
du ciel
Madrid le glas de ton coeur sonne dans l'énorme
poitrine de ta foule
Ton collier de larmes brille au plus infime
de chacun
...
D'autres textes de cet auteur sont ici
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Pierre
Torreilles (1921-2005)
(...) Inaltérable courbe en l'échancrure
de la mer, pur présagez arraché à l'index de midi,
Temps juste, Espace juste, au coeur de l'immobile et du mobile, es-tu le
lieu vers lequel se déroule ou dans lequel s'enroule le commentaire
pur? Comme l'écho d'un long été, flamme fraîche
de nos pénombres, parfaite est la lumière au coeur de l'ombre
et la flûte au coeur du cyprès....
________________________________
Ces quelques extraits ne donnent qu'une
faible idée du contenu de cette volumineuse "Anthologie de la poésie
maçonnique et symbolique" qui compte plus de cinq cent pages. Plus
d'une centaine de poètes et chansonniers y sont présents;
leurs oeuvres sont accompagnées d'une analyse biographique; l'ouvrage
contient également une préface, un avant-propos, un avant-dire,
une postface ainsi qu'une bibliographie.
traverses
l'arbre à paroles
Un suspens dans la mémoire?
-parfois le regard hésite,
un long silence du paysage crie:
on tombe dans l'horizon.
L'écho est sourd,
il pardonne.
La main s'est fermée sur la parole,
et l'écriture s'arrête,
essoufflée de l'esprit.
A l'abri
de trois mot encore.
Ne sachant,
sinon le moins sûr.
Trop léger pour le métier,
accrochant l'ombre à ses mains;
- "Cette page à côté de
la mienne,
écolier que je demeure."
____________________________
dans la nuit passante
traverses
l'arbre à paroles
Naître silence,
s'éveiller une ombre,
une aube qui tarde:
grâce de suivre seul
l'allégement de l'absence.
Poindre
au plus effacé du songe,
là même où s'est enterré le cri.
Joindre à soi tout le silence.
Versé de la source obscure,
tu veilles la trace, la lueur.
fais-toi moindre encore:
loge au point aveugle.
Librairie-Galerie
Racine
Collection La Pierre Faillée
Si noire nuit brouillée d'ailes
au fond du fleuve
tu achèves les amants au couteau
puis tu entasses leurs yeux gelés
dans tes grottes
près des haltes d'oiseaux
Avec toi, même la fontaine a de l'astuce
et la boue luit comme un oeil de glaise
Il n'y a pas d'avenir pour tes colères
-éraflures, or tarabiscoté
Chaque jour tu fais l'enfant
en remplissant ton rôle de fée:
obéissante en rires
Il la déchiffre à la hâte
il la lève, la lave
la dénude, la goûte
la commence sans la finir jamais
l'ouvre en deux, la brûle
l'amuse, l'effraie, la rentre
la sort, la couche, la décalque
la tue, l'empaille, la ressuscite
la serpe, enfume son coeur
pour la déloger
au centre des nébuleuses
Le temps
Je vous retrouve
dans le bruissement amoureux des frondaisons
dans l'intervalle entre le fracas du tonnerre
et la randonnée de l'éclair
Sensations d'avant la naissance
au seuil d'un sommeil pulpeux
toujours différé
Sous les palmes luisantes
un pivert bat la mesure
d'un temps légendaire
qui ne sera jamais le nôtre
tandis que nos astres veillent
sur la plénitude du manque
Mendiants d'amour
lorsque vous percez nos nuits fragiles
saisissez-vous
l'or volatile de nos poèmes
qui dorment tout habillés
comme les nomades?
L'extase du vide
vous guérira
de la maladie du temps
D'autres textes de cet auteur sont ici
et ici
_______________________________
Amédée
Guillemot
En marge du temps
S'asseoir dans le silence
fermer un oeil puis l'autre
et ne laisser aux mots
qu'une page encore nue
pour rêver et dormir
La lumière est trop sage
pour donner au poète
assez d'encre et de sang
qu'il pourrait libérer
avec l'espoir au coeur
S'asseoir dans le silence
et dormir et rêver
quand la page encore nue
s'offre aux mots et s'endort
avec l'espoir en marge
pour un ultime instant.
(29.09.2007)
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_______________________________
Marie-Josée
Christien
Entre instant et éternité
Le temps est ma patrie
entre l'herbe et les eaux
à cet endroit où foudroie la
faux
dans ces jours volant d'hier à demain
Même sédentaires et casaniers
Nous ne sommes jamais que des nomades.
***
Dans le présent
persistent des bribes de passé
et des parcelles d'avenir
Parfois l'instant
se fait éternel.
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_______________________________
Gérard
Le Gouic
Enclos
Le mur d'enceinte n'empêche pas le regard
des morts de nous atteindre.
***
Jamais de portails pleins, comme s'il nous
fallait
pouvoir vérifier la permanence de l'éternité.
***
Le repos y est éternel parce que dans
la couche de l'oubli.
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_______________________________
Béatrix
Balteg
Instant
Qui parle dans les glycines éteintes
quand l'extinction des feux
a sonné le tocsin
qu'Isis cherche en vain
la ligne de faîte du corps
chaque os à ressouder
chaque doigt à convaincre de vie.
