Glanures des années 2010, 2011 et 2012

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F. Menéndez I. Hernández González M. Aguilar Carrillo J. Castillo Fan A. Sutzkever C. Ernesto Garcia A. Herrera Duarte J. J. Dorio R. Ha-Minh-Tu M. Tugores Garau
J.-M. Tixier L. Lubeit M. Pasini T. Crassas M. Nungaray P. Argenté  P. Cottron-Daubigné O. de Pierrebourg L. Fels F. Johnston
I. Lévesque B. Machet L. Padellec J. Poëls S. Ritman Saïthong Chaunes R. M. Rilke L. Gaspar Yekta
P. de Boissy B. Balteg J. Mougin F. Whitty J. Conejero O. A. Santos R. Welter J. -M. Bongiraud S. Haddad Suied
W. Gonzalez Lopez F. A. Dopico F. Coffinet A. Eyriès C. Saint-Paul E. Chassefière E. Anoceto Y. Guevara A. Castañeda Pérez de Alejo A. N. Castro Arévalo 
M. Garcia Alonso L. M. Perez Boitel G. Lades D. Shishmanian  J.-F. Sené C. Dupuy-Dunier G. Sans J. Joubert E. C. Belli P. Mairal
Machrab S. D. Garneau L. Quincoses Clavelo T. Diaz U. Varsovia F. Ginoris Rodríguez R. San Geroteo P. Sanchez S. Bouvier A. Guillemot
Maximine J.-L. Lavrille S. G. Lizárraga Rodríguez S. Gucciardo M. Couquiaud F. Álvarez Velasco S. Montobbio J. Cortazar R. Durand Campos M. Migozzi
A. Mounic C. Luezior J.-L. Bernard A. Briet A. Lauro F. Y. Caroutch F. Bouscarat V. Joyaux M. Cosem P. Cros
J. Lovichi M. Alhau L. Suel S. Berlottier G. Bocholier C. Aubaude C. Hubin J. Rousselot I. Voronca M. Cazenave
C. Danjou C. Gibelin C. Mahy G. Paris V. Stancu H. Badescu I. Tepelea W. Lambersy V. Muselli L.-G. Damas
Marièva Sol H. de Saint-Denys Garneau L. Savary J. Saint-Jean B. Libert E. Annibali Bas de page
 
Fernando Menéndez: Trente neuf haïkus
 .

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D'autres textes de cet auteur sont  ici
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Cañasanta

Ihosvany Hernández González

Dans l'attente d'une saison sous ce portique

                                               Je ne mourrai pas sans voir la neige
                                                                                                       Nelson Simón

nous avons cru qu'une île était un pays vaincu par le soleil et le salpêtre qui assoupissait nos visages pendant des années de fête. en guettant les premières cartes postales nous arborâmes le rêve de nager vers d'autres îles où éteindre la soif. Paris et Philadelphie furent des paysages parfaits en couleur, et  les yeux fermés nous percevions un port, une eau de roses, un savon de toilette. A contrario s'en allait la griffe de l'ami ébloui par la neige, la nuit du vingt-quatre décembre, la nuit où la mère dormait à La Havane après avoir béni le fils et suivi
le rêve.

Paris et Philadelphie ont planté les visages de l'étrange,
les drapeaux de l'incertain.

Nous avons cru que l'île était la mère candide disposée à lécher les blessures. nous avons été des créatures qui se réduisaient à perdre leur peu de valeur pendant de longues années de résidence au sein de la famille, favorisant la loyauté pour ne pas courir après les premières chimères. Plus tard, la mère à la porte leva la main et dit retourne avec cette poignée dont nous parlâmes tant et hissa mon rêve inachevé, cela calmera la fièvre de ce jeu perdu dans l'attente d'une saison sous ce portique.
de nouvelles cartes postales arrivent aujourd'hui à l'île, la mère réclame d'aborder à la nouvelle patrie de son fils, de dépouiller la misère de la table, et le pardon de ces années
qui nous ramènent à toute la famille.
paroles  inutiles
trouant les chansons de la troupe décimée
jeunes bottés aux longs cheveux qui déambulent par les rues
à la recherche d'un endroit pour l'amour, de paroles
citadines et qui ne savent pas
rien de ce jeu des apparences, de ce hasard
étincelant des villes qu'ils attendent
de cet automne pareil à une caresse.
ils s'ouvrent au vice et nous percevons seulement le parfum/ la couleur/ la rose
d'un autre jeune déloyal qui convoite et dans sa négligence
oublie la fièvre qui nous rend muets.

Paris et Philadelphie ont planté les visages de l'étrange,
les drapeaux de l'incertain.
 

Images destinées à être écrites
 
tu essayes de tracer la ligne des corps comme sel
et cela ne te suffit pas
tu proroges le feu
pour le moment où la solitude commence à revenir sur ses pas
par les mêmes chemins et te reconnaît
ce bras d'eau par où doivent couler des poissons.

dénudé sur cette page
rien ne changerait en cette seconde
seulement la foule qui nourrit un ciel identique
à l'aube
sur l'asphalte
par où tu vas à la recherche de la ville destinée à la parole.

Ihosvany Hernández González est un poète cubain qui vit à Montréal (Québec)
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Miguel Aguilar Carrillo

Théorie de la connaissance

Je l'ai su|J'ai palpé la surface et la ride presque
en silence|J'ai pénétré jusqu'au guano où le liquide
sacré s'amasse doucement|où le vent
vieillit pour voyager et grisonner
au plus profond
dans la grotte où nage la sirène avec ce hurlement
de remous nécessiteux|où la mauve exhale
son arôme
à quatre bras|à corps enflammé déconfit
et presque brin|Je l'ai su|Je l'ai connu sans rancoeur
et sans oubli ce fragment qui unit à ses fragments
cette vétille|ce vide tellement profond et si plein
cette île
pareille à la musique sans voix|avec l'haleine rude
qui est celle de la mort quand elle nous aime.

Miguel Aguilar Carrillo est un poète mexicain, couronné en 2009 par le prix Desiderio Macías Silva
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Jorge Castillo Fan

(De écho du feu)

Tu sais que je n'ai jamais eu d'âge seulement des battements
pour annoncer toute la rosée
que verse ton corps
sur le dernier iris du désir
Seulement ce chant qui à fleur de soif croissante
souligne mon destin
Seulement ce navire insomniaque qui échoue en toi
sans que tu le saches.
 

(De revolver de l'amour)

                      Tandis que je continue à t'aimer
                                                                      Juan Gabriel

Que Dieu entre dans ta poitrine
avec une lampe sans temps
et que fleurissent les enfants
comme un jardin d'étonnements couleur lilas
Que le pollen de ton rêve

adoucisse ton regard
et que tout le rêvé te couronne
(Tandis que je pleure dans l'obscurité
et que je continue de t'aimer).

Jorge Castillo Fan est un poète péruvien
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Carlos Ernesto Garcia

Amour interdit

Le néon frappe un corps dénudé
qui tourne harmonieusement
autour d'une barre.

Les regards lascifs
le poursuivent
en voulant l'atteindre
et le dévorer.

Le rhum et la bière coulent à flots.
On écoute Luis Miguel et Ricky Martin.
Le porte-jarretelles de la danseuse
déborde de dollars.

Elle sourit et pense:
au lait de ses fils
au loyer qui n'est pas payé
et qu'il est déjà très tard
et qu'elle a sommeil.
 

L'embuscade

Une poignée d'hommes
se dirigent sans le savoir
vers le néant.

A moitié ivre l'homme frémit.
La goutte de sueur au front.
Le regard fixé
sur les chronomètres
qui annoncent en silence
le surprenant point de départ.

Carlos Ernesto Garcia est un poète salvadorien qui vit à Barcelone
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Alcides Herrera Duarte

Dans le passé, avant cinq heures

Je crains de m'arrêter en face d'elle,
de marcher à son côté, de durer
dans le siège du passager.

Je crains de me montrer à des étoiles
que j'ai déjà vu mourir
dans cinq mondes, cinq avant les cinq heures.

Je chemine vers une nouvelle mort:
par un fil d'argent,
par la nouvelle relation.

Avec la foi de ces anges.
Je crains le nombre
et ses couleurs ennemies

et la cage d'or d'un instant
avec le feu. Dans ce monde, dans celui-ci.
Face à l'eau avec le sel.

Je crains son parfum semblable à ses mots.
Je crains qu'on parvienne à me voir,
Je voudrais être inconnu, quelqu'un par moi-même,

et que ces anges s'alarment
et se retirent.
Jusqu'à la grève de toutes les visions,

en un lit étranger, énumérant
des places, des dieux de boue,
je vais suivant la musique interdite.
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Marlene Pasini

SORTILÈGE

Ondulation égarée
dans le regard,
inscriptions de l'invisible
qui tombent au fonds du rêve,
normes d'un autre temps.

Des ailes fugaces dansent
entre les branches,
chaque mouvement
s'évapore dans le feu du moment.

Du lointain le bruit de nos pas
assiège l'étang et sa tranquillité de jade.

Intacte noirceur d'ombres.

Une dernière marche discrètement enterre l'obscurité
 
Des quartz de lumière
croisent une splendeur de nuages,
et se réverbèrent dans les eaux muettes.

Le ciel profond
est une chant impassible de corneilles.

Rêver,
lumière qui se dissout:
        sortilège.
 

INSOMNIE

Obscurité
des filaments de givre s'étendent sous mon ombre,
ils transpercent la grotte de ma poitrine.

Syllabes embryonnaires
recouvrez la nuit de tuiles.
 
Dans leur tombe d'oubli
explosent des voix de vent et de sel.

Marlene Pasini est native de Toluca, au Mexique
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Melissa Nungaray

Silence illuminé

I
L'oubli est une goutte
qui tombe dans le fonds
d'un désastre  inconnu
et contrecarre
le coeur de la nature.
 

II
L'humilité
est une coutume
de la profondeur de l'être
qui s'approche
de la raison même
du spectre.
 

III
Le ciel me guette
dans la distance
qui révèle la lumière
de la nuit
et clignote
dans la voix innocente
qui m'oublie.
 

IV
Ma voix
se ferme
dans le poème
que la terre
découvrira;
dans la colère
qui rode
sans disparaître;
dans la tourmente
qui achèvera le monde
en l'intense nuit
qui chemine.

Melissa Nungaray est une enfant poète, âgée d'à peine plus de 11 ans (en mars 2010), native de Guadalajara (Jalisco), au Mexique, qui rappelle le phénomène Minou Drouet, en France, au milieu du siècle dernier.
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Juanita Conejero

Au royaume des yeux

Le temps s'est enfui rapidement sans la moindre honte.
Je suis comme une simple feuille qui vole et tombe massacrée
dans la boue outrage de tous les hivers.
Je fus un arbre touffu quasiment imbattable ne redoutant pas les rocs
                         ni les serpents. J'ai pu creuser jusqu'au fond la racine
la plus profonde   convaincre des multitudes   énormes bâillements
solitaires et percevoir les battements des corolles assoiffées.
Je fus celui-là et cet autre et beaucoup plus encore   fureur   immergée
dans une coquille provocante   désobéissante   et dans cette minute
le temps s'enfuyait  l'épine empoisonnée meurtrissait.
Tout est mémoire   légende   mythe enfoui dans mes profondeurs
et ce fromager que j'observe épanoui à mes côtés  gémit
quand les amandiers tombent en poussière.
Et je me demande si je fus un arbre?  pourquoi suis-je une feuille massacrée
dans la boue?  Si j'ai creusé jusqu'au fond   pourquoi la racine si facilement se résume à un poing?
Ce n'est pas possible! Mes yeux m'annoncent
d'autres yeux  mes mains se tordent devant un adieu retenu.
Il faut continuer à creuser profondément   il faut forcer d'ardeurs
les récoltes   il faut mordre le blé bleu afin qu'il guérisse.
Il faut trouver un nouveau Soleil et un jour sans exil.
Il est nécessaire d'armer de lumières ce puzzle de lunes.

Juanita Conejero est une poète cubaine.
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Omar Alberto Santos

Contre toutes les prévisions

Contre toutes les prévisions
et en considérant la piété que t'offrit
la main de la vie,
sans doute, tu marcheras en recueillant les semences miraculeuses
du ponant. Tu avanceras avec une philosophie de Géante
incomparable. Tu étaleras ton corps sur le gazon
des ardents et ils te chercheront et ils te souhaiteront.
Sans doute, tu avanceras comme un lac surnaturel lavant
la nostalgie et les blessures d'autrui. Très certainement : tu seras l'oiseau
que l'enfant a rêvé, la garantie qui sauve des égouts. Tu vaincras,
tu laveras le lieu de la licorne, tu empileras lettres sur lettres,
quelle lumière quelle prospérité accumuleras-tu, ah, et par ailleurs tu seras
l'oreiller de Dieu. Toutefois, tu ne verras pas mon vêtement avec
ton habit, mes yeux où tu découvrais l'évasion, la maison
entière, le poème. Contre tous les pronostics et
en considérant les contradictions sans faille, le silence
et la bibliothèque du magicien te feront souffrir,
tu désireras mon poème, ma peau, vide,
dans ton oreiller tu dessineras mes bras…
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Waldo Gonzalez Lopez

Années

Parce que je te pense, mon amour, parce que je te pense
dans ces moments lointains,
quand dans un temps si long et pourtant sans distance,
nous convoitions un rêve plus intense…
déjà aujourd'hui avec les années rivière débordée.

Parce que maintenant je te regarde et pense, mon amour,
dans le présent si éloigné d'hier
-quand nous étions au temps du bon vouloir-,
je sens que l'existence n'est pas une douleur
et que la nostalgie est beaucoup plus qu'une fleur.

Waldo Gonzalez Lopez est un poète cubain
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Frank Abel Dopico

Tu n'es pas si différent

Tu n'es pas si différent de celui que tu as voulu être.
Au moins tu sais
que les moulins à vent seront toujours gigantesques.
À l'intérieur de ta chair
se mirent tes moments passés. Au fond de toi tu ne t'es jamais promis d'être
le début ni la fin: tu as voulu être le voyage, le vol, le chemin.
Et c'est cela que tu es.
Tes amours t'escortent ainsi que tes haines et tu hais tes haines comme tu aimes tes amours.

Tu n'es pas si différent de celui que tu as voulu être.
Une femme nue est ton danger le plus rare.
Le sentier
de quelques  seins. La salive fugace des étoiles aigres.
Les yeux avec lesquels tu te vois mieux que dans un miroir
sont les yeux qui regardent ce qui te résume, dénudés, désirant.

Tu ressembles un peu à celui  qui a jeté la pierre
et à celui qui l'a reçue.
Tu ressembles encore
à celui qui pensa que le monde
n'est pas non plus différent
de ce qu’il a voulu être.

Frank Abel Dopico est un poète cubain
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Edelmis Anoceto

Matière obscure

Je soupçonne la fleur, la silhouette qui ne se laisse pas sculpter.
L'eau apporte des morts, mouvement de la nature
pour me séduire, faire de moi un nom,
un numéro.
Il n'y a pas autre chose dans le lieu où fut la fleur.
Je crois en ce qui est vide et c'est cette perfection là qui me tente
et m'incline à rester dans la limite des limites,
dépourvu, au milieu d'intempéries éteintes.
La lumière a des frontières que l'homme ne traverse pas.
L'eau apporte des morts virtuels à mes yeux,
elle dépose leurs corps,
ces yeux de mes yeux.

Edelmis Anoceto est un poète cubain
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Yvette Guevara

Off-side
                                        aux aphorismes, par leur Kafka

Quand je fus homme, je vécus près des oiseaux.
Quand je fus oiseau, je vécus près des hommes.

Quand je fus homme j'essayai de voler,
quand je fus oiseau j'essayai d'être homme.

Quand je fus homme-oiseau je vécus au milieu du maïs,
avec la paille tendue de mes bras
attachés à un pieu,
et les épis de maïs se gonflèrent de sève.
Quand je fus oiseau-homme je vécus en aimant
une colombe
dans le vitrail d'un temple
une colombe sur le point de s'échapper
vers la certitude.

Yvette Guevara est une poète cubaine
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Alexis Castañeda Pérez de Alejo

SÉBASTIEN

(du livre "Révélations du Silence")
 
Voici mon corps
Je suis celui qui convoque
aujourd'hui les flèches.
Quelles viennent incrédules,
qu'elles s'acharnent dans l'entaille de ma tendresse
qu'elles soulèvent la rancoeur dense des estrades.
Voici la blancheur de ma poitrine,
qu'on laisse ici les insultes
qu'on perçoive le rite obscur du péage.
Mon pardon
renverra tous les coups
il sera comme une rivière domptée dans les consciences
et quand un seul, seulement un seul d'entre la multitude
baissera son arc,
je saurai qu'au-delà de mes blessures,
bien au delà du mythe et des trophées
quelqu'un gardera
l'ombre de mes actes.

Alexis Castañeda Pérez de Alejo est un poète cubain
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Andrés Norman Castro Arévalo

Polaroids de la fin du monde
 
Il manque deux minutes
pour la fin du monde.

Dieu a pris la forme d'une vieille solliciteuse
qui n'est pas intéressée à connaître ou entendre davantage
les créations, les cantiques ou les éloges ;
il demande seulement notre miséricorde.

Il manque deux minutes
pour la fin du monde.

Les seins des prostituées des rues
sont des sources du Malbec le plus fin
avec lequel on devrait baptiser les oiseaux
qui chantent tandis que nous nous précipitons à l'abîme.

Il manque deux minutes
pour la fin du monde.

J'ai appelé mon amour platonique
- celle-là même que j'ai poignardée dans une nuit de Prognosis négatif *
mais j'ai découvert que ce n'était pas elle, mais plutôt
celui qui mourut d'un infarctus dans son utérus
tandis que je lui écrivais des poèmes d'amour.
Ce pourrait-être mon épitaphe.

