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Ediciones Trea - Aforismos
Sous les toiles de Rothko
La couleur estompe les limites de la réalité
et du rêve.
Sentir la vibration du songe dans les nuances
des ombres.
L'intuition authentique de l'artiste, c'est
l'oeuvre.
Toute décision en peinture est un monologue
où personne n'entend personne.
L'expérience ineffable d'une tache
blanche dans la mémoire.
Peindre ce qui nous dépasse nous rend
plus tangibles.
L'art n'est ni dans la peinture, ni dans la
sculpture, il est dans la nostalgie de la beauté.
Les musées collectionnent des fragments
de visions.
La composition abstraite abolit les
frontières de l'existence d'autrui.
L'art est un anachorète de l'esprit.
Un trait mythique est sous-jacent à
toute création.
Un tableau agglutine un nombre incommensurable
de métamorphoses.
Le dessinateur s'efforce de saisir la transitivité
des choses.
L'écho de la beauté ajouté
au lyrisme de l'abstraction.
Il existe des tableaux dont le silence est
plus audible que les traits.
Le peintre est un passager silencieux de la
couleur.
Le peintre est un satyre châtiant son
oeuvre.
La douleur visuelle et mentale tresse une ligne
dans le lointain.
L'oeuvre d'art, une métaphore manipulée
par le temps.
Il existe une peinture que l'on doit seulement
voir avec ce qui est absent.
Le murmure de l'espace incite à la
calme solitude de l'artiste.
Quand je peins commence ce que je suis.
Chaque tableau explique, à sa manière,
le collage poétique du monde.
Les couleurs murmurent pour s'estomper.
L'art s'enfonce dans la mélancolie
quand il abandonne ses dieux.
La peinture est une transfiguration de l'apparence.
Les multiples silences d'une tache de couleur.
Toute peinture porte à l'intérieur
une lumière immanente.
Les ébauches contiennent le mystère
et la magie de la mémoire.
Graffitis
Le pouls de la rue pris ici et là en lieux espagnols
Tu peux empêcher à un politicien
de voler, mais pas d'être un voleur.
Le politicien, comme Dieu, parle mais ne répond
pas.
Le grand mythe de la politique est l'ingouvernable.
Les valeurs politiques sont posthumes.
Le socialisme est entre des mains privées.
Être marxiste est une excuse pour ne
rien posséder.
La politique est aussi instable que la bourse.
La science va avec l'explication et la politique
va avec la manipulation.
Les politiciens sont comme les poules, sauf
qu'ils engraissent mieux et pondent moins bien des oeufs.
La tragédie du socialisme, c'est de
croire qu'il est un rêve compréhensible, mais à la
fin tout de même rien qu'un rêve.
Les corrompus ne pissent pas seuls.
Nous n'en avons pas assez de la démocratie,
ce que nous voulons, c'est Robespierre.
En politique, le silence est l'exception;
l'égoïsme et le cynisme la règle.
...
D'autres textes de cet auteur sont ici
Cahiers de Rochefort - 8ème série - N° 6
Une fleur rouge...
Une fleur rouge dans un pré
c'est l'hiver et il neige
le ciel est bas
quelqu'un pleure sous la lampe
des étincelles de bois trouent l'abat-jour
les feuilles s'envolent
l'arbre est tombé de haut
toutes les bêtes et les hommes
battent en retraite
la fleur fanée rouge sang
Où sont les morts
on respire à peine...
Si l'un d'eux appelle
qui l'entendra.
Je vous écris d'Occitanie
Martin Michel Brigitte Annie
amis aux nos d'ange ou de saint
je vous écris du Limousin
où ciel et sol me sont cousins
depuis Saint-Martin-La-Méanne
dans cette poste même qui
contient la chambre où je naquis
en mille neuf cent trente cinq
d'une Marie et d'un Antoine
et où ma mère hélas mourut
sans que jardin foirail ou rue
n'en portent pour autant le deuil
je viens vous dire qu'à mon oeil
selon ce que Martin m'indique
pour bien mener ma vie pratique
j'ai fait deux parts à l'existence
une moitié pour le salaire
que j'ai voulu non militaire
et l'autre demie bénévole
donnée sans prix ni récompense
la poésie après l'école
même s'il faut pour changer l'homme
sans l'aller dire jusqu'à Rome
qu'on soit prisonnier ou gardien
parfois trancher le noeud gordien.
D'autres textes de cet auteur sont ici
et ici
Encres Vives - Collection Lieu
(Espagne) - N° 274
L'Amoureux
Orage
... Sens le parfum de la mer enfin apaisée par l'orage! Elle témoigne de nos luttes nocturnes sur le lit qui est le champ de bataille des hommes et des femmes de paix! Hommage à la Femme d'Espagne Quand tu traverses la place d'Espagne
Tu es pareille à la terre qui ne
cesse de produire!
Or, tu es la femme d'Espagne,
|
Encres Vives - Collection Lieu
(Mexique) - N° 296
Marie-Solitude
et Marie-Saule
Ô Marisol
J'avais conclu, il y a plusieurs lustres,
Ô soleil de la Sierra Madre,
Quand le soleil se lève sur Acapulco,
|
Encres Vives - N° 414
J'ai grandi dans les linges de la neige
J'en ai gardé le goût du silence
De l'infini de l'absolu
J'ai cru
Aux soudaines métamorphoses
Qui émerveillent
Au règne de la beauté
A ma légèreté aérienne
de la vie
A sa profondeur aussi
Son silence était le gage
D'une vie profonde
Elle descendait du ciel
Se confondre avec le rêve
Avec l'oubli du temps
L'âme prenait de la hauteur
Dans sa blancheur infinie
Elle était repos et respiration
Aujourd'hui
Je voudrais qu'il neige dans ma parole
Fourrure
Qui frôle
Et caresse
Et se pose
Avec des grâce de chat
Insaisissable
énigmatique
matière
qui descend
en paillettes
et fait plier les chênes.
D'autres poèmes d'Annie Briet sont ici
Encres Vives - N° 415
Le gardien du soir
Il reste un trou
d'où j'ai enlevé des pierres
qui luit étrangement
comme un soleil hivernal
ou une explosion sous la peau fragile du Nord.
Il faut y remettre des fragments du Bouclier,
ceux que nous avons apportés en offrande
quand l'hiver a fondu sous la pression
de nos désirs affamés.
Andrea Moorhead, de souche allemande et normande, est née près des chutes du Niagara.
Un autre texte de Andrea Moorhead est ici
Encres Vives - N° 416
On marche sous ce qui fut soi-même, luttant dans sa propre substance: l'autre qu'on a été.
La lune oscille à l'horizon, poussant le balancier d'un immense pendule sur nos nuques.
Savoir mourir à chaque instant, une étincelle sait cela.
Nous tenons des nuits rondes enfermées dans leurs fruits.
La nuit n'est pas la nuit quand le corps est poème.
Fuir à travers l'abîme est la loi du poème.
Il faut réinventer l'énigme...
D'autres textes de Pierre Colin sont ici
Prix de la presse poétique 2012 de la Société des Poètes Français
Bergerie
Avec une lenteur où bouge un paysage,
Les clochettes à brebis du songe
Prétendent descendre des montagnes
Et l'âme, animale et sereine,
Sous les cyprès que la brume amenuise,
Rumine une voix dans sa laine,
Une voix d'eau blessée pour épines,
Une voix de fruits pour l'eau des plaines
Une voix d'eau tendre pour Beethoven.
Même si j'étais mort
La voix serait toujours
En tout bosquet bienfaitrice mutine.
Je me suis depuis lors
Fait mendiant d'images.
Nul noisetier, nul trèfle me me refuse.
Ce que je vois
Ce que je vois: sur la page un grand mur.
Je vois le mur, je ne vois plus la page.
Et sur le mur se dessine une porte.
Je vois la porte et ne vois plus le mur.
J'ouvre une porte, une autre m'apparaît,
une autre encore... et quand vient la dernière,
je frappe en vain - mais quelle est cette
porte?
Je me retourne et voilà qu'elle s'ouvre.
Je vois ainsi mille portes s'ouvrir.
Que m'advient-il? Chaque porte est visage
d'un ami mort, d'un frère disparu.
Avec lenteur les portes se referment.
Tout disparaît. Il n'est plus que le
mur
et qui s'efface. Il n'est plus que la page,
la page nue et moi qui la regarde.
Extrait de "Les Masques et
le Miroir", éditions Albin Michel, 1998.
Il y a beau temps que le soir est tombé
Il y a beau soir que le ciel est plombé
Il y a beau ciel qu'est partie la lumière,
Il y a beau jour qu'est tarie la rivière.
Voici cet oiseau passer bas sous la nue
Il faut partir et rentrer dans le noir
Il n'est plus temps de chanter dans la rue
Il est trop tard pour chanter dans le soir.
Les arbres dorment comme un corps inerte,
Un papillon se hâte vers sa perte.
Seul, sans recours, il faut fermer les yeux
Et tout au fond du noir creuser vers Dieu.
Extrait de "Jonas", Éditions
Gallimard, 1962.
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Hugues
Eta
Partir à la conquête du temps
La poésie entre
La porte s'ouvre
La poésie est là
La porte s'ouvre encore
Poésie
les portes sont ouvertes à la porte
La nuit est d'os
Le jour est d'eau
De chair
Le jour qui meurt plusieurs fois
Pour faire chair la nuit
Nuit hors de ma portée
Je me plante sur une île
Le jour s'en va
La nuit s'en va
Le jour et la nuit s'en vont
je suis l'île
Hugues Eta est un poète
congolais.
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Gérard
Paris
Fragments
Voix, poème de l'achopement de l'inconscient...
Minorations du corps, macérations de l'intime...
Territoires informes et modelés...
Suaire, cénotaphe, tombeaux: enfouissement, avilissement et révélations des ors et des chairs...
Je me constitue, je m'échafaude, je suis en avance sur ma propre vérité...
Mon corps me hurle, mon être me chante...
Les pilotis de l'être ou le surplomb de l'abîme...
Des cendres au dévoilement de l'intime...
(au dévoiement)
Mort et vie s'entrelacent dans une spirale de feu et de cendres...
D'autres fragments de cet auteur sont ici
Équateur
Feu tournant de l'automne on passe l'équateur
que de cheveux blancs sur mon coeur
et de grisaille au fil du monde.
Voici que s'allonge mon ombre
sans que j'ai vu surgir le blanc cygne de
Dieu
et le blanc sein du bonheur.
Au plaisir mon enfant ma soeur
soleil septembriseur adieu
mes rêves sont passés au bleu.
18 avril 1942
D'autres textes de T. Briant sont ici
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André
Fournelle cité par Serge Bouvier
Les couleurs
Le noir: couleur illusoire, surtout la nuit
Le blanc: est sans doute une absence de toute
couleur
C'est également illusoire
Le blanc est l'ensemble de la palette
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Amédée
Guillemot
Regrets
Comme les grains sur la colline
viennent se fondre au même pain
comme la treille en robe rouge
mûrit pour nous offrir le vin
j'aurais aimé pétrit la pâte
et goûter la saveur du vin
hélas mes doigts n'ont plus de sève
et ma gorge ne sent plus rien
que le parfum gris du silence
juin 1998
D'autres textes de A. Guillemot sont ici
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Angèle
Vannier
Arc-en-ciel
Entre la pluie et le soleil
L'aveugle touche l'arc-en-ciel
L'aile le respire et l'écoute
Sans s'étonner que sur sa route
Un bras ami des yeux du coeur
ait envoyé les sept couleurs.