Il pleut sur le labyrinthe du passé
l'avenir s'essouffle
l'instant vibre comme une corde tendue.
Inédit
(2006)
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Yvon
Roussel
La brièveté est sûrement
une idiotie
L'éternité sans doute
une forme de paresse
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Jean-Luc
Legros
Laisse de mer (Haïku)
Le vent sculpte des rides
Sur le sable
Il ne fait pas son âge
Encres Vives - 191ème
lieu: Tibet/Asie du Sud-Est
La
Mer d'Huile de Maya
La mer d'huile de ton âme
Pour retrouver moi-même
Mais j'irai aussi à Madura
Ce que j'aime en toi,
|
Octaves (extraits)
Les papillons sont des fleurs distraites
qui un jour décidèrent de voler.
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Gilberto
Mendonça Teles
Avis
Il y aura un instant
de tendresse générale:
Tous les poètes auront
la main droite paralysée
et les deux mille langues de l'univers
s'amalgameront en une
tour
de silence.
________________________________
Maria
Helena Chein
Baume
Je saigne
lors de chaque absence.
Néanmoins je ne meurs pas.
Les trois auteurs précédents
sont des poètes brésiliens.
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Madeleine
Fiermonte
La chaise longue
Serait courte
Sans le petit banc
Devant
...
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________________________________
Christophe
Rohu
Coccinelle coquette
aimerait bien cacher
ses points noirs.
*
Les carreaux de sa robe
Ah! comme j'aimerais
voir au travers!
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____________________________
Liska
Nuages
A la queue leu leu
Petits bateaux du ciel
Dans quel port
Allez-vous mouiller?
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_______________________________
Alain
Jean Macé
Les faux-monnayeurs
Ce n'est plus monnaie courante
De les mettre en pièces
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______________________________
Simonomis
Amis
aidez-moi de vos voix lointaines
quand mon corps hésite
Caressez-moi de mots que nous aimons ensemble
tous unis
contre la varlope
de la mort qui chante
Le bruit insidieux
de son atelier
ne faiblit jamais
La cheminée
crache des visages
Le mot de vie
c'est un prénom de femme
Mon amour
embrassons-nous toujours
sur la route froide
L'invincible silence
a piégé la nuit
Notre rire s'en moque
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et ici
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Dagadès
Avec son manteau blanc
à quatre heures du matin
au fond de ce taxi froid
éreintés transis dans le noir
l'auto roule à vive allure
dans la campagne enneigée
sa main chaude si douce
venue lentement dans la mienne
paupières s'ouvrant s'abaissant
ricochant sur des sillons de lumière
les corps si proches si lointains
soudés par le bruit de leur souffle
chairs qui se tendent qui se crispent
doigts moites liquéfiés se nouant.
D'autres textes de cet auteur sont ici
Seghers - Poètes d'aujourd'hui
Je salue la jeunesse de la lumière
Sur ce pays de grande chasteté
Parce que les femmes sont fermées
Elles ont des ailes croisées sur la
poitrine
Pour protéger le coeur ardent des hommes
L'amour aux cils baissés l'a circoncis
-Qui sauvera ce pays du martèlement
Des soldats qui s'avancent sous un triomphe
Pour arracher l'eau froide gardé -
la prendre?
(L'eau froide gardée - 1973)
XI
Et l'on dira le nom de la matière
Un soir de deuil parmi les lampes aggravées
Avant la formation de jolie bouche
Absente d'être et de figure presque
fille
Dans l'explosion de ses rouilles dormantes
Bouche de fille aimée de sa denture
Et machinée l'herbe profonde aimant
ses membres
Ses ongles de miroir mirant le monde
(L'être poupée suivi de Colombe aquiline - 1983)
5
Je songe à l'osier de ses jambes
A ce fleuve entre elle et moi
Et je crie en maniant des outils
A cette ligne écrite et qui va disparaître
Avec son corps économisé pour
La seule rupture
Je songe à ses poignets devenus lampes
Et qui vont dormir au versant de la douleur
(Fiançailles de la fraîcheur - 2002)
D'autres poèmes de Salah Stétié
peuvent être lus sur son site, ici
Alain
Lacouchie
...
L'inconnu est ce qui nous manque
pour être dieux.
Un autre texte de cet auteur est ici
_____________________________________
Danielle
Drab
Wlaminck
Le ciel écrase la terre
Où passent les maisons
Et la grand-route mène
Au bord de l'horizon
Que des vagues de bleus
Ferment comme une houle.
Sur la droite la folle avoine
Des herbes et un arbre
Qui lance un appel pathétique
Sur la gauche des rangées de moineaux
Sur les fils tendus de poteau à
poteau
Mariage trait d'union
Entre la terre et l'eau.
C'est le pays d'ailleurs
Aux portes de ce monde.
____________________________________
Patrice
Angibaud
Le portique de la balançoire
S'est lentement laissé rouiller
On l'a démonté ce matin
De l'enfance il ne reste plus
Qu'une absence
A l'entrée du jardin.