Il manque deux minutes
pour la fin du monde.

Le temps maudit résiste à la fin.
Les aiguilles de l'horloge ne mincissent pas
bien que l'on n'écoute plus que le chant des oiseaux.
Le corbeau tient le rôle du baryton dans le choeur.

Il manque deux minutes
pour la fin du monde.

* Un autre poème du même auteur

D'autres textes de cet auteur sont ici

Andrés Norman Castro Arévalo est un poète salvadorien. Son blog est  ici
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Margarita Garcia Alonso

Axe de contes
 
Quand tu t'es rendu au chalet de la montagne avec quatre inconnus troubles
pour fumer toute la fin de semaine, mon ventre engendrait
un foetus vulnérable.
Je me souviens que l'angoisse assombrissait les rues
et on m'interrogeait sur des chemins à prendre et je répondais,
je répondais atrocement tout ce dont je me souvenais puisque j'étais encore vivante.
J'aurais pu le garder sans ma fragile corpulence
et cette ancienne séduction pour le désastre.
Je dois revenir au chas de l'aiguille,
à la tête d'épingle où les brumes brûlent,
où les mi-journées sont des lamentations de plomb
où les après-midis défont le monde,
où la nuit dernière terrifie.

Margarita Garcia Alonso est une poète cubaine qui vit en France
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Luis Manuel Perez Boitel

Un poème comme plat principal
 
Je dessinerais des gares et atteindrais les crêtes
Les plus sacrées / mais le temps nous sépare /
Ceux qui m'accompagnent ne déchiffrent pas ce qu'il y a
sous la ville.
Mon compère / ne cherche pas dans le poème d'hier de ce que je t'ai
signalé
sur la ville et la solitude d'un homme.
Je suis pour le moment un réprouvé de l'île.

Savourer qu'on t'oublie /qu'on te repousse du pied /
Cesser d'exister avec le poème comme plat
principal.
 
Mon compère / ne cherche pas dans le poème d'hier de ce que je t'ai
signalé.
Une navaja, voilà ce que tu possèdes / l'amour est mensonge.

Se taire.

Ensuite je te parlerai de poésie.

Luis Manuel Perez Boitel est un poète cubain
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Liudmila Quincoses Clavelo 

Depuis que je connais ton nom je l'écris sur l'eau
 
Depuis que je connais ton nom je l'écris sur l'eau,
parce que ton corps et d'eau
et que tes yeux sont eau.
Ce soleil m'annonce déjà que tu ne dois pas t'en retourner.
Nuit après nuit je t'ai libéré des grands messieurs
qui avec leur face ténébreuse essayent de nous séparer.
L'univers est seulement un cercle,
un serpent subtil qui se mord la queue.
J'aurais voulu de la paix et je ne l'ai pas,
j'aurais voulu me délasser et il n'y a pas du repos,
j'aurais voulu être pierre et je suis seulement une ombre
comme tu dois l'être.
Mais ta beauté est si grande,
et si grande ta tristesse
que je ne peux pas t'emmener au fond de mon obscurité.
Dans ces lieux où la pénombre est lumière
images sinistres de ce que fut ton visage
qui vivent dans l'eau.
Le temps n'existe pas,
l'or du jour et le bronze de la nuit sont deux métaux
imprimés dans une même monnaie
qui n'arrête pas de roder, qui ne s'arrête pas.
Qui traverse des labyrinthes, des paysages difficiles,
et mon âme déjà transpercée
pour jamais n'arriver.
Dans les jours que l'on appelle ici habituellement des nuits
j'ai reconnu ta voix
qui vibre dans le silence et me condamne.
Libère-moi de la peur,
je vis parmi les ombres, élève-moi à la lumière,
à la lumière intense.
Ils sont venus te chercher les Employés du Maudit,
mais si au dernier moment tu découvres ma présence
je sais que je t'aurai sauvé.

 Liudmila Quincoses Clavelo est une poète cubaine. Son site est ici
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Tinito Díaz 

Tragi-comédie (Fragment)
 
Nous vivons entourés d'artefacts qui apparemment nous stimulent.
Une carte de crédit nous fournit le passe du labyrinthe
où les aigles sont nourris de mansuétudes bleues
et où l'homme est un chiffre dans le panneau du destin.
La vie est devenue un cirque de mauvaise mort:
les lapins perdent leur forme dans la pénombre d'un chapeau
L'intellect est une lumière qui se déplace à l'intérieur d'un aquarium;
une ligne pythagoricienne entre le bien et le mal.
L'ignorance ouvre ses jambes sur de monstrueuses béances.
"Rien ne nous différencie déjà des hyènes"

Jesús A. Díaz (Tinito) est un poète et dessinateur cubain
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Ulises Varsovia 

Condition
 
Je ne t'écrirai pas, poème,
jusqu'à ce que tu me promettes
que tu défendras
à bras raccourcis
mon nom attaqué
par langues bifides,

tu n'émergeras pas à la lumière,
jusqu'à ce que tu me jures
loyauté et obéissance,
et sois plus mien
que toutes les lettres
dont je suis fait.
 

Ballade
 
Ballade de la mauvaise mort,
en cheminant par les poblaciones
d'une région non mentionnée sur les cartes,
ni dans les fables, ni dans les documents,
seulement ici et nulle part.

Tu n'existes pas et le contraire aussi, peuple,
dans une auberge duquel mon cheval
fut brusquement commotionné
par de cruelles hallucinations,
en hennissant toute la nuit.

Nous partirons d'ici à l'aube,
mais avant de vous quitter, montrez-moi
où se trouve le cimetière,
où sont vos morts, dites-le moi,
les seuls témoins dignes de confiance ?

Sur le chemin d'un autre peuple fantôme,
nous croiserons la rivière d'eaux
envenimées de la province,
Nous n'en boirons pas et je n'interromprai pas
ma progression sur sa berge malveillante.

Vous vous mourrez tous d'absence,
et de ne pas m'expliquer vos morts,
et quand bien même on n'arriverait nulle part
je ne regarderai ni en arrière, ni en avant,
perdu dans le monde.

Ulises Varsovia est natif de Valaparaiso, au Chili
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Fidel Ginoris Rodríguez 

Moi aussi
 
Moi aussi je fus un traître
qui poignarda dans le dos le matin
informe de l'automne
le saint et le signe des lis,
qui détraqua la communion des épis
et de ses mains aida à creuser chaque tombe
dans laquelle rêvaient les oiseaux avec les vents du nord.
Moi aussi je fus un naufragé,
sur la roche solitaire où j'ai fondé mes pouvoirs
j'ai compilé les strophes d'un hymne guerrier
et je me suis cru la moitié de tous ses mensonges,
j'ai mendié à chaque bateau une bouteille
dans laquelle laisser de petits messages tristes.
Moi aussi je fus un dictateur
qui adaptait les horaires du déjeuner
en distribuant de menus miettes et des consignes,
j'ai mélangé les spasmes du temps
avec un morceau de mot
au moyen d'un sourire et de la toile de fond
de toutes mes misères.
Moi aussi j'ai fait partie du jeu
sur mon dos marqué
s'accumulent encore les fantômes
de la frayeur.
 

Conquêtes
 
J'ai vaincu la peur
de l'oiseau qui l'emporte de la montagne
et la laisse tomber dans un silence assourdissant
sur les murs qui contiennent la lumière.
J'ai soldé ma dette
avec la terre qui dans son tourbillon terrible
détrône la supercherie
en laissant à sa place
la mort permanente.
J'ai démantibulé le mythe de l'enfance.
Jamais nous n'avons été plus enfants
que le jour où nous commençâmes à nous croire des hommes.
J'ai conquis à nouveau mes rêves
et je crois que cela me suffit.

Fidel Ginoris Rodríguez est un poète et narrateur cubain qui réside au Chili depuis 2003.
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Sergio Gabriel Lizárraga Rodríguez 

PASSÉ
 
Tu flambais sur ma table
Où ta viande exquise abondait.
Je te jetais sur les grils
Et te faisais rôtir!

Je te dévorais proie de ma gloutonnerie
Après quoi une fois assouvi.
Avec morgue
Je balançais tes restes aux mendiants
En me moquant de ces gens là
Derrière notre porte à l'affût
Que je traitais comme des chiens!

Mais maintenant
Tes viandes ont déserté ma table.

Et je supplie
Ces mêmes mendiants
De partager avec moi tes os.

Sergio Gabriel Lizárraga Rodríguez est un poète argentin
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Alberto Lauro 
 
Mon père est mort.
Et je suis à Madrid en train de fêter l'anniversaire
De l'actrice Enma Suarez,
Quand cela se passe-t-il? Voici à peu près cinq jours.
Quelqu'un m'offre une coupe de champagne rosé.
L'Espagne l'a rendu insensible, pense ma tante Lilí
A l'autre bout du fil, du côté de Miami.
Il y a une semaine que mon père est mort
Et elle a pleuré tout le temps
Avant de me retrouver tandis que je festoyai
Je n'étais pas de la fête: j'en étais le maître.
En exil nous n'avons pas souvent le temps
de pleurer nos morts
La fête doit se poursuivre où l'on n'est que l'invité
Cela n'a pas d'importance. Je pleurerai bien plus tard
Lorsque je ne serai plus mon heure dernière arrivée
J'aurai disparu, mon père,
Tu vivras dans mon poème.
 

NUIT OBSCURE D'ESPAGNE

                                          Pour Aurore Adrada
 
Je scrute cette nuit obscure
De l'Espagne qui est mon miroir.
Comme un aveugle je peux voir
Ton visage et le mien,
Ces lèvres qui taisent un nom,
Ce nom qui se cache
Entre des lèvres scellées.
Et voici mon cou
Qui est aussi le tien, bourreau aimé,
Sur le point d'être exécuté.

Alberto Lauro est un poète cubain, plusieurs fois primé dans son pays et à l'étranger, qui vit en exil en Espagne depuis 1993.

Cañasanta est ici



Avrom Sutzkever (Smorgon 1913 - Tel-Aviv 2010)

Étendu dans une bière
Comme en un habit de bois
Étendu
Disons que c'est un vaisseau
Sur les vagues de l'orage
Disons que c'est un berceau

(Ces vers se réfèrent à une nuit entière passée caché dans un cercueil pour échapper aux rafles allemandes pendant la seconde guerre mondiale en Lituanie)

Là-bas (en Europe), je voulais par mon chant donner la vie aux vivants. Maintenant, je veux donner vie aux morts. (En Israël, 1953-1954)

Le soleil est à tout le monde, mais plus qu'à tous
Il est mien
Les racines des ténèbres
Je n'en ai nul besoin.
Je suis un enfant du soleil
Je suis la vie même
Et la trace d'un renard argenté sur la neige
Est ma mémoire.

(Ces vers font allusion à l'expérience du poète réfugié en Sibérie, pendant la première guerre mondiale, pour échapper aux pogroms)

Avrom Sutzkever était un poète Yiddish (source: Le Monde - 29 janvier 2010)

Pour en savoir plus sur ce poète, cliquez ici



Jean Jacques Dorio: A sauts et à gambades
.
Encres Vives - Collection Encres Blanches
.
A sauts et à gambades
.
                               J'aime l'allure poétique
                                         A sauts et à gambades
                                                               Montaigne
 
Ne te prive pas du bonheur du copiste 
Qui lisant et écrivant 
Mêle ces deux dimensions du temps 
Sans souci de la page vide 

Et puis copiant et recopiant 
Tu seras peut-être surpris 
Si ton âne chargé de livres et de citations 
Se transforme en ce cheval errant 
Qui prend hardiment l'allure poétique 

A sauts et à gambades

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Aimer l'utopie

Encres Vives - N° 399
 
... 
Que faire de la pluie 
qui remplace l'hiver 
des fleurs du cerisier 
sous mon abricotier? 

Les Japonais anciens 
y voyaient des squelettes 
Ils me sont étrangers 
Mais comme eux je m'exerce 
à poursuivre la chant 
... 

Mon poème ce matin 
c'est moineau qui l'écrit 
sur l'herbe à deux pas de la table 
où l'on pose ses pieds 
et du papier 

Le voilà apparu 
une mouche dans le bec 
qu'il s'efforce d'avaler 

Le voilà disparu... 
et pour l'éternité

D'autres poème de Jean Jacques Dorio sont  ici
.
Le blog de Jean-Jacques Dorio est  ici



Régine Ha-Minh-Tu: Revers d'encre
.
Encres Vives N° 376
.
dans la nuit qui avance
vite encore,
une tuile, une ardoise
avant de s'assoupir

les bornes emportent chaque lieu

détail d'une pierre ou d'un toit
un arbre attaché à un pont
un château de roi sur une rive d'eau

chaque fois,
le détail s'écoule dans mes veines

chaque fois
voyage imaginaire
tout vouloir à chaque kilomètre

L'instant où l'on sait
que le bruit de la vague demeure

cette attente qui pique le coeur et la tête
sans cesse les mêmes places

il n'y a pas de borne entre les pleines lunes
seulement les lieux de notre émotion impuissante

l'ombre des arbres change à chaque instant

Un autre texte de cet auteur est ici



Matias Tugores Garau: Combattant l'incertaine obscurité de la nuit
.
Encres Vives N° 377
.
Mon abîme,
au milieu du jour et de la nuit
met en déroute les derniers liens,
témoins de ma liberté,
avec des vérités que les dieux déchus n'acceptent pas.

Tout à coup, je suis seul
et j'ai très peur
au milieu de tout le monde.

Les sons de la nuit ne me protègent plus,
ils savent encore que les frissons du matin
réveilleront pour toujours
ces vieilles chansons,
remplies de paix,
de liberté
de bonté et de péchés
et amies des entrailles de l'abîme.

Matias Tugores Garau est un poète catalan qui vit aux Baléares



Spécial, Jean-Max Tixier (1935-2009)
.
Encres Vives N° 378
.
Branches, bronches, branchies, voilà soudain que l'on respire mieux par les mille ramifications de la vie. L'homme est un arbre qui marche et qui se comprend dans la fréquentation de ses frères immobiles. Ce n'est point là séduction de poète. Le sang qui bat aux tempes frappe d'un bruit de cognée, et frappera longtemps encore, élargissant la saignée, jusqu'à ce que le monde chavire dans un ultime craquement.

L'âge recouvre la plage
où finissent les mots
L'attente des jours
est prise par les sables
Ainsi de l'étendue de la mémoire
et de l'enlisement du souvenir
grain à grain
dans la mouvance du temps
qui glisse entre les phrases
du désir jusqu'au vide

D'autres textes de cet auteur sont  ici


Léo Lubeit: Éléments
.
Encres Vives N° 379
.
Ici vécut, ami, un poète:
il n'a rien choisi de la vie
que fut pour lui la poésie;
mais de familières chimères
dans son regard se sont posées,
oiseaux venant du bord du ciel
se reposer, on ne sait d'où
guidés jusqu'à ce lieu obscur
où l'âme commence en naissant
ou parvient par quelque accident;
et il devint parmi ses proches
un étranger
vivant dans la même maison,
au milieu d'autres horizons.

...
Tu es un mot
et je ne sais
rien
de ce que tu signifies

Mais je te confie
cet instant
où l'on dirait
que quelque chose
en moi
veut parler
...



Théo Crassas: Vent du sud
.
Encres Vives - collection Lieu N° 219 - (Grèce)
 
Le Portique de la Beauté 

Ô toi qui es plus belle 
que tous les portiques d'Athènes et de Rome, 
ô toi dont les formes sont plus opulentes 
que la somptueuse Asie elle-même, 
emporte-moi 
comme Aurore emporta Tithon, 
oui, entre dans ma couche, 
comme Aphrodite monta dans le lit rustique d'Anchise, 
sur les cimes de l'Ida phrygien! 

Ah! Comme j'admire ta croupe 
qui a été bâtie au son de la lyre d'Apollon 
et à l'harmonie de laquelle 
contribua fort Neptune, 
en lui donnant la plasticité de l'onde! 

Tous mes désirs sont tournés 
vers tes seins 
que me laissa découvrir 
ta tunique entrouverte: 
ils sont plus blancs que la nacre indienne 
ou que la neige toute fraîche 
ou enfin, que le blanc cygne 
et le lait de chèvre! 

J'ai beau essayer d'éteindre la flamme 
dont je brûle 
dans le vin rouge, 
vains sont mes efforts, 
car l'ivresse dans mon cas 
agit comme le feu sur le feu! 
...

________________________________________________________
Jus de mangue
.
Encres Vives - collection Lieu N° 224 - (Thaïlande)
 
La Petite Pirogue Amoureuse 
.
Ô petite pirogue amoureuse
vers quels innombrables bras de fleuve
me mènes-tu?
.
Vers quels affluents
où se baignent les palétuviers bleus
et où flottent les lotus de la tendresse,
me conduis-tu?
.
Et sous quel ciel baroque
m'entraînes-tu,
vers le large trône de la Déesse Suprême
qui y prend place,
entourée de toutes les apsaras,
sous un dais de rubis et de topazes d'or?
.
Ah! Puissé-je m'enorgueillir
un beau matin
de m'être emparé de ton gouvernail
et de t'avoir possédée
par une aurore tropicale!
_______________________________________________
Dragon de lumière
.
Encres Vives - collection Lieu N° 230 - (Chine)
 
Démarche de Chamelle 
... 
Comme une blanche pigeonne 
nichée dans une corniche de la Cité Violette 
tu te plis dans mes bras 
ô mon amour plus belle 
que toutes les colombes blanches 
qui hantent la Cité interdite, 
et plus nostalgique que tous 
les lieux de retraite et de recueillement 
des sages de Chine! 
... 
Le dragon de Feu 
... 
Ô femme, afin de décrire ton balancement sacré, 
je me servirai d'une autre image, 
encore plus saisissante, 
l'image d'un dragon de feu, d'un dragon de lumière 
dont les dix mille ondulations 
enivrent les hommes, 
en attirant sur eux la bénédiction du Ciel 
et la protection 
de l'Empereur de l'Est, 
autre forme de l'Auguste de Jade, 
dont l'Épouse règne 
sur la Montagne Divine! 