Je dis Violet quand les statues
Rêvent de Pâques revenues
L'Indigo sur ma langue passe
Quand je la passe à l'eau de grâce
Où la boule miraculeuse
Fut plongée par quelle laveuse?
Je dis Bleu quand les hirondelles
Reconnues au bruit de leurs ailes
Rentrent au nid de ma tourelle.
Je dis Vert quand un vent de feu
M'incline du côté de Dieu
ET Jaune quand les chanterelles
Chantent dans ma forêt fidèle
Mieux que noir parfum des airelles
Et je ne murmure Orangé
Que tête coiffée du clocher
De mon église sans péché
Sous l'arceau des arbres sacrés.
Mais je dis Rouge quand ta voix
Couvre mon cœur de son velours
Comme effeuillement de dahlias
Qui vraiment n'en finiraient pas
Je dis Rouge quand ton amour
Se met à traverser ma nuit
Selon ce mouvement bénit
Du flot vers la plage allongée
Se met à chavirer mon lit
De ses vagues illimitées
Plus hautes que raz-de-marée
Plus larges que largeur des mers additionnées
Et plus profondes que sanglots des chairs
noyées.
D'autres textes d'A. Vannier sont ici
Chant du royaume des langues coupées
A D. S.
Pauvre enfant sans père
qui n’a pas demandé à naître.
Enfant né d’un ventre loué comme
une poubelle.
Enfant du vacarme et de la folie.
Enfant conçu dans la ruse et la cruauté
abyssale
Enfant martyre fêté sous
les pleurs diluviennes
des déités du ciel irrité.
Otage de trois jours
baptisé dans la boue, le stupre et
la vodka.
Enfant du mensonge et de la haine d’autrui.
Enfant de la sorcellerie d’une caricature
de chamane.
Enfant de l’asphyxiante fumée qui le
fait tousser,
dans le lupanar monotone.
Enfant de la jalousie, de la violence et de
la pourriture
qui galope en silence sous son berceau.
Enfant de Satan nourri au lait de vipère
et au luxe obscène blanchi par la cocaïne.
Eternelle présence des choses tues.
Puissent tes stigmates te rendre
l’innocence de l’azur.
Je chante, dents serrées, pour demeurer
en vie.
Sous le sourire, il y a une langue coupée.
Fragment, traduit du
roumain par Leonora Campbel
Mon père compte les avions
Ma mère dit que,
quand ils ont fini de dîner,
mon père s'assied dans un hamac sous
le porche
et se met à compter les avions qui
traversent le ciel nocturne,
peut-être en fumant une dernière
cigarette à la brune.
Certains avions volent bas et décrivent
des cercles énormes
en attendant l'autorisation de la tour de
contrôle pour atterrir.
D'autres sont seulement de toutes petites
lumières au fond du ciel.
Mon père compte les avions.
Je l'imagine assumant l'aliment de sa perplexité
en ce temps de mécontentement.
Je l'imagine scrutant le miroir convexe du
ciel.
Je l'imagine ouvrant la profondeur de la nuit.
et s'éloignant chaque fois plus des
souvenirs,
comme s'ils étaient des lettres écrites
dans une langue inconnue.
Mon père compte les avions, observe
et attend.
Extrait de son livre: "Soliloquio
del auriga" - Avila, Falsirena, "Papeles de Recanati", 2013
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Marcos
Matacana Martin
Montagne
russe
"And the big wheel keep on turning neon burning
up above"
Dire Straits
Une nuit
Oh une nuit douce
Irréelle et électrique
Attiédie de lumières rosées
Une nuit estivale brève et copieuse
d'astres resplendissants reflétés
Dans le lac mouillé des yeux
Et nous fumions
Et tout était encore possible
Et une douce odeur de coton et de mer émanait
Dans la félicité fugace et éphémère
D'un interminable été adolescent
Ivres de confiante impertinence
Hautains
Dieux
Sourds
Avec la peau faiblement salée
Et tremblant d'impatience
Nos corps pubères voraces
Trompeusement
Amoureux
Tien An Men avait pris feu
Sur une mer de cristaux rouges
Brisés
Et avec son profil de serpent russe
La montagne ou le dragon chinois
Tonnait d'un grondement vibrant
Cathédrale oxydée
Parmi les cris infantiles stridents
Aiguisés de terreur et de plaisir
Frémissants et étouffés
De temps à autres
Par le bruit cadencé des vagues
Dont le ressac d'algues et de verres de plastique
battait
Contre le vieux môle du port
Et c'étaient nos vies
Ces deux wagons qui montaient
Lentement
Anxieux de se précipiter
Sans comprendre aveugles même
Qui après la descente
Vertigineusement inévitable
Attendaient la fin
de la nuit
de la fête
de l'été
de l'amour
et de la vie.
D'autres poèmes de cet auteur en espagnol
sont ici
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Jesús
Cárdenas Sánchez
Laisser
tomber l'unité
Il veut être un poussier de poussière
de plus,
un agrégat de molécules réunies.
Il veut disposer d'une chambre
illuminée, d'une effervescence chaude,
faire partie d'un groupe,
sortir à la rencontre de la multitude
jusqu'à devenir insupportable.
Il s'éloigne des actions isolées
Il s'informe des réunions locales,
Il s'inscrit au gymnase, à l'apprentissage
des langues, aux ateliers.
Il va au devant des réunions amicales,
se fait pilier d'un bistrot ou d'un bar.
Il cherche à être un murmure
de la vie,
à tomber dans ces pièges communs.
Il cherche dans les forums, dans les chats
entre égaux,
l'indication des paroles qui se marient.
Il cherche, en fait, l'équilibre dans
les autres,
quelqu'un à qui pouvoir maintenant
s'accrocher.
Même alors il ne rend pas grâce
à la vie,
il ne cessera d'être une chimère
que devant une bonne nappe
avec dessus un couvert et un verre.
D'autre poèmes du même auteur
en espagnol sont ici
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Ricardo
Pochtar: Le reste du hasard
Amargord - Madrid - 2014
Là
tu les as
Pour Olivier M...
Arrivent
des oiseaux si singuliers
qu'on ne sait pas comment ils volent:
ils sont obliques
ils ont des ailes tranchées en biais,
leur manège dans le ciel
est différent.
Parménide
S'il avait observé
une volée d'étourneaux,
par exemple,
il aurait vu des parties de l'être
qui entrent et sortent
du principe d'identité
comme de rien;
s'il avait baissé les paupières
il aurait découvert
dans un coucher de soleil
un néant couleur d'orange.
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Augustin
Delgado: Si moi j'avais
un balai
Cuadernos de "El Bardo"
Si
moi j'avais un balai
Toutes
les choses de ce monde,
toutes. Je suis en train de regarder
derrière la fenêtre où
brille encore le soleil.
La pupille défigurée, je regarde
toutes les choses qui sont proches. Si seulement
je pouvais avec le soleil entre les mains
par deux rayons, les défaire,
affirmer que je suis vivant.
Ici, au plus près. En me levant
je parviendrais à les fouler, si je
voulais.
On me l'a déjà dit: "Tu as
toutes les choses de ce monde, toutes."
Mais pourquoi aimé-je
cette ombre de jeunesse, pourquoi?
Le soleil continua de refléter dans
le miroir
de laides images du temps où nous étions
enfants,
des baves.
Ils nous laissèrent regardant avidement
comment c'était que de tomber, comment
dans l'air
il n'y avait rien qui vaille la peine.
- L'air ne tenait pas dans le miroir. L'énergie,
la certitude d'une vie meilleure,
ne tenaient pas dans le miroir -
Ils nous laissèrent devant
souvenez-vous: des gouttes
de sang glissant
le long de la figure. Rien déjà
n'existait.
Toutes les choses de ce monde,
toutes. Et c'était vrai. Aux pieds
de ce cadavre de jeunesse s'en vinrent,
se déposèrent, et avec quel
amour,
les objets les plus beaux, les fleurs
qui tant nous plaisaient avant de mourir.
Tout était vrai. Je continue à
regarder
derrière la fenêtre si le soleil
y brille encore.
D'autres textes de ce poète sont ici
Une page sur Augustin Delgado
est ici
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Delfina
Acosta : Vers pour cette planète
Notes
essentielles
Je compte la bise, l'air, le sol,
la brume, les géraniums, et la rosée.
J'additionne l'herbe, le soleil, l'ombre nouvelle
de la récolte convertie en blé.
Je note les aurores, les brins, les branches,
le feu,
les crépuscules, les madriers et les
navires.
Je m'emploie à n'oublier aucun silence,
la moindre demie voix, aucun témoin.
Et je sais maintenant que je suis encore fautive
avec bien du monde. Voici mon livre :
l'écoulement du jour innombrable,
du temps où se turent les aubépines
afin que les amants se parlassent.
Ma parole peut davantage que l'oubli.
Il s'écrit beaucoup de choses, mais
on oublie
dans la pénombre, un aboiement,
les draps récemment défaits,
et cet amour qui naît clandestin.
L'ouvrage où se trouve ce poème a été publié par Portal de Poesia. On peut le lire ici
Un autre poème de cette auteure paraguayenne
est ici
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Miguel
Martinón : CURSO NATURAL (Cours
naturel)
Ediciones Idea, "Cámara clara", Santa Cruz de Tenerife, 2014
Matin étranger
(Manhattan, New York)
De l'autre côté du carreau
là si proche
dans l'encadrement de la fenêtre
aux aguets dans sa toile
l'araignée immobile
continue d'être la même araignée
qui tisse l'air sans répit
l'âme de la matinée.
Les foyers palpitent dans les cours ils palpitent
dans l'humidité qui ne trouve pas le
sommeil.
A chaque pulsation le temps se construit.
Là sont les choses
proches mais si distantes
simples mais innombrables.
Des fenêtres scintillent.
L'oxydation en aucun moment ne s'arrête
de corroder l'auto abandonnée.
Soudain une persienne brille.
Sur un rebord un chat s'avance
saute dans une cour
il se dandine prudemment
entre des déchets corrompus
chaque pas est un degré de l'échelle
du silence
qui devient à chaque fois un peu plus
dense
chaque fois un peu plus visible
dans l'air de la nuit.
Le site de Portal
de Poesia
Gattomerlino
Moi j'ai écouté
cette voix, moi je t'ai entendu, je t'ai écouté, je le sais,
c'était toi,
dans ce lieu que moi j'ai
vu, moi je l'ai vu et je le sais, mais... où?
A Rafael Gallo Paredes
Je réinvente le rêve
d'une ville inconnue
d'une grande cité en l'air
suspendue à l'envers.
Elle est le lieu de nulle part
que j'atteignis sans temps perdu
et sans boussole, en te cherchant.
Tu étais celui qui ne savait pas
s'il tenait les pieds bien plantés
sur le sol en morceaux
ou s'il montait au ciel
d'une ville ignorée des cartes.
C'est arrivé cette nuit
J'ai cru entendre que tu m'appelais
depuis le fond d'un abîme
et je m'inclinai
pour épier à travers
les rainures de la terre.
Ici, dessous les ombres
de ma nuit et de mon sol
ils se cachaient.
Janet Nuñez est une poète colombienne qui vit en Espagne.
D'autres textes d'elle sont ici
L'Harmattan
...
A peine le vent
frôle-t-il
nos murmures
que des puits d'amour
cousent nos lèvres
de baisers ardents
L'écho songeur
des mots susurrés
sur le tapis des joues
de l'iris de vérité
L'écho bref
de nos visages
rejoint le silence
des étoiles
qui parle notre langue
Nous prenons corps
Et perdons voix dans l'oubli des tombeaux. |
Encres Vives - N° 417
Encres Vives - N° 418
Sous la morsure du vent
...