___________________________________
René
Cailletaud
Dans le clair-obscur d'une sieste
vous ne l'attendiez pas ce souvenir
au cuir tanné par trop d'années
d'absence
et servi comme un vin chaud
dans le fond de l'hiver
C'est l'image qui manquait à votre collection
...
Sac à Mots Éditions
Bruits de la nuit
Dans la nuit de l'insomniaque
rien jamais n'est à sa place
L'aboi du crapaud solitaire
l'éclat de rire de la chouette
la rumeur des chats
qui courent sur le toit
et dérangent les tuiles
ne sont que des images du silence
et le pas pesant de l'horloge
dans d'interminable couloirs
rien d'autre que le cognement
de ton coeur dans tes oreilles
Un autre texte de cet auteur peut être
lu ici
___________________________________
Jean
Dubacq
Les matins de buvard encore vierges des
encres
ton vol blanc sur mon ombre
nous faisait parler la belle prose des
pauvres
la même lèvre nourrissait nos
lèvres
la même main animait nos mains
pour ces richesses des pauvres
que l'amour enseigne aux amants
d'un coup de talon le silence
écrasait l'express
qui traversait la chambre comme on s'enfuit
d'un songe
et tu ne bougeais pas si je ne bougeais
pas
même si l'autre train
d'une autre gare dans l'autre sens
s'évadait par le toit
derrière tes paupières
tu attendais la paix des rails
Encres Vives N° 356
Cairanne
Il faut de la couleur vite
Pour manger le ciel
Des bleus très francs pour faire du
vert
Des bleus de peintre
Du bleu comme un bateau
Il faut du jaune tournesol
Du rouge coquelicot
De la couleur vite et juste un peu de sang
noir
Et partager le ciel avec les filles.
Elle semble danser
Présente ses robes au poème
Lui redit un soleil.
Rully
Je songe à ce vieux rêve: laisser mûrir sous la pierre un rayon de soleil. Du matin garder l'ironie légère, le brasillement vert sous la chanson nouvelle. Qu'il dorme sous la pierre ronde, dorme et rêve et se souvienne... Surprise aux sources de la nuit, la lune a gardé la fraîcheur mercurielle de ses jeux.
Il relit d'anciens poèmes
Dans des livres jaunis
Les interroge en vain.
D'autres textes de cet auteur peuvent être
lus ici et
ici ou ici
ainsi que sur son site, ici
Encres Vives N° 357
Deuxième nuit
J'ai recherché l'impossible compagne,
sa gorge ronde où poser une main,
sa froideur, sa solitude.
Sur la crête des monts seule la nuit
s'affale.
Le bord du ciel n'est plus livré qu'aux
vagues ténébreuses.
Qu'entendez-vous
sinon ce cri poignant d'oiseau aveugle?
Ses ailes battent la poussière pour
l'improbable envol.
Voici l'énigme: Dans quel abîme
gîte la lune absente?
Ne quitte pas, veilleur, la cime de la tour.
V
Dans un monde de ferraille
règnent les hommes-serrures:
hommes fermés, sans visages
sous l'armure dévorante.
A la bouche une serrure,
une serrure au creux du coeur,
sur le sexe une serrure,
serrure le pied, la main.
L'insensé clame misère,
bat les buissons, roule les pierres,
cherche en vain la clef perdue.
Seul un enfant de lumière,
sur une rive inconnue
au loin garde le secret.
D'autres textes de cet auteur peuvent être
lus ici
et ici
Encres Vives N°
358
|
Écrits des Forges - Sac à mots
Delphine
Pour Anne Hébert
Sous le porche quand il pleut
et que la nuit s'allume
rue de Pontoise
entre la rue des Écoles
et la Seine
il y a cette jeune fille
fragile
venue d'ailleurs
frêle découpée
tremblante sous la lune
recroquevillée
qui a lu solitaire
dans des chambres de bois
les rêveries vivaces des poètes
maudits
___________________________
Nicole
Brossard
Écho
la souffrance en toi est littéraire
parce que la vie ça ressemble souvent
quelque chose qu'on a lu, le tourment
la vie voyage sans permission
dans les livres ou le corps
se taire simplifie la souffrance
parler ne s'applique pas de la même
manière
aux femmes
___________________________
Jean-Marc
Desgent
On pourrait croire que l'âme n'existe pas, 1987
Une ombre et la valeur du monde passent.
Un jeune homme et son ombre passent.
De l'autre côté de la rue, une
petite fille
ferme les yeux et rêve à ma mort.
C'est qu'elle n'a pas fini d'aimer ce que
je suis.
Soudain, une petite éternité
plonge dans une piscine et son corps déformé
par le mouvement de l'eau
devient les limites du monde concret.
Mes yeux peuvent voir le spectacle des signes.
Une petite fille baisse les paupières,
Mes mains s'étendent sur la table.
Elle, elle n'a que cinq ans.
Elle est une misère.
Maintenant, elle marche avec lenteur,
La solitude couvre sa chair comestible.
Elle entend mes poèmes.
Elle ne survivra pas.
Elle a deviné la peur.
Elle a une robe qui plie
sous la chaleur, sous le soleil.
Elle n'a aucune chance.