Or, la légère oscillation de ton corps 
autour de son axe, lorsque tu marches, 
est la garante de ma paix intérieure, 
de l'harmonie dans mes relations avec autrui 
et le support de ce juste milieu, 
de ce refus des extrêmes, 
de ce rejet des excès 
qui constitue le fond de la pensée chinoise, 
depuis les origines!

_______________________________________________________
L'orchydée royale
.
Encres Vives - collection Lieu N° 241 - (Thaïlande)
 
 
Dame Liberté
.
La mimique de ton visage 
et toute ta gestuelle 
expriment ta grande réserve d'aristocrate 
et de dame de la Cour! 

Et quand tu marches, 
tu te retiens d'avancer à grandes enjambées, 
préférant les petits pas légers, 
et tu te retiens aussi 
de trop balancer tes hanches, 
aimant mieux imprimer à ta démarche 
l'oscillation naturelle au corps de la femme! 

Ô toi que j'aime et adore 
à l'égal de l'Étoile du Matin, tu es semblable 
à une chute d'eau 
qui rafraîchirait mes yeux et ma peau 
et apporterait une belle musique 
à mes oreilles! 

Qui es-tu donc,  
ô toi qui descends de la montagne céleste, 
les cheveux dénoués 
et la ceinture défaite, 
en sorte que ton tablier bleu 
ne te serre pas trop? 

Tu es l'image même de la Liberté 
avançant sur les grands boulevards, 
la tête haute et tournée vers le Ciel, 
les cuisses à moitié nues 
et les talons hauts et noirs!

________________________________________________
Le Danseur-Roy
.
Encres Vives - collection Lieu N° 255 - (Inde)
 
La femme au coeur versicolore
.
... 
Quand tu chantes, 
une eau abondante abreuve les jardins, 
les rizières sont inondées, 
toute la terre est fertile 
et même les hommes de l'âge de fer 
sont sensibles aux sons 
qu'émet ton gosier d'or! 

Quand tu joues la harpe, 
il neige sur l'Himalaya 
et de beaux cristaux se forment 
dans l'eau des sources de montagne! 

Quand tu déclames, 
on croit voir la Reine du Ciel 
s'asseoir sur son trône de lotus, 
dans la splendeur solaire, 
et au milieu des Nymphes célestes! 

Et quand, enfin, tu danses, 
on croit assister à la transfiguration 
du Gange en Voie Lactée! 

Écoute la brise du Sud: 
elle prononce les magiques syllabes 
qui proclament ta passion! 
...

_______________________________________
Sang Nègre
.
Encres Vives - collection Lieu N° 258 - (Afrique Noire)
 
L'Arbre à Pain Nourricier
.
... 
Ô frangipanier 
ô manguier de ma tendresse, 
tu effaces le souvenir de ma vie de jadis, 
rendue impossible par les moues, 
les quolibets et les brimades 
des femmes du Nord! 

ö mon arbre à pain, 
nourricier de mon bonheur, 
abandonne-toi aux caresses de l'alizé 
qui souffle de mes hymnes! 
 

La Nuit Indicible
.
... 
Ô toi pure comme la pleine lune 
et comme le silence nocturne, 
te souvient-il de la nuit indicible 
où, pour la première fois dans ta vie, 
tu devais disposer de ta jeunesse, 
vigoureuse comme une jeune jument 
dans la splendeur de ses muscles, 
oui, te souvient-il de cette nuit 
où l'angoisse de l'attente nous étouffait, 
avant que je ne t'invite 
à la chambre d'amour? 
... 
 
La Lionne d'Angola
.
... 
Rapide comme une hase, 
tu passes sur le chemin, 
faisant germer des multitudes de fleurs 
partout autour de toi, 
cependant que les mauvaises herbes 
s'étiolent sous tes pas joyeux! 

Lorsque le soleil descend 
et se couche dans l'océan, 
les astres se prosternent devant toi, 
afin de t'adorer, ô soeur du soleil 
et soleil toi-même! 
...

 
D'autres textes de Théo Crassas sont  ici

Et son site est ici



N4728 -Revue de poésie - N° 17 - janvier 2010

Lucien Suel

Ma vie à deux
...
A la fin il y a de la musique encore de love me tender - un rire rauque elle est reine - ses cheveux ont des reflets d'alcool - les derniers verres vers deux heures du matin - la nuit absorbe les cris et les essoufflements - je baisse les yeux je ne me contrarie plus - nos regards se voilent nous respirons nous respirons en fermant les yeux - je m'absente et je reviens - elle m'ouvre la porte et m'embrasse - notre oeil est expert nos doigts - le tourment ancien tourne en rond est aspiré dans le siphon du temps - nous sommes les amoureux de longue conversation - notre nez nos lèvres se partagent des morceaux d'adn - les yeux archivent - les coeurs palpitants sont enfilés sur la pique à brochettes de l'amour - nous croyons qu'il y a quelque chose
______________________________________________
Sereine Berlottier

Passages de l'attente

3 mars
ta peau blanche et combien de grains de rousseur à ton dos
j'ai oublié
j'oublie encore

opaque la main qui caresse
plongée dans le noir

ce n'est pas cette étreinte-là
ce n'était pas cette étreinte-là

je t'entends
tu matches dans le couloir
tu vas venir
ne me dis pas tes doutes

tes joues sont douces tes lèvres sont douces
j'ai oublié
le caillou de ton oeil gauche

et on est là
nus et mouillés
et j'ai cassé une tasse

mes cheveux flottaient sur ton ventre
loin des mains
sourdes
__________________________________________
Patrick Argenté

17 attentions
         1

Je suis attentif j'écoute
l'orange
et le cidre

dans mon jardin je rencontre
quelques moines chargés
de la quête et des cierges

moines doux
comme sont les anges
et les chiens

moines doux
porteurs de rien si ce n'est
sous leur chemise

leurs brûlures et leurs stigmates
moines tenant sous leur aisselle
parapluie et rendez-vous

je devise avec les herbes
je suis attentif j'écoute
le sourire du monde.
_____________________________________
Patricia Cottron-Daubigné

Le corps dans le regard
         IV

            le cri ne traverse pas le silence
se tient là
            dans la chair
jusqu'au bout des ongles
dans les doigts parfois
on pourrait l'entendre
derrière la nuque aussi
quelque chose même dans les épaules
je vous offre amour
ce cri
celui que personne
jamais ne prend
enfoui loin

                                         autre que les grands remuements de plaisir là
                                         où il s'étale et s'étend s'enroule à l'espace
                                         le cri que vous prenez toujours si beau et que
                                         j'aime dans vos vastes paumes et le monde
                                         éclaté de votre sexe
                                         à perdre le contour de soi
                                         qui s'enroule au vôtre dans des appareillages
                                         de jambes qu'on ne sait plus qui
                               quand plus rauques nos gorges
                               iraient au bout presque

je vous offre l'autre
noir
le cri ailleurs
l'envers
celui des jours ajoutés aux jours
que même à aimer on n'entend pas
je vous offre cela
comme une tête sur un plateau
en plus du corps
qui est.
______________________________________
Olivier de Pierrebourg

Patience de l'art

Le silence seul parle

[Par silence j'entends ce qui sourd de moi nécessairement, mots, phrases, dégagés du souci de se faire entendre, mots ou phrases détachés de l'envie de se faire aimer, du désir de jouer quelque personnage que ce soit. Tel souci, envie, désir, est un pervertisseur du langage. Bien sûr je ne suis pas idiot au point de penser que j'écrirais pour moi seul, qu'une très ancienne tentation de surpasser mon père n'a pas trouvé là son truchement, et que je n'écrirais pas pour que les yeux des femmes et des hommes brillent lorsqu'ils me regardent. Mais si le prix de mon effort est l'accomplissement de cela qu'au moins j'ai comme Rimbaud dans la Corne de l'Afrique pesé l'or sur une balance exacte.]

27 février 1983
Des paroles revêtues de la dignité du silence

[Les voici ces paroles drapées, qu'on imagine poseuses, majestically proceeding sur le tapis rouge d'une salle du trône hollywoodienne, ou agitant leurs mains dans un prétoire. Cependant, malgré tout ce regrettable tintamarre d'images, comprenez ce qu'elles sont ces paroles "dignes du silence", ni paroles proférées de quelque chaire ou tribune, ni paroles assénées comme des coups sur la tête, ni paroles confiées à une bande magnétique entre quatre murs comme des paroles à la mer, ni même paroles murmurées à l'oreille, ni paroles hurlées dans le désert - des paroles non pas dites, des paroles écoutées.]

                                                                  Mars 1983
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Laurent Fels

Arcendrile

"j'étais
aussi

pour toi"

qu'on
prononce

toujours
dans l'ombre

à mi-voix
devant

la nudité
du geste

où le regard
se penche

vers celui
qui attend

déjà
une gerbe

de blé
sur la

tombe
où Dieu

renonce
à la

pierre

...

D'autres textes de Laurent Fels sont ici
__________________________________
Fred Johnston

A minuit sur la rue du solstice

Donne-moi ta main, le verglas est dangereux
les voitures boitent et la nuit est noire comme le chagrin:
nous pouvons mourir, par hasard, sur le miroir étoilé,
sous un ciel rouge-noir, et soyeux comme la peau de ma bite -
je suppose que le silence strident dans la rue est
le bruit fait par la neige qui tombe sur les toits musclés,
le lait gelé dans les bouteilles, des petites langue blanches
qui avancent, explorent le visage d'hiver, la Négresse,
Reine de la Lune; au lit, tes cuisses sous mes doigts
                                                      sont froides au toucher.

Fred Johnston est un poète irlandais
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Isabelle Lévesque

                                                   A Claude Lévesque, 9 septembre
...
C'est l'heure sonnée du contre-jour, c'est la seconde altérée disparue des vivants. Encore dans l'ombre, entre silence et blanc.
Réveil et nous croyons vivant celui qui dans la terre compte les morts.

*
Faussaires. Images comme.
Tu étais, tu fus, sur le film encore tu recules.
Je veux l'ombre pour exister plus.
Père. Passé. Bobine déroulée, évidée. Manque la vie, le fil. Nous liait.
Ce qui battait - pas, le coeur.

*
...
L'hiver appelle l'encre déliée des phrases emportées. L'été coule d'encre vive dans les vers, le gris n'est pas. Seul le noir.

*
...
As-tu parcouru le jour couvert ou bleu, as-tu pour trouver un socle soulevé la terre de tes cendres, es-tu resté où tu étais? Quel chemin discontinu as-tu tracé?
- l'encre blesse la page où tu saignais.
Noir. Serment de signes. Hiéroglyphes, hypothèse du silence posée près de la pierre où j'ai tracé
un titre.
...

D'autres extraits de cette auteure sont ici
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Béatrice Machet 

Bal kanique

C'est drôle comme aujourd'hui dans le corps
c'est bal kanique
un rythme aboyé
des sursauts des froids dans le dos des chauds
les retrouvailles et les séparations
les spéculations les inter-prétations sans gages
les rencontres les raconte
ça remue les méninges ça fait le ménage
sous le crâne et derrière les yeux
fallait oser
...
... la poésie rythme le monde où les bruits travaillent
...
c'est drôle comme aujourd'hui dans le coeur
la langue lèche ce que la marée basse découvre
où le sel dans le sang de ses cristaux diamantaires
puzzle tessons fragiles c'est bal-kanique

c'est can-idée du rationnel au relationnel
volonté réalise son aurore boréale
chien de traîneau rythme glissé
feux d'artifices jusqu'au tomber du jour balsamique

humeur baltique
détail balzanique chien blanc
...
___________________________________________
Lydia Padellec 

La maison aux racines bleues

Le soir, la maison paraît plus vaste de son silence. Plus vide aussi. Les ombres jouent à cache-cache dans ses recoins. Des rires lointains se font entendre. Un écho dans la lumière. La petite fille est morte en même temps que la mésange. Découverte au bas de l'escalier. Les plumes déchirées.
___________________________________________
Jeanpyer Poëls 

Sang

Un après-midi dans l'infini
et tous les oiseaux s'étoufferont
sauf une fauvette et celles tout
à leur amour de libre trois fois
quand l'air maltraitera trop le temps
à l'abri jusque dans la poitrine
d'un poète sous le sang du coeur
étonné qu'il soit un hoche-queue
un hoche-queue et une fauvette
pour un même de les échanger
s'enchantent à jamais en un seul
qui bat les petites marées rouges
avant que des phrases s'ébrouent
en en sortant comme leur silence
plus concerto que mots à l'affût.
__________________________________________
Serge Ritman 

C'est pour nous perdre que les arbres s'approchent les uns des autres.
...
                                                                                                    (La forêt)
__________________________________________
Saïthong 

Mort

Ce que nous avons vu hier n'est pas ce que nous voyons aujourd'hui
Ce n'est plus exactement semblable, mais déjà différent
Tous vivants, toutes choses, tout ce qui existe,
Portent en eux-mêmes leur propre décomposition et extinction.

Remplis d'illusion, nous prenons l'apparence pour la réalité
Et nous pensons que la mort n'arrive qu'une seule fois.
En fait la mort de tout ce qui existe
Ne cesse de survenir à chaque instant.

Saïtong est thaïlandaise



Chaunes: Aux portes du Tartare
.
L'Âge d'Homme

Le Mausolée du Voyageur

"L'homme garde toujours la trace
"d'avoir voulu changer de place"
disais-tu mais elle s'efface
ici C'est le dernier palace

promis à chaque voyageur
Ce destin qui nous rend songeurs
et qui nous fait courir rageurs
autour du globe et dans l'espace

doit s'accomplir C'est le malheur
d'être mortel et c'est la peur
qui ne nous rendra pas meilleurs
mais nous tenaille et nous pourchasse

Et toi passant que ces mots lassent
toujours pressé tu ne dépasses
jamais quelque effort que tu fasses
ton ombre et c'est ce qui t'agace



Avel IX - N° 24 - Le Visible et l'Invisible

Rainer Maria Rilke cité par Béatrix Balteg

Pomme ronde...
.
Pomme ronde, poire banane
et groseille... Tout cela parle
de vie, de mort, dans la bouche. Je sens...
Lisez plutôt sur le visage de l'enfant

Lorsqu'il mord dans ces fruits. Oui, ceci vient de loin.
Sentez-vous l'ineffable dans votre bouche?
Là où étaient des mots coulent des découvertes,
comme affranchies soudain de la pulpe du fruit.

Osez dire ce que vous nommez pomme.
Cette douceur qui d'abord se concentre,
puis, tandis qu'on l'éprouve, doucement érigée,

se fait clarté, lumière, transparence.
Son sens est double: terre et soleil.
Expérience, toucher: ô joie immense!

Extrait de "Les sonnets à Orphée - 1922"
______________________________________________
Lorand Gaspar 

Comme un grand vent qui invente les bronches
dans l'espace
qui connaît les pores secrètes du vide et du diamant.
Étendues.
Rayonnement sans vagues, sans plis,
pris de quel amour un premier faisceau se laisse-t-il
convaincre de convergence?

Et d'autres, toujours plus intenses, offrant leurs
branches de plus en plus denses. Nous voici au
seuil d'une plus grande respiration. D'un souffle
ample, plus ample que jamais les terreurs n'avaient
en nous creusé, nous sommes prêts à épouser les
courbures mouvantes.
Prêts à ne jamais plus nous arrêter.

Extrait de "Gisements"

Un autre extrait de cet auteur est ici
______________________________________________
Yekta

La bibliothèque des pluies (extrait)
 
... 
il    pleut    dans    ma   poitrine   mes 
entrailles  sont   limaille   d'ivoire  et 
compost  de sang je fume  par toutes 
les fissures de mon coeur cette motte 
de  terre  meuble  ce  poing  de boue 
cogne   comme    tambour    dans   la 
soute du bateau  qui sombre j'ai des 
noix de  beurre  rouge à la  place des 
pouces  mes  mains  fondent  sur les 
feuilles  du  livre  et  bientôt  je serai 
bouts   d'ongles   nervures   bleutées 
dans  l'herbier  des  corps  perdus  je 
suis  la  bouche  abrupte  d'un  ravin 
et  dans   chaque   goutte   il   y   a  le 
double  de  cette   bouche  et  de  ces 
dents  qui   claquent   dans   le   vide 
comme     j'ai     laissé     les     vagues 
peindre  la  mer   sur  mon  visage  je 
laisse le vent  me  parfaire jusqu'à la 
poussière    ce    soir     je    le    laisse 
m'entraîner  dans  le   lit  trouble du 
miroir où se noie mon reflet 
...
________________________________________
Philippe de Boissy 

Où est la trace
du regard
sur le nuage?
Quel signe
laissons-nous
d'un regard
sur la lune?
Et quand nous regardons
les nuages et la lune
qui
hors de l'univers
nous voit?