N'être qu'ici tenu
à la lenteur de l'air
à ses miroitements sonores
au souffle qu'on n'entend pas
se lever au fond de soi
écouter chuchoter la terre
entre les pierres du chemin
sentir comme le ciel respire
comme l'obscurité monte
par les grappes veineuses du branchage
voir les fentes lumineuses du soir
effleurer le remuement de l'herbe
s'enflammer au delà du champ
les bruns sur la cendre de la couleur
dont la nuit renaît
...
Extrait de l'amont et l'aval
(1994)
...
l'oeil se peint fruit
accepte la bouche
en offrande au coeur
l'oeil jamais ouvert
est la pierre
des deux sommeils
la patrie
des deux ombres
...
_____________________________________
Profonde
la lampe d'autrefois
Encres Vives - N° 437
Être là sur ce bord de la vie
à écouter tomber la pluie
dans l'obscurité d'un jardin
à retrouver son temps intérieur
sous le martèlement délicat
des gouttes
seul avec soi-même
pareil à l'enfant
qu'au milieu de la nuit
éveille le battement d'une rose
D'autres textes de ce poète sont ici
Encres Vives - N° 419
...
La mort a la mémoire
des profondeurs
Nous rencontrons la nuit
dans l'agonie des jours
...
Le coeur de la pierre
c'est le silence
...
Toutes les portes
condamnent
au silence
...
Tout est silence
dans la mort attentive
...
Il faut la patience
des horloges
...
Un autre poème de cet auteur est ici
Encres Vives - N° 420
Une aile avec des cordes métalliques
transforme le ciel en feu
Les doigts signent pour changer les courants
Dans la salle en bois l'instrument grandit
Qui dépasse tout recompte des strates
Car au bout du vide un refrain s'enroule comme
un galet dans un filet de mica
Le poing de la musicienne est en rythme
Il va trouer la voile et les accords
Ajuster la tension de l'horizon
Croire au phare englouti qui se relève
Encres Vives - N° 422
On marche sans s'en rendre compte
dans les chaumes, dans l'été,
dans l'étourdissement
On met un nouveau nid à l'églantier
parmi les refrains discrets
donnant pitance
aux oiseaux de l'aube
La voix lente des rivières
va au travers des platanes
des reflets et des songes
Elle dit la lumière de la glaise
la fragilité des fleurs
le voyage des siècles
et les bonnes liqueurs
Elle dit le vol bleu du feu
et la semence primordiale
D'autres poèmes de Michel Cosem sont
ici
Rougerie
J'écoutais le requiem de Brahms et je
voyais
s'assembler les planches de mon cercueil
dans une sombre menuiserie
j'entendais menacer les timbales avec véhémence
tonner les mâles chanteurs
je m'enfonçais dans la fosse profondément
A la faveur d'une séquence apaisée
j'émergeais des sables sur la lande
de Lüneburg parmi quelques personnages
en redingote noire auxquels Caspar David Friedrich
faisait prendre l'air
Au village des ancêtres
C'est bien le même endroit
qu'il y a soixante ans
avec plus de choses dessus
plus de monde dessous
plus de monde que je connais
C'est bien le même ciel
qu'il y a soixante ans
mais plus personne dedans
L'étoile du soir
a beau trouer ma fenêtre
et me faire voir une fois encore
comme elle sait trouer l'ombre
je veux l'ignorer comme toutes ces choses
qui consolent si faiblement
persuadé le plus souvent que tout est
là
sans bonnes raisons
Librairie-Galerie Racine
Mémorial des amants
L'estampe se cale dans la police de la dormeuse
jardin semé de pots, de jarres gloutonnes
d'où émergent
placides comme des instrument à vent
des crânes funèbres
avec leur voix, leur monde sans mentonnière
et leurs rires décolletés en
absence.
L'image se mêle au noeud coulant de
la dormeuse:
plant d'hommes, verger funeste
d'idoles et de faux-semblants,
d'une famille exorbitante,
de sa manie incoercible d'amants,
tous morts, occis absolument,
avec leurs fronts en tube de blanc
tournés à présent vers
les guichets auxiliaires de la terre.
Levée de terre par les racines de ses
cheveux,
par les figures adventices de sa tête
entrelacée au matricule de la dormeuse,
aux bacilles de ses peurs,
avec la salive des exécutés.
Marché de masques, de crânes crottés:
théâtres âgés.
Un clou sur la tempe: avis de mort du passé.
Et voici que sa cervelle, creuset stérile,
une fois encore s'anime pour des ébats
de bouc et de chèvre
qui s'entre-dévorent et s'entre-déchirent
comme si elle était vraiment en vie.
Silence en Bourgogne
Le treillis tendre des peupliers, les hauts
murs
où se cache minutieux le temps pépiniériste,
les collines très loin de l'ancien
château,
les communaux objets de litige, le charron
s'est rompu un membre il tourne
lent autour des roues jaunes,
la charrue, le coq près du pressoir,
l'étang au-dessous des tuiles vernissées,
tremblantes dans l'eau parmi les feuilles,
et sur la haie les vignes, le chardonneret.
Bonheur rouge des vignes en automne.
On a rentré le sulfate de cuivre, les
hottes.
En hiver tout est clair et se délimite.
Répit, répit. Les chansons chauffent
les grandes salles.
Éditions du Cygne
...
Je sais qu'il va venir
Pas un nuage dans le ciel
où planent les éperviers
J'emporte le calice du thé
pour un feu de camp
Une aube de jasmin dore les profondeurs précédant l'éveil. Le destin forge ses épées avec une lenteur insoupçonnable. Puis les rapaces, en rafales, nettoient les os du passé. Très loin d'ici, un seau rompt sa chaîne, au fond d'un puits. Sans savoir pourquoi, les feuilles du tilleul trembleront longtemps de peur.
Il invente les paysages en marchant
Hauts matins translucides
Après-midis éternels
Sa chair salée a une odeur de palmes
et de fruits écrasés dans l'herbe
Lorsque nous adorons les astres
son dieu adouci nous observe
tapi dans les branches complices
Les aveugles savent ce qu'on leur cache. L'époux ferme les yeux, pour mieux se perdre dans le tourbillon de ses doutes.
Avec l'Élu harpe vivante
c'est toujours
le premier matin du monde
chèrement reconquis
Autour de nous des larves enfantent
de vies en vies glauques
pas même surpris
de jouir et de mourir
D'autres ont dévoré le fruit
puis jeté le noyau de la Connaissance
__________________________________________
L'or des étoiles
Éditions du Cygne
Allégeance à l'aurore
Les pires abîmes avaient engendré
l'entrelacs de nos chemins
Nous célébrions la transhumance
des esprits
à travers les mille scintillements
de la matière,
les métamorphoses du cosmos vers la
lumière.
Nous célébrions l'ascension
de l'âme vers le soleil,
la contraction de l'univers avec ses graines
et ses pierres,
ses racines et ses tombeaux.
Les énergies célestes se cristallisaient,
à nos pieds.
Un grand oiseau blanc prenait son envol
au-dessus des collines constellées
de fleurs.
Puis il traversait au ralenti le ciel du crépuscule.
Un soir nous vîmes
dans l'embrasement d'une éternité
provisoire,
la chevelure et la queue d'une comète
en flammes,
trop près du soleil.
Nous nous épuisions à inventer des paysages
théâtres de rêve pour insectes hurleurs.
Nous nous gavions de fruits
et de sagesse végétale.
Puis nous reposions
enlacés sous nos huttes de mots.
Parfois un grand aîné nous quittait
pour qu'émergent de nouvelles générations.
Lorsque la tenture des cieux criblés
d'astres
commençait à frémir,
nous fermions les yeux
pour mieux la voir.
Le petit homme ne pouvait supporter
la suffocante beauté des moissons.
Il buvait et nous haïssait.
Dans l'ombre, au tranchant de la lune,
une flèche inconnue
nous perça le dos.
Cela advint comme un viol
avec la confondante simplicité
des choses inévitables
Le papier d'argent de la Croix du Sud
se froissa un instant
Puis le chant de la part d'ombre
redevint lumière.
Ayant retrouvé nos esprits,
nous nous fondîmes
dans l'harmonie universelle.
Puis nous appelâmes avec ferveur
le nouvel Homme, l'Homme des Astres, géant,
non par le corps
mais par l'âme
à la mémoire de constellation.
Tout est parfait,
depuis des temps sans commencements.
Le passage de ce poème
qui va de la ligne 3 à la ligne 8 fut écrit avec François
Augiéras. Il figure, en prose, dans Cosmogonie des pyramides,
paru dans le N° 4 de la revue trimestrielle Structure,
en janvier 1958.
...
D'autres poèmes de Francesca Y. Caroutch
sont ici,
ici
et ici
Tu es trop loin, c’est pourquoi je t’aime sans
me fatiguer
et quand vient l’aube je t’embrasse comme
j’embrasserais ma mort
et quand tombe la nuit je me cache dans ton
regard
qui ferme les yeux pour être avec moi,
alors, tandis que je m’éveille plus
près de toi
j’écoute l’aboiement d’un chien
qui rêve comme la musique qui demeure
fichée
dans ma faim de toi est le souvenir
d’une nuit dans la campagne qui s’est cloué
au-dedans de moi
tu es trop loin, c’est pourquoi je t’aime tant,
tu vis dans la sphère des possessions
intimes que je rappelle,
quand nous étions les maîtres
des ombres,
la trace de tes chaussures lève en moi
des milliers d’années
marchant comme en un miroir à la hauteur
de la bouche,
je suis né un jour où tu dansais
sous la pluie
tandis que l’amour en forme de feuille croissait
encore non contaminé par l’aiguillon
de l’automne.
Ce poème est extrait
du livre Le songe de l'amour, Hiperión, 2014
_____________________________________________
La
chanson de la brume
J'ai aimé la brume comme une jolie femme
qui m'attendait depuis toujours avec les bras
ouverts,
j'ai toujours aimé l'avoir à
mon côté, me coucher
avec elle nombre de fois j'a pu être
fidèle
au visage dolent du temps et de la vie,
j'ai aimé une flânerie sereine
dans une rue sans rien,
me perdant dans la brume saisie par les falots
comme en une prison de caresses obscures,
avec elle j'ai fui dans un pays indémontrable
où nous vivons tout seuls en amants
exilés
qui ne veulent revenir pour vivre dans la
vie,
j'ai tant aimé la brume en mon for
intérieur
qu'elle pourrait se confondre au regard de
la mort
qui mire mon visage pour en faire le sien
et en un jour inespéré, j'ai
caressé la brume
comme une femme depuis très longtemps
espérée,
j'ai touché ses cuisses blanches, ses
bras farouches,
son coeur d'eau qui mouille les mains
en proie aux sentiments qui semblent naître
dans la chair,
j'ai baisé ses lèvres avec bien
plus que mes lèvres
et me suis introduit dans son corps blême
comme un être perdu qui trouve entre
ses bras
une raison pour ne plus se sentir aussi seul,
j'ai touché la brume avec le passé
et le futur
et je l'ai aimée comme une femme
qui se mue en éternité entre
mes bras,
je me suis perdu en elle et j'y ai trouvé
beaucoup plus que ce que je désirais
en son chemin,
j'ai conçu ma douleur dans l'âme
de la brume
et ma douleur s'est perdue dans les recoins
humides
que remplissait de lumière la mi journée,
j'ai aimé
toute la brume de ma vie, toute la solitude
qu'elle
levait de mon âme perdue
en revenant mystère et peut-être
lumière énamourée
des couloirs morts de ma chair
où survit une espérance grâce
à elle,
une voix qu'elle obscurcit et me remet
la chanson que bientôt je serai.