Ses yeux tombent dans la poussière.
Elle avale un mot. Elle est une minuscule
vérité.
Elle s'est un peu endormie.
Moi, je brûle dix fois à la minute.
__________________________
Hélène
Dorion
Tu n'es plus tout à fait là
tu disparais
lentement en moi
le temps ne veut plus dire la vie
Ma mort sera pareille
à toutes les autres
qui secouent et indiffèrent
parce que trop loin parfois
__________________________
Bernard
Pozier
Le
premier poème
à L.
Le premier poème est toujours un poème
d'amour
on imagine sans souci pour qui on l'écrit
sans savoir encore dans quel corps il saura
vraiment s'incarner
ni à quelle âme véritable
on l'a inconsciemment d'avance dédié
Le premier poème est toujours un poème
d'amour
car il ne connaît pas la démesure
de ses mots
dans l'instant de l'émoi entre l'ombre
et la proie
où s'égare ébloui son
regard
Le premier poème et tous les suivants
se sèment en plein champ
comme les petits cailloux blancs du poucet
de nos contes d'enfants
et si aucun oeil jamais ne se dépose
à leur surface
peut-être nos signes de piste mourront-ils
dans l'herbe des siècles
Mais si quelques êtres par hasard viennent
à l'un ou l'autre s'abreuver
à la lueur sauvage de leur rosée
oubliée
la petite pierre du poème se mettra
à gonfler
bientôt croîtra comme une éponge
Et tantôt les sculptures de mots accumulées
dressées contre le ciel et contre le
monde
comme une injure au visage des autres
formeront à leur tour des alignements
dignes de Carnac
...
Les cinq poètes précédents
sont québécois.
_____________________________________________________
Serge
Wellens
Réponse à Kipling
Si le froid de l'aube
te poignarde dans le dos
si le soir est un manteau
trop lourd pour tes épaules
Si les paroles alentour
ne sont que du bruit
au milieu du bruit
si tes yeux prennent feu
sous les loupes de tes larmes
si des visages sans nom
traversent ton sommeil
si des noms sans visage
t'empêchent de dormir
si tu croises ta mort
dans le regard de tes amis
et s'il te vient aux lèvres
un mot retrouvé dans un trou de mémoire
un mot pour rire
pour rire et pour faire rire autour de toi
alors
oui
tu seras un homme
mon vieux.
Un autre texte de cet auteur peut être
lu ici
_____________________________
James
Sacré
Parfois le paysage s'organise et c'est assez
Comme un livre ouvert, la page de droite et
celle de gauche,
Ou plus précisément comme un
écrivain passe d'un côté à l'autre
De son récit, de Méséglise
à Guermantes par exemple.
Ainsi va-t-on de Sedona à Flagstaff
Par un long canyon de fraîcheur et de
feuillage
Puis la forêt des pins ponderosa (m'y
voilà
Et jusqu'au camping, en train d'avancer dans
un poème)
Tandis que de l'autre côté des
grandes roches rouges de Sedona
Le plateau t'emporte jusqu'à la montagne,
à Cottonwood, à Jérôme
Dans le semi-désert de plantes courtes
et de mesquites
Et des terrils de terres sèches couleur
de minerais.
Parcourir en aller retour ce renversement
de motifs
(Couleurs, formes de l'espace et la couverture
végétale)
C'est bien comme une lecture qu'on fait: on
devine
Tout le hasard qui préside à
ce qui est donné à lire
Mais les contrastes, à travers quelques
subtiles continuités
Ont l'air d'investir un sens, ou du rythme
Sans qu'on y comprenne vraiment grand chose...
Un vrai plaisir pourtant semble s'être
produit
De Flagstaff à Jérôme
en passant par Sedona
Et retour.
______________________________
Jean-Claude
Martin
Quel vacarme! Combien d'hommes travaillent dans cette invisible usine? Leurs vies broyées, sacrifiées pour quelle obscure entreprise? Quelle gigantesque gare est sous la terre? Quelle effroyable cité?
L'océan! Après la dune, il apparaît. Rugissant. Incessant. Plus puissant que dix mille taureaux. Plus inhumains que dix mille torrents.
Si l'on se tient à distance, le monstre
vient nous lécher les pieds. Mais il suffirait de si peu. Personne
n'a jamais retrouvé de sang dans cet enfer.
______________________________
Josyane
de Jésus-Bergey
Par vent debout
Sur les voiles poser les mots comme autant de passerelles vers le pays devenu. Tu reviens au pas des anciens (avec des mots oubliés) des presque comme nous qui roulent sur nos rivages.
On parlerait d'oiseaux de messages traversés d'océan quand à la proue du voilier nos terres se conjugueraient Je ne sais quelle soute porte le silence dans ces bords à bords
La dernière ligne de nos flottaisons.
D'autres textes de cet auteur peuvent être
lus ici
et ici ou
ici
___________________________
Georges
Bonnet
Ici on ne voit plus
les peupliers gréés
à grands cris d'hirondelles
mais la longue pluie des pins.