Extrait de "Petite suite des choses" - 2009
_______________________________________
Beatrix Balteg 

Dans l'allée de la mémoire
seul le compas fait office de jambes
le décimètre avare scrute la page blanche

Passé le cap des vicissitudes
un temps arrondi, s'accoude au balcon

A quelle patère accrocher tes désirs
pour qu'ils gonflent tels des algues
que la mer cajole à mi-voix

Il est toujours l'heure des adieux
Mais le présent têtu parle plus haut
et la pulpe des jours
enchante et vivifie l'instant

D'autres textes de Beatrix Balteg sont ici
_______________________________________
Jules Mougin cité par Fernand Leréec

J'ai rencontré ce matin
trois petites pierres
Toutes les trois étaient orphelines
L'une était verte
et l'autre rouge
La dernière était sale:
                - je suis l'espoir que l'on piétine
                - je suis la paix que l'on méprise
                - et moi dit la troisième, je suis l'indifférence
________________________________________
Florence Whitty citée par Françoise Coty

Nos bras n'éclairent plus que l'ombre des fontaines

Un autre extrait de Florence Whitty est ici



René Welter
.
Encres Vives N° 380
.
Feuillets de plomb

des pierres dressées
sur les dormeurs

sans visage
une allée

de platanes
au bout

du glacis
une rose

sans nom
dépose

pour la flamme
et le charbon
 
 
 

confiés
à l'ultime

brin
qui témoignera

contre le marbre

muet

René Welter est un poète luxembourgeois

Un autre texte de cet auteur est ici



Jean-Michel Bongiraud: Mains
.
Encres Vives N° 381
.
Même revêtues de gants de soie
même cachées au fond des poches cousues
quand la cruauté envahit leurs pores
que des miasmes s'amoncellent sous leurs ongles
où la vie peut-elle trouver d'autres mains
et dans quelle échancrure s'égarent-elles
trop souvent les mains de l'homme
s'échappent de celles du poète

D'autres poèmes de cet auteur sont ici et ici ou encore ici



Slaheddine Haddad: Voyage au bout d'un champ
.
Encres Vives N° 382

Gérer l'instant
.
Tout laisse supposer
Qu'entre l'immuable et l'empressement de l'événement
S'est installée cette incapacité à gérer le monde
Croire que l'amour s'accommode de la durée
S'accrocher en vain et sans cesse à ce vieux rêve d'homme
Qui fait croire que chaque jour on sera meilleur à observer
Ce que la vie a enfin réussir à faire de nous
 

Un poème comme bonheur
.
J'écris un poème
Avec le parfum d'une fleur

J'écris un poème
Avec mon regard

Demain en lisant le poème
Vous sentirez l'odeur du bonheur
 

D'autres poèmes de cet auteur sont ici et ici



Suied: L'Ouvert, l'Imprononçable
.
Arfuyen
.
Hokhma
.
                      à Éliane Amado Lévy-Valensi
.
Où est l'être?
Effacé
par la question
est-il
caché dans le silence
de la réponse?
A rebours des mots
ou dans le vide
qui dessinent
les limites de la parole
humaine?
Autre-que-nous:
tel est-il
ou justement-
à notre saisie
inaccessible?

Étranger, d'une autre
teneur, peut-être?
Ou trop proche
trop exactement
de la même
matière galactique?
Étranger, comme nous, un
peuple de l'être
non-reconnu
présent, non-visible
pareil
à une blessure secrète

de la matière?

Un peuple de passage:
de ce quelque chose qui nous crée
et que nous re-deviendrons.
Au coeur blessé, oui, blessé
de la condition humaine
et pourtant
au coeur ouvert
du rêve premier.

Où est l'être?
Dans un autre regard?
Au-delà du désir?
Au-devant de nos rêves?
Dans ce que nous appelons
nos différences?

Nul ne sait
Ailleurs et autrement:
dans ce non-lieu
dans ce non-savoir
il vit, en négatif à nos yeux
l'être.

Autre-que-nous:
dans un autre état de la matière
ou de la conscience
Étranger, non
d'une autre teneur
ou de la même
matière galactique.
Pareil
à une blessure secrète

du Divin?



Francis Coffinet: Marche sur le continent en veille
.
Cahiers Bleus/ Librairie bleue
.
Un pas de côté
et le clandestin poursuit sa route

je parcours ma propre distance.
 

S'échouer en soi
avant de chercher en l'autre
le rivage sans trace

puis
geste par geste
naître de son silence.
 

C'est peut-être
à l'avenir du monde
que songent les poissons.



Alexandre Eyriès: Dans l'orbe du temps
.
Encres Vives N° 383
.
dans la courbe du temps
le poème inscrit sa trace
il arrondit son lieu
pour mieux trouver sa langue


Christian Saint-Paul: J'ai les ailes de l'aigle blanc
.
Encres Vives N° 384
.
Le chevalier va
les reins ceints
et le feu de sa lampe allumée
consume sa poitrine

Son épée flamboie
comme le sable qui s'embrase
tout d'un coup phosphore

Ce n'est pas de se pavaner
dans la majesté des lions
qu'il apprend la soumission à l'amour

Il s'accorde
en seigneur détenant la clef
cette tranquille captive

Il la libère
ébloui de sagesse
flamme qui se dégage du falot
trop étroit de ses pensées

D'autres textes de ce poète sont ici



Eric Chassefière: Seule la lumière change
.
Encres Vives N° 385
.
Le paysage illuminé que j'observe
entre les lignes d'un branchage
la lumière semble s'y concentrer
comme si ce réseau de tiges noires
devenait miroir de ma perception
éclairant ce paysage et lui seul
parmi l'infinité des seuils possibles
Le vent dans l'obscure immobilité du jour
trace chemin de ce qu'il ne peut saisir
tout est mouvement sous la caresse
de ce vent qui jamais n'atteint la lumière:
ainsi de ton visage qui naît et meurt
d'un sourire qui ne me sera pas adressé

Un autre texte de cet auteur est ici



Gilles Lades: Damier du destin
.
Encres Vives N° 386
.
Le givre épaissit le bois mieux que les feuilles de juin
il nous consigne à résidence
et nous brûle de sa tremblante prison

les lointains redeviennent intimes
et nous allons vers eux

cette poudre ardente
fragile comme l'or des papillons
aiguë comme la constellation du Capricorne
infuse notre âme

déjà nous sommes égarés
privés de couchants
ivres de l'aveuglement sans tache
sauf la poitrine rouge de l'oiseau
qui tente un appel
par delà nos traces piétinées

D'autres textes de cet auteur sont ici



Anthologie poétique de Flammes Vives - Volume 2 - 2010

Dana Shishmanian

L'écoute cytologique
.
Le plus souvent j'écoute mon corps gémir
les cellules se disloquent - un arbre
pousse ses racines comme à travers la terre
un arbre enfoui qui me déchire
que montera-t-il à son sommet
sur la cime de son feuillage encore absent
sous un soleil à ce jour invisible
ce sera moi d'une certaine façon
pourtant je ne sais pas
cachée en deçà du germe je rêve
de l'embouchure future
de mes branche
et des oiseaux qui pourraient
s'y poser

Dana Shishmanian est d'origine roumaine. Flammes Vives est ici



Jean-François Sené: Tombeau des belles disparues
.
Éclats d'encre
 
Le quand dira-t-on 

vois l'hiver est passé 
c'en est fini des pluies 
le troupeau paît 
parmi les lis 

ils ont poussé au noir 
les traits de la bête 
ils n'ont pas eu de mal 

elle était en eux  
 

Mariam 
. 
dépouillées 
pelure après pelure 
mises à nu 

ils espéraient 
qu'il ne resterait 
que poussière 

il leur aurait fallu 
creuser 
plus profondément 

car elles sont 
l'humus 
de la vie éternelle



Chantal Dupuy-Dunier: Où qu'on va après?
..
Le farfadet bleu - L'idée bleue
... 
Les plantes, 
les ramures, 
les écorces 
tout semble foutu 
mais c'est la mort au bois dormant, 
un conte à dormir couchés. 
... 
ça mijote dans l'humus 
ou dans une marmite en fonte. 
ça s'évapore 
ou ça se fait manger, 
          tout cru comme tout cuit. 
ça dort... 
En fait, dans le dernier cas, ça dore! 
(Moi j'adore; 
mais, vous, vous êtes pas obligés 
d'aimer rigoler avec ça.) 
... 
Le cimetière 
c'est la décharge 
où on met les hommes. 
... 
Ils meurent tous les hommes. 
Ils se retrouvent un jour 
          tous ensemble. 

ça me fait tout drôle quand j'y pense: 
rejoindre au creux d'une poignée de terre 
des gens qui auraient jamais voulu 
me serrer la main de mon vivant, 
nager entre deux eaux 
avec des hommes politiques 
qui m'auraient dit: 
"Nous n'avons pas gardé les poissons avec vous!"

 
D'autres poèmes du même poète sont ici


Gisèle Sans: Ciel profond
..
Encres Vives N° 389
...
Dans l'opale céleste
étoiles nommées
pour les reconnaître
et se retrouver

dans le secret

au large des villes
qui les éteignent
 

Feu d'artifice
du mois d'août

pluie
         d'étoiles
                         muettes
                                        glissantes

s'évanouissant
                           dans un ultime
                                                       éclat

Surface profonde
s'ouvrant
en abîme
haut et bas confondus

pleine d'émoi

et pourtant
d'oubli de soi



Jean Joubert: Retournement de la parole
..
Encres Vives N° 390

II
En cet instant d'éveil et de naissance,
je t'ai rejoint, guetteur infatigable
et visiteur enfin réconcilié.
Nous voici réunis après le long partage:
l'un prisonnier des tourbes maléfiques
où gisent embrassées de même mort
le chasseur et le fauve;
l'autre tendu de toute sa pensée
vers le sommet de l'impossible tour.
Nous avons maintenant même coeur, même visage
et le soleil enfant dans le berceau des branches
s'arrache rouge des ronciers.
Après la nuit des gueules carnivores,
des fuites et des râles,
il n'y a plus de peur.
Le sanglier qui, dans le noir, a labouré le seuil
est retourné dans sa tanière.
Le hibou rassasié s'endort sur une cime
et le renard s'est enroulé sur son rêve de sang.
C'est l'heure du lilas, du lézard, des tourterelles:
résurrection du coeur et du regard.
Alors on entre dans le jour
comme le cerf longtemps traqué s'avance
dans l'eau du fleuve
puis, souverain, un instant se retourne.

...
Et vous, miroirs, souvenez-vous du sable
du feu et de la main.
Dans vos enclos, nous ne voyons jamais
que l'envers du visage
et le reflet fugace des oiseaux.

L'ailleurs nous fuit,
le ténébreux,
où se marient les monstres et les songes.

Et comme le cristal égaré sous la grêle
nos yeux parfois se fêlent et se brisent.

D'autres poèmes de cet auteur sont ici



Régine Ha-Minh-Tu:  La Morsure
..
Encres Vives N° 391

des nuages se défont
des fleurs mates en plastique dansent
et entrelacent les bancs froids

nos mots sont anguleux
sertis dans l'illusion de nos manteaux
dans ce jour de cendres
qui vient battre à mes tempes

les nuages du soir filent
saignent la lune qui se vide
mes yeux brûlent d'un ciel qui se dérobe

la main qui cherche
ne sait plus écarter les doutes



Voix d'Encre - N° 44

E. C. Belli

Les Orphelins
.
Ils ont tout perdu.
La couleur
de leurs cheveux,
leur vieil ami
le chien,
leurs parents.
Ils ont parfois des larmes
aux yeux
que personne
ne comprend.
Et pourtant,
c'est facile de savoir
pourquoi!
A cinquante-sept ans,
qui voudrait bien
les adopter?
_____________________________________
Pedro Mairal

Une pêche
.
Mordre l'été,
mordre le soleil entier
pour 1,80 le kilo.
Cette pêche, tout juste arrivée à la maison
fut à peine rêve d'arbre caché
encouragée par l'engrais,
après fut fleur et fruit ver seulement
protégée des épidémies et des gelées
par cinq pesticides,
grossie par des pluies et l'arrosage aux goutteurs
récoltée par Pablo Luis Ojeda
originaire du Rio Negro
lequel s'écroule sur un matelas de mousse
chaque nuit, de tout son corps endolori.
Chargée dans un camion roulant sous le ciel
cette pêche mûrit grâce au voyage
puis elle arriva au marché,
passa à travers les mafias,
finit par se retrouver dans une chambre froide
qui lui fixa la couleur
et l'attarda pendant quatre mois
près de San Cristobal
jusqu'à ce que les Supermarchés Disco l'achètent,
et l'emportent à l'annexe 14
rayon fruits libre-service
où je l'ai choisie, mise dans le sac, fait peser
jetée dans le chariot
à côté du pain Fargo, du poulet,
près du Skip Intelligent et du fromage,
je l'ai conduite jusqu'à la caisse, où on lui a lu
son code-barres,
je l'ai payée et lui ai remis du nylon,
je l'ai acheminée à pied jusqu'à chez moi
traversant l'avenue,
longeant l'hôpital,
parmi les aveugles, les clochards, les policiers,
je l'ai montée par l'ascenseur
et elle est arrivée jusqu'au plan de travail sans dommages.
Alors je l'ai libérée des deux sacs,
je l'ai lavée du pesticide sous l'eau,
le l'ai lavée de toute la fatigue du camion, de la fumée,
de la nuit entre les mains de Pablo Luis Ojeda,
je lui ai enlevé l'étiquette de la marque
et je l'ai mordue avec l'envie de la tuer,
je l'ai assassinée avec dents, mâchoires et langue
et malgré la chimie, la distance morte,
malgré la longue chaîne d'intermédiaires
je me suis retrouvé là-bas, au fond de son sommeil jaune
avec cette fleur première qui parfumait le vent.

Pedro Mairal est un poète argentin - Traduction de Julia Azaretto



Machrab:  Le Vagabond flamboyant - Anecdotes et poèmes soufis
..
Connaissance de l'Orient - Gallimard

Sa mère adorait l'habiller de vêtements neufs, mais Machrab donnait sa robe aux mendiants nus...

En pleurs, elle lui demanda un jour: "Mon fils, lumière de mes yeux, j'ai cousu pour toi avec amour les vêtements les plus beaux, pourquoi ne les portes-tu pas?"

Shah Machrab: "Mère, suis-je venu au monde habillé?"

Sa mère : "Non!"

Shah Machrab: "Donc je vivrai et mourrai nu!"

Je suis si rempli de lumière que je ne peux prendre place dans le ciel,
Je n'ai place ni en son centre, ni sur le trône de son huitième cercle, ni au paradis.

Mon ombre est lumière pour ceux sur qui elle tombe,
Je suis le livre de l'Esprit-Saint; je n'ai pas de place dans la langue.

Je suis le paradis et sa source, l'enfer et sa flamme;
Je suis, en ce moment, le seul à n'avoir pas de place dans un des huit cieux.

Venu parmi l'ombre humaine, j'ai cherché la lumière du sens;
Je n'ai pas trouvé place dans l'espace supérieur du paradis.

Vivant au temps de Noé, le déluge ne m'a pas submergé...
Compagnon de route de Moïse, je n'ai pu trouver place dans le Sinaï...

Ressuscitant des morts, j'ai marché durant cinquante ans avec Jésus,
Mais je n'ai su trouver ma place en un point quelconque du temps de Machrab.

Traduit de l'ouzbek par Hamid Ismaïlov avec la collaboration de Jean-Pierre Balpe



Maurice Couquiaud:  Le Chroniques de l'étonnement
..
L'Harmattan

Saint-Denys Garneau

Et dans ce silence béant
On dirait, tant le temps est lisse
Que c'est l'éternité qui glisse
A travers l'ombre du néant.

Saint-Denys Garneau est un poète québécois
___________________________________________
Lorand Gaspar

La pensée peut-elle
de ces neiges en nous
peser le silence?
et la nuit écrire
avec des mots blancs?



R. San Geroteo: Nocturnes
.
Encres Vives N° 392
.
Vous avez sans doute ouvert une porte par erreur, par exemple celle d'une chambre d'hôtel que vous croyiez être la vôtre. Qu'elle n'est pas alors votre surprise en vous retrouvant devant deux corps allongés sur un lit. L'ombre d'un instant( étant nécessaire pour réaliser que vous n'êtes aucun de ces deux êtres endormis. Surtout ne pas imaginer que l'une de ces créatures pourrait se réveiller devant vous planté au pied du lit comme un cyprès à l'orée d'un cimetière. Une fois refermée la porte à la lueur de la veilleuse, une fois pour toutes dans ce couloir sans fin, c'est déjà la solitude qui ôte sa main de la poignée et vous mène machinalement jusqu'à la porte de la bonne chambre où vous vous sentirez tout chose de vous retrouver.

Un autre texte de cet auteur est ici



Patricio Sanchez: Nocturnes
.
Encres Vives N° 393
.
Le parapluie rouge
...
Ce vaste territoire chilien
avec sa forme d'épée de cocagne

Sur la carte le poncho, les empanadas, ainsi que la musique
Et le mate bien chaud
N'étaient qu'une résonance d'une vieille musique
Dans ce vaste chemin inconnu
...
Perdre pied dans l'abîme
d'un décalage horaire infini,
terrifiant et sans merci
...
Les appels téléphoniques nous unissaient à l'abîme,
Nous, les existentialistes du Néant
...
L'exil est un serpent
Qui s'enroule à tes jambes,

Tu cherches
Le serpent, il n'est plus là,

Tu touches le serpent,
Il s'enroule à tes jambes,

C'est un piège
A lapin
Un cercle, un terrier.

Tu paraphrases Neruda comme on paraphrase la vie.

Tu publies des poèmes dans des revues oubliées par le temps.
...
 

Ma valise

Ma valise connaît toutes les gares du monde.
Je la nettoie, je l'astique.
Elle est en cuir, en cuir
de Patagonie.

Elle m'accompagne dans tous mes voyages.
Un jour nous étions tous les deux,
Face à une rue de Valparaiso.

Je la reconnais à sa forme, à sa façon
De parcourir tous les chemins.

Elle aura bientôt une année de plus.
De trop.
Je n'en sais rien.

Elle m'accompagne depuis toujours.

Elle porte mes chemises,
Un vieux parapluie rouge,
Un chapeau offert en 1960 par mon oncle Dario.

Elle porte mes crayons et mes carnets de poèmes.
Deux ou trois souvenirs sans importance: un peigne
Et un foulard, et un vieux pyjama
Acheté un matin pluvieux au marché de Prague.