Ce poème est extrait
du livre Le songe de la vie, Hiperión, 2015
Manuel Juliá est un poète
espagnol de La Manche auteur d'une trilogie: Le songe de la mort, Le
songe de l'amour et la songe de la vie.
Encres Vives - N° 423
Souvenir de L. G. G. (1987)
Il avait pris très tôt
le maquis du silence.
La balance est inégale
entre vivre et écrire,
son fléau stupéfie le poète,
lui fait des ses extases
rendre gorge, lui interdit d'ajouter foi
à ce qu'après il eût
écrit.
A-t-il communié ivre
à l'autels des ferveurs,
puisé sans retenue
à la joie du poème?
Il fait cesser l'abus dont il perçoit
le sacrilège,
comme celui en parcourant
Venise ou Rome qui s'écrie:
"J'attends ma punition
pour avoir vu tant de beauté"
Survivre devenait question de politesse.
L'oeuvre se tient debout comme une chute
étincelante issue d'un autre que le
moi
navré et souriant, qui s'excuse de
n'être pas
entièrement oublieux de lui-même.
Quand l'homme balbutie, l'oeuvre parle
à sa place. La vie est un glacier
de lenteur érosive, son crépuscule
un regard
maintenu comme la roue dorée
sur les montagnes à l'ouest.
Au final des ténèbres - jours
de juillet
quatre-vingt-cinq - dérive de voilier
de la Sainte Victoire en vue des Alyscamps,
telle la barque mortuaire au fil du Rhône
acheminant l'impavide dormeur
vers les rêves promis.
Léon Gabriel Gros: esprit aimant et
triste,
un coeur heureux blessé,
le gréement des poèmes où
son âme exerça
son rôle de vigie.
En forêt de symboles
...
Je la vois observer l'animal dans l'humain
lui tendre le miroir de son involution
rendre avec ironie ses oreilles pointues
effiler ses narines en un museau canin
Elle dissèque nos instincts en taille
douce
...
La mort est un surcroît de vie qui nous
échappe
...
A Monique Flosi, peintre et graveur taille-douce
2013
Encres Vives - N° 424
La
Porte de Bronze
A travers ta légèreté de bayadère je respire le parfum de l'amour antique et la fraîcheur de l'aube naissante à l'Orient! Pour mieux sentir l'insidieux arôme
Le seigneur Soleil sera suivi
|
Encres Vives - N° 425
Au large de Cuba, 1839
Le rivage spectral que vous avez quitté
voilà déjà quarante jours
et qui revient vous hanter dans la geôle
à fond de cale où l'on vous jeta
comme on se déleste du poids d'une
responsabilité trop lourde,
comme on ferme les yeux devant son miroir
pour ne pas voir la réalité en face;
la réalité de ces centaines
d'hommes, de femmes et d'enfants soumis au ferrement,
à la torture, à l'exil forcé
dans des conditions inférieures même à celles que l'éleveur
de bétail réserve à son cheptel.
Dans cette fosse traversant les mers;
il n'est de jour que dans vos coeurs battant
au rythme des tambours et des balafons,
de douceur qu'au souvenir des voix mélodieuses
des griots et des soras
pinçant les cordes de leur kôra,
de fraîcheur que dans l'âme des
rivières que vous étreigniez de toute la force de vos sens,
de tout l'amour pour votre pays.
Le rivage spectral que vous avez quitté
voici déjà quarante jours
et qui revient vous hanter dans la geôle
à fond de cale.
Tout autour la nuit, le fracas des lames qui
s'écrasent contre la coque,
le roulis telle une gueule féroce qui
s'ouvre et se ferme sur vos crânes et vos estomacs
pour se nourrir de votre sang, de votre identité,
de vos vies.
La nuit sans étoiles, la nuit sans
issue,
sous la ligne de flottaison comme sous terre
la même nuit étouffante
où l'on vous plongea.
...
Encres Vives - N° 426
L'ailleurs n'est à personne
...
Entrer dans le silence de l'écriture
et dans l'ailleurs du sang.
Mêler la paille des choses
au grain des mots.
Les mots échangent toujours
un peu de leur substance,
de leur couleur,
de leur espace.
Je les épuise
pour mieux toucher une terre lointaine
pour supporter l'odeur du temps passé.
*
L'arbre de neige
brûlant sous le couteau de la lumière.
Oiseaux de votre chair
éparpillant l'été de
nos raisins
qui colle encore à notre peau.
La pluie acide dénude les églantiers
que nous avions promis de faire durer.
...
L'ailleurs
c'est la mémoire de l'avenir,
...
Je marche dans la lumière du vide
où je ramasse la pierre
qui a tué l'oiseau,
cette pierre qui écoutait la mort.
...
Émile Hemmen est un
poète luxembourgeois.
Encres Vives - N° 427
Je
finirai par
ce geste
coup porté
au coeur
le corps entier
qui s'étire
et se ramasse
le poids du merlin
brise en deux
cette odeur de l'intime
étonné d'être
Un autre texte de cet auteur est ici
Encres Vives - N° 428
Silence ouvert
à travers cette forêt-frontière
je deviens
passeur de rêves
passeur d'identités
je joue à déclarer mon âme
et mes mots à moi-même
je pense aux morts
il y a soixante ans
ailleurs
maintenant
je leur dédie ce bout de chemin vert
apatride
je me dédie ces roches
à l'équilibre semblant millénaire
je me dédie les piverts et les geais,
les troncs penchés qui grincent
et les ruines des châteaux forts suspendus
entre les stries du vent
princes barbares
évanouis entre les arbres
la table d'orientation redevenue vierge ou
kaléidoscope
il n'y a plus de muraille de Chine, de ligne
Maginot ou Siegfried,
de mur de Berlin; d'un même pays du
Nord et du Sud,
seuls les oiseaux migrateurs
nous font apprendre les points cardinaux.
Un autre texte de cet auteur est ici
Poème pour une grande ville
passer au crible la misère des uns et
le mystère de ma naissance des autres
se promener sous les marronniers quand la
Révolution fait son plein
jeter sur les épaules des femmes un
manteau de pluie fine pour les protéger du beau temps
inaugurer la saison des yeux clos en posant
sur le visage qu'on aime une simple voilette d'inanition
aller de l'avant, aller de l'avant la publicité
murale s'occupe de vous l'enfance de l'art est à deux pas
et les exigences de l'amour défont
sans pitié la clameur urbaine des autobus
Georges Henein est un poète
égyptien d'expression française
_________________________________________________
Jean
Aubert (1921-2011)
La nuit viendra je ne sais quand,
Les yeux pleins de ciel et de terre,
D'amour, de rêve et de mystère,
La nuit viendra, mais qui sait quand?
Au nid, l'oiseau couvera. L'onde
Encore une fois couvrira
La plage. Et le jour s'en ira
Fondre en la mer notre vieux monde
La nuit viendra bander mes yeux,
Mais tant de soleils en ma tête
Tourneront que ce sera fête,
Et qu'on ne saurait rêver mieux
Pour une marche vers les dieux.
D'autres extraits de Jean Aubert sont ici
et ici
Terral
...
Tu l'assois
sur la soie froissée de son ouvroir
ton corps corne d'abondance
des questions sans réponse
et la terre regorge des gorges nommées
seins
dont la nudité appelle la sainteté
des mains
qu'auréole depuis la création
du monde
la lumière des ongles.
Né de ton sang mal venu en voyage
tu me jetas tampon rond sur la route
et le sommeil dragueur de rêves
imprime au fond du goudron chaud
les empreintes de tes pas
dans le gluant de ma naissance.
Des seringues me pénètrent le
cerveau
et le ciel se désigne mon frère
confondant les pointes brillantes des aiguilles
au saccadé rutilant des étoiles.
Les femmes ont les sourires précis
des béquilles au pied du lit
et les tombes aux quenottes de gravier
vous boulottent les morts
sur les plats des moments d'oubli.
Venu de l'enfance
j'ai invisiblement
les yeux blancs des chauffeurs de loco
quand accoudés à la rambarde
ils regardaient sur le quai
attrape-mouches vrombissant
des milliers de bouteilles portant valises
et qui
ici et là s'embrassaient
comme verres trinqués.
Oh bonheur des visages vapeurs
au terminus de mon corps.
Pour lire en entier l'ouvrage
Le rompu parler Phoebus, cliquez ici
Si dure et close sur son dernier feu cette
lampe
allumée par loi d'excellence &
d'oubli
ici les lèvres ne s'ouvrent ni la bouche
ne chante -
elles ne peuvent à nos abords que nous
désaltérer
de notre inextinguible soif de transparence
...
... Je ne fais que passer, le sens attendra, qui n'a qu'à se précipiter dans ma trace...
Dans la technique du dessin, il y a un art de manier la gomme - comme, entre autres, Giacometti l'a superbement montré - qui consiste à blanchir dans l'éclair d'un seul geste telle ou telle partie du travail. Presque violemment, dans la masse des traits de crayon, sans se préoccuper de la figure en train de se construire. Ces coups de gomme viennent toujours à point nommé, non pour effacer ou atténuer, ni même pour introduire quelque effet de sfumato, mais bien plutôt pour ouvrir des trouées nécessaires par où faire entrer l'air et la lumière au sein de la lumière opaque et grise de la mine de plomb, sans quoi le dessin risquerait d'étouffer; autrement dit, pour ménager des circulations et des couloirs - des issues, par où l'on peut à tout moment reprendre son souffle et laisser en cette brèche une place nouvelle pour le doute...
Et feignant une présence dans la lumière,
cette confidence: souvent j'envie mon ombre. Elle s'étire indéfiniment
sur le sol incandescent du monde, plus que je ne saurais jamais me prolonger.
Rien ne l'arrête ni ne la rompt et, à la différence
de mes os qui viennent chaque fois s'y briser comme du verre, il n'est
aucun mur qui paraisse être pour elle un obstacle dressé sur
son chemin pour en contenir la belle flaque sombre. Au contraire, pliée
à angle droit et tout enorgueillie de sa soudaine cambrure, elle
poursuit sa course sur la paroi de pierre, comme si elle prenait son élan
pour escalader le ciel; elle semble même trouver là une vigueur
nouvelle et en appeler à plus de hauteur encore pour dépasser
toute mesure, jusqu'à se perdre enfin au-delà des apparences
et de l'opacité du monde sensible...
C'est autrement ce que ce soir tu me confies,
désemparé: "Il y a une guerre dans mon corps, car l'étrangeté
l'occupe tout entier." Je t'entends, cher, et crois bien que je mesure
ton trouble. Alors, calme-toi et écoute ce que je vais te dire.
"Prends patience, et approfondis ton sillon jusqu'à la nuit. A défaut
de connaître jamais la paix, tu rencontreras à un moment de
ta fouille un éclat, comme un nerf, une dureté inattendue.
Cette résistance s'appelle la Beauté, et cela sera ta victoire
que de l'avoir débusquée et mise au jour. Car elle gisait
au fond de toi: c'est précisément l'étrangeté
dont tu parles. Mais en même temps elle te déborde; elle est
toujours en toi, mais plus loin que toi. Donc, ne cesse pas de creuser.
Et souffre. Tu me remercieras plus tard."
_____________________________________________
Gicomo
Cerrai
(le courage se prend à quatre mains)
Le courage se prend à quatre mains
ou ne se prend pas...
un hachoir brillant
posé sur la table,
(tu l'effleures avec les doigts)
et vas-y et le bras levé
en un arc dynamique...
Mais il faut du courage,
l'oeil effilé de l'insomniaque,
la soif de celui qui a touché le fond.
Il suffirait d'un moment.