Le vent prend soudain
sa poitrine de drapeau
les rochers appellent aux armes
le vent apporte
les rêves gagnés sur la mer
Presses Universitaires de Lyon
Parfois, je suis tentée de me prendre pour une dame. Ma famille, mes amis me détrompent vite: "Tu es, disent-ils, un citron!" Et si je fais mine d'en douter, ils passent tout de suite à l'action. L'un me place sur un presse-citron, l'autre me maintient, le troisième délicatement me presse le crâne: il en sort pas mal de jus, ce qui met en goût ceux qui restent. Ils se bousculent alors à qui pressera le plus fort... ils font tant qu'il ne reste rien qu'une écorce vidée.
Mes amis prennent alors une mine dégoûtée: "Il faut jeter ça, plus rien à en tirer".
Ils me jettent, ils s'éloignent.
Ma famille, elle, ne se fie jamais aux apparences: elle me ramasse, m'observe d'un air méfiant.
Et bientôt quelqu'un suggère.
"ATTENDONS".
________________________________________
Joë
Bousquet (1897-1950)
La nuit tous les pas se mêlent
Ce qui nous mène est perdu
L'air est bleu de tourterelles
Le ciel le vent se sont tus
Et pareil à la colombe
Qui meurt sans toucher le sol
Entre l'absence et la tombe
L'oubli referme son vol
Mais il survit du murmure
Où tout se berce en mourant
L'amour des choses qui dure
Au coeur d'un mort qui m'attend.
________________________________________
Christine
Burucoa
Un
arbre
Comme un arbre s'enracine
Et fouille de ses nerfs
La pulpe de la terre
Comme un arbre pousse
Les ramures cachées
De ses racines
Et tête goulûment
La sève originelle
Comme ses tentacules
Foisonnent
Comme son élancement
Pèse.
(....................................)
Au seuil de la fraîcheur secrète
Ses mains aveugles se rappellent
Il découvre, il reconnaît
Les forces enfouies
De l'autrefois perdu
Il s'abrite, il est abrité.
Il peut dormir, il peut veiller
Il peut vivre, il peut rêver
Sa sève s'épanche
Aux veines térébrantes
Et la terre poreuse
Lui fait don de l'eau vive.
________________________________________
Claude
Hartman
Une fleur rouge dans un pré
c'est l'hiver et il neige
le ciel est bas
quelqu'un pleure sous la lampe
des étincelles de bois trouent l'abat-jour
les feuilles s'envolent
l'arbre est tombé de haut
toutes les bêtes et les hommes
battent en retraite
la fleur fanée rouge sang
Où sont les morts
on respire à peine...
Si l'un d'eux appelle
qui l'entendra?
Éditions Clapas
Magie
noire
...
Mots de feuilles qui tombent des arbres ne
sont que pure énergie; feuilles de montgolfières et de trains
vides, épaississant le brouillard dans les rues de Londres. L'espace
de la page s'étend au-dessus du Golden Gate. L'espace de la page
s'étend dans ma tête. Mon corps est un oiseau. Mon coeur un
cimetière. - Ces grilles qui enferment mon âme qui brise ses
chaînes, coupable d'avoir voulu s'échapper à nouveau!
Je ne sais si mon envol suffira à atteindre le ciel.
...
certains oiseaux usaient de cannes pour faire
dire à mes lèvres des paroles qui n'étaient pas les
miennes, alors que je dormais serein tout en haut d'une branche.
...
J'étais assis à ma table de
travail, une table qui faisait remonter les angoisses aussi bien que les
bons souvenirs.
...
Prends dans ta main cette main coupée
et arrache-toi le visage. J'aimerais l'arracher avec mes dents. Pour que
l'on voit les monstres hideux qui y sont nés. Découpe tranche
par tranche ta peau. Tout n'est pas aussi rose.
...
L'air
de rien
...
Parlez-moi. Parlez-moi comme on parle à
un mur. Ce mur de briques dont je suis fait. Ce mur qu'on efface d'un trait
de crayon.
...
D'autres textes de cet auteur sont ici,
ici et
ici
Revue Poésie
en voyage
...
Passer du je(u)... au soi...
Affleurer (ou effleurer) sa vacuité...
Terreur d'être soi-même...
Lanières du temps, épaisseur
de l'intime...
Les morts charrient le sang des rêves,
Les vivants charrient les rêves des
morts...
S'immiscer dans la caverne: concrétion?
Ce vitrail aux reflets changeants...
...
Des cicatrices tressées... un cri muet...
...
Dénouer les noeuds de gorge... comme
dévider les fils du temps...
...
Élaguer, émonder, échafauder:
trinité de l'ébauche,
de l'esquisse, de l'envol...
...
Les paroles du poème, une traduction
du silence...
...
Mémoires de l'ombre... Ombres de la
mémoire...
Histoire vraie
Je suis tombé du rêve, du soleil
et de la peur
Je suis tombé et je continue à
tomber. Je n'avais rien.
Je souhaitai retourner. Mais dans la chute
j'avais oublié comment remonter à
nouveau
à l'enfance du premier vers.
Et ainsi (garçons et filles) je suis
resté seul,
roi de nulle part et dans ma nuit
abandonné de tous. Et seule
cette histoire vraie est l'image du poète.