Isabelle Lévesque: Trop l'hiver
.
Encres Vives N° 394

Et l'étonnement du soir?
Aurait-il survécu s'il avait emporté
nos silences?
...

Père aussitôt. Démis,
tu tentais l'assaut
pour une étoile peut-être
ou l'anneau, ressassant poussière
et traces. Fourches laissant filer le jour.
Désagrège la nuit le ciel
où je compte les fragments
imperceptibles

des retrouvailles.

L'éternité de neige a fondu        sur le sable.
...

Nous eûmes pour le ciel
une vigueur altière.
...
...
La nuit livre sa sentence, nos campements
s'établissent loin des écarts.
Nous ne redoutons plus les rivages acérés.
Ta voix      loin des chemins
porte       la flamme
des hommes maîtres du feu.
...



Avel IX - N° 25 - Voyageurs... Nomades... Itinérants

Florence Whitty

Rendez-moi mes ailes... je promets de ne pas les froisser
en frôlant la cime du langage
j'y cacherai la sagesse du condor
l'ambre de l'alouette et l'écume du courlis.
Je me ferai discrète, fidèle et familière;
les nuages m'oublieront,
les arbres rumineront des discours sévères mais dénués de malice.

Rendez-moi mes ailes... non, je ne fuis pas,
les bagages sont ancrés au fond de ma mémoire;
ma bouche de terre glaise n'oublie pas d'où elle vient
et mes pieds de granit lesteront le voyage.
Permettez-moi seulement
de tutoyer l'armada des oiseaux,
d'apprendre le palper liquide de la brise,
de délester mes mots de l'humaine pesanteur.

Rendez-moi mes ailes... je promets de parfaire la courbe du silence
avec mes mains en rappel et mon cœur pour boussole.
Les rectrices de mes yeux
m'offriront des idées neuves, à l'épreuve du pire;
mon corps dévié de sa ligne primaire
calmera les versants affamés des plus hautes montagnes.

Rendez-moi mes ailes... je les tricoterai sous le pavot du cœur,
les remiserai comme trésor de guerre
pour réchauffer mon âme,
les soirs où le corps, harcelé par la meute
des déluges et des peurs demande grâce... à genoux.

Un autre extrait de Florence Whitty est ici
_____________________________________________
Amédée Guillemot

Bornes perdues

Le temps s'est aboli à l'ombre du vieux saule
le passé m'a laissé courir après le vent
Je ne regrette rien - la route était trop large
aujourd'hui je m'allège et mesure mes pas
à l'aune d'un parcours qui oublie les ornières
Les bornes sont semées - je ne les compte plus
Mon avenir s'assoit aux carrefours des rêves
mon voyage sait bien qu'il regarde le ciel
et je trouve toujours une main près de moi
pour m'assurer et rassurer ma soif de vivre
une halte d'espoir

Un autre extrait d'Amédée Guillemot est ici
____________________________________________
Béatrix Balteg 

Je n'irai pas à Aden
les têtes sont coupées
mais sous le manteau du temps
la voyageuse à les ongles longs
et refait même voyage
L'arc-en-ciel en tous cieux
est arche de partance
Le moindre souffle de vent
montgolfière
Toute goutte d'eau
embarque le pas
Ce n'est pas rêve au bord des cils
mais voyage au long cours
sur mes cascades de l'âme.

D'autres poèmes de Béatrix Balteg sont ici
___________________________________________
Serge Bouvier 
 
                                         "Nous sommes toujours ailleurs...
                                         nous ne sommes jamais chez nous,
                                         toujours au-delà."
                                                                      Montaigne

La salamandre ou l'éloge de la lenteur.

Elle était tapie et engourdie sous les feuilles quand la froideur perdurait.
Avec le redoux, les démangeaisons la taraudent.
Avec ou sans congénères, elle s'embarque
Pour un puisard humide.
C'est son Grand-Canal.
Migration raisonnée, exploration calculée, pauses interminables.
Elle réfléchit ou baguenaude,
Avec des gestes suspendus, ciselés.
Un art de vivre, un art de voyager.



Maximine: Un Cahier de pivoines
.
Arfuyen

Pivoines fiancées du feu
Des fleurs? Non pas mais des cascades
Des éprises de cavalcades
Des fleurs? Non des boulets furieux

Pivoines jongleuses d'un dieu
De magnificence et de rage
Le contraire des roses sages
- Et nique aux astres vaniteux!

Si rouge que c'est une honte
Si ronde que c'est un défi
Pelotes d'amour et d'épis
- C'est le mai Les révoltes grondent...
 

Pivoines affamées de feu
Foudre au ciel jetée par la terre
Assaut du printemps qui espère
On dirait envahir le bleu

Filles d'un oiseau rengorgé
Et de brins de soies en lambeaux
Terriblement fleuries et trop
Exubérantes pour durer

Plus que peu de jours tête haute
Impératrices en jupons
Se sont sauvées pour un garçon
- Ma robe est rouge Qui me l'ôte?
 

Balafres faites aux jardins
Par une faux rouge démente
- Je suis fière d'être une amante
- Je suis fière de n'être rien

Qu'un peu de sang vivant et tendre
Femmes et fleurs sont alliées
Contre toute la cruauté
De tout ce qui veut nos coeurs fendre

Pivoines vives écorchures
Au feuillage mal réveillé
- Non vous n'avez pas mérité
De mourir ainsi moisissures



Jean-Luc Lavrille: Equatorze
.
Voix éditions

IX.

Dieu, vous!
Idiot hideux, idiome odieux, ta face
Vermifuge
O quelle grâce
Raye cette figure?
Tout puissant très haut tes traits saints d'esprit
Énervent ma fougue qui se
X prime au prisme des
Tout puissant
Un regard sexe et mot
Encore des
Locales vocales
Le prisme des mots des sexes
En prime.

IX.

Tiède est la palmeraie de Gabès au matin du troisième jour
Une calèche m'emporte parmi un vert tendre et pâle.
Notre cheval est noir.
Imprévisible est le cocher enveloppé d'une bure sombre puante.
Seuls les cabots dispersent l'odeur.
Il roule d'une troisième main le tabac que je lui offre
Et qu'il apprécie fort. Ses mains calleuses sont comme gantées d'une seconde peau.
Tremblement du végétal autour de mes yeux.
Une course qui rappelle mon triste destin:
Ne pas fuir sans tourner le dos à Eurydice, comment?
Installé sur le haut siège à côté de mon passeur,
Sifflement dans les cheveux du vent.
Illusion que la végétation s'enfonce sans fin
Et que la Bête sous le fouet ne peut plus s'arrêter...

VIII.

Dehors tout vent va vers sa vitesse
Et flétris flagrante se fane la flegme espèce
Solitude où j'avais rangé mes crayons d'hiver
Avec foi s'inonde le rameau de lumière
Combien d'heures lui son exquises à flatter le soleil
Rayonnant au troù noir encore au fond de mes yeux
Oublier comme déraciné débranché semble en orbite mon miroir affreux
Sur la sente des épices les arômes s'accrochent aux pensées
Tout le pays joue de ce contact sans pareil
Ivresses du fruit qui se laisse arracher sans véhémence
Cachons notre désarroi et laissons parler la démence:
Hisse l'oriflamme du sang qu'il a fallu aux vies versées
Épaule lorgne ce qui de l'amazone estomaque la ruse
Signe d'une flèche sur l'insensible cible et s'amuse!



Andres Norman Castro: Chili

I.

Je suis assis dans le siège N° 13,
les mâchoires du monstre sont mon destin.
J'écoute l'éclat de rire des petits diables
qui révèlent des intentions obscures
derrière la proposition de boire le colostrum
de la vieille mapuche
qui a mis au jour un carton de vin.

Je suis dans le siège N° 13
et les mâchoires du monstre sont mon destin.
 

II.

A se perdre
dans le désert d'Atacama
demandera-t-on de l'eau
ou du Coca Cola.
 
                            [En Survolant le Chili]

III.

Je parcours tes rues propres
où personne n’est aimable
et tous ont vu le serpent
qui entoure ton corps
sous les tunnels de ta peau.
 
                            [Du métro de Santiago]

 IV.

J'ai marché hier dans la rue,
et tandis que je traversais devant un autobus,
des ailes m’ont poussé
et je me suis accroché au pare-choc d'une patrouille policière
qui m'a jeté en l’air pour me faire voler
et entre les nuages j'ai vu
Dieu à genoux,
qui priait.

J'ai alors compris combien le soleil brûle
et comment il endommage le nez d’un Boeing.
 
                            [De Providence, Santiago]

V

Nefertiti est une marque d'eau
qui me regarde
tandis que j'urine dans les toilettes
de l'hôtel Aconcagua.

                            [Dans les toilettes de l'Hôtel Aconcagua]
 
VI.
 
Je t'ai vu debout,
les jambes écartées
et les bras en l'air
comme un mannequin
publicitaire dans la vitrine
avec une affiche succincte :
"Soldes de femmes à l'intérieur".
 
                           [De "Passapoga" et ses filles]

VII.

Par Bellavista ils déambulent
bras dessus bras dessous
muses et esprits,
avec leurs barbes et leurs poitrines à l'air,
abandonnant leur fétidité
dans les allées où Santiago
s’enivre et danse.

                   [Du quartier Bellavista]

VIII.
 
Arauco a perdu son chamal *
maintenant il porte une chemisette de chez Simpsons
et nul ne trouve rien à redire.
 
                            [D'une foire d'artisanat à Santiago]

* Vêtement indien du Chili
 

IX.

Malgré les sept couvertures,
le froid de la dernière pluie d'hiver
a congelé mon scrotum
à 3 heures du matin.
 
                            [De Rancagua au printemps]

X.

3 h 33 de l’après-midi
Gonzalo est déjà de retour dans sa maison,
mes parents dorment embrassés,
et ma fille repose dans mes bras.

Vers 3 h 33 de l’après-midi
je me fie à l'étage qui nous soutient,
à demain qui sera le dimanche 28 février
et à Violeta Parra qui chante dans ma tête.

J'admets, vers 3 h 33 de l’après-midi,
qu'après ce pot,
je ne me souviendrai pas de grand’ chose.

A 3 h 34 de l’après-midi
et la vraie fête
commence à peine.

                              [Du tremblement de terre du 27/02/2010]
 
XI.
 
Quand je veux sortir à nouveau,
je prends une Sprite,
et je me sens
la dernière Marlboro de Mariona *.
 
                            [Lors d’une nuit poétique au bar "le Vieux Rancagua"]

 
* Mariona est le surnom de la Centrale pénitentiaire l'Espoir; une des prisons les plus emblématiques du Salvador.
 

XII.

Je suis passé l'après-midi en face de la municipalité
où se trouvent des gradins qui m'invitèrent à m'asseoir
et où un chien s'approcha en quémandant amour et nourriture
un chien que j'ai caressé
jusqu'à ce qu'il ait mordu ma main
et maintenant que j'écris
je ne me souviens plus
si j'ai caressé un chien
ou bien un indigent.

                           [De Machalí]
 
XIII.

Je suis fatigué de monter sur ton dos,
ange bossu;

mes pieds brûlent et
je veux les rafraîchir avec ta langue,
mais faire cela
serait un festin d'albatros.
 
                            [De Valparaiso en ses rues]
 

XIV.

Ma barbe croît,
en haut de la ligne,
comme King Kong.

                          [Après 9 jours de voyage]

XV.

J'ai hier soir rêvé de Kim Kardashian.
j'ai rêvé que je la voyais couchée en rêvant
qu'elle était Delia
et quand j'ai ouvert le placard,
c’était un poster avec la face de ma femme,
et pour miroir à son lit,
une photo de moi avec le rouge à lèvres de sa bouche.

                              [Encore après 9 jours de voyage]

XVI.

Je me suis trouvé hier à Cristo,
de nuit,
dans un escalier près de l'Avenue Équateur
peignant un graffiti d'extraterrestre
tout en fumant une Lucky Strike.

                            [Des murs de Valparaiso]

XVII.

Il y a une horloge sur la plage
qui tient des comptes de la richesse des gens,
de la pauvreté des voisins,
des bateaux dans la baie,
des colombes grasses,
des touristes ignorants
et aussi,
parfois,
du temps.

                                     [De Viña del Mar]

XVIII.

Au coeur de la ville,
près d'une artère,
j'ai trouvé les plus belles jambes du lieu :
elles avaient 16 ans
mais un regard de 25.

                            [Des écolières de Viña del Mar]

XIX.

Je repose en Ton Nuage,
- je le fais en me cachant -
je regarde l'oeuvre de Sebastián
et je ne comprends pas Ta renommée.
 
                            [De Neruda et du Musée la Sebastiana]
 
XX.

Grâce à la faveur du vent
on parvient à entendre
le percuteur du fusil
qui tua ton chirigüe *,
même que j'ai voulu le prendre dans mes mains
mais mes larmes l'ont effrayé.
 
                            [De Violeta Parra]

* Oiseau chilien au dos olivâtre, aux ailes noires, à la gorge jaune, au bec et aux pattes brunes.
 

XXI.
 
J'ai écouté le cri de ton âme
logé dans le fond de la fiole d'Escudo
et j'ai vu Luchín à côté
avec un cigare éteint
endormi sur son vomis
et sans le cheval qui le porte à la maison.

                          [De Victor Jara]
 
XXII.

Notre Père qui es loin d’ici,
parfois je ne comprends pas pourquoi tu luttes pour nous
si tant de fois nous t'avons donné l’occasion de pleurer.

Ce serait mieux de t’en aller ailleurs,
là où il n'y a plus personne comme nous
et où se trouverait un Andrés pour t’écrire des odes
au lieu de ces lignes.

                   [En me prenant pour Nicanor Parra]
 

XXIII.

Dans le quotidien
est  la poésie.

                            [De Claudio Bertoni]
 
XXIV.

À Néstor Vargas

J'ai parcouru les rues
sans personne pour capturer mes instants Kodak,
jusqu'à ce que face à O'Higgins
tu me dégages de moi-même
en me donnant
le porte-monnaie avec tes particularités
et autres souvenirs,
que je porte maintenant dans ma poche.
 

XXV.

En me souvenant de Delia

Avant de m'endormir j'ai pensé toi.
Je me suis imaginé la couleur de tes sous-vêtements,
la forme de tes seins quand je les presse
et que tu fronces les sourcils
non de colère mais par plaisir
du plaisir que provoquent
les fourmis rouges sur ton corps
quand nous ne faisons qu’un
et qu'il n'y a pas d'eau qui nous sépare.
 

XXVI.
 
Je m'en retourne
à notre chaos quotidien
désirant un sourire sincère,
en voulant rincer toute pose
et en me tuant à enlever mon masque
avec des lingettes humides qui sentent le bébé.
 
                            [4 novembre, 2010]

Andrés Norman Castro Arévalo est un poète salvadorien. Son blog est  ici



Salvatore Gucciardo: Lyrisme cosmique
.
Éditions Astro

La baie s'ouvre
aux arpenteurs de mers,
aux architectes galactiques,
aux bâtisseurs des mondes…
Vigie des navettes spatiales,
j’ensemence le sol astral
de larves maritimes,
de boutons de rosée,
de voiles de verdures,
d’animaux multiples.

Un autre texte de cet auteur est ici et son site est ici

Salvatore Gucciardo est un poète et peintre belge d'origine italienne



Maurice Couquiaud: J'irai rêver sur vos tombes
.
L'Harmattan

La table de nuit

Fatigué, fatigué,
le vieux prêtre cherchait le sommeil.
Près de lui, son pot de chambre
rêvait d'une table de nuit,...
une forme du paradis où se reposent
tous ceux qui reçoivent
le besoin des autres.
 

Le trou noir

J'ai gommé tant de mots de ce poème
qu'il dévore tous les mots qui l'entourent.
Va-t-il absorber la main qui le fait naître,
qui souhaite sa densité, mais rejette sa pesanteur?
Va-t-il étouffer l'être de son avenir
par amour de l'amour qu'il respire?
Deviendra-t-il obscur en se nourrissant de lumière?
Les images qu'il enfouit dans son coeur
échangent avec l'infini
les échos flottants de l'humanité
contre ceux de la profondeurs.
_________________________________________________
A la recherche des pas perdus
.
L'Harmattan

Au bord du vide

Dieu de mon enfance,
pourrais-je échanger un soupçon de science
contre un peu de ton mystère?
Assis sur le bord du vide,
les pieds dans les particules
mais les yeux vers le ciel,
j'ai du mal à prier.
Tu colles à mon esprit,
mais ton absence est dans mon coeur
comme la nuit dans ses battements.
 

Un rire adolescent
...

Rimbaud prétendait que je est un autre...
Je suis sûr cependant qu'ils sont morts comme un seul homme.

Je pensais parfois: "Tu seras sur le bon chemin quand tu commenceras à ressentir le silence de Dieu comme un appel". Problème: le diable ne parle pas non plus. Les hommes font un bruit d'enfer.
...

D'autres textes de cet auteur sont ici



 Francisco Álvarez Velasco

Le pas du général

En marchant au pas une - deux, voici qu'avance la mort
au pas cadencé une - deux, au pas cadencé une - deux
le pas que marquent les généraux solennels.

Ils fouinent dans leurs cartes avec des règles et des compas,
seigneurs de la guerre,
traqueurs de vies, de sang avides.

... les yeux démesurément ouverts 
et dans les yeux la brume,
un enfant silencieux…
 
Avec leurs batteries de médailles de fer blanc étincelant
au pas cadencé une - deux, au pas cadencé une - deux.
 
… dans les yeux de la peur,
un autre enfant écoute
l'horloge de sa faim.
 
Imposants, ils décident "la nation va jusqu'ici ".
Ensuite ils se décorent au pas cadencé une - deux,
au pas cadencé une - deux, au pas cadencé.
 