L'oreille entraînée au claquement
des os, qui n'impressionneraient pas,
et à regarder ailleurs
(ou en arrière, ou
à baisser les paupières
pour regarder en soi)
et en bas!
une coupe, une coupe nette.
Mais on veut le courage
et non ces moignons affectifs,
ni la suppliante pupille
de la victime.
C'est que nous sommes trop bons.
Nous cultivons la lâcheté de
la bonté
et des berges trop hautes,
qui empêchent de déborder
notre politesse infinie.
Gicomo Cerrai est un poète
italien
_____________________________________________
Durs
Grübein
Dans le caniveau nage,
regarde: une seule nouille.
La nuit cuit la soupe.
31 mai 2003
Tokyo / sakuradai
Durs Grübein est un poète
allemand qui écrit des haïkus et des tankas
______________________________________________________
Jacques
Kober
Ce bleu s'appelle bénir frémir,
Vue de votre balcon, pavé d'ardoise,
où plonge la mer
qui tête le bleu d'un biberon de sardines.
La mer, qui ne sera jamais couvercle mais
l'aventure
boitée sur les gros galets comme des
talons
avec défense de ne pas la regarder
pieds nus.
Tous les pas d'Italie sont permis sur le balcon
de la nuit,
la courbe d'horizon n'est pas à soupirer
puisque
défenestrée la mer est gravide
d'alléluias.
Aucune vague du rivage n'est distante à
crawler la dentelle.
Liliane caresse le doigt du bleu ouvert sur
le balcon du fleuve,
son balcon de contact n'a pas d'économie.
Réparatrice de la lune pour éclairer
le bleu,
elle a bougé son clair et négligé
que le bleu soit laqué.
Bonté de ce studio, à bénir
avec du bleu frémir.
2012
____________________________________________________
Max
Alhau
Au Pré du Four
...
Tu ne peux qu'approuver
les torrents, cette vallée
et les mots ont à peine
écorné le silence
Tu n'as pas trahi ce pays
avec ses exigences.
Même les lointains
semblent à portée de souffle
et dans la connivence
de terres retrouvées,
il n'est ni injustice,
ni regrets, ni douleur
pour tarauder le corps.
Il n'est d'autre brasier
que celui s'éployant
au creux de ton passé
et que de tels instants
ne cessent d'attiser.
...
D'autres textes de Max Alhau sont ici
______________________________________
Yves
Charnet
L'air a besoin
d'une cigogne ou deux,
et la rivière, de peupliers noirs
qui s'habillent en avril
et de quelques touffes d'osier
avec leur rumeur d'abeilles ;
et la montagne, de la floraison
sacrée de la lavande ;
et la dent de lion,
de la pompeuse aigrette.
Et à ton oreille, que sonne
la parole du père :
« La campagne rayonne
par la Sainte Croix ».
C'est tout.
Maintenant tu peux
ouvrir les yeux.
Extrait de Mémoire
de l’ombre, Cáceres, AbeZetario, 2010
________________________________________
"avec cette
douce haleine qui triomphe de la mort et de la pierre"
Machado
Pierre nous nous désaltérons
en la sève si mince des mousses.
Extrait Du si vieux jus de la terre. |
Ils se souviendront de sa mort
et de la mort de son chien couché fidèlement près de son veston et de son goûter, selon sa coutume. Ils se souviendront de ses mains,
Se souviendront-ils de sa mort les voisins,
Extrait de Temps de malédiction - 1979 |
||
"Campesino" de Florentino Hernando |
"Des souvenirs dormant dans cette chevelure"
Charles Baudelaire
Je cherchai la mer en elle
tandis que régnait le silence
dans les vagues de l'oreiller.
J'y mis la main et j'y plongeai les doigts
pour séparer les algues.
Des pierres blanches polies
brillaient parmi le sable.
Et entre les rochers,
une caverne profonde
qui gardait les échos
d'une ancienne chanson
avec du vin vieux dans des amphores scellées.
______________________________________
Ballade des amants à
la tombée du soir
Sous la lente soirée et ses huppes
pareilles à une chevelure,
où chante cachée
l'alouette de l'aube
pour épouvanter la nuit;
comme s'abaissent les vallées
sous le poids des fleurs de lavande,
comme l'ombre démesurée de la
tour
qui s'étend sur la place.
Ses pieds nus sur la plage tu entends,
tu sens son ombre ardente
dans les lumières tombées
du crépuscule rouge.
Comme un vent d'abeilles,
tu entends la lente sève alimenter
le feu de la main qui te cherche
et sur les lèvres écoutées
les champs de blé de mai
dans la brise des coquelicots.
La peau aimée, le temps suspendu,
la lumière d'or sur les hautes branches,
les clairs yeux doux,
les fières allures et la chevelure,
la parole obscure
dans le fond de la rivière
et son silence à elle.
La joue livrée
le vallon solitaire
descendant avec la rivière
les pierrailles blanches
sous la chanson de l'eau claire...
Mais, au toucher de ses épaules,
du dos s'élève
une colombe triste.
Et c'est la nuit.
Les deux derniers poèmes sont extraits de NOCHE - Madrid - Hiperion - 2005
D'autres textes de Francisco Álvarez Velasco sont ici
Voir aussi le site Portal
de poesia
Prix de la presse poétique 2012 de la Société des Poètes Français
Plénitude de Dieu
Il emplit le monde je veux qu'il m'emplisse
Sa dimension s'ajuste au monde et le dépasse
Il a conçu le terre et la mer et l'espace.
Pourquoi ne pas aspirer à ce précipice
de bonté de grandeur et de compréhension
M'évader? Je le suis. Pénétrer?
Je ne puis.
Ouvrez-moi l'entrée de mon puits
car si j'entrais en moi j'entrerais en vous
L'homme ce serait Dieu s'il entrait en lui-même
Par ces mots je n'entends certes pas un blasphème
mais qu'on ferait partie de Dieu par l'impuissance
si l'on ouvrait son corps en fermant les cinq
sens.
Installez-vous chez moi, que chez vous soit
mon coeur
ce qui s'appelle fortifier l'homme intérieur.
Max Jacob est mort d'épuisement
au camp de Drancy.
____________________________________________
Benjamin
Fondane (1898-1944)
Quand de moi-même...
Quand de moi-même en moi, les voix se
taisent
et que le monde en mon cerveau s'est tu
comme un vieux conte ouï et rebattu;
- quand, aux étoiles, les paupières
pèsent,
que ces musiques du rien apaisent
le coeur sauvage, ténébreux,
têtu,
du poids de tant de neiges courbatu
et qui n'a plus les songes qui lui plaisent!
Il voit ses jours - danseuses en tutu -
vieillir avant le soir de l'impromptu.
La houle! Et tout à coup, la nappe
d'aise.
Assis au coin du feu, sur une chaise,
il dit au Temps qui passe: "Où passes-tu?
Où vont les fées ardentes de
la braise?"
Benjamin Fondane est mort
à Auschwitz-Birkenau.
Je ferme les yeux :
j'aime voir le soleil à travers les
paupières,
les tuiles rouges de la mélancolie
et un vol de mouettes vers leur nid.
Rien n'est vrai, tout est dans mon souvenir.
La lumière, l'aile, les libellules,
la rumeur de la végétation
entre les ombres, la gelée qui crépite
sur les têtards, le pré, la fouine.
Nous emportions des coings volés à
la maison
et ces fleurs de fuchsias destinées
aux fillettes
afin qu'elles puissent jouer à être
impératrices.
Nous emportions les baies du serpent noir
et des oeufs de colombe
et de verdiers.
Mais maintenant, tout est déjà
ratatiné
et il ne reste plus
qu'une poignée de gens désintéressés.
Extrait du recueil Territoire
perdu, Hercule et nous, Gijón, 2014.
Cap au nord
De tous les chemins de la vie
je choisirai celui-ci
qui mène au nord et qui ignore
le cercle des vautours qui referma
son armature sur les ormes.
Pierre de Sisyphe roulante,
je monterai le col à contre brume
par une vallée enamourée
dont la mémoire germera
quand mon fémur en cendre s'en ira.
Extrait de L'échafaudage
des rêves.
Patrie et "matrie"
Aux royaumes de Taïfas (1)
ils défilent sous les drapeaux
alentour du clocher
les juges avec leur toge
leur pléonasme têtu
et la droite rétractile
et la gauche dynastique.
Ils secondent le bestiaire
de la charmante patrie
des militaires portant plaques
agressant tout ce qui luit
avec des étoiles au front.
La Garde civile aussi
défile ostensiblement
et les maures de Franco,
l'Erztzainzta (2) qui fanfaronne
et les Mossos d'Esquadra (3).
Jusqu'aux derniers subalternes
avec ors et liserés,
avec maillets et postiches
font les changements de garde.
Ils sont aussi de la fête
pistolet à la ceinture
ceux de la balle dans la nuque
entre messe et consensus
y compris le farfelu
le punk du nouveau lumpen
le maillot de corps suant
de l'icône prolétaire.
Avec une lenteur sérieuse
le curé et son cortège
de poètes régionaux
vocifèrent le Pentateuque,
Adoración Nocturna (4)
organise l'événement,
pour émerveiller les masses
devant l'or et puis le maure,
quoique non auteur du conte
les célébrissimes chaînes
(5)
le peignent de couleurs vives.
Ce que je m'en vais chantant
en ritournelle d'aveugle
sans rime ni correction,
il faut que vous le sachiez
pour le cas où par hasard
cela parviendrait à d'autres
Londres, Ponferradas,
Paris,
nous sommes de bons lettrés
avons beaucoup voyagé
nous les esclaves heureux.
Coda
D'autres ilotes viendront
au service du patron,
ils sauront d'autres histoires
d'autres fausses tromperies,
marchez vivement les gens
dont l'esprit est inventif
car si la mémoire flanchait
les rêves nous quitteraient.
(1)- Royaumes andalous antagonistes
du 11ème siècle
(2)- Police de la Communauté
autonome basque espagnole
(3)- Police de la Catalogne
(4)- Association cultuelle espagnole
(5)- Les chaînes de radios
et de télévision
Extrait de Poesia (1966-2013),
Renacimiento, Séville, 2014.
Encres Vives - N° 429
...
viendra un temps plus habitable
fixé sur le cadran d'exil
hors de ces parages forclos
où s'éternisent les ornières
on y parlera du fragile
des conspirations dictées
juste à l'instant du devenir
par quelques lames de silence
viendra ce temps mais il est tard
pour questionner nos territoires
et nos minutes et le fugace
et nos fissures impensées
graveurs de portulans perdus
enfants d'une aventure morte
saurons-nous écrire le vent
entre feuillage et résurgence
Extrait de Et la parole s'est faite nuit
D'autres textes de Jean-Louis Bernard sont
ici
____________________________________________
René
Cailletaud
Il est passé le temps
où vous voguiez à vue
entre la paix des vieux parents
et le feu des enfants
Les uns ont renoncé
les autres sont partis
laissant la porte ouverte
Dans la maison immense
plus sonore qu'avant
vous n'êtes qu'une lampe
éclairant un chevet
....
Extrait de Il fait encore jour
D'autres textes René Cailletaud sont
ici
__________________________________
Éditions
de l'Atlantique - Anthologie des auteurs (tome 2)
Encres Vives - N° 430
...
Impuissants devant le mystère qui les
emporte, nous avons peu à donner aux morts qui nous quittent. Mains
vides, ne pouvant plus retenir notre chagrin.
*
Je n'ai pas de frontière dessinée.
Mon être s'étale devant moi et peine. rêvant d'étapes
sublimes sans restrictions de cycle, il maudit le dénouement et
emprunte au futur disponible ce qui paraît nécessaire à
ses illusions. Puis, de printemps froid et automnes de glace, par feintes
de mémoire, cherche une issue féconde pourra suite de son
exil.