____________________________________________
Les vers du fantôme (los versos del fantasma)
Fable
J'étais dans un arbre et ensuite dans
un autre arbre.
J'ai abandonné la terre
depuis tout le temps du monde. Déjà
je ne me souviens plus
Peut-être fut-ce tout au début,
juste après la tombée
de la première matinée, peut-être
pour fuir
la malpropreté des jours
je m'en fus sur un arbre et ensuite un autre
arbre.
Maintenant, je ne me connais plus de nom,
et n'ai pas de visage.
Je suis peut-être petit et j'ai des
yeux et de la pluie.
Je suis peut-être le ciel ou bien celui
qui regarde le ciel.
Et j'entends que ceci est une fable
pour des enfants idiots. Je sais
que cela ne vaut rien, mais qu'importe que
cela vaille
ce que vaut la vie.
____________________________________
L'éthique confirmée (Etica confirmada)
L'éthique confirmée
Je croise et j'oublie, je saigne et j'oublie,
je siffle
et j'oublie: je ne vis pas et je crois que
j'oublie
jusqu'à ma non existence.
Engloutir:
je suis peut-être un spécialiste
de
l'engloutissement, et de la destruction
de la vie.
Ou bien en vivant ce moment
de branches enfouies et d'après-midis
embrouillés,
avec une faiblesse d'acier solidement installée
dans le renoncement
et sa nuit rompue, dans le temps du non vouloir,
du non dire et de la tenace et attentive moisson
des lignes qui m'assaillent la tête
et les mains
et plus encore au moment de n'être pas
encore parvenu
à m'arracher cette phrase que
jour après jour je porte
comme un coeur coupé dans les poches.
Et bien que je croie que ceci je l'ai déjà
écrit
autre part et dans une autre âme
je suppose que le peu que nous savons
il nous faut inévitablement le répéter:
qu'une langue crée la douleur, et j'ai
été une langue,
la manière étrange en laquelle
quelqu'un se rachète.
___________________________________________
Terres (Tierras)
Je vais sur les corniches de
la folie
et rien d'autre que moi ne tient la place
du précipice:
sur les métiers à tisser détraqués
des rêves
il n'y a ni poussière ni ombre que
nous pourrions
à cette heure laborieusement griffer
afin de trouver des raisons
qui rendraient la vie facile,
des raisons, des miroirs avec des noms ou
seulement
quelque souvenir et quelque incident.
Il n'y a pas de raisons, de miroirs ou de
silhouettes de filles
ou de noms. Il n'y a rien ici, ici
il n'y a personne. J'entends des éclats
de voix,
de voix obscures qui sont nombreuses mais
qui sur le même abîme n'en forment
qu'une:
le désert de mes yeux les nomme.
19 avril 1987
___________________________________________
L'anarchiste des
feux de bengale (El anarquista de las bengalas)
I- De ma fenêtre obscure
Carte commune que je trace quand nous nous regardons
Hauteurs de toi, extrémités de
moi, lèvres, lunes
et le reste d'une pauvre mythologie avec laquelle
je ne t'atteins jamais,
avec laquelle jamais je n'arrive au coeur
d'un corps,
étang ou sceptre, monde et site. Hauteurs
de toi,
extrémités de moi. Embrouillaminis,
salives,
tentacules. Où la nuit ferma les portes,
où je perdis la vie, il y a combien
de temps déjà?
dans le lieu même où j'oubliai
le langage
de paroles ou de baisers avec lequel proclame
qu'il est vivant
celui qui aime.
II- Le théologien dissident
Par delà le cristal
Mais c'est vu, c'est regardé, même,
bien que ce soit seulement de l'ombre, c'est
respiré.
Je le sais à la boussole du silence
comme avec la mère pluie.
Je le sais, le sais endormi. Derrière
le cristal, alcool à nouveau
les yeux en morceaux et me sentant un autre
dans un bar gris
ou absurde: maintenant est l'autre nom de
jamais,
maintenant je te l'offre, ce mensonge,
bien que pour moi peut-être ce ne soit
déjà plus toi
mais personne qui embrasse
et bien que tout amour soit de la cendre,
ainsi que chaque mot,
c'est encore ce qui se voit, s'observe, se
regarde
et peut-être demain découvrira
des châtiments semblables
dans l'infamie d'une vie
qui infatigablement
m'éteins.
III- Limbes
Anniversaires
Peut-être parce que l'année avait
été pareille à toutes les autres ou, plus simplement,
parce qu'elle n'avait pas été plus différente qu'une
année peut l'être d'une autre, j'aurais pu m'avancer vers
la grand-mère que le destin m'avait provisoirement impartie pour
lui dire: "Comme c'est aujourd'hui ton anniversaire, ce jour est le tien
et nous préparerons le plat que tu réclames, ton met préféré".
Comme j'avais grandi loin des livres de cuisine, il m'était cependant
impossible de reprendre le moindre menu. L'après-midi dansait à
l'intérieur des jupes et je savais déjà que l'ombre
cache des araignées qui se moquent des fêtes. Après
les applaudissements et les bougies, la tante demanda: si tu le pouvais,
de quoi choisirais-tu d'être le roi? Je répondis: des amours
contrariés. Il n'y eut pas de contestation. L'après-midi
dansait à l'intérieur des jupes, et comme je vis que véritablement
ils ne tenaient pas, je compris avec résignation que j'allais devoir
passer la vie lentement à les inventer, doucement en les inventant,
pour remplir la vie avec quelque chose.