Si la trompette sonne
si le tambour convoque,
si le Général mande…
 
Le creux des poitrines vibre dans les harangues.
Les médailles de fer blanc resplendissent rutilantes
ces médailles qu'ils gagnèrent grâce à la mort.

… prenez le à contre-pied,
ce pas cadencé une - deux,
ce pas cadencé…
 
Car la mort si elle arrive, à son pas, 
à son pas une - deux, à son pas une - deux
la mort sera en avance.
 
Empruntez le pas deux - un
ce pas décalé deux - un,
ce pas décalé!

D'autre textes de cet auteur sont  ici

Une page lui est dédiée  ici  et le site Portal de Poesia est  ici



Santiago Montobbio: Absurdes principes véridiques
.
Biblioteca intima - March Editor

I - Les seules patries

DANS LE RÊVE OISEAU, MENDIANT DE LA RÉALITÉ,
mes yeux ne doivent pas annoncer la terre
ni prendre la forme d'une épée
qui ferait de l'oubli un olivier.
Il ne me reste plus à mes yeux qu'à perdre une bataille
et qu'en une lente flambée je ne puisse qu'en faire
des boîtes à musique noyées afin de voir
s'ils chantent comme des idiots
et que sur la clé de l'insomnie
je t'offre une frayeur.
 

LES SEULES PATRIES

Tu ne chantes pas qu'une étoile en a fait des haillons,
ou qu'elle lui a menti; tu ne te donnes pas ce mal, tu n'imites pas les mères
et pas davantage les pluies, mais que des fausses peurs ou des lunes bavardes,
de la fin de la vie ou de ses échecs le poète connaît son destin
ou que le poète sait - je veux dire - que son destin
n'est rien. Car les chants respirent dans l'anonymat,
et le vin leur arrive tardivement aussi leur est-il est si difficile
de trouver les seules patries où clouer le vers,
les seules patries où le vers soit poisson,
rouge ou vivant, les seules patries, te dis-je,
de coeurs ou d'oubli, de coeurs mordus.
 

AU DOS DE LA LUMIÈRE

Au dos de la lumière je te le dirai à nouveau.
Au dos de la lumière et jusqu'à l'épuisement.
Visage inutile aveugle ou nocturne,
la pluie ne rappelle déjà plus des souvenirs d'enfant,
petits oeillets pour de tièdes chairs de rire,
lierres avec lune, cieux sans murailles.
Face aveugle et nocturne.
Dos, araignées, peurs infinies.
Au dos de la lumière je creuse des trous.
 

SOUS LE CIEL

Sous le ciel on ne dessine rien,
dans le ciel on ne dessine rien: seulement
des mensonges qui anciennement
prirent forme d'âmes.
Oui. Oublie-toi jusqu'à la fin,
jusqu'à la fin sachant n'être personne
et qu'à ton ultime amenuisement
il ne reste rien que la nuit la plus bâtarde
disposée à échanger des anneaux
avec les rêves mal reprisés,
pour s'inventer des noms.
 

SOUVENIR

Lune à l'intérieur du puits, solitude peuplée,
la peau, la glace, l'araignée blanche et laborieuse.
Eh bien, je me souviens ayant fixé des adieux,
que je fus passager de baisers et de menaces
bien avant que le balcon
n'ait annulé toutes les portes.
Lune, étang, amour, solitude peuplée.
Souvenir donc. Puisque je t'ai aimée.
Flamme, dague. (Et solitude peuplée).
 

SI VIEUX SI VIEUX

Squelettes d'oiseaux
maintenant les poèmes
prient derrière la nuit.

Mais tu pourrais refaire l'histoire.
Tu pourrais. (Lutins tombés
sans discrétion).
                     Je n'ai même plus d'enfance
pour te chérir ou feindre
de me survivre.
                        Si vieux si vieux,
je te donne six pignons.
 

D'AMOUR

Comme un soleil chu, comme une pluie manquée, ainsi t'ai-je aimée,
et ainsi je te le redis: comme un soleil chu et une pluie manquée,
avec nuage et ombre je t'ai aimée, enfant de l'eau,
je t'ai aimée comme dans le destin que la vie m'imposa
mieux je l'ai su. Et ainsi je t'ai aimée comme si cela ne suffisait pas.
Et la nuit se fit voleuse, et meurtrière,
du peu de lumière qui parvenait à pénétrer
ma misère. Je sais maintenant que les tunnels
dans lesquels il est interdit au vivant de respirer
jamais ne doivent se terminer.
 

DE L'ADIEU

Et pendant un moment je penserai que je voudrais
laisser mes os aux amis, je penserai cela,
un moment seulement, juste avant de me souvenir
fils de personne, solitude vaincue, ce que je leur
abandonnerais, s'il me restait quelque chose,
si je me souvenais des adresses et des dates d'anciens téléphones
je les leur laisserais comme une bouteille d'alcool à moitié vide,
comme le petit testament
d'une solitude mordante
je les leur laisserais, pour qu'ils les mettent
à la tête de leur lit, à l'intérieur du radiateur,
sous les ongles de leurs enfants papillons, et je voudrais
que ce soit en mâchant dans les dimanches de la vie
ou, mieux, qu'ils les jettent à l'eau, qu'à l'eau
ils les jettent comme l'homme jette
la douceur des enfants morts.
 

JAMAIS

Plutôt que mentir le poète annonce
et temporise à la fois. Par des travestissements
de papier il retarde
l'arrivée du sang
mais les déguisements sont
semence de linceul:
l'adieu ne se conjugue pas
au futur. Et peut-être qu'un jour
ne fut pas ainsi l'azur ou le baiser, si quelqu'un d'autre
qu'un fantôme décrépi dans la mémoire mord.
Quelqu'un plus, ou un soleil croustillant
à l'intérieur un enfant. Il n'en fut pas ainsi, cela n'a pas pu être.
Et délesté de souvenir,
mon territoire est dans jamais.
 

À PIED DE PAGE

Batailles, fantômes. Et fantômes, batailles.
O les silences qui à l'ombre s'arrachent
des murs qui sont
des enfances noyées.
 

DANS LES MARGES DU PAPIER

Papier que la nuit fait apparaître,
papier avec de la lumière parfois,
papier ou feu ou plutôt
le salut triste
qui reste aux orphelins:
hôpital de l'oiseau que le silence guette
et où pendent les enfances aussi bien que le reste,
hôpital innocent, visages que tu fus,
abandons de nom - amours, histoires, murailles,
lunes de fenêtres mortes, folies
minimes, dernier hôpital, papier et feu,
hôpital sans fin, charité perdue. Ou refuge triste,
papier ou personne, extinction de voix sèche, vieux fou
qui perdit ton histoire, celui que tu es et que le temps
t'a interdit d'être, poète et martyr, hôpital,
papier, vieil hôpital, hôpital d'ombres,
hôpital des innocents.
 

CE NE SONT PAS SEULEMENT DES VERS D'ÉPOQUE

Poète d'eau et de lumière Poète d'eau et de lumière
le temps inexistant où les aurores
feignaient d'avoir forme de mère ou d'aube
tu sais bien que tout cela est du passé
Un hiver leur a dérobé les doigts
L'espoir a été débité en rondelles
des géants nains furent contents de le manger
Poète d'eau et de lumière
Seule demeure l'ombre
Poète d'eau et de lumière
Si tu as une enfant
on te perdra dans la forêt
Eh bien n'aie pas d'enfants
ou dans un rire lugubre aie les par centaines.
 

TOILE

Après-midi, pluies qui épuisent les campagnes,
ombres ou fausses biographies sans paix,
l'une après l'autre.
                              Après-midi
dans lesquels s'égoutte le jour défait
sur le champ mouillé de l'ombre hirsute.
Pluie que l'après-midi enferme,
exposition dépareillée de biographies
déjà sans merci, mots mal tracés.
Pluies, oui, après-midi, campagnes, vies,
l'une après l'autre, se poursuivant.
Et déserts. Déserts sans rien,
seulement déserts sous la pluie, bien sûr,
avec des champs, avec des après-midi. Avec des après-midi.
Et des déserts. Surtout cela: des déserts
de mots sur des vies brisées mal arrosées,
mots, après-midi, champs au compas de la pluie
oui, je le répéterais mille fois, jusqu'à
ce qu'ils ne causent plus de dégât, dans ce néant
comme une mer de lignes qui formera
la trame cachée de ton nom.
 

LES ENFANTS IDIOTS

Dans les aubes lisses comme des pierres blanches
et qui se sont endimanchées pour le temps
des gris après-midi où il est seulement permis que s'embrassent
des biscuits à thé et de petites aïeules veuves
les enfants idiots se mettent à rire
et on les sait des idiots quand ils rient
et seulement rient, les enfants idiots.
Les enfants idiots que je suis rient,
on leur fait grâce ou non
mais ils ne peuvent pas faire autrement que rire en pensant
aux gares froides et aux araignées aveugles
avec lesquelles besogna un espoir inutile,
laborieusement. Ils  rient à cause de cela
et plus encore en te voyant ratatinée et morte,
complètement idiots ils rient de te voir ainsi,
fleur plus que pauvre et inexistante
dans son abandon de lèvres de sang.
Les enfants idiots rient, après t'avoir tuée.
Mes enfants idiots, dans les aubes râpées
qui jamais ne furent blanches,
comme ils rient quand ils te cherchent
en battant des mains
pareils à de pauvres oiseaux
dans l'ombre,
comme ils sont enfants et idiots, dans les aubes râpées,
dans ton vieux souvenir, quand ils te cherchent
et croient parfois t'atteindre
pour savoir à nouveau ensuite
que tu es toute petite et morte, qu'ils t'ont assassinée,
avec le sentiment triste d'un échec, dans le coin d'un amour
ou d'un oubli
un jour quelconque pendant lequel il ne pleuvait même pas.
Parce qu'ils t'ont tuée sans repos, une fois et encore,
avec les couteaux défaillants de leur ombre
les enfants idiots rient quand tu es morte
et avec ton souvenir
de vie ils s'élèvent.

D'autres poèmes de cet auteur sont  ici



Julio Cortazar

L'horloge

Pense à ceci: quand ils t'offrent une montre, ils te font cadeau d'un petit enfer fleuri, d'une chaîne de roses ; d'un cachot d'air libre.

Ils ne te donnent pas seulement la montre, en te souhaitant un heureux anniversaire et en espérant qu'elle durera longtemps puisqu'elle est de bon aloi, suisse avec des ancres de rubis.

Ils ne te donnent pas seulement ce petit pic-pierre qui s'attache au poignet et marche avec toi. Ils te donnent - sans le savoir et c'est ce qui est terrible - ils te donnent un nouveau morceau fragile et précaire de toi même, quelque chose qui est toi sans appartenir à ton corps, qu'il faut fixer à lui avec son bracelet comme un bras minuscule et désespéré qui se pend à ton poignet.

Ils te donnent la nécessité de remonter l'objet tous les jours, l'obligation de lui donner du nerf pour qu'il soit encore une horloge; ils te donnent l'obsession de vérifier l'heure exacte partout, dans les vitrines des bijouteries, dans les annonces de la radio ou le service de l'horloge parlante.

Ils te donnent la peur de la perdre, de te la faire voler ou bien encore qu'elle tombe au sol et se brise. Ils te donnent sa marque, et la sécurité qu'elle apporte parce qu'elle est la meilleure, ils te donnent cette propension à la comparer aux autres.

Ils ne te font pas présent d'une montre, le cadeau, c'est toi; ils t'offrent pour l'anniversaire de la montre.
 

Instructions pour remonter la montre (ou le temps?) 

Là au fonds, il y a la mort, mais n'ayez pas peur. Tenez la montre d'une main, prenez avec deux doigts le remontoir, et tournez-le doucement. Maintenant s'ouvre un autre laps de temps: les arbres déplient leurs feuilles, les bateaux courent des régates, le temps comme un éventail s'en va rempli de lui-même et l'air, les brises de la terre, l'ombre d'une femme, le parfum du pain, jaillissent de lui.

Que voulez-vous de plus, que vous faut-il d'autre? Attachez rapidement la montre à votre poignet, laissez-la battre en liberté, imitez-la, mimez son souffle précipité. La peur rouille les ancres, chaque chose qui était à portée de main et fut oubliée s'en va corrodant les veines de l'horloge, en gangrenant le sang froid de ses rubis. Et là dans le fonds, il y a la mort, si nous ne courons pas et n'arrivons pas à temps et si nous finissons par comprendre que tout cela n'a déjà plus d'importance.

Julio Cortazar (1914-1984) était un écrivain argentin naturalisé français. Traduction Jean Dif et Nadine Aubert



Jean Jacques Dorio : Secret des marges
.
Rafaël de Surtis - Collection Pour une terre interdite
 
Le poème peut venir sans ratures 
ou s'écrire après maints essais. 
Quand on s'est résolu à le livrer à un lecteur de bonne foi, 
même si l'on ne souhaite pas qu'il soit autre, 
il est toujours inachevé, 
tant que ce dernier ne se l'est pas approprié, 
afin de le réinventer. 

JJD 
_____________ 

Le goût des aphorismes 
ce labyrinthe où nous cherchons 
notre couronne de papier 

Le goût des définitions et des étymons 
qui courent les dictionnaires 
d'Alain Rey 

La langue en contrebande 
semble parler d'autre chose 
quand elle multiplie nos portraits

.
D'autres écrits de ce poète sont ici

Son blog est  ici



Rodrigo Durand Campos: Dans les silences choisis
.
Les Alchimistes du Verbe

Un Notre Père

Oncle Sam qui êtes au Nord,
ensanglanté soit ton nom.
Nous ne voulons plus de ton règne
et nous ne ferons plus ta volonté
ni sur la terre, ni dans le ciel.

Dès aujourd'hui nous prendrons
notre pain de chaque jour,
ne voulant plus de tes miettes
nous ne pardonnerons pas tes offenses
ni celles des autres faux amis.

Et nous succomberons à la tentation
de te faire payer tes péchés
pour nous libérer du mal...

... Ainsi soit-il.
 

L'adresse

A une fille douce et jolie
au regard de glace coupante
j'ai demandé toujours galant
comment toucher son coeur de rose

"Tournez à droite par deux fois,
ensuite continuez tout droit
en arrivant à mon sourire
allez jusqu'au fond de la gauche.

Longez à les frôler mes hanches
et sans jamais vous arrêter,
rendez vous jusqu'au carrefour
là suivez le cours de mes veines
jusqu'à un pré couvert de fleurs.

Du pré faites deux fois le tour
ensuite empruntez la venelle,
vous y verrez un écriteau
qui vous guidera vers mes seins..."

Le policier du coin de rue
fut incapable de m'aider
si bien que je me suis perdu
au fond des yeux d'une autre fée.

Rodrigo Durand Campos est un poète chilien qui vit en France.
J'ai pris la liberté de traduire à ma façon ces deux poèmes bien qu'ils soient publiés en espagnol et en français ayant préféré lire l'ouvrage dans sa langue d'origine.



Marcel Migozzi: Voyageurs sans regard
.
Encres Vives N° 395

L'un sans dieu parmi des enfants, assis
dans un pré lumineux au coeur
d'un Centre de vacances,
                                          l'autre,
le coeur d'un apôtre enseignant, élu
par ses douleurs pour compatir à d'autres.

Les deux disparus, nous allons
leur ressembler, et nous
de si peu de chair vive, irons
bientôt les embrasser dans nos dépouilles.
 

Ils furent exclus de leur corps
mais par morceaux,
lèvres violettes, prélevées
dans le dernier des derniers sangs.

Dans ces absences, même fraîches,
comment restaurer leur visage?

Et parler désormais n'est plus
qu'un infinitif sans présent,
mode à personne disparue,
seule issue, le silence.

D'autres poèmes de Marcel Migozzi sont ici



Anne Mounic: Midi, pleine lune
.
Encres Vives N° 396

Tout alentour aussi l'oreille nous dit le vent

Un chien dans le lointain aboie,
sans qu'à l'oeil se présente un "lointain" quelconque
Tout alentour aussi l'oreille nous dit le vent,
sa rumeur quand il effleure les ultimes feuilles de l'année mourante,
vert jaune, des tilleuls au long de la route,
en deçà du quai de la petite gare.

Nous sentons alors sa caresse, ici, sur notre joue,
alors que file sur l'air un morceau de papier blanc,
à toute allure, entre les troncs d'un brun austère.

C'est que vient l'hiver. Le paysage à l'oreille s'assourdit.
Les lointains, dans la nuée froide, s'estompent, feutrés.
Le chien n'a cessé d'aboyer et nous l'imaginons,
la truffe à l'affût, trépignant sur ses quatre pattes,
et frétillant peut-être, l'oeil implorant.

Dans le camaïeu gris de l'hiver,
l'imagination luit de ses feux mordorés
et dicte les vives couleurs de gouache sur le cri noir
du devenir flétri, découragé, aux aguets,
offert à la rédemption de nos intimes enluminures.
 

Nulle vie égarée n'est superflue

Il souffle un vent très frais tandis que le soleil
se faufile à travers les nuages qu'il rend plus gris
de son éclat, plus sombres, plus courroucés qu'en leur ordinaire,
quand l'astre se dérobe, se dissimule, disparaît
loin derrière la frissonnante mélancolie de la terre,
son ombre douceâtre, sa langueur indécise.

Notre déréliction consiste à l'abandon de notre vigueur,
de cet élan vivant qui nous anime, transcende le tragique
et ne se laisse pas aller aux facilités du sacrifice.

Nulle vie égarée n'est superflue, pas même
celle de l'humilié, du méprisé, de la victime
puisque c'est au puits de notre être que s'ouvre l'infini,
à connaître à reconnaître.