Extrait de On nous avait donné
des étoiles
_______________________________
Anna
Jouy
par frayeur la nuit sera longue indécente
et furieuse
comme le plat d'une claque sur la mer
avec des vagues à déjeter et
le tambour
le tambour toujours de mon sein qui frappe
le rappel de la peau
friable comme du diamant perdu
ma gorge est tendue comme un arc au bout dernier
cri
tous ces cheveux qui font brides entre des
chariots de feu
je t'ai perdu comme une trace dans une eau
de fortune
perdu comme un doigt dessinant l'océan
et le noir qui se noie sans cesse dans le
noir
Extrait de Ces missiles d'allégresse
_______________________________
Andrea
Moorhead
je t'ai retrouvé par hasard au bord
du soleil
tu contemplais la distance entre la lumière
et cette eau peu profonde d'où viennent
la lune et les étoiles
compagnons impossibles détachés
de cette existence
les syllabes sont encore claires
chaque son n'est que le murmure du jour
l'appel sourd d'un poème qui refuse
de naître
attrapé par une lumière noire
qui entre dans les paupières comme
un flocon de neige
comme une ligne qui ne s'arrête pas
une série de points
des cercles concentriques
un totem rouge qui ne regarde que le ciel
d'où viens-tu ce soir d'où vient
ton pas?
de quelle terre as-tu goûté les
fruits?
de quelle source as-tu bu quand nous étions
ailleurs
et que le soleil refusait de disparaître?
Extrait de La couleur du silence, in Terres de mémoire
Les deux volumes de cette très intéressante
Anthologie, qui contient des
textes de plus de 80 poètes, peuvent
être achetés au prix de 6,10 euros
l'un (12,20 euros les deux) à Encres
Vives - Michel Cosem
2 Allées des Allobroges - 31770 - Colomiers
Encres Vives - N° 431
Dans ses quatre paniers, il a mis des petits
bonheurs
des futurs simples, des fleurs des champs,
du miel,
Et il tire sa mule ailée, en jetant
ça et là
des énigmes fraîches ravies aux
dieux.
Des étages, des mains s'étendent,
puisent dans ses besaces,
selon l'humeur: fleurs d'acacia, quolibet
de troupe,
colliers d'étoiles, destin, ou mystère.
Dans sa balance, il met nos plus beaux visages,
il met nos corps secrets, nos combats de la
nuit.
A la pesée, la rue décroche
de son lit de pierre,
les murs se font eau pure et bercent la cité.
Ainsi s'ouvrent tes bras, pour la dernière
énigme,
avant le jour.
Mikonos,
18 juillet 1995
D'autres textes de Pierre Colin sont ici
Prix de la presse poétique 2012 de la Société des Poètes Français
Paris vaisseau de charge
Double vaisseau de charge aux deux rives de
Seine
Vaisseau de pourpre et d'or, de myrrhe et
de cinname*,
Vaisseau de blé, de seigle, et de justesse
d'âme,
D'humilité, d'orgueil, et de simple
verveine;
Nos pères t'ont comblé d'une
si longue peine,
Depuis mille ans que tu viens à la
lame,
Que nulle cargaison n'est si lourde à
la rame,
Et que nul bâtiment n'a la panse aussi
pleine.
Mais nous apporterons un regret si sévère,
Et si nourri d'honneur, et si creusé
de flamme,
Que le chef le prendra pour un sac de prière,
Et le fera hisser jusque sous l'oriflamme,
Navire appareillé sous Septime Sévère,
Double vaisseau de charge aux pieds de Notre
Dame.
* Arbre ou arbuste aromatique
(famille des Lauracées) originaire d'Asie,
dont les variétés
les plus connues sont le camphrier et le cannelier.
Extrait de La tapisserie de
Notre Dame, 1913
________________________________________________________
Jean
de la Ville de Mirmont (1886-1914)
Je suis né dans un port et depuis mon
enfance
J'ai vu passer par là des pays bien
divers.
Attentif à la brume et toujours en
partance,
Mon coeur n'a jamais pris le chemin de la
mer.
Je connais tous les noms des agrès et
des mâts,
La nostalgie et les jurons des capitaines,
Le tonnage et le fret des vaisseaux qui reviennent
Et le sort des vaisseaux qui ne reviendrons
pas.
Je présume le temps qu'il fera dès
l'aurore,
La vitesses du vent et l'orage certain,
Car mon âme est un peu celle des sémaphores,
Des balises, leurs soeurs, et des phares éteints.
Les ports ont un parfum dangereux pour les
hommes
Et si mon coeur est faible et las devant l'effort,
S'il préfère dormir dans de
lointains arômes,
Mon Dieu, vous le vouliez, je suis né
dans un port.
Extrait de L'Horizon chimérique (Grasset, 1929)
Ces deux poètes ont été
tués pendant les premiers mois de la Guerre de 1914-1918.
De profundis
Du plus profond de la tranchée,
Nous élevons nos mains vers vous,
Seigneur! ayez pitié de nous
Et de notre âme desséchée!
Car plus encor que notre chair,
Notre âme est lasse et sans courage.
Sur nous s'est abattu l'orage
Des eaux, de la flamme et du fer.
Vous nous voyez couverts de boue,
Déchirés, hâves et rendus,
Mais nos coeurs, les avez-vous vus?
Et faut-il, mon Dieu, qu'on l'avoue?
Nous sommes si privés d'espoir,
La paix est toujours si lointaine,
Que parfois nous savons à peine
Où se trouve notre devoir.
Jean-Marc Bernard fut écrasé
par un obus le 9 juillet 1915, entre Souchez et Cabaret Rouge.
________________________________________________
Jean
Pellerin (1885-1921)
Quotidiennes
A Tristan Derème C'est vrai, j'aurais pu devenir
Mais je veux écrire - à Paris,
Le peindrai l'eau, le ciel, le port
|
Plénitude
Ne t'inquiètes pas de cueillir la rose
car le temps ne s'échappera jamais
du tout.
Derrière ce désir
qui hier nous poussait, qu'y avait-il?
Que jamais ne t'affecte ce qui est allé,
ni la fuite irrémédiable de
l'après-midi,
parce que la plénitude,
l'allégresse la plus pure de cet instant,
se cache dans l'acceptation du temps et de
son parcours,
en prenant toujours le gage présent,
avec la tranquillité que confère
l'assurance
d'être une fois de plus victorieux,
et souriant parfois devant le souvenir
de paradis subtiles, fugaces et lointains.
Extrait de Ce que laissent
les jours, 12ème prix de poésie "Dionisia Garcia",
Murcie, 2014
Encres Vives - N° 432
La poésie peut alors être vue
comme un exode sans fin vers le lieu d'où tout procède.
Pour éviter que nos maisons émigrent
que leurs portes gèlent
sous la poigne des promesses feintes
il nous faudra
imiter la pierre et l'écorce
si loin du sérail des pluies
pour incliner devant la source
errante et immortelle
pour éviter de jouer l'essentiel
contre quelques drapeaux
glorieux et sales
il nous faudra
entrer dans les fissures du noir
apeurés à l'aplomb
de thébaïdes invisibles
pour éviter l'inachevé qui nous
sépare
il nous faudra surtout graver
nos étreintes funambules
sur les margelles de l'instant
ne retenir que l'échancrure
D'autres textes de Jean-Louis Bernard sont
ici
Encres Vives - N° 433
...
La Neva charrie
l'eau sombre des cachots
qui mutilent
les noyés par balles venus
des bidonvilles
jetés dans la Seine à Paris
manches courtes
au Liberia
manches longues au Tibet
tontons macoutes de Haïti
apartheid à Pretoria
arméniens
décapités
la tête en bottes
liées au pommeau de la selle
le Chili
où les chiens
courent derrière les chars
de Pinochet et de la junte
et le cachot
de l'école de marine
qui balance d'hélicoptère
dans la mer en Argentine
les fils les pères les maris
Ulysse raconte le million
de mains coupées
par Léopold II au Congo
les enfants
sautant sur les mines
à Zagreb ou en Indochine
quand la paix est revenue
le bétail des femmes
qu'on excise tond lapide
la famine
qu'on laisse aux asticots
actionnaires
N'en jetez plus
Ulysse devant Nausicaa
est nu
Le sel les larmes
les naufrages l'ont rendu
sale
L'oeuvre
d'art finit en un morceau
énorme de mensonge
Bernhard
alors retour
...
______________________________________
Motus
Encres Vives - N° 440
...
Il s'agite
Plus de bacilles
Dans tes entrailles que
D'astres dans l'obscur
Univers
Plus de neurones
Que d'insectes un soir
D'orage
Dans l'espace confiné
De ton crâne
Et la vie passe
Emportant les poèmes
Dont personne
Ne ramasse les feuilles
Sauf le coeur
Longtemps longuement
Si solitaire
Que rien
Jamais assez ne remplit
D'autres textes de Werner Lambersy sont ici
Encres Vives - N° 434
...
L'important est qu'ailleurs se préparent
des fêtes, et de ne pas y participer.
Une date que la neige a rarement si intimement
fréquenté le soleil reparaît après les longues
pluies. De son union avec ces langues vierges que devrait-il voir le jour,
un or différent ?
Des nuages isolés ne s'attardent pas
marguerites infimes oiseaux proches le moment est heureux quand nous savons
que rien de ce qui vit ici n'a besoin de nous et ne devrait garder trace
de notre passage. La belle indifférence.
Mais de quels rêves êtes-vous
faits ? Ici marchant à seule dimension d'herbes amoureuses je n'ai
pas meilleure consistance que ces bras de fumées qui semblent veiller
dans les fonds des vallées.
Échos d'eaux lointaines ; non elles
ne sont lointaines, mais encore inabordables.
Ce ne sont pas nuages ! Voici exposés
des temps moins parcourus, qui ainsi nous rejoignent.
Rien d'autre que l'eau épousant le
creux des rochers.
...
Gallimard jeunesse
Il y avait dans ce coin du monde,
Un homme grand très grand,
Si haut de taille qu'on ne voyait pas sa tête.
Là-dessus au fond des forêts
Le loup l'emporte et puis le mange,
Sans autre forme de procès.
C'est là qu'on découvrit son
corps
Il gisait au pied d'un arbre
Pareil à un homme endormi.
Edmond Jabès est un
écrivain d'expression française né au Caire, en Égypte
Les personnes sensibles
Les personnes sensibles ne sont pas capables
De tuer des poules
Mais elles s'avèrent capables
De les manger
La monnaie sent le pauvre et aussi
Le vêtement de son corps
Ce vêtement
Qui après la pluie sèche sur
le corps
Car les pauvres n'en ont pas d'autre
C'est pourquoi l'argent sent le pauvre
et sent l'habit
Imprégné de sueur qui ne fut
pas lavé
Parce que les pauvres n'en ont pas d'autre
"Tu gagneras ton pain à la sueur de
ton front"
Voici ce qui nous fut imposé
Et non pas
"Avec la sueur du front des autres tu gagneras
ton pain"
Oh marchands du temple
Oh constructeurs
De grandes statues replètes et lourdes
Oh trop-pleins de dévotion et d'appétit
Pardonnez leur Seigneur
Parce qu'ils savent ce qu'ils font.
Sophia de Mello Breyner Andresen
est probablement la plus importante poète portugaise du vingtième
siècle.
Et la femme de sable qui se liquéfie?
Celle qui s'en va fusionner avec la terre,
avec la poussière et les pierres;
avec des yeux sans regard, desséchés
dans un coffre obscur de wengé*;
tandis que le ciel plat écrase de tout
son poids
ce qui reste de la mère,
ce qui reste du petit,
s'il fut nourri de lait, se l'est appropriée
en un don du sein de peines impossibles.