IV- L'anarchiste des feux de bengale
Poèmes décapités
Derrière les proclamations
Quelqu'un dit: "un peu de soleil", "pas tant
de sang",
et aussi " justice". Quelqu'un dit cela,
et quand il se retourna dans son lit
la misère copula avec le rire.
Soleils morts
Avoir peur, être le gendre de la solitude
ou mourir
en dessous de l'eau: c'est à peu près
tout ce que j'ai, ce que je suis
ou ce que je laisse: un peu plus, très
peu, presque rien
ou même moins: peut-être le souvenir
des soleils morts.
Aux solitudes réunies
Donnez-moi les noms, les noms tristes de l'ancien
mal,
les noms du sang et de l'iris,
les noms malades qui ne sont pas bien grands
ceux que je dis faits pour nous, pour les
poètes mineurs
et qui sont peu de choses, pour les poètes
que je suis
donnez-moi ces noms et j'en ferai des araignées
qui tissent
de plus douces destinées aux jours.
V- Avec assez d'octobre
Intermède
Je parle de passés et de rêves,
simplement
je parle de ce que je fus et déjà
je ne me crois pas
mais en même temps je sais qu'une fille
m'attend dans chaque rue avec son âme
ouverte,
de part en part,
qu'une fille m'attend ou me supporte
en feignant que ne sont rien
les aveugles mâchoires de mon ombre
et en prenant part de bon gré à
ce théâtre
où l'on montre que vivre entre des
trous d'aiguille
est très commun.
Sur les miradors de la pluie, en quelque impensable
intermède
je me souviens de cela et je pense aussi
à le dire
quand on voit ce pain minable, ce pain ou
ce vin
dont nul ne voudrait se nourrir, ce pain par
la mort si méprisable,
aussitôt je me décide et je répète
à qui le voit, j'ai donné,
ne m'entends-tu pas? le vois-tu?, même
s'il ne sert à rien
et s'il est insuffisant, prends-le, tiens,
je te l'offre,
c'est le mien, il ne me coûte rien et
de plus
il m'est très facile de le partager
car je sais depuis longtemps
que ce que j'ai et ce que j'espère
est moins qu'infime.
L'anarchiste des feux de bengale
Je suis l'anarchiste des feux de bengale
l'anarchiste unique, celui qui demeure et
qui passe:
j'ai eu des noms en lesquels dormaient les
fruits
des coeurs précieux. A toute heure
je travaille,
et spécialement quand les gens affirment
que je ne fais rien. Je sais laver mon âme
sur le papier et rien d'autres, poser des
bombes minutées
dans les villes que je sens dans mon dos,
chercher avec l'oubli les chatouillements
d'un amour
que je préfigure à distance
et à travers tout cela
continuer à être partout celui
qui s'en est
allé.
Parce que je suis
l'anarchiste des feux de bengale. Chaque fois
que j'en allume un ton coeur
et mon coeur s'éteignent.
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Le théologien
dissident (traduit de l'espagnol par Jean-Luc
Breton)
Atelier La Feugraie
14770 - Saint-Pierre-la-Vieille
LE PORTE-PAROLE DE LA FAMILLE
Comme j'écris pour te dire que je sais
que tu es mort, je ne mets aucune adresse, mais, comme je suppose que tu
ne me liras pas. je m'épargne les excuses. C'est étrange,
remarque je pensais que tu ne mourrais pas. Et je sais bien que parfois
tu disais qu'à tes yeux les fenêtres étaient mortes
ou (je ne me souviens pas bien) qu'elles se faisaient petites et froides
entre tes doigts et qu'à cause de cela tu les as jetées dans
une de tes poubelles; oui, je me souviens que parfois tu disais ce genre
de choses, et que tes phrases semblaient faites d'un verre qui gardait
incrustées des prisons de silence, et maintenant que je m'en souviens
je pense que nous aurions dû nous en douter. Deviner que si tu disais
que l'ombre était un automne et que tu en étais les blessures,
c'est que l'ombre était ainsi, ou qu'on faisait bouillir des corps
d'enfants dans tes yeux, c'est qu'on les y faisait bouillir et que ça
te faisait souffrir. Oui, je suppose que nous aurions dû le deviner.
Quoique, évidemment, moi aussi j'ai dit ce genre de choses, tu le
sais. Quoique, c'est vrai, nous avons été très différents.
Non, ce n'est pas que nous nous sommes mal entendus, mais, même si
nous étions frères, nous ne nous connaissions pas bien, je
le crains. Ce sont les autres qui m'ont appris à te connaître.
J'ai appris le centre illuminé, les bars et la nuit, les passages
faits d'alcool, faits de corps. Et pour moi donc les croix et les martyres.