D'autres poèmes d'Anne Mounic sont ici



Claude Luezior: Epître au silence
.
Encres Vives N° 397

Lettre à Coquelicots

On a tenté de vous occire par pesticides interposés, baisers de pétales éparpillés sur les blés. C'est que vous n'êtes pas convenables, avec votre goût de pavot sur les lèvres. On a su dissoudre vos mutineries, dans ces plaines désormais tissées d'industries.

Si proches des braises, à la fois si pudiques et si rebelles, vos pétales sont héritage d'une liberté où rôde encore la dépouille des barricades. Oriflammes qui se cabrent et se mutinent, vous dites votre révolte avec des mots de soie.

Il fallait vous stériliser, vous broyer, vous biffer des très pures farines. Vous immoler dans les coursives de la productivité. Car vos dissidences n'ont plus place dans le tourbillon linéaire des moissonneuses. Illusions parmi les certitudes, mots de poètes jetés sur le miroir laitonné des récoltes, on vous dit parfaitement inutiles. Pourquoi des mots d'amour quand, aux foules, suffit l'or des blés? Pourquoi ne pas se résigner, quand nos plans quinquennaux si bien charroient l'utile?

Certes, on vous a rayés de la carte comme on a stérilisé l'artiste. Mais en sous-pente demeurent les gênes du Celte, l'imprudence de celui qui ne se résigne. Malgré la léthargie du bien-pensant, la bourse de l'économiste, les communes pensées des masses, voilà qu'un coquelicot et puis cent, vous et vos frères, par millions renaissez sur la lèvre des chemins, à la marge des haies vives, entre les pavés si bien cloutés. Herbes folles, sangs qui perle dans l'indifférence du siècle, gifle aux gardiens de l'uniformisation. Hic est enim: et pourquoi pas, quand l'âme, malgré tout, suinte du corps?



Jean-Louis Bernard: Dans la tanière obscure du soleil
.
Encres Vives N° 398

Le passeur exilé
en des contrées inabordables
se penche
sur le premier grimoire

rebrousse chemin
vers le temps où l'homme était
habitacle du vide
avant de se vouloir
témoin du feu

veilleur de l'incréé
son regard météore
amnistie
les heures flibustières

droit
dans la nuit du poème
pour retenir la chute



Encres Vives N° 400 - Numéro spécial

Annie Briet

J'ai grandi dans les linges de la neige
j'en ai gardé le goût du silence
de l'infini de l'absolu
j'ai cru
aux soudaines métamorphoses
qui émerveillent
au règne de la beauté
à la légèreté aérienne de la vie
à sa profondeur aussi
Son silence était le gage
d'une vie profonde
Elle descendait du ciel
se confondre avec le rêve
avec l'oubli du temps
L'âme prenait de la hauteur
dans sa blancheur infinie
Elle était repos et respiration

J'ignorais alors sa lourdeur de pierre tombale

Aujourd'hui
je voudrais qu'il neige dans ma parole

D'autres textes d'Annie Briet sont ici
________________________________________
Gilles Lades

...
tu veux voir resurgir
de leurs brouillons perdus
ta parole défunte
comme l'onde ouvrière
devient dans le moulin
une nouvelle source
...
Les images ont un socle
de nuit. Si elles éclairent
c'est à la faveur d'une porte
qui s'ouvre

Entrez donc! On la reconnaît
entre toutes cette voix légère
comme le doigt de l'enfant
désignant ce qui l'étonne et le ravit.

Avons-nous franchi le seuil,
ne nous sommes-nous pas
retournés pour partir?

Partir! Vieux déjà
ne répondant plus
qu'à l'appel des pierres.

D'autres textes de Gilles Lades sont ici



Francesca Y. Caroutch: Les enfants de la foudre
.
Rougerie

Oraison des chenilles

Nous nous aimions
au bois sacré des petits pauvres
dans les chemins creux de l'insomnie
dans les antiques cités saintes
dans les prairies de l'âme

Sous l'ombre sucrée des cèdres
tu buvais le lait de l'amande mystique

Frissons d'orange douce
amour de haute lisse

Le saut d'un puceron faisait trembler
un arbre à Trébizonde
Ton sourire ébranlait une étoile naine
aux confins du cosmos

D'autres poèmes de Francesca Y. Caroutch sont ici, ici et ici. Et son site est ici.



Fabrice Bouscarat: Poésimes
.
Promoprint

Les chèques de travers

Les chèques qui se déchirent
en travers diagonal
c'est vraiment infernal
mais aussi très fréquent
ils seraient les cousins
d'après ce que l'on dit
de ceux où lieu et ordre
se trouvent inversés
au moment de signer
le dernier du carnet



Véronique Joyaux: Lampe votive
.
Encres Vives N° 401

Les grilles dans l'ombre affûtent leurs griffes
Sentiment d'inachevé
de déchirure sans nom
comme un arbre invisible se mettrait debout
Les bateaux courent autour des maisons
Se maintenir à cette hauteur de vivre.

Lassée de chercher estuaires et deltas
de ne pas être allée au bout de moi-même
de ce livre qui n'a pas été écrit
Sommes-nous en mesure de durer
l'âme au bord du vide
comme un écho sans réponse
Lors de mon tour de guet sous les étoiles
J'écoute le vent battre sur mes tempes.
...

Tu poursuis sous les étoiles la sagesse des ornières
La pluie use la pierre qui devient sable
On bute dans l'air
Qui sait ce qu'il demeurera d'un oiseau enfui
La journée s'éternise sur ton visage
Ciel improbable et vrai
Il est tard sur ta peau d'homme
pour moi l'inassouvie.



Michel Cosem: Ainsi se parlent le ciel et la terre (extraits)
.
Encres Vives N° 402

Le mur blanc raconte l'histoire de la nuit lorsque le noir l'entoure et se plaint. Lorsque passe furtif le chat au long poil et la main du voleur. Il n'y a pas d'écho ici mais soudain irrémédiable la blancheur de la cécité. On promène inlassablement le soupir de l'inachevé. On fait goûter à la fontaine le temps de 1'improbable et l'on mélange les pelages, les rendez-vous et les cargaisons des pêches hauturières. Le mur blanc s'anime alors comme une poitrine et c'est à ravir qu'il finit par conter son histoire.

*

J'ai rencontré une biche dans le bois de Sainte-Hermine. Je l'ai surprise elle m'attendait. Tout était dans le regard et le frémissement de la peau. Nous étions les ancêtres de nous-mêmes. Nous étions notre vérité et notre symbole. Les mots ne suffisaient plus. Je connus tout de sa vie mieux que dans les rencontres humaines. Une feuille a glissé sur son échine. Une
brindille a craqué. Un simple saut l'a enlevée définitivement.

D'autres textes de Michel Cosem sont ici, ici et ici.



Patricia Cros: Sédimentaires suivi de La soif des hirondelles
.
Encres Vives N° 403

Devant ces géants immobiles que sont les grands
rochers, nous nous taisons et nous avons plusieurs
façons d'y croire.

Un jour les roches reprendront leurs trajectoires. Car les
montagnes ne sont pas des avalanches immobiles. Les
roches se meuvent. C'est d'ailleurs assez émouvant
d'assister pour la première fois à ce spectacle. Venez au
coeur des Alpes, la nuit au clair de lune. C'est d'abord
leurs arêtes aiguisées qui vibrent dans l'air frais. Surtout
ne bougez pas. Vous verrez alors des masses imposantes
de roc frissonner, s'étirer comme le dos d'une bête qui
s'éveille. Si vous n'avez pas fui, vous les verrez ramper en
tous sens (elles peuvent remonter des pentes abruptes),
se frotter tendrement les unes aux autres. Avec
beaucoup de chance, vous assisterez peut-être à la
naissance de petites pierres.

Au matin, l'examen des stries peut indiquer dans quel
sens s'est déplacée la roche.



Jacques Lovichi: Au revoir et merci
.
Encres Vives N° 404

D'autres textes de cet auteur sont ici



Avel IX - N° 25 - Les cinq sens

Max Alhau

Une voix

Au souvenir de Jean Rousselot

Une voix que la radio extrait du silence et du temps. Celui à qui elle appartient a disparu. On a peine à imaginer que la mort a radié la vie en ces instants et que cette voix est à jamais déracinée de son corps. En elle on surprend parfois la marque des années, mais on ne parvient pas à admettre qu'elle flotte ainsi, ne survivant que par elle-même.

Comment accepter qu'elle constitue l'unique témoignage d'une présence fragmentaire, "une voix sans personne", qui répétera les mêmes paroles tournoyant dans l'espace, dernière épreuve qui s'acharne à résister à l'oubli, l'absence, trace seulement audible? Voix d'outre-tombe pourrait-on dire.

D'autres textes de ce poète sont ici



Gérard Bocholier: La veille
.
L'Estocade - Verbes & Entailles

On n'attend plus rien de la nuit
Tous les puits sont à bout de corde

L'absence nous avait prévenus
La terrible absence au soleil
Les morts gonflent la termitière
Sous les arbres
Heureux sans nous

Vienne l'ultime retrait
Où s'éteindre ne signifie
Qu'être confondu de lumière
Avec la boue
 

La mort n'est pas cette masse grise
Sur le pavé et la paille
Dans l'odeur chaude qui monte
Araigne posée sur l'oeil
Souffle arraché aux naseaux

Mais cette flèche dans la vitre
Interdite
La criarde visite de la lime
Qu'un rayon glisse
Entre les barreaux



Camille Aubaude: Poèmes satiriques
.
Les Amis de la Maison des Pages

Majestat antiqua

"Car dans la tombe, il avait laissé le moi qui lutte, qui s'affaire et qui s'affûte."
                                                    D. H. Lawrence, L'Homme qui était mort.
.
Une fin d'après-midi,
La grande ville endormie par la mer.
Les autocars ont été supprimés.
Les villageois ne s'en servaient plus.
Ils ont protesté quand ils ont disparu.
Maintenant, il y a un tram, des câbles
Autour d'un parking aux vertiges de silence.
Les pierres des monuments s'effritent.
La ville veut évacuer les voitures
qui exhalent des gaz polluants.
En banlieue, on ne voit plus la mer:
Juste un étalage de caoutchouc contre ferraille,
Des sarcophages sur roues d'où sortent au ralenti des
cancéreux en herbe ou d'anciens pestiférés.
.
Terminus du tram: le rail d'acier
a emporté les passagers du Train à Grande vitesse
hors de la vieille cité appuyée sur ses églises
La Politique? Dépolluer, refermer
Sur les milliards d'êtres humains
Les tentacules des banlieues
Laisser agoniser les villages
Bâtis par les Aïeux.
.
Vêtue d'un manteau rouge mal coupé,
Une femme aux cheveux noirs est refoulée
du tram: elle n'a pas de monnaie.
Elle brandit un billet de dix euros
et va d'une machine à une autre.
Le chauffeur ignore la compassion.
Que peut-il faire? Rien.
Les passagers ont l'air absent: les déranger,
c'est s'épuiser en une colère inutile.
La femme en rouge répète: "Je n'y ai pas pensé".
L'accent pointu des gens du Sud ricoche
sur l'océan de voitures entre des super marchés.
Terre bleu métal asphyxiée de ferblanterie,
Ciel dépourvu de grâce où luit
La croix verte d'une pharmacie
qui vend des plantes génétiquement modifiées.
Pour qui respire dans cette géhenne d'acier,
métal muet et amiante, la condamnation se déroule
en deux temps: Entrer et sortir des voitures
en silence, les yeux éteints
Appeler une nuit sans fin.
.
Je suis perdue parmi les sarcophages.
La voix de "la première dame de France"
comme dit le conducteur du tram
balance une romance d'une guérite en tôle grise
dessinée par un sous-doué: la Caisse.
On paie trois ou quatre euros
selon le nombre d'humains déplacés.
ça coûterait trop cher au patron.
Terre bleuie par les pestiférés aussi affairés
qu'indifférents aux grandes courses de Noël,
Noël aux plages ternes comme des yeux de géant.
Chaque année, c'est pareil.
"Avec un peu moins de ferveur" dit le chauffeur.
La "crise" flétrit les âmes plus que l'opium.
Je suis égarée sans téléphone
devant regagner l'église bénie des trobairiz.
Quelle violence, la Caisse a désarmé mon ardeur
de voyageuse de l'Apocalypse. Une abbaye
est ressuscitée dans la vallée bordée par des talus.
Je compte parmi les adorateurs
de ce délice terrestre!
La grâce des fleurs blanches
La hauteur des airs allègent la pierre.
La ferveur imprègne les noeuds des sarments
et la sève des platanes dénudés.
La route serpente jusqu'au village fortifié
et ses anges d'airain aux mains en prière.
Je suis à l'orée du gouffre.
Le chauffeur n'aime pas les ruines
où l'oeil aguerri revoit des oeuvres nobles.
Il me dépose à la statue de Jeanne d'Arc
qu'il aimerait voir décorée de guirlandes.
Je gravis la rue des Remparts
traversée par un ruisseau
et la rue du Roc aux odeurs de feu de bois.
Dans les mots du chauffeur, verve d'illettré solitaire,
j'aillit une spirituelle poésie
où miroitent les voix de la Bonne Déesse.
La sagesse du berger aux mains ouvertes
coule en cascade sur les pierres éboulées,
terrain de jeu des faucons pèlerins
au vol circulaire.
.
Village! ô beau village,
Lézard charmé par le chant de l'alouette,
La langue d'Oc gonflée du souffle des Vierges noires,
Sous la cloche qui sonne les heures avant Minuit.
.
Majestat antiqua
.
Un trône sur les douces collines,
Une étoile bleuissant les bois endormis,
Les clairières ravinées, les lagunes et les puechs,
Les garrigues qui rêvent près des chemins.
.
J'ai atteint un pays merveilleux
Aux vallées habillées de golfes et de montagnes,
Parfumé de raisins, de luzerne et d'olives,
D'anciens villages mûris par la Nature
S'appuient à des châteaux dorés,
Solides esquifs amarrés aux églises
Aux tours carrées et blondes
Comme le teint céleste.
N'est-ce pas le pays inspiré
Où s'élancent les cascades,
Chevelures d'argent aux nuées d'azur
Jaillies de sommets enneigés?
.
Ô Majesté antique,
Ô terrible village!
.
                             Saint Pons en Mauchiens
                                         26 décembre 2008
Le site de Camille Aubaude est  ici



Christian Hubin: A perte de vue précédé de L'enracinée
.
SUD

Au souffle des derniers récits,
l'incendie haletant qui rêve,
la main secouant les verrous.

Un escalier mène aux portes murées.
Une pupille observe
à travers des verrières.
Lueurs d'astres où tintent
les enclumes gelées.

Parler est le choc du lointain,
le retour hébété
de régions lacunaires.

Une femme s'évanouit
sans éclairage.
Devant elle la nuit,

les yeux purs qui
tairont.

...
Une poussière traverse
des tamis.

...
Échines bossues de la neige
sous la varlope des traîneaux.

...
Mémoire dans
ses puits d'éther.

...
Les armoires sont pleines d'ombres,
de vêtements qui ne réchauffent plus.

...
Et à l'entour, comme un bruit
de pieds nus sur les sommets
Remous de branches assourdis
à la cime des souvenirs.

...
Le sang remue les sourds
métaux de l'insomnie.

...
Dans le soir, cet éclair avant
de perdre connaissance.

...
Une goutte d'encre est une fontaine masquée.

...
Tous ce qui meurt s'accomplit,
tout ce qui troue dévoile.

...
chevauchant
vers ce qu'il n'aura jamais vu,
ce qui, d'avant qu'il naisse
n'a cessé de le voir.

...
la lumière qui est
l'opaque en expansion.



Christophe Dauphin: Ilarie Voronca - Le poète intégral
.
Rafael de Surtis - Editinter

Jean Rousselot

Adieu à Voronca

Avaient-ils vu ta déchirure?
En tous cas, nul n'en dit rien
Et il n'y eut guère pour te plaindre
Que le paysage bousculé par le printemps.
Lui non plus n'avait pas le temps...
...
Tu as bu jusqu'à la lie
Le couchant brouillé des ornières.
Tu ne t'es relevé qu'à l'aube
Sur tes mains de suie, tes genoux de pierre;
La terre avait sué du fiel pendant la nuit.
...
Hélas nul ne t'a vu rôder sous les arches aux pieds boueux
Où le vin noir qu'on échange
a le goût des sommeils d'autrefois;
...
Nous pardonneras-tu d'avoir joué nos propres drames qui n'étaient que des bagarres,
D'avoir suivi des mollets de joie sur les trottoirs, et fait l'amour,
...
En rentrant, j'ai cherché ton nom dans le journal;
Je ne l'ai trouvé qu'avec peine, imprimé en tout petit:
La mort d'un poète est un accident si banal!
...
Et si tu viens à rencontrer ce Dieu qui n'aguère t'accorda
Une interview, dis-lui, veux-tu
Que nous ne sommes mauvais que par habitude
Et que nous péchons sans joie.
...
Pour te faire un peu de fraîcheur:
Tu ne seras pas seul...
Il y a tous ces morts, qui ne sont plus qu'oreille
Autour de toi; tu pourras leur parler si tu t'éveilles
De ce monde fourbu dont ils ont souvenir
Et nostalgie - ô douce-amère!
Et dont il n'est rien, torrents et larmes, hommes et pierres,
Que tu n'aies su nommer et contenir...

Ainsi, ô mort d'amour!
Dans le silence, dans les ténèbres,
Ferons-nous chanter la haute marée fraternelle de ta voix,
Les jours de grande soif...

D'autres poèmes de Jean Rousselot sont ici et ici
_________________________________________________
Ilarie Voronca (1903-1946)

Sur le poème et l'anthologie

Un poème ne doit pas être constitué seulement de mots mais aussi de vide
 

A l'heure incertaine

...
Dans les granges où tombent les draperies lourdes des moissons,
Où l'archet de la solitude fume comme une assiette de soupe
Ou dans la capitale où vibrent les armes de la faim,
Parmi les racines dans le marbre et la chair en lacées,
Sous l'orage, d'une branche à l'autre défait,
Le matin prenant sa place tel le sucre dans le légume
Et toutes les allées qui s'abîment en moi dans un doux bruit de cendre,
Seul, seul
Je plane au-dessus des quartiers pauvres.