Et la silhouette courbée de la morte, attend.
* Bois dur de couleur foncée.
Extrait de "Sales de plata
(Ventes d'argent)". Ángeles González Fuentes est une poète
espagnole.
Montons haut
Montons haut cette nuit,
que mon âme m'a jeté
un regard mauvais.
Donne-moi un doux poison et allons loin.
Laissons à la mort
le pain et l'eau,
parce qu'aujourd'hui viendra aussi
le temps de partager la table
et nous n'y serons plus.
Pas une hésitation de plus:
ce que nous doit la peur seulement,
c'est que l'amour nous l'apportions nous-mêmes.
A son pire vice l'âme est livrée,
que ce n'est pas nous donner réconfort,
que c'est mal fouler le raisin
et transformer notre vin en vinaigre.
Sans crainte,
montons haut,
avalons à fond la gorgée.
Parce que nous sommes déjà le
corps de la nuit
le corps nous abandonne,
et un tournesol clair engloutit le monde
pour le cracher libre
de son exacte équation, de son fidèle
résultat.
Et si quelqu'un, un jour
vous annonce qu'il est mort,
dites-lui qu'à la mort
je n'ai rien donné qui ne fût
sien,
le pain et l'eau,
que l'amour encore apporte de ma part
et que dans l'amour ma mort prend son essor.
Extrait de l'ouvrage La raison
ivre - Trouvé dans El
Toro de Barro
Trains dans la nuit
pour Juan Zapato
Imagine deux trains,
roulant en pleine nuit,
qui se croisent tout à coup
chacun sur le chemin de son destin.
Quelque part,
au milieu d'un aiguillage, n'importe où,
sur des voies rouillées, les wagons,
soudain, s'arrêtent.
Tu regardes par la vitre et là,
dans le noir,
un visage s'illumine juste en face.
Un moment tu penses que c'est le tien
réfléchissant ton insomnie et
ta fatigue.
Ce n'est qu'une sensation. Rien qu'un instant.
Tu observes attentivement la fenêtre
et le visage qui s'allume de l'autre côté
il appartient, sans doute, à quelqu'un
d'autre.
A une femme hâlée, pour en dire
plus.
Elle est belle, te dis-tu, tandis que tu regardes
ses yeux qui se dupliquent dans les tiens.
La scène est brève.
Après un bruit métallique
et sec, le mouvement
commence à vous séparer pour
toujours.
Aucun des deux n'a rien fait
pour empêcher l'inévitable.
Avec le bruit du train et les secousses
tu supposes que vous pensiez la même
chose:
que ce ne fut qu'un vain mirage
un songe.
La lechuza blanca (La chouette blanche) - 2014
Résistance au calcul
Un silence fécondé de rugissements
accompagne la soirée nuageuse de la
grève
C'est une plage indemne du Pacifique.
Manzanillos (1) d'eau, héliconias
(2) géantes
se balançant dans la brise enivrée
de nuées,
Soudain, le miracle:
deux perroquets rouges
franchissent le seuil du possible.
A ce moment précis
moi je suis un marin de la Santa Maria
regardant Guanahani du haut du mât.
Moi je suis Keats qui découvre
l'Homère de Chapman, (3)
Gagarine comprenant
la solitude gelée de l'espace.
Tenochtitlan, Numance,
Troie pleurant Hector,
un tonnerre de dieux,
Edmond Dantes dans le vent.
Je suis le frôlement de deux rameaux
secs
qui s'embraseront en feu primitif.
Sur terre le mystère.
J'en suis venue
à être une vague
qui en même temps regarde la mer.
(1)- Arbre sud américain
dont la sève et les fruits, similaires à de petites pommes,
sont vénéneux.
(2)- Plante originaire de l'Amérique
tropicale dont les fleurs ressemblent à des becs appelée
aussi Becs de perroquets.
(3)- Keats est l'auteur d'un
poème intitulé En ouvrant pour la première fois
l'Homère de Chapman, poète et dramaturge du 17ème
siècle.
Le site de Raquel Lanseros est
ici
Poesia Hyperion - 2013
Après qu'il ait plu, les villes
semblent sombrer dans un silence équivoque,
avec leur étrange quiétude d'une
vieille auto
arrêtée sur l'asphalte humide.
Elles ressemblent
à des corps mouillés derrière
le drap léger
d'une autre nuit d'amour, qui se réveillent
avec cette indifférence artificielle
d'une scène de sexe. Ceux qui déambulent,
après qu'il ait plu, seulement ivres
et sans chemise, ceux qui fréquentent
les passages au dérapage de la vie
comme la langue au froid des coupes
-eux savent dormir où d'autres parlent,
se tenir à l'écart dans les
autobus
et faire de chaque trace un peu de fumée-
Les villes s'en retournent, avec la pluie,
d'un quelconque lieu de toujours vers le lointain
Celui qui les regarde voit dans leurs yeux
gris
la solitude des photographies
avec un fond de nuages dans un cadre
ou un plan ouvert sur les ailleurs.
Après restent les gouttes et leur musique
au son métallique léchant les
toits,
se décrochant de tous les réverbères
comme en un jour d'hiver la rue.
Avec cette odeur à la mémoire
de quelque chose d'identique.
Cet ouvrage a obtenu le 17ème
prix international de poésie de Baeza
Poesia Hyperion - 2014
Les signes de l'effondrement
Ses jours sont bleus
ou noirs quand le froid engourdit les membres
et rouges si les ulcères le contraignent
à hurler
Le temps est succession de sensations remplies
avec à chaque heure le triomphe de
la survivance.
Il a trouvé un périodique et
le regarde
indifférent, examinant le toucher
du papier. Les derniers caciques le l'irritent
pas
bien qu'ils avivent la foi des esclaves.
Il n'a pas l'intention de leur expliquer
les signes de l'effondrement.
La liberté préfère conférer
son onction
seulement à quelques-uns princes des
marges.
Les dépouillés et les maîtres
de tout
ont seuls goûté les miels du
mépris absolu,
libre d'indignation comme l'est un faisan
tout rempli d'égoïsme,
il pose les papiers sur le banc et s'endort
sur la pourriture de ce monde.
Cet ouvrage a obtenu le 18ème prix international de poésie de Baeza
Voir le N° 283 d'Encres Vives et ici
Encres Vives
La longue liste
Parmi la longue liste des promesses trahies
par ta disparition
- brutale, insensée, tragique -
Il y a notre amour des conversations
sans cesse renouvelées
Le doux commerce de nos esprits
frottés à la prose du Monde
L'écho fragile de nos corps
Et l'humour que tu manifestais
quand je partais dans mes parleries
sans fin
Et maintenant tout seul
Étranger d'une maison des ombres
Entouré de livres de cahiers
Et de chansons sans paroles
Je souffle le froid
Sur cette feuille quadrillée
Où le soleil a disparu
D'autres textes de cet auteur sont ici
et ici
Ange
et bâtard (inédit)
A Zhivka Baltadzhieva
Tout homme a besoin d'un bois où déchirer
ses vêtements
Tout homme a besoin d'un bois où étendre
sa nudité souillée sur l'herbe
Tout homme a besoin d'une montagne où
brandir au vent l'ardente obstination de sa colère
Tout homme a besoin d'une montagne où
attendre Dieu de pied ferme un couteau entre les dents
Tout homme a besoin d'une montagne où
se reconnaître bâtard entre les bâtards face au ciel
Tout homme a besoin d'une montagne où
détruire l'ange au milieu du combat et de la sueur
Tout homme a besoin d'une montagne où
terrifier le pur-sang unique de son coeur
s'effondrer dans la boue
et pouvoir
enfin
pleurer .
L'Harmattan
Une journée
Tous les matins je prends mon béton
à la va vite, sur le pouce,
un béton copieux mais frugal.
C'est excellent pour le soutènement!
J'avale pour le faire passer
une tasse de consommé de goudron,
juste quelques kilomètres,
légers comme une piste d'envol.
Durant quelques heures
je me laisse débiter en morceaux
par les visiteurs de l'apparence,
qui sont tous mes clients.
Heureusement, je retrouve en rentrant chez
moi
l'élan d'un amour construit autour
d'une cage d'escalier.
Il n'y a plus de toit depuis longtemps.
Je profite d'une volute dans l'atmosphère
pour m'échapper en tenant par la main
les affections qui m'ont rendu la liberté.
Verger
...
Si je pouvais connaître un bon verger
libre en toute saison de
choisir son climat,
je planterais des arbres
d'humanité
dont les fleurs pourraient avoir
la couleur des âmes
dont les feuilles s'envoleraient
pour un soupir
dont les fruits s'effaceraient
sans être dévorés
et sans jamais pourrir.
Chants des eaux dormantes
L'eau se montre si féminine que j'ai
parfois l'impression d'être infidèle en y plongeant. Elle
est si changeante que chacune de ses présences porte un nom différent.
Il faudrait ajouter un prénom à chaque instant de la pluie,
de la source, de la rivière, de la nappe, de la fontaine des larmes...
imaginer la conscience de la mer et des lagunes, des ondes ou de la flaque,
prêtes à confesser leur vie secrète au soleil, à
la lune ou aux étoiles qui s'y reflètent.
...
La
parole est au silence
...
Le ciel devient trop proche des apparences
pour que l'angoisse envisage d'y monter
Les Dieux sans domicile sont exclus des prières
et meurent sans descendance à l'ombre
des calvaires.
...
Exode (juin 1940)
Encore et toujours sur le dos de mon fantôme
le corps de ma mère plonge et brusquement
s'étale
Plus légère qu'une vie, plus
efficace qu'une aumône,
c'est une armure de chair qui me protège
des rafales.
Négligeant les sursauts de la route
ensanglantée
l'avion mitraille soudain l'herbe où
j'ai plongé.
Enfant, j'apprends le goût de vivre
en respirant la mort.
Je cueille à jamais le goût de
la tendresse
dans les parfums de la terre qui me confesse.
La semence des balles pousse en moi comme
des baisers.
Lorsque l'avion revient pour achever les fleurs,
la chaleur semble durcir l'été
pour nous effacer.
Comme un don de l'autrefois pétrifié,
le poids de ma mère sur mes épaules
demeure.
Tout le bleu du ciel s'allonge dans sa peau
fanée.
Un jour, des hommes vêtus de soirs
descendront mon cercueil dans sa tombe
pour me coucher cette fois sur son sommeil,
au cours d'un dernier exode vers l'ombre
dont son pauvre corps n'aura pu me protéger.
Un
rire adolescent
...
L'humour véritable, avant de tremper
sa dérision dans la baignoire du prochain, la rince toujours dans
les eaux lucides qu'il emploie pour sa toilette du matin.
Rimbaud prétendait que je
est un autre...
Je suis sûr cependant qu'ils
sont morts comme un seul homme.
Je pensais parfois: "Tu seras sur le bon chemin quand tu commenceras à ressentir le silence de Dieu comme un appel". Problème: le diable ne parle pas non plus. Les hommes font un bruit d'enfer.