Je n'ose pas, je ne veux pas penser que tu as eu plus de martyres de les
avoir gardés pour toi, mais parfois, tu me croiras si tu le veux,
je pense bien que les choses auraient pu se passer autrement et qu'alors
il aurait été possible de marier ta nuit à ma nuit,
après l'avoir abstraite, et de faire eau par les yeux et par les
mains. J'y avais pensé plusieurs fois
nous partagions la même chambre, et
nous étions dans des mondes différents. Je ne sais pas. Tu
sais déjà pourquoi je t'écris, les choses fausses
et belles qu'on dit dans les moments critiques. Aujourd'hui, dans ce piège
où je n'ai pas de larmes non plus, je te vois aussi finalement comme
un fantôme qui ne disait plus rien et qui était des cellules
gardant d'autres cellules faites de défaites et d'incendies. Je
crois qu'alors tu n'écrivais même plus, cette étrange
passion qui illuminait ta vie. Mais dans la solitude et le silence toujours,
toujours aussi sans faire de bruit. Mais je crois, oui, que tu tissais
seulement des lignes noires, sans cesse, obstinément. Lorsque parfois
j'allais te voir, tu plaçais une phrase. Je me souviens d'une: la
seule battue est celle que tu fais de toi-même, mais ça fait
longtemps que tu l'as perdue. Ensuite tu souriais, et par ce sourire je
crois que tu disais que je ne te prenais pas très au sérieux,
que ceci, comme tout le reste, était aussi un mensonge. Des fois,
lorsque papa venait, tu plaçais des trucs de démons, de nichons
et de culs. Ça déplaisait à papa. Ça, il ne
l'a jamais oublié, tu finiras par abandonner à mi-parcours
de ta jeunesse ou une fois ta jeunesse dans ton dos, et tu lâcheras
tout ça. Tu avais des dispositions. C'est ce qui t'a perdu. Plus
que les autres, dit l'une des filles. Et vous les avez épuisées
par vos bêtises. Bien sûr, c'est celle qui t'aime beaucoup.
C'est la seule qui ait su quoi faire: voici deux jours qu'elle pleure.
Nous ne nous en sommes pas rendus compte, remarque. Nous étions
occupés à ce moment-là comme à tout autre.
Je t'écris parce qu'ils me l'ont demandé, et maintenant je
pense que l'ombre peut commencer maintenant, au moment où je me
rends vraiment compte que je le fais pour te dire que je sais que tu es
mort, et que je ne mets pas d'adresse sur l'enveloppe.
Un article sur "Le Théologien
dissident" a été publié sur Poesibao
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Les poèmes de Santiago Montobbio
fourmillent de phrases bien frappées qui font penser à des
aphorismes. Je n'ai pas pu résister au plaisir d'en traduire quelques-unes,
arrangées à ma façon, que j'ai cueillies à
travers la lecture de son oeuvre déjà abondante:
La parole est l'unique descendance des orphelins,
à moins que ce ne soit un coup de feu dans le soir.
Le meilleur des promesses est le plaisir que
cause leur transgression.
Publier un livre, c'est comme prier de l'intérieur.
Celui qui chante la solitude de la pierre
n'aura jamais l'ingénuité d'espérer que quelqu'un
le comprendra.
Qui a le temps de vivre, possède aussi
celui d'écrire.
Personne ne se fait plus d'illusion que le
voyageur de commerce. (Il n'existe de voyage qu'intérieur).
Le silence, s'il ne donne pas la sérénité,
évite l'ennui que causent les malentendus.
Un adieu en forme de silence revient à
dire qu'en aucun lieu on ne peut chercher celui qui le prononce.
Les ombres ne veulent pas commettre la faute
d'être des ombres et c'est pourquoi elles se cherchent des amants.
On ne peut croire qu'en celui qui échoue,
en ce petit homme triste vêtu de peur et de froidure.
La solitude, cette fleur sèche, est
notre unique bâillon.
Les yeux du poète ne s'accordent pas
à ce qu'il regarde.
La solitude est une frontière où
grelotte notre nom et au delà de laquelle il n'y a que l'enfer.
Le poète est une réunion de
noms qui s'amenuisent, une réunion de noms et de pauvres étoiles
chues frigorifiées, tandis que son ombre cherche, tout en la blâmant,
une terre dont le destin est un bâillon.
Songer à Dieu, pendant le jour, pour
espérer que, la nuit, il pardonnera la faute de ne pas être
heureux; l'insomnie porte la griffe du diable.
Les Dieux n'aveuglent que ceux qui veulent
l'être.
Publier un livre, c'est passer du silence
à l'oubli.
La calligraphie de l'amour, comme celle de
la vie, est tissée de papillons et de sang.
D'autres textes de cet auteur sont ici
L'arbre à Paroles
les routes
vois-tu
n'ont plus de confins
ne suis donc
pas
les signes
sans desceller
une à une
les pierres de l'oubli
et si tu dis
l'absence me confirme
ne t'écarte pas
reviens
une pluie aussitôt
sèche
point de goutte
pour indiquer
la pente
qu'ont donc
les pierres
à retenir si peu
l'eau
...
à revenir
les grains eux-mêmes
s'usent
...
Un autre extrait des textes de cet auteur
est ici