Le pied des fontaines touche le ciel enfermé dans la terre;
Je suis seul dans l'étain où ressuscitent les cohortes invisibles,
Mon ombre échelle de soie au balcon des autres hommes,
Mais j'ai vu que derrière leurs fenêtres se cachaient massacres et défaites.
 

Hémorragie, ascension

Près de vos armes, hommes inflexibles
Près de vos aigles dressés à déchirer les poumons
Des porteurs de flammes, voici mon ombre entre les montagnes inclinées
Attentivement vers la ville prise dans les menottes du pain.

Sachez que si vous me fouillez jusqu'aux entrailles
Ainsi qu'on ferait d'un violon, afin d'y trouver le chant,
Ou d'un miroir pour en arracher les images
Jamais vous ne toucherez la vision qui demeure en moi.

Parmi le matin qui s'ouvre une artère
Avec la brume tombée au fond des éprouvettes,
Avec l'âme qui, dans la chair comme dans une camisole de force,
Se tord, s'écorche et voudrait se délivrer.

Et vous qui mordez la neige et vous mordez entre vous
Comme des chiens au traîneau montant vers quel orage,
Bourreaux ou frères, me voilà je marche parmi vous
Et je ne sais ce que vous enfoncez dans mon épaule: poignard ou aile.
 

La joie est pour l'homme

Plus pur en ma demeure qu'en sa neige un nuage,
...
Comme une mer qui se déploie dans un golfe amoureuse d'elle-même.
...
 

Ô ! Femme

Ô ! Femme avec ton corps fait de pain et de sel
Tu m'accueilles et ma main tremble en touchant ta main
C'est ainsi que sous l'eau tremble la main du pêcheur de perles.
O! J'ai été longtemps comme un voyageur égaré
Et soudain ton visage
Me fut comme la lumière d'une fenêtre
C'est ainsi qu'une voix afflue vers l'oreille qui l'écoute,
C'est ainsi que les rayons du soleil épars dans l'air
Se réunissent sous l'attraction d'une loupe
Et redeviennent chaleur brûlante,
Feu,
...
Près des arbres tranquilles j'attendais l'arrivée
De l'oiseau mystérieux qui dépose les oeufs d'où naît l'aurore,
J'ai guetté sur les rochers la chèvre noire,
Qui sait trouver sur les rochers les débris du soleil
...

 
L'étrange fleur

L'agave, dit-on, fleurit tous les cent ans
Notre floraison à nous c'est la mort
Il faut se pencher avec amour, avec soin
Sur cette fleur pâle de notre corps.

Chacun de nous est un jardinier et la plante
Qu'il doit préserver jour et nuit
Avec son parfum de tilleul et de menthe
C'est sa propre mort qui en est le fruit.
...
 

Perdu entre des millions d'hommes

...
Il y en a qui demandent des sacrifices aux foules
"Que chacun, disent-ils, fasse son devoir
Et qu'il se contente d'un salaire minime"
Ceux-là on les nomme bâtisseurs d'avenir.
...

Des textes de Christophe Dauphin sont ici



Michel Cazenave: Le pas de la colombe
.
Encres Vives N° 405

Et la rose s'incline et le merle se tait: seule marche la colombe issue de sa falaise, sur le fleuve tranquille de toutes les eaux lustrales.

Et le cri silencieux de sa voix qui proclame la beauté de l'instant: tout se trouve suspendu au vol de la colombe.

Puisqu'elle est là.
 

Quand elle tourne sans fin sur ma tête inclinée, mes mains dégouttent de myrrhe; mon coeur déborde de nard, mon corps s'inonde d'encens vers l'azur tour ouvert -

ma chair a tressailli, l'âme exulte de joie, et dans la joie de son vol circulaire à mon corps, je sais bien que je suis le Temple du mystère.

D'autres textes de Michel Cazenave sont ici



Chantal Danjou: Des îles et des montagnes ou Chemins de poésie et de prose
.
Encres Vives N° 406

Cellulose

T'attendre. Attendre. Tendre. A la tombée du jour. L'immobilité d'un arbre pour se glisser dans les ombres qui bougent sous lui.
Étendre sur toi quelque chose de très léger. Qui te rend presque immatériel. Qui souffle. Tue es bleu, entouré de cellulose.
Tandis que, égrené - qui? quoi? - prend forme sous terre, à l'abri des regards. Les mains, les bouches n'ont pas cessé.
Des fonctions, des douves, où passer. Les pas, les traces, les fleurs arrachées, au-dessus. Une imperceptible chaleur. La fumée des vallons. Labours, rangs de vigne convergeant vers la haie toute proche. Que le jardin est net.
Le monde se rétracte. Il est blanc. La serre est vide. Il n'y a que des narcisses, des lis narcisses, de courtes grappes odorantes de citronnier.
Des corbeaux traversent en croassant. Quatre ombres instantanées dans la fable. Plus la ligne parfaite d'un avion qui a disparu juste après la corniche. Plus le pin. A ses branches, des points, des écailles, ce qui brille encore. Comme si chargé d'eau par la lumière avant quelle ne bascule.
L'ombre légère des cistes sur la roche remue à peine. Le coeur est pris dans l'épaisseur des vêtements. Coller l'oreille sur ce qui est léger, léger, gris.
Un peu lointaine, la voix. Sans battement. Sans fleur.

D'autres textes de Chantal Danjou sont ici



Colette Gibelin: Dans le doute et la ferveur
.
Encres Vives N° 407

...
J'aurais beaucoup à dire
Ce qui remonte de la nuit
Ce que le jour te jette à la figure,
les traînées rouges du ciel entre les branches
Et toi, n'osant bouger pour ne pas déranger
cette splendeur fugace
J'ai quelquefois si mal de toutes ces ferveurs

Que faire de l'absence, qui grandit,
qui déploie ses ailes miroitantes
imprègne le langage
Je pourrais dire la fascination de l'inutile,
l'aimantation du vide

Je pourrais même dire le besoin de parler,
comme on crache,
comme on urine
et l'âpre nécessité de se taire
parce que rien, jamais, n'aboutit,
rien n'atteint l'aube suffisante
...

Le vide englobe l'univers
s'installe au coeur,
écharde vive
Tant d'étoiles
et si peu de clarté
...

Si la mort est au bout du chemin,
qu'elle soit l'estuaire
où la rivière abandonne ses boues
pour entrer, nue, dans l'océan
...

D'autres textes de Colette Gibelin sont ici



Traversées - N° 65 - Printemps 2012

Christophe Mahy

La pluie distrait le silence
du haut pays
l'orage gronde encore au loin
moi je rince mon coeur
dans les sources vives
avant de retourner
vers moi-même
sans jamais me trouver
Le jardin sous l'averse
est le seul poème
que la nuit déclame
pour elle seule
l'orage gronde au loin
et la pluie distrait le silence
de la chambre vide
en glissant sur la vitre

comme un mot sur la page.



Gérard Paris: Fragments (4)
.
Bleu d'Encre Éditions - La Grande Bleue

...
Si le poème peint, la peinture parle...

Sous le masque l'être
sous l'être le gouffre...

Pesanteur et apesanteur: en nous, le lieu...

L'absence, paysage intime...

Créer des figures pour se dissimuler...

La parole du poète: respiration des gouffres...

D'autres fragments de Gérard Paris sont ici



Encres Vives N° 408: Numéro spécial consacré à Ioan Tepelea (1949-2012)

Valeriu Stancu

L'acharnement du retour
                                         A Ioan Tepelea
...
On revient de la mort,
Je le sais,
On revient pétrifié,
Comme les prisonniers de guerre,
Dispersés,
Dans l'infini de la Sibérie,
Reviennent
Et, dans leurs havresacs
Déchirés et râpés,
Les blessures,
Les décorations,
Les camarades
Tombés sur le champ de bataille.

On revient de la mort,
Je le sais,
Seulement pour frapper
Une fois de plus à sa porte
Un beau jour...

On revient de la mort,
Je le sais,
Seulement
Si la parole
Nous réclame...

Valeriu Stancu est un poète roumain.
_____________________________________
Horia Badescu

Tu n'as plus rien
                           Pour Ioan Tepelea

Tu n'as plus rien pour toi;
ami;
rien que les vents de tous les horizons,
les pluies de tous les automnes
et la terre,
la terre qui garde encore
les traces de tes pas sans retour
et l'écho de ta voix dans nos âmes.
Tu n'as plus rien pour toi,
ami;
seul l'habit de tes paroles,
seuls tes mots
pour affronter
le silence entier
de l'au-delà.

Horia Badescu est un poète roumain.
__________________________________
Ioan Tepelea (1949-2012)

Sous le regard du monde

Au seuil du millénaire les vers avancent en colonne
notre seule chance de ne pas être défaits par l'ennemi
est de les faire progresser pas à pas
de les parfumer de les éduquer au dedans et au dehors
Vois Seigneur
comme ils rampent à l'assaut d'un roseau pensant
lustrant leur glorieux uniformes
tels un contingent de nouvelles recrues...
Sous le regard du monde toute merveille
nous prend à témoin...
 

Illusions tenaces

Je regarde le film de mes illusions
J'invoque comme excuses toutes sortes de détails
toujours les mêmes
maladies eczémas champignons toujours les mêmes
hôpitaux cliniques infirmeries
illusions tenaces
C'est le bon moment pour faire une crise de nerfs
donner la parole à une femme hystérique
quelqu'un qui nous dessinera au tableau et puis
qui effacera tout!
 

Sous le poids du réel

Tu as vieilli héritier de toi-même
au nom du père
Après la promenade rituelle sur la colline
après l'eau restée dans la cruche
sur la margelle du puits. Après tout
ce qui coule s'écoule

Dans les regards demeure la poussière d'étoiles
et l'obsession le silence déboussolés
l'ombre de l'arbre abattu sous le poids du
réel. Délaissé tu palpes en roi-même
la mémoire du rêve. Tu te sens
t'extraire de ta vie

Traduction de Jean Poncet. Ioan Tepelea était un poète roumain.



Werner Lambersy: Les cendres de Claes battent sur mon coeur
.
Encres Vives N° 409

Neuvième station

Que tant d'oiseaux
Naissent du ventre fécond
Des arbres

Te réjouit
Car c'est ainsi qu'un souffle
Passe sur toi

Le temps
d'un essor de plumes
Vers un insaisissable azur

Ici le cerisier
En fleurs de tes paupières

Et là
Le hêtre rouge de ton désir

Chaque fois le ciel tombait
A nos genoux
 

Treizième station

De ma poitrine
Aux collines de tes seins

Un chant
appelle ses brebis
A brouter l'herbe sauvage

Et nous tremblons de n'en
Connaître que l'écho
Assourdi

Le ciel pose
Sa couronne d'épines sur
Le front de la nuit

Il n'y a plus dit-on
Qu'Orphée pour enchanter
Le dernier frisson

Mais chaque atome d'âme
En préserve la durée

Werner Lambersy est un poète belge d'expression française.

D'autres textes de cet auteur sont ici



Eric Chassefière: Feu et glace
.
Encres Vives N° 410

Y a-t-il eu un océan sur Mars?
c'est le sujet de la table ronde aujourd'hui
question de l'origine des réseaux de vallées
question de la dégradation des cratères anciens
question des signatures minéralogiques
question de la permanence de la glaciation
question d'une possible bifurcation climatique
question de l'évolution du volcanisme
question de l'activité hydrothermale
question de l'efficacité des gaz à effet de serre
question sur la question
question sur la question sur la question
controverse et absence de réponse
mon voisin de table ce soir explique
que les savants ne se résolvent jamais à résoudre
que par nature ce qu'ils cherchent
n'est pas la réponse mais la question

                                  Hotel Hyatt Regency - Lakeside A/B



Rose des temps N° 5

Vincent Muselli (1879-1956)
.
 Fleurs
                             A Jean Paulhan

Sous la poussière d'or qui tombe des tilleuls
L'air lucide flamboie ainsi qu'une verrière
Transparente où la souple et féline lumière
Rôde autour des rosiers, des lys et des glaïeuls.

Fleurs! songes enflammés de la Terre! armoiries
Dont l'azur qui triomphe a marqué les gazons,
Vos luxes tour à tour insultent les prairies
Et sont une fourrure aux pieds de nos maisons.

Âmes de feu! esprits dangereux des Essences!
Que ne puis-je, vaincus par vos fauves puissances,
Dans la tranquille ardeur d'un grand midi vermeil,

Au jardin reflétant la clarté qui l'arrose
Et tissant mon linceul de soie et de soleil,
Mourir sous la caresse éclatante des roses!



Rose des temps N° 4

Léon-Gontran Damas (1912-1978)
.
 La mort dont je rêve

La mort dont je rêve
la mort dont je rêve tant et tant
et qui rêve elle-même
tant et tant
d'elle-même
à partir du cauchemar
de mes rêves
est déjà mienne
aussi vrai qu'est tien
le droit de survivre à la mort
dont je rêve
tant
et
tant

Léon-Gontran Damas est un poète guyanais de la négritude.



Marièva Sol: Le lecteur nocturne (Extrait de "Les passions Firmament")
.
Éditions de la Nouvelle Pléiade
 
Une femme 

C'est joli une  femme parce que ça frémit 
Ça frémit tout le temps 
Et à tous les vents 
Ça frémit d'inquiétude 
Près du berceau 
De l'enfant malade 
Ça frémit d'espoir 
A chaque lettre 
De l'amant prisonnier 
Ça frémit mystérieusement 
Aux crépuscules insolites 
Ça frémit à genoux 
Au pied des calvaires 
Ça frémit sentimentalement 
Pour un je t'aime 
Et ça bouleverse 
En frémissant 
Pour un regard d'amour 
Ça frémit dans les larmes 
A chaque abandon 
Et ça supplie en frémissant 
Pour un peu de pitié 
C'est joli une femme parce que ça frémit 
Ça frémit comme un violon 
Quand on y pose une bouche 
Et ça frémit mieux encore 
Quand on y pose son corps 
C'est joli une femme quand ça frémit 
De joie.

 

Marièva Sol: un peintre à Paris



Rose des temps N° 9

Hector de Saint-Denys Garneau (1912-1943)
.
 Les cils des arbres

Les cils des arbres au bord de ce grand oeil de la nuit
Des arbres cils au bord de ce grand oeil la nuit
Les montagnes des grèves autour de ce grand lac calme
                          le ciel la nuit
Nos chemins en repos maintenant dans leurs creux
Nos champs en reposoir
                         avec à peine le frisson passager
dans l'herbe de la brise
Nos champs calmement déroulés sur cette profondeur
                        brune chaude et fraîche de la terre
Et nos forêts ont déroulé leurs cheveux
                        sur les pentes...

Hector de Saint-Denys Garneau était un poète québécois qui mourut inconnu avant de trouver le succès après sa mort.

Le sentier poétique du Québec est ici
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Louis Savary
 
La poésie 
c'est ce qui continue 
à nous parler 
quand le poème s'est tu
.
D'autres extraits de cet auteur sont ici



Jacqueline Saint-Jean: Au clair d'octobre
.
Encres Vives N° 411
.
Lumière   noyée de pluie
Le jour dérive  la ville glisse
                               sur ses assises
Des ombres flottent
                               au fil des flaques
A vau l'eau   s'en va le pays

On cherche un mot   pour éponger
           la fonte des images

On fixe   en guise de fanal
                    ce feu pâle   au fond de l'espace
         Fleur de brume   pour les égarés

Un autre extrait de Jacqueline Saint-Jean est ici



Béatrice Libert: Dans les yeux des fruits verts
.
Encres Vives N° 412
.
Pharmacie

Nous comptions les journées en dragées
Les semaines en pilules
Les saisons en pansements stériles

L'alphabet déclinait ses médications
Aspirine camomille gentiane
Palfium papavérine et témesta

Tandis que les suppositoires
Comme de preux soldats
Rentraient dans leur docile sarcophage

Le père régnait par son silence
Tandis que la mort poussait son front
Sur les flacons frappés d'un cachet rouge

L'enfant debout sur l'escabeau de bois
Rêvait d'un monde sans escarre
A la hauteur de ses divagations.

Un autre extrait de Béatrice Libert est ici



Marcel Migozzi: N'insistons pas
.
Encres Vives N° 413

Dans la très vieille    civilisation des cyprès
L'obscur
Est bien entretenu.

*
Dans l'enfance
Cette peur

Quand la nuit effaçait les limites du corps.

*
Personne au jardin   seul

Le silence des fleurs
Veille

*
Conteneur du cimetière

Les fleurs jetées
Appartiennent à qui?

*
On trébuche sur des notes
Une page
                Un dépotoir

*
Dans les blancs
Entre les mots   se perdent
D'autres mots sans mot de passe

D'autres poèmes de Marcel Migozzi sont ici



Elena Annibali
.
je dis la même chose de l'eau que du mot

face à la maison, avant qu'ils aient construit
les bâtiments somptueux
les bureaux aseptisés de la rue Belgrano
les magasins de friandises
il y avait un terrain vague
avec en son centre
un manège

nous allions avec Mauro Lesjtch,
à l'heure des siestes, nous amuser
à être des chevaux aveugles
et nous tournions autour
du puits sec

Mauro est maintenant un homme
il a gagné de l'argent, et a des fils,
demeurent en lui seulement
les yeux foncés
avec des cils de poupée
et moi je reste encore attachée
au rituel de ces après-midi
où nous tournions autour du puits
en jouant à la bête aveugle

maintenant
la soif est réelle

Elena Anníbali est une poète argentine.



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