D'autres poèmes de M. Couquiaud sont
ici
Collection de l'Églantier
vers la rue Defacqz
pédestre déambulation
à travers les rues onduleuses
d'une ville semblant irréelle
voyage de rêve entre pluie et soleil
clarté ouateuse révélant
le décor tremblant
d'ininterrompus alignements
de pignons échafaudés sur les
schémas flamands
ah pèlerin monte la rue de la Source
aux vérandas et balcons protubérants
arsenal complet de tous les principes d'architecture
et ces balustrades grassouillettes
renforcées de rambardes de barres de
fer forgé
pierre grise pierre blanche et brique
fer ouvragé vitraux précieux
avocats médecins notables de tout poil
voici la chaussées de Charleroi puis
la rue Fader
enfin la rue Defacqz aux superbes demeures
dans le style de l'Art nouveau aux étonnants
sgrafittes
le numéro 50 par Paul Hankar
pour le peintre René Jansens
et ce que nul guide ne mentionne
logis du poète Odilon-Jean Périer
qui mourut d'un rhumatisme de coeur
plus haut numéro 69
vécut Henri Michaux
qui à Paris s'exila
Encres Vives N° 438
III
Me manquent les mains chaudes d'une femme
me manquent les enfants qui rient dans la
maison
me manque une bonne soirée télé
me manque une virée avec les copains
me manque un lit blanc où m'allonger
la nuit
...
IV
Ne me manquent portes et bouches fermées
ne me manquent odeurs de rôtisserie
ne me manquent trottoirs de crottes semées
ne me manquent ni le soleil ni la pluie
ne me manquent regards qui se détournent
...
XVIII
Et pour finir
PENSIR
AGIR
VOMIR L'INJUSTE
JOUIR
PARTIR
REVENIR
DIRE
SALIR (nettoyer après)
MOURIR DE RIRE (si vous pouvez)
DORMIR (vaut mieux pas)
REPENSIR
RE /AGIR
Chanson
pour mon fils
Cette chanson t'enveloppera dans sa musique
mon fils, comme une chaude accolade d'amour,
Ma chanson arrosera ton front
comme le baiser avec lequel je t'ai béni.
Quand la solitude te rend dolent,
cette chanson, la mienne, sera à tes
côtés,
murmurant à ton oreille;
quand une multitude te cernera,
elle te protégera sans t'étouffer.
Ma chanson donnera des ailes à tes songes
et conduira
ton coeur jusqu'à la frontière
du mystère.
Quand la nuit obscurcira ton chemin,
elle te guidera comme la plus fiable étoile.
Ma chanson brillera dans tes yeux
elle élèvera ton regard jusqu'à
l'essence de tout.
Et quand la mort rendra ma voix au silence,
ma chanson te parlera, mon fils,
du plus profond de ton coeur.
Poème emprunté
au site Toro
de barro
El Bardo (collection de poésie)
La nuit qui te rattrape, la nuit qui te capture
Dans la nuit, il retourne. J'adapte
ton nom à la nuit et le remplit
de mystères, d'anciens secrets
que la jeunesse enterra entre les mains de
ses rêves
dans les sables oubliés de ses plages.
Dans ces plages,
dans cette nuit, je veux te recouvrer, te
donner
ta meilleure matinée ou ton meilleur
visage, un sourire limpide
et frais, une eau claire. De la nuit je veux
être
le jardinier, comme Hernandez, ou le rayon
qui l'éclaire et l'écarte, et
en lui
t'apercevoir et reprendre les pas
qui à ton coeur me conduisirent. La
nuit
est féroce, elle est mensonge et reine
folle
qui dans sa folie falsifie tout et le gaspille.
Sois une monnaie d'or forgée par un
de ces rêves
et qu'elle ne puisse pas la déprécier.
Sois un rayon qui éclaire
et brille dans la nuit pour parvenir
à échapper à ses peurs,
ses tromperies,
ses sentiers cachés qui sont toujours
perdus,
et après avoir attaché ses cheveux
denses en lianes
avec les mains de l'aube
retourner à ces vieux songes
et leurs chemins certains, leurs tremblements
purs,
et pouvoir être haleine que l'aube rafraîchit
et battement très pur qui de toi me
rapproche.
Renie la nuit, éloigne-toi de moi.
Cours,
traverse les vallées, oublie les montagnes,
les rivières,
les cieux, les nuages, pour à la fin
te retrouver.
Hors de l'aube, de la nuit et de tout
temps,
tout site. Au centre de la délicate
attente
qui vers ton amour m'a porté. Sur mes
lèvres
ou dans mes mains. En mes peurs. En mes rêves,
dans tout le corps vers toi tendu comme l'oubli
qui seulement dans un jardin de lys peut être
façonné
par le vent sans trahison ni démenti.
En cette image, qu'ainsi je te rencontre.
Comme un battement
qui est un signe de mon coeur.
D'autres poèmes de Santiago Montobbio
sont ici
Imprimé par Vassel Graphique - Lyon
Terre
A mon grand-père Pierre
Marconnet
"Celui qui a été ne peut plus désormais ne pas avoir
été:
désormais ce fait mystérieux et profondément obscur
d'avoir vécu est son viatique pour l'éternité.
Vladimir Jankélévitch (in L'Irréversible et la Nostalgie)
J'allais chaussé de blés et de
lilas,
et mes vertèbres en glycine
me portaient
Et je marchais,
frottant mon âme
à la glaise des chemins,
à la recherche de l'autre;
au milieu de cette création
d'où le silence tire sa fluidité
marine.
Un puits me fait face
et toujours mon regard
est tressé de cordeaux
et de poulies.
Les chênes,
dans leur solitude de vieillards,
sont teintés de gris, cabossés
par un vent de sabre.
Des chemins de terre
lézardent à l'infini
parmi le charbon des vieux soleils.
Les ombres de la nuit
portent un sein rouge: braise muette
qu'une lumière révèle.
Vois, le feu solaire s'élance
depuis mes doigts.
Du jet de la pierre
à mes pieds de mousse,
féminine,
la terre constamment
résonne.
Et je vais,
plus immortel que mon ombre.
Le blog de Thibault Marconnet est ici
Ils vinrent.
Ils avaient la Bible
et nous nous avions la
terre.
Et ils nous dirent:
"Fermez les yeux
et priez".
Et quand nous ouvrîmes les
yeux,
ils avaient la terre
et nous la Bible.
Eduardo
Galeano est un poète uruguayen.
Agave
Je n'ai plus d'amour à glaner
sur le dos des mornes chauves
juste un peu d'espoir survit
à la glace de l'avalasse
Même un chant d'apocalypse
ne cure les plaies des mains de famine
Mon nez ouvert au rut des hourvaris
fait la sourde oreille au bonheur du cleptomane
Mais le départ à la source
vient heurter cette masure sédentaire
de lianes bayaondes et tuffeau
liant les pieds nus de mon cheval.
Extrait de Nul ailleurs
- Editions Grand Anse - Pétion Ville - 1983. René Bélance
est un poète haïtien
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Serge
Brindeau (1925-1997)
La voile
Est un soleil
Nervures
Elytres déployées
Les bras du peuplier
S'étirent vers l'enclave
Au bout du monde
Un homme dit je t'aime
A l'aube qu'il étreint.
Extrait de Un rouge-gorge dans le froid - Editions Corps Puce - Amiens - 1989.
D'autres poèmes de Serge Brindeau sont
ici
Encres Vives - N° 435
...
L'important dans les mots naît cette
nuit d'avant les mots je rentre du travail comme on va
en enfance (odeurs de vieux cuirs mouillés, de graviers et de neige,
et la terre
l'éclat triste d'un réverbère à la croisée des routes et l'ombre gigantesque de la nuit sur la plaine
dans la nuit froide et humide de novembre,
un autre enfant descend du bus
....
un enfant marche à mes côtés dans la lumière un enfant de lumière marche à mes côtés
sans me toucher, ma main, la sienne, pourtant me conduit
un enfant me conduit éclaire,
chaque pas devant celui qui a été, peut-être, et pourrait
être rayonne en moi
fuite dans la lumière
...
on pourrait bien se taire, et la musique sourdre
en nous, les mots jamais écrits on pourrait
vivre ainsi dans le temps du passage
terre, peut-être davantage encore
....
qu'importe alors que tous ces lointains soient
à jamais imaginaires
l'enfant marche dans la lumière
une montagne avance
et me respire
.....
Encres Vives - N° 436
...
Je vous écris du bout du monde
d'un orient extrême et d'un ciel renversé
alors que fléchit la lumière
que s'approfondit le silence
et que le regard se replie
pour vous confirmer ce qui suit
nos crépuscules
en dépit des lieux
sont les mêmes.
Pierre Dargelos habite en
Polynésie
Encres Vives - N° 441
7 -
Avançant sur Turre
le village disparaît
dissous dans le miroir du soleil
ne reflétant plus que le vide blanc
d'une terre en fusion.
Sur la place
quelques vieux
aguerris par de nombreux étés
se taisent
sous la complexité d'une haie d'arbres
taillés en hauteur
en un dais de feuillage.
Les yeux fixes
tournés vers leur mutisme
ils fuient le néant
qui les guette
comme des fruits mûrs.
D'autres textes de cet auteur sont ici
Encres Vives - N° 442
Aujourd'hui pas une parole pas un saint
n'est venu emboîter
le pas de l'espérance
la ville a prodigué son lot de malheureux...
une sirène deux pour soigner nos malades...
la nuit mendie son pain au bord des devantures
Encres Vives - N° 443
Demeure
L'instant présent
allume la prairie
de ton expérience
Assis à aimer
l'oiseau de ton souffle
se meut de l'espace
Coeur pareil au feu
ouvert au silence
tu éprouves le chant
L'eau de ton front
ici s'abandonne
à la lumière du vent
Où dansent les reflets
sur le miroir du jour
tu te reconnais
Esprit au repos
tu te désaltères
à la source de la vie
Le blog d'Ivan Dmitrieff est ici
Encres Vives - N° 444
Les mains du ciel
sont pliées dans la bataille
Et leurs paroles se sont perdues
dans la hâte des jours
Quand dodelinent la matière
et son soufflet de forge
Le temps alors est une caricature
Le commerce à la place
de l'affect
Mécanique d'un monde
qui crache des chiffres
Dont les reflets imitent
le vrai
Encres Vives - N° 446
Dans l'hiver 39/40
...
Un canon de 65 m/m est pourtant scellé
sans compassion pour le sol
*
...
Les chouettes qui huent et se déplacent
sont des guetteurs ennemis
Alors
rester immobiles confondus avec des arbres
maîtriser les boules de nerfs
garder un sang froid de feuille morte
*
...
Autour de la maison des boites de conserve
vides suspendues à
des fils
de fer
pour qu'elles tintent si
quelqu'un
*
Ne pas se montrer aux fenêtres
pas de place
pour les têtes brûlées
*
...
Le courrier suit son homme
Ah l'odeur des colis des marraines de guerre
écartelés comme
Souviens-toi
des corps d'autrefois
...
D'autres textes de cet auteur sont ici
Petit matin
Je te reconnaîtrai aux algues de la mer
au sel de tes cheveux aux herbes de tes mains
Je te reconnaîtrai au profond des paupières
je fermerai les yeux tu me prendras la main
Je te reconnaîtrai quand tu viendras
pieds nus
sur les sentiers brûlants d'odeurs et
de soleil
les cheveux ruisselants sur tes épaules
nues
et les seins ombragés des palmes du
sommeil
Je laisserai alors s'envoler les oiseaux
les oiseaux long-courriers qui traversent
les mers
Les étoiles aux vents courberont leurs
fuseaux
les oiseaux très pressés fuiront
dans le ciel clair.
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Ma mère
Quel temps fait-il?
La fenêtre est couverte de sable.
Elle fait le ménage, époussette
des meubles qui n'existent plus.
La pluie raconte des histoires où passent
des sifflets de locomotive.
Le facteur ne passe pas chez les morts. Moi,
je suis la photographie sur la commode.
Où sont rangées mes cravates
d'adolescent.
J'écoute son pas alerter le vide.
Je frappe.
Un autre texte de cet auteur est